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Le comte Lanza vous salue bien
14 novembre 2023

ALGER AU TEMPS DES DEYS, DES CORSAIRES ET DES ESCLAVES TROISIÈME PARTIE

 

 ALGER AU TEMPS DES DEYS, DES CORSAIRES ET DES ESCLAVES

TROISIÈME PARTIE

 

  

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit.]

 

 

 

LES VOIES DE RECOURS

 

 

Les voies de recours légales semblent exister seulement dans certains pays chrétiens au profit de personnes estimant avoir subi des prises illégales de la part de ces pays – mais les plaignants sont – sauf erreur – uniquement des chrétiens,  principalement des Grecs qui naviguaient sous « la bannière turque (« bandiera turchesca »), ce qui permettait aux corsaires chrétiens de justifier l’abordage des embarcations conduites par des Grecs ».*

                                                                                                           * Paradoxalement, ces derniers étaient aussi attaqués par les corsaires barbaresques : « Les Barbaresques de leur côté voyaient dans les Grecs des Infidèles, et, malgré les remontrances périodiques des Sultans, Alger regorgeait d'esclaves grecs. » (P. Boyer. La chiourme turque des galères de France de 1685 à 1687, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1969). Il est toutrefois probable que ces attaques sont devenues résiduelles avec le temps, car constituant des offenses au Sultan, que les régences prétendaient respecter.

 

Ainsi le tribunal des prises installé à Malte jugeait des plaintes des Grecs dont les marchandises avaient été saisies par les navires de l’ordre de Malte ou les corsaires maltais. Les recours pouvaient aussi concerner des questions de mise en esclavage, comprises dans la question de la légitimité de la prise.

G. Calafat note que « ces victimes grecques du corso (...) n’hésitèrent pas à se rendre jusqu’à Malte pour plaider leur cause et tenter de récupérer leurs biens. » ce qui semble montrer que la procédure n’était pas inutile – mais évidemment elle exigeait le déplacement du plaignant » (Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderneRevue d’histoire moderne & contemporaine, 2012, https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2012-1-page-103.htm).

Les plaignants pouvaient saisir la juridiction maltaise compétente (déjà mentionnée plus haut) mais aussi le Saint-Siège qui demandait des explications. L’ordre de Malte essayait alors de justifier ses prises*.  

                                                                                                         * G. Calafat (art. cité) note que « Les nombreuses plaintes des habitants de l’Archipel contre l’ordre de Malte remontaient jusqu’à Rome » (à la Congrégation de Propaganda Fide, semble-t-il) puisque l’Ordre – en tant qu’ordre religieux catholique -  relevait in fine du pape.

 

Selon le pays concerné, d’autres voies de recours existaient : on cite le cas d’un Athénien qui fait le voyage à Turin pour tenter de récupérer une prise à son détriment par un corsaire savoyard (l’idée d’un corsaire d’un pays de montagne est plaisante – mais il s’agissait probablement d’un corsaire niçois ou de Villefranche-sur-mer,  sujet du duc de Savoie).

 

La justice commerciale pouvait être saisie : le grec de Chio Fabiano Soffietti, qui se déclare d’ailleurs catholique (?) se pourvoit devant la juridiction commerciale de Pise en 1683 contre le corsaire corse battant pavillon toscan Francesco Barbieri ; ce dernier explique avoir attaqué le vaisseau de Soffietti, « qui battait bandiera turchescha » (cité par G. Calafat).

Parfois la saisine de la juridiction compétente se fait non par le plaignant directement (impossible quand le plaignant est l’Etat barbaresque lui-même), mais par un tiers impliqué dans le conflit : en 1775 plusieurs galiotes européennes s’emparent de deux « sandales » d’Alger sous les remparts de la Calle [sur la côte algérienne ou fonctionnait un établissement français], vingt deux membres de l’équipage furent vendus à Malte. « Le gouvernement algérien en rendit la France responsable : La Calle était alors comptoir exploité par les Français en vertu d’une location. Certes, le Consul de France à Malte engagea une action en faveur des captifs. Le tribunal de commerce, dans sa délibération, jugea que « (...) le Bastion de France [l’établissement français] n’était point réputé territoire du Roi très Chrétien [le roi de France], ni une portion de son Etat, mais simplement un domaine appartenant aux Algériens… Que rien ne pouvait s’opposer (donc) à la légitimité de la prise de ces deux sandales… »

(Moulay Belhamissi, Course et contre-course en Méditerranée ou comment les algériens tombaient en esclavage (XVIe siècle – 1er tiers du XIXe siècle, Cahiers de la Méditerranée, 2002 https://journals.openedition.org/cdlm/36, )

 

 En effet, si les vaiseaux algériens avaient été saisis sous une côte considérée comme française, la prise aurait été contestable.

En allant vers la fin de la course et de la contre-course, on trouve des situations étonnantes :

En juillet 1797 une galiote corsaire tunisienne s’empare d’un navire de commerce grec, qui se rend de Palerme à Naples. L’un des passagers est le prince de Paterno, duc de San Giovanni. Le prince est conduit à Tunis et logé, non au bagne, mais chez un négociant français.  La rançon est négociée avec le gouvernement napolitain et on se met d’accord (en diminuant de moitié les premières exigences) pour 300 000 piastres (1 120 000 francs de l’époque) dont un premier versement permet la libération du prince en décembre 97 ; le solde doit être versé par fractions échelonnées, mais ne sera jamais payé. Après des tensions diplomatiques, la régence de Tunis saisit le Haut Tribunal de Commerce du royaume de Naples « qui tranche en faveur du bey de Tunis contre le prince », ce dernier fait appel et en 1823 l’affaire traîne toujours... (Daniel Panzac, Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin xviiie - début xixe siècle, Cahiers de la Méditerranée, 2002, https://journals.openedition.org/cdlm/47).

Ici le versement d’une rançon est considéré par un tribunal européen comme une affaire commerciale et la négociation de rachat s’apparente à un contrat dont les termes doivent être respectés – même si la décision judiciaire est non suivie d’effet

 

 

 

ÉVASION, RÉTORSION ET RESPECT DES TRAITÉS 

 

 

Certains auteurs refusent l’idée que les traités ont été scrupuleusement respectés (surtout de la part des puissances chrétiennes). Dans l’infinité de situations qui ont pu se présenter, on trouvera des cas où les traités n’ont pas été respectés (de part et d’autre d’ailleurs) et des cas où le respect scrupuleux des traités a entraîné des situations a priori aberrantes :

« Le respect des procédures et la réciprocité de traitement président au fragile maintien des relations commerciales entre l'Europe et les provinces ottomanes du Maghreb au XVIIe siècle. Les mesures de rétorsion prises en cas de fuite contribuent en effet au respect scrupuleux des rachats et au contrôle attentif de l'identification des personnes » (Guillaume Calafat et Wolfgang Kaiser, Razzias et rançons en Méditerranée, revue L’Histoire, 2016, https://www.lhistoire.fr/razzias-et-ran%C3%A7ons-en-m%C3%A9diterran%C3%A9e).

Ainsi en 1624 un chirurgien portugais captif à Alger, parvient à s'échapper à l'aide d'un couple de Corses qui le cachent dans une malle placée à bord d'un navire à destination de Livourne. Arrivé dans le port toscan, il est identifié et doit reconnaître son évasion irrégulière [sic]. Le capitaine du navire où a été placée la malle - un Corse dénommé Bartolomeo Ambrogini [Ambrogiani ?]  réclame 1 000 piastres au captif portugais et à ses complices, car le capitaine craint des rétorsions d’Alger et donc veut (du moins c’est ce qu’il dit) indemniser la régence pour l’évasion du Portugais, et être couvert pour l’amende* encourue par le capitaine, complice malgré lui.

                                                                                                                        * Ces amendes étaient dénommées « avanies ».

 

Mais il y a pire : « A la fin du XVIIe siècle, un capitaine français quitte Alger avec deux captifs génois évadés à son bord. Arrivé à Marseille, il est condamné pour cela à 1 500 livres d'amende, tandis que les deux passagers en fuite sont renvoyés à Alger pour un rachat en bonne et due forme » (on ne sait pas si le rachat eut lieu). La France appliquait donc les traités et l’esprit des traités de façon parfois rigoureuse, par peur de se mettre en tort avec son homologue barbaresque – le respect des traités allait dans le sens des intérêts commerciaux bien compris.

 Ces récits permettent aux auteurs de conclure que « l'histoire du commerce des captifs tient compte aussi bien de la violence et du conflit que des formes plurielles d'accords qui, à travers la création et la reconnaissance de règles et de procédures partagées, permettent des circulations et des interactions intenses » (d’après l’article de Guillaume Calafat et Wolfgang Kaiser, Razzias et rançons en Méditerranée, revue L’Histoire, 2016*).                                                                                                                                                                             

                                                                                 *  Cet article est introduit par un chapeau « politiquement correct » ainsi rédigé : « Toute une littérature, à commencer par Don Quichotte, décrit la férocité des pirates barbaresques et l'état misérable des captifs chrétiens. Des lieux communs bien loin de la réalité. » Ce chapeau est d’autant plus inepte que l‘article ne traite pas des conditions de captivité mais de l’économie de la traite et de ses aspects juridiques.

 

Mais comme on l’a vu, il y avait des circonstances où les traités n’étaient pas respectés, d’où les plaintes des Etats barbaresques lorsqu’un de leurs corsaires était arraisonné par des navires d’une puissance européenne à proximité des côtes françaises, par exemple, où sa protection aurait dû être assurée.

 

 

 

LES INTERVENTIONS DIPLOMATIQUES

 

 

Si des recours existaient devant des juridictions, plus ou moins efficaces, (et a priori excluant les demandeurs musulmans ?) les interventions diplomatiques permettaient dans certains cas de résoudre des situations où une puissance européenne contestait – dans l’intérêt de ses bonnes relations avec les Etats barbaresques – les prises faites par une autre puissance européenne ou souvent par l’ordre de Malte. En effet les puissances européennes risquaient de subir des mesures de rétorsion pour les activités de l’ordre de Malte qui se considérait en guerre permanente avec les pays musulmans.

L’ordre de Malte doit ainsi faire face «  à la contestation croissante d’un grand nombre de puissances européennes actives en Méditerranée, au premier rang desquelles la République de Saint Marc [Venise], le royaume de France et les États pontificaux »  (Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne, art cité).

« Pour tenter d’obtenir réparation sur des prises jugées abusives ou illégales, les Vénitiens utilisent l’expédient du séquestre sur les possessions de l’ordre » [de Malte].

 

 Louis XIV interdit à ses sujets d’armer sous pavillon maltais à la fin des années 1670 et au début des années 1680, une façon de s’opposer aux excès de la course maltaise (ce qui n’empêchait pas le même Louis XIV d’acheter des esclaves « turcs » à Malte pour ses galères, comme on l’a vu...)

On a également vu plus haut que le consul de France intervient auprès du tribunal maltais pour contester la légalité d’une prise (maltaise ou en tout cas ayant donné lieu à une vente à Malte) de navires algériens, situation qui conjugue l’intervention diplomatique et l’action judiciaire.

La monarchie française qui a de vieux accords avec l’empire ottoman et qui au moins à partir de 1689 est constamment en paix avec Alger (malgré des périodes de tension) est donc appelée à jouer naturellement un rôle de médiateur entre les Etats musulmans et certains Etats chrétiens, quand il s’agit d’intervenir en faveur des uns ou des autres. C’est d’autant plus vrai s'agissant de l’ordre de Malte dont le roi de France est considéré, plus ou moins comme le protecteur, et qui comporte presque 50% de chevaliers français.

