ALGÉRIE ET FRANCE AVANT 1830, LES DERNIÈRES ANNÉES PARTIE 4 : LE COUP D'ÉVENTAIL (OU DE CHASSE-MOUCHES)
ALGÉRIE ET FRANCE AVANT 1830, LES DERNIÈRES ANNÉES
PARTIE 4 : LE COUP D'ÉVENTAIL (OU DE CHASSE-MOUCHES)
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LA RÉPONSE (NON ENVOYÉE) DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Le ministre des affaires étrangères prépara une réponse après réception de la lettre du dey d’octobre 1826, mais cette réponse ne fut pas envoyée (pour augmenter la confusion, le texte de cette réponse annonce qu’elle fait suite à la lettre du dey du 26 août !), mais le contenu montre clairement que le ministre répondait bien à la dernière lettre reçue (celle d’octobre), contenant les accusations contre Deval et Pléville*.
* Le ministre ne se réfère pas formellement à la lettre d'octobre, soit par erreur, soit pour marquer sa désapprobation car cette lettre ne lui est pas parvenue par le consul, canal protocolaire habituel.
LE BARON DE DAMAS, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, A HUSSEIN, DEY D’ALGER.
Paris, le 28 février 1827.
Très illustre et magnifique Seigneur, J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 26 août. Je l’ai lue avec attention et je vais y répondre.
Vous demandez que le Gouvernement du Roi, mon Maître, oblige le sieur Nicolas Pléville à rendre compte des créances qu’il a reçues du Trésor de France en qualité de mandataire de Jacob Bacri, et qui vous appartiennent comme cessionnaire de ce dernier*. Un tel soin ne peut ni ne doit regarder le Gouvernement du Roi. La seule obligation qu’il avait à remplir était de remettre au sieur Pléville, dans la proportion et aux époques indiquées par la transaction du 28 octobre 1819, à laquelle vous avez donné votre assentiment, les sommes que la France avait reconnu devoir à Jacob Bacri. Cette clause a été fidèlement accomplie, et les créances de Bacri ont été délivrées à son fondé de pouvoirs. **»
* La fameuse cession des dettes de Bacri au dey.
** Le projet de réponse ministériel énonce clairement le principe de la liquidation des dettes Bacri-Busnach : le dey n’était pas partie-prenante de la liquidation.
Selon le ministre, « le Trésor royal a dû retenir le montant des oppositions légalement formées par les créanciers Bacri, jusqu’à ce que le sieur Pléville ait obtenu à l’amiable ou devant les tribunaux la mainlevée de ces oppositions ». Le gouvernement n’avait pas la possibilité d’intervenir « pour en faire opérer la mainlevée sans violer les droits des opposants, la transaction de 1819 même* et les principes de législation consacrés en France, car il s’agit ici de litiges privés (...) dont les tribunaux seuls ont à connaître ». Le ministre indiquait que Deval avait déjà dû fournir au dey ces explications, conformément aux instructions données par le ministre. « Quant aux fonds que, selon vous, le Consul du Roi aurait touchés, ce reproche ne saurait être exact » puisque seul Pléville était habilité à recevoir les paiements. Le ministre attribue les accusations contre Deval à des tiers malveillants qui ont trompé le dey.
* Considérée en droit, ainsi que l’écrivent certains historiens, comme « la loi des parties » (qu’on ne pourrait modifier par avenant que d’un commun accord entre les parties - les signataires).
Le ministre assure que Deval est un agent dont le roi « apprécie la prudence et le dévouement ». La menace du dey de renvoyer de force Deval en France est un procédé « si peu amical » qu’il montre que les dispositions de la régence envers la France ont changé*.
* Preuve, au passage, que le ministre ne répondait pas, malgré ce qui était indiqué au début de sa lettre, au courrier du dey du 26 août 1826, qui disait à propos du consul Deval : « il [Deval] sait que nous cherchons toujours à le satisfaire et que nous le traitons avec tous les égards possibles », mais à une lettre ultérieure. En effet, c’est dans la lettre du dey d’octobre 1826, qu’on trouvait les accusations contre Deval et les menaces d’embarquer de force le consul.
Le ministre rappelait les vexations contre les navires français et la capture de navires romains, malgré les promesses du dey et demandait la punition des auteurs des faits et l’indemnisation des victimes.
Il souhaitait que le dey donne des instructions pour que tout contrôle d’un navire français se fasse désormais à distance : « Les bâtiments des deux nations devront se contenter de parlementer et de se reconnaître avec le porte-voix ». Le dey devait aussi promettre, sans contrepartie financière, de respecter et traiter en ami « le pavillon romain ». C’est ce qu’on était en droit d’attendre « du Chef d’un État si anciennement ami de la France ».*
* Le ministre rappelait que le dey avait bien accordé « gratuitement à d’autres États, par considération pour l’Angleterre », ce que la France demandait pour Rome.
Enfin, il demandait au dey de rétablir de bonnes relations avec le consul, de façon à prouver « que la Régence d’Alger met du prix à l’amitié de la France. Sa Majesté, je le répète, désire vivre en paix avec vous, (...) mais elle attend de vous les mêmes procédés ». Le ministre espérait que la raison prévaudrait et que le dey ne mettrait pas la France (le roi) dans l’obligation de faire usage de sa force. Il terminait gracieusement : « C’est aussi dans cette persuasion que je m’empresse de vous offrir les assurances de mes sentiments et de la considération distinguée avec laquelle je suis, Très illustre et magnifique Seigneur, Votre très parfait et sincère ami.
DE DAMAS »
(recueil de correspondances d'E. Plantet).
LE RAPPORT DU MINISTRE AU ROI
S’agissant de la dette Bacri-Busnach, la principale défense de la position de l’Etat français était donc le respect de ce qu’on n’appelait pas encore l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs ; le gouvernement avait fait ce qu’il devait faire ; pour le reste, il ne pouvait s’immiscer dans des procédures judiciaires de droit privé.
On peut se demander pourquoi le ministre ne disait pas clairement au dey qu’il n’avait aucun paiement à attendre ? Pourquoi se retrancher derrière les procédures judiciaires en cours ?
La réponse à cela, outre la difficulté qu’il y a à dire clairement au dey qu’il n’a rien à attendre, c’est que le dey s’est fait céder les dettes de Bacri – ou en tout cas, c’est ce qu’il dit. Le dey réclame donc ce qui, à cette date, n’a pas encore été versé, soit le montant de 2, 5 millions déposé à la caisse des dépôts (avant qu’il se soit complètement évaporé au fur et à mesure des procédures judiciaires) et pour faire bonne mesure, 2 millions de soi-disant pot-de-vin versés à Deval et Pléville. Evidemment le gouvernement français ne peut lui répondre qu’il a des doutes sur la validité de la cession au dey de ses créances par Jacob Bacri – ce serait intervenir dans une affaire interne de la régence ; le gouvernement ne peut que ses retrancher derrière la régularité juridique.
Après avoir fait lecture au conseil des ministres (probablement en mars 1827) du projet de réponse, le ministre des affaires étrangères reçut l’ordre de ne pas l’envoyer.
Au vu de la suite des événements, c’est sans doute dommage car la réponse énonçait clairement que la liquidation de la dette n’avait pas prévu de versement direct au dey. Ce point bien établi, sans évidemment satisfaire le dey, lui aurait démontré que contrairement à ce qu’il pensait, il n’y avait pas eu détournement des sommes lui revenant, puisque le gouvernement français n’avait aucune somme à lui payer. La lettre confirmait par écrit ce que Deval, sur instructions de son ministre, avait déjà dû expliquer (ou essayer d’expliquer) au dey.*
* Ainsi que le remarque Grammont, il y avait peu de chances que le dey accepte ces explications si éloignées des usages de la régence : « M. Deval n’y réussit pas et tout autre eût échoué à sa place. »
Le ministre adressa peu après un rapport au roi du 11 avril 1827 (cité par Amar Hamdani, La vérité sur l'expédition d'Alger, 1984)*.
* Ce rapport n’est pas mentionné par P.-A. Julien. Des auteurs plus anciens en font état (par ex. Edgard Le Marchand, L'Europe et la Conquête d'Alger,1913).
Le ministre note que le roi a écarté dans l’immédiat l’usage de la force et décidé « d’user encore de quelques ménagements ». Le ministre insiste sur le mauvais vouloir du dey dans tous les domaines : refus d’accorder des réparations pour les vaisseaux français molestés et d’accepter de ne plus attaquer les vaisseaux romains, plaintes calomnieuses contre le consul général contenues dans la lettre du dey transmise par l’intermédiaire du consul de Naples [c’est évidemment la lettre du 29 octobre 1826]. Le ministre avait conseillé d’envoyer une division navale bloquer les ports de la régence si elle persistait dans son attitude. Mais le roi a désapprouvé le système du blocus comme peu efficace tout en considérant qu’une expédition militaire de troupes de terre et de mer, seule susceptible de résultat, devait être écartée en raison de « l’énormité de la dépense et de l’état des finances ».
Le ministre évoque le peu de résultats des bombardements d’Alger opérés par diverses puissances, tandis que le blocus pourrait être efficace d’autant qu’il amènerait aussi la perte des redevances que perçoit le dey pour les établissements commerciaux français. Il rappelle le bon résultat récent du blocus de Tripoli et que le plus souvent, un simple déploiement de force suffit à vaincre « la mauvaise foi » des dirigeants barbaresques sans qu’il y ait lieu d’aller plus loin. Il regrette l’ajournement du blocus, et il propose donc au roi deux lettres, l’une à Deval, l’autre au dey, où « sans parler un langage aussi menaçant, je n’en fais pas moins entendre au dey qu’il ne lasserait pas impunément la modération de la France » et qu’il est de son intérêt de répondre favorablement aux réclamations de celle-ci.
