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Le comte Lanza vous salue bien
20 septembre 2022

LE REGARD MASCULIN EN DISCUSSION

 

 

LE REGARD MASCULIN EN DISCUSSION

 

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

 

SUR UN YACHT

 

 

.

Ce n’est pas une oeuvre d’art qui me servira de fil conducteur pour ce message, mais une simple photographie (?).*

                                                        * A moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un dessin hyperréaliste d’un de ces illustrateurs américains qui jusqu’aux années 60 au moins, publiaient dans des magazines des images, au rendu photographique, le plus souvent très contrôlées et flatteuses, de la société de leur époque (et dont le plus connu est sans doute Norman Rockwell, qui même dans sa dimension critique, restait très acceptable par un public conformiste).

 

Cette image représente un homme d’âge mur, habillé de façon classique (blazer, pochette blanche mais sans cravate) installé sur les coussins de la confortable banquette de pont arrière d’un yacht, environné de jeunes femmes en maillot de bain. Des boissons sont servies sur une table en rotin. La bannière américaine flotte au vent. La légende, aimablement ionique (peut-être ajoutée a posteriori à l'image), nous prévient que « The only difference between men and boys is the cost of their toys »  (la seule différence entre les hommes et les enfants (garçons) c’est le prix de leurs jouets). Ici il est clair que les jouets de l’homme sont à la fois son yacht et ses jeunes invitées en maillot de bain.

 

 

 

the-only-difference-between-men-and-boys-is-the-cost-of-their-toys-quote-1

Une image d'homme riche entouré de jeunes femmes : The only difference between men and boys is the cost of their toys »  (la seule différence entre les hommes et les enfants (garçons) c’est le prix de leurs jouets).

http://www.picturequotes.com/the-only-difference-between-men-and-boys-is-the-cost-of-their-toys-quote-45677

 

 

 

Si l’intention de l’auteur de l’image et du commentaire est gentiment ironique (le commentaire ne tend pas vraiment à dénoncer la situation subordonnée des femmes), beaucoup peuvent voir dans la scène une véritable « convergence » des dominations : l’homme riche représente le capitalisme aussi bien que le patriarcat (puisque grâce à sa position il exerce une forme d’autorité sur les femmes autour de lui) et même la domination d’un pays, représenté par la bannière américaine.

Evidemment, une telle vision est une vision militante : après tout, on peut penser que les femmes de l’image ne sont pas exactement forcées de tenir compagnie à l’homme : elles le font parce que sans doute elles y trouvent un intérêt, et dans les pays capitalistes il ne manque pas de femmes riches, soit héritières soit self-made women, de sorte que la domination économique n’est pas exclusivement masculine.

Dans cette image, il y a un point intéressant (et daté), qui renvoie au titre de notre série de messages Femmes nues, hommes habillés  - c’est que l’homme est habillé (et même tiré à quatre épingles, dans le style informel toutefois) et les femmes, sinon nues, du moins en tenue de bain. A cela on voit que l’image est datée (années 50 ou 60), car aujourd’hui on présenterait sans doute le propriétaire du yacht vêtu de façon plus décontractée et probablement en maillot de bains, comme ses amies.

Mais vers 1950-60, le sens de la photo (ou de l’image) était clair : l’homme d'âge mur était habillé car (à l’exception de très beaux jeunes gens), le vêtement met l’homme en valeur, tandis que la beauté et la séduction féminines sont mieux mise en évidence par le déshabillage (bien que cela puisse être contesté en partie). Le vêtement distingué porté par l’homme lui confère ici une forme de supériorité qu’il n’aurait pas en maillot de bain...

 

 

 

TOUTES LES DOMINATIONS DU « PATRIARCAT» EN UNE SEULE IMAGE

 

 

Du point de vue féministe – qui a gagné des secteurs importants de la population au point qu’on peut considérer qu’il est devenu dominant et  qu’il constitue le point de vue « normal » sur une question, l’image qui nous sert de fil conducteur représente les reproches adressés aux hommes (en général) en ce qui concerne leur relation avec les femmes :

-         L’inégalité : les hommes sont supposés avoir une meilleure position sociale que les femmes.

-         La domination : leur position sociale permet aux hommes d’imposer aux femmes leur volonté et notamment leur domination sexuelle.

-         Le male gaze ou regard masculin : les hommes regardent les femmes uniquement du point de vue de la beauté ou de la capacité de séduction de celles-ci et la représentation visuelle des femmes la plus fréquente (ou dominante), dans un film par exemple ou une publicité, met l’accent sur les aspects physiques séduisants de la femme représentée, qui sera souvent montrée plus ou moins dénudée.

-         L’essentialisation (liée au point précédent) : les femmes sont considérées par les hommes (dans leur ensemble évidemment et toujours sauf exceptions) seulement du point de vue des critères de séduction et ce qui est en-dehors de ces critères n’est pas pris en considération (ou très secondairement); autrement dit les femmes ne sont pas considérées comme des personnes « complètes » mais comme des objets, sous un angle (ou une approche) précis et unique (ou presque) :  leur caractère physique de séduction ou sexuel. 