 

Parmi probablement beaucoup d’autres, on peut citer cette intervention de Louis XIV auprès du grand maître de l’ordre de Malte Nicolas Cotoner en 1666 :

« Mon cousin,

Ayant été supplié par le divan d’Alger d’employer mes offices auprès de vous pour faire relâcher le second aga Mehmet ben Arnaud* pris par les galères de votre Ordre (...) et étant important pour mon service que ledit divan obtienne l’effet de ma demande, j’ai cru que vous m’accorderiez bien volontiers la liberté de cet homme  (...) je me promets  que vous me donnerez avec plaisir cette marque de votre affection dont je vous saurai un gré très particulier.

Sur ce, je prie Dieu, mon cousin, qu’il vous ait en sa très sainte et digne garde,

Louis. »

(Cité par Claude Petiet, Le roi et le grand maître: l'Ordre de Malte et la France au 17 ème siècle, 2002).

                                                                                                    * Un renégat français ? A moins que le nom Arnaud ne soit une transcription de Arnaute (Arnaoute), « francisation du mot turc Arnavut employé dans l'Empire ottoman (...) pour désigner les Albanais  (...)  au service de l'Empire ottoman » (Wikipédia, art. Arnaoutes). Le célèbre raïs Mami Arnaute ou Arnawût Mâmî était l’un de ces Albanais, généralement chrétiens d'origine mais convertis.

 

Comment refuser ce qui est demandé aussi aimablement mais fermement ?

Il est à noter qu’à notre connaissance aucune juridiction indépendante n’existant dans les Etats barbaresques, seules les interventions diplomatiques de la puissance chrétienne auprès de la puissance barbaresque, pouvaient aboutir à la libération des esclaves, des cargaisons ou des navires saisis par les régences, soit à titre gracieux, soit à titre payant (le plus souvent) soit encore, si des traités avaient été conclus, en invoquant à bon droit les clauses des traités.

Il était aussi possible de demander l'intervention du sultan ottoman auprès des régences, qui étaient des vassales autonomes de l'empire - on verra plus loin qu'au 19ème siècle, la régence d'Alger respectait (du moins par moments) les désirs du sultan d'obliger telle ou telle puissance européenne.

 

 Antoine_De_Favray-Jacques_de_Vachon_Belmont

Antoine de Favray (1706-1798), portrait de Jacques de Vachon Belmont, bailli commandeur de l'ordre de Malte, vers 1760. Le bailli Jacques-Armand de Vachon (de) Belmont dirigeait la commandererie de l'ordre de Malte à Marseille.

Museum of the Order of St. John, London, UK / bridgemanimages.com

Site de reproductions Meisterdrucke https://www.meisterdrucke.fr/fine-art-prints/Antoine-de-Favray/261976/Jacques-de-Vachon-Belmont%2C-c.1760-.html et WahooArt.com.

 Ce beau portrait illustre l'autorité et la majesté dont les membres de l'ordre de Malte aimaient se parer. Favray a fait sa carrière (longue car il est mort à plus de 90 ans) à Malte où il devint  le peintre attitré de l'Ordre, qui le nomma chevalier. Il séjourna aussi à Constantinople. 

 

 

 

LE RÔLE DES CONSULS FRANÇAIS

 

 

« ...  les consuls se chargeaient régulièrement des opérations de rachat d’esclaves musulmans détenus en terres chrétiennes »,  notamment auprès de l’ordre de Malte. Quand le montant dy rachat était trop élevé, « des instructions émanant des autorités françaises amenaient parfois la Chambre de commerce [de Marseille] ou la Marine [le ministère de la Marine, compétent diplomatiquement pour les pays du Maghreb et du Proche-Orient] à financer la différence » « Les consuls devaient trouver la solution la plus simple et la plus efficace, en faisant appel à toutes les bonnes volontés. » (Xavier Labat Saint Vincent, Achats et rachats d’esclaves musulmans par les consuls de France en Méditerranée au xviiie siècleCahiers de la Méditerranée, 2002, https://journals.openedition.org/cdlm/44).

       

Ces interventions consulaires n’étaient pas du « droit-de-l’hommisme » avant la lettre. Permettre le rachat d’esclaves musulmans était une façon de se concilier les régences et de maintenir les possibilités de commerce avec elles.

On peut citer deux affaires parmi d’autres, évoquées par l’article précité, très complet et intéressant :

En 1749, onze esclaves « maures » originaires de Tripoli s’enfuient de galères napolitaines. Secourus par un capitaine marseillais, ils sont amenés à Malte et après concertation entre le consul de France et le chargé d’affaires du roi de France auprès de l’ordre de Malte (« l’homme du roi »*), ils sont pris en charge financièrement par la chambre de commerce de Marseille et finalement rapatriés à Tripoli ; « Avernes et Garcin [l’homme du roi et le consul] espéraient, sans toutefois se faire trop d’illusions, que cet acte vaudrait à la nation française une reconnaissance de la part des Tripolitains » (Xavier Labat Saint Vincent, art. cité).

                                                                                                         * L’homme du roi de France auprès de l’ordre de Malte était nécessairement un chevalier de Malte français.

 

En 1773, un corsaire sicilien enleva près de la Calle deux sandals algériens avec leurs cargaisons, réduisant vingt maures à l’esclavage. Les deux sandals furent dirigés sur Malte, car des négociants maltais avaient des intérêts dans le bâtiment corsaire sicilien*.

                                                                                                          * S’agit-il de la même affaire évoquée plus haut d’après l’art. de Moulay Belhamissi ? Il semble que oui même si certaines circonstances sont relatées différemment et la date des faits est différente de peu.

 

Le dey d'Alger, persuadé que le corsaire était maltais, intervint  fermement auprès de la France pour faire pression sur l’Ordre. « L’affaire était particulièrement compliquée, puisque, du fait du pavillon sicilien du corsaire, le vice-roi de Sicile réclamait six des vingt esclaves, comme droit de pavillon. » Le ministère français décida que la compagnie royale (française) d’Afrique* devait supporter le coût du rachat : cette compagnie française implantée sur la côte algérienne était intéressée à prendre en charge les dépenses car le dey la menaçait de rétorsion s’il n’obtenait pas satisfaction.*

                                                                                                           * « La direction effective de la Compagnie se trouve à Marseille : selon l’édit de 1741, elle se compose de cinq membres (les directeurs), dont deux sont des députés de la Chambre de commerce de la ville, et trois représentent les principaux actionnaires » (Christopher Denis-Delacour et Mathieu Grenet, La Compagnie royale d’Afrique dans les échanges méditerranéens du xviiie siècle, https://books.openedition.org/pup/44225?lang=fr).

 

La chambre de commerce de Marseille, impliquée dans les activités de la compagnie royale, fit intervenir l’homme du roi à Malte, le chevalier de Vento des Pennes (un Provençal) – à ce moment les esclaves avaient été vendus à des particuliers Maltais, sauf ceux réservés au vice-roi de Sicile, et leur prix de rachat avait donc augmenté.

Le chevalier des Pennes parvint à racheter en plusieurs fois tous les esclaves et à les faire rapatrier : « l’affaire avait duré onze mois, entraîné maintes correspondances diplomatiques et consulaires entre Alger, Malte, Marseille, Naples et Versailles, et occasionné d’importantes dépenses à la Compagnie Royale d’Afrique. »

Mais 11 mois pour solutionner une affaire compliquée avec les délais d’acheminement des courriers de l’époque, ferait-on mieux aujourd’hui, à l’ère des communications satellite ?

Comme on l’a dit plus haut, le paradoxe était que jusqu’en 1748 au moins, les consuls français s’occupaient aussi de l’achat d’esclaves pour les galères du roi.

 

 

 

UNE MENACE FANTÔME ?

 

 

 91903

Maxime Noiré (1861-1927), Vue de la ville des hauteurs d’Alger.

Bien que datant de la fin du 19 ème siècle ou du début du 20 ème, ce tableau peut parfaitement illustrer le charme d'Alger à l'époque des derniers deys.

https://www.gazette-drouot.com/article/sur-les-hauteurs-d-alger-la-blanche/30467

 

Vers 1740, un vaisseau sur lequel avait embarqué une troupe de théâtre italienne de la Commedia dell’arte fut capturé par des corsaires barbaresques au large de Monaco. La troupe fut débarquée à Alger. Pour s’occuper et peut-être se faire bien voir de leurs ravisseurs, la troupe proposa de donner une représentation devant le dey et son entourage. La représentation commença bien, mais lorsqu’apparut le personnage d’Arlequin, traditionnellement affublé d’un masque de cuir noir, ce fut la panique dans l’assistance qui croyait voir un démon, et les membres de la troupe eurent peur d’être massacrés. Il est probable que l’acteur jouant Arlequin se débarrassa vite de son masque. Les acteurs durent retrouver assez rapidement la liberté car cette histoire fut racontée quelques années après par un des membres de la troupe dans un récit paru dans le célèbre périodique Le Mercure Français (ex-Mercure Galant).

Quelques décennies plus tard, rien ne semblait avoir changé. Une grande dame anglaise, Lady Craven, naviguant au large d’Antibes, note que l’équipage italien de son bateau est inquiet car on vient d’apprendre (en 1786) que la régence d’Alger a fait la paix avec l’Espagne. On pense que les Barbaresques d’Alger, privés de pouvoir attaquer les bateaux espagnols, vont se jeter sur tout ce qui navigue et notamment sur les vaisseaux italiens (qui n’ont pas d’accords avec Alger). Aussi, note lady Craven (qui en tant qu’Anglaise et grande dame, ne semble pas s’en faire outre mesure), l’équipage, qui a très peur de se retrouver en esclavage, ne tient pas à s’éloigner des côtes*.

                                                                                                      * Cité par Frédéric d’Agay, Le Voyage en Provence, 2020.

 

La menace barbaresque dure encore à la fin du 18 ème siècle – mais est-ce une menace fantôme ?

La plupart des pays occidentaux (on préfère désormais cette expression puisque les Etats-Unis sont devenus des acteurs du commerce méditerranéen à la fin du 18 ème siècle) ont accepté de payer des indemnités ou tributs aux Barbaresques pour éviter les attaques.

Dernier pays venu en Méditerranée, les Etats-Unis, pourtant bien peu suspects d’esprit de croisade, apprirent vite ce qu’était la course barbaresque : 10 navires américains furent capturés par les Barbaresques pour la seule année 1793.  Les Etats-Unis n’eurent  pour l’instant pas d’autre choix que de payer pour être à l’abri des exactions. 

 

« Si les rançons représentaient une entrée considérable d’argent, l’économie liée à la course demeure également un moyen de pression politique, sans laquelle ni les traités de paix ni les transactions commerciales n’auraient pas pu être conclus dans les mêmes conditions*. Pour exemple, nous citerons que pour arriver à la signature de paix entre Alger et les États-Unis en 1795, les conditions de paix furent : [versement] de 10 000 sequins pour le dey, 25 000 pour le beylik, outre 10 000 sequins d’or pour chacun des esclaves américains (il y a en environ 120) […] ; les esclaves américains ne seront libres que lorsque leur rançon sera payée ». (Abla Gheziel, Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle), Cahiers de la Méditerranée, 2013 https://journals.openedition.org/cdlm/7165?lang=en).