On est étonné que Hamdani s‘écrie que, devant ce rapport, c’est toute la légende du coup d’éventail comme cause de la rupture qui s’écroule et que plusieurs semaines avant l’entrevue orageuse entre le consul Deval et le dey, la France avait déjà décidé de décréter le blocus et de déclarer la guerre – alors que le rapport dit exactement le contraire : « votre majesté ayant vu des inconvénients dans l’adoption du plan proposé [le blocus], je me suis conformé à ses intentions.» Par contre, il est évident qu’il existait un contentieux entre la France et Alger, tel que toutes les options étaient examinées avec soin. Mais cela n’est en rien un scoop, sauf pour ceux qui sont de mauvaise foi.
En avril 1827, rien n’était encore décidé et la France était disposée à laisser une dernière chance (ou une avant-dernière...) au dey.
Le ministre adressa des instructions à Deval par lettre du 14 mai 1827. Il constatait que les explications du dey données au commandant de la Galatée (cf. partie 3) n'avaient pas été satisfaisantes. Deval devait informer le dey qu’une nouvelle expédition avec des moyens plus importants était en préparation. Si le dey répondait négativement aux demandes de la France qui lui seraient apportées avec cette nouvelle expédition, une rupture s’ensuivrait avec l’emploi de la force.
En fait ces instructions ne parvinrent pas en temps utile à Deval car 15 jours auparavant, l’incident du 29 avril 1827 s’était produit et la donne avait changé.
Vue d'Alger. Extraite du livre de Filippo Pananti, Narrative of a residence in Algiers. Londres, 1818. Gravure de Henry Parke et E. Clark.
Pananti avait été capturé en mer avec d'autres passagers par des corsaires algériens et détenu dans des conditions pénibles jusqu'à sa libération sur intervention du consul anglais. Son livre est une description de la vie à Alger et comporte aussi un plaidoyer pour qu'une ligue internationale mette fin à l'existence de la régence d'Alger en tant que foyer de piraterie.
Wikipédia et site de vente aux enchères Chiswick Auctions https://www.chiswickauctions.co.uk/auction/lot/13-pananti-filippo-narrative-of-a-residence-in/?lot=78322&sd=1.
POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU DEY : FAIRE RENTRER DE L’ARGENT
D’autres affaires internationales mobilisaient la régence, qui menait une politique plutôt agressive. On a déjà vu que la régence avait été en état de guerre avec l’Espagne, situation peut-être en lien avec les créances de Bacri.
Jacob Bacri demandait à l’Espagne l’équivalent de 5 millions de francs, réclamation que le dey avait reprise à son compte.
Sans préciser la date de la rupture, l’auteur algérien Hamdane ben Othman Khodja, témoin de l’époque, écrit : « Par suite d’une discussion très vive à ce sujet [la dette] entre le dey et le consul d’Espagne, ce dernier quitta la ville et se rendit à bord d’un vaisseau de sa nation. Le dey l’invita à revenir à terre en lui faisant observer qu’il ne devait pas faire de scandale, que son intention n’avait pas été de lui porter préjudice et que les paroles qu’il lui avait adressées ne touchaient que le gouvernement qu’il était chargé de représenter. Le consul ayant refusé de se rendre à terre, le dey lui déclara alors que s’il persistait dans son refus, il le considérerait comme une rupture entre les deux gouvernements » - toutefois Hamdane ben Othman Khodja ajoute qu’il n’y eut pas d’actes d’hostilité envers l’Espagne (il y aurait donc eu deux ruptures, celle qui amena des actes d’hostilité en 1824-25 notamment (cf. partie 3), et celle liée aux dettes espagnoles – ou bien c’est le même conflit et Hamdane ben Othman se trompe ?)
Si l’Espagne refusait de payer, c’est que la dette avait soi-disant un caractère privé; il s’agissait de prêts de Joseph Bacri au consul d’Espagne à titre personnel. En fait ces prêts, avec un intérêt exorbitant*, avaient été accordés pour permettre au consulat de subsister et d’accomplir ses missions, car compte-tenu des troubles en Espagne (occupation napoléonienne, guerre civile), le consulat avait été laissé sans moyens. De plus le titulaire de la dette paraissait être Joseph Bacri (mort en 1817, mais qui avait des héritiers) et non Jacob. Mais le dey soutenait les droits de Jacob – en fait, il s’était substitué à lui et fit des propositions à l’Espagne**.
* 30% selon Hamdane Ben Othman.
** Hamdane ben Othman présente ainsi les choses : « ... la proposition fut faite par le dey au gouvernement espagnol que moyennant un million, il prendrait sur lui d’anéantir les prétentions de Bacri et qu’il [le gouvernement espagnol] n’entendrait plus parler de cette affaire. Le dey réclamait en outre la somme de 500 000 francs pour indemnités et frais de guerre et cette dernière dépêche fut écrite de ma main. »
De sorte qu’au début de 1827, l’Espagne accepta de payer la somme demandée par le dey. Le montant en numéraire fut expédié à Alger (sur un navire de guerre français) et remis au dey qui indemnisa divers créanciers des Bacri* et, selon Hamdane ben Othman, répartit presque tout le reste sur les janissaires de l’odjack, ne conservant qu’une partie de l’indemnité de guerre pour le trésor public.
* Hamdane ben Othman observe : « Le dey comme chef de l’Etat, comme père du peuple et tuteur des orphelins reconnu par les lois, avait tout pouvoir de prendre sur lui d’arranger cette affaire. »
Considérant que les sommes avaient été versées au trésor public d’Alger, les héritiers de Joseph Bacri la réclamèrent à la France après la prise d’Alger (on en reparlera peut-être).
Dans cette affaire, il apparait que l’Espagne a fait ce que la France n’a pas fait : payer au dey ce qui revenait (même si c’était pour un montant contestable) aux Bacri.
Autre menace du dey : « Au mois d’avril 1827, le dey résolut de rompre la paix conclue cinq ans avant avec le grand-duc de Toscane ; il exigeait de ce prince une nouvelle somme de 24 mille piastres fortes, tandis que le paiement fait en signant le traité avait été le gage d’une paix perpétuelle. Il arma, menaça de bloquer Livourne : le grand-duc recourut à l’intervention de la France mais le ministre des affaires étrangères d’Alger déclina l’intervention et toute explication avec notre chargé d’affaires » [Deval] (Bartillat, Coup d'oeil sur la Campagne d'Afrique en 1830 et sur les négociations qui l'ont précédée, 1831).
Il se peut que ce conflit soit aussi lié à des créances Bacri. Selon le rapport du consul anglais, cité par Julie Kalman (The Kings of Algiers: How Two Jewish Families Shaped the Mediterranean World , 2023) le dey voulait dans un premier temps obliger le grand-duc de Toscane à forcer les débiteurs toscans de Bacri à payer leurs dettes – pour évidemment pouvoir s’emparer d’une partie ou du tout des remboursements. On peut penser que devant le refus de la Toscane d’accepter de faire pression sur les débiteurs de Bacri, le dey a décidé de « punir » cet Etat de faible puissance.
S’il est vrai que Bacri avait des dettes envers le dey (et peut-être inversement, mais Bacri n’était pas en position d’exiger que le dey paie ses dettes !), on peut penser que le dey était prêt à se les faire rembourser plusieurs fois et s’estimait en droit d’avoir sa part (sinon le tout) sur chaque créance qui viendrait à être payée à Bacri.
Peu d’historiens (français en tous cas) rappellent ce contexte où les dettes Bacri étaient à l’origine de conflits avec plusieurs Etats et où on retrouve les péripéties identiques à celles du conflit avec la France (entretien orageux avec le consul d’Espagne, notamment, qui quitte Alger, préfigurant la scène avec le consul Deval)*.
* Sinon qu’avec le consul d’Espagne, le dey déclara n’avoir aucune animosité contre lui et être en désaccord avec le gouvernement espagnol, situation inversée par rapport à la querelle avec Deval où le dey prétendait être en conflit avec celui-ci et non avec le gouvernement français.
Enfin, le Journal des Débats du 2 août 1827, citant un rapport du consul suédois Lagerheim, écrit que le dey, mécontent que le Portugal n'ait pas nommé de consul depuis longtemps, ce qui privait le dey des présents habituels en pareil cas, a exigé que le vice-consul du Portugal lui fasse parvenir les présents, en le menaçant : « si le dey ne les recevait pas dans l'intervalle de cinquante jours à compter du quatrième jour de la grande fête du Beiram, il saurait bien se payer complètement par une autre voie. »
POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU DEY : FIDÈLE SERVITEUR DU SULTAN
La cour de la caserne des janissaires à Alger, plus tard cercle militaire français. Les janissaires issus des provinces turques, regroupés en odjack (corporation), étaient considérés comme la caste dirigeante à Alger au point que le terme odjack avait fini par être équivalent d'Etat. Le dey devait les ménager, malgré l'élimination physique d'une partie d'entre eux en 1817 par le dey Ali Khodja, le prédécesseur de Hussein. La caserne des janissaires, selon certaines indications, était aussi la résidence de l'agha-al-mahalla (ou mehallé), ministre de la guerre et chef des forces armées.
Wikipédia, art. Régence d'Alger.
On peut aussi rappeler qu’à ce moment, la régence participait (assez modestement il est vrai, à la différence de l’Egypte) à la guerre menée par l’empire ottoman contre les Grecs insurgés : des navires de la régence participaient aux opérations dans les eaux grecques* et d’autres exerçaient une vigilance de Gibraltar à l’Italie : on a vu que l’excuse donnée pour intercepter des bateaux français en Méditerranée (y compris des bateaux faisant la traversée Corse-continent !) ainsi que les bateaux d’autres pays occidentaux, était de vérifier s’il y avait des Grecs à bord.
