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Le comte Lanza vous salue bien
19 décembre 2023

ALGÉRIE ET FRANCE, TROIS SIÈCLES DE RELATIONS AVANT 1830 PARTIE UN : SEIZIÈME ET DIX-SEPTIÈME SIÈCLES

 

 

ALGÉRIE ET FRANCE, TROIS SIÈCLES DE RELATIONS AVANT 1830

PARTIE UN : SEIZIÈME ET DIX-SEPTIÈME SIÈCLES

 

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit.]

 

 

 

 

Cette étude et les suivantes constituent une suite de nos précédentes études sous le titre Alger au temps des deys, des corsaires et des esclaves.

Mais elles sont particulièrement consacrées aux relations entre la France et Alger (ou l’Algérie) du 16 ème au début du 19 ème siècle, avant l’intervention française de 1830, d’où le titre choisi.

Faut-il parler d’Algérie à cette époque ? Sujet polémique que nous ne traiterons pas directement. Pour les Français d’autrefois, le territoire soumis aux dirigeants installés à Alger est appelé, sans grande cohérence, royaume d’Alger, république d’Alger ou régence d’Alger, terme qui finit par s’imposer*. Dans tous les cas cette variété d’appellations résulte du fait que le dirigeant installé à Alger n’est pas un roi héréditaire (soit il est nommé par le sultan ottoman, soit il est élu par le divan à partir du 17 ème siècle) – même élu, il reste théoriquement vassal du sultan.

                                                                                                       * On trouve aussi une expression intéressante, ville et royaume d'Alger (par exemple dans le traité avec la France de 1689), et même ville et royaume d’Alger d’Afrique (ou de Barbarie)  dans les correspondance des deys vers 1710.

 

Pour ces études nous nous fondons largement sur le livre de Henri-Delmas  de Grammont, Histoire d'Alger sous la domination turque (1515-1830), 1887. Un spécialiste récent de l’histoire des empires coloniaux,  Jacques Frémeaux a fait l’éloge de ce livre lors d’une réédition  : « Ce travail érudit, écrit à la fin du XIX ème siècle à partir de la documentation occidentale est resté, jusqu'à aujourd'hui, la seule chronique complète en français qui embrasse les trois siècles de l'Algérie turque. ». Nous utilisons aussi fréquemment le recueil des correspondances entre les deys d’Alger et la cour de France* d’Eugène Plantet (1889). Tout passage entre guillemets sans mention d’origine est extrait de Grammont. Toutefois Grammont était un homme de son époque ; son livre mérite certainement d’être complété par des faits qu’il a méconnus (notamment faute d’accéder à des sources turques ou arabes) et certaines de ses appréciations résultant de l’idéologie coloniale doivent être mises en perspective, comme l’indique Lemnouar Merouche dans son introduction à la réédition du livre de Grammont en 2002. La même remarque vaut pour les commentaires de Plantet.

 

                                                                                                            *  Au sens large d’autorités françaises : par exemple, on trouve les correspondances avec le conseil municipal de Marseille etc.

 

 

 NB : Dans les citations de Grammont, nous reprenons évidemment son orthographe, notamment pour les transcriptions de mots turcs ou de noms propres, qui peuvent différer des transcriptions admises couramment aujourd'hui.

 

 

 

PREMIÈRES RELATIONS

 

 

La France et l’Algérie, pour utiliser le nom moderne du pays, ont eu des relations suivies depuis longtemps, facilement compréhensibles en raison de leur position géographique. Malgré la différence d’appartenance religieuse, ces relations semblent avoir été longtemps paisibles.

« Tous les historiens sont d’accord pour dire que les étrangers jouissaient au nord de l’Afrique, avant la fondation de la République d’Alger [la régence], de la plus grande sécurité » . En 1482, Louis XI écrivait  au Roi de Tunis, de Bône et de Bougie, pour lui exprimer son désir « de voir continuer et se développer les relations qui existaient entre la Provence et l’Afrique du temps du Roi René, son oncle » ((Eugène Plantet, Correspondance des deys d’Alger avec la cour de France, 1579-1833, 1889    https://www.cnplet.dz/images/bibliotheque/Autres/Correspondance-des-Deys-d-Alger-avec-la-Cour-de-France-Tome-1.pdf) *

                                                                                                         * Cette édition numérique commode comporte quelques erreurs de transcription (par ex. Louis XIII là où il faudrait Louis XIV etc).

 

Au 16 ème siècle, l’expansion de l’empire ottoman pouvait être pour la France une cause de danger. Mais du fait que l’empire ottoman et la France avaient un ennemi commun, l’empire espagnol, une alliance pas toujours paisible ni fiable finit par s’établir entre la France chrétienne et l’empire musulman, matérialisée par les premières Capitulations en 1535-36 (ce terme signifie à peu près traité et non capitulation au sens militaire*)

                                                                                                        * Il semble que ces Capitulations ne furent pas officiellement signées mais s’appliquèrent néanmoins et furent ensuite périodiquement renouvelées.

 

 Dès lors la France pouvait prétendre à une position privilégiée (ou pensait pouvoir y prétendre) dans les territoires relevant de l’empire ottoman, dont la régence d’Alger. Mais la France s’aperçut vite que dans les faits, Alger possédait une grande autonomie qui rendait presque caducs, sur place, les accord entre la France et l’empire ottoman : «  Les lettres des Souverains de la Jenina [le palais des dirigeants de la régence d’Alger] témoignent, pour la plupart, du peu de cas qu’on faisait à Alger des recommandations adressées par le Sultan à ses vassaux » (E. Plantet, ouv. cité).

 

Depuis les années 1540, la France avait eu des relations suivies avec  Kheïr-ed-Din (Kheïr-Eddine ou Khayr ad-Dîn) Barberousse, mais ce n’était pas en tant que beylerbey d’Alger, mais de chef de la flotte ottomane (Kapitan ou Kapudan pacha) : Kheïr-ed-Din fut reçu fastueusement à Marseille et participa aux côtés des Français au siège de Nice, alors possession des ducs de Savoie (1543), sa flotte hiberna à Toulon (vidé au préalable de ses habitants !) à la même époque (voir première partie). En 1552 Henri II envoya à Alger le Chevalier d’Albisse pour inviter le beylerbey à attaquer les côtes d’Espagne. Sala Reïs quitta Alger en juin 1553 avec quarante navires de guerre pour attaquer les Baléares, sans doute en exécution de ce plan, tandis qu’à la même époque le fameux corsaire turc Dragut coopérait  avec la flotte française de Paulin de la Garde en bloquant les galères espagnoles du duc d’Albe. Français et Ottomans attaquaient ensemble la Corse, possession de Gênes, alliée de l’Espagne, en 1553.  

 

 

UN ROI FRANÇAIS À ALGER ?

 

 

On peut citer un épisode absolument sans conséquence pratique : en 1572, Catherine de Médicis eut l’étrange idée de faire demander au sultan ottoman la souveraineté d’Alger pour son fils le duc d’Anjou, futur Henri III*. 

                                                                                                                        * On sait que le duc d’Anjou finit par être élu roi de Pologne en 1574, qu’il y resta quelques mois avant de quitter en cachette son pays d’adoption à l’annonce de la mort de son frère Charles IX (1575), qui lui ouvrait par droit de succession l’accès au trône de France.

 

L’initiative venait, semble-t-il,  de la population d’Alger elle-même (c’est-à-dire les Maghrébins auxquels s’ajoutaient des musulmans ayant fui l’Andalousie dans les suites de la reconquête espagnole) ; ces habitants étaient exaspérés par le comportement des Turcs qui formaient la caste dirigeante de la régence, avec l’odjak ou milice des janissaires et la taïfa (corporation) des raïs ou reïs (capitaines corsaires) ; à ces Turcs d’origine s’ajoutaient déjà nombre de renégats chrétiens, tous se conduisant comme des maîtres à Alger.  « Les indigènes épouvantés par la menace d’un débarquement [espagnol], excités d’autre part par les vexations continuelles auxquelles les avait soumis la tyrannie des Janissaires, avaient cru devoir prendre une résolution extrême, et ils avaient fait savoir aux autorités de Marseille qu’ils étaient prêts à accepter le protectorat de la France » (E. Plantet, ouv. cité).

Quelle probabilité y avait-il que ce plan réussisse, même en admettant que le prince français se déclare vassal du sultan, ce qui était la condition implicite de l’opération ? Un peuple musulman pouvait-il avoir à sa tête un prince chrétien dans le contexte de l’époque ? L’ambassadeur de France fit son possible pour dissuader la reine-mère de son projet, mais il finit par le présenter au sultan, qui fit lanterner l’affaire jusqu’à ce qu’on l’oublie.

 

 

DÈBUTS DU CONSULAT DE FRANCE

 

 

En avril 1579, le premier document connu relatif aux relations de la France avec les dirigeants d’Alger (à moins que des documents antérieurs à cette date aient disparu, ce qui est plausible) est une lettre de Hassan Veneziano, qui s’intitule pacha d’Alger*, adressée aux « Magnifiques Seigneurs », « M.M. les consuls et gouverneurs de la ville de Marseille », à propos de la nomination d’un consul français que Hassan Veneziano ne veut pas envisager malgré « l’affection que nous portons à la Majesté de Henri III, notre cher ami et votre Roi », s’excusant sur la « répugnance » de la population (pourquoi ?). Mais il assure que si la ville de Marseille demande « des choses qui seront dans nos habitudes et conformes à nos devoirs, nous ne manquerons pas de sous montrer la bonne volonté que nous avons de vous faire plaisir » (lettre dans le recueil précité d’E. Plantet).

                                                                                                            * Le renégat et capitaine corsaire Hassan Veneziano exerça l’intérim (khalifa ou lieutenant) du beylerbey en titre, Euldj Ali, à deux reprises, mais il ne semble pas qu’il ait porté le titre de pacha (gouverneur) – c’est peut-être le traducteur qui lui donne ce titre pour simplifier.

 

A l’époque il semble que la ville de Marseille avait qualité pour nommer des consuls dans les ports du Levant et de Barbarie (Afrique du nord) – vraisemblablement en accord avec le roi ; plus tard les attributions en matière consulaire passeront de la ville à la chambre de commerce (créée sous Henri IV) mais celle-ci ne sera que progressivement distinguée de la municipalité.

Le principe de la nomination d’un consul avait été accepté par la Porte ottomane*, mais Alger renâclait. Le consul finit par s’installer quelque temps après. Souvent le titulaire, absent, était représenté par un vice-consul.

                                                                                                                 * La Porte ottomane, la Sublime porte, la Porte tout court, étaient des désignations en Occident pour le gouvernement ottoman – certaines resteront en vigueur jusqu’au milieu du 19 ème siècle. Le sultan était souvent appelé le Grand Seigneur, voire le Grand Turc.

 

Dans tous les cas cette position restait précaire et le consul ou vice-consul était exposé à des mauvais traitements et à la prison : « ... le P. Bionneau, religieux de l’ordre de la Trinité, que la Milice s’empressa de maltraiter et de mettre aux fers ; (...) Jacques de Vias, ancien maître des requêtes de Catherine de Médicis, qui, pendant son séjour dans la Régence, fut trois fois jeté en prison. La raison d’État empêcha seule Henri IV de venger ces premiers affronts. Il avait, en effet, le projet de s’allier aux Algériens, pour favoriser en Espagne le soulèvement des Maures et renverser le trône de Philippe II » (E. Plantet).

En 1597, Amurat bey, capitaine général des galions d’Alger, demande aux consuls et gouverneurs de la ville de Marseille, d’intervenir en faveur de la  libération de « Musulmans qui sont détenus sous votre pouvoir, aux galères de Marseille ». Puis Amurat évoque longuement une sombre histoire concernant un certain  Pierre Pascal « se disant domestique (...)  du Seigneur de Montmorency », qui avait reçu l’autorisation de faire «  une grande levée de chevaux » dans la régence et en repartant, enleva le barbier d’Amurat, « que j’avais acquis esclave aux galères de Florence » et un autre esclave cordonnier. Aussi  Amurat s’en vengé de ce vol sur le consul (sans doute en le jetant en prison) et sur « ceux du Languedoc » (des marchands qui n’avaient rien à voir avec l’affaire !).

Il menace de continuer s’il n’apprend pas que le nommé Pierre Pascal a été puni et conclut : « Et avec ce, ne vous ferons plus long discours, nous offrant entièrement au service de Vos Grandeurs. Vous baisant les mains, prions Dieu vous avoir en sa garde. Votre très affectionné ami, AMURAT BEY. »

Les lettres de cette époque adressées par les dirigeants de la régence aux consuls (ici le mot désigne les dirigeants municipaux) de Marseille sont remplies de formules d’amitié. Evidemment les formules de politesse sont celles des traducteurs qui adaptent probablement les formules originales.

 

 

LE BASTION DE FRANCE

 

 

Les relations commerciales – qui n’étaient pas considérables - entre la France et la régence d’Alger étaient aussi en partie fondées sur l’existence d’un établissement nommé le Bastion de France.

Cet établissement fut créé en 1561* près de la frontière tunisienne, par un négociant du Cap corse établi à Marseille, Tommaso Lenciu, qui avait francisé (ou provençalisé ?) son nom en Thomas de Lenche, Avec son associé Carlin Didier, ils avaient obtenu du sultan ottoman Selim II, moyennant une redevance, le droit d’exploiter le rivage près de Bône, avec privilège de pêcher le corail (dès 1478 les marins provençaux avaient obtenu le droit de pêche dans cette zone, droit expressément reconnu par l’empire ottoman en  1518 et confirmée par les Capitulations de 1535). Lenche et ses parents créent la Magnifique Compagnie du corail, mais les commerçants du Bastion de livrent à des activités variées d’import-export.

                                                                                                              * Selon Wikipédia en 1552 ?

 

L’établissement finit par avoir plusieurs implantations – le Bastion proprement dit (un fortin) était à 12 lieues de Bône (construit en 1628 seulement ?) et il y avait des magasins à Mers el Kharaz (La Calle), au cap Nègre, à Bône, au cap Rose et à Collo.  La principale ( ?) implantation  paraissant être celle du lieu-dit  La Calle, appelé en arabe Mers El Kharaz et par les pêcheurs provençaux Marcarèse, puis « La Calle de Marcarèse », abrégé finalement en La Calle (du provençal cala signifiant crique, abri, port naturel (cf. les calanques, Callelongue). Les Arabes appelaient la ville El Kala, nom qui fut repris à l’indépendance.

 

Les Lenche jouissent de la protection du beylerbey Euldj Ali qui leur permet d’évincer une compagnie concurrente en 1577.

Les Lenche s’impliquent dans la vie politique marseillaise très agitée à l’époque, au point que le neveu du fondateur du Bastion, qui lui a succédé à la tête de la Compagnie du corail, Antoine de Lenche, second consul de Marseille* est assassiné lors des troubles entre catholiques ultra (Ligueurs) et modérés (partisans de Henri III, puis Henri IV) consécutifs aux guerres de religion (1588).

                                                                                                              * Le premier adjoint au maire en quelque sorte. La fille d’Antoine de Lenche épousa en 1592 Honoré Riquetti de Mirabeau, l'ancêtre du fameux Mirabeau de la Révolution et s’allia à de nombreuses familles de la noblesse provençale. La place de Lenche à Marseille (quartier du Panier), nom donné dès le 16 ème siècle, rappelle encore de nos jours l’histoire de cette famille.

 

En 1604 l’établissement assez modeste construit par les Lenche fur détruit par les Turcs de Bône. Le sultan, sur les représentations de l’ambassadeur de France, reconnut de nouveau le Bastion mais les autorités d’Alger n’en tenaient pas facilement compte.

 

 

LE PREMIER 17 ème SIÈCLE : VIOLENCES ET TRACTATIONS

 

 

Au 17 ème siècle, les relations entre la France et Alger vont aller de l’amitié à la guerre ouverte en passant par des situations intermédiaires. Des traités de bonnes relations sont signés mais ils n’empêchent pas des incidents de se produire de part et d’autre, qui peuvent déboucher sur des conflits ouverts. Les situations de guerre vont être marquées par des bombardements d’Alger à diverses reprises, des tentatives de débarquement et l’assassinat de Français, dont par deux fois le consul de France. Si les responsabilités des conflits sont partagées, il est indéniable que la régence (et sa caste dominante) a besoin de la course (capture des vaisseaux et des équipages) et des razzias des zones côtières de la rive nord de la Méditerranée pour se procurer des moyens de subsistance, ce qui n’encourage pas au respect scrupuleux des traités.

 

Dans les premières décennies du 17 ème siècle, les corsaires d’Alger, malgré les remontrances du sultan, actionné par l’ambassadeur de France auprès de la Porte, se livraient à des attaques nombreuses contre les bateaux français (essentiellement provençaux et surtout Marseillais) et les côtes de Provence et du Languedoc, comme ils le faisaient pour les bateaux des autres pays européens et les côtes italiennes et espagnoles  - mais les Français considéraient que les Capitulations signées avec l’empire ottoman auraient dû les protéger.

Les envoyés français à Alger risquaient parois leur vie : « M de Brèves arriva à Alger escorté par Mustapha Agha, capidji de la Porte ; cet envoyé était muni d’un firman [décret en quelque sorte] du sultan qui ordonnait aux Barbaresques de respecter les Capitulations et de faire droit aux revendications de la France. (...) [M. de Brèves raconte qu’il ] trouva la ville dans un désordre affreux ; le port était en ruines, les Janissaires faisaient absolument tout ce qu’ils voulaient, les reïs déclaraient que tout vaisseau étranger était de bonne prise et qu’ ils s’empareraient de leur père lui-même (...) Le Divan [réunion des représentants des janissaires auxquels s’ajoutèrent progressivement ceux de la corporation des raïs et quelques notables civils ou religieux] s’assembla sur la demande du capidji qui y donna lecture du firman impérial ; il y était ordonné de mettre en liberté les captifs français, de restituer les prises et de reconstruire le Bastion. Une émeute violente éclata dans l’assemblée (...) Mustapha Agha fut hué, menacé de mort et chassé de l’enceinte. On braqua les canons de la Marine sur le vaisseau de M. de Brèves  (..) Ils [les janissaires et les raïs] voulaient faire assassiner tout le personnel de la mission qu’ils engagèrent traîtreusement à débarquer ... »

Vers 1605, « les Algériens apprirent que l’équipage d’un corsaire captif des Espagnols avait été arrêté en France pendant qu’il s’enfuyait et était détenu à Marseille. La foule se précipita au consulat et s’empara de M. de Vias qui ne put recouvrer sa liberté qu’au bout de huit mois et à prix d’or. »

« En 1617, les sieurs Glandevès et Bérengier ramenèrent à Alger quarante captifs musulmans pour les échanger contre des esclaves français. Ils eurent l’imprudence de débarquer leurs otages avant de procéder aux échanges, furent injuriés et chassés du Divan, et furent obligés de se rembarquer en toute hâte pour mettre leur vie en sûreté. »

Une assez longue négociation permit d’aboutir à un traité de paix qui allait se trouver compromis de la façon la plus radicale.

 

 

 Stoopendael_Algiers_1680s

Bastiaen Stopendael (1636–1707), De Stadt Algiers / La Ville d'Alger, gravure sur cuivre colorée, vers 1680/1690. La gravure représente probablement la démonstration de force de la flotte des Provinces-Unies (Pays-Bas) commandée par l'amiral Ruyter, contre Alger en 1662 (tous les navires portent le pavillon tricolore néerlandais). 

Rijksmuseum, Amsterdam, Pays-Bas.  

Wikipédia, art. Régence d'Alger

 

 

 

 

LA PAIX ET LE MASSACRE DE MARSEILLE

 

 

 

Vers 1610, un certain Simon Dansa ou Danser, corsaire d’Alger d’origine flamande, qui semble-t-il n’avait pas eu besoin de se convertir, abandonna le camp d’Alger et obtint le pardon du roi de France. Il se mit au service de la ville de Marseille. Ce fait n’aurait pas eu une grande importance sinon que Dansa, en partant, avait emporté deux canons que le gouvernement d’Alger lui avait prêtés ; le divan fut extrêmement irrité de ce larcin. Dansa offrit les deux canons au duc de Guise, gouverneur de la Provence.

Lorsque le traité de paix fut signé en 1619, le divan souleva de nouveau la question de la restitution des canons qui n’avait pas été abordée dans le traité. La ville de Marseille proposa alors de racheter les canons au duc de Guise et de les offrir aux dirigeants d’Alger. Mais sur ces entrefaites, on apprit à Marseille un drame qui provoqua la colère de la population :

« Dans les derniers jours du mois de février 1620, un des plus actifs et des plus cruels corsaires d Alger, Regeb Reïs, croisait dans le golfe du Lion lorsqu’il aperçut une polacre de Marseille commandée par le capitaine Drivet qui revenait d’ Alexandrette avec une cargaison de la valeur de cent mille écus. Il accosta ce bâtiment, qui ayant eu nouvelle de la paix récemment conclue, naviguait sans aucune défiance ». Le pirate s’empara sans combat du navire, « après quoi, pour ensevelir à jamais toutes les traces de son crime, le bandit donna l’ordre de saborder le navire et de massacrer l’équipage qui se composait de trente-six personnes (...)  Mais pendant le carnage, deux jeunes matelots s’étaient cachés à fond de cale et étaient parvenus à se dérober aux regards des assassins. Après le départ de ceux-ci, ils furent assez heureux pour réussir à aveugler les voies d’eau ».

Ils parvinrent à rejoindre Marseille non sans difficultés, s’étant échoués sur les côtes de Sardaigne d’où ils se firent rapatrier à Marseille. « il y avait à peine quelques heures qu’ils étaient débarqués que l’horrible drame était déjà connu dans toute la ville. Il y avait longtemps que la rumeur publique accusait les Algériens de faire subir ce traitement barbare aux bâtiments français qu’ils rencontraient mais jusque-là les preuves avaient fait défaut. »

Or, se trouvaient à ce moment à Marseille les ambassadeurs d’Alger qui avaient négocié le traité de 1619 et leur suite, plus une cinquantaine de musulmans attendant le passage pour Alger. Une foule de Marseillais s’assembla et attaqua l’immeuble où les musulmans étaient logés aux frais de la ville – les consuls (la municipalité) essayèrent d’intervenir mais inutilement : la plupart des musulmans fut massacré après qu’on ait mis le feu à l’immeuble, les consuls furent « eux- mêmes menacés de mort et réduits à se retirer et ne purent arracher que douze des victimes au sort fatal qui les attendait, les quarante-huit autres furent massacrés par la foule ou noyés dans le port ». Les autorités donnèrent des ordres pour punir les coupables : « un arrêt du Parlement de Provence rendu à Aix le 21 mai 1620 condamna à mort quatorze des coupables, quelques autres furent envoyés aux galères et le reste des inculpés subit des châtiments corporels ».*

                                                                                         * En fait, « Quatorze séditieux furent condamnés à mort ; un seul fut exécuté, les autres n’ayant pu être saisis. On les exécuta en effigie ; quelques complices reçurent le fouet, d’autres furent condamnés aux galères. » (E. Plantet)

 

A Alger, la nouvelle de ce qui s’était passé à Marseille se répandit et l’indignation fut générale : le pacha et le divan écrivirent aux consuls de Marseille pour demander des explications sur une violation du caractère sacré des ambassadeurs et indiquer qu’ils auraient volontiers châtié Regeb Reïs (l’auteur du massacre des marins marseillais) et un autre personnage sans doute impliqué dans l’affaire, mais on ne pouvait mettre la main  sur eux.

 

 

LA PAIX ROMPUE

 

 

Les consuls répondirent qu’ils avaient dû faire face à une « sédition populaire » et insistèrent sur « les efforts qu’ils ont fait pour la calmer au hasard de leur propre vie ». Ils indiquaient que les coupables avaient été châtiés (ce qui était en partie seulement exact) et terminaient « en manifestant l’espoir que ce malheur ne modifiera en rien les conditions de la paix ».  Un émissaire d’Alger fut envoyé à Marseille mais le malheur fut qu’il fut capturé par une galère de Toscane, bien que les autorités françaises mirent tout en œuvre pour le faire délivrer.

« Le 8 août, une émeute formidable éclata à Alger, le consul et les résidents français furent traînés au Divan et il fut un instant question de les brûler vifs. Les reïs armèrent leurs navires et sortirent du port, décidés à faire une guerre sans merci. Le commerce français essuya des pertes d’autant plus grandes que tous les vaisseaux marchands étaient sortis des ports sur la foi du nouveau traité. » « ... le nouveau personnel des Établissements [du Bastion de France] fut massacré ou fait captif... »  Les représailles des galères de France furent insuffisantes pour faire cesser les attaques des corsaires.

Un envoyé de la Porte ottomane essaya de faire revenir les janissaires et raïs vers des comportements plus pacifiques. Il rend compte par des lettres de 1623 de ses efforts (inutiles) aux consuls de Marseille : « ... pour cinq sols, ils [les janissaires] feraient mourir leur père ; (...) ce ne sont pas des hommes ; ils sont pires que diables (...) Les pieds commandent à la tête ». Il termine en demandant aux Marseillais de lui envoyer du tissu pour habiller les hommes de sa suite. « Ce faisant, vous m’obligerez de plus en plus à vous faire servir. »

Pendant ce temps comme par la suite, Alger doit aussi affronter les opérations d’autres puissances européennes : une flotte hollandaise vient exiger la libération des captifs (esclaves) hollandais en menaçant de pendre des captifs d’Alger, si aucune réponse favorable n’était donnée avant une certaine heure. A l’heure dite le commandant hollandais fit pendre ses captifs aux vergues de ses navires puis mit à la voile. Il revint deux jours après avec le même ultimatum pour d’autres captif d’Alger qu’il détenait. Une émeute populaire contraignit le divan à accepter l’échange de captifs.

Le divan d’Alger (émanation de la milice et des raïs) alterne les comportements hostiles et les protestations amicales envers ses interlocuteurs marseillais, les saluant en termes très aimables voire exagérés :

« LE DIVAN D’ALGER A M.M. LES CONSULS ET GOUVERNEURS DE LA VILLE DE MARSEILLE, Alger, le 25 avril 1623.

Glorieux parmi les grands des chrétiens, choisis entre les principaux de la loi du Messie, dominateurs des différents du peuple nazaréen, Gouverneurs des Français, que vos destinées s’accomplissent heureusement ! »

 

 

SANSON NAPOLLON OU LE NÉGOCIATEUR DE CHARME

 

 

Richelieu ayant constaté que la manière forte ne réussissait pas envoya à Alger un homme habile, le Corse Giudicelli qui avait adopté le nom de Sanson Napollon, qui avait déjà été consul à Alep. Ce dernier, arrivé à Alger en 1626, distribua des gratifications et des cadeaux, fit rendre la liberté à des esclaves musulmans sans rançon, racheta les Français esclaves à Alger, dépensa en tout 300 000 livres.

« Il tint table ouverte pour les principaux d’entre les reïs et réunit autour de lui tous ces redoutables chefs de la Taïffe qui étaient les véritables rois d’Alger, les Morat Reïs, Hassan Calfat Ali, Arabadji Soliman Reïs, Ali Bitchnin ». «...  il leur plaisait personnellement par sa générosité, ses manières ouvertes et son audace aventureuse », il leur répétait le mot attribué à Kheïr-ed- Din : « Si tu te brouilles avec les Français, fais la paix avant le soir » ou encore « Le Français peut cuire sa soupe chez lui et venir la manger chaude à Alger ». Il ramena à Alger les deux fameux canons de Simon Dansa qui avait été à l’origine des événements conduisant à la rupture des relations et rapatria les prisonniers algériens détenus en France, non sans mal.

Le sultan intervient pour presser les Algériens à accepter la paix, qui est annoncée par une lettre du pacha d’Alger au duc de Guise, gouverneur de Provence :

« HOSSEIN, PACHA D’ALGER, A Mgr LE DUC DE GUISE, GOUVERNEUR ET LIEUTENANT DU ROI EN PROVENCE. Alger, le 1er août 1627. Au plus puissant entre les Seigneurs de la loi du Messie, glorieux parmi les plus grands de la croyance de Jésus, celui qui est Vizir de l’Empereur de France, Monsieur de Guise, que Dieu Très-Haut conserve ! Après vous avoir salué avec l’honneur requis, nous vous ferons connaître la teneur des sublimes et sacrés Commandements du très haut et très magnanime Empereur et Sultan, — Dieu protège et augmente sa puissance !  (...) Avec l’aide de Dieu Très-Haut, les deux canons et les esclaves Musulmans sont venus [ont été rapatriés] ; soyez donc assuré qu’il n’y aura plus aucun manquement aux lois de Dieu. (...) Ainsi notre paix sera avec toute sûreté comme entre frères ; (...). Il sera fait expresse défense aux Capitaines des galères et des navires qui iront en course, et rencontreront les vaisseaux Français, de les molester, mais ils leur feront toutes caresses et donneront avant de partir bonne caution, afin que nos amis ne puissent être troublés. Comme aussi nos navires allant à vos pays feront les mêmes caresses. Et pour le fait du Bastion, sera fait suivant votre désir, etc

Écrit de la puissante Ville d’Alger, le 1er août 1627. (Sceau) HOSSEIN Pacha d’Alger.»

 

 

« VIVEZ COMME FRÈRES ET BONS AMIS ...»

 

 

Les autorités d’Alger comptaient beaucoup sur « le seigneur Sanson » qui faisait le va-et-vient entre la France et Alger.

En 1628, grâce à Sanson Napollon, un nouveau traité de paix fut signé, aboutissant à une normalisation des relations entre la France et la régence d’Alger. Sanson Napollon se voyait reconnaître comme capitaine-gouverneur du Bastion à la demande même du divan, et un traité parallèle réglait les relations d’Alger avec le Bastion.

Ce traité fut approuvé par le divan en présence de Sanson Napollon – lors de l’assemblée on lut un message du sultan qui disait aux gens d’Alger : « vous avez vécu avec les François comme frères, mais à cause de quelques méchants hommes parmi vous qui ont commis des actes contre le devoir et la justice, avez réputé les dits François comme ennemis ; maintenant que tout le passé soit passé et sans que vous vous ressouveniez plus des injures, vivez comme frères et bons amis. »  Tous les membres du divan se déclarèrent « contents » et affirmèrent qu’ils voulaient « obéir aux Commandements de notre Empereur, étant ses esclaves ».

« Les Algériens s’engageaient à vivre en paix avec la France et à respecter son littoral et ses navires, à ne pas tolérer que les marchandises ou les personnes capturées sur les bâtiments français fussent vendues dans leurs ports ; il était permis aux marchands de la nation [française] de résider à Alger sous la protection et la juridiction de leur consul avec pleine reconnaissance de leurs droits et du libre exercice de leur religion, les vaisseaux que le mauvais temps contraignait à chercher un abri dans un des ports de la côte devaient y être secourus et protégés ; enfin les concessions françaises du Bastion et de La Calle étaient formellement reconnues » (Grammont).

Le traité prévoyait que lorsque des esclaves musulmans s’étaient enfuis d’autres pays chrétiens en France, il « leur sera donné libre passage pour revenir à Alger ». « Lorsque les navires d’Alger avec les français se rencontreront, s’estant reconnus, se donneront des nouvelles réciproquement comme vrais et bons amis ». Si des navires français transportant des marchandises des ennemis du Grand Seigneur (le sultan) sont saisis, ils seront conduits à Alger, où leur cargaison sera confisquée mais en leur payant le nolis (l’affrétement) et ils s’en retourneront, après avoir été invités à ne plus transporter les marchandises des ennemis du sultan. Si on prend sur un vaisseau appartenant aux ennemis du sultan, des Français mariés ou habitant dans le pays ennemi, « ils seront esclaves comme ennemis », mais ceux qui sont « natifs des pays ennemis d’Alger, mais qui seront mariés et habitués [habitants] en France, ne pourront être faits esclaves », de même que les Français passagers sur les navires des ennemis du sultan (non habitants ni mariés dans ce pays, on suppose), ils « ne pourront estre esclaves pour ce qu’ils soient sujets dudit Empereur de France* [du fait qu’ils sont sujets du roi de France]. » (Traités de la France avec les pays de l’Afrique du Nord, Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, par E. Rouard de Card, 1906 https://www.cnplet.dz/images/bibliotheque/Histoire/Trait%C3%A9s-de-la-France-avec-les-pays-de-l-Afrique-du-nord.pdf)

 

                                                                                                                             * Dans les traités, le roi de France est qualifié d'empereur, selon la formulation adoptée par les ottomans, ce qui permet de le placer au même niveau que le sultan ottoman, qualifié de même d'empereur.

 

Comme on voit ces dispositions laissaient la possibilité de bien des cas litigieux et d’interprétations divergentes (comme tout traité d’ailleurs). De plus le principe que « le pavillon couvre la marchandise » (le pavillon de la nation amie doit protéger la marchandise même appartenant à un ennemi) n’était pas admis. Enfin la notion d’ennemis du sultan était dangereusement rapprochée de celle d’ennemis d’Alger – alors que ces notions ne se recoupaient qu’en théorie.

 

 

LA PAIX DIFFICILE

 

 

Les relations semblent alors idylliques entre la France et Alger.

IBRAHIM REÏS APARADJI, GÉNÉRAL DES GALÈRES D’ALGER, écrit A MM. LES CONSULS ET GOUVERNEURS DE LA VILLE DE MARSEILLE :

« Alger, le 8 janvier 1629. Aux plus glorieux parmi les Seigneurs de la loi du Messie, choisis entre les Grands de la croyance de Jésus, nous vous saluons du salut de paix. Si vous daignez savoir l’état de votre parfait ami [lui-même], il est maintenant, grâce à Dieu ! en bonne santé, et il prie le Très-Haut de vous combler de ses saintes grâces et bénédictions. Vous avez vu par nos dernières lettres l’affection et l’amitié que nous vous avons témoignées, vous assurant que je rendrai toujours envers tous les vôtres tous témoignages d’amitié (..) Et il ne s’offrira aucune affaire pour votre service que je ne fasse. » Ibrahim Reïs signale que les galères d’Alger ont été attaquées récemment par des ennemis et prie ses amis marseillais de lui envoyer du matériel pour les réparations. « Et j’aurai l’honneur de me dire toujours votre parfait ami, IBRAHIM, Capitaine d’Alger »

 

Evidemment des incidents se produisent et les dirigeants d’Alger assurent que les auteurs des voies de fait contre des navires français seront punis (à charge de réciprocité évidemment) : « Illustres Seigneurs, Élus parmi les grands de la croyance de Jésus, que la paix de Dieu soit sur vous ! Vous faisons savoir que la promesse à vous faite ne se peut dissoudre ni détacher, et que notre parole est une. Ceux qui vous molestent ne sont point des nôtres. Ce reïs impie [dont se sont plaint les responsables marseillais], dès qu’il sera venu, recevra la punition de sa perfidie (...)  tous ceux qui viendront vous molester seront rigoureusement punis ».

( lettre de HAMET-AGHA, colonel des janissaires du divan d’Alger, A M.M. LES CONSULS ET GOUVERNEURS DE LA VILLE DE MARSEILLE. Alger, mars 1629)

 

Mais une fois de plus la paix va voler en éclats et par le fait des Français* : des marins d’Alger dans une chaloupe demandèrent l’aide d’une barque de la Ciotat, se croyant protégés par la paix ; à peine à bord, ils furent massacrés par l’équipage ciotadin, d’autres faits prisonniers par un bateau d’Arles et vendus aux galères d’Espagne, enfin un otage algérien laissé à Marseille come garant de la paix, craignant pour sa sécurité probablement,  s’évada et raconta à Alger qu’il avait été maltraité (était-ce vrai ?).

                                                                                        * Grammont écrit : « les agissements barbares de quelques-uns de nos nationaux vinrent tout remettre en question et offrir aux déprédateurs un prétexte que ceux-ci se gardèrent bien de laisser échapper.»

 

L’indignation compréhensible grossissait à Alger mais l’influence de Sanson Napollon permit d’empêcher la rupture en promettant le châtiment des coupables. Mais en novembre 1629, le chevalier de Razilly sur une galère du roi de France ayant rencontré un vaisseau d’Alger, s’en empara et mit les Algériens à ramer sur sa chiourme. Cet acte d’un officier du roi était l’acte de trop et le consul français fut jeté aux fers tandis que les raïs attaquaient les navires français.

Sanson Napollon intervint de nouveau : il racheta la liberté de quelques équipages français et le consul fut libéré contre rançon ; ce dernier ne tarda pas à abandonner son poste (1631) en laissant le consulat aux mains de son chancelier Blanchard ; ce dernier provoqua des difficultés avec Sanson Napollon, qu’il accusait d’être plus ami des musulmans que des Français, voire même devenu renégat.

Napollon put se maintenir au Bastion et continua à chercher les moyens de rétablir la paix en plaidant pour la libération des captifs algériens. Il eut alors la curieuse idée de s’en prendre à l’île de Tabarka.

Cette île près de la frontière tunisienne était devenue possession génoise depuis les années 1543 (elle fit partie de la rançon payée par les Turcs pour libérer le célèbre corsaire Dragut, capturé par les Génois). La grande famille génoise Lomellini y avait installé des pêcheries de corail. Peut-être Sanson Napollon voulait-il éliminer des concurrents ? Avait-il le soutien de la cour de France ? Quoiqu’il en soit, son attaque de Tabarka tourna mal et il fut tué dans l’affrontement (1633).

Pendant ce temps, la régence devait affronter – comme très souvent – une situation troublée à l’intérieur et à l’extérieur : «  La Kabylie était de nouveau en pleine révolte et la guerre continuait avec Tunis* ». Les corsaires d’Alger ravageaient les côtes italiennes (y compris les îles dont la Corse) et espagnoles et lançaient même des opérations vers la mer du Nord et l’Atlantique – tandis que les côtes françaises arrivaient mieux à se défendre.

                                                                                                                    * Tunis était aussi une ville et un territoire soumis à une minorité de Turcs. De plus, les janissaires passaient indifféremment de l'Odjak d'Alger à l'Odjak de Tunis, et réciproquement (Pierre Boyer, La révolution dite des "Aghas" dans la régence d'Alger (1659-1671), Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1973).

 

 

 

L'APOGÉE DE LA « COURSE »

 

 

Néanmoins la guerre avec la France était source de prospérité pour Alger : « Le Père Dan raconte que depuis 1629 jusqu’à 1634, les Algériens firent subir au commerce français une perte de quatre millions sept cent cinquante-deux mille livres en lui capturant quatre-vingts vaisseaux dont cinquante- deux des ports de l’Océan et mille trois cent trente et un marins ou passagers dont cent quarante-neuf se firent musulmans ». Les corsaires d’Alger avaient à ce moment soixante-dix vaisseaux de quarante à vingt-cinq pièces de canon et au moins le double de petits bâtiments (selon le père Dan).

Avec les prises aux dépens des Anglais, des Hollandais, des Espagnols et le produit en butin et esclaves des razzias sur les rivages de la Méditerranée, les raïs amassaient d’immenses fortunes dont une part (par ruissellement en quelque sorte) enrichissait tous les habitants d’Alger,  bien que le peuple (à croire Grammont) « ne fît absolument rien et que la ville fût en état permanent d’émeute ». La population maghrébine était donc solidaire de la course au moins pour ce motif.

La cour de France (ici au sens de gouvernement) était partagée entre deux tendances : l’une était d’essayer d’éliminer définitivement le foyer de piraterie que constituait Alger, l’autre de tenter un raccommodement. La première possibilité demandait une mobilisation de forces qui n’était pas possible – surtout quand la France était en guerre contre d’autres puissances européennes. Il fallut se rabattre sur l’autre hypothèse.

Les interventions directes du sultan ne donnaient rien non plus : les capidjis ou émissaires du sultan étaient parfois reçus – bien ou mal – et parfois carrément interdits de débarquer par le divan des janissaires, mais de toutes façons leurs remontrances n’aboutissaient à rien. Vis-à-vis de la France, la situation était celle d’une quasi-guerre (comme avec les puissances européennes) qui n’empêchait pas les discussions. Cette situation dura quelques années.

 

 

 

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 Jean-Baptiste Van Mour, Habillement des principaux Barbaresques. Gravure extraite du Recueil de cent estampes representant differentes nations du Levant, 1707, Wikimedia Commons..

Jean-Baptiste Van Mour (1671 -1737), natif de Valenciennes, passa la seconde partie de sa vie à Istanbul qu'on appelait encore fréquemment Constantinople. Ses tableaux et gravures forment une documentation remarquable sur les façons de vivre et les costumes des dfférentes populations qui se côtoyaient dans la capitale de l'empire ottoman, malgré une technique picturale assez rudimentaire. La gravure ci-dessus représente l'habillement des "principaux" Barbaresques - il faut comprendre les chefs turcs des régences d'Afrique du nord. Il est probable que cet habillement n'est pas le costume turc ordinaire, mais un mélange d'éléments turcs (le turban) et nord-africains (le burnous avec des broderies).

 Wikipédia, art. Barbaresques.

 

 

 

TENTATIVES DE RACCOMMODEMENT

 

 

Le roi nomma comme successeur de Sanson Napollon aux établissements du Bastion un certain Sanson Le Page « premier héraut d’armes de France au titre de Bourgogne » (une qualification un peu surprenante compte tenu de la mission)  et le chargea de se rendre à Alger et d’y demander la restitution des captifs français (contre la libération des Turcs détenus en France) et des modifications au traité de 1628. Le Père Dan de l’Ordre de la Très Sainte Trinité pour la Rédemption [rachat] des captifs,  porteur d’une grosse somme destinée à des rachats, accompagnait Le Page (1634). Le P. Dan a laissé une relation de son voyage.

Le Page et Dan purent procéder au rachat d’esclaves français mais se heurtèrent au mauvais vouloir des autorités d’Alger pour le reste. Le pacha d’Alger – représentant le sultan ottoman – n’avait aucun pouvoir réel* mais en revanche conservait un pouvoir de nuisance - en l’occurrence le pacha fit lanterner les négociations de sorte que La Page repartit bredouille. La guerre continua et les côtes du sud de la France furent en état d’alerte ; la flotte française infligea des pertes aux corsaires– tandis que comme à l’accoutumée, ceux-ci attaquaient les côtes italiennes plus mal défendues et y faisaient des ravages.

                                                                                   * « ... les Pachas (...) ne cherchaient même pas à se faire obéir, certains d’avance de l’inutilité de leurs efforts, et n’aspiraient qu’à s’enrichir pour retourner le plus tôt possible à Constantinople  (...)  sans cesse ballotés entre les exigences de la Taïffe [ou Taïfa, corporation des corsaires], celles de la Milice ou de la populace, ils s’efforçaient de ménager tout le monde, tremblant sans cesse pour leurs têtes et pour leurs trésors qu’ils cherchaient à accroître rapidement. » (Grammont)

 

En 1637 une flotte française apparut dans la rade d’Alger mais désorganisée par le mauvais temps, elle ne put que se livrer à une inutile intimidation. Le Page était à bord, ainsi que les Turcs captifs en France qu’on avait embarqués pour procéder à un échange. Mais sans réponse des autorités d’Alger à leur message, les Français décidèrent de repartir ; le Commandeur de Mantin, chef de l’escadre, « fit arborer la bannière rouge [pavillon de guerre de la marine royale] et mit à la voile. Il avait eu d’ abord l’intention de faire ses adieux aux Algériens en canonnant vigoureusement le port, il fut détourné de ce projet par les lettres du Vice-Consul qui avait été prévenu par les Turcs que tous les Français seraient massacrés au premier coup de canon ».

L’annonce de la prise de vaisseaux barbaresques par un commandant français, M. de Chastellux, qui entra ensuite dans la baie d’Alger, provoqua la colère sur place : « c’était un procédé douteux que de se présenter pour traiter en faisant acte de guerre tout le long de la route ». Le consul français et le vice-consul furent arrêtés, menacés d’être brûlés vifs et finalement incarcérés avant d’être relâchés. Mais le divan décida que la paix {si paix il y avait ?) était rompue, que les Établissements français devaient être détruits. Le célèbre raïs Ali Bitchnin ravagea les établissements et ramena trois cent dix-sept prisonniers. « Ce surcroît d’injures resta impuni » par la France. »

Mais « En supprimant le Bastion dans un moment de colère aveugle, les Turcs n’avaient pas songé qu’ils détruisaient par cela même le commerce des tribus orientales de la Régence et qu’ils les mettaient ainsi dans l’impossibilité de payer le tribut » et se privaient aussi des contributions des établissements français. Les Kabyles de la province de Constantine refusèrent donc de payer l’impôt et s’insurgèrent ; en même temps les tribus du sud attaquaient  Constantine. L’armée de secours envoyée depuis Alger fut vaincue. Ses survivants rentrèrent à Alger pour apprendre la nouvelle du désastre de Valona :  la flotte d’Alger, malgré des réticences, avait obéi à l’ordre du sultan, en guerre avec Venise, de se joindre à la flotte ottomane. La flotte d’Alger fut attaquée à Valona par la flotte vénitienne et en grande partie détruite.

L’amiral Ali Bitchnin* fut un des rares à pouvoir s’échapper. La défaite accrut l’animosité entre Alger et le divan ottoman, et ensuite la signature de la paix avec Venise indigna les corsaires, car le sultan abandonna toute réclamation sur les navires d’Alger capturés à Valona.

                                                                                           * Ali Bitchnin, ou Bitchin, de son vrai nom Piccinin, né probablement à Massa (Toscane), était un des plus célèbres corsaires renégats.