                                                                                                                             * Remarque intéressante qui contredit certains auteurs qui estiment que les traités étaient des « traités inégaux » en défaveur des régences.

 

Selon l’art Wikipédia, Guerre de Tripoli, « Les USA décident de payer le tribut, 2 millions de dollars de 1794 à 1800 » (répartis  sur les trois régences ?).

Si le risque est moindre avec le paiement du tribut, la menace subsiste, au moins virtuellement. 

 

 

 

ÉVOLUTION DE LA RÉGENCE

 

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Palais Ahmed Bey à Constantine, Algérie. Le palais fut commandé par Ahmed Bey, dernier bey de Constantine. Les travaux débutèrent en 1825. Ahmed bey résista aux Français jusqu'en 1835.

Le beylik de Constantine ou beylik de l'Est fut en proie à des troubles intérieurs durant la fin du 18 ème siècle et au début du 19 ème, comme les autres beyliks de la régence.

 Wikipédia, art. Palais Ahmed bey.

 

 

La régence, grâce en grande partie aux revenus de la course, avait pu acquérir une certaine prospérité – mal répartie, selon toute probabilité. La baisse du rendement de la course fut compensée par la pression fiscale, notamment sur les tribus de l’intérieur.

Il y avait peu d’industrie. L’agriculture était présente mais néanmoins qualifiée de « médiocre » :  « Les cultures agricoles étaient variées : blé, maïs, coton, riz, tabac, pastèque et légumes. Aux environs des villes on cultivait des raisins et des grenadiers. Les montagnards faisaient pousser des arbres fruitiers, des figues et des oliviers. On exportait surtout du blé » (Wikipédia, art. Régence d’Alger). L’artisanat et le commerce intérieur sont développés dans les villes, le commerce extérieur (avec d'autres pays musulmans ou avec les pays chrétiens) était aux mains des étrangers (chrétiens) ou d'intermédiaires juifs, car (selon un historien algérien) la régence n’avait pas de marine de commerce, « les Européens le lui interdisaient » (on peut certainement nuancer cette affirmation très abrupte). La régence exportait certains biens dont des esclaves, vers Constantnople.

« ... le XVIIIe siècle représente dans l’ensemble une période de prospérité relative pour la Régence, car l’extension du pouvoir turc sur les tribus jusque-là mal soumises et les victoires remportées sur la Tunisie dégagent des ressources nouvelles qui compensent largement les mécomptes de la Course » (P. Boyer, Des Pachas Triennaux à la révolution d Ali Khodja Dey, 1571-1817, Revue historique, 1970 ).                                                                                                               

Mais pour d’autres, cette vision est inexacte en partie : « Le XVIIIème siècle, est le siècle des insurrections sociales où les tribus, tour à tour, se révoltent contre une injustice sociale et raciale. » (Abla Gheziel, La politique des deys d’Alger à la veille de la conquête française (1730/1830). https://www.asjp.cerist.dz/en/downArticle/142/6/1/6455

Le beylik de Constantine est particulièrement agité par des révoltes à partir des années 1780.

La répression est dure : en juin 1784, le consulat de France écrit au ministère des affaires étrangères que lors des affrontements un chaouch turc du bey de Constantine et 10 soldats turcs ont été tués : en représailles,  l’armée du bey a coupé 460 têtes chez les maures et a pris en vie  300 hommes, femmes et enfants, plus du bétail.

Le personnel dirigeant du beylik de Contantine est particulièrement instable :  un bey est assassiné sur l’ordre du dey d’Alger en 1792, puis entre cette date et les années 1820, une dizaine de beys sont assassinés et un meurt au combat contre des révoltés (1804).

Aussi les auteurs sont d’accord pour dire qu’au début du 19 ème siècle, la régence est en crise :

« Dès le début du XIXème siècle, les révoltes prirent un autre tournant : les revendications furent plus explicites ; l’idée d’indépendance commençait à prendre forme : ses chefs souhaitaient ériger un état islamique. C’est au nom de ces fondements que Ben Šarīf et Ben al-ʼAḥraš, tous deux issus de la confrérie des Darqāwa, soulèvent les populations. Le premier réussit à rallier à sa cause toutes les tribus de l’ouest. Quant au second, il rassembla sous son égide les Kabyles de Jijel et réussit à les convaincre de rejoindre ses rangs afin d’établir un Etat fondé sur les préceptes islamiques » (Abla Gheziel, art. cité)

« ... le XIXe siècle débouche sur une situation financière critique :  la Tunisie cesse ses paiements [au 18 ème siècle, un dey de Tunis avait accepté de se reconnaître vassal d'Alger et Tunis versait depuis un tribut à Alger], la révolte des Derkaoua paralyse la rentrée des impôts et surtout la Course n’est plus qu’un souvenir. Mal payé, l’Odjaq [corporation es janissaires] se révolte maintenant en bloc et par deux fois impose un Dey de son choix » (P. Boyer, art. cité).

« Au début du 19ème  siècle, la situation de la régence s'était aggravée avec les luttes déclenchées à l'intérieur du pays, contre les Kabyles et contre un faux Mahdi qui avait fait son apparition à l'ouest et à l'est du pays. »  (Abdeljelil Temimi, Documents turcs inédits sur le bombardement d'Alger en 1816, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1968, https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1968_num_5_1_985).

L'énergique Omar Aga, qui exerce la fonction d'Aga des Arabes* (ou Aga-Al-Mehalla), met fin à la révolte des Derkaoua (déjà en perte de vitesse) et à la révolte du bey d'Oran - ce qui lui vaut (après un premier refus) de devenir dey sous le nom de Omar Pacha en 1815.

                                                                                             * Initialement ce titre était donné au chef de la cavalerie auxiliaire arabe, puis l'Aga des Arabes devint le chef de l'armée et chargé d'administrer la région d'Alger (Dar El Sultan), ayant prééminence sur les beys des provinces.

 

Les institutions de la régence ont aussi évolué. Le divan qui se subdivisait en grand et petit divan, émanation de l'odjak des janissaires (plus les raïs), auquel s'ajoutaient quelques notables, s'est effacé (sauf une existence résiduelle) et la plupart du temps, quand les observateurs occidentaux parlent du divan, c'est du groupe des conseillers et ministres du dey qu'il s'agit. Ceux-ci, dénommés par les Occidentaux " les Puissances", désignent parmi eux le successeur du dey défunt. Mais ce système qui fonctionne bien au 18 ème siècle, se bloque ensuite,  car les difficultés financières rendent irritables les janissaires, dont le salaire est versé par le Trésor public de la régence,  qui interviennent de nouveau violemment dans la vie publique, tandis que les rivalités des "Puissances" entre elles donnent lieu à des complots de palais.  

 La régence renoue, après un siècle de relative stabilité, avec la tradition de violence politique dans le groupe dirigeant :  de 1805 à 1817, 4 deys sont assassinés (ou pour l’un, destitué et exécuté après 16 jours de règne). Généralement, c’est l’instigateur de l’assassinat qui devient dey à son tour mais il sait qu’il est constamment sous la menace, soit d'un complot de palais, soit des janissaires - pour ces derniers du moins, jusqu'en 1817, où le dey Ali Khodja, s'appuyant sur les Kabyles et les Kouloughlis (descendants de Turcs et de femmes maures), fait massacrer une partie des janissaires et fait en sorte que la plupart des survivants quitte la régence.  

 

 

LA REPRISE DE LA COURSE

 

 

A la fin du 18 ème siècle, la course barbaresque existe encore sporadiquement dans la réalité – et plus encore dans les esprits.

Mais la politique agressive d’Alger (et des autres régences mais pas forcément dans la même proportion ?), déjà manifeste avec l’intimidation des vaisseaux américains, monta d’un cran : « Les années 1798-1799 connaissent un essor spectaculaire de la course, ici algérienne. Malgré le nombre de prises effectuées, les corsaires n’attaquent que les navires des pays avec lesquels ils se considèrent en guerre ».

Pour cela, aucun besoin d’une guerre déclarée : « ... le motif généralement invoqué est le non-respect des clauses, réel, mais parfois supposé, d’un traité passé antérieurement » avec l’Etat  dont les bateaux sont attaqués (Daniel Panzac, Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin xviiie - début xixe siècle), art. cité). Parmi les motifs de saisir un bateau d'une nation avec qui ta régence concernée est en paix, on trouve le fait que ce bateau transporte des marchandises ou des passagers appartenant à une nation en guerre avec la régence (guerre ouverte ou guerre potentielle du fait que cette nation n'a pas signé de traité). Enfin, les régences ne s'épargnent pas entre elles.

On peut se demander pourquoi les régences et surtout Alger, réactivent la course ? Le phénomène est certainement lié à une baisse de revenus de la régence, imputable aux difficultés intérieures (soulèvements, refus des tribus de payer les impôts) bien que pour d’autres, c’est la lecture inverse qui prévaut : c’est par ce que la course ne rapporte plus que le dey pressure les populations, provoquant des révoltes – un effet de cercle vicieux s’enclenche alors.

 

Comme cette période est aussi celle des guerres révolutionnaires, les Barbaresques profitent de la désorganisation des relations internationales et du fait que les flottes européennes sont en campagne les unes contre les autres.

Les corsaires algériens utilisent parfois des arguties pour justifier leurs prises. Ainsi ils capturent des navires vénitiens, devenus autrichiens depuis 1797 (paix de Campo-Formio), en les considérant comme toujours vénitiens, « ce qui leur permet de les arrêter car le tribut vénitien ne leur ait plus payé pour cause de disparition de la république [de Venise] » (Daniel Panzac, art. cité).

 

L’auteur parle d’un « abus de confiance ». Ces prises de navires autrichiens se font au moins sous « des formes policées », alors qu’il n’en va de pas de même pour la plupart des autres bâtiments dont ils s’emparent. 

Il est intéressant de savoir que le Sultan turc intervient, sur protestation de l’ambassadeur d’Autriche à Istanbul, pour exiger la libération des navires et des équipages austro-vénitiens et paie même une indemnité (cela semble concerner des prises par la régence de Tripoli).

De même les navires des îles ioniennes (ex-vénitiennes) sont attaqués par les corsaires algériens malgré le passage sous contrôle français de ces îles en 1797.

« On a noté que les Régences ne sont jamais en paix en même temps avec tous leurs adversaires potentiels afin de conserver les corsaires en haleine et maintenir une certaine pression sur les autres pays. Si les choses s’arrangent rapidement avec les Autrichiens, les Français, les Espagnols et les Américains, le royaume de Naples, demeure, jusqu’en 1805, pratiquement le seul adversaire d’Alger. » (D. Panzac) Puis ce royaume devient un pays client de l’empire français, bénéficiant des accords entre la France et la régence. Celle-ci tourne alors ses attaques vers les vaisseaux d’autres pays, y compris la régence de Tunis et les Grecs, sujets ottomans.