* En avril 1827 les navires algériens semblent avoir été bloqués dans le port de La Canée (Crète) et leurs équipages souffraient de la faim (Grammont).
Or, les relations s’aigrissaient de plus en plus entre les puissances occidentales et l’empire ottoman sur la question grecque (les violences extrêmes contre les Grecs avaient indigné l’opinion européenne*), et bientôt les puissances occidentales allaient intervenir directement dans le conflit grec en 1827 justement : accord de Londres, suivi par la bataille de Navarin et l’expédition de Morée. Ces mauvaises relations devaient peser aussi sur la régence qui se proclamait l’obéissante servante du sultan ottoman.
* A titre d’exemple : non seulement les Turcs avaient massacré – entre autres massacres bien répertoriés - une grande partie de la population de l’île révoltée de Chio, mais même les habitants de Chio absents de l’île et résidant à Constantinople ou d’autres villes de l’empire, furent exécutés pour faire un exemple.
Le bâtiment de l'Amirauté à Alger, était le siège à l'époque de la régence, du ministre de la marine et des affaires étrangères.
Carte postale du début du 20 ème siècle.
Wikipédia. Article Ouakil al-kharadj [ou Wakil al-kharadj, titre du ministre de la marine]
UN COUP D’ÉVENTAIL OU DE CHASSE-MOUCHES ? PLUSIEURS ? PAS DU TOUT ?
A la fin de sa vie, l’écrivain et journaliste Auguste Jal, spécialiste des questions maritimes, ironisait dans ses souvenirs sur le coup d’éventail donné au consul Deval. Selon lui cette anecdote était une pure invention.
Pourtant Jal avait mauvaise mémoire, car le dey Hussein lui-même, de passage à Paris, lui avait raconté comment il avait souffleté le consul général Deval avec son chasse-mouches*.
* L'orthographe du mot composé est bien "chasse-mouches". Dans certaines citations, on a "chasse-mouche" - j'ai rectifié pour uniformiser.
Aujourd’hui, encore beaucoup de bons esprits doutent de cette anecdote célébrissime – qui a contre elle d’avoir été considérée quasiment comme le motif officiel de l’intervention française en Algérie : « Il n’y eut jamais de soufflet donné à Deval, mais le prétexte était tout trouvé pour un régime aux abois, et qui escomptait un regain de popularité d’une victoire en terre d’Afrique » (Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique du Nord: Des origines à nos jours, 2016).
Plus dubitatif, Jacques Frémeaux : « ses reproches [du dey] à l'encontre de Deval ne sont pas sans fondement ... la nature et le degré de l'insulte que le dey lui aurait infligée ne sont même pas établis par des rapports unanimes (Algérie 1830-1914: Naissance et destin d'une colonie, 2019).
L’historien H.-D. de Grammont décrit ainsi le contexte de l’incident, en insérant des remarques que certains trouveront peut-être délicates (ou politiquement incorrectes) aujourd’hui :
« M. Deval s’était rendu à la Casbah pour offrir suivant l’usage ses hommages au Dey à l’occasion des fêtes qui suivent le jeûne de Ramadan. Tous ceux qui connaissent le monde mahométan savent que cette époque amène invariablement un renouveau de fanatisme : en l’an de l’hégire 1242, ce sentiment était encore accru par l’aide que prêtait l’Europe à la Grèce révoltée contre la Porte [l’empire ottoman]. Hussein était particulièrement de fort méchante humeur : il venait de recevoir les plus tristes nouvelles de ses navires dont les équipages bloqués à la Canée [Crète] mouraient littéralement de faim ».
Hamdane ben Othman Khodja (dans son livre paru en France en 1833) rappelle le dans quelles circonstances les consuls venaient complimenter le dey : « Il était dans l’usage que le premier jour du Baïram, les consuls des puissances européennes près la cour d’Alger fissent une visite de cérémonie au dey. Le consul anglais et le consul français se disputaient toujours la préséance dans ces occasions ; c’est pourquoi le dey, pour éviter toute discussion, établit qu’il en recevrait un la veille du jour solennel et l’autre le jour même. La veille donc de cette fête du Baïram, M. Deval se présenta pour faire sa visite au dey devant sa cour réunie. »
Le terme Baïram (Beïram), usité dans l’empire ottoman et en Turquie actuelle, désigne « les deux grandes fêtes musulmanes qui se célèbrent pour l'une après le Ramadan, pour l'autre soixante jours plus tard. Petit et grand Baïram » (Le Robert en ligne). La fête dont il s’agit serait donc le Petit Beïram, qui correspond en arabe à l'Aïd el-Fitr (jour suivant le dernier jour du mois du ramadan)*.
* L’expression de Hamdane ben Othman « le premier jour du Baïram » prête un peu à confusion.
On peut indiquer, si on se fie au récit de l’Allemand Pfeiffer*, que les relations s’étaient refroidies entre le dey et Deval depuis environ un an, où ils avaient eu une violente dispute à propos de la saisie d’un bateau espagnol sur lequel se trouvaient des marchandises françaises et des créances Bacri. Le dey lui avait réclamé le versement des 2,5 millions déposés à la caisse des dépôts. Le consul avait exposé que des procès étaient en cours en France par les créanciers des Bacri et Busnach, ce à qui le dey avait répondu : « Suis-je responsable des obligations que peuvent avoir contractées deux maisons juives ? » « Et il demanda d’un autre chef une nouvelle somme de 2 000 000. » Toutefois Pfeiffer ne semble pas avoir assisté à cette dispute mais rapporte des bruits (assez bien informés) qui couraient à Alger.*
* Simon Frédéric Pfeiffer, étudiant en médecine, engagé sur un navire de guerre hollandais, était captif à Alger depuis 1825 après avoir été capturé à terre près de Smyrne par des corsaires d’Alger, preuve que même résiduelle, la captivité/esclavage des Européens continuait à Alger. Il était devenu médecin du ministre de la marine mais restait un captif exposé aux coups de bâton. Il ne fut libéré qu’en 1830 après la prise d’Alger par les Français.
La scène du coup d'éventail (ou de chasse-mouches) selon une édition italienne du livre de Galibert, L' Algérie ancienne et moderne ... (1846). Le consul est représenté entouré d'autres membres du consulat français. Il ne faut pas chercher de ressemblance physique dans les personnages (les portraits de Hussein et sa description par le journaliste Jal montent que c'était un homme rond et plutôt petit, avec une barbe blanche fournie).
Bridgeman Image Library.
LE RÉCIT DU CONSUL GÉNÉRAL DEVAL
La scène se déroule le 29 avril 1827.*
* Et non le 30 (ou le 27) comme l’écrivaient des historiens anciens qui n’avaient pas accès au rapport de Deval – moins excusables, les sites actuels qui reprennent souvent la première date.
Donnons la parole au consul Deval qui raconte la scène dans une lettre écrite dès le lendemain (il a dû la commencer la veille) à son ministre :
« Le 30 Avril 1827.
Monseigneur,
Je m’empresse de rendre compte à Votre Excellence d’une scène déplorable qui a eu lieu hier entre le Dey d’Alger et moi. »
Le consul rappelle « le privilège, accordé aux consuls de France en cette ville, de complimenter en audience particulière le dey, la veille de la fête du Baïram ». Il a donc demandé une audience au dey. « Le dey me fit dire qu'il me recevrait à une heure après midi, mais qu'il voulait voir la dernière dépêche de Votre Excellence que la goélette du roi, destinée à la station de la pêche du corail, m'avait apportée. » Deval qui n’a reçu aucune lettre de son ministre (des affaires étrangères) mais seulement du ministre de la marine relative à la station de pêche, est interloqué par la demande du dey. « Je ne fus cependant pas peu surpris de la prétention du dey de connaître par lui-même les dépêches que Votre Excellence me fait l'honneur de m'adresser, et je ne pouvais concevoir quel en était le but. Je me rendis néanmoins au château à l'heure indiquée. Introduit à l'audience, le Dey me demanda s’il était vrai que l’Angleterre avait déclaré la guerre à la France. Je lui dis que c’était un faux bruit provenant des troubles suscités en Portugal dans lesquels le gouvernement du roi n'avait pas voulu s'immiscer (...)
— Ainsi donc, dit le Dey, le Gouvernement de la France accorde à l’Angleterre tout ce qu’elle veut et à moi, rien du tout.
— Il me semble, Seigneur, que le Gouvernement du Roi vous a toujours accordé tout ce qu’il a pu.
— Pourquoi votre Ministre n’a-t-il pas répondu à la lettre que je lui ai écrite ?
. — J’ai eu l’honneur de vous en porter la réponse aussitôt que je l’ai eue.
— Pourquoi ne m’a-t-il pas répondu directement, suis-je un manant, un homme de boue, un va nu-pieds ? Mais c’est vous qui êtes la cause que je n’ai pas eu de réponse de votre Ministre ! et c’est vous qui lui avez insinué de ne pas m’écrire. Vous êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre !
Se levant alors de son siège, il me porta, avec le manche de son chasse-mouches, trois coups violents sur le corps, et me dit de me retirer.
Je lui dis :
— Seigneur, je prie Votre Altesse d’être bien convaincu que je crains Dieu seulement et non les hommes. Je puis affirmer à Votre Altesse que j'ai transmis fidèlement à Son Excellence le ministre du roi, la lettre de Votre Altesse sans aucune insinuation quelconque de ne pas répondre directement à Votre Altesse. Son Excellence a répondu par mon entremise, suivant les formes usitées.
— Au reste, dit-il, sachez que je n’entends nullement qu’il y ait des canons à La Calle. Si les Français veulent y rester et y faire le commerce ou la pêche du corail, comme des négociants, à la bonne heure, autrement qu’ils s’en aillent. Je ne veux pas absolument qu’il y ait un seul canon des infidèles sur le territoire d’Alger.