 

 

 

DANS LE MONDE PROFESSIONNEL : LA FEMME TOUJOURS DOMINÉE ET L’HOMME TOUJOURS DOMINANT ? OU VERS UNE PROPORTION DE 50/50 ?

 

 

 

Ces reproches principaux ont acquis un caractère de vérité démontrée alors qu’il s’agit d’hypothèses de travail. Il suffit d’énoncer « male gaze » ou « essentialisation » (pas seulement pour les femmes en ce qui concerne ce dernier reproche, applicable aussi au point de vue d’une partie de l’opinion sur  les « minorités » ethniques) pour que le reproche soit justifié par définition. Si on dit qu’il y a essentialisation, alors celle-ci n’a même pas à être démontrée (ni ce qu’elle pourrait avoir de critiquable) : énoncer le reproche équivaut à démontrer son bien-fondé (il en va de même de l’accusation de discrimination etc).

Regardons de plus près.

Sur le fait que les hommes (en général) occupent toujours dans la société des positions plus élevées que les femmes, l’idée est devenue contestable. Certes les plus grands patrons d’entreprises sont en grande majorité des hommes. Mais dès qu’on descend d’un cran ou deux, les femmes occupent des positions élevées, à parité avec les hommes ; elles ont très souvent des hommes comme subordonnés, y compris des hommes ayant reçu une formation supérieure.*

                                                                                     * Dans de nombreuses fictions récentes, qui au moins sur ce point, reflètent en partie la réalité, le supérieur dans une institution donnée est souvent une femme, le subordonné est souvent un homme – notamment dans les milieux judiciaires ou de la police, qui sont souvent montrés dans les fictions (voir notamment les téléfilms français).

 

Selon L’INSEE, les cadres femmes sont 18% de la population active en 2021 et les cadres hommes 24% (l’écart existe, mais il est de 6%). Les femmes sont 27% des professions intermédiaires, les hommes 22%, les ouvriers non qualifiés sont 8% chez les hommes, 4% chez les femmes. Certes on ne peut pas parler d’égalité complète, mais les chiffres montrent que les femmes occupent de plus en plus une position égale voire supérieure aux hommes, ce qui ne justifie plus les affirmations selon lesquelles les femmes formeraient une sorte de prolétariat dominé par les hommes.

Sur 5,2 millions de cadres ou professions intellectuelles supérieures, la proportion des femmes a atteint 42 % en 2019 contre 21% en 1982 (BFMTV, 2020).

On peut donc penser que l’image des femmes en maillot de bain réunies autour de l’homme riche représente plus une image du passé que de la société actuelle : une image équivalente plus véridique sur la situation actuelle, pourrait être le grand patron, homme, environné de femmes ayant des postes de haut encadrement et dirigeant elles-mêmes de nombreux hommes et femmes.

 

 

 

LE REGARD MASCULIN DANS LA VIE

 

 

Dans la partie masculine de la société, on admettra que le male gaze continue d’être une réalité – dont évidemment certains s’offusquent.

Essayons de distinguer ici le regard masculin dans la vie et le regard masculin dans les œuvres de fiction ou dans l’art (il est évident que ces aspects sont forcément liés).

Le regard masculin dans la vie sera défini comme l’attitude qui pour la population masculine (conçue ici dans sa généralité et sans se soucier des exceptions) consiste à regarder les femmes sous l’aspect de la séduction et de la sexualité. Il est également possible que cette attitude soit aussi présente, pour diverses raisons, chez des femmes pour d'autres femmes,  mais nous ne faisons que le mentionner ici*.

                                                                                                                                      * Notamment elle peut provenir de l'instinct spontané  qui consiste à se comparer.

 

On peut admettre qu'une telle attitude de la part des hommes est commentée et ressentie défavorablement par les féministes – mais en fait elle n’a rien de choquant, pas plus que de regarder de préférence un beau paysage, une architecture remarquable etc. En effet s’agissant d’un regard fondé sur l’esthétique et la sexualité (qui sont liés – il s’agit d’une attirance pour l’aspect esthétique qui est le plus favorable à l’émotion sexuelle), il représente un phénomène naturel. Il est d’ailleurs loisible aux femmes d’avoir le même regard envers les hommes et certaines ne s’en privent probablement pas. De plus il est évident que les parties homosexuelles des populations masculine et féminine peuvent avoir la même démarche vis-à-vis des personnes correspondant à leur attirance..

Si le phénomène est mal perçu, c’est notamment qu’il semble impliquer un jugement de valeur, des comparaisons, des dévalorisations. Il est évident que tout jugement esthétique encourt ce reproche – et  n’a pas besoin de s’en justifier. Par ailleurs il est clair que les critères esthétiques sont propres à chacun et qu’il n’y a pas, contrairement à ce qu’on lit dans la prose féministe, de modèle « imposé » de la beauté féminine qui serait intériorisé par les hommes et qui aurait comme effet de rejeter (du point de vue du regard) ce qui ne correspond pas à ce modèle.