On peut aussi signaler les effets du passage momentané de la Corse sous juridiction britannique (en 1794-96). Les corsaires d’Alger saisissent plusieurs bateaux de pêche corses (notamment de corailleurs). Ces bateaux battent pavillon national corse à tête de Maure. Les autorités britanniques interviennent pour signaler que la Corse est désormais une possession britannique (juridiquement, un Etat uni à la Grande-Bretagne dont la Grande-Bretagne est responsable diplomatiquement). Le dey déclare que ce changement ne lui a pas été officiellement notifié. Le consul britannique précise de plus à ses supérieurs que les Barbaresques considèrent comme insultant le pavillon à tête de Maure. Finalement le secrétaire d’Etat du royaume anglo-corse Frederick North, vient à Alger pour signer un avenant au traité entre la Grande-Bretagne et Alger et se faire remettre les « esclaves «  corses (les équipages des bateaux saisis), qui sont rapatriés en  Corse par la marine britannique - moyennant une indemnité considérable versée au dey. Le même problème se pose avec la régence de Tunis, compliqué par le fait que les deux régences se jalousent (Alger ne veut pas que Tunis bénéficie des mêmes avantages qu'elle, Tunis veut être traitée à égalité avec Alger).*                                                        

                                                                                                                                     *  La conjoncture politique pouvait inciter les puissances européennees (ici la France) à encourager la course barbaresque, au risque de se retrouver pris au piège en cas de changement : « En août 1797, alors que la Corse est redevenue française, le Consul de France réclame au Bey [de Tunis] un bateau corse et tout son équipage pris sous bannière française à l'époque où les Anglais étaient en train de conquérir l'île. Le Bey refuse de les rendre. Il se fonde sur ce que lui avait déclaré le Consul français de l'époque : "Les Corses sont des rebelles, on ne doit pas les considérer comme des Français, les corsaires tunisiens peuvent les prendre quand ils les rencontreront." » (María Ghazali, La régence de Tunis et l’esclavage en Méditerranée à la fin du xviiie siècle d’après les sources consulaires espagnoles, Cahiers de la Méditerranée, 2002, https://journals.openedition.org/cdlm/43?lang=en).

 

 

LES GUERRES AVEC LES AMÉRICAINS

 

 BainbridgeTribute

 Le commandant William Bainbridge de l'US Navy  apporte le tribut américain au dey d'Alger, en 1800.

Dessin de Henry Alexander Ogden (1856-1936). L'opinion américaine et le président Jefferson furent choqués lorsqu'on apprit que le dey avait de plus, contraint le commandant Bainbridge à transporter à Constantinople le tribut versé par le dey au sultan, sur son vaisseau USS George Washington, ce navire devant faire flotter le pavillon de la régence d'Alger. Le président Jefferson décida que la marine américaine s'opposerait désormais aux Barbaresques par la force.

Wikipédia, art. Wiliam Bainbridge.

 

 

Les États-Unis, qui avaient mis sur pied une flotte de guerre, refusèrent de payer le tribut au bey de Tripoli en 1801. Les trois régences déclarèrent la guerre aux USA. L’effort principal des Américains se porta contre Tripoli. La flotte américaine bloque et bombarde la ville et  de nombreux combats ont lieu en mer. Une force américaine est débarquée près de Tripoli et un projet de renverser le dey en accord avec des rebelles tripolitains est mis sur pied. Finalement, les Américains préfèrent conclure un traité de paix. L’officier Stephen Decatur (considéré comme le fondateur du corps des Marines) s’illustra lors de cette « première guerre barbaresque ».

Durant ce conflit, le dey d’Alger Mustapha s’entremit pour la libération de prisonniers américains.

Vers 1812, les navires américains furent de nouveau attaqués par les puissances barbaresques. Cette fois c’était Alger qui était le principal instigateur des attaques. Deux fortes escadres commandées par Decatur et Bainbridge sont dirigées vers Alger au début de 1815.  L’escadre de Decatur rencontre le vaisseau-amiral algérien commandé par le raïs Hamidou et s’en empare. Hamidou est tué dans l'affrontement*.  

                                                                                                                 * Il est intéressant de noter que Hamidou n’était pas un Turc mais un maghrébin.

 

Lors d’une autre bataille peu après, Decatur s’empare d’un autre navire algérien. En juin 1815, l’escadre américaine atteint Alger et contraint le dey à négocier la paix.

Selon les termes du traité signé dans la baie d’Alger, Decatur rétrocède à la régence les deux navires de guerre capturés. Les Algériens libèrent leurs prisonniers américains, une dizaine, et un nombre important de captifs européens en échange d'environ 500 sujets du dey. La régence paie 10 000 dollars pour les navires saisis. Le traité exclut tout tribut à venir de la part des États-Unis. Ainsi finit la « deuxième guerre barbaresque » américaine.

 

 Decatur_and_the_Dey_of_Algiers_(1881)

Le dey d'Alger vient négocier le traité avec les Etats-Unis sur l'USS Guerriere, navire de Stephen Decatur, en juin 1815. Gravure de W. Mollier, vers 1850. 

Source Mid-Manhattan Picture Collection.

 Wikipédia, art. Seconde guerre barbaresque (à noter que la légende Wikipédia est : " Gravure représentant Decatur, en négociations, avec le dey d'Alger, Mustapha Khaznadji" - mais en juin 1815, le dey Mustapha Khaznadji était déjà mort depuis avril, assassiné après avoir régné 16 jours. Son successeur fut Omar Agha (Omar Pacha). C'est donc lui qui négocia avec Decatur).

 

 

 

 

LES DERNIERS ESCLAVES

 

 

A Alger, le nombre d’esclaves est en augmentation dans les premières années du 19 ème siècle et marque un pic en 1813 : 1645 (selon Daniel Panzac, art. cité)*

                                                                                                           * Cette augmentation – conséquence de l’augmentation des prises par les corsaires - parait contradictoire avec l’idée que dans les premières années du 19 ème siècle (en gros jusqu’au rétablissement de la paix européenne), les régences (il est vrai celle d’Alger moins que Tunis apparemment) développent leurs activités commerciales. A moins d’estimer qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux aspects.

 

« Ce qui est sûr c’est que Lord Exmouth, au printemps de 1816, obtient la libération de pratiquement tous les esclaves détenus dans les Régences soit 1606 à Alger, 900 à Tunis et 580 à Tripoli » (D. Panzac, art. cité). On reparlera bientôt de l’opération de l’amiral britannique Exmouth.

Selon D. Panzac, « La majorité de ces esclaves sont des terriens emportés par familles entières », hommes, femmes et enfants, razziés sur les côtes, plus que des marins capturés en mer. « Il faut attendre l’expédition de Lord Exmouth en 1816 pour parvenir à rapatrier les quelque 1500 Napolitains et Siciliens captifs au Maghreb sur un total d’environ 3 000 personnes. »

Le rapport financier était-il au rendez-vous ? C’était vrai surtout pour les captifs présentant un certain statut social :

« Quant aux esclaves, dont le nombre était encore important (de 1000 à 3000, selon les années et les Régences), leur vente n’était que d’un rapport moyen (700 F-or en moyenne par individu), leur rançon pouvait rapporter (un prince sicilien fut racheté plus d’un million de francs en 1797*, un prêtre valait 7500 F-or, un Américain 1500 F-or et un Napolitain 640 F-or), mais restait toujours aléatoire en fonction de nombreux critères » (Alain Blondy, compte-rendu du livre de D. Panzac, Les corsaires barbaresques. La fin d’une épopée, 1800-1820. 1999, Bulletin critique des Annales islamologiques, 2001)

                                                                                                                     * Voir plus haut pour l’affaire du prince sicilien.

 

 

LE TRI DES CAPTIFS

 

Un texte décrit la façon dont les captifs pris sur des vaisseaux et amenés à Alger étaient ou non retenus comme esclaves. En effet ils pouvaient être réclamés par le consul d’un pays ayant selon toute vraisemblance des accords avec la régence :

« Le capitaine conduit tous les esclaves au palais du dey, où les consuls des puissances étrangères sont aussitôt appelés, et qui, en présence du dey, demandent à ces infortunés s’il s’en trouve parmi eux de leurs nations respectives. S’il s’en présente, les consuls s’informent d’eux-mêmes s’ils étaient passagers ou s’ils faisaient partie de l’équipage du bâtiment pris. Dans le premier cas, ils sont remis à leurs consuls ; mais s’ils ont été pris les armes à la main, ils sont de droit esclaves. Le dey fait alors ranger tous ceux qui sont dans ce cas, et en prend huit à son choix, lequel tombe ordinairement sur le capitaine, les officiers-mariniers, les ouvriers, et surtout les charpentiers, qu’il envoie conjointement au bagne du gouvernement; les autres sont conduits au basistan [batistan] ou marché aux esclaves, où il s’en fait une première vente. » (Voyage dans la régence d’Alger par le Dr Shaw, traduction de J. Mac Carthy, 1830,                         https://www.cnplet.dz/images/bibliotheque/Autres/voyage-dans-la-regence-d-Alger.pdf)*.

                                                                                                                         * Le livre de Shaw date des années 1730 mais son traducteur de 1830 y a incorporé des références plus récentes. Il est donc difficile de savoir si la description du tri des captifs date des années 1730 ou si elle a été actualisée, sauf à se reporter à l’original.

 

On notera que, même ressortissants d’un pays dont le consul pourrait les réclamer, les captifs « qui ont été pris les armes à la main », donc se sont défendus contre les corsaires lors de l’abordage, sont d’office condamnés à l’esclavage.

Un Italien, Filippo Pananti*, capturé avec d’autres passagers d’un vaisseau, fait une relation de la façon dont la situation des captifs était examinée en 1813  par  « les membres de l’amirauté » d’Alger : « Le consul [britannique] réclama alors officiellement la dame anglaise et ses deux enfants ; ce qui lui ayant été accordé, le chevalier Rossi, son mari, s’avança, et demanda aussi sa libération, attendu qu’il avait épousé une anglaise, et qu’il était père de deux sujets britanniques. Sa demande ayant été aussi accueillie », le consul britannique « guidé par la bonté de son cœur et par les sentiments de compassion », essaie de faire passer pour ses ressortissants d’autres captifs dont Pananti, mais  inutilement. La décision des membres de l’amirauté est applaudie par la foule qui s’est amassée à l’extérieur de la salle : « Cette résolution fut immédiatement suivie des mots schiavi ! schiavi ! (esclaves ! esclaves !) qui furent répétés aux acclamations par la multitude. »

« M. Pananti et ses compagnons furent menés au bagne des esclaves chrétiens. Dès qu’ils parurent dans la cour, ils furent aussitôt environnés d’une multitude d’esclaves couverts de haillons, et dont les traits portaient l’empreinte des plus douloureuses souffrances. Les maux auxquels ils étaient en butte semblaient avoir flétri leur âme, et, en détruisant les plus doux sentimens de la nature, les avoir rendus insensibles à l’infortune des autres. »**

Pananti fut libéré assez vite grâce à l’intervention du consul anglais.

                                                                                                  * Auteur d’une Relation d'un séjour à Alger: contenant des observations sur l'état actuel de cette régence etc  (édition anglaise, italienne en 1817, française en 1820).

                                                                                                 ** Ajout (par le traducteur, probablement) au Voyage dans la régence d’Alger par le Dr Shaw, traduction de J. Mac Carthy, 1830. On peut aussi se reporter au livre de Pananti, disponible sur internet.

 

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Chrétiens en esclavage à Alger, vers 1815. Illustration du livre de G. A. Jackson, Algiers - Being a complete picture of the Barbary States. London 1817. Gravure de G. M. Brighty. 

Noter les deux femmes dont l'une avec un bébé au bras.

Wikipédia, art. Slavery in Algeria.

 

 

DES ESCLAVES GUÈRE MIEUX TRAITÉS QUE 200 ANS AVANT

 

Comment étaient traités ces esclaves (ou captifs des dernières années de la course barbaresque ?