Je voulus répliquer mais il m’ordonna de me retirer. »
M. Deval expose ensuite qu’il se rendit auprès du khaznadji (le premier ministre) qui lui dit flegmatiquement : « Il faut empêcher que les vitres ne se cassent, mais quand elles sont cassées, quel remède y a-t-il ? »
« En remettre de neuves à la place », répondit Deval.
Puis Deval se rendit chez I’agha, ministre de la guerre, qui lui conseilla de voir le ministre de la marine et des affaires étrangères. Après un long entretien avec ce dernier, Deval annonça qu’il ferait à son gouvernement un rapport sur l’incident.
Deval rappelle avoir averti le ministre dans un précédent courrier, que des événements sérieux étaient prévisibles. Il conclut : « Votre Excellence me permettra de n'ajouter aucune réflexion au détail de cette affaire qui est devenue un véritable esclandre ». Il estime ne plus être en état de continuer sa résidence à Alger. « Si Votre Excellence ne veut pas donner à cette affaire la suite sévère et tout l'éclat qu'elle mérite, elle voudra bien m’accorder la permission de me retirer par congé [prendre sa retraite]. »
Il laisse au ministre le soin d’apprécier quelles suites doit recevoir l’incident qui porte atteinte à la dignité et à l’honneur du roi et aux intérêts français; il prévoit que la situation ne peut qu’empirer. « Dans tous les cas je prie Votre Excellence de m'adresser une lettre ostensible [qu’on peut montrer], dont l'original me sera certainement demandé par le Dey. » Le consul joint ensuite des extraits du livre du consul général américain Shaler qui venait de paraître, relatifs à la politique française à Alger : « Ayant eu ici quelque publicité, j'ai pensé qu'il était nécessaire de les porter à la connaissance de Votre Excellence. Je suis... etc. Le Chevalier Deval. »
(Henri Klein. Correspondance diplomatique, in Les Feuillets d'El-Djezaïr, 1913. https://www.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1913_num_6_1_1118 et
A.-M. Gossez, Les trois coups de chasse-mouches au consul Deval, Revue d'Histoire du XIXe siècle, 1931
https://www.persee.fr/doc/r1848_1155-8806_1931_num_28_138_1204_t1_0168_0000_1
Le pavillon du coup d'éventail dans le palais de la Casbah; carte postale ancienne.
Wikipédia, art. Régence d'Alger.
LE RÉCIT DU DEY AU GRAND VIZIR DE L’EMPIRE OTTOMAN
Ainsi que le remarque l’historien Aulard, le premier à avoir publié le rapport de Deval, il n’est pas question dans celui-ci d’une querelle qui aurait été suscitée par une intervention de Deval en faveur d’un vaisseau romain capturé par les corsaires d’Alger, alors que beaucoup de récits d’historiens du 19 ème siècle en font état.*
* Par exemple Grammont.
Notons au passage que l’entretien a dû se dérouler en turc, langue parlée par Deval, qui ne mentionne pas la présence d’un interprète – ainsi se marque l’ambiance ottomane (et non maghrébine) de la scène : fête du Baïram, discussion en turc entre Deval et Hussein*
* « La discussion qui opposa, le 29 avril 1827, dey et consul eut lieu directement, en turc, sans interprète pour en atténuer les aspérités. » (P.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine).
Comment l’autre protagoniste a-t-il raconté les faits ? Il y a au moins deux versions du dey.
La première chronologiquement figure dans une lettre du dey datée du « dernier jour de djumad el oula de l’an 243 [erreur typographique pour 1243] » (ou 29 jumada al-awwal 1243, soit le 19 décembre 1827), adressée au grand vizir de l’empire ottoman. La lettre fut retrouvée dans les archives turques et publiée seulement en 1952. Hussein rendait compte des développements du conflit avec la France : le blocus des côtes algériennes par des navires de guerre français avait provoqué une bataille navale peu de temps auparavant. Le dey demandait des secours à l’empire ottoman (on y reviendra). Il exposait ainsi l’origine du conflit :
« Sa Seigneurie mon maître, mon Sultan très puissant, bienfaiteur, clément, magnifique, dispensateur des faveurs et maître des grâces,
Bien qu’il ait été écrit trois fois de mon humble part, des lettres amicales au roi de France dans le but de demander l’envoi au trésor public musulman des sommes dont les Français sont débiteurs envers l’Odjack victorieux [la milice des janissaires – ici le mot est à peu près synonyme d’Etat d’Alger], ces missives n’ont trouvé aucune considération, et n’ont reçu aucune réponse.
J’ai donc fait observer au consul français (...) en termes courtois et en gardant une attitude amicale, que « si l’amitié depuis longtemps conclue entre le gouvernement de son pays et l’Odjack impérial subsiste (...) je ne suis pas moins tenu par les obligations de ma charge de vizir délégué à la sauvegarde des intérêts de l’Odjack victorieux de notre maître le Padishah*, asile du monde, fortuné, généreux, puissant, dont je suis le serviteur. Pourquoi la réponse n’arrive-t-elle pas à mes lettres écrites et envoyées à ton gouvernement ?
Le consul susdit, dans son entêtement et son orgueil, répondit en termes offensants que « le roi et l’Etat de France ne peuvent envoyer de réponses aux lettres que tu lui a adressées » et osa y ajouter des paroles outrageantes pour la religion musulmane, attentatoires à l’honneur de Sa Majesté protectrice du monde.
Ne pouvant supporter cet affront qui dépasse toute limite supportable et n’écoutant que le courage naturel aux Musulmans, je l’ai frappé deux ou trois fois de légers coups de chasse-mouches que j’avais dans mon humble main. Le consul (...) poussé par l’intrigue et la dépravation (...) entreprit d’allumer jour et nuit le feu de la sédition. »
* Habilement, le dey implique le sultan dans l’affaire de la dette ; ainsi, ce n’est pas envers Alger que la France est en dette, mais envers l’odjack qui dépend du sultan (le Padishah).
(Lettre publiée pour la première fois par Erküment Kuran, La lettre du dernier Dey d'Alger au grand Vizir de l'Empire ottoman, Revue africaine, 1952, p. 188, https://cnplet.dz/images/bibliotheque/Revue-africaine/Volume_93.pdf; deux courriers à peu près semblables furent adressés par le dey au Capitan pacha (amiral de la flotte ottomane) et à l’agent du dey à Istambul).
Ni le dey ni surtout Deval ne disent mot de la menace de la prison. Enfin le mot héroïque de Deval disant au sultan « ce n’est pas moi qui suis insulté, c’est le roi de France » rapporté par plusieurs historiens anciens, n’est pas dans les relations mais ce n’est pas étonnant ; Deval a-t-il déclaré par la suite qu’il avait prononcé cette phrase ? Dans sa lettre au ministre, il indique seulement cette belle phrase (impossible évidemment de savoir s’il l’a vraiment prononcée) par laquelle il restait digne face au dey tout-puissant au milieu de sa cour : « Seigneur, je prie Votre Altesse d’être bien convaincu que je crains Dieu seulement et non les hommes. » Mais dans la fin sa lettre il lie - nécessairement – l’offense qui lui a été faite à l’honneur et à la dignité du roi.
Puis de façon indirecte, on a des témoignages de la façon dont le dey racontait l’incident.
Le 29 avril 1828, le chef de l’escadre française qui bloquait Alger, le contre-amiral Collet, envoya un négociateur, le lieutenant de vaisseau Bézard pour traiter d’un échange de prisonniers et sonder les intentions du dey. Dans l’entretien, Hussein reporta toute la responsabilité de l’incident sur Deval, qui lui aurait répondu avec arrogance : « Mais comptez-vous franchement sur une réponse de mon gouvernement ? Il ne vous écrira pas, c'est inutile. » Sur quoi le dey, légitimement ému, se serait écrié à son tour : « Eh bien ! puisque votre gouvernement pense que je ne mérite pas une réponse de lui, sortez de chez moi ! » Et en faisant du bras le geste qui montrait la porte, il aurait touché le consul avec l'éventail qu'il tenait à la main. « Il m'a fait voir le geste, ajoutait M. Bézard, et il dut rencontrer le côté de M. Deval. » (selon le récit dans Rousset).
Puis, en août 1829, Hussein rencontre pour une nouvelle tentative de conciliation, le nouveau chef de l’escadre chargée du blocus, M. de la Bretonnière : « Au cours de l’entretien, le Dey parla de l’incident Deval avec une sorte de complaisance. Il fit même comprendre par des gestes, que c’était avec le manche assez massif de cet instrument [le chasse-mouche] qu’il avait frappé le consul, et il ajouta que peu s’en était fallu qu’il le fit assommer à coups de pierres. » (Rapport de M. de la Bretonnière au ministre des Aff. Etrangères, 5 août 1829).* (cité par Henri Klein. Correspondance diplomatique, in Les Feuillets d'El-Djezaïr, 1913. https://www.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1913_num_6_1_1118).