 

 

LES CONSULS LAZARISTES : CHARITÉ ET MAUVAIS TRAITEMENTS

 

 

En 1639-40, le divan d’Alger admit la reconstruction des établissements français et le traité prévoyait « que le Bastion serait respecté même en cas de guerre avec la France » - mais Richelieu refusa d’approuver le traité comme trop peu favorable à la France. Plusieurs fois des flottes français firent leur apparition dans la baie d’Alger sans résultats. Néanmoins les établissements recommencèrent à fonctionner.

Le sultan, fâché des mauvais traitements infligés au pacha représentant de l’autorité impériale par les janissaires et raïs d’Alger, envoya des chaouchs réclamer la tête des principaux raïs dont Ali Bitchnin. Ce dernier s’empara du pouvoir mais fut incapable de payer la solde des janissaires et s’enfuit secrètement. Puis il revint à Alger porteur de bonnes nouvelles ; le sultan consentait à verser une forte somme et à acheter la participation des raïs à une nouvelle campagne – mais peu de temps après Ali Bitchnin mourut – peut être empoisonné.

En 1646, tant bien que mal, le traité de 1628 continuait à s’appliquer malgré des moments de tension. Un nouveau consul français fut nommé ; c’était M. Barreau, un frère laïc de la congrégation des Lazaristes dont l’un des directeurs était Vincent de Paul (futur saint Vincent de Paul). En effet les Lazaristes avaient racheté le consulat (ou plutôt une grande dame qui les protégeait l'avait racheté pour eux) - le consulat constituait à l’époque une charge « vénale », qu’on pouvait donc  acheter ou vendre.

 

M. Barreau, préoccupé d’actions charitables (plus que de commerce), rendu responsable des dettes d’autres congrégations religieuses de rachat d’esclaves, fut fréquemment soumis à des traitements brutaux de la part des dirigeants d’Alger.

Grammont écrit : « Ces hommes pieux, dévoués et bienfaisants, ces chrétiens résignés qui acceptaient comme une faveur divine les incarcérations, les bastonnades et la mort, méritent à un haut degré le respect dû au courage et à la vertu (...) mais comme agents de l’État, ils furent les plus mauvais Consuls qu’on puisse rêver. »

Au milieu du 17 ème siècle, l’insécurité était partout en Méditerranée. Aux corsaires barbaresques, s’ajoutaient des corsaires des pays du nord encore plus malfaisants car ils massacraient les équipages des navires capturés pour n’avoir pas à rendre des comptes.

« A Alger, la peste avait reparu en 1654 ; cette fois elle fut terrible. Ce fut la grande peste qui fut nommée Konia ; elle dura trois ans et enleva le tiers de la population. Les Reïs l’apportèrent à la flotte ottomane et celle-ci perdit tant de monde qu’elle ne put pas sortir des ports. Les captifs chrétiens souffrirent beaucoup ; le consul leur prodigua des soins de toute nature qui devinrent pour lui une grande source de dépenses. Il fut de nouveau emprisonné pour dettes. Ses ennuis s’aggravèrent à la suite de malversations de marchands français dont il fut rendu responsable.*

                                                                                                    * « ...  un marchand marseillais nommé Fabre tomba en faillite et se sauva en France laissant un déficit de 12 000 écus. »  

 

A peine libéré Barreau fut arrêté de nouveau au sujet d’une autre faillite : «  Cette fois il fut traité avec une horrible barbarie, on le bâtonna presque jusqu’à la mort et on lui enfonça des pointes sous les ongles. Vaincu par la douleur, il souscrit un engagement de 2500 piastres dont il ne possédait pas le premier sou » Les captifs se cotisèrent pour lui. Il fut libéré mais « déclaré solidaire de Rappiot (le commerçant en fuite). Celui-ci s’était sauvé à Livourne avec un navire chargé de marchandises non payées. »

Vincent de Paul qui allait mourir peu après, se démena pour réunir l’argent nécessaire à éteindre les dettes injustement imputées au consul. « La Cour de France n’était pas restée insensible aux affronts faits au consul, mais on était en guerre avec l’Espagne et il était de règle dans ce cas-là de ne pas se brouiller avec les Barbaresques »  - mais des instructions secrètes furent données en vue d’une opération ultérieure.

Pendant que le pauvre M. Barreau était à nouveau poursuivi pour dettes qui ne le concernaient pas, Picquet, le directeur des établissements français, inquiet de la tournure que prenaient les événements, «  partit des Etablissements après avoir tout incendié, emmenant de force une cinquantaine de Turcs ou d’indigènes qu’il vendit comme esclaves à Livourne pour s’indemniser de ses pertes », déclenchant la colère à Alger contre le consul et les commerçants français. Finalement un autre membre de la congrégation de Saint Vincent de Paul, Dubourdieu, remplaça Barreau.

 

 

LE POUVOIR CHANGE À ALGER

 

 

En 1659 eut lieu la révolution des aghas – l’agha ou chef des janissaires devint le principal personnage de la régence mais l’Etat ne devint pas pour autant stable, tous les aghas qui se succédèrent au pouvoir furent assassinés. Les pachas représentant le sultan ottoman ne furent pas supprimés mais leur rôle déjà réduit devint encore plus clairement protocolaire.

L’un des Aghas, Chaban Agha, s'en remit au divan (dans lequel les raïs avaient désormais des représentants en mesure d’imposer leurs choix) pour la politique extérieure. Le divan décida « qu'on ne ferait plus de paix avec les chrétiens », sans réfléchir aux conséquences de ce choix. Les difficultés de la paye des janissaires, qui se traduisaient immédiatement par des révoltes de ceux-ci,  et les prises en mer considérées par les raïs comme indispensables à leur mode d’existence,  constituaient les piliers de la politique de la régence.

Celle-ci devait affronter de façon presque permanente  les épidémies de peste, les années de disette et les révoltes dans l’intérieur du pays ainsi que, bien entendu les campagnes maritimes de tous les pays européens ; l’ordre de Malte, les marines toscane, espagnole et napolitaine*, génoise, vénitienne, hollandais, anglaise, française, affrontaient les vaisseaux des corsaires d’Alger sans pouvoir prendre l’avantage de façon décisive.

                                                                                                        * A l’époque, Naples (avec la Sicile) était une vice-royauté dépendant de l’Espagne.

 

 Reinier_Nooms_-_Shipping_off_Algiers

Reinier Nooms  (1623/1624–1664), Navires au large d'Alger, huile sur toile. 

Ce tableau du milieu du 17 ème siècle représente des navires à gauche, battant pavillon des Provinces-Unies (désignation à l'époque des Pays-Bas), ainsi que d'autres bateaux, apparemment des galères (l'une  porte un  pavillon rouge probablement turc), devant le port d'Alger. Le tableau  montre le phare fortifié sur le môle et la ville construite en hauteur qui se démarque nettement de son environnement.

National Maritime Museum - Royal Museums Greenwich, Grande-Bretagne.

Wikipédia, art. Régence d'Alger

 

 

 

L'EXPÉDITION DE DJIDJELLI (JIJEL) - LE TRAITÉ DE 1666

 

 

A cette époque (début des années 1660), le chevalier Paul, également appelé commandeur Paul*, célèbre commandant de l’escadre royale en Méditerranée, rédigeait un plan pour détruire complètement les régences barbaresques. Il notait qu’Alger, ce « fléau des chrétiens », devait être attaquée à la fois par mer et par terre pour être détruite. Il précise qu’étant donné la construction de la ville en amphithéâtre, en cas de bombardement, les destructions seraient considérables.

                                                                                             * Né à Marseille – sa mère accoucha sur un bateau qui faisait le service entre la ville et les îles du Frioul – de milieu modeste sinon populaire, il entra dans l’ordre de Malte qui le fit chevalier puis commandeur.

« Au printemps de 1663 le commandeur Paul commença les opérations par une brillante croisière qui coûta une vingtaine de navires aux corsaires, mais il ne put réussir à débarquer à Collo à cause de la prudence exagérée de l’un de ses capitaines, M. de Fricambault. »

 La cour de France prépara alors l’opération de Djidjelli qui avait pour but non l’attaque d’Alger elle-même, mais de prendre possession d’une place et la fortifier pour pouvoir ensuite s’en servir de façon permanente, comme les « présides » espagnols d’Oran et Mers-El-Kébir.*.

                                                                                                                     * Jijel (Djidjelli, Gigeri dans les textes français de l’époque et postérieurs) se trouve au nord-est de l'Algérie, à environ 314 km à l'est d'Alger, à 100 km à l'est de Béjaia.

 

Une puissante escadre commandée par Paul et Duquesne, à laquelle s’étaient joints des navires de l’ordre de Malte débarqua une force terrestre à Djidjelli – qui paraissait le meilleur endroit pour l’opération. Celle-ci  était placée sous l’autorité mal définie du duc de Beaufort*, cousin aventureux de Louis XIV ( juillet 1664).

                                                                                                                        * Le duc de Beaufort avait participé près de 20 ans plus tôt à la Fronde contre le jeune Louis XIV et son ministre Mazarin. Louis XIV conserva dès lors envers lui une certaine suspicion. Beaufort fut Grand-maître de la navigation. Il fut tué au combat à Candie (Héraklion, en Crète) en 1669, où il était allé secourir avec des renforts français les Vénitiens assiégés par les Turcs. Compte-tenu des relations diplomatiques entre la France et l'Empire ottoman, cette expédition avait été présentée comme placée sous l'autorité du pape. Mis en échec, éprouvés par les épidémies, les Français finirent par se rembarquer au bout de deux mois de combats meurtriers.

 

L'opération de Djidjelli fut un échec complet. Les chefs étaient en désaccord permanent (Beaufort, le chevalier de Clerville, spécialiste surfait des fortifications, le comte de Gadagne, chef de la force terrestre et indépendant de Beaufort, le duc de Vivonne, frère de Mme de Montespan, qui semble avoir eu comme mission de surveiller Beaufort, etc) ; les tribus kabyles non seulement ne se soulevèrent pas contre Alger comme on l’avait peut-être espéré, mais combattirent la force française, attaquée aussi par les troupes venues d’Alger.

Au bout de trois mois d’épreuves et d’erreurs stratégiques, les Français furent obligés de se rembarquer après de fortes pertes en abandonnant leur artillerie et en laissant des prisonniers à l’ennemi.  Pour finir, un des vaisseaux de l’expédition, La Lune fit naufrage non loin de Toulon, causant le mort de 700 personnes.

Cet épisode allait refroidir les Français sur les possibilités de débarquement en Afrique du nord. « Cette victoire enfla l’orgueil des Turcs et rendit fort difficile la position du consul Dubourdieu qui fut maltraité et mis à la chaîne ; au bout de quelques jours, on le laissa libre mais tous les chrétiens étaient insultés dans les rues d’Alger, même par les enfants qui les poursuivaient au cri de Gigeri ! Gigeri ! en faisant le geste de couper une tête. »

 

Finalement un traité de paix fut signé avec la France en 1666. Les prisonniers de part et d’autre étaient rendus et le commerce français fut assuré de se faire sans entraves*. Selon Grammont « Les Anglais avaient cherché par tous les moyens possibles à faire échouer les négociations et avaient été jusqu’à offrir trente vaisseaux pour la défense des Algériens s’ils voulaient rompre la paix ».

                                                                                                          * Par exemple article 5 du traité : « Les navires, galères et autres bâtimens, tant de guerre que de marchandises de part et d’autre, se rencontrans à la mer, après s’estre reconnus par les patentes de l’Admiral de France, et par le certificat du Consul des François qu’ils se feront voir réciproquement par le moyen de leurs chaloupes et batteaux, se donneront nouvelles et seront reçus dans tous leurs ports et havres, comme vrais et bons amis, et leur sera fourni tous les vivres, munitions et marchandises dont ils auront besoin, en payant au prix courant des marchez publics les droits ordinaires. »

 

 

BONNES RELATIONS

 

 

Le roi de France eut même l’idée en 1669 de demander au dey de signer une alliance exclusive avec la France e de rompre avec les autres pays notamment l’Angleterre et la Hollande – l’Angleterre lui fit la même proposition et lui offrit des vaisseaux s’il rompait avec la France. Mais une alliance exclusive n’était pas dans l’intérêt du dey. L’Angleterre et la Hollande signèrent des traités avec le dey par lesquels ils s’engageaient à lui fournir du matériel. Le dey put ainsi continuer à jouer certains de ses partenaires contre les autres pour faire monter les enchères.

Malgré quelques entorses au traité de paix, les relations furent d’abord bonnes entre la France et la régence. 

Le pacha d’Alger (il est vrai représentant du sultan, toujours amical pour la France), écrit en juin 1666 à Louis XIV : « Au plus grand des Princes de la foi de Jésus, qui est la colonne et l’appui des Rois chrétiens, le Roi de France », pour exposer qu’un corsaire français a saisi une tartane lui appartenant. « Or, Votre Majesté étant liée d’ancienneté par vraie et sincère amitié avec notre grand Empereur [le sultan], et moi le représentant [du sultan], il est nécessaire qu’il y ait aussi un lien d’amitié entre nous deux, parce que si vous êtes l’ami du Sultan du monde, moi je suis son esclave. Donc au nom de cette amitié, j’envoie vers Votre Majesté un de mes officiers nommé Mustapha-Bey, afin qu’il en obtienne la susdite tartane avec tout ce qui était dedans, et qu’elle me soit renvoyée. Et en considération de notre amitié et affection, soit à Constantinople soit ici, je redoublerai mes soins pour votre service. »

Parmi probablement beaucoup d’autres, on peut citer cette intervention de Louis XIV auprès du grand maître de l’ordre de Malte Nicolas Cotoner en 1666 :

« Mon cousin,

Ayant été supplié par le divan d’Alger d’employer mes offices auprès de vous pour faire relâcher le second aga Mehmet ben Arnaud* pris par les galères de votre Ordre (...) et étant important pour mon service que ledit divan obtienne l’effet de ma demande, j’ai cru que vous m’accorderiez bien volontiers la liberté de cet homme (...) je me promets  que vous me donnerez avec plaisir cette marque de votre affection dont je vous saurai un gré très particulier.

Sur ce, je prie Dieu, mon cousin, qu’il vous ait en sa sainte et digne garde,

Louis. »

(Cité par Claude Petiet, Le roi et le grand maître : l'Ordre de Malte et la France au 17 ème siècle, 2002).

                                                                                            * Un renégat français ? Ou déformation française du mot Arnaoute (qui désignait les Albanais) ?

 

« Le 12 avril [1669] le comte de Vivonne vint réclamer le châtiment de plusieurs Reïs délinquants ; on en fit pendre trois en sa présence et il fut reçu au Divan avec les plus grands honneurs ». Les Anglais aussi venaient émettre leurs plaintes avec leurs canons à l’appui, avec plus ou moins de succès.

 

 

L'APPARITION DES DEYS

 

 

Pendant cette époque, les corsaires d’Alger multipliaient leurs attaques en Méditerranée, épargnant à peu près la France. Bien qu’officiellement en paix, la flotte française n’hésitait pas à châtier les corsaires,  ce qui fut peut-être la cause d’une nouvelle révolution : ce fut la fin du régime des aghas et l’apparition des deys (1671) : « On n’a pas très bien compris jusqu’ici que la révolution de 1671 était l’œuvre des marins toujours en lutte avec les janissaires ; il est cependant facile de s’en rendre compte en constatant que les Aghas furent dépossédés et que les quatre premiers Deys Hadj Mohammed, Baba Hassan, Hadj Hussein Mezzomorto et Ibrahim, furent choisis parmi les capitaines corsaires.»

En 1673 des esclaves profitaient du passage de l’escadre royale commandée par M. d’ Alméras pour se réfugier à son bord ; le Dey les fit réclamer par l’intermédiaire du consul mais évidemment le commandant français refusa de les rendre et même mit à la voile en emmenant le consul plutôt que de le laisser repartir en rapportant une réponse négative au dey – ce qui aurait pu le mettre en danger. Le dey toutefois montra qu’il souhaitait conserver la paix.

A cette époque, les vaisseaux des corsaires privés étaient en nette diminution et les deys firent créer une marine d’Etat. Certaines puissances européennes s’engageaient à fournir à Alger des canons, des munitions et des agrès en échange de non-agression : « Cette concession humiliante ne leur donna pas la paix et tous les petits États continuèrent à être victimes de la piraterie » ; « lorsqu’une des nations dont il vient d’être question demandait à conclure un traité (...) on exigeait d’elle un tribut annuel équivalent aux pertes » qu’elle évitait ainsi.

« A l’exception de la France, de l’Angleterre, de la Russie et de l’Espagne, toutes les nations maritimes durent accepter les unes après les autres les conditions imposées (...) Les nations qui ne payaient pas tribut n’en apportaient pas moins leur contingent aux finances du Beylik [l’Etat d’Alger] sous forme de présents. » Mais Grammont, conforme à la vision de son époque, ne réalise pas que la fourniture d’équipements était aussi, de la part de puissances européennes, notamment Angleterre et Hollande, moins une humiliation qu’une façon de gagner des marchés (ou d’espérer le faire) à plus ou moins brève échéance.

En 1674, un nouveau consul apparut chargé aussi de clarifier un différend entre le gouverneur du Bastion (protégé par le dey) et la Compagnie propriétaire des établissements. C’était le chevalier d’Arvieux, personnage pittoresque, voyageur commerçant et diplomate (il avait été en poste à Constantinople), déjà informé des mœurs orientales, mais sans doute pas des usages algériens.*

                                                                                               * Né et mort à Marseille (1635-1702). Auteur de Voyage dans la Palestine vers le grand Émir des Bédouins, Les mœurs et coutumes des Arabes du désert. Il passe pour avoir collaboré avec Molière pour la « turquerie » du Bourgeois gentilhomme ;  « ses mémoires révèlent un contentement de lui-mème qui arrive souvent au comique » (Grammont).

 

M. d’Arvieux, en proie aux difficultés que créait maintenant le nouveau directeur du Bastion, le sieur Lafont, aux intrigues d’un négociant marseillais Estelle, etc, réclamait la libération de 25 Français saisis par le corsaire Mezzomorto sur un vaisseau de Livourne, que les corsaires estimaient de bonne prise. Le dey voulait lier la libération des Français à celle de Turcs capturés en France alors qu’ils fuyaient les galères d’Espagne et envoyés aux galères de Marseille ! Le Père Le Vacher, consul intérimaire avait obtenu le principe de leur libération mais  celle-ci se heurtait  à la mauvaise volonté des capitaines des galères. M. d’Arvieux embrouilla la négociation : «  Il fit un tel esclandre à l’assemblée [du divan] du 2 février 1675 qu’il souleva contre lui un orage violent ; il fut un instant question de lui faire un mauvais parti », mais il fut sauvé par la piètre opinion que les Turcs avaient de lui, catalogué comme fou.

 

 

LES NUAGES S'ACCUMULENT

 

 

Il fut remplacé dans sa charge de consul par le Père Le Vacher, presque infirme, qui obtint la libération des Français. Il parvint non sans mal à faire rapatrier les esclaves Turcs qui étaient aux galères à Marseille. Mais une autre affaire similaire survint, sept Algériens qui fuyaient les galères d’Espagne furent pris sur une barque par un vaisseau français et conduits au bagne de Marseille. Le consul, actionné par le divan, se démena pour les faire libérer, mais « on  finit par déclarer [en France] qu’il était indigne de la grandeur du Roi de traiter avec de la canaille et des corsaires ».  Le P. Le Vacher de plus en plus malade et dégoûté, « prévoyant l’issue fatale » ne cessait de solliciter son changement. Un nouveau venu, Denis Dusault (ou Dussault) qui venait de prendre la direction des Établissements, s’efforçait inutilement de faire comprendre à la Cour les dangers d’une rupture.

Le chevalier de Tourville, lieutenant-général et futur amiral, fut envoyé à Alger avec une escadre pour réclamer des Français pris sur des vaisseaux étrangers. Le Dey lui accorda ce qu’il demandait tout en faisant remarquer qu’il n’y était pas obligé par les traités*. Tourville fit modifier l’article litigieux dans le sens souhaité par la France. Mais lorsqu’il repartit, on s’aperçut qu’il avait embarqué deux esclaves fuyards en plus des Français libérés ce qui valut au père Le Vacher d’être brièvement arrêté.

                                                                                                   * Le traité de 1666 était donc sur ce point moins avantageux que celui de 1628.

 

Bien qu’il existait un traité de paix avec la Hollande (qui s’engageait à fournir tous les ans des câbles, des mâts, de la poudre, des projectiles et des canons*), ce traité n’empêcha pas le consul hollandais d’être mis aux fers quelque temps après et les navires hollandais saisis au bon plaisir des raïs (selon Grammont).

                                                                                                    * L’ambassadeur de France à la Haye protesta contre le traité et déclara que les navires ainsi chargés seraient traités en ennemis.

 

En septembre 1680, le marquis Abraham Duquesne, lieutenant-général des armées du roi (étant protestant, il ne put jamais arriver au grade d’amiral), se présenta devant le Dey pour soulever certains griefs mais le dey lui réclama les Turcs des galères de Marseille. Quelque temps après, une mission française avec M.M. Hayet, commissaire de la marine à Marseille, et de Virelle, député du commerce de Marseille, arriva à Alger en demandant que les Français ne puissent plus être mis en esclavage pour quelque raison que ce soit. Le Divan accepta à condition que les Algériens détenus en France  seraient libérés. La paix semblait assurée sur ces bases lorsqu’on reçut des lettres des captifs algériens à Marseille, indiquant qu’ on venait de les embarquer sur les galères de l’escadre du Levant, ce qui provoqua la colère des dirigeants d'Alger.  

 

 

 

LA GUERRE - LES BOMBARDEMENTS DE DUQUESNE

 

 

Après un ultimatum accueilli avec dédain par Versailles, la guerre fut unanimement déclarée à la France par le divan (octobre 1681). Un mois après la rupture, les raïs avaient déjà pris vingt-neuf bâtiments français et fait trois cents esclaves.

Duquesne reçut l’ordre d’aller à Alger, de l’incendier et de la détruire. Le dey préféra s’enfuir et transmit sa fonction à son gendre Baba Hassan. Dusault avait inutilement prévenu le marquis de Seignelay, ministre de la marine et conseillait de lâcher du lest sur quelques points et surtout de libérer les  Turcs captifs à Marseille, ajoutant qu’on pouvait demander en échange à Alger de déclarer la guerre à l’Angleterre et la Hollande. Le 25 juillet 1682, Duquesne canonna Cherchell puis arriva devant Alger avec sa flotte de vaisseaux et de galères – après un assez long délai, il commença le bombardement vers la fin août, ce qui causa assez de dégâts mais pas autant qu’espéré des nouvelles bombes mises au point par l’ingénieur Renaud.

Une sortie des raïs fut repoussée. Duquesne refusa d’écouter les propositions transmises par le consul le Père Le Vacher, déclarant ne vouloir traiter qu’avec le divan. « Baba Hassan faisait surveiller la ville par des hommes dévoués et tous ceux qui murmuraient [contre la guerre] étaient immédiatement décapités. » Duquesne finit par partir en laissant une croisière pour surveiller Alger.

En mai 1683, Duquesne revint avec une cinquantaine de vaisseaux et galères,  mais retardé par le mauvais temps, arriva en vue d’Alger en juin seulement. Il commença quelques jours après le bombardement sans sommation préalable. Le dey envoya à bord du navire de Duquesne Le Saint Esprit un parlementaire accompagné du P. Le Vacher que Duquesne traita cavalièrement : « Vous êtes plus Turc que chrétien », dit-il au religieux, qui était accablé d’infirmités. Celui-ci répondit :  « Je suis prêtre ».

Duquesne exigea la libération de tous les esclaves français. Un court armistice de moins de vingt quatre heures fut accordé pour donner le temps de rechercher les esclaves chez leurs différents maîtres.*  Finalement tous ceux présents à Alger même et dans les environs furent rendus dans les quelques jours suivants.

                                                                                                                        * Selon un auteur du 18 ème siècle, un délai supplémentaire de 5 jours fut accordé. Voir en annexe 1 les indications de cet auteur sur la libération des esclaves. Selon lui, il y avait eu 546 esclaves libérés, mais il en restait encore beaucoup à la campagne et dans les villes autres qu'Alger.

 

Duquesne envoya à terre deux officiers pour négocier la paix et le dey envoya des otages parmi lesquels il fit exprès d’inclure  le raïs Mezzomorto, célèbre corsaire renégat (d'origine majorquine vraisemblablement), dont le dey se méfiait.

Duquesne demandait un million et demi comme indemnité de guerre et le dey ne pouvait pas les fournir. Selon  Grammont, la ville était divisée en deux partis, celui de la paix représenté par les Baldis (les bourgeois au sens premier, les habitants indigènes) et la Milice des janissaires, et celui de la guerre, avec la Taïfa (corporation) des raïs. Mezzomorto qui en était le chef, au courant de tout ce qui passait, persuada Duquesne de le débarquer, soi-disant pour activer les choses.

 

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 Girardet d'après Briard, Bombardement d'Alger par Duquesne en 1683, Duquesne fait libérer les captifs chrétiens.

Voir annexe 1 pour les négociations de libération des captifs.

Gravure du milieu du 19 ème siècle. Collections du Château de Versailles.

Wikipédia, art. Régence d'Alger.

 

 

 

MEZZOMORTO S'EMPARE DU POUVOIR - MORT DU PÈRE LE VACHER ATTACHÉ À LA BOUCHE D'UN CANON

 

 

A la tête des raïs, Mezzomorto pénétra dans le palais du dey (la Jenina) et fit massacrer le dey – ensuite il fit ouvrir le feu sur la flotte de Duquesne et renvoya les émissaires français pour qu’ils préviennent leur chef que s’il recommençait le bombardement, les Chrétiens seraient exécutés à la bouche des canons (22 juillet). Duquesne reprit le bombardement. Le 29 juillet au plus fort du bombardement, une bande de forcenés attaqua le consulat, s’empara du Père Le Vacher (au motif que soi-disant on faisait des signaux à la flotte française depuis le consulat), emporta le consul assis sur une chaise (il ne pouvait pas marcher) et l’attacha à la bouche d’un canon  sur le port. Il fut réduit en morceaux par le tir*. Vingt résidents ou captifs français partagèrent son sort**.

                                                                             * La notice Wikipédia Jean Le Vacher signale un témoignage selon lequel le père Le Vacher serait mort de maladie en 1688 ; le fait de son exécution parait pourtant établi, comme le démontrent les excuses des autorités de la régence d’Alger (voir plus loin). Il semble qu’il y a eu un procès en béatification au début du 20 ème siècle.

                                                                                             ** L'histoire de l'officier français prisonnier, M. de Choiseul-Beaupré, qui aurait été sauvé de l'exécution par un raïs à qui il avait autrefois sauvé la vie, est qualifié de légende douteuse par Grammont. 

 

Le combat d’artillerie continua jusqu’au début d’octobre où Duquesne, à l’approche de la mauvaise saison, leva l’ancre sans résultat autre que la libération d'une partie des esclaves français. A la cour on lui reprocha de ne pas avoir suivi les ordres qui étaient de profiter du bombardement pour débarquer des troupes et détruire la ville et le port. De plus, son imprévoyance avait causé la mort des Français alors qu’il aurait pu demander à  faire embarquer le personnel consulaire et les Français avant de commencer le bombardement (mais les dirigeants d’Alger auraient-ils accepté ?).

« Cette coûteuse entreprise n’avait donc servi qu’à aigrir l’esprit des Algériens et à les détacher complètement de la Porte qui avait refusé de les secourir ». Finalement, Denis Dusault, le directeur des établissements, qui n’avait pas été inquiété (mais fut quand même évacué par précaution par les navires français avec le personnel des établissements), fut chargé de commencer la négociation.

 

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 L'exécution du Père Le Vacher, 1683.

Cette gravure du 19 ème siècle montre le Père Le Vacher faisant face au canon (il fut plutôt attaché le dos tourné au canon). La représentation du Père Le Vacher n'est sans doute pas exacte non plus (un portrait de lui montre qu'il portait une grande barbe). 

Gravure extraite de L'Algérie ancienne et moderne, de Léon Galibert, 1846 (édition italienne).

Site de reproductions Meisterdrucke 

 

 

 

 

 

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Médaille frappée après le bombardement d'Alger en 1683. Gravure de J. Mauger.

Avers : buste de Louis XIV, avec légende LUDOVICUS MAGNUS REX CHRISTIANISSIMUS (Louis le Grand roi très chrétien).

Revers : Pallas (ou Athéna, déesse de la sagesse et de la victoire) délivre deux captifs;  à droite par terre, un musulman frappé d’épouvante. Légende en haut :  CIVES A PIRATIS RECUPERATI (les citoyens [français] repris aux pirates). En bas : ALGERIA FULMINATA / M. DC. LXXXIII (l'Algérie foudroyée, 1683).

Malgré l'issue mitigée du bombardement (Alger n'est pas vaincue), la médaille retient la libération des captifs comme résultat ainsi que la punition infligée à Alger, " foudroyée" par le bombardement. A noter l'utilisation du mot latin Algeria (l'Algérie ? Alger ?). La médaille s'inscrit dans une série destinée à célébrer les grandes actions du règne de Louis XIV. 

Site de vente numismatique CGB https://www.cgb.fr/louis-xiv-le-grand-ou-le-roi-soleil-bombardement-dalger-spl,fjt_053101,a.html

 

 

 

 

LE TRAITÉ DE TOURVILLE, 1684

 

 

« Le 2 avril 1684, M. de Tourville accompagné d’un capidji de la Porte, arriva à Alger avec une grosse escadre et y fut très honorablement reçu.  Après une vingtaine de jours la paix fut signée et proclamée pour une durée de cent ans. Les captifs devaient être mis en liberté de part et d’autre, les consuls n’étaient plus rendus responsables des dettes de leurs nationaux. » Le traité prévoyait que  les vaisseaux de chaque puissance pouvaient naviguer librement mais que les armateurs particuliers d'Alger (y compris implicitement les corsaires...) devaient être munis d'un certificat du consul de France afin de ne pas être confondus avec les vaisseaux d'autres pays barbaresques par la marine royale. Il y avait une clause de protection des vaisseaux de chaque puissance qui seraient attaqués par une puissance tierce près des côtes de chacun des pays, à condition que les corsaires s'abstiennent de faire des prises dans l'étendue de dix lieues des côtes françaises.

Le traité n’oubliait pas de prévoir les honneurs à rendre, en mer et à l’arrivée à Alger, aux vaisseaux du roi de France qui devront être salués par des coups de canon plus nombreux que ceux appliqués aux marines d'autres pays. Enfin, il était prévu qu’en cas de désaccord, il devait y avoir une négociation et si celle-ci échouait, on devait laisser trois mois aux Français pour quitter Alger avant le déclenchement des hostilités (en 1666 il existait une disposition similaire mais moins précise) : cette disposition fut illusoire comme on le verra.

(voir extraits en annexe 2)

En même temps un traité relatif au fonctionnement des établissements français était signé. Leur directeur Dusault*, comme dans un précédent traité de 1679, se voyait reconnaître un statut qui le mettait théoriquement à l’abri des conséquences d’une rupture entre Alger et la France : « Que si par malheur il arrivoit quelque différent qui causast rupture de paix avec l’Empereur de France, ce que Dieu ne veuille ! le dit Dusault ne sera point inquiété ni recherché dans son establissement, n’entendant point mesler une cause particulière avec la générale, ni les affaires d’Etat avec le négoce (...) mais sera le dit Dusault comme nostre fermier et nostre bon amy, maintenu en paisible possession et jouissance du dit Bastion et places dépendantes, attendu le grand avantage qui en revient à la paye des soldats et à tous les habitans de ce Royaume [Alger]. »

                                                                                      * Dusault est parfois qualifié dans les traités de « propriétaire » des établissements. Il était probablement un des principaux actionnaires de la nouvelle Compagnie du Bastion créée en 1678.

 

Un ambassadeur Hadj Djafer Agha fut envoyé à Versailles demander le pardon du passé.

Auparavant Hadj Hussein (Mezzomorto), nouveau dey, écrivit à Louis XIV pour s’excuser et rejeter le blâme de la déclaration de guerre sur son prédécesseur Baba Hassan, ainsi que s’exonérer en ce qui concerne les exactions commises sur les Français  : « Sire, il ne fut pas en notre pouvoir d’arrêter la furie de la Milice soulevée, ni d’empêcher l’action infâme qu’elle commit envers le Consul de France et quelques autres, comme vous dira bien mieux notre Ambassadeur quand il aura l’honneur d’être en la présence de Votre Majesté. Nous avons fait plus que notre possible pour terminer notre paix. Dieu veuille qu’elle soit ratifiée et qu’elle demeure stable à jamais ! »

 

 content

 Couverture du traité signé par le chevalier de Tourville avec les "bacha, dey, divan et milice d'Alger", 1684. Le titre insiste sur le fait que la paix a été "accordée" au nom du  roi; le roi  impose sa volonté à la régence d'Alger : il est donc victorieux.

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DEVANT LE ROI À VERSAILLES

 

 

 L’ambassadeur d'Alger fut reçu par le roi le 4 juillet 1684. Après des éloges outrés de Louis XIV, il rejeta la responsabilité de la guerre sur l’ancien dey : « La force de tes armes très puissantes et l’éclat de ton sabre toujours victorieux leur a fait connaître la faute de Baba Hassan d’avoir osé déclarer la guerre à tes sujets, et je suis député pour t’en venir demander pardon, (...) nous n’aurons à l’avenir d’autre intention que de mériter, par notre conduite, l’amitié du plus grand Empereur qui soit et qui ait jamais été dans la loi de Jésus, et le seul que nous redoutions. ».

Il mit le meurtre du consul (sans même évoquer les autres victimes françaises) sur le compte de la « populace » : « Nous pouvions appréhender que l’excès détestable commis en la personne de ton Consul ne fût un obstacle à la paix, si ton esprit, dont les lumières sont semblables à celles du soleil pénétrant toutes choses, ne connaissait parfaitement de quoi est capable une populace émue et en fureur, qui, au milieu de ses concitoyens écrasés par tes bombes, des pères, des frères et des enfants, se voit enlever ses esclaves, le plus beau de ses biens, et à qui, pour comble de malheur, on refuse en échange la liberté de ses compatriotes qu’elle avait justement espérée. Quelque motif que puisse avoir eu cette violence, je viens te prier de détourner pour jamais tes yeux sacrés de dessus une action que tous les gens de bien parmi nous ont détestée, en particulier les Puissances [les ministres du dey], et qu’il ne serait pas raisonnable de leur imputer »..

Le roi écrit sa satisfaction de la paix  – en termes assez hautains - à Mezzomorto et par une autre lettre, au divan, conscient qu’il existe à Alger une dualité de pouvoirs dont il faut tenir compte (même si le pouvoir du divan est désormais en voie de diminution au profit du dey lui-même environné de ses hauts fonctionnaires, les Puissances).

 Un autre émissaire d’Alger amena dix chevaux barbes offertes à Louis XIV. Tourville vint plusieurs fois et on lui remit des Français qui avaient été rachetés dans l’intérieur du pays et n’avaient donc pas pu être remis à Duquesne lors de la brève trêve précédant la reprise des affrontements.

 

 

« MON HONORABLE ET COURTOIS VIZIR...»

 

 

Au début, la bonne entente parait régner.

Toutefois le dey s’agaçait de la lenteur mise à libérer les captifs turcs en application du traité ; il écrivait à Louis XIV : «  Cependant vos officiers de Marseille ont retenu la plupart de ceux qui devaient être délivrés par le traité de paix, et nous ont apporté des esclaves estropiés et incurables pris dans le Levant, et qui ne sont point d’Alger (...) nous avons passé par-dessus toutes sortes de considérations dans la seule pensée d’acquérir l’honneur de votre affection. (...) j’ai remis entre les mains de vos gentilshommes tous les Français qui se sont trouvés dans mon Royaume.»

Au marquis de Seignelay, ministre secrétaire d’Etat à la marine, fils aîné de Colbert, le dey écrit : « C’est d’ailleurs à vous que nous voulons avoir à faire, et non pas aux officiers de Toulon et de Marseille. » Il ajoute une demande de restitution d’une caravelle lui appartenant saisie par les Français : « Serait-ce action si extraordinaire de me faire ce petit plaisir ? »

A Louis XIV, le dey se plaint encore que des esclaves s’enfuient d’Alger et trouvent refuge sur les navires français – et des tracasseries que lui cause la situation des Français capturés par les navires d’Alger sur des bateaux de puissances en guerre avec Alger : le roi ne pourrait-il pas interdire aux Français de voyager sur des navires étrangers ?

Le dey écrit aussi à Seignelay (qualifié d’« Illustre Vizir de l’heureux, de l’incomparable et glorieux Empereur de France ») pour déplorer ce qui pourrait être vu comme de la désinvolture française : « Au reste, mon honorable et courtois Vizir, je vous dirai, en passant, que nous avons eu quelque déplaisir de n’avoir point reçu de réponse immédiate de votre Empereur aux lettres que nous nous sommes donné l’honneur de lui envoyer par notre Ambassadeur ; nous nous en sommes consolé après avoir pensé que si cet heureux Empereur n’avait eu aucune estime pour nous, il n’aurait pas envoyé vers nous un officier aussi considérable que celui qui y est venu [Tourville]. Le dey en profite pour pistonner un  certain Mercadier, drogman (traducteur) du consulat  :  « C’est un homme que j’aime ; je tiendrai à faveur la grâce que vous lui ferez », écrivait le dey.

En note manuscrite le dey ajoute : « S’il se trouve en ce pays quelque chose qui concerne votre service, faites-le-moi savoir ; vous serez satisfait en même temps et vous me ferez plaisir. »

De son côté le pacha Ismaël (représentant du sultan) qui n’exerce plus qu’un rôle honorifique, écrit au roi pour lui demander la libération de quelques connaissances :  « J’ai une grâce à demander à Votre Majesté, qui est d’avoir la bonté de faire rendre les deux filles d’Ibrahim, parce que lui et sa femme sont de mes anciens domestiques, sans quoi je ne prendrais pas la liberté d’en parler à Votre Majesté. Je prends aussi la hardiesse de lui demander Mustapha Mouf Ogli et Ismaïl Hussein Ogli, de la mer Noire, son camarade, et même Ahmed fils d’Ali [détenu sur une galère]  (...) et s’il se présente quelque occasion pour le service de Votre Majesté, je ne manquerai pas de m’acquitter avec toute sorte d’exactitude. »

La restitution de l’ensemble des captifs Turcs se faisait attendre pour une raison ou une autre.

 

 

 médaille

 

 

Médaille pour la paix accordée à l'ambasssadeur d'Alger, 1684. Bronze, dernier quart du 17 ème siècle, graveur J. Mauger..

A l'avers, buste de Louis XIV avec la légende LUDOVICUS MAGNUS REX CHRISTIANISSIMUS (Louis le Grand roi très chrétien).

Au revers, le roi en habit à la romaine, son bâton de commandement appuyé à un canon, reçoit la supplique que lui tend l'ambassadeur d'Alger, un genou en terre, en attitude suppliante, au fond la mer.
Légende : AFRICA SUPPLEX (L'Afrique suppliante); en bas : CONFECTO BELLO / PIRATICO / M. DC. LXXXIIII. (fin de la guerre contre les pirates, 1684). La médaille daterait de 1702 (retirage?). La médaille accrédite l'idée que le roi a imposé sa volonté aux dirigeants d'Alger. La guerre est qualifiée de "guerre contre les pirates". 

Pour la photo, site de vente numismatique CGB https://www.cgb.fr/louis-xiv-le-grand-ou-le-roi-soleil-paix-avec-alger-spl,fjt_049457,a.html

Pour le commentaire, Palais des Beaux-Arts de Lille https://pba-opacweb.lille.fr/fr/notice/num-md1477-medaille-louis-le-grand-la-paix-accordee-a-l-ambasssadeur-d-alger-1684-c11c432d-86bd-4977-abf6-6bd774810d54

 

 

 

TURCS ET ARABES

 

 

Ici, on peut se demander de qui on parlait lorsque les dirigeants d’Alger demandaient la libération des Turcs (de façon générale la question vaut pour toute la période de la régence) : s’agit-il seulement des Turcs ethniques (la caste dirigeante de la régence, auxquels sont sans doute assimilés  les renégats – ces derniers pouvant d’ailleurs être mal considérés des autorités des puissances chrétiennes) ? Ou aussi, par extension, des Maghrébins ? On sait par le révérend Shaw (au 18 ème siècle) que sur les vaisseaux corsaires, il y avait aussi des Maghrébins (et même des esclaves chrétiens) - mais les Maghrébins ne pouvaient jamais être officiers. Les Maghrébins (des villes côtières essentiellement) pouvaient faire partie de l’équipage de vaisseaux de commerce ou y être passagers – ils pouvaient donc être capturés par les navires français lors des périodes de conflit (et évidemment par les navires d’autres puissances chrétiennes, notamment de l’ordre de Malte). Il ressort des textes que la régence faisait le distinguo entre Turcs et Arabes (Maghrébins), mais demandait aussi la libération des Arabes (peut-être pas systématiquement) - ce point mériterait d’être mieux éclairci.*

                                                                                   * Cf. la lettre précitée du dey au marquis de Seignelay, en 1685 qui dit ; « J’ai néanmoins à vous représenter que, l’année dernière, on vous avait envoyé d’ici quatre esclaves [chrétiens] de plus qu’il ne fallait, parce que l’on prétendait avoir en échange quatre Arabes, ainsi que l’on en était convenu. Cependant ces quatre esclaves sont encore demeurés à vos galères, et je vous les demande afin que rien ne manque à l’établissement d’une véritable paix. » Le dey ajoute que lors du passage de Tourville, celui-ci, pour relâcher 56 janissaires (donc des Turcs) a exigé 56 esclaves [Français], or, il n’y en avait pas autant détenus à Alger ; donc le dey a libéré des chrétiens non-Français pour arriver au chiffre demandé (« il nous a semblé bien dur de rendre d’autres étrangers. Cependant nous les avons rendus à votre officier, quoique nous n’y fussions pas obligé ») et il souhaite qu’on applique une mesure de réciprocité (« il serait de la justice qu’en échange de ces chrétiens, vous nous rendissiez semblablement des Musulmans étrangers » [non-Algériens]). Un ambassadeur d’Alger écrivant à Tourville en 1690 stipule le tarif convenu de rachat des captifs musulmans : 150 piastres pour un Turc,100 pour un Arabe.

 

On peut aussi s'interroger sur ce qui était appelé "populace" par certains dirigeants de la régence: cette populace était rendue responsable des exactions contre les Français lors du bombardement. S'agissait-il des classes populaires d'Alger en général, des sans-grade de la milice des janissaires, des deux ? Mezzomorto avait écrit à Louis XIV, comme on l'a vu  : « Sire, il ne fut pas en notre pouvoir d’arrêter la furie de la Milice soulevée, ni d’empêcher l’action infâme qu’elle commit envers le Consul de France et quelques autres ». 

 

 

 

REPRISE DES HOSTILITÉS

 

 

 

La capture de Français sur des navires étrangers était un grief persistant  des autorités françaises :

« LE DUC DE MORTEMART, GÉNÉRAL DES GALÈRES DE FRANCE, AU DIVAN D’ALGER. A la baie de Cadix, le 20 juillet 1687. Très illustres et magnifiques Seigneurs, J’envoie un vaisseau à Alger pour faire savoir à Vos Seigneuries que j’ai arrêté un de vos navires, parce que son passeport était trop vieux. J’ai à me plaindre outre cela d’avoir trouvé dans le dit navire un nombre considérable de Français qui ont été pris passagers dans des bâtiments Hollandais, et qui, bien que devant être libres par le traité, ont cependant été considérés comme esclaves, avec plus de dureté encore que les Anglais qui ont été pris dans la même occasion, et qui n’ont point été mis comme eux à la chaîne. »

 

Quelques raïs qui avaient attaqué des vaisseaux français furent bastonnés ou pendus. Cependant les corsaires recommencèrent à saisir des navires français à partir de l’été 1686 car la guerre de course était une ressource indispensable pour les corsaires et même pour la régence. La flotte française pourchassa alors et coula de nombreux vaisseaux corsaires d’Alger.

Lorsqu’on apprit que l’Etat français encourageait les bâtiments marchands à s’armer et leur promettait une prime par chaque corsaire pris ou coulé, le divan fit enchainer le nouveau consul Piolle* et 372 Français qui furent conduits au travail des carrières en butte aux mauvais traitements de la « populace » ; onze bâtiments français qui se trouvaient dans le port furent vendus avec leurs cargaisons et leurs équipages. M Dusault chercha à s’ interposer en vain.

                                                                                              * Piolle était un négociant marseillais qui s’était rendu acquéreur de l’office de consul - pourtant peu lucratif. Espérait-il y faire de bonnes affaires ? Il n’y trouva que la mort comme on verra plus loin.

 

L’ancien dey Hadj Hussein Mezzomorto était devenu pacha (nommé toujours par Istanbul) et Ibrahim Khodja, une créature de Mezzomorto, était le nouveau dey. Pendant cette période Mezzomorto s’occupait de la guerre contre Tunis qui continuait. Mezzomorto sachant que le maréchal d’Estrées assemblait une flotte à Toulon, prépara la défense de la ville mais essaya aussi d’arranger les choses – mais il était trop tard.

Les dirigeants d’Alger (le pacha et le nouveau dey) ainsi que le divan, furent prévenus par Dusault, le directeur des établissements, d’adopter une conduite modérée, mais ces dirigeants prirent assez mal l’intervention de ce dernier.

« LE DIVAN D’ALGER A DENIS DUSAULT, GOUVERNEUR DU BASTION DE FRANCE. Alger, le 27 mai 1688.

Nous, Pacha, Dey et Divan, avons reçu vos impertinentes lettres. Nous voudrions bien savoir d’où vient que vous vous émancipez à nous donner des conseils. Si pareille chose vous arrive dans la suite, nous pourrions vous en faire repentir. C’est, ma foi, bien à un marchand, comme vous êtes, à se mêler des affaires d’État ! (...)  c’est bien mal à propos que vous vous êtes voulu ingérer de nous donner des conseils salutaires, ainsi que vous dites.(...) Suffit que le Pacha et nous vous connaissions de longue main pour un homme plus propre à brouiller les affaires qu’à les raccommoder ; ainsi  attachez-vous uniquement à mettre votre commerce sur pied, et laissez, s’il vous plaît, les affaires d’État à part, autrement vous pourriez bien dans la suite vous en repentir » (double signature de Ibrahim Khodja, dey et Hadj Hussein, pacha).

 

 

NOUVEAU BOMBARDEMENT D'ALGER - MORT DU CONSUL PIOLLE ET DES CAPTIFS FRANÇAIS

 

 

Le maréchal d’Estrées arriva devant Alger avec une flotte considérable et menaça la ville, déclarant qu’il ferait exécuter les Turcs qui étaient sur ses vaisseaux en cas d’atteinte aux Français d’Alger. Le dey répondit que le consul serait la première victime s’il utilisait les bombes (plus destructrices que les boulets de canon).  Les galiotes françaises lancèrent plus de 10 000 bombes (c’est le chiffre donné par Grammont) : « les dégâts furent immenses », mais les pertes humaines furent faibles car habitants s’étaient vite retirés à la campagne.

Dès l’arrivée du maréchal d’Estrées, le consul M. Piolle et d’autres Français avaient été de nouveau enfermés au bagne. Le 3 juillet Piolle fut conduit pour être attaché au canon avec plusieurs Français. Frappé à plusieurs reprises en route, le consul mourut avant d’arriver, les autres furent exécutés. Deux jours après le vicaire apostolique le père Montmasson fut horriblement torturé et mutilé (on dit qu'on lui coupa le nez et les oreilles, creva un oeil, qu'il fut lardé de coups de couteaux  et même émasculé)*, puis attaché au canon. Le reste des prisonniers fut exécuté au canon jour après jour. De son côté le maréchal d’Estrées fit pendre autant de Turcs qu’il y avait eu de victimes mises au canon.

                                                                                             * Ce récit horrible est-il vérifié et peut-il l'être ? Il est en tout cas établi que le prêtre fut exécuté, avec ou sans tortures préalables.

 

 

NOUVELLE PAIX

 

 

Cette fois encore l’expédition manqua son but. D’Estrées donna l’ordre de repartir. Pourtant la ville était en proie à la famine, Mezzomorto ne se maintenait que par la terreur. « Dès le lendemain du départ de la flotte française, tous les corsaires sortirent » et ravagèrent de plus belle la Méditerranée. Le conseil du roi décida de traiter et les négociations passèrent par un monsieur Mercadier, nommé consul*.  

                                                                                           * Originaire de Marseille. C’est lui que Hadj Hussein avait recommandé pour une place quelques années plus tôt. Ce personnage semble avoir voulu jouer un jeu personnel et fut par la suite ramené de force en France par le négociateur officiel français.

 

M. Marcel, commissaire de la marine, arriva à Alger et signa un traité de paix en septembre 1689, reprenant les dispositions du traité de Tourville, moyennant quelques modifications. Les vaisseaux des deux puissances pouvaient naviguer sans crainte d'être maltraités.  Il était confirmé que ni les étrangers pris sur des bateaux français ni les Français pris sur des bateaux étrangers, ne pourraient être retenus comme esclaves, de même était confirmée la clause de protection réciproque contre les puissances tierces. De plus, le roi de France prenait sous sa protection tous les missionnaires dans le « royaume d'Alger » quelle que soit leur nationalité (voir annexe 3).

Hadj Hussein écrivait sans rire à son « cher ami » Seignelay que désormais, on devait demeurer « ferme dans l’amitié jusqu’à la fin des siècles ». « Vous pouvez être assuré que (...) vous n’avez point de meilleur ami que moi, et cette amitié paraîtra, s’il plaît à Dieu, dans la suite » ; « dorénavant il faut demeurer stables dans l’amitié. C’est à nous à prendre notre parti avec zèle, et c’est à vous à prendre le vôtre de même. Nous n’avons point en votre pays d’autre ami affectionné que vous. »

On peut quand même observer qu’en 1682 le consul Le Vacher et d’autres Français furent victimes d’une foule déchainée mais qu’en 1688, les exécutions des captifs français ont été faites avec l’approbation ou sur ordre des dirigeants d’Alger, Hadj Hussein Mezzomorto en tête.

La paix ainsi signée mais encore précaire, amena-telle une véritable amélioration ?

L’éphémère consul Mercadier écrivait aux échevins de Marseille : « 3 novembre 1689. Les 15 vaisseaux de cette république [Alger] ont pris le vaisseau du capitaine Regaillet ; il n’a pas tiré un seul coup de pierrier [canon installé en général sur les navires marchands]. M. Deyrargues a esté pris aussy. La Friponne, petit vaisseau chargé de blé, est du nombre, il a été coulé à fond. Le patron Fougasse de La Cieutat a été pris avec sa barque (...) Il y a ici environ 350 Français esclaves provenant des prises ci-dessus » (Octave Teissier, Inventaire des archives historiques de la Chambre de commerce de Marseille, 1878).   

 

 Hussein, en butte à l’hostilité des janissaires, menacé de mort, abandonné par les raïs (peut-être à cause du traité qu’il avait finalement signé), préféra s’enfuir et se rendit d’abord à Tunis puis à Constantinople. Il fut nommé gouverneur de Rhodes par le sultan, puis Capitan Pacha (amiral de la flotte ottomane); dans cette fonction, il affronta notamment la flotte vénitienne dans l’Archipel et ne revint jamais à Alger.

Quant au dey, Ibrahim Khodja, ami de Mezzomorto, il avait préféré s’enfuir au Maroc (dès 1688 ?).

Le nouveau dey, Chaban, était d’abord hostile au traité mais l’habileté de M. Marcel (qui faillit deux fois être assassiné, une fois par un agent hollandais et l’autre par un « fanatique »), permit de convaincre le dey de maintenir le traité, qui fut confirmé par une ambassade algérienne à Versailles en décembre 1690.

 

 

QUELQUES RÉFLEXIONS

 

 

Les auteurs français de la fin du 19ème siècle comme Grammont et Plantet ont décrit la situation faite à la France par le pouvoir d’Alger comme une suite d’exactions et de chantages, à peine interrompue par les expéditions punitives. Ils considèrent que les traités n’ont pas été appliqués honnêtement par la régence d’Alger.  C’est exact en partie, mais il faut aussi avoir présent à l’esprit que les traités étaient indirectement avantageux pour la France, du moins tant que d’autres pays n’ont pas accédé aux mêmes dispositions. En effet, en prévoyant que les vaisseaux de commerce français ne pouvaient pas être attaqués par les corsaires d’Alger, alors que les autres pays ne bénéficiaient pas de la même protection, les traités étaient un encouragement pour les commerçants étrangers d’utiliser des vaisseaux français pour leur négoce – même si les traités – peut-être volontairement – n’affichaient pas explicitement le principe « le pavillon couvre [protège] la marchandise ». Il s’ensuivait un bénéfice pour les armateurs et les ports français, qui gagnaient de l’argent grâce aux exactions d’Alger.

On peut par contre constater que la rupture des traités au 17ème siècle (et même au 18 ème siècle, sans qu’il y ait déclaration de guerre) est le plus souvent un acte unilatéral d’Alger (même si des incidents peuvent être imputés à la France - encore que l'origine des incidents soit naturellement discutable selon les points de vue). Selon les traités, les litiges auraient dû se régler à l’amiable et en cas d’échec de la conciliation, la clause permettant aux Français de se retirer en sécurité aurait dû s'appliquer, ce qui ne fut pas le cas. Signer des traités avec Alger était donc signer avec un partenaire non fiable, toujours susceptible de renier sa parole et d'exercer des violences faites au personnel consulaire et aux particuliers français, même au 18 ème siècle, a priori plus tranquille.

 

 

MIEUX VAUT DOUCEUR QUE FORCE

 

 

La cour de France se décida à agir désormais par la persuasion et non plus par la force, donc à imiter  l’Angleterre et la Hollande qui achetaient la bienveillance des dirigeants algériens avec leurs cadeaux. Mais la France, par radinerie, resta toujours loin derrière ses concurrents. Le nouveau consul, Lemaire était bien vu du dey « qui le consultait volontiers et le traitait comme son fils ». 

Le dey Chaban eut à combattre une invasion marocaine et une invasion tunisienne – il repoussa les deux et ensuite mit en échec une conspiration des habitants autochtones d’Alger (les Baldis), qui étaient en contact avec le bey de Tunis et d’accord avec des tribus kabyles dans le but d’ expulser définitivement la milice turque : «  un combat sanglant s’engagea dans les rues, la révolte fut écrasée ; on décapita quatre ou cinq cents des insurgés et leurs tribus furent soumises à un impôt de guerre exorbitant. Le massacre eut lieu le jour même de la fin du Ramadan [1692]. »

Le consul Lemaire était maintenant mal vu du dey Chaban et devait supporter ses sautes d’humeur. Il écrivait aux membres de la chambre de commerce de Marseille : « Je souhaiterais de toute mon âme qu’il prît envie à quelqu’un de M.M. les députés du Commerce de venir faire un tour à Alger pour voir comment on y gagne le pain (...) Si tout ce que je souffre vous était raconté par un autre que moi, je vous jure, Messieurs, que vous en auriez compassion. » La chambre de commerce payait les dépenses de fonctionnement du consulat et les cadeaux aux dignitaires locaux et y mettait beaucoup de réticence. Elle exigeait que le consul fasse payer aux armateurs qui venaient à Alger un droit consulaire, le cottimo.

                                                                                      * Le cottimo était une taxe qui devait être levée sur tous les vaisseaux, français ou étrangers, qui commerçaient entre la France et un port du Levant ou de Barbarie. Son produit devait être versé à la chambre de commerce de Marseille et servir au fonctionnement des consulats français. Le mot existe toujours en italien, où il désigne un travail payé à la pièce.

 

Or, beaucoup d’armateurs étaient des juifs de Livourne qui refusaient de payer ce droit et firent intervenir le dey en leur faveur. C’est vers cette époque (et même avant, du temps de Baba Hassan et de Mezzomorto) selon Grammont, que des juifs livournais devinrent puissants dans la régence. A la différence des juifs autochtones, qui étaient privés de tous droits, ils étaient considérés comme des Européens. Ces Livournais furent graduellement en position de diriger les affaires financières de la régence.

Après avoir de nouveau battu les Tunisiens, Chaban rentra à Alger mais faillit être assassiné peu après à la mosquée pendant qu’il faisait sa prière (février 1695). Le mécontentement s’accrut, l’armée de rebella et en août Chaban fut renversé, emprisonné et torturé pour lui faire dire où il avait caché ses hypothétiques trésors. Enfin il reçut plus de huit cents coups de bâton et fut étranglé.

Son successeur Hadj Ahmed, vieux janissaire choisi par hasard (les révoltés le rencontrèrent sur leur chemin, alors qu’il raccommodait ses babouches devant chez lui, et l’amenèrent devant le divan où il fut élu par acclamation), « était un homme capricieux, inquiet et d’une bizarrerie voisine de la folie ; il vécut sous l’empire d’une terreur perpétuelle qui conduisit peu à peu à la férocité son caractère naturellement doux » (si on en croit Grammont).

 

 

 

DOLÉANCES DES CONSULS  DE FRANCE

 

 

Lemaire, souvent menacé par le nouveau dey qui n’avait pas toute sa tête, mais soutenu par Dusault, toujours à la tête des établissements, fit échouer une proposition de l’Espagne qui aurait assuré à la régence le paiement d’une somme annuelle en échange de la paix (l'intérêt de la France étant, bien entendu, qu'Alger soit en guerre avec les puissances concurrentes de la France...) . Lemaire quitta Alger et Jacques Durand lui succéda comme consul en février 1698. Hadj Ahmed mourut fin 1698 de maladie. Son successeur Hassan Chaouch « recommanda  expressément aux reïs de respecter le pavillon blanc (français) et quelques délinquants furent bâtonnés ou étranglés ». M. Durand faisait l’éloge du nouveau dey mais le problème était la milice des janissaires, selon lui « un animal qui ne reconnaît ni guide ni éperon (...) capable de se porter aux dernières extrémités sans seulement envisager le lendemain ».

 

En 1699 le consul Durand écrivait au comte de Pontchartrain pour se plaindre de la courte vue de la chambre de commerce de Marseille (dont les membres étaient appelés les « députés du commerce »), qui faisait preuve de lésinerie dans ses dépenses consulaires et les cadeaux pour le dey et les autres dirigeants : «  Messieurs du commerce devraient considérer que cette République [Alger] tant par les blés que par les corsaires, fait tout le gain des bâtiments de Marseille » et il s’étonnait que des gens habitant si près d’Alger soient si peu au coutant de la réalité des choses (cité par A. Blondy, Malte et Marseille au 18 ème siècle, 2012).

                                                                             

En effet, la chambre de commerce considérait seulement qu’il existait peu de commerce direct entre la France (et notamment Marseille) et Alger - mais le consul notait l’importance des blés qui allait augmenter au siècle suivant, et le fait que grâce aux traités, les corsaires épargnaient le pavillon français – ce qui était un avantage direct pour le commerce français du Levant, et indirect car de nombreux commerçants étrangers avaient recours aux bateaux français (essentiellement marseillais à cette époque) pour transporter leurs marchandises, puisque ces derniers étaient protégés par les traités. Pour le consul, la lésinerie de la chambre de commerce était contre-productive, avec le risque de voir d’autres pays européens grignoter les avantages obtenus par la France.

Les consuls se plaignaient de la difficulté de leur travail et de la modestie de leurs appointements au point qu’ils en étaient de leur poche. Durand écrivait en 1701 aux députés du commerce de Marseille : « J’aimerai mieux labourer la terre que de servir à ce prix (...) Vous ne voulez pas comprendre que 6 000 livres à Marseille ne me rendent que 1 300 piastres en cette ville [Alger], pour change d’argent, assurances et nolis, et que c’est ici que j’ai à faire mes dépenses ; je suis dans le poste le plus pénible et le plus dangereux et le plus persécuté. » « Pour avoir l’honneur de vous servir dans un pays pestiféré et sujet à mil malheurs, je me serai ruiné. » (cité par Patrick Boulanger, Les appointements des consuls de France à Alger au xviiie siècle, in Jörg Ulbert,  Gérard Le Bouëdec (dir.) La fonction consulaire à l'époque moderne, 2006  https://books.openedition.org/pur/7771?lang=fr)

En 1705 il écrit à ces mêmes députés du commerce  : « Si quelqu’un de vous, Messieurs, pouvait être témoin des mouvements que je me donne, des risques que j’encours et des difficultés de toute nature auxquelles je suis condamné, peut-être connaîtriez-vous ce que c’est qu’Alger » (cité par E. Plantet).