Le Hollandais Gerrit Metzon décrivant l’arsenal d’Alger vers 1815 indique que la main d’oeuvre est surtout composée d’esclaves affectés à des tâches en rapport avec leurs compétences réelles ou supposées :

« Les artisans tels que : forgerons, maçons, charpentiers, fabricants de voiles, et tous ceux ayant un travail fixe, se rendaient à leur atelier ; les autres étaient divisés en petits groupes et obligés, sous le contrôle d’un argousin, de faire les travaux les plus durs, comme de décharger les bateaux ou chercher et traîner de lourdes pierres [pour renforcer la digue du port], ce qui se passait rarement sans une pluie de coups de bâtons (...) tandis que les capitaines des plus grands bateaux étaient, en général, libérés sur parole, grâce aux consuls. » (cité par D. Panzac,  Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin xviiie - début xixe siècle, art. cité).

Le capitaine Crocker, envoyé anglais à Alger en 1815, visita la prison des chrétiens : « L’odeur en était si infecte, qu’une des personnes qui m’accompagnaient fut sur le point de se trouver mal. »

 

 

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Illustration pour le livre du capitaine Walter Croker, The cruelties of the Algerine pirates, shewing the present dreadful state of the English slaves, and other Europeans, at Algiers and Tunis, 1816 (les cruautés des pirates algériens, montrant l'affreux état présent des Anglais et Européens esclaves à Alger et Tunis). La légende de l'illustration dit : le capitaine Croker frappé d'horreur à Alger en voyant la misère des esclaves chrétiens enchainés et reconduits par les infidèles à coups de fouet après leur travail.

Wikipédia, art. Barbary slave trade et autres.

 

 

Pour Pananti, la situation des esclaves chrétiens, traités parfois comme des bêtes de somme, est réellement  misérable : « La captivité est environnée de cruautés qui n’ont point de bornes et semblent n’avoir point de fin (...) Ce n’est pas assez pour les captifs d’avoir à gémir d’un travail excessif et de coups multipliés, on y ajoute la dérision, l’abus, le mépris et ces espèces de souffrances sont encore, s’il est possible, plus cruellement senties que les autres. Chien d’infidèle chrétien est l’expression ordinaire qu’on emploie en s’adressant à un esclave, encore est-elle toujours accompagnée du geste le plus insultant et souvent de violences envers sa personne. »

 

Le consul américain William Shaler fut témoin des traitements infligés aux nouveaux captifs : « juste avant l’arrivée de l’escadre américaine en juin 1815, un  corsaire algérien utilisant le drapeau britannique avait raflé 250 habitants des côtes italiennes. Quand le corsaire apprit que l’escadre américaine était dans les parages, il débarqua ses captifs à Bône et leur ordonna de gagner à pied Alger ;  51 moururent en route. Les survivants furent montrés devant le dey, en présence du consul américain Shaler qui les vit dans un état d’épuisement complet (l’un tomba et mourut devant lui) ce qui fait que Shaler exhala sa mauvaise humeur contre les Britanniques qui monopolisaient le congrès de Vienne avec les souffrances des Noirs, qui étaient selon lui « de tendres traitements » [sic] comparés à celles des captifs européens en Afrique du nord (Through Foreign Eyes : Western Attitudes Toward North Africa, publié par Alf Andrew Heggoy, 1982).

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 Un bazar d'esclaves à Alger, gravure de Jazet d'après Lecomte (vers 1820).

Cette gravure est accompagnée de l'explication suivante : "Un corsaire algérien s'etait emparé d'un navire, dont il avait conduit les passagers au bazar pour les vendre. A peine y était-il, qu'un envoyé du dey arrive pour acheter des esclaves. Le capitaine du corsaire lui presente une jeune captive, tandis que deux Africains menacent de poignarder le malheureux père qui cherche à briser ses liens pour secourir sa fille éplorée..."

On voit à droite d'autres captifs se désoler. Cette reconstitution romantique, centrée sur la jeune et jolie captive européenne, est bien éloignée du prosaïsme misérable des deux gravures anglaises présentées plus haut.

Vente eBay (Italie) 

 

 

 

LES MÉCHANTS TURCS ET LES AUTRES ?

 

Shaler jugeait vers 1828 que la régence d’Alger  n’avait plus qu’une puissance insignifiante (?) et imputait les actes répréhensibles à ses dirigeants : « Les habitants d’Alger, gens humains, courtois, non barbares, mériteraient un système de gouvernement moins répugnant » (cité par Charles-Robert Ageron, Regards européens sur l’Afrique barbaresque (1492-1830). Shaler opposait ainsi implicitement la majorité maure (au moins urbaine) à la minorité dirigeante turque.

 

Pananti n’impute pas les mauvais traitements subis par les esclaves chrétiens aux seuls Turcs. Il signale aussi la triste situation des juifs considérés comme des sous-hommes exposés « sans cesse aux moqueries de jeunes Maures » ; les victimes doivent bien se garder d’en montrer du ressentiment : « Fréquemment battus par leurs persécuteurs, s’ils osaient lever la main dans une juste défense, cette main d’après la loi du talion des Maures serait coupée. »

 

 

 

RELATIONS AVEC LE SULTAN

 

 

Bien que très largement indépendante, la Régence d’Alger proclamait volontiers son allégeance à l’empire ottoman (La Porte ottomane, la Sublime Porte ou la Porte tout court, dans le langage diplomatique de l’époque, désignant plus précisément le gouvernement du Sultan). Le Sultan observait aussi ses vassaux et à l’occasion intervenait pour les rappeler à l’ordre (ou demander leur soutien) – ses rappels à l’ordre étaient plus ou moins bien suivis d’effet.

En tout état de cause, il semble avéré que le dey envoie toujours un tribut à Istanbul, en signe d'une vassalité affirmée (mais assez souple). On peut penser que paradoxalement, le respect envers le Sultan a été fonction de l'autonomie d'Alger : plus celle-ci était non contestée par Istanbul, et plus le respect du Sultan était assuré.

En juillet 1815, un correspondant Mohamed Husrew (qui semble avoir résidé à Alger à certains moments mais a exerçé aussi des fonctions élevées à Istanbul ) écrit au sultan Mahmoud à propos du dey d'Alger, Hadj Ali : " depuis que cet homme est gouverneur d'Algérie , des injustices ont été commises à l'égard des chrétiens avec lesquels l'amitié s'est transformée en querelle et en agression". » (Abdeljelil Temimi, Documents turcs inédits sur le bombardement d'Alger en 1816, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1968, https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1968_num_5_1_985).

 

Le nouveau dey, Omar [Omer] pacha, s’explique sur une capture de vaisseaux étrangers dans une lettre au Sultan  en mai 1815, et déclare qu’il obéira à ses ordres de ne plus attaquer des vaisseaux chrétiens (du moins certains d’entre eux) :

« Pour en revenir à la capture, par nos corsaires, des bateaux chargés de provisions, nous signalons à votre Majesté que lorsque nos corsaires ont rencontré des bateaux, ils leur ont demandé des informations sur les provisions, mais aucun, français, russe ou bateaux d'autres pays chrétiens, n'a voulu obéir [sic] ; par conséquent il y a eu une bataille avec un grand nombre de morts et de dégâts. Nous avons cessé d'attaquer les bateaux [en fait les bateaux russes et autrichiens], conformément à votre demande, en obéissant avec satisfaction à vos ordres. Depuis l'époque lointains de la conquête, et grâce au Sultan, nos corsaires sont célèbres par leurs combats et leurs butins, mais ils sont aussi obéissants aux ordres impériaux. A l'ordre de votre Majesté de libérer un certain nombre de citoyens [?], nous avons répondu par l'obéissance en libérant une frégate ; quant à l'argent réclamé, nous n'avons pas la possibilité de le rendre ; tout a été pris et dispersé. »

 

Le dey proteste de son inviolable fidélité aux ordres du Sultan – sous quelques réserves : « Nous informons Sa Majesté le Sultan, que nous acceptons tout ordre dicté par Elle avec obéissance et en accord avec notre religion et ses principes, nous essayons d'éviter tout malentendu dans nos relations. (...) . Nous sommes satisfaits d'être sous vos ordres et nous n'avons d'autre voie à suivre que d'obéir aux firmans impériaux ; c'est un devoir qui nous incombe et nous sacrifierions notre vie s'il le fallait pour défendre cette cause (...) L'obéissance à notre Sultan ne peut être contestée dans la mesure où nos janissaires ne sont pas attaqués dans leur honneur. Beaucoup de plaintes ont été portées à la connaissance de sa Majesté contre nos janissaires ; ce sont de fausses accusations, des calomnies. »

 

Lettre de Mohamed Husrew adressée au Sultan en novembre 1815 :

« Les corsaires algériens se sont emparés d'un bateau américain et l'ont ramené jusqu'à Alger où ils ont tué l'équipage. Ensuite, quatre frégates américaines se sont emparées de deux bateaux algériens (...). Puis les Américains sont arrivés à Alger ; ils ont réclamé leurs compatriotes ; lorsqu'ils apprirent qu'ils n'existaient plus, ils sont repartis » [si l’auteur de la lettre décrit, comme on le suppose, les événements qui ont conduit à la signature du traité imposé par l’expédition navale américaine de Decatur, on peut considérer que sa version est assez désinvolte].

 

Le dey demande aussi des troupes au Sultan pour combattre un « faux Mahdi » (juin 1816) :  : « Aussi nous vous demandons de nous envoyer des soldats et des munitions de guerre, car cela est un devoir qui vous incombe, du fait que depuis cinq ou dix ans, est apparu à l'ouest et à l'est du pays un faux Mahdi, il s'est révolté ; sa bande ne reconnaît pas Dieu ; ses gens de montagne ont la tête nue [?] et ils n'ont plus la foi.  (...) Nous prions votre Majesté d'envoyer à vos janissaires des munitions de guerre puisque ce que nous avons actuellement est insuffisant. » 

 

 

 

LE CONGRÈS DE VIENNE DÉCLARE LA GUERRE À L’ESCLAVAGE BARBARESQUE

 

 

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Carte anglaise des régences barbaresques fin 18ème-début du 19 ème siècle, par Laurie & Whittle Samuel Dunn.

(Detailed map of North Africa and the Mediterranean Sea - Robert Sayer at 53 Fleet Street, London, c. 1794-1810. : 

 Source https://www.raremaps.com/gallery/detail/64052/a-map-of-barbary-containing-the-kingdoms-of-marocco-fez-a-laurie-whittle-dunn

 Wikipédia, art. Régence d'Alger. 

 

 

 

 

En 1815, la régence d’Alger était dirigée par Hadj Ali Ben Khelil, ou Hadj Ali Dey. Celui-ci, au pouvoir depuis 1809 (après avoir fait assassiner son prédécesseur) avait une réputation bien établie de cruauté et de despotisme. Il avait poursuivi une guerre ruineuse contre ses voisins de la régence de Tunis. Il avait dû affronter une révolte du bey d'Oran qui avança jusqu’à Miliana où il fut défait à la suite de la trahison de ses cheikhs, ainsi qu’une révolte des Kabyles. Hadj Ali fit étrangler le bey du Titteri  - ce bey – le même ou  un autre ? - avait subi une défaite de la part des tribus sahraouies.

Finalement Hadj Ali est égorgé et son khaznadji (Premier ministre) Mohamed devient son éphémère successeur avant d’être lui-même arrêté et exécuté. C’est le successeur de celui-ci, Omar Agha [Omer selon certaines transcriptions] ou Omar Pacha, né à Lesbos, qui doit affronter les Américains et est obligé de signer le traité par lequel il est mis fin au tribut que versaient les Etats-Unis.