Il existe bien un ou des modèles idéaux de la beauté féminine qui sont « créés » ou si on veut, « imposés » par divers milieux (principalement ceux de la mode et de la publicité) mais tout le monde sait intuitivement que ces modèles ne prévalent pas sur nos  préférences esthétiques véritables.

 

 

 

LE REGARD MASCULIN DANS LA « CULTURE VISUELLE »

 

 

Le regard masculin dans la vie est évidemment en lien avec le regard masculin dans la fiction et l’art – à vrai dire c’est surtout dans le domaine cinématographique que ce concept a été développé (sa première théoricienne est la féministe  Laura Mulvey dans Visual Pleasure and Narrative Cinema, 1975)*, au point qu’on pourrait croire naïvement que c’est le regard masculin au cinéma qui a créé le regard masculin dans la vie et non le contraire…

                                                                                         * Selon Wikipédia le concept s’applique à la « culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeu vidéo, bande dessinée, etc.) », ce que certains simplifient en « pop culture » - ce qui ne veut pas dire que le concept serait étranger à des œuvres de « grande culture » (peinture, sculpture, même littérature).

 

Selon la description donnée sur le site Cinepsis, « Le « male gaze », littéralement le « regard masculin », désigne le fait qu’au cinéma (en particulier hollywoodien), le regard dominant serait celui de l’homme hétérosexuel. Autrement dit, les images, les dialogues, les plans, seraient pensés de manière à satisfaire les fantasmes masculins. Concrètement, cela se traduit par un certain nombre de procédés, le plus connu étant celui de l’objectification de la femme : nombreux sont les films dans lesquels la caméra épluche – littéralement – le corps féminin par des gros plans s’attardant sur les fesses, les seins, les jambes, les pieds, de sorte que la femme ne soit appréhendée qu’à travers des morceaux de chairs sexualisés. » (Eva Le Moine, Le male gaze : procès d’intention ou vraie révolution ? http://www.cinepsis.fr/le-male-gaze-proces-dintention-ou-vraie-revolution/)

 

 

 

« CHOSIFICATION »

 

 

Les femmes filmées par le cinéma qui correspond à la définition du regard masculin sont donc, pour les critiques féministes, vues comme  des « objets », pire « des morceaux de chair ».

Le mécanisme décrit peut se justifier du point de vue logique : le regard masculin découle du fait que le réalisateur masculin cible un public aussi masculin, au moins dans ce type de séquence.

Un autre site, Slapdashculture, écrit  : « Est-ce parce que la plupart des oeuvres connues ont été réalisées par des hommes cis-hétéro*?  Logiquement, ils ne vont sexualiser que les personnages qu’ils désirent, donc les femmes. » (Le male gaze dans la culture : sois belle et sexuelle [sic] https://www.slapdashculture.com/le-male-gaze-dans-la-culture-sois-belle-et-sexuelle/)

 

Le même site poursuit en indiquant que la démarche n’est pas applicable aux femmes réalisatrices : «  À l’inverse, les oeuvres réalisées par des femmes cis-hétéro décrivent-elle alors les hommes de manière hyper-sexualisée. Eh bien non, du tout. Pour la simple raison que, même si les femmes cis-hétéro désirent les hommes, elles ne les ont jamais objectifés [sic]. Pourquoi ? Parce que la beauté physique des hommes n’est pas aussi importante qu’elle ne l’est chez une femme, déjà, et que ce délire de pouvoir et de possession du corps de l’autre est directement lié au patriarcat. »

                                                                                 * Cis-hétéro : « Personne qui vit dans le genre correspondant à son sexe et est attirée par des personnes d’un autre genre. » (Wiktionnaire). « La cisidentité, ou cissexualité, est un néologisme désignant un type d'identité de genre où le genre ressenti d'une personne correspond au genre assigné à sa naissance, la personne est alors cisgenre ou cissexuelle (abrégé en cis). Le mot est construit par opposition à celui de transgenre. » Le cis-hétéro (ou la cis-hétéro) est non seulement hétérosexuel, mais n’est pas transgenre…

 

On passe ici du constat que la démarche n’est pas la même chez les femmes (même hétérosexuelles) parce que la beauté masculine n’est pas « aussi importante » pour elles – à la conclusion militante – et complètement inattendue  qu’il s’agit d’un « délire de pouvoir et de possession du corps de l’autre (...) directement lié au patriarcat ».

Mais pour les féministes, la dénonciation du regard masculin (ici au cinéma) ne se justifie pas que par des abstractions sur le « délire de pouvoir » et le patriarcat. En effet, selon ces théoriciens (ou théoriciennes) et tous ceux (toutes celles) qui les suivent et vulgarisent leurs raisonnements, notamment sur internet, le regard masculin est plus ou moins directement cause de violences faites aux femmes - des violences réelles et non symboliques : « malgré les dires des défenseurs du statