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Le comte Lanza vous salue bien
14 octobre 2022

CORSE DES GENS BIEN, CORSE DES MALFRATS NOTES SUR DEUX LIVRES PARTIE 1

 

 

 

CORSE DES GENS BIEN, CORSE DES MALFRATS

NOTES SUR DEUX LIVRES SUR LA CORSE

PARTIE 1

 

 

 

 

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

 

 

Parmi les nombreux livres qui paraissent sur la Corse, j’en ai lu deux qui semblent a priori dépourvus de points communs – sauf évidemment de concerner la Corse  et ses habitants.

L’un, déjà un peu ancien (2018) est un livre de Robert Colonna d’Istria, Une famille corse, sous-titré 1200 de solitude*. L’autre, de Jacques  Follorou, Mafia corse, une île sous influence   (2022) est consacré au milieu du grand banditisme corse et constitue la suite d’ouvrages du même auteur sur ce sujet toujours d’actualité.

                                                                            * Allusion, d’ailleurs peu claire, au livre célèbre de Gabriel García Márquez Cent ans de solitude. Les insulaires sont-ils si seuls (isolés, justement ?) - et les aristocrates si séparés des autres ?

 

Comme nous allons voir, ces deux livres suscitent des réflexions qui, malgré leur point de vue et leur objet dissemblables, se rejoignent en partie.

 

 

UNE FAMILLE DE L'ARISTOCRATIE CORSE

 

 

Le livre de Robert Colonna d’Istria, Une famille corse, est consacré à sa propre famille. Il a paru dans la prestigieuse collection Terre humaine (Plon éditeur) qui a publié beaucoup de livres destinés à faire date, à l’intersection de l’ethnologie et de la sociologie. Citons les deux premiers livres de la collection, Les derniers rois de Thulé de Jean Malaurie (sur les Esquimaux) et Tristes tropiques de Levi-Strauss, puis dans le désordre Le cheval d’orgueil de Jakez Helias (sur la Bretagne), Un substitut de campagne en  Egypte de Tewfik El Hakim,  L’été grec de Jacques Lacarrière, etc.

Comme l’indiquait l’éditeur, avec le livre de Colonna d’Istria, « la Corse entrait dans Terre Humaine ».  Pourtant, ayant lu quelques livres de Robert Colonna d’Istria, je m’étonnais un peu de le voir dans cette collection – de surcroît avec un livre sur sa famille. Bien sûr une famille aristocratique peut être étudiée sous un aspect sociologique ou ethnologique  (traditions, comportement devant l’existence et l’évolution historique, stratégies), mais son exemplarité pour représenter  l’ensemble de la population corse parait discutable. Or, l’auteur nous prévient que son livre n’est pas seulement  une chronique familiale, mais offre une façon de comprendre l’histoire et l’esprit de la Corse*. Nous pouvons quand même faire quelques réserves sur ce point de vue. Disons qu’avec Une famille corse, c’est sinon la Corse, du moins un aspect de celle-ci, qui entrait dans Terre Humaine.

                                                                                * « … les pages qui suivent peuvent ainsi se lire comme une histoire de la Corse vue à travers la chronique d'une famille du cru ». L’auteur s’efforce de rechercher « En quoi la famille a-t-elle été perméable par exemple à ce que certains auteurs ont pu appeler le « caractère » ou l'« âme » ou les « mœurs » corses ? »

 

La famille dont l’auteur est issu appartient au petit nombre des familles féodales corses : féodales au sens où elles ont eu des vassaux – mais ces vassaux n’étaient pas des nobles comme ailleurs, mais des paysans - et exercé une autorité quasiment absolue sur leur territoire (leur seigneurie) jusqu’à ce qu’un autre pouvoir plus fort (la république de Gênes) réduise à peu de chose l’autorité des seigneurs (qui ne disparut pas totalement toutefois, jusqu’à la fin de l’Ancien régime français).

 

 

 

UGO COLONNA, FONDATEUR LÉGENDAIRE

 

 

Les familles féodales du sud de la Corse (dites Cinarchesi*) prétendaient descendre d’Ugo Colonna, un noble romain, officier de Charlemagne, qui aurait été chargé (par le pape ?), de délivrer la Corse des Sarrasins qui s’y étaient installés. Après avoir chassé les Sarrasins, il aurait reçu pour lui et sa descendance le titre de comte souverain de Corse et aurait donné des fiefs à ses compagnons de combat

                                                                            * Les diverses familles féodales du sud de la Corse ont comme ancêtre commun Sinucello della Rocca, dit Giudice de Cinarca (la Cinarca est une micro-région), d’où leur nom Cinarchesi. Giudice, qui vécut entre 1221 et environ 1310, fut à un moment comte de Corse, avant d’être capturé par les Génois et de mourir en prison à Gênes. Plus tard, on dira de Giudice qu’il était lui-même le descendant d’Ugo Colonna.

 

Le caractère historique de l’existence d’Ugo Colonna a été mis en cause – la première mention écrite de ce personnage se trouve dans une chronique du 15 ème siècle. Mais Robert  Colonna d’Istria, tout en admettant que ce personnage est peut-être un personnage inventé, manifeste une hargne peu compréhensible contre les historiens du 19ème siècle (d’ailleurs des ecclésiastiques)  qui ont contesté son existence,: l’abbé Letteron, Mgr Girolami-Cortona, l’abbé Galletti.*

 

                                                                                        * Mgr Girolami-Cortona, qualifié de « pitre », est accusé d’avoir eu des prétentions nobiliaires et de devoir son appellation de Monseigneur à une quelconque affiliation à un pseudo ordre chevaleresque (alors qu’il fut simplement nommé prélat par le pape comme l’atteste sa notice du Dictionnaire historique de la Corse) ; l’abbé Galletti est invectivé non pour le contenu, mais pour les illustrations de son Histoire de la Corse, qui donnent « une image parfaitement niaise » de celle-ci, etc.

 

Robert Colonna d’Istria se moque de ces historiens qui ont voulu prouver « ce que tout le monde a toujours su : Ugo n’a jamais existé » - mais tout le monde le sait depuis justement les travaux des historiens. Pour l’auteur, « Ugo est un mythe » dont, à une époque, tout le monde a eu besoin » - surtout les familles féodales, d’ailleurs.  « L’invention d’Ugo l’entretien de son nom, sinon son culte, prouvent que nous sommes les auteurs du merveilleux et du romanesque de nos vies ».

Toutes les pages de son livre consacrées à cette question sont parsemées de déclarations autant virulentes que farfelues, qu’on peut, si on est de bonne composition, considérer comme de l’humour.*

                                                                                           * L’auteur mentionne particulièrement, comme témoignage de la renommée d’Ugo Colonna, l’existence d’un livre non retrouvé, « Les honneurs à Ugo », ou le « fait » que des navires rapides aient été nommés des « ugolines ». Il s’agit selon toute probabilité de pures et simples inventions de l’auteur, qu’il justifie sans doute par son droit d’embellir l’histoire – mais en faisant au passage quelques erreurs d’appréciation : si Ugo Colonna avait vraiment existé, il n’aurait eu d’importance que sur le terrain limité de la Corse et il n’y aurait pas de vraisemblance à ce que son nom ait servi à désigner un navire utilisé dans toute la Méditerranée …

 

 .

Plus étonnante est l’idée que la personne d’Ugo Colonna « rattache le système politique et social insulaire, essentiellement clanique, tribal, très peu chrétien – à la féodalité européenne, organisée, assise sur un système de valeurs parfaitement construit » : or, ce rattachement aurait eu lieu, grâce à « l’invention » d’Ugo Colonna, au milieu du 15 ème siècle, à une époque où la féodalité corse existait déjà depuis longtemps et même déclinait. On voit mal quel profit théorique elle aurait tiré de cette invention – qui a seulement servi à nourrir les prétentions des familles rivales se réclamant d’Ugo Colonna à jouir d’une prééminence (idéalement, à prétendre au titre de comte de Corse) sans réellement pouvoir transformer ces prétentions en réalité durable.