Les consuls se plaignent des « mille couleuvres qu’il faut avaler ». Le consul Lemaire, en poste de 1690 à 1697, écrit à propos de ses interlocuteurs d'Alger : si on parle humainement, ils vous imposent silence; si on parle avec fermeté, « ils crient comme des harengères et vous font essuyer des duretés qu'il faut avaler doux comme miel sans seulement avoir le temps de s'expliquer» ( cité par E. Plantet, Correspondance des Deys d'Alger avec la cour de France, 1579-1833).

 

 

 

GUERRE AVEC TUNIS - RÉVOLTES INTÉRIEURES

 

 

A l’annonce d’une nouvelle invasion des Tunisiens, qui avaient massacré 500 Turcs à Constantine, la milice réagit violemment et le dey préféra abdiquer et quitter le pays sans encombre. Le nouveau dey Hadj Mustapha affronta les Tunisiens et remporta une victoire complète. Les janissaires d’Alger, rendus furieux par la mort de leurs camarades à Constantine, « égorgèrent plus de deux mille prisonniers ». (1700). Puis le nouveau dey se porta contre les Marocains qui avaient envahi la régence et avaient obtenu le soutien de tribus de l’ouest et là aussi les battit complètement : « Trois mille têtes de soldats et cinquante de Caïds furent rapportées à Alger où la victoire fut fêtée pendant plusieurs jours » (1701). La cour de France envoya au vainqueur des armes précieuses en cadeau et le dey envoya à Louis XIV le cheval du sultan du Maroc vaincu.

Le nouveau dey de Tunis demanda la paix et se soumit à payer un tribut. Mais les finances de la régence d’Alger étaient exsangues, les impôts sur les tribus rentraient très mal, la course ne donnait presque plus de bénéfices – le dey décida alors d’envahir la Tunisie (1705).

Mais cette opération tourna mal et de retour à Alger une émeute le renversa et il fut étranglé après avoir été traité avec dérision, promené sur un âne. Son successeur fit torturer la femme et la fille de Hadj Mustapha pour savoir où étaient cachés ses supposés trésors – mais lui aussi ne put payer la solde de la milice et fut renversé. On le laissa partir, sinon que son bateau fut poussé à la côte et qu’il fut capturé par des tribus kabyles ; il fut bien traité mais mourut peu après.

 

 

 

 ANNEXE 1 : DUQUESNE FAIT LIBÉRER LES ESCLAVES

 

 

Extrait de la Vie du marquis Du Quesne, dit Le grand Du Quesne, líeutenant-général des armées navales du roi de France, par Adrien Richer, 1789 :

« ... avant d’entrer en accommodement, il [Duquesne] vouloit qu’on lui renvoyât sans rançon tous les esclaves françois qui étoient à Alger, même ceux des autres nations qu’on avoit pris sur les vaissaux portant pavillon françois et sans en excepter un seul. (...)

[l'envoyé du dey soulève des difficultés] M. du Quesne répondit que toutes ces lenteurs l’ennuyoient que si on n’amenoit promptement les esclaves qu’il demandoit, il alloit continuer le bombardement.

 L’envoyé [du dey] (...) revint sur les sept heures du soir et dit à M. du Quesne qu’on lui donneroit une entière satisfaction mais qu’il étoit tard et qu’on ne pouvoit dans un aussi court espace de tems ramasser tous les esclaves, que Baba Assen et les habitans d’Alger demandoient en grâce qu’on leur accordât une trêve de vingt-quatre heures  (...) Il ajouta que Baba Assen demandoit qu’on lui rendît tous les esclaves turcs que les François avoient pris. M. du Quesne lui répondit que quand il auroit les esclaves françois, il verroit ce qu’il feroit.

 (...)  Le lendemain sur les dix heures du matin, on vit sortir du port d’Alger une douzaine de barques chargées de monde et qui avançoient vers la flotte françoise. Elles y arrivèrent vers le midi et y amenèrent cent quarante-deux esclaves du nombre desquels étoit M. de Beaujeu. Le même envoyé les accompagnoit et dit à M. du Quesne que Baba Assen étoit au désespoir de ne pouvoir envoyer un plus grand nombre d’esclaves françois mais que la plupart étoient répandus dans la campagne, qu’on feroit l’impossible pour ressembler promptement ceux qui restoient et qu’on les ameneroit. M du Quesne dit qu’il accordoit cinq jours pour en faire la recherche (...) Le 30 on amena encore cent vingt-six esclaves, cent cinquante le premier de juillet, quatre-vingt deux le lendemain, un nombre plus considérable le jour suivant. Parmi les derniers, il y avoit quatre femmes, trois Messinoises et une Marseilloise. Le nombre se trouva monter à cinq cents quarante-six, mais il en restoit encore beaucoup à la campagne et dans les villes. On apprit par ceux qui avoient été renvoyés [libérés] qu’il en étoit mort quatre cents de la peste,  que les patrons de ceux qu’on avoit renvoyés avoient voulu se soulever disant qu’on leur enlevoit des esclaves qui leur avoient coûté fort cher sans leur donner aucune assurance qu’on ne bombarderoit plus la ville. »

 

 

 

ANNEXE 2 : LA PAIX DE 1684

 

 

Articles de la paix accordée par le chevalier de Tourville au nom du Roy Louis XIV, au Bacha, Dey, Divan et Milice d’Alger. Signez le vingt-cinquième avril 1684.

(extraits)

VII. — S’il arrivoit que quelques marchands françois entrant à la rade d’Alger ou à quelqu’un des autres ports de ce royaume, fussent attaquez par des vaisseaux de guerre ennemis sous le canon des forteresses, ils seront défendus et protégez par lesdits chasteaux, et le Commandant [d'Alger] obligera les dits vaisseaux ennemis de donner un temps suffisant pour sortir et s’éloigner des dits ports et rades, pendant lequel seront retenus les dits vaisseaux ennemis, sans qu’il leur soit permis de les poursuivre ; et la même chose s’exécutera de la part de l’Empereur de France, à condition toutefois que les vaisseaux armez en guerre à Alger, et dans les autres ports du Royaume [d'Alger] , ne pourront faire des prises dans l’étendue de dix lieues des costes de France.

(...)

XXVII. — Toutes les fois qu’un vaisseau de guerre de l’Empereur de France viendra mouiller devant la rade d’Alger, aussi-tost que le Consul en aura averty le Gouverneur , le dit vaisseau de guerre sera salué, à proportion de la marque de commandement qu’il portera, par les chasteaux et forts de la ville, et d’un plus grand nombre de coups de canon que ceux de toutes les autres nations, et il rendra coup pour coup ; bien entendu que la même chose se pratiquera dans la rencontre des dits vaisseaux de guerre à la mer.

 XXVIII. — Si le présent traité de paix conclu entre le dit sieur chevalier de Tourville pour l’Empereur de France et le Bacha, Bey, dey, Divan et Milice de la dite ville et Royaume d’Alger venoit à estre rompu, ce qu’à Dieu ne plaise! tous les marchands françois qui seront dans l’étendue dudit Royaume [d’Alger], pourront se retirer par tout où bon leur semblera, sans qu’ils puissent être arrestez pendant le temps de trois mois.

 XXIX. — Les articles cy-dessus seront ratifiez et confirmez par l’Empereur de France et les Bacha, Dey, Divan et Milice d’Alger, pour estre observez par leurs sujets pendant le temps de cent ans ; et afin que personne n’en prétende cause d’ignorance, seront publiez et affichez par tout où besoin sera.

Fait et publié en la Maison du Roy [du dey ?] à Alger, le Divan assemblé, où estaient les très illustres et magnifiques Seigneurs Ismaël Pacha, Hadgi Hussein, Dey Gouverneur, l’Aga de la milice, le Mufty, les deux Cadis, les gens de Loy et de Justice, et toute la victorieuse Milice. En présence des sieurs Hayet, Conseiller du Roy en ses Conseils, Commissaire général des armées navalles de sa Majesté, au lieu et place de Monsieur le Chevalier de Tourville ; Dusault, propriétaire du Bastion, et de la Croix, secrétaire interprète de sa Majesté ès langues orientales, qui a lu le présent Traité audit Divan le jour de la publication de la paix, huitième de la Lune de Giumazelevel, l’an de l’Egire 1095 qui est le vingt cinquième avril 1684.

Nostre foy est foy, nostre parole est parole, avec le seing et sceau du Bacha.

Signé,

Le Chevalier DE TOURVILLE

 

(Traités de la France avec les pays de l’Afrique du Nord, Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, publiés par E. Rouard de Card, 1906

https://www.cnplet.dz/images/bibliotheque/Histoire/Trait%C3%A9s-de-la-France-avec-les-pays-de-l-Afrique-du-nord.pdf)

 

 

 ANNEXE 3 : LE TRAITÉ DE 1689

 

 

Traité de paix pour cent ans entre Louis XIV, Empereur de France, Roi de Navarre, et [les] Pacha, Dey, Divan et

Milice de la Ville et Roïaume d’Alger. Fait à Alger le 24 septembre 1689.

(...) 

 I. — Les capitulations faites et accordées entre l’Empereur de France et le Grand seigneur [le sultan ottoman] ou leurs prédécesseurs, ou celles qui seront accordées à nouveau par l’ambassadeur de France, envoyé exprès à la Porte pour la paix et repos de leurs Etats, seront exactement et sincèrement gardées et observées, sans que de part et d’autre il y soit contrevenu, directement ou indirectement.

 II. — Toutes courses et actes d’hostilité, tant sur mer que sur terre, cesseront à l’avenir entre les vaisseaux et les sujets de l’Empereur de France et les armateurs particuliers de la Ville et royaume d’Alger.

 III. - A l’avenir, il y aura paix entre l’Empereur de France et les Très Illustres Pacha, Dey, Divan et milice de la dite Ville et royaume d’Alger et leurs sujets, et ils pourront réciproquement faire leur commerce dans les deux Royaumes, et naviguer en toute sûreté sans sans en pouvoir estre empêchez par quelque cause et sous quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit.

 IV. — Et pour parvenir à la dite Paix, il a esté convenu d’un libre rachat de part et d’autre pour tous les esclaves sans distinction de prix qui sera réglé par le Pacha et le Consul de l’Empereur de France, exceptant néanmoins ledit Pacha, les deux équipages de Mamet-Oia, et Amet Seguierre dont il pourra retirer la milice ; savoir les Turcs à cent-cinquante écus pour chacun, et les Maures cent, ayant promis le dit Pacha de donner un pareil nombre d’esclaves françois au même prix.

(...)

 VIII. — Les vaisseaux de guerre et marchands tant de France que d’Alger, seront receus réciproquement dans les ports et rades des deux Royaumes, et il leur sera donné toute sorte de secours par les navires et les équipages en cas de besoin, comme aussi il leur sera fourni des vivres et agrez et généralement toutes autres choses nécessaires en les payant aux prix ordinaires et accoutumez dans les lieux où ils auront relâché.

 IX. — S’il arrivoit que quelque vaisseau marchand François étant à la rade d’Alger ou à quelqu’un des autres ports de ce Royaume, fut attaqué par des vaisseaux de guerre ennemis sous le canon des forteresses, il sera défendu et protégé par les dits vaisseaux et le Commandant obligera les dits vaisseaux ennemis de donner un temps suffi sant pour sortir et s’éloigner des dits, ports et rades, pendant lequel seront retenus les dits vaisseaux ennemis, sans qu’il leur soit permis de les poursuivre, et la même chose s’exécutera de la part de l’Empereur de France, à condition toutefois que les vaisseaux armez en guerre à Alger et dans les, autres ports du Royaume, ne pourront faire des prises dans l’étendue de dix lieues des côtes de France.

(...)

 XI. — Tous les François pris par les ennemis de l’Empereur de France qui seront conduits à Alger des autres ports du dit Royaume seront mis aussitôt en liberté sans pouvoir estre retenus esclaves (...)

 XIII. — Les estrangers passagers trouvez sur les vaisseaux François, ni pareillement les François pris sur des vaisseaux estrangers ne pourront, estre faits esclaves ni retenus sous quelque prétexte que ce puisse estre, quand même les vaisseaux sur lesquels ils auront esté pris se seroient défendus, à moins qu’ils ne se trouvent actuellement angagez en qualité de matelots ou de soldats sur des vaisseaux ennemis et qu’ils soient pris les armes à la main.

(...)

 XVIII. — Pourra le dit Empereur de France continuer l’établissement d’un Consul à Alger pour assister les merchands françois dans tous leurs besoins, et pourra ledit Consul exercer en liberté dans sa maison la religion chrétienne, tant pour lui que poue tous les Chrétiens qui y voudront assister, comme aussi pourront les Turcs de la dite Ville et Roïaume d’Alger qui viendront en France, faire dans leur maison l’exercice de leur religion, et aura ledit Consul la prééminence sur les autres Consuls, et tout pouvoir et jurisdiction dans les différens qui pourront naître entre les François, sans que les juges de la dite ville d’Alger en puissent prendre aucune connoissance..

 XIX. — Si un François vouloit se faire Turc, il n’y pourra estre reçu qu’au préalable il n’ait persisté trois fois vingt quatre heures dans cette résolution, pendant lequel temps il sera mis en dépôt entre les mains du Consul.

 (...)

 XXV. — Le Père de la Mission qui fait la fonction de vicaire apostolique à Alger, pourra avec son confrère assister les esclaves qui sont dans ledit Roïaume, même dans les bagnes des Pacha et dey, et seront les Missionnaires de quelque Nation qu’ils puissent estre regardez comme sujets de l’Empereur de France, qui les prend en sa protection, et en cette qualité ne pourront en aucune manière estre inquiétez mais maintenus et secourus par le Consul comme François.

 XXVI. — S’il arrive quelque contravention au présent Traité, il ne sera fait aucun acte d’hostilité qu’après un déni formel de justice, et pour faciliter l’établissement du commerce, et le rendre ferme et stable, les Très Illustres Pacha, Dey, Divan et Milice d’Alger envoieriont quand ils l’estimeront à propos une personne de qualité d’entre eux résider à Marseille pour entendre sur les lieux les plaintes qui pourroient arriver sur les contraventions au présent traité, auquel il sera fait en la dite Ville toute sorte de bon traitement.

 (...)

 XXIX. — Toutes les fois qu’un vaisseau de guerre de l’Empereur de France viendra mouiller devant la rade d’Alger aussitôt que le Consul en aura averti le Gouverneur, le dit vaisseau sera salué à proportion de la marque de commandement qu’il portera par les châteaux et forts de la Ville, et d’un plus grand nombre de coups de canon que ceux de toutes les autres nations, et il rendra coup pour coup, bien entendu que ta même chose se pratiquera dans la rencontre des dits vaisseaux de guerre à la mer.

 XXX. — Si le présent traité de paix conclu entre le sieur Marcel pour l’Empereur de France et les Pacha, Dey, Divan et Milice de Ville et Roïaume d’Alger venoit à estre rompu ce qu’à Dieu ne plaise ; tous les marchands François qui seront dans l’étendue du dit Roïaume pourront se retirer, avec tous leurs effets, partout où bon leur semblera, sans qu’ils puissent estre arrêtez pendant le temps de trois mois.

 XXXI. — Les articles ci-dessus seront ratifiez et confirmez par l’Empereur de France et les Pacha, Dey, Divan, et Milice de la Ville. et Roïaume d’Alger pour estre observez par leurs sujets pendant le temps de cent ans, et afin que personne n’en prétende cause d’ignorance, seront publiez et affichez partout où besoin sera.

 (...)

 (recueil de traités de E. Rouard de Card, ouv. cité)

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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