* Dans sa brochure de 1830, Laborde rapporte des propos assez semblables du dey devant un officier français (mais il se peut que ce soit une déformation d'une des versions ci-dessus?), sinon qu’il n’est pas question du manche mais de la plume du chasse-mouches : « Que lui ai-je donc fait [à Deval], disait-il à un de nos officiers, et il appelle un esclave sur lequel il fait la répétition du geste qu’il s’était permis : je lui ai donné un coup de plume, il méritait un coup de massue. »
LE RÉCIT DU DEY AU JOURNALISTE JAL
Mais le récit le plus complet (faut-il dire le plus véridique ?) est fourni par Hussein lui-même (du moins ses propos sont rapportés par le journaliste Jal). En 1831, le dey n’est plus qu’un chef d’Etat en exil qui vit en Italie, à Livourne (dans la maison de campagne de Messieurs Bacri – comme on se retrouve...). Il vient à Paris pour rencontrer les dirigeants français et essayer d’obtenir la restitution de quelques biens (apparemment sans succès). A Paris, il rencontre parmi d’autres personnes, le journaliste Auguste Jal.*
* Auguste Jal (1795-1873) spécialiste des questions maritimes, avait participé comme correspondant du Journal des Débats (célèbre journal d’opposition libérale au régime de la Restauration) à une partie de l’expédition d’Alger (il revint en France avant la prise d’Alger). Il a notamment écrit un Glossaire nautique, qualifié de véritable trésor de la langue française maritime, selon une réédition récente par le CNRS.
Le journaliste qui eut au moins deux longs entretiens avec le dey et semble avoir sympathisé avec lui, s’exprime ainsi :
« J’étais curieux de savoir de Hussein lui-même comment et dans quelles circonstances s’était passée l’affaire du coup d éventail qui décida la guerre ». Jal ajoute qu’il n’avait pas peur d’entendre dire du mal de Deval (mort en 1829) car il avait été renseigné sur sa (mauvaise) réputation par toutes les personnes qui l’avaient connu.
Selon l’ex-dey Hussein : « Deval s’était bien mis dans mon esprit. Il était adroit, je suis peu défiant ; je crus à la sincérité de son amitié. Il devint très familier chez moi (...) Vers la fin du ramadhan [sic] Deval vint me faire une visite officielle suivant l’usage. Je me plaignis à lui de n’avoir pas de réponse à quatre lettres écrites par moi au roi de France ; il me répondit, le croirez- vous ? « Le roi a bien autre chose à faire que d’écrire à un homme comme toi ». Cette réponse grossière me surprit. L’amitié ne donne pas le droit d’être impoli. J’étais un vieillard qu’on devait respecter*, et puis j’étais dey. Je fis observer à Deval qu’il s’oubliait étrangement. Il continua à me tenir des propos durs et messéants ; je voulus lui imposer silence, il persista. « Sortez, malheureux ! » Deval me brava en restant et ce fut au point que, hors de moi, je lui donnai en signe de mépris de mon chasse-mouches au visage ; voilà l’exacte vérité. Il existe beaucoup de témoins de cette scène qui pourront vous dire jusqu’à quel point je fus provoqué et ce qu’il me fallut de patience pour supporter toutes les invectives de ce consul qui déshonorait ainsi le pays qu’il représentait. »
* Notons qu’entre Deval et le dey, c’était Deval le plus âgé (69 ans et 63 ans pour le dey).
D’autres relations de la rencontre avec Jal donnent un texte un peu différent : « Il [Deval] était gai, et me plaisait pour cela. Je crus à la sincérité de son affection pour moi. II devint très familier, parce que je le traitais en ami (...) Vers la fin du ramadan, Deval, que je commençais à aimer moins, parce qu’il me parlait souvent mal de son souverain, et que je pouvais craindre qu’il ne lui parlât mal aussi de moi ... » Dans quelques livres de l'époque, les propos du dey sont rapportés à un récit par le chef de bataillon Langlois (un militaire célèbre par ses peintures de bataille, notamment un panorama su débarquement des Français en Algérie). On peut penser que le dey rencontra aussi Langlois à Paris et lui fit à peu près les mêmes déclarations qu’à Jal.
Jal ajoute que le dey lui a parlé une fois seulement « de l’affaire d’argent qui a amené la querelle entre la France et Alger ». Jal ne peut pas en parler car « il y a trop d’illustres mains souillées par d’odieux tripotages pour que je dise un mot de cela. Tout ce que j’en puis publier, c’est que Hussein Pacha qui n’était pour rien là-dedans, qui n’avait pas une piastre à y gagner, a été victime tandis que ceux qui ont brocanté leur crédit et leur conscience pour faire une chose injuste jouissent d’une fortune et d’une considération qui les fait les premiers de notre société si moralement constituée. »
(A. Jal, La Revue de Paris, Volume 31, 1831, page 291, Hussein-pacha, dey d’Alger) https://books.google.fr/books?id=Ci1HAAAAcAAJ&pg=PA316&dq=La+Revue+de+Paris+tome+trente-et-uni%C3%A8me&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&ved=2ahUKEwi1gqu_xdWFAxVSVqQEHdL2BEwQ6wF6BAgEEAE#v=onepage&q=La%20Revue%20de%20Paris%20tome%20trente-et-uni%C3%A8me&f=false )
C’est pour le moins ambigu (on en reparlera). Jal ne vise certainement pas Deval, mort à ce moment, et qui n’a jamais été parmi les « premiers » de la société. Et si le dey était créancier de la France, comme on le dit, comment expliquer selon Jal, qu’il n’avait pas une piastre à gagner dans l’affaire ? (sans doute Jal veut-il dire que le dey n’y avait aucun intérêt personnel ?)
On peut remarquer que les deux versions du dey (dans la lettre au grand vizir et dans l’entretien avec Jal) correspondent assez bien, à la différence de style près. Dans l’une, le dey apparait comme un bon serviteur du sultan et revendique sa qualité de mahométan (au point de parler de courage naturel aux musulmans pour frapper le consul - on aimerait y voir de l’humour...) ; dans l’autre, il apparait ou veut apparaitre comme un ex-chef d’Etat calme et débonnaire (« l’amitié ne donne pas le droit d’être impoli *: j’étais un vieillard qu’on devait respecter, et puis j’étais dey » ; « Sortez, malheureux ! »), soucieux de la renommée des autres souverains (« Deval, que je commençais à aimer moins, parce qu’il me parlait souvent mal de son souverain ... »).
* La déclaration montre au moins qu’il existait ou avait existé de l’amitié entre le dey et Deval.
Plus curieux les récits qui sont rapportés par les négociateurs. Si dans l’un le dey confirme avoir porté des coups à Deval et semble même se complaire à cette évocation, dans l’autre il minimise son acte : il aurait fait un geste pour indiquer la porte et son chasse-mouches aurait touché (involontairement) Deval. Enfin, quand il reconnait avoir frappé Deval, il y des flottements sur un point : l’a-t-il frappé avec le manche - c’est aussi ce qu’indique Deval - ou avec la plume du chasse-mouches (plus compatible avec des coups au visage d’ailleurs).?*
* Notons sans nous attarder que pour Hamdane ben Othman Khodja, le chasse mouches est en branches de dattier alors que dans certains récits (fantaisistes ?) il est décrit comme fait de plumes de paon avec un manche d'argent. Mais le dey parle bien de plume dans un témoignage.
De même, le dey se vante dans sa lettre au grand vizir, d’avoir donné deux ou trois « légers » coups à Deval sans dire où il a porté ses coups, puis devant Jal, il parle de coup au visage sans spécifier combien de coups; Deval, dans sa lettre au ministre parle de trois coups sur le corps, portés avec le manche – on peut comprendre qu’il ait eu honte de dire qu’il a été frappé au visage.
On peut supposer que le dey a aussi éprouvé une certaine honte d’avoir perdu son sang-froid d’où la tendance à minimiser son acte – et surtout à en faire retomber la faute sur les paroles outrageantes de Deval – qui de son côté se décrit dans sa lettre au ministre comme ayant toujours gardé l’attitude courtoise et flegmatique du diplomate accompli.
Qu’ont pensé les personnes qui ont connaissance de « l’esclandre » comme dit Deval, tout de suite après celui-ci ?
Et d’abord y a-t-il eu des témoins directs ?
Représentation tardive (début du 20 ème siècle ?) de la scène du coup d'éventail. Le consul porte un habit somptueux (plutôt d'ambassadeur que de consul) et le grand cordon de la Légion d'honneur. Quant au dey, il apparait moins comme un Turc que comme un Arabe en burnous.
(image promotionnelle)
On trouve diverses reproductions de cette image sur internet, dont une dans un article d'analyse sémiotique auquel on ne comprend rien, sauf quelques phrases qui ne donnent pas une meilleure idée du reste de l'article.
DES TÉMOINS ?
Il faut écarter l’idée que l’offense a eu lieu en présence du corps consulaire réuni, puisque Deval, comme on l’a vu, était reçu à part des autres consuls. Etait-il accompagné de membres du consulat français ? C’est possible bien qu’il n’en parle pas. Le dey était sans doute lui-même environné d’un certain nombre de serviteurs et de courtisans*.
* Amar Hamdani (La Vérité sur l'expédition d’Alger, 1984) accuse Deval d’avoir menti en affirmant qu’il avait été reçu seul à seul par le dey – il suffit de lire la lettre de Deval pour écarter cet argument : il déclare avoir été reçu en audience particulière, selon l’usage, ce qui ne veut pas dire seul à seul.
Faut-il compter parmi les courtisans du dey présents à l’audience Hamdane ben Othman Khodja ? Bien qu’on ait parfois interprété une expression de son livre (« j’en ai été témoin direct ») comme s’appliquant à la scène du chasse-mouches, elle est placée trop loin du récit pour s’y appliquer (la phrase concerne plutôt la question des dettes espagnoles pour lesquelles Othman écrit au gouvernement espagnol sur ordre du dey).
Néanmoins, voici ce que dit Hamdane ben Othman :
« La veille donc de cette fête du Baïram M. Deval se présenta pour faire sa visite au dey devant sa cour réunie. Ce consul parlait aussi mal la langue turque que moi la langue française et n’en connaissait ni les nuances ni la délicatesse. Après la cérémonie, le pacha lui ayant demandé pourquoi son gouvernement ne répondait pas à ses nombreuses dépêches concernant les réclamations de Bacri, la réponse de M. Deval fut on ne peut plus insolente et conçue en ces termes : Mon gouvernement ne daigne pas répondre à un homme comme vous. On pourra dire en faveur de M. Deval que c’était par ignorance de la langue qu’il s’exprimait ainsi car un Français bien né ne dirait pas une grossièreté à un homme du commun, à plus forte raison au chef d’une régence. Certainement dans toute autre occasion le dey aurait excusé M. Deval, mais en présence de toute sa cour, ces paroles froissèrent tellement son amour propre qu’il ne put être maître d’un premier mouvement de colère et ce pacha lui donna un coup d' éventail. Cet éventail est formé de paille de dattier. Hussein Pacha est loin d’être un homme grossier. Toute personne qui le connaît ne pourra l’accuser d’aucun acte de brutalité ; j’en appelle à tous les consuls étrangers. Le consul à ce qu’on dit, a tiré parti de cette circonstance, et pour masquer sa conduite et faire oublier ses paroles insolentes, il a présenté ce coup d éventail d’une manière défavorable au dey. »
L’Allemand Pfeiffer (qui ne parait pas avoir été témoin visuel) raconte de son côté que le consul s’étant présenté devant le dey, celui-ci lui demanda s’il avait enfin reçu des instructions de son gouvernement. « M. Deval lui répondit que non, mais que dans tous les cas la France était disposée à envoyer une flotte et une armée contre l’Algérie pour inspirer au dey de meilleurs sentiments.
Cette réplique mit le prince [le dey] hors de lui et dans sa colère, il frappa le consul au visage avec le chasse-mouches qu’il tenait à la main » et « lui ordonna de quitter au plus vite le territoire de l’Algérie. M. Deval sortit immédiatement du palais, se rendit dans sa maison de campagne et y convoqua les représentants des autres puissances. Il chargea l’envoyé sarde des affaires du consulat français. »*
On peut voir que ce récit, recueilli sans doute auprès de personnes fréquentant le palais du dey, est à la fois conforme dans les grandes lignes au récit le plus fréquent et comporte des différences (Deval n’a pas convoqué les consuls étrangers, le dey ne semble pas lui avoir ordonné de quitter Alger, etc) ; enfin la phrase de Deval sur une prochaine intervention militaire française ne se retrouve pas dans les autres récits notamment ceux du dey.
La scène du coup d'éventail, gravure de Coppin, dans le livre d'Adrien Berbrugger, L'Algérie historique, pittoresque et monumentale, 1843.
Le dey est entouré par des serviteurs et courtisans, Deval par quelques représentants du consulat ou assimilés, comme peut-être M. Jobert, le directeur des établissements de La Calle, dont on ignore s'il était présent lors de la scène. L'artiste les a représentés l'épée au côté, alors que le protocole de la régence interdisait aux étrangers de se présenter devant le dey avec une arme, même de cérémonie.
LES RAPPORTS DES CONSULS TRANGERS
Bien que non présents lors de l’incident, les consuls étrangers rendirent compte de l’incident à leurs ministres.
Le consul général anglais Morris Thomas écrit au comte Bathurst le 14 mai 1827 : « J'ai l'honneur de rendre compte qu'à une récente audience accordée par le Day au Consul Général de France, ce dernier fut assailli [assaulted] par Sa Hautesse et obligé de quitter le Palais de l'Audience. Il paraît qu'une chaude discussion s'est élevée entre eux sur deux points : l'un se rattachant au droit pris par le Gouvernement français de réparer le vieux fort de La Calle et d'y mettre une garnison; et l'autre sur la question soulevée à propos des affaires de banqueroute du Juif de quelque renom à Alger, nommé Bacri*. On dit que le Consul se serait laissé aller à des expressions vraiment grossières et irritantes, [expressions of a very gross and irritating nature] et que, après avoir été toléré pendant un moment, il excita l'indignation du Dey à un tel degré qu'il le porta à oublier sa propre dignité et le caractère aimable qui le distingue particulièrement [excited the Dey's indignation to a degree that caused him to forget his own dignity and the mild character for which he was remarkable].
* On remarquera que le consul ne parle pas des créances de Bacri mais de sa faillite. On peut penser qu’il faut allusion au fait que Bacri, incapable de payer ses dettes ou prétendant l’être, avait dû céder ses créances au dey.
(...) Jusqu'à présent le Consul [Deval} n'a fait aucune communication sur cela à aucun de ses collègues et son intention ne semble pas être de le faire, de telle sorte que le plus grand silence est observé par rapport aux deux affaires... .»
On notera chez le consul britannique le ton défavorable au consul français et assez élogieux pour le dey.
Le 15 juin 1827, le consul de Portugal relatait ce qu’il savait de l’incident à son ministre : « Il est probable que le Consul lui a répondu avec trop de vivacité; mais le fait est que le Dey en colère frappa le Consul du bout d'un éventail dont le manche est en bois, et qu'il tient constamment dans sa main pour chasser les mouches. »
Le consul américain Shaler attribue la colère du dey à la fortification de la Calle, puis en second lieu à la question des créances Bacri-Busnach : « la rage de Son Altesse devint si indomptable qu’elle [Hussein] commit ce scandaleux acte de violence » (dépêche de Shaler au Secrétaire d’Etat américain, juin 1827).
En fait il existait un ensemble de raisons pour lesquelles le dey était mécontent (cité par David Todd, Un Empire de velours: L'impérialisme informel français au XIXe siècle, 2022)*.
* Selon cet auteur, le dey était depuis quelque temps irrité par les fortifications françaises de La Calle; c'est même ce qui l'aurait amené, selon Deval, à remettre sur le tapis la question des créances Bacri. Si c'est exact, il s'agit d'un changement de perspective par rapport à la thèse habituelle sur le rôle principal des créances Bacri dans la crise.
Le rapport du consul danois Carstensen est cité par Hamdani dans La vérité sur l'expédition d'Alger (rapport du 15 juin 1827) :
« .. la veille du beiram, le consul de France, selon la coutume, rendit visite au dey ; celui-ci aborda la question des susdites créances, reprochant au consul de n’avoir rien fait dans cette affaire, laissant entendre qu’il ne croyait guère à toutes les assurances du diplomate qui, supposait-il, n’avait même pas envoyé au roi sa dernière lettre. Les personnes présentes n’ont pas compris la réponse du consul, mais elle produisit un tel effet que le dey, après avoir couvert le consul des pires injures, le frappa avec un grand éventail qu’il tenait en main. Après quoi, le consul prit la fuite et s’en alla chez le ministre de la marine solliciter son intervention pour régler l’incident à l’amiable. »
Evidemment, le point sensible de l’incident est la phrase de Deval qui l’a provoqué ; celui-ci s’est-il tenu aux paroles polies qu’il rappelle dans sa lettre ou bien, desservi par une connaissance imparfaite de la langue turque (malgré son long séjour en Orient ?) a-t-il utilisé sans le vouloir peut-être, une expression vexante ? On remarque que la discussion s’est envenimée sur la question des lettres du dey restées sans réponse, le dey affirmant dans ses récits a postériori en avoir écrit trois ou quatre, au roi (voulait-il dire au gouvernement du roi ou au roi personnellement ?). Si Deval lui a vraiment répondu que le roi ne pouvait répondre au dey, disait-il vraiment une contre-vérité ? On a des lettres de Louis XVIII et de Charles X au dey, pour ne citer que les monarques ayant régné au moment où Deva était consul – mais il apparait certain qu’il s’agissait de lettres purement protocolaires. Le roi n’aurait pas répondu sous sa signature à des questions précises sur des litiges particuliers comme les créances Bacri – c’était du ressort des ministres. C’est peut-être ce que Deval a voulu dire et il l’a fait maladroitement.
PAS DE COUPS DU TOUT ?
Notons aussi pour être complet (?) un curieux témoignage apparu en 1842, mais paru en 1906 dans le Bulletin de la Société d' études politiques et sociales d'Alger, qui fut rapporté par le célèbre historien Aulard en 1923 dans un article sur l'incident du coup de chasse-mouches.*
* Alphonse Aulard (1848-1928), spécialiste de la Révolution française, professeur à la Sorbonne, « l’un des premiers historiens de la Révolution à s'appuyer sur de véritables recherches archivistiques, avec un corpus scientifiquement confirmé » (Wikipédia), cofondateur de la Ligue des droits de l’homme.
Nous citons Aulard : « Un journaliste algérien, M. Aumérat, y dit qu'eu 1842, les témoins de cette scène (qu'il place à tort au 30 avril 1827) la lui racontèrent. C'était, dit-il, M. Casimir Jobert, beau-père de notre consul* [en fait il semble qu’il avait épousé la nièce de Deval ?], M. Schullz, consul général de Suède, et d'autres personnes encore. D'après ces témoins, le Dey se serait borné à dire des mots injurieux à Deval : Sors, chrétien, fils de chien.** Il ne l'aurait nullement frappé. Sa colère venait de ce que Deval lui aurait dit : « Le roi de France ne correspond pas avec un Dey d'Alger. »
* Représentant accrédité de la chambre de commerce de Marseille et de la compagnie française de Ia Calle, C. Jobert « avait un caractère officiel et marchait avec le corps consulaire dans les cérémonies publiques ».
** « Juron assez en usage chez les orientaux et qui dans leur bouche, n’a pas toute la portée que nous pouvons lui attribuer » disait la personne (Jobert ?) qui raconta la scène à Aumérat (cité par Hamdani).
« Quant au coup que le Dey lui aurait porté, M. Aumérat s'exprime ainsi : « M. Deval n'en disait pas un mot dans son rapport. »
On voit que M. Aumérat se trompe » (Aulard).
Le témoignage (indirect) d’Aumérat se poursuit en évoquant les conversations des consuls étrangers ; selon lui, personne à ce moment ne parlait du coup de chasse-mouches ou d’éventail.
Comme on l’a vu précédemment, nombre de consuls ont évoqué soit explicitement, soit de façon plus imprécise le coup (ou les coups) de chasse-mouches - ce qui contredit le récit tardif d’Aumérat,
Aulard écrit : « Il est certain que Deval a soulevé autour de lui (...) bien des animosités (...) surtout chez nos concurrents, anglais ou napolitains, qui redoutaient notre influence et ne demandaient qu'à nous évincer; chez le Dey aussi, naturellement, qui fit dire de lui pis que pendre. Les gens de Marseille n'aimaient point Deval, parce qu'ils le rendaient responsable du blocus d'Alger qui, en immobilisant la flotte française, laissa le champ libre aux pirates algériens et ainsi fit du tort au commerce marseillais.
Je ne crois pas du tout qu'il y ait lieu de rejeter son témoignage dans l'affaire des trois coups de chasse- mouches (...) Le Dey a-t-il nié avoir fait ce geste d'insulte ? Il ne semble pas. Mais quand même il l'eût nié, je ne crois pas que cela permît d'accuser Deval de mensonge. » (A. Aulard, L'insulte faite au consul de France par le dey d'Alger en 1827. in revue La Révolution française, p. 160, 1923, Gallica, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1162737/f5.vertical).
Evidemment Aulard ne pouvait connaître la lettre du dey au grand vizir (réapparue en 1952 seulement) qui confirme le coup d’éventail ou de chasse-mouches. Plus étonnant est le fait qu’il ne mentionne pas l’interview du dey par Jal (et par Langlois ?) lors de sa visite à Paris en 1831 et qui était rapportée par de nombreux livres du 19 ème siècle, par exemple dans un article de Abel Hugo (frère de Victor) dans La France pittoresque (1835), dans L’Histoire de France depuis l’année 1825 jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe du baron de Montgaillard (1839) – où le récit est attribué à Langlois, dans le livre du maréchal Bugeaud qui dit tenir personnellement le récit d’un témoin digne de foi (Histoire de l'Algérie française, 1850), dans L'Algérie française: histoire, moeurs, coutumes, industrie, d’Arsène Berteuil, 1856, etc.
Il suffit que les deux principaux protagonistes soient d’accord sur les faits sinon dans le détail, du moins sur le déroulement général : Hussein a bien souffleté Deval au visage avec son chasse-mouches (ou bien lui a porté quelques coups sur le corps ?), chacun évidemment se renvoyant la balle de la responsabilité de l’incident.
Page du livre de Léon Galibert, L' Algérie ancienne et moderne depuis les premiers établissements des Carthaginois... (1ère éd. 1843), montrant la scène du coup d'éventail.
UN BRIN DE COMPLOTISME
Considérer aujourd’hui l’incident du coup d’éventail (ou chasse-mouches)* come un mythe (sans doute un mythe destiné à justifier l’intervention française en Algérie ) est devenu impossible pour ceux qui admettent que les faits historiques sont établis par des témoignages concordants (et quel meilleur témoignage que celui des deux principaux intéressés, corroboré par les témoignages indirects de plusieurs contemporains sinon témoins directs, du moins bien placés pour être informés – les consuls, Othmane).
* Citons la curieuse réflexion d’un (ou une) historien (ne) récent(e) qui suppose qu’« on » (qui ? Les méchants colonialistes ?) a transformé en éventail le chasse-mouches pour éviter la connotation trop triviale de ce dernier terme... Rappelons le témoignage de Hamdane ben Othman selon qui le dey donna un coup d éventail à Deval, et pour mettre tout le monde d'accord, celui du consul portugais : " le Dey en colère frappa le Consul du bout d'un éventail dont le manche est en bois, et qu'il tient constamment dans sa main pour chasser les mouches" ...
On doit donc classer au musée de la cocasserie (en étant aimable), l’auteur de l’article Wikipédia Conquête de l’Algérie par la France, qui tout en admettant (comment faire autrement) la réalité du coup porté par le dey – nie dans la phrase suivante qu’il y ait eu un coup porté : « il [le dey] le frappe [Deval] « deux ou trois fois de légers coups de chasse-mouches ». Il n'y eut donc jamais de soufflet ou de coup d'éventail, mais un prétexte tout trouvé pour créer un incident diplomatique qui sera exploité par la diplomatie française. »
Au moins, Magritte dans son célèbre tableau Ceci n’est pas une pipe, représentant une pipe, voulait-il être drôle et susciter la réflexion (une pipe en peinture n’est pas une pipe en réalité). Ici nous avons « ceci n’est pas un soufflet* ou « ceci n’est pas un coup d’éventail » ... *
* Sauf si on prend soufflet au sens strict de gifle donnée avec la main - mais on peut souffleter avec un objet et même légèrement. Nous avons corrigé ce texte absurde grâce à l’option « modifier ».
Il reste à considérer le complotisme.
Pour certains, le coup de chasse-mouches (ou d’éventail) même réel (surtout réel, d’ailleurs) fut une provocation délibérée - même si aucun historien sérieux ne reprend à son compte cette thèse. Le gouvernement français aurait donné des instructions à Deval de pousser le dey à la faute, de façon à justifier l’expédition d’Alger.
Cette thèse ne résiste pas à l’analyse des faits. Au moment où a lieu l’incident, aucune décision d’attaquer Alger n’existe ; le gouvernement français a pensé à un blocus - mais on a vu qu’il a remis cette option à plus tard et laisse au dey une autre chance ; de plus, un blocus n’est pas une action visant à la destruction de la régence d’Alger mais une façon d’amener le dey à accepter les demandes françaises. Il faudra encore trois ans et d’autres événements pour que le gouvernement se rabatte sur la solution de l’expédition militaire, faute d’alternative* - il est vrai qu’entretemps la dégradation de la situation politique en France incline le gouvernement à tenter de regagner l’opinion publique par une campagne militaire victorieuse, ce qui n’était pas le cas en 1827.
* On peut citer ici l’avis de P. -A Julien : « Les chefs de gouvernement {successifs en France] repoussèrent l’idée d’une intervention armée jusqu’au jour où Polignac s’y rallia en désespoir de cause. »
S’il y a eu depuis longtemps des projets de conquête d’Alger (depuis Louis XIV jusqu’à Napoléon), ils n’ont pas dépassé le niveau de projets plus ou moins soutenables et leur existence n’est pas une preuve de la thèse du complot – on sait que le gouvernement de la Restauration envisageait seulement une prise de possession en toute souveraineté des concessions et même en ce cas, ce n’était qu’un projet parmi d’autres – aucun document d’archives ne vient confirmer l’idée d’instructions données à Deval pour provoquer le dey.
Hamdani dans son livre La Vérité sur l'expédition d'Alger (1984), s’en remet à un moyen terme (pour autant qu’on puisse juger des extraits disponibles de cet ouvrage). Il écrit « (...) Un historien algérien, M.C. Sahli, pense que « certaines données historiques permettent de conclure à une provocation (de la part de Deval) ordonnée par le gouvernement français et exécutée par le consul ». Mais en fait de « données historiques », Sahli se contente de citer un ouvrage assez discutable, L'Histoire générale de l'Algérie d'Henri Garrot. »
Sa thèse – qui ne parait non plus assise sur aucune preuve – est que la provocation était nécessaire pour justifier, non pas encore l’expédition qui eut lieu en 1830, mais le blocus que le ministre des affaires étrangères avait proposé. Hamdani écrit en effet que « La lettre que le ministre rédigea fut si violente que le conseil des ministres la jugea inadmissible et refusa qu’on l’envoyât à son destinataire » (on a lu plus haut cette lettre et au contraire on y voit le style lénifiant des diplomates d’autrefois).
On sait de plus que le conseil des ministres décida de laisser une dernière chance au dey. Des instructions pour Deval et une lettre au dey furent donc préparées. Mais le consul n’eut pas le temps de les recevoir car l’incident de l’éventail eut lieu entretemps. Rien ne prouve donc que l’incident a été provoqué pour justifier le blocus qui avait été écarté dans l’immédiat pour permettre au dey de revenir à de meilleurs sentiments.
Si Deval a fait quelque chose pour « embrouiller l’affaire » - mais après le coup d’éventail - et rendre la rupture irréversible (ce qui n’est pas prouvé), on peut se demander si ce n’est pas avant tout par un sentiment qu’on pouvait le tenir responsable de qui s’était passé : après tout, un diplomate qui met en colère contre lui le chef d’Etat auprès de qui il est en fonctions, n’est sans doute pas un bon diplomate, même s’il n’est pas vraiment fautif *. Deval – bien qu’ayant atteint l’âge de la retraite, pouvait craindre les conséquences de l’incident pour sa carrière. D’ailleurs, Laborde, sans grande charité, estime assez ouvertement que Deval aurait dû être puni (comment ?) au lieu que ce soit le dey qui fut considéré comme responsable de l’offense. Chacun en jugera.
* Après tout, nous vivons toujours dans un monde où c’est souvent la victime d’une offense qui est considérée comme responsable par son administration ou son organisation.
LA RÉPONSE FRANÇAISE
A Paris, le gouvernement s’indigna en recevant le rapport du consul Deval*
Il parait vraiment de mauvaise foi de la part de Laborde de s’étonner que le ministre ait cru Deval sans chercher à avoir la version du dey. Les relations entre la France et le dey étaient déjà trop mauvaises pour que le ministre ne fasse pas bloc avec son subordonné.
Le ministre baron de Damas, écrivit aussitôt à Deval :
29 Mai [1827]
« Monsieur,
« J’ai reçu les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser les 14 et 30 avril.
Le Roi, sous les yeux de qui j’ai mis le contenu de la dernière, a été aussi surpris qu’indigné des faits qu’elle signale et surtout de la scène révoltante dans laquelle le Dey, foulant aux pieds les principes les plus sacrés du droit des gens, et perdant tout respect pour le gouvernement que vous représentez, s’est porté contre vous à de brutales violences. Ce nouvel outrage met le comble aux torts, déjà si graves, dont il s’est précédemment rendu coupable au moment où nous étions prêts d’en tirer satisfaction.»*
* Cité par Henri Klein, Correspondance diplomatique, Feuillets d'El-Djezaïr, 1913 https://athar.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1913_num_6_1_1118
La lettre se poursuit par l'annonce d’une demande de réparation pour laquelle une escadre de 6 vaisseaux* est envoyée à Alger sous le commandement du capitaine de vaisseau Collet et donne ordre à Deval de se retirer sur un des vaisseaux avec les Français résidant à Alger. La direction des négociations avec Alger est confiée à Collet.
* Galibert parle de 13 vaisseaux mais il s’agit sans doute de l’effectif tel qu’il a été renforcé par la suite.
Le ministère décida qu’« une réparation éclatante, générale et complète, de tous les griefs de la France serait poursuivie, même par la force » mais qu’avant tout, des excuses publiques devaient être faites à M. Deval « pour l'affront fait au roi, dans la personne de son représentant » (Camille Rousset, La Conquête d'Alger, 1879).
L’ULTIMATUM
La goélette française la Torche entra la première dans le port d’Alger le 11 juin 1827 afin de remettre à Deval les instructions du gouvernement. Puis le reste de l’escadre rejoignit Alger. Deval fit publier une ordonnance qui enjoignait à tous les Français résidant à Alger de quitter cette ville et de s’embarquer immédiatement - lui-même se rendit à bord de la Torche puis passa sur le navire du commandant de l’escadre, la Provence.* De son côté le dey « s’empressa de prévenir les Français que son intention n’avait été ni d’insulter la France ni de se mettre en guerre avec elle, que ses discussions avec le consul lui étaient purement personnelles et qu’ils pouvaient rester paisiblement dans ses états où il les protégerait de tout son pouvoir » (c’est ce qu’indique Laborde)
* Il semble que seules 7 personnes s’embarquèrent - il parait peu probable qu’il n’ y ait eu que 7 français à Alger à ce moment ? Parmi les personnes qui embarquèrent, M. Jobert, l’agent de la compagnie de la Calle et sa famille.
Laborde insinue que l’ordre d’évacuer les Français fut une initiative de Deval (pour rendre plus complète la rupture) - il suffirait d’avoir accès aux instructions du ministre pour avoir une certitude sur le sujet. L’article cité plus haut indique que l’ordre d’évacuation faisait partie des instructions du gouvernement.
Selon Nettement, l’ordre d’évacuer les Français était justifié « quoi qu’en aient dit les écrivains de l’opposition de cette époque, par les précédents de violence du gouvernement algérien si peu soucieux du droit des gens ». Nettement rappelle que le gouvernement du dey avait fait jeter au bagne des consuls et des nationaux étrangers, « Bien heureux encore quand la milice ou la populace algérienne ne leur faisaient pas un plus mauvais parti comme il était arrivé dans les derniers démêlés de l’Angleterre et de la Régence. » (Alfred Nettement, Histoire de la conquête d'Alger, écrite sur des documents inédits, ...1867).
Deval confia au consul du royaume de Piémont-Sardaigne, le comte Attili de Latour, la gestion des intérêts français et conféra avec Collet sur la façon de présenter au dey les demandes de la France. Celles-ci étaient doubles : il y avait d’une part les excuses officielles pour l’offense faite au consul et donc au roi de France, et les exigences sur les points de litige avec la régence.
Une note datée du 14 juin fut portée au dey par le consul de Piémont-Sardaigne Elle demandait que le Vekil Hardje [Ouakil al-kharadj, Wakil al-kharadj], ministre de la marine et des affaires étrangères, escorté d’autres hauts personnages de la régence, vienne à bord présenter au consul de France les excuses personnelles du dey ; pendant cette cérémonie, le pavillon français devait être hissé sur les forts et salué de cent coups de canon. Si la réparation demandée n'était pas accordée dans les vingt-quatre heures, les hostilités commenceraient aussitôt.*
* Voir le texte de l’ultimatum dans l’article de Henri Klein, Autres documents, Feuillets d'El-Djezaïr 1912, https://athar.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1912_num_3_1_986
Les autres points des demandes françaises furent-ils vraiment soumis au dey ? Tous les auteurs anciens les mentionnent :
« Que tous les objets de toute nature, propriété française et embarqués sur les navires ennemis de la régence ne puissent être saisis.
Que les bâtiments portant pavillon français ne puissent plus être visités par les corsaires d Alger.
Que le dey par un article spécial ordonne l’exécution dans le royaume d’Alger des capitulations [traités] entre la France et la Porte Ottomane.
Que les sujets et navires des Etats de la Toscane, de Lucques, de Piombino et du Saint-Siège soient regardés et traités comme les propres sujets du roi de France.
Certains auteurs ajoutent la renonciation du dey à toute réclamation sur les créances Bacri ( ?).
Mais il est possible qu’aucune note en ce sens ne put être présentée au dey qui refusa les excuses, préalable à toute autre négociation.
Au reçu de l’ultimatum sur les excuses, le dey déclara que ce qui était demandé était digne d’un malade mental bon à enfermer à l’asile, et plus drôlement il déclara (parait-il) « je m’étonne qu’on ne me demande pas aussi ma femme ».
Des auteurs anciens font état d’une réponde modérée de Hussein. Celui-ci rejetait le blâme sur Deval : « Il proposait qu'un Français sérieux vienne faire sur place une enquête : « Il se convaincra que ce consul intrigant ne convient ni à vous ni à nous. Jusqu'à nomination d'un consul expérimenté, il ne sera prêté aucune considération à des propos composés de pareilles paroles injurieuses (...) Si vous envoyez un homme [compétent] dans les vingt-quatre heures, comme il est écrit ci-dessus, la situation peut s'éclaircir, sinon nous entrerons dans l'état d'hostilité de fait » (d’après P.-A. Julien - les citations du dey sont celles figurant dans sa lettre au grand vizir dans laquelle il rapporte sa réaction à l’ultimatum).
Le dey aurait aussi rappelé ses autres griefs envers la France, outre les mauvaises relations avec Deval et les lettres sans réponse concernant l’affaire Bacri : protection française accordée en violation des traités aux navires de puissances qui n’ont pas signé d’accord avec Alger, fortification du comptoir de La Calle. Il existe semble-t-il une réponse écrite du dey*, mais contient-elle ces arguments ou les a-t-il exposés oralement devant le comte de Latour qui les a rapportés ?
* Pour cette précision (sans le texte de la réponse), voir https://athar.persee.fr/doc/feldj_1112-0649_1912_num_3_1_986. Plantet se trompe donc en disant : « Hussein, se souvenant d’avoir impunément bravé l’Angleterre quelque temps auparavant, refusa toute satisfaction ; il qualifia de ridicules les demandes du Commandant [Collet] et ne lui fit pas de réponse. »
« Le 15 juin [le 16 selon d’autres sources], le capitaine Collet déclara la rupture des négociations et l'état de guerre. Le blocus d'Alger commença » (Camille Rousset, La conquête d'Alger)
On laissera de côté la question de savoir si c’est le dey qui a déclaré la guerre ou le contraire (Laborde en parle de façon assez polémique sans sa brochure reprochant au ministre français d’avoir parlé d’une déclaration de guerre du dey) - en tout état de cause la déclaration de guerre était implicite (il s’agit plus d’hostilités de fait que de guerre ouverte).
Beaucoup d’auteurs anciens, Laborde le premier, ont trouvé excessives et difficilement acceptables les demandes d’excuses de la France. Ils ont rappelé que Louis XIV n’en avait pas fait autant après que le consul français, le père Le Vacher, ait été exécuté attaché à la bouche d’un canon - mais un ambassadeur d’Alger était venu s’excuser à Versailles après l’affaire du consul Le Vacher - il est vrai qu’aucune excuse ne fut demandée après l’exécution du consul Piolle et d’autres Français quelques années après ; le conflit se termina par un traité de paix.
On notera que les contemporains étaient à peu près sûrs que le dey ne consentirait pas aux excuses. Pourtant on avait pris soin de ne pas lui demander de venir en personne présenter des excuses.
Faut-il voir dans la demande d’excuses ainsi formulée une intention de rendre celles-ci impossibles et donc de précipiter la rupture ? C ’est l’avis de Amar Hamdani (La Vérité sur l'expédition d'Alger).*
* Il parle de conditions « certainement » dictées par Deval à Collet ; ces conditions étaient inacceptables et Deval le savait bien...
Le dey ordonna au bey de Constantine de détruire les comptoirs français à La Calle et à Bône. Selon certains auteurs, les employés menacés de violences, furent embarqués in extremis sur deux navires français. On se souvient que le dey avait promis de ne pas inquiéter les Français, mais son point de vue avait sans doute changé avec l’ultimatum reçu. Le fort de La Calle fut rasé et selon certains on y trouva seulement 6 vieux pierriers (canons archaïques)*.
* A noter et sans entrer dans une discussion que certains auteurs remarquent que les traités permettaient aux Français de fortifier leurs comptoirs et d’y mettre une garnison.
NB. J'avais pensé insérer dans cette partie des réflexions sur l'éventuelle culpabilité de Deval dans l'affaire du paiement des créances Bacri et plus largement sur les aspects frauduleux de l'affaire (toujours évoqués mais difficiles à établir) mais ce sera pour plus tard, afin de ne pas allonger ce message.