Les diverses familles Cinarchesi adoptèrent (vers le 17 ème siècle) le patronyme Colonna auxquels elles ajoutèrent leur patronyme courant (Colonna d’Istria, Colonna de Leca, Colonna d’Ornano etc). Leur prétention à avoir Ugo Colonna comme ancêtre a aussi permis (anecdotiquement) de se réclamer, par la suite, d’une parenté avec la famille des barons puis princes Colonna de Rome, parenté admise par des actes de ces derniers (probablement par bienveillance).*

                                                                                           * « Personne n’a eu l’audace, au sein des seigneurs Cinarchesi, avant le texte de la chronique de Ceccaldi au milieu du 16 ème siècle, de se donner pour origine la famille romaine des Colonna » (A-M.. Graziani, La Corse génoise, 1996).

 

La parenté revendiquée avec les Colonna de Rome est d’ailleurs difficilement compatible avec la légende d’Ugo Colonna, compagnon de Charlemagne vers l’an 800 : en effet, « le patronyme des barons romains Colonna n’apparait pas avant le 11ème siècle » (Alain Franzini, article Ugo Colonna, Dict. historique de la Corse).*

                                                                                         * L’actuelle famille des princes Colonna, ne prétend pas (ou plus) remonter au-delà du 11ème siècle.  On lit sur le site du Palais Colonna : «  Les Colonna. Une ancienne famille romaine dont l’histoire commence il y a neuf siècles. Le premier descendant effectivement connu est Pietro qui a vécu entre 1078 et 1108 dans la proche campagne au sud de Rome, dans un village appelé Colonna, qui donne son nom à la famille.

Depuis lors et jusqu’à nos jours, se succèdent dans la famille 31 générations, dont la branche principale s’installe à Rome au début des années 1200, aux pieds de la colline du Quirinal. » (Site du Palais Colonna, https://www.galleriacolonna.it/fr/les-colonna/).

 

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Le prince romain Don Prospero Colonna et son épouse la princesse Donna Jeanne Pavoncelli Colonna. Derrière eux, on voit sur la tapisserie les armes parlantes des Colonna, la célèbre colonne.

Fondation Palazzo Colonna. 

https://www.fondazionepalazzocolonna.it/fr/

 

 

 

 

CHEVALIERS IDÉALISTES OU NOBLIAUX RAPACES

 

 

L’auteur sait bien que les faits historiques - pas toujours faciles à connaître – sont sujets à des interprétations contradictoires, que le verre est pour les uns à demi plein et pour d’autres à demi vide. Il admet qu’ « Il n'y a aucune raison d'idéaliser siècles et institutions passés », ni évidemment, de les noircir exagérément : tous les régimes ont leurs côtés sombres.

Mais sa vision de l’action et de la situation de sa famille dans l’histoire (et plus largement de la féodalité, au moins en Corse) est plutôt laudative : « Dans le système féodal – ce qui explique sa longévité –, le peuple voyait dans ses chefs des juges et non des maîtres ». « Notre féodalité, en vérité, a été moins tyrannique que libérale, moins despotique que patriarcale – ce que peut-être on a le plus de mal à lui pardonner. »

Cet éloge des institutions féodales en Corse va avec une description flatteuse de la personnalité des seigneurs : « Nous qui sommes nés de la guerre, des guerres, qui sommes nés à cheval, l'épée à la main, pour pourfendre tous ceux, infidèles ou mécréants, petites gens [sic], médiocres, apprentis bourgeois, qui voulaient nous nuire, et qui voulaient nuire à ceux que nous étions là pour protéger. » Il écrit que la noblesse vivait dans « l’idée qu’on est en ce bas monde pour servir les autres ».

 

Les féodaux corses sont des idéalistes cherchant à protéger leurs vassaux*, et à faire régner la justice (des juges plus que des maîtres). Les idéaux de vie de cette classe seigneuriale sont – selon l’auteur - à l’opposé des idéaux bourgeois dédiés à l’enrichissement.

                                                                                               * En Corse, les vassaux ne sont pas des nobles mais des paysans. R. Colonna d’Istria écrit clairement que les seigneurs sont « propriétaires » de leurs vassaux – tout en déniant une quelconque forme de servitude. Alors, il ne faut pas écrire « propriétaire »...

 

Entre les deux classes (noble et bourgeoise) l’incompréhension est complète, pour l’auteur : 

« Incompréhension, voire détestation d’autant plus profonde qu'elle a sa source très loin des formes modernes de la vie en société, notamment de la bourgeoisie – des gens des « bourgs », de la ville, des lieux où est permis un enrichissement rapide.»

 « Idéalisme contre pragmatisme. Goût du panache contre sens de la mesure. Générosité contre avarice. (...) Eux – les bourgeois qui ont fini partout dans le monde par prendre le pouvoir et par faire croire que leur pouvoir était moderne, juste et bon –, eux n'existent que par leurs intérêts. Peut-on se comprendre ? »

Comme il faut bien être réaliste (aussi bien pour la classe seigneuriale que pour Robert Colonna d’Istria), il faut bien se résoudre à évoquer l’inévitable issue de cette opposition : la fusion de la classe seigneuriale dans la classe bourgeoise – la seule différence étant alors pour les anciens seigneurs, le sens de la durée historique, de la longévité de la famille : « Donc les bourgeois, qui n'existent que par ce qu'ils possèdent, qui comptent et empilent leurs sous, ..  les bourgeois que, par la force des choses depuis deux siècles nous sommes obligés de côtoyer, de croiser, .d’épouser, voire (..) d’imiter - s'ils savaient la longueur de notre histoire ! »

L’auteur évoque ainsi cette longévité qui se confond avec l’histoire de la Corse : « Des époques où notre terre a tour à tour été pontificale, pisane, espagnole*, génoise, française. Elle a même – un bref instant – dépendu du duc de Milan (…) [rattachée à la France, elle a connu] « monarchie, révolution, empire, encore la monarchie, puis la république (…). Mais ce qui est amusant, à peine croyable, c'est que nous sommes toujours là. »

                                                                                              * Exactement, aragonaise, ce qui n’est pas tout-à-fait la même chose… Et l’autorité du roi d’Aragon fut éphémère et ne s’exerça que sur une partie de la Corse, justement avec l’appui de certains membres de la famille d’Istria.

 

On peut être surpris de l’insistance de l’auteur pour faire croire que ses ancêtres ne s’intéressaient pas à la richesse matérielle – présentée comme si facile à acquérir (les villes, « des lieux où est permis un enrichissement rapide »). A ce compte-là, on se demande pourquoi il y a toujours des pauvres, et en plus grand nombre que des riches ! Il rappelle fréquemment la phrase qui pouvait servir de code de conduite aux seigneurs, Piu per onore che per utilità, « davantage pour l'honneur que pour l'utilité ».

 

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 Carte de Sebastian Münster, représentant l'Italie, la Corse et la Sardaigne, parue dans la Cosmographiæ Universalis, 1545.

https://www.venditastampeantiche.com/archivio-cartografia-italia/184-archivio-cartografia/archivio-cartografia-italia/1672-italia-mit-dreien-f%C3%BCrnemsten-inseln-corsica-sardinia-und-sicilia.html

 

 

 

LE TEMPS DES SEIGNEURS

 

 

Ces seigneurs, idéalistes à cheval, passèrent pourtant leur temps, pendant plusieurs siècles, à se faire la guerre, y compris entre membres d’une même famille, pour rafler des terres et des vassaux, et ce n'était pas une guerre en dentelles mais une guerre où tous les coups sont permis. Qui croira que ces guerres ne concernaient qu’eux-mêmes et leurs affiliés et que la population n’en subissait pas tous les contrecoups ? Cela continua jusqu’à ce que la république de Gênes, par des méthodes violentes, mette fin à leur autorité et transforme les survivants en auxiliaires dévoués.