L’Europe, dégagée des guerres napoléoniennes, va alors pouvoir s’occuper de la question des Etats barbaresques. Une résolution du congrès de Vienne décide qu’il doit être mis fin à la « piraterie » barbaresque. Celle-ci est ressentie comme une anomalie et un anachronisme dans un environnement où triomphe la notion de liberté du commerce et de dignité de la vie humaine. Des associations appuient cette politique comme celle créée par l’amiral anglais Sidney Smith, relayée en France par l’écrivain Chateaubriand, futur ministre des affaires étrangères.*

                                                                                                         * On lie explicitement l’abolition de la traite des blancs à l’abolition de la traite des noirs qui est devenue une priorité pour le gouvernement britannique (en laissant intacte la question de l’esclavage des noirs pour l’instant !).

 .

En tant que puissance navale prépondérante, la Grande-Bretagne fut chargée d’exiger la libération des esclaves européens et la fin des actions de piraterie.

Une flotte commandée par lord Exmouth se présenta d’abord devant Alger dans les premiers mois de 1816. Lord Exmouth obtint la remise en liberté des esclaves de plusieurs pays contre rançon – ou sans rançon s’agissant de ressortissants britanniques anciens ou nouveaux comme les Maltais, les Gibraltariens et les habitants des îles Ioniennes, ainsi que la conclusion de traités protecteurs (mais comportant un tribut) pour divers pays dont Naples et le Piémont-Sardaigne. Puis Lord Exmouth se transporta à Tunis et Tripoli où les beys  acceptèrent sans résistance de libérer les esclaves et de mettre fin à l’esclavage pour l’avenir.*

                                                                                                            * Le nombre d’esclaves libérés à Tunis et Tripoli est  estimé à 30 000 personnes »* (Wikipédia, art. Bombardement d’Alger (1816)). Est-ce une coquille pour 3000 ? Selon D. Panzac, « Ce qui est sûr c’est que Lord Exmouth, au printemps de 1816, obtient la libération de pratiquement tous les esclaves détenus dans les Régences soit 1606 à Alger, 900 à Tunis et 580 à Tripoli » (D. Panzac, art. cité) - on arrive bien à un total d’environ 3000 y compris les captifs d’Alger - mais au printemps 1816, seuls ont été libérés par Alger les captifs contre rançon ou ressortissants britanniques. Les autres ne seront libérés qu'après le bombardement du 27 aoüt.

 

 

 

LE BOMBARDEMENT D’ALGER EN 1816

 

 

Dès lors, Lord Exmouth estima qu’il était possible d’obtenir un même engagement du dey d’Alger que de ses homologues de Tunis et Tripoli, et revint devant Alger.

Mais le dey Omar refusa d’accéder aux demandes européennes au prétexte qu'il avait besoin de la piraterie pour payer ses troupes. Les négociations se tendirent et des ressortissants et protégés anglais présents dans les diverses villes de la régence furent arrêtés et maltraités. Lord Exmouth fut semble-t-il insulté par la population d’Alger.

Le dey louvoya en proposant de soumettre la proposition d’abolition de l’esclavage des Européens à l’arbitrage du sultan ottoman, qui fut destinataire d'une question posée par le dey. Lord Exmouth s’en retourna croyant avoir agi au mieux. Mais sur ces entrefaites, Omar « fit assassiner les 200 pêcheurs italiens et siciliens qu'il gardait prisonniers dans ses geôles » (Wikipédia, art. Bombardement d’Alger (1816)). 

Sur le point du massacre des pêcheurs chrétiens (et de leur nationalité), il existe des versions un peu discordantes (mais d’accord sur l’essentiel) : « Quoiqu’il en soit, en raison d’ordres confus, les troupes d’Alger massacrèrent 200 pêcheurs corses, siciliens et sardes qui étaient sous protection britannique depuis la signature du traité. Cet acte suscita l’indignation en Europe et en Grande-Bretagne et la négociation de Lord Exmouth apparut comme un échec ».  (Wikipédia en anglais, art. Bombardment of Algiers (1816)).

«  En effet, entre-temps, près de deux cents pêcheurs de corail, sous protection anglaise, qui travaillaient sur les côtes orientales de la Régence, furent massacrés par manque de discipline de la part de soldats qui avaient reçu ordre de les capturer. En outre, des officiers Anglais avaient été malmenés à Oran et à Annaba, d'autres a Alger avaient été jetés avec des matelots dans les prisons » (Yacine Daddi Addoun, L'Abolition de l'esclavage en Algérie 1816-1871, thèse de l’université York à Toronto, 2010 https://central.bac-lac.gc.ca/.item?id=NR64885&op=pdf&app=Library&oclc_number=780359056

« Le 20 mai 1816, les Algériens ayant massacré des travailleurs anglais, français, espagnols, qu’ils surprirent dans une église de Bona [? - Bône], cet attentat fit pousser un cri d’indignation dans toute l’Europe » (ajout du traducteur à l’édition de 1830 du livre de Shaw),

 

A peine revenu en Angleterre, où on avait appris les mauvais traitements des marins anglais et le massacre des pêcheurs, Lord Exmouth  reçut l’ordre de repartir avec une force plus  importante de 14 vaisseaux (plus quelques navires légers) à laquelle se joignit à Gibraltar une flotte de 6 navires hollandais du vice-amiral van Cappelen (qui auparavant avait déjà tiré quelques coups de canon contre Alger).

Au début d’août 1816, le consul britannique Mac Donnell fur prévenu de l’imminence de l’opération afin de pouvoir se mettre à l’abri. Mais les dirigeants d’Alger étaient déjà en alerte et le consul ne réussit qu’à faire partir sa femme et sa fille déguisées (en midships), lui-même fut jeté au cachot, enchaîné sans subsistance sauf ce que partagèrent avec lui d’autres captifs. Les matelots de la corvette britannique HMS Promoetheus,  chargés de le faire embarquer, furent aussi jetés en prison.

Le 27 août la flotte anglo-hollandaise fut devant Alger et un officier portait une lettre au dey disant que compte-tenu des mauvais traitements infligés aux Britanniques et du massacre des corailleurs à Bône en dépit de la protection anglaise, la négociation antérieure était caduque et le dey était sommé de mettre fin immédiatement à l’esclavage des Européens et de payer des réparations.

« Le Dey renvoya avec mépris la lettre de Lord Exmouth et fit dire qu’il n’avait aucune réponse à donner. »  (selon le consul de France Deval)*.

                                                                                                    * Son récit est repris dans l’article Bombardement de Lord Exmouth en 1816, Feuillets d'El-Djezaïr, 1937, https://athar.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1937_hos_1_1_1242

 

 

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Bombardement d'Alger par l'escadre anglo-hollandaise, 27 août 1816, tableau de George Chambers Senior (1803-1840)

National Maritime Museum, Greenwich (UK). Wikipédia art Bombardment of Algiers, 1816.

 

 

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Bombardement d'Alger le 27 août 1816. Vue du gaillard d'arrière du Queen Charlotte, navire-amiral de la flotte de Lord Exmouth.

Site Britain's Small Forgotten Wars

http://www.britainssmallwars.co.uk/the-attack-on-algiers-1816.html

 

 

 

Les forts d’Alger ouvrirent le feu en premier, puis les vaisseaux européens répliquèrent. Comme une grande foule d’habitants s’était massée sur « la marine » pour voir le spectacle, l’amiral Exmouth leur fit des signaux pour qu’ils s’en aillent mais il ne fut pas compris et les premières bombes causèrent la panique. Des marins britanniques expérimentés attachèrent une « chemise soufrée » à une frégate algérienne mouillée à l’embouchure du port : « Le feu, excité par un vent frais, se communiqua bientôt à toute l’escadre [algérienne] ; 5 frégates, 4 corvettes et 30 chaloupes canonnières furent totalement embrasées dans l’espace de quatre heures » (récit de Deval). Les tirs des forteresses d’Alger furent meurtriers car si les batteries supérieures avaient mises hors combat, les batteries inférieures abritées dans des casemates continuaient leur tir.

Le bombardement cessa vers minuit et le lendemain Lord Exmouth fit parvenir une nouvelle lettre au dey qui disait à peu près : la Grande-Bretagne ne fait pas la guerre en détruisant des cités et ne veut pas venger vos cruautés sur les habitants innocents – je vous offre la paix au mêmes conditions qu’hier - sinon la guerre continuera.

Après avoir pris conseil, Omar accepta les conditions britanniques.

Plus de 500 000 boulets et 960 obus avaient été tirés sur les forts et les bateaux algériens. Mais la menace de continuer le bombardement était en grande partie du bluff car les vaisseaux anglo-hollandais étaient presque à court de munitions. Ils avaient subi de fortes pertes humaines et matérielles.*

                                                                                              * Des historiens estiment les pertes anglo-hollandaises à 141 morts et 742 blessé (par exemple les pertes du HMS Leander – 17 morts et 118 blessés - étaient pratiquement le tiers de l’équipage).

 

Chez les Algériens, le nombre de morts était environ 500. Le consul Deval note : « La ville ne put être incendiée (...)  les maisons construites toutes en pierres et en briques ne donnant prise au feu, mais les bombes firent de grands dégâts. »

Selon Deval, les conditions de l’arrêt de hostilités était l’abolition absolue de l’esclavage des chrétiens à Alger, puis la délivrance des esclaves de toutes les nations européennes sans rançon. Celle qui avait été perçue deux mois auparavant (370 mille piastres fortes pour 370 esclaves napolitains) fut restituée. Le nombre des esclaves libérés fut évalué à 1.000 environ.*

                                                                                                               * Selon Wikipédia (Bombardment of Algiers (1816)), le dey libéra [immédiatement ?] 1083 esclaves chrétiens ainsi que le consul et les marins du Promoetheus. Plus de 3000 esclaves  furent libérés plus tard ( ?).

 

Un traité fut signé le 28 août 1816* suivi d'une déclaration du dey d'Alger relative à l'abolition de l'esclavage des chrétiens. Le dey s'engagea, en vertu du désir du Prince Régent [d’Angleterre, futur George IV], par l’amitié qui relie Alger à la Grande-Bretagne, ainsi que par le respect aux nations européennes, à ce que les prisonniers de guerre ne soient plus traités en tant qu'esclaves. Ils seraient traités avec humanité, jusqu'à ce qu'ils puissent être échangés à la fin des hostilités. Dans ce cas, aucune rançon ne pourrait être exigée. La pratique de la condamnation de prisonniers de guerre à la servitude et à l'esclavage fut formellement abandonnée et cela pour toujours (Yacine Daddi Addoun, L'Abolition de l'esclavage en Algérie 1816-1871, thèse citée).

                                                                                  * On trouve parfois des dates en septembre. S’agit-il d’un traité provisoire en août et définitif en septembre ?

 

Le dey fit réparer les destructions- notamment sur les fortifications -  en remplaçant la main d’oeuvre des esclaves chrétiens par le travail forcé des juifs (Wikipédia, Bombardment of Algiers (1816)). Au demeurant, selon Deval, rien ne s’était effondré, il fallait réparer et non reconstruire. La perte de la plus grande partie de son escadre était plus difficile à réparer.