Les seigneurs Cinarchesi descendaient des enfants de Giudice de Cinarca, qui fut un moment maître de toute la Corse avec le titre de comte de Corse (après avoir juré fidélité à Gênes et à Pise et s’être parjuré, ce qui était fréquent à l’époque). Ses enfants illégitimes furent à l’origine des diverses branches féodales du sud de la Corse qui parvinrent à durer jusqu’aux temps modernes. La famille d’Istria descendait d’un des fils de Giudice,  Salnese, qui livra son père aux Génois. R. Colonna d’Istria reconnait que « Salnese semble avoir été un vrai sale type ».

Les historiens décrivent ainsi la politique menée par les Cinarchesi : ceux-ci  « apparaissent plutôt comme un  vaste clan lié par de multiples alliances familiales mais divisé par de terribles luttes internes qui s’expliquent par l’affrontement de deux logiques opposées : d’un côté la volonté farouche des différents familles cinarchesi de protéger l’indépendance de leur seigneurie et d’empêcher toute prééminence d’une branche sur les autres ; de l’autre les tentatives régulières d’une famille de prendre l’ascendant et d’unifier sous son autorité l’ensemble du stato cinarchese (c’est-à-dire les seigneuries du sud de l’île) ou si possible la Corse entière «  (Dict. historique de la Corse, arf Cinarchesi de Philippe Colombani).

R. Colonna d’Istria reconnait que les différents groupes des Cinarchesi étaient mus « par la recherche, par chacun, d'espaces et de zones d'influence, d'où des rivalités incessantes, sanglantes, interminables », donnant lieu sur plusieurs siècles à une histoire où se succèdent « trêves, serments de fidélité rompus, enlèvement d'otages, renversements d'alliances, trahisons, bagarres, massacres, pratique de la terre brûlée, etc. »

S’ils combattent par l’épée (voire à coups de poing, comme Salnese d’Istria qui aurait tué un homme ainsi – mais était-ce un combat ou une exécution ?), les Cinarchesi sont aussi astucieux :

« …les Cinarchesi ont une ancienne habitude de se déclarer vassaux de la puissance dominante du moment pour obtenir rétrocession de leur propre fief, comme le fit Giudice avec Gênes puis avec Pise. Pour ces petits seigneurs, ces documents issus de prestigieuses chancelleries continentales sont particulièrement précieux car ils attestent de leurs titres et de leurs droits sur les hommes et les terres. Un seigneur suffisamment manœuvrier peut même profiter de ce genre de jeu de diplômes pour revendiquer ou annexer des terres qu’il convoite mais qui dans la pratique ne lui appartiennent pas » (Philippe Colombani, Les Corses et la couronne d’Aragon fin XIIIe- milieu XVe siècle. Projets politiques et affrontement des légitimités, thèse, 2015, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01408890/file/Colombani-Ph-VF.pdf).

 

 La cause parait entendue. Mais malgré ce qu’il écrit lui-même, R. Colonna d’Istria juge ses ancêtres (les Istria et les autres Cinarchesi apparentés) victimes, quasiment, de calomnies :

« De ces années, les historiens depuis deux cents ans, veulent retenir l'image de petits seigneurs guerriers, violents et ambitieux : les forts écrasent les faibles, et chacun rêve d'étendre son hégémonie au-delà  de sa juridiction »

Mais pour lui, « Il faudrait en revenir aux racines chrétiennes de la société médiévale, ce qui n'a pas été la préoccupation principale des recherches historiques depuis deux cents  ans ». Les seigneurs auraient eu de nobles ambitions : « assurer la stabilité, c'est-à-dire l'autorité et la justice », organiser la société en fonction des valeurs chevaleresques, tel fut « le projet de ceux qui ont construit le Moyen Âge [ ?] et œuvré pour introduire en Corse ce lumineux moment de la civilisation occidentale ».

Ainsi, après avoir décrit crûment la réalité violente des seigneuries du Moyen-Âge corse (en accord avec les historiens), R. Colonna d’Istria plaque ensuite sur cette réalité des  interprétations complètement opposées : c’est une véritable reconstruction de l’histoire…

D'ailleurs les Cinarchesi avaient un vrai projet politique - selon lui,  ce qui suffit à les justifier : «  L'historiographie contemporaine n'a voulu des XIVe et XVe siècles retenir que la confusion et la – relative – violence des .événements, les divisions, l’inconstance des segneures corses ».  Mais ce qu'ils voulaient, c'est « résister à Gênes et créer un État aristocratique ». Mais l'auteur omet de dire que chaque famille voulait créer cet Etat à son seul profit,  d'où des guerres incessantes - et plus modestement, comme on l'a vu, ils se bornaient souvent  à  lutter entre eiux pour « empêcher toute prééminence d’une branche sur les autres ». Pour cela, ils n'hésitaient pas à s'allier à Pise ou à  Gênes quand leur intérêt le commandait, favorisant ainsi des puissances extérieures qui prenaient grâce à eux, pied en Corse.  Ici encore, la réalité historique est en contradiction avec l'interprétation de l'auteur.

 

 

 

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Ruines du château de Baricci (casteddu di Baricci), à cheval sur les communes de Sartène et de Foce. Le château fut construit dans les années 1380 par Arrigo di la Rocca (ou della Rocca), un seigneur Cinarchesi. Il fut ensuite détruit par les Génois au début du 16 ème siècle. Les ruines ont été classées Monument historique en 2021.

Corse-Matin.

https://www.corsematin.com/articles/u-casteddu-di-baricci-patrimoine-classe-monument-historique-115931

 

 

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Reconstitution hypothétique d'un château des seigneurs Cinarchesi : le castellu des Rocche di Sia à Ota (d'après les relevés du Père Louis Doazan).

Dominant le golfe de Porto, le castellu des Rocche di Sia, qui appartenait aux seigneurs de Leca, fut construit  vers 1413 et totalement détruit en 1491 ; il se présentait comme un ensemble fortifié articulé sur trois niveaux. Tout au sommet prenait place une tour quadrangulaire qui devait faire office à la fois de poste de guet et d’ultime refuge.

D’après l’ouvrage Sevi - Sorru Cruzzini – Cinarca, sous la dir. de Daniel Istria, Mathieu Harnéquaux, publication du CRDP de Corse.

http://www.educorsica.fr/phocadownload/pdf/sevi-sorru-cinarca.pdf

 

 

 

UNE FÉODALITÉ TOLÉRABLE ?

 

 

Robert Colonna d’Istria admet qu’au début de quelque chose, il y a souvent une usurpation, un acte de violence, et qu’après, on s’efforce de dissimuler cela – ainsi seraient pour lui les débuts de sa famille. Mais on peut remarquer que durant le Moyen-Âge sa famille (et celle des autres seigneurs) se livra à des guerres et des violences continuelles – il serait d’ailleurs intéressant de comparer sur ce point la féodalité corse à celle d’autres pays*. La violence des débuts se perpétua donc sur une longue période.

                                                                                             * Le fait qu’en Corse la féodalité ne comportait pas de lien vassalique (donc d’obligations croisées) entre nobles explique probablement une situation d’anarchie et d'oppression plus complète qu’ailleurs. On pourrait soutenir que l’aspect moral de la féodalité a été absent en Corse.

 

La domination seigneuriale dura plus longtemps au sud qu’au nord de l’île. Au nord, les seigneurs furent balayés au 14 ème siècle,  sans violence semble-t-il. La population, guidée par les notables, après avoir mis fin à la puissance des seigneurs, se donna à la « Commune » de Gênes – c’est la fameuse deditio de 1358 à laquelle est attaché le nom de Sambucuccio d’Alando qui fut un des négociateurs. Au sud, les seigneuries persistèrent (d’où l’appellation de Terre des Seigneurs qui fut donnée à l’époque à cette  partie de la Corse) : les Istria notamment tentèrent de jouer la carte du roi d’Aragon.

Puis les seigneurs furent mis au pas par Gênes, de façon très brutale pour les Leca et les de la Rocca, quasiment éliminés physiquement. Ce qui subsistait des seigneurs devinrent  des auxiliaires de Gênes qui en échange, leur laissait quelques droits (lever des taxes, rendre la justice).

L’observation de R. Colonna d’Istria que les gens n’ avaient sans doute pas trop à se plaindre de la féodalité puisqu’elle existait encore plusieurs siècles après son installation, semble spécieuse (le régime seigneurial a partout duré plusieurs siècles, ce n’est pas une spécificité corse) ; on verra en deuxième partie ce qu’il faut penser de la « bénignité » du régime seigneurial corse dans ses derniers siècles d’existence.

 

 

QUAND LES NOBLES DEVIENNENT DES BOURGEOIS

 

 

Après avoir vécu d’honneur et d’eau fraîche (ou presque), à suivre l’auteur, la classe seigneuriale avait rejoint le troupeau à l’époque moderne et contemporaine : « Au diapason du monde, nous avons vécu de gloire et d'honneur, puis les temps ont changé : nous nous y sommes mis, avons écouté le chant des sirènes de la richesse matérielle. Pouvions-nous faire autrement ? » « Parviendra-ton jamais, au temps du capitalisme triomphant, à oublier nos rêves de preux chevaliers ? »

Comment pourrait-on prendre au sérieux de telles phrases ? N’est-il pas clair qu’à l’époque seigneuriale, la richesse était dans les mains des seigneurs – ils ne savaient peut-être pas quoi faire pour l’augmenter (et encore) mais leur autorité leur donnait des droits à jouir du peu de richesse que le territoire qu’ils contrôlaient pouvait produire : honneur, gloire, pouvoir et richesse étaient des synonymes. La pseudo-conversion de la classe des seigneurs aux intérêts « matériels » ou bourgeois est en fait, l’effort (réussi) de conserver ses avantages dans un environnement économique, social et politique qui se modifie. D’ailleurs Robert Colonna d’Istria en est conscient, puisqu’il écrit à propos des seigneurs d’Istria des 16ème et 17ème siècles : «  Ce sont des gens de pouvoir, qui s'occupent de leurs affaires, et en tirent de substantiels revenus.* »

                                                                                                   * En 1614, le fief d’Istria comporte 700 à 800 vassaux (paysans) répartis entre 9 seigneurs [de la famille d’Istria] dont l’un possède la moitié, selon R. Colonna d’Istria, qui  précise que  les seigneurs étaient « couverts de privilèges » par la république de Gênes.

 

Malgré cette lucidité ponctuelle, il en revient toujours à son impression d’ensemble flatteuse et idéaliste : les seigneurs sont là pour servir les autres (il est vrai que charité bien ordonnée…).

Pour nous, Robert Colonna d’Istria confond  l’idéologie d’une société ou d’une classe avec sa réalité : parler d’honneur et de gloire était la façon dont les aristocrates de l’époque, peut-être illusionnés par leur propre invention, justifient leur pouvoir de confiscation sur les richesses produites sur le territoire qu’ils contrôlent.

D’ailleurs, l’auteur reconnaît à divers endroits de son livre que l’univers des seigneurs était un univers bourgeois, sinon  petit bourgeois : « Par-delà leur esprit féodal, leur attachement à leur terre, leur univers finalement bourgeois, voire  petit bourgeois, .les membres de la famille ont, pour avoir duré si longtemps, des siècles, su en définitive, viser loin et s’élever. (…) sans prétendre jamais retrouver leur position d’il  y a six siècles, ils ont su, à l’image du Guépard de Lampedusa, vouloir que tout change pour que rien ne change »

 

 

 L'HONNEUR DANS LES SOCIÉTÉS MÉDITERRANÉENNES

 

 

L’auteur suppose (on le disputera pas trop sur ce point) que les qualités prêtés à sa famille valent, peu ou prou, pour l’ensemble des Corses – du moins à une époque donnée – puisque les mentalités évoluent nécessairement.

A travers sa famille, il pense possible « D'entrevoir – s'il n'est pas ambitieux de prétendre à des généralisations – non une identité corse – car celle-là est forcément mouvante, variable, renouvelée, affectée par toutes sortes d'expériences personnelles –, mais un être corse, c'est-à-dire une manière unique, inimitable, de se situer dans le temps et dans l'espace.... »

Le culte de l’honneur qu’il attribue aux familles aristocratiques se retrouve, pour lui, dans la population corse, et plus largement  méditerranéenne. Il rappelle que l’honneur a été appelé « l’opium des peuples de Méditerranée ». La devise Piu per onore che per utilità « davantage pour l'honneur que pour l'utilité » est en quelque sorte un marqueur identitaire corse.

Mais la façon dont l’honneur fut perçu (en Corse et dans d’autres sociétés), notamment avec les obligations de la vendetta, avec la condition féminine sous étroite surveillance des hommes, justifie difficilement la phrase de l’auteur sur l’époque passée : « les temps étaient au panache », d’autant que l’auteur lui-même dénonce le caractère inhumain et sombre (« atroce ») des sociétés dominées par des conceptions exagérées de l’honneur. Même s’il observe « l’ambivalence » des valeurs d’une société, il semble se contredire fréquemment, admirant ici en gros ce qu’il dénonce là en détail, ou le contraire…

 

 

LES GÉNOIS  ET LES CORSES : UN MÉPRIS PARTAGÉ ?

 

 

C’est une des caractéristiques de l’auteur de procéder par affirmations souvent contradictoires, qui ne sont pas la prise de conscience du caractère inévitablement contradictoire des réalités (des aspects contraires peuvent exister simultanément dans la réalité observée, indépendamment même de l’inévitable subjectivité  des observateurs -  mais le plus souvent ces aspects contradictoires existent dans des proportions dissemblables de sorte qu’en fait, l’un des aspects l’emporte sur l’autre) – mais une tendance à substituer une description idéale à une réalité bien moins idéale : la contradiction devient une constante et brouille son message.

Ainsi ce qu’il dit des Génois. Il constate assez justement que les Génois n’ont jamais été aimés en Corse et que la mémoire les a chargés de tous les défauts.

Pour les familles nobles, à l’en croire, les Génois représentaient tout ce qu’ils méprisaient, des marchands qui ne s’occupaient que d’enrichissement.

Certes, il a pu arriver que des membres de la famille d’Istria s’unissent à des Génois – mais c’était une triste nécessité. Par exemple, vers 1500, Vincentello III d’Istria épouse Vanina, fille de Domenico Negrone, riche commerçant génois « un peu pirate », fondateur d’Ajaccio. Selon l’auteur, ce Negrone était un pharisien, si on suit la définition de Schopenhauer, un homme dépourvu de besoins intellectuels, opposé au génie qui lui permet aux masses de s’améliorer. Faut-il penser que les d’Istria étaient eux, des génies ? Qu’ils débordaient de besoins intellectuels ? Ou plus simplement qu’il s’agissait de l’alliance de deux types d’intérêts, chacun espérant y trouver son compte ?

Certains membres de la famille d’Istria (probablement assez peu) purent contracter des alliances avec des familles génoises de la « meilleure société ». L’auteur reconnait que ces alliances étaient  flatteuses pour sa famille (plus que l’inverse) : « un peu, où au gré des alliances nous nous sommes – difficilement – faufilés dans les rangs de la meilleure société [génoise], « Pour nous qui n'étions que d'humbles petits seigneurs ruraux impécunieux, cela ouvrait des perspectives » (à propos de mariages entre les Istria et des familles de Gênes même, ou des familles d’origine génoise d’Ajaccio et de Bonifacio.

De sorte qu’on ne sait pas bien comment l’auteur considère rétrospectivement ces mariages dans des familles génoises (depuis des familles commerçantes jusqu’à des familles aristocratiques – ou mieux sans doute, les branches pauvres de familles aristocratiques) : promotion sociale ou humiliante nécessité ? Il serait trop simple de dire les deux.

On peut aussi s’étonner qu’il écrive que les Corses (du moins les familles aristocratiques) découvrent, après l’annexion à la France, la société  de l’Ancien régime français, « plus séduisant que la société des marchands d’anchois de Gênes »,  comme si sa famille n’avait pas brigué l’alliance de ces « marchands d’anchois » et comme si beaucoup de Corses – même nobles - avaient particulièrement connu les charmes de l’Ancien régime français, sinon de très loin. On peut penser au jeune Bonaparte, humilié par sa position de boursier dans une école militaire ou à son père Charles qui faisait antichambre chez un commis de ministère pour grapiller quelques avantages…*

                                                                                                   * Les Bonaparte furent reconnus nobles comme une centaine d’autres familles corses (dont les Colonna d’Istria) par l’Ancien régime français.

 

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Pierre-Paul Rubens, Portrait de Violante Maria Spinola Serra, 1606-07.

 ©The Faringdon Collection Trust, Buscot Park, Oxfordshire (G-B).

Les portraits de femmes de l'aristocratie génoise au début du 17ème siècle, par Rubens ou Van Dyck, montrent la distance qui pouvait séparer la classe dirigeante génoise, avec son luxe et son apparat, de la besogneuse classe noble corse. Celle-ci s'en vengeait par un mépris de compensation, qualifiant volontiers les Génois de marchands, mais saisissait avec empressement toutes les miettes que les Génois lui concédaient. .

 

 

 

 

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 Pierre-Paul Rubens, portrait de la marquise Brigida Spinola Doria, 1606.

 National Gallery of Art, Washington (USA).

Encore une dame de la haute aristocratie génoise.

 Wikipédia.

 

 

 

 LE (SOI-DISANT) MÉPRIS DES RICHESSES

 

 

Robert Colonna d’Istria attribue à l’ensemble de la population corse* un « désintéressement ostentatoire » - qu’il analyse comme un  « comportement de compensation »,  «  un  détachement pour ainsi dire oriental »,  illustré par des proverbes :  « de l’argent, même le bourreau en possède », « richesse de naissance n’est pas vertu » - et il commente : ce n’est pas très pratique mais c’est beau.

                                                                                        * Il écrit : « Curieusement, il s'agit d'attitudes à l'origine aristocratiques, qui se généralisent à l'ensemble de la société, sans doute parce qu'elles sont l'expression d'un ethos corse, d'une manière corse d'habiter la Terre et de vivre en société » ou peut-être « expression de culture méditerranéenne », dont font partie le sens exacerbé de l’honneur, le goût des armes, le besoin de faire soi-même justice le désintéressement ostentatoire, le sens du groupe, de la famille, du clan, « modes de pensée évidemment ambivalents »...

 

Ce désintérêt par rapport à la richesse aurait eu comme conséquence (ou comme corollaire) le fait que « dans l’île, il n’a jamais été question de mépriser le pauvre », d’ailleurs la noblesse aussi vivait à la limite de la pauvreté, « selon les critères continentaux », ajoute-t-il (ce qui fait toute la différence) et puis, comme on l’a vu, l’idéal de la noblesse était «  qu’on est en ce bas monde pour servir les autres ».

Ici encore, il tombe  dans le piège de l’idéologie : les vertus affichées par une société ou une classe ne sont pas forcément sincères. Il note pourtant bien le caractère compensatoire de ce « désintéressement ». Pauvres, les Corses feignent de mépriser la richesse; c’est l’éternelle attitude du renard qui ne peut manger les raisins : ils sont trop verts et bons pour des goujats.

D’autant que si la richesse en Corse ne peut pas se comparer, compte-tenu de la situation économique de l’île, à celle d’endroits plus favorisés du continent, elle existe quand même et fait la différence entre les gens « bien »  (qui ont la naissance et la richesse) et les autres. Les naïves considérations sur l’égalité profonde des Corses, faites par des voyageurs français d’Ancien régime, habitués à un système social bien plus différencié, ne paraissent pas tenir devant la réalité : la société corse du passé opposait bien « dominants et dominés » avec comme principal critère de la domination, l’argent  qui « grandit les hommes » selon l’expression d’un Corse du 17ème siècle  (li danari inalzano gli huomini) (cité » par A-M. Graziani, La Corse génoise, 1996).

Quant à l'esprit d'égalité des Corses, on peut en juger par ces réflexions de sgiò* sartenais vers le début du 20 ème siècle. Se promener sur la place Porta avait longtemps  été réservé exclusivement aux sgiò. S'apercevant que de plus en plus de gens prenaient l'habitude de s'y promener, un sgiò fit cette réflexion : Ma parole, on dirait que cette place devient un lieu public.

Vers 1920, un sgiò probablement décavé, regardant des « gens de peu » enrichis qui s'exhibaient dans une automobile - signe de richesse encore rare en Corse à ce moment, remarquait : Avà, anc’a merda cuddà in vittura, maintenant, même la merde monte en voiture.

                                                                                                                     * On appelait (à partir du 18ème siècle ?) sgiò (abréviation de signor, signori), les membres des familles aristocratiques (ou assimilées) du sud de la Corse. Ce terme resta d'usage courant jusqu'à la première moitié du 20ème siècle.

 

Enfin, l’auteur, sagement, observe que les mentalités ont changé (et donc que le pseudo désintéressement des Corses n’est plus qu’un souvenir historique).

 

 

 

CORSES ET FRANÇAIS

 

 

Pour un auteur qui écrit sur la Corse dans la longue durée, on peut attendre qu’il aborde la question de l’existence ou non d’un peuple corse et donc, même indirectement, la question de la façon dont l’existence de ce peuple peut  être politiquement reconnue, donc, nommément,  la question du nationalisme corse.

On peut penser (c’est son droit) que Robert Colonna d’Istria n’est pas favorable au nationalisme corse (qui à bien réfléchir, consiste seulement à penser que les Corses devraient constituer une nation corse au lieu de faire partie de la nation française : on n’échappe jamais au « nationalisme »).

Mais il fait visiblement partie de ceux qui croient à « l’histoire d’amour » ou peu s’en faut, entre Corses et Français. Déjà il nous apprend que « Les Corses ont admiré les Aragonais, les Français, les Milanais », mais probablement pas les Génois, Suit l’éternelle morceau sur l’incompréhension des Corses pour ces « marchands terre-à-terre ». En retour, les Génois ont méprisé les Corses et même (scandale !)  les bonnes familles corses ; ont-ils jamais estimé la famille d’Istria autrement que pour sa capacité à maintenir un peu d’ordre ? dit l’auteur - ce qui n’a pas empêché les mêmes Génois de les couvrir de privilèges, voir plus haut.

Rien de très original, sinon qu’on aimerait savoir ce qui permet à l’auteur d’écrire que les Corses ont particulièrement admiré les Aragonais ou les Milanais (ces derniers très éphémères possesseurs indirects de la Corse).

Mais venons-en aux Français...

« Avec les Français, cela a toujours été différent : il y avait de l'intérêt, mais aussi une estime mutuelle. L'affaire est ancienne », nous prévient l’auteur. Nous nous attendons à une cascade de citations.

Mais non, la seule citation qui vient est en effet ancienne ; c’est un éloge du caractère des Corses (courtois, hospitaliers et ... guerriers) par un personnage qui visite la Corse et la Sardaigne (vers 1175). Ce personnage est présenté par Robert Colonna d’Istria comme « Gérard de Lorraine, vicomte de Strasbourg ». Les qualités qu’il reconnait aux Corses font défaut aux Sardes.   « … en Corse, un féodal   a rencontré d'autres féodaux semblables à ceux qu'il connaissait, tandis qu'il est déconcerté devant les Sardes ».(on remarque qu’il ne s’agit pas d’admirer les Corses en général, mais une classe). A partir de là, l’auteur parle de « d'une admiration réciproque, d'un commun goût du panache »  avec les Français ! Au passage, si le témoin cité apprécie les Corses – en fait les seigneurs corses -  rien n’indique que les Corses apprécient également « les Français ».

En fait toute cette histoire est cousue de fil blanc…

 

 

QUELQUES RECHERCHES SUR GÉRARD, GIRARD, GHIRARD OU BURCHARD, VOYAGEUR EN CORSE VERS 1175

 

 

 

Tout d’abord, en quoi un Lorrain du 12 ème siècle, vicomte de Strasbourg, serait-il représentatif des Français (et même des Français de toutes les époques) ? Ce personnage, sujet de l’empereur germanique, qui l’avait envoyé en mission, appartient au monde germanique et la Lorraine comme l’Alsace ne seront françaises (en droit, sinon culturellement), que des siècles plus tard.

R. Colonna d’Istria puise ses renseignements dans le livre de Fernand Ettori, La Maison de La Rocca : Un lignage seigneurial en Corse au Moyen Âge, (s.d.), qui cite le passage en question. Sauf que Fernand Ettori, historien véritable, n’en tire pas de conclusion sur l’ancienneté de l’admiration réciproque « des Corses et des Français » :  l’idée ne lui vient pas de faire de « Gérard de Lorraine » un Français.

Dans un autre article de F. Ettori (publié dans la revue Peuples méditerranéens, 1987), le personnage est présenté comme « Ghirard de Lorraine, vicomte de Strasbourg, envoyé extraordinaire de l'empereur Frédéric Ier auprès du sultan d'Egypte ». Ettori, après avoir cité l’éloge des Corses par « Ghirard », écrit : « Ce passage ne signifie rien d'autre que ceci : le vicomte de Strasbourg, seigneur féodal, reçu en Corse par les seigneurs féodaux, a reconnu ses pairs, avec les mêmes usages et le même système de valeurs ; toute chose qu'il ne retrouve pas — ou du moins pas au même degré — dans une Sardaigne moins touchée par le féodalisme de Terre ferme »*. (Fernand Ettori, Peuple, nationalité, nation : pour une réévaluation de l'histoire de la Corse, in Corse, l’île paradoxe, Peuples Méditerranéens, 1987 https://archive.org/stream/peuplesmditerran1987pari/peuplesmditerran1987pari_djvu.txt

                                                                                                                        * A noter que pour A-M. Graziani (La Corse génoise) la Corse et la Sardaigne partageaient la même situation de féodalisme incomplet par rapport à ce qui existait sur le continent. 

Enfin (et surtout)  il apparait que le texte cité (qui fut intégré vers 1200 dans la Chronica Slavorum du bénédictin Arnold de Lübeck, continuateur de la  chronique du même nom du prêtre Helmold de Bosau), émane en fait d’un certain Burkardus ou Burchard*, « Vidame** de Strasbourg et notaire de l’empereur germanique Frédéric Ier Barberousse » (était-ce d’ailleurs un « féodal » ou plutôt un légiste ?- peu importe ici), qui a écrit un Itinerarium de son  voyage en Egypte.

                                                                                                         * Il semble que la rectification de l'identité de « Girard » en « Burchard » date (au moins) d'une édition savante de la Chronica Slavorum en 1868. 

                                                                                                         ** Vidame est le titre porté par le défenseur laïc d'un évêché ou d'une abbaye.

 

 

Ce Burchard aurait été natif ... de Cologne ! Il existe des incertitudes sur l’identité exacte de ce personnage, plusieurs Burchard apparaissant dans des textes de l’époque, mais qui peuvent finalement être le même individu (voir John Tolan, L’Europe latine et le monde arabe au moyen âge, Cultures en conflit et en convergence, 2007 (chapitre  Veneratio Sarracenorum : dévotion commune entre musulmans et chrétiens selon Burchard de Strasbourg, ambassadeur de Frédéric Barberousse auprès de Saladin (v. 1175), https://books.openedition.org/pur/136398?lang=fr ).

 

En bref, citer comme témoignage de l’admiration  (ou estime) mutuelle des Corses et des Français, les compliments faits aux seigneurs corses par un sujet germanique de l’empereur germanique vers 1175, est quand même une belle plaisanterie …

Certes on trouverait à foison, au 19 eme, 20ème et même 21 ème siècle , des textes où des Corses expriment avec fierté (et emphase) leur appartenance à la nation française (ce qui, en stricte logique, n’est pas tout-à-fait  la même chose que l’admiration mutuelle de deux peuples) ; on trouverait un peu moins de textes où des observateurs français font preuve d’admiration pour les Corses !

 

 

 

UN CORSE ILLUSTRE MAIS PEU FRANCOPHILE

 

 

Peut-on verser à la question quelques lignes bien connues d’un Corse illustre ? En 1789, Napoléon Bonaparte écrit à son parrain  Laurent Giubega, lors des débuts de la Révolution française : «  Tandis que la France renaît, que deviendrons-nous, nous autres infortunés Corses ? Toujours vils, continuerons-nous à baiser la main insolente qui nous opprime ? continuerons-nous à voir tous les emplois que le droit naturel nous destinait occupés par des étrangers aussi méprisables par leurs mœurs et leur conduite que leur naissance est abjecte ? »  Ces étrangers méprisables et  dont la  «  naissance est abjecte » sont évidemment des Français. Certes, Napoléon veut ici dire (avec quelques raisons) que ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux parmi les Français qu’on trouvait en Corse vers 1789, mais son invective semble dépasser le cadre limité des Français présents en Corse à l’époque.

De même dans ses Notes diverses sur L’Histoire de France de l’abbé de Mably, toujours en 1789, le jeune Bonaparte décrit ainsi les Français (il s’agit d’une appréciation sur la formation du peuple français mais elle semble bien s’appliquer aux Français de façon générale) : « Féroces et lâches, les Français joignirent aux vices des Germains ceux des Gaulois et furent le peuple le plus hideux qui puisse exister ».

Dépréciation « compensatoire », comme dirait Robert Colonna d’Istria, par laquelle un Corse qui se sent humilié dénigre ceux qui dominent son pays.

Mépriser « les Français » comme ils avaient méprisé les Génois fut longtemps un réflexe « compensatoire » des Corses.*

                                                                        *  Une citation parmi d’autres : « En général, le Corse n’aime pas les étrangers, soit parce qu’il a été accoutumé à voir en eux des ennemis, soit parce que les étrangers ne partagent point ses préjugés. Il se croit très supérieur à eux. Il dit : Ce n’ est qu’un Génois, qu’un Lucquois [les originaires de la région de Lucca venaient travailler en Corse au 19ème siècle, puis le terme a longtemps servi en Corse pour désigner tous les Italiens immigrés] et même : ce n’ est qu’un Français » (Mémoire sur la Corse de. Réalier-Dumas, magistrat, 1819).

 

R. Colonna d’Istria ne cite pas non plus les nombreux textes émanant de Français avant ou après l’annexion - qui ont véhiculé une image dépréciative des Corses – il y en aurait trop !

 

 

 

FIDÈLE À PAOLI EN LE TRAHISSANT ...

 

 

Pour en finir avec le sujet du nationalisme corse, l’auteur évoque l’attitude d’un de ses ancêtre Ottavio Colonna d’Istria, vivant au 18 ème siècle, qui après être resté fidèle à Gênes pendant un moment, se rallia à Pascal Paoli puis se rallia aux Français dès 1768 (avant la défaite de Paoli en 1769) et participa à la soumission de l’ile  (ce que sauf erreur, l’auteur ne dit pas). L’auteur justifie ainsi l’opportunisme de son ancêtre : «  Le projet de Paoli, plein de promesses, n'avait aucun avenir sans la protection d'une grande puissance : y en avait-il de meilleure que la France ? » 

Peut-on trouver une formulation qui dénote une incompréhension (volontaire ?) plus complète des enjeux historiques que celle utilisée par l’auteur ? En 1768-69, il y avait des dizaines de raisons, bonnes ou mauvaises, pour lesquelles un Corse a pu se rallier aux Français et même combattre à leurs côtés, mais personne n’a jamais imaginé que ce pouvait être pour rester fidèle au projet paoliste d’une Corse indépendante, ni que la Corse annexée à la France était la même chose qu’une Corse indépendante, même sous la protection d’une grande puissance !

 

 

 

AU CENTRE DES RELATIONS INTERNATIONALES : N'EXAGÉRONS RIEN

 

 

On voit les reproches que nous faisons à l’ouvrage de Robert Colonna d’Istria : quelques affirmations à la limite de la mauvaise foi, et le plus souvent, des appréciations exactes sur des points particuliers, mais qui se trouvent finalement effacées par des appréciations contraires, mais que l’auteur semble préférer, car donnant à la réalité la couleur qu’il veut lui donner, aussi bien pour « les Corses » que pour sa famille. On ne peut pas vraiment parler ici d’ambivalence, car ce terme suppose la prise en compte consciente des aspects contradictoires d’une réalité, ou la mise en évidence  d’une contradiction dans la présentation des faits. Ici, on se trouve plutôt devant un refus de l’objectivité au profit de reconstitutions imaginaires.

Caractéristique aussi du style (ou de la façon de voir) de l’auteur, une tendance à l’exagération, à majorer l’importance de ce dont il parle. Ainsi il définit l’existence de la famille d’Istria à la fin du Moyen-Age : « On entreprend, on se bagarre, on gagne un peu, la Corse – et la famille – est au centre des relations internationales : c'étaient vraiment des siècles satisfaisants ».

On a une meilleure idée de l’importance internationale de la Corse à l’époque dans la chronique de Giovanni della Grossa, où il dit que le roi d’Aragon, vers 1430, lorsqu’il a l’opportunité de s’emparer du royaume de Naples, « ayant l’occasion  d’entreprendre de grandes choses  […] se détermina sur l’instant à laisser là les pauvres affaires de Corse » (cité par J-M. Arrighi et O. Jehasse, Histoire de la Corse et des Corse, 2008).

Les puissances voulaient bien s’emparer de la Corse (un territoire est toujours bon à prendre) mais ne s’illusionnaient pas sur son intérêt et proportionnaient à cet intérêt les efforts qu’ils étaient prêts à faire pour s’en emparer.

 

 

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L'Italie, la Corse et la Sardaigne. Fresque, entre 1580 et 1583.

Galerie des cartes du Vatican, musée du Vatican..

Photo Jean-Pol GRANDMONT

Wikipédia. 

 

 

 

 

RELIGION

 

 

On trouve aussi chez Robert Colonna d’Istria  un grand nombre de notations pertinentes et intelligentes.

Ainsi, dans un chapitre dénommé « Archaïsme », où il recense certaines traits de la mentalité (ou de l’identité) corse, il nuance l’idée qu’on peut se faire de l’importance de la religion en Corse. Tout d’abord, la religion en Corse n’y a pas pris, dans l’histoire,  un caractère contraignant :

« … à l’inverse d’autres régions comme l’ouest de  la France ou certaines portions de l'Espagne, où la religion a pu être oppressante et exercer une emprise pesante sur les personnes, la religion en Corse a toujours été dirait-on débonnaire, bon enfant, proche des croyances traditionnelles , tolérant les superstitions et, pour les clercs comme pour fidèles, s'accommodant de toutes les faiblesses de l'âme humaine. »

Ainsi peut s’expliquer, de la part des Corses, un respect de la religion qui est surtout attaché aux formes extérieures et aux traditions : « Pour les grandes occasions, les Corses, qui vont aussi peu à la messe que les copains, sont prêts à redevenir religieux », « ils  semblent davantage attachés aux formes – processions, cérémonies, fêtes carillonnées – qu'aux principes mêmes de l'Évangile ». « Autant dire que le peuple corse croit, voudrait croire, pense qu'il serait mieux de croire que de ne pas croire, mais ne pratique pas. Qu'il est très religieux – en surface – et peut-être moins en profondeur ».

Ces remarques de R. Colonna d’Istria sont-elles exactes en ce qui concerne la situation actuelle de la Corse ? Il est probable que le respect des formes extérieures de la religion a mieux résisté qu’en France continentale, et surtout ce concerne les formes considérées comme spécifiquement corses  (chants, confréries). Ces traditions sont des éléments d’identité corse que la population s’attache à maintenir ; après une période où elles ont semblé en voie d’extinction, elles ont connu un renouveau et une réappropriation dans les dernières décennies.

En somme (ce n’est pas R. Colonna d’Istria qui le dit mais on peut le déduire de ses remarques), la religion est en Corse  bien plus du domaine de la culture que de la foi.

 

R. Colonna d’Istria rappelle aussi dans le chapitre dénommé « Archaïsme », l’existence de certaines superstitions (à vrai dire pas plus prégnantes que dans bien d’autres régions*) ; parmi les traditions évoquées, il cite le rôle de l’asphodèle dans certaines pratiques magiques. Il rappelle que l’asphodèle constituait un marqueur du paysage corse au point de donner lieu à la formule  Un' cunnosce più l'albucciu (« Il ne reconnaît plus l'asphodèle »). « Elle se disait du Corse expatrié, de retour au pays après un long temps d'absence » - même si la formule Un’ cunosci più a filetta (tu ne connais plus la fougère) est plus répandue**.

                                                                                                                                    * Au 19ème siècle, Prosper Mérimée estimait même que les Corses étaient peu superstitieux, moins que les habitants d'autres régions françaises.

                                                                                                                                   ** F. Ettori, dans son Anthologie des expressions corses, rappelle que la formulation avec a filetta est originaire du nord de l'île et qu'elle n'était pas employée au sud.

 

 

 

UNE (PETITE)  ÉNIGME HISTORIQUE

 

 

Dans la première partie de son livre, l’auteur  développe l’histoire de sa famille pendant les siècles qui vont du Moyen-âge à la Révolution française, tandis que la seconde partie est consacrée à des destins individuels depuis le 19 ème siècle, puis à une sorte de description de la famille aujourd’hui, autant qu’il soit possible de la faire (ce qui donne lieu à des pages qui auraient probablement pu être raccourcies dans le style : « pourrait-on faire des statistiques des films préférés des membres de la famille, de leurs préférences en matière de cocktails, de leurs pathologies etc).

On peut signaler dans la partie historique du livre, un épisode qui semble énigmatique ; R. Colonna d’Istria raconte, d’après une brochure d’un historien du début du 20ème siècle, qu’en juillet 1796, un certain Pancrace Colonna d’Istria, élu de Tallano (au conseil général ?), chargé (probablement) d’une mission par Joseph Bonaparte, président du district d’Ajaccio, arrive de Corse et remonte sur Paris. A Lyon, il se fait remarquer en critiquant des contre-révolutionnaires dans un hôtel (Lyon était une des villes ou après la chute de Robespierre, les contre-révolutionnaires tenaient le haut du pavé) et il est poignardé le lendemain au moment de monter en diligence. Grièvement blessé, il est achevé par ses assassins à l’Hôtel-Dieu où il a été transporté. Pourquoi cet acharnement ? Il est (un peu, mais pas complètement) surprenant de voir un Colonna d’Istria, ex-noble, se ranger du côté des républicains ( il serait exagéré de dire du côté des Jacobins, car à cette époque  du Directoire, les Jacobins sont aussi mal considérés que les royalistes par le personnel au pouvoir) - en fait ce n’est pas si rare que ça : voir justement les Bonaparte.

Seulement il existe sans doute dans ce récit une erreur de date : en juillet 1796, la Corse vit toujours sous le régime du royaume anglo-corse, Sir Gilbert Elliot y est vice-roi au nom du roi George III (les Anglais n’évacuent la Corse qu’en octobre 96). Comment Pancrace Colonna d’Istria pourrait-il être chargé d’une mission par Joseph Bonaparte dont on sous-entend qu’il est présent en Corse et y occupe des fonctions électives ? A moins qu’il s’agisse de fonctions électives fictives dont les Corses républicains réfugiés en France étaient titulaires ? Mais le déroulement du récit ne colle pas avec cette possibilité. Enigme à élucider…

 

 

 

 LE TOPONYME ET LE PATRONYME ISTRIA

 

 

R. Colonna d’Istria indique que le patronyme d’Istria provient d’un lieu-dit en Corse (où se trouvait le château d’Istria) : la famille aurait pris son nom du lieu-dit et non le contraire. Quant à savoir d’où  provient le nom Istria et ses possibles relations entre d’une part, la péninsule d’Istrie sur l’Adriatique ou la ville d’Histria qui se situait autrefois au débouché du Danube (Ister en latin), pour l’auteur il s’agit de simples hypothèses. On peut penser qu’il n’existe aucune raison pour laquelle le nom Istria corse serait en rapport avec l’une ou l’autre de ces origines géographiques et qu’il s’agit de toponymes identiques sans autre relation.

 L’auteur évoque aussi des personnes qui prirent, sans y avoir droit, le patronyme d’Istria. Il mentionne une femme écrivain du 19ème siècle qui avait adopté le patronyme de Dora d’Istria  après s’être installée en France (elle appartenait à la famille roumaine princière des Ghika). L’auteur se demande si dans son pseudonyme, Istria renvoyait à la famille corse ou à la péninsule d’Istrie. Il est peu probable à notre sens que Dora d’Istria ait choisi son pseudonyme par référence à la famille corse – la renommée de celle-ci étant restée circonscrite au territoire corse.

 

 

 

UN D'ISTRIA (UN PEU) CÉLÈBRE, MAIS PAS CORSE

 

 

On peut s’étonner que l’auteur ne mentionne pas, parmi les personnages homonymes  (mais sans lien avec la famille corse d'Istria), un personnage relativement connu, en fait le seul personnage portant le nom d’Istria ayant joué un rôle dans l’histoire européenne, le comte  Giovanni Capo d’Istria (en italien), en grec Ioánnis Kapodístrias. Le comte Capo d'Istria  ou Kapodístrias est né à Corfou, alors dépendance de Venise, en 1776. Il fut membre du gouvernement de la République des Îles Ioniennes (ou des Sept-Îles) de 1802 à 1807, diplomate au service de l'Empire russe (1808-1815), ministre des Affaires étrangères du tsar Alexandre Ier (1816-1822) et premier dirigeant de la Grèce indépendante (1827-1831), selon Wikipédia. Il fut assassiné à Nauplie (Grèce) en  1831 par des nationalistes grecs qui lui reprochaient une politique trop favorable à la Russie.

Sa famille était originaire de Capo d'Istria (aujourd'hui écrit en un seul mot), en Istrie, d’où son patronyme.  La ville fait maintenant partie de la fraction de l’Istrie qui appartient à la Slovénie (la plus grande partie de l’Istrie fait partie de la Croatie).

                                                                                                            * Koper ou Capodistria dans le golfe de Trieste (à environ 10 km au sud de la ville italienne de Trieste) est une commune bilingue slovène et italien.  Le nom italien provient du nom latin Caput Histriae : la « pointe de l'Istrie », tandis que le nom slovène provient d’autres noms latins de la localité, Capris, Caprea, Capre ou Caprista (allusion aux chèvres, en lien avec une légende mythologique) [Wikipédia].

 

Ajoutons qu’il existe à Genève un quai Capo d'Istria au bord de l’Arve, dont le nom rend hommage à l’action du comte Capo d’Istria lors du  Congrès de Vienne (1815) tant pour l'intégration de Genève dans la Confédération Helvétique que pour les droits et la neutralité de celle-ci. Capo d'Istria avait alors reçu la citoyenneté d'honneur de Genève et du canton de Vaud. Une statue de Capo d'Istria a été inaugurée en 2009 à Ouchy (port de Lausanne, Vaud) en présence du ministre russe des affaires étrangères

 

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Panneau indicateur bilingue en slovène et en italien indiquant Koper/Capodistria.

http://beauregardavenue.blogspot.com/2012/11/capo-distria.html

 

 

 

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Sir Thomas Lawrence, portrait du comte  Giovanni Capo d’Istria (ou  Ioánnis Kapodístrias), 1818-19, Royal Collection.

Après Waterloo (1815), le célèbre peintre anglais Sir Thomas Lawrence avait reçu du gouvernement anglais la mission de faire le portrait de tous les personnages qui avaient contribué, militairement ou diplomatiquement, à la défaite de Napoléon. Le comte Capo d'Istria faisait partie de cette galerie de célébrités.

Wikipédia.

 

 

 

DANS LA RUBRIQUE DES FAITS DIVERS 

 

 

D’abord famille seigneuriale, puis intégrée à la fin du 18 ème siècle dans la noblesse française, la famille Colonna d’Istria a évidemment comporté, compte-tenu de sa position sociale initiale, de nombreux notables au 19ème siècle. Mais la dispersion de la famille actuelle sur plusieurs centaines d’individus explique que, devenus des citoyens comme les autres, les Colonna d’Istria doivent à leurs propres moyens (augmentés parfois du réseau de relations de leur famille proche) la position sociale plus ou moins élevée qu’ils occupent – même s’il est probable que porter un patronyme d’allure aristocratique constitue un avantage de naissance. 

R. Colonna d’Istria évoque la diversité des professions des porteurs du nom au 20 ème et 21 ème siècle, qu'ils résident en Corse, en France continentale ou à l'étranger. Toutefois (par pudeur ou pour ne pas évoquer des affaires posant d’épineuses questions d’amnistie ou qui n’ont pas encore été jugées ?) l’auteur ne mentionne pas que des porteurs du nom ont pu être mêlés à des activités répréhensibles ou bien, de façon typiquement corse, suspectés d’avoir apporté de l’aide à un fugitif corse (nationaliste) parmi les plus célèbres. Ces indications - sans avoir à se prononcer sur l’exactitude des faits, auraient illustré de façon plus complète encore, la dispersion sociale, voire politique, des membres d’une grande famille.

Nous allons maintenant quitter Robert Colonna d’Istria (nous le retrouverons) pour un autre  auteur et témoin d’un autre aspect de la Corse, celle des malfrats d’aujourd’hui.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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