Toutefois « La piraterie algérienne en Méditerranée ne cessa que pendant deux mois et dès le 27 novembre, six bateaux partirent de nouveau pour croiser en mer. Après la destruction de leur flotte, les Turcs d'Alger achetèrent ou construisirent un grand nombre de bateaux : La Sublime Porte, le Maroc, Tripoli, leur en donnèrent d'autres »* (Abdeljelil Temimi, Documents turcs inédits sur le bombardement d'Alger en 1816 , art. cité).

 

Du point de vue de la fin de la course, l’expédition de Lord Exmouth était un échec* même si on peut mettre à son actif la libération de nombreux captifs et la renonciation de la régence à l’esclavage – mais celle-ci était-elle sincère ?

                                                                                                                  * On a dit que la Grande-Bretagne, dont les navires étaient protégés, n’avait pas vraiment la volonté de mettre fin à la course.

 

 

LES INFIDÈLES ET LES MARTYRS

 

Si on regarde la façon dont le dey Omar pacha rend compte au Sultan du bombardement de Lord Exmouth, on peut être frappé par la tonalité religieuse des expressions qu’il utilise :

« L'Algérie, Dar-el-jihad, est aux confins de l'Empire du Protecteur des lieux saints : le prestige et la gloire des janissaires de ce pays, des Oulemas, des vertueux, des chorfas, des beys, des notables, des dirigeants du pays, des riches, des pauvres et des combattants, nos serviteurs courageux ont été détruits. L'année 1231 jumada , les peuples infidèles ont conclu entre eux une paix, l'Angleterre  (...) a chargé le commandant général Lord Exmouth de diriger sa maudite flotte contre vos janissaires.

(...) Les maudites flottes anglaise et hollandaise sont arrivées à Alger le 3 chaoual. Les Anglais ont employé la ruse en battant pavillon blanc [!]* et ont envoyé une lettre, nous accordant un délai d'une heure seulement pour répondre.

(...) Nombreux sont vos serviteurs, héros courageux, qui sont tombés martyrs de cette guerre tout en défendant leur religion et leur Sultan ; leurs âmes sont montées vers Dieu et habitent le paradis ; que Dieu leur accorde sa miséricorde. Le nombre des infidèles morts et quatre fois plus élevé que celui des musulmans (...)

Puisque tant de nos forts outre notre matériel de guerre ont été détruits au cours de cette guerre ruineuse et que le nombre de soldats est devenu insuffisant, nous sommes obligés d'accepter leurs conditions et de renouveler [?] le traité de paix (...) »

(lettre d’Omar pacha au sultan, sept 1816, citée par Abdeljelil Temimi, Documents turcs inédits sur le bombardement d'Alger en 1816 , art. cité).

                                                                         * Les Algériens considéraient comme déloyal le fait que les navires de Lord Exmouth aient pu pénétrer dans la baie d'Alger sous le couvert du pavillon blanc, ce qui leur avait permis d'ouvrir le feu à partir de positions favorables après l'expiration de l'ultimatum de Lord Exmouth.

 

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 Libération des prisonniers chrétiens à Alger par la marine britannique. Illustration pour The British Empire in the Nineteenth Century par Edgar Sanderson (1898).

Cette gravure (bien postérieure aux faits)  parait se référer aux événements de 1816 - mais des troupes anglaises ont-elles vraiment débarqué pour s'assurer de la libération des captifs ?

Lithographie d'après William Henry  Margetson - Site de reproduction Meisterdrucke.

https://www.meisterdrucke.uk/fine-art-prints/William-Henry-%28after%29-Margetson/938021/The-Liberation-of-Christian-Slaves-at-Algiers-by-a-British-Naval-Force-%28litho%29.html

 

 

 

 

NOUVELLES PROTESTATIONS DE L’EUROPE

 

 

En septembre 1817, Omar pacha est étranglé par les janissaires.  La conspiration est menée par Ali Khodja qui est choisi comme dey. Omar a-t-il payé ses défaites et son abaissement devant les Européens ? Il est probable que d’autres questions d’intérêt ont joué dans son assassinat, nouvelle preuve de l’instabilité de la régence.*

 Abdeljelil Temimi écrit : « Omer [ou Omar] qui était parvenu à apaiser le tumulte et la révolte de la milice grâce à son sang-froid et à l'argent qu'il avait fait distribuer, finit par être assassiné. (...) Ali Khodja [son successeur] envoya une lettre au Sultan pour lui faire approuver son coup d'état contre Omer qu'il accusait d'avoir mené "une politique arbitraire et selon ses désirs ; d'avoir dilapidé le trésor des musulmans pour construire des monuments, faire des placements inutiles et des affaires ruineuses », d’avoir mal dirigé le Jihad et d’avoir causé la catastrophe [probablement le bombardement de 1816] par sa mauvaise administration et sa négligence.

 

En septembre 1818 le congrès d’Aix-la-Chapelle renouvela la détermination d’éradiquer la piraterie barbaresque.

Entretemps, Ali Khodja était mort de la peste (février 1818) et la milice proclama dey Hussein, son Khaznadji ou premier ministre – ce devait être le dernier dey d’Alger.

En 1819, une flotte anglo-française sous le commandement des amiraux Freemantle et Jurien de la Gravière paraissait devant Alger pour communiquer une notification des puissances européennes, sommant le dey d’abolir les pratiques de la course :

«  NOTIFICATION DES GRANDES PUISSANCES EUROPÉENNES

A HUSSEIN, DEY D’ALGER,

 En rade d’Alger, le 5 septembre 1819.

 Prince,

 Les Puissances de l’Europe qui se sont réunies l’année dernière à Aix-la-Chapelle ont déféré à la France et à la Grande-Bretagne le soin de faire, au nom de toutes, des représentations sérieuses aux Régences barbaresques* sur la nécessité de mettre un terme aux déprédations et aux violences exercées par les bâtiments armés de ces Régences.

 Nous venons (...) vous notifier les dispositions des Puissances de l’Europe.

 Ces Puissances sont irrévocablement déterminées à faire cesser un système de piraterie qui n’est pas seulement contraire aux intérêts généraux de tous les États, mais qui encore est destructif de toute espérance de prospérité pour ceux qui le mettent en pratique (...) nous nous empressons, Prince, de vous assurer que, si les Régences renoncent à un système aussi désastreux, les Puissances sont non seulement disposées à maintenir avec elles des relations de bonne intelligence et d’amitié, mais encore à encourager toute espèce de rapports commerciaux (...). Les Puissances alliées se bornent à vouloir que les Régences barbaresques respectent des droits et des usages consacrés par toutes les nations civilisées (...)

Nous sommes avec respect,

 Prince,

 De Votre Altesse,

 Les très humbles et très obéissants serviteurs.

Vice-amiral FREEMANTLE, contre-amiral JURIEN (suivent les titres et commandements des signataires).

 A bord du vaisseau Le Colosse, le 5 septembre 1819. ».

                                                                                                                   * La notification parle des régences, car même après l’interdiction de l’esclavage par Tunis et Tripoli, ces régences n’avaient pas renoncé à la course ni aux traités qui, comme pour Alger, leur permettaient, selon leur interprétation, de saisir des vaisseaux d’un pays qui n’aurait pas respecté le traité ou n'aurait pas signé de traité. 

 

Le dey reçut en audience les amiraux et se borna à répondre qu’en l’absence de revenus commerciaux, il ne pouvait abandonner ce qu’il présentait comme un simple droit de visite - en fait, était ainsi qualifié le système qui faisait que tout pays (sauf les pays assez puissants pour être dispensés de tribut) qui refusait de traiter avec lui (donc de payer) était considéré comme ennemi  et subissait des attaques, ou qui permettait de s’emparer d’un vaisseau au motif d’une irrégularité, réelle ou supposée.

La flotte anglo-française se rendit aussi à Tunis et Tripoli: à Tripoli le dey accepta de mettre fin à la course, à Tunis le bey fut plus hésitant et louvoya.

 

 

L’ESCLAVAGE DANS LA RÉGENCE APRÈS 1816

 

 

Abla Gheziel conclut ainsi son article Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) : « Nul doute que le bombardement de 1816 mit fin aux exactions sur mer, ce qui ne veut pas dire que la course cessât ou qu’il n’y eût plus de captifs, mais un autre terme est alors employé : prisonniers de guerre. »

En effet le traité imposé après bombardement de Lord Exmouth n’avait pas aboli la course dans la régence d’Alger (ni les autres régences), mais le course, effectuée contre les puissances en guerre contre Alger ou contre des vaisseaux qui ne satisfaisaient pas aux injonctions des corsaires d’Alger – ne se  traduisait plus par la capture d’esclaves.

Toutefois en 1824, la guerre reprit avec l’Espagne et des vaisseaux espagnols furent capturés. L’équipage de ces vaisseaux fut mis en esclavage, le dey Hussein successeur d’ Ali Khodja (mort de la peste en 1818 après avoir remplacé en 1817 Omar, assassiné) proclama qu’il rétablissait l’esclavage des Européens et que le traité de Lord Exmouth, non renouvelé, était  caduc  Le consul britannique Mac Donnell, demanda audience sur le champ pour protester – par chance arriva en même temp un vaisseau britannique apportant le traité à renouveler. Hussein accepta de renouveler le traité et de considérer ses nouveaux captifs come prisonniers de guerre, mais refusa que Mac Donnell reste consul. Celui-ci se réfugia sur le navire britannique qui venait d’arriver.* (Through Foreign Eyes: Western Attitudes Toward North Africa, publié par Alf Andrew Heggoy, University of Georgia, 1982).

                                                                                                                         * Mac Donnell était particulièrement mal vu des dirigeants de la régence. Peu avant, Hussein, qui devait affronter une révolte en Kabylie, avait décidé que tous les Kabyles d’Alger seraient exécutés. Or les consuls employaient souvent des Kabyles comme serviteurs. Un seul consul européen, le français Deval, livra pratiquement ses serviteurs aux agents du dey (ce point est controversé). Les autres les firent partir ou essayèrent de les cacher. Mac Donnell crut qu’on ne viendrait pas les chercher dans le consulat et fit poser des scellés que bien sûr les agents du dey brisèrent (selon  Through Foreign Eyes: Western Attitudes Toward North Africa, qui se réfère au journal du consul américain Sheler)  - on verra que cette affaire est rapportée différemment par les premiers historiens français de l’Algérie, soucieux de présenter sous un jour favorable le consul Deval. De plus Mac Donnell exigeait que le drapeau britannique soit hissé sur le consulat à l’intérieur des murs d’Alger, ce que refusait le dey. Enfin on se souvenait de son rôle au moment du bombardement de 1816, tout cela expliquait son contentieux avec le dey.

 

Peu après une escadre britannique commandée par sir Harry Neale arriva avec Mac Donnell à son bord pour demander des excuses (février 1824). Le dey refusa que Mac Donnell reprenne ses fonctions mais accepta semble-t-il de verser une indemnisation. Sir Harry Neale revint peu après sans résultat positif, puis une troisième fois avec seize navires et il y eut échange de canonnades, puis le 24 juin 1824, la flotte britannique portée à 20 vaisseaux commença le bombardement : « Mais le feu dirigé de trop loin n’eut aucun effet sur la ville et la flotte partit définitivement le 29 après que son chef eut dépensé six jours en vaines négociations. Les Algériens se flattèrent d’avoir remporté une victoire signalée et se crurent dorénavant invulnérables » (H. D . de Grammont,  Histoire d’Alger sous la domination turque, 1515-1830, 1887).

 

 

LA GUERRE DE GRÈCE ET LA RÉGENCE

 

 

Mais si la mise en esclavage des captifs européens pris sur les navires, de même que les razzias sur les côtes, semble avoir disparu des pratiques de la régence, ce n’était peut-être pas le cas en ce qui concerne d’autres populations chrétiennes.

Nous ne savons pas si  les corsaires d’Alger continuaient  d’attaquer les navires grecs, bien que ressortissants de l’empire ottoman – ceux-ci n’étaient évidemment pas couverts par les stipulations de Lord Exmouth au nom des puissances européennes;  mais il est probable que le respect dû au Sultan tenait les corsaires dans une relative obéissance, sauf cas particulier.

Mais en 1821 commença la guerre d’indépendance de la Grèce. La régence d’Alger y participa semble-t-il, dans la mesure de ses forces en tant que vassale de l’empire ottoman, avec les autres provinces plus ou moins indépendantes ou autonomes, mais toujours fidèles au Sultan.

La régence ne pouvait intervenir qu’avec ses vaisseaux et participer à la guerre de course*. Elle n’avait pas les moyens d’intervenir avec des effectifs terrestres qui étaient insuffisants pour ses propres besoins militaires vis-à-vis des révoltes des populations sur son territoire – à la différence des troupes égyptiennes de Mehemet-Ali, commandées par son fils Ibrahim, qui participèrent activement aux combats terrestres et se livrèrent à de nombreuses exactions.

                                                                                                              * «  8 vaisseaux furent envoyés en Grèce relançant l’intérêt pour la piraterie chez les commandants algériens » (Through Foreign Eyes: Western Attitudes Toward North Africa, publié par Alf Andrew Heggoy, University of Georgia, 1982).

 

La guerre longtemps incertaine, finit par entraîner l’intervention des puissances européennes qui battirent la flotte turque à Navarin (20 octobre 1827), victoire qui détermina la Turquie à reconnaître l’indépendance de la Grèce (1829).

Abla Gheziel  écrit  « En 1827 (...) les flottes des Européens et ottomane (Turque, Egyptienne, Tunisienne et Algérienne) s’affrontèrent à Navarin où l’empire subit une écrasante défaite » (La politique des deys d’Alger à la veille de la conquête française (1730/1830), art. cité).  

Toutefois selon d’autres, la flotte algérienne n’était pas présente à Navarin – il est à noter que certains insistent sur la destruction (supposée) de la flotte algérienne à Navarin pour expliquer que la conquête française de 1830 a pu avoir lieu sans opposition maritime.*

                                                                                     * «  La présence de navires de la régence d'Alger  [à Navarin] , n'est généralement pas mentionnée hormis par quelques sources (...) Elle est contredite par diverses sources (...) Enfin, à l'automne 1827, la flotte de la régence d'Alger tentait sans succès de briser le blocus de ses ports par la flotte française. Toutes les sorties se soldaient par des échecs » (Wikipédia, art. Bataille de Navarin). On sait par ailleurs qu’en avril 1827, au moment du fameux incident du coup de chasse-mouche donné au consul de France, le dey « venait de recevoir les plus tristes nouvelles de ses navires dont les équipages bloqués à la Canée [Crète] mouraient littéralement de faim » (H. D. de Grammont, ouv. cité). Il est donc peu probable que les vaisseaux qui participaient déjà aux opérations dans les eaux grecques aient pu se trouver à Navarin, les autres vaisseaux de la flotte algérienne étant bloqués à Alger.

 

Il y a toutes les probabilités que les navires de la régence d’Alger participant à la guerre de Grèce ont pu prendre des captifs sur les vaisseaux grecs (de commerce ou armés) en lutte contre les Turcs, qu'ils capturaient. Que devenaient ces captifs ?

On sait de plus que des massacres de population civile eurent lieu de part et d’autre dans cette guerre sans merci et parmi la population grecque, ceux qui n’avaient pas été massacrés furent vendus comme esclaves (notamment après les célèbres massacres de Chios (ou Chio) *, mais il y a eu d’autres occurrences.

                                                                                           * « ...  la Sublime Porte envoya près de 45 000 hommes avec ordre de reconquérir puis raser l'île et d'y tuer tous les hommes de plus de douze ans, toutes les femmes de plus de quarante ans et tous les enfants de moins de deux ans, les autres pouvant être réduits en esclavage. Le bilan est estimé à 25 000 morts tandis que 45 000 Grecs auraient été vendus comme esclaves » (Wikipédia, art. Massacre de Chios).

 

Jules Verne, dans son roman L’Archipel en feu (paru en 1884), dont le cadre est celui de la guerre d’indépendance grecque, dit qu’un grand nombre de prisonniers grecs, hommes, femmes et enfants, capturés par les Turcs durant toute la période de la guerre, furent vendus sur divers marchés aux esclaves,  dont Alger qui « était encore à la discrétion d’une milice composée de musulmans et de renégats*, rebut des trois continents qui bordent la Méditerranée ».

                                                                                                  * La mention des renégats semble très anachronique dans les années 1820 ! Le livre de Jules Verne provoqua des réactions en Grèce car il mentionne que certains Grecs appuyaient les Turcs et participaient à la mise en esclavage de leurs compatriotes (dans le roman, le corsaire Sacratif et le banquier Elizundo sont responsables du transport et de la vente des Grecs capturés).

 

Le récit de J. Verne parait confirmé par certaines indications :   « À la fin du mois de mai 1822, deux mois après le débarquement, près de 45 000 hommes, femmes et enfants, sans distinctions sociales, avaient été déportés vers les marchés aux esclaves de Smyrne, Constantinople, mais aussi d'Égypte et de « Barbarie » (Afrique du nord ottomane). Les diplomates occidentaux, dont l'ambassadeur britannique Strangford, avaient protesté, en vain. » (Wikipédia art. Massacre de Chios).

 Et bien entendu, on peut penser que l’esclavage alimenté par la traite africaine continuait d’amener des esclaves noirs à Alger et vraisemblablement dans les autres régences.

 

 

LA SITUATION VERS 1829

 

 

La fin de l’esclavage des Européens et Américains n’était ni la fin de la course, ni à plus forte raison la fin des traités par lesquels Alger rançonnait « légalement » les divers pays.

Dans la préface de la traduction du livre de Pananti (1820) citée plus haut, le traducteur écrit :

« Le bombardement d’Alger a accru la haine des Barbaresques pour le nom chrétien. Les Anglais contents d’avoir vengé l’honneur de leur pavillon n’ont fait aucune stipulation qui garantît la liberté des mers, aussi sont-elles aujourd’hui comme auparavant couvertes de corsaires. Ces faits (...) ne sont pas assez connus de l’Europe ... ».

Le traducteur donne un aperçu du « racket » des Algériens :

« Voici l’aperçu de ce qu’un traité a coûté à l’une des puissances qui s’est laissé le moins imposer par la régence d’Alger :

Présent en munitions de guerre pour la conclusion de la paix, évalué à 150 000 Piastres fortes :

Pour le rachat de cent huit esclaves 230 000* ;

Présent au dey 250 000 ;

Présent aux grands de la régence 85 000 ;

Présent annuel en munitions de guerre évalué à 21 800 ;

Présent en bijoux qui doit être fait tous les deux ans évalué également à 21 800 ;

Total 758 600.

Plus une frégate armée en guerre donnée pour calmer le dey qui s’était plaint du retard de l’arrivée à Alger de l’argent et des munitions de guerre ».

                                                                                                              * On peut supposer que c’était avant l’interdiction de l’esclavage et la libération sans rançon des captifs imposées par Lord Exmouth en 1816. Mais l’intervention de Lord Exmouth n’avait pas eu d’incidence sur les autres stipulations des traités conclus par les divers pays.

 

De son côté, le traducteur du livre de Shaw, en 1830, ajoute ces précisions qui, on peut le supposer, décrivent le dernier état de la question avant l’intervention française :

« Cependant toutes [les nations occidentales] consentent aujourd’hui à être honteusement tributaires des forbans d’Alger, sous différentes dénominations. Par exemple, le royaume des Deux-Siciles [Naples] leur paie un tribut annuel de 24 000 doubles piastres (240 000 francs), outre des présents de la valeur de 20 000 doubles piastres (200 000 francs). La Toscane, en vertu d’un traité conclu en 1823, n’est sujette à aucun tribut ; mais son consul est obligé de faire en arrivant un présent de 25 000 doubles piastres (250 000 francs). La Sardaigne [le royaume de Piémont-Sardaigne], par suite de la médiation de l’Angleterre, est aussi exempte de tribut ; mais elle paie une somme considérable à chaque changement de consul. Le Portugal a conclu avec Alger un traité sur les mêmes bases que les Deux-Siciles. L’Espagne ne paie pas de tribut, mais fait des présents à chaque mutation consulaire.

L’Angleterre est tenue à un présent de 600 livres sterling (150 000 francs) à la même occasion, malgré le traité conclu par lord Exmouth ! Les Pays-Bas, qui coopérèrent à l’expédition de cet amiral, sont compris dans le traité en question, et ne paient pas de tribut dans ce moment ; mais le dey ne cherche que l’occasion de rompre ses stipulations avec eux. Par la protection de l’Angleterre, les villes de Hanovre et de Brême ont obtenu les mêmes conditions ; mais, à leur arrivée à Alger, leurs consuls sont obligés de payer de très fortes sommes. L’Autriche, par la médiation de la Porte-Ottomane, est exempte de tribut et de présents consulaires*. Quoique par ses traités avec Alger, la France ne lui doive aucun tribut, elle a cependant, jusqu’à ces derniers temps, consenti à lui envoyer des présents. L’État de l’Eglise [Rome et les provinces relevant de l’autorité temporelle du pape] doit à la protection de la France de ne pas payer de tribut. La Suède et le Danemark paient un tribut annuel, consistant en munitions navales, de la valeur de 4000 doubles piastres (40 000 francs), outre un présent de 10 000 doubles piastres (100 000 francs) au renouvellement de leurs traités, c’est-à-dire tous les dix ans, et ceux que font leurs consuls en entrant en fonctions. Les États-Unis d’Amérique, par suite d’un traité conclu peu après celui de lord Exmouth pour l’Angleterre, ont obtenu les mêmes conditions que cette dernière puissance** ».

(Ajout à l’édition de 1830 du livre de Shaw, Voyage dans la Régence d'Alger).

                                                                                                                * Cf. lettre du dey au sultan en 1815 ; « Vous nous demandez de cesser nos attaques contre les bateaux de commerce russes et autrichiens, avec qui vous entreteniez (...) de bonnes relations. Nous avons pris connaissance des ordres et du firman [du Sultan] (...) Nous informons Sa Majesté le Sultan, que nous acceptons tout ordre dicté par Elle avec obéissance. »

                                                                                                              ** Les USA auraient ainsi obtenu après l’opération de Lord Exmouth un traité plus favorable que celui de 1815 négocié par Decatur, ou bien s'agit-il d'une erreur de l'auteur ?

 

 

Les puissances occidentales semblaient bien dans l’incapacité d’amener Alger à se plier aux règles du commerce libre, même si la situation n'avait plus rien de comparable à la grande époque de la course, deux siècles plus tôt.

Paradoxalement, c’est avec la France que la régence d’Alger allait bientôt se trouver en tête-à-tête. Ce qui était paradoxal, c’était que la France, depuis plus d’un siècle, faisait figure quasiment de meilleure amie de la régence d’Alger. Mais cette amitié avait eu tendance à se refroidir dans les derniers temps.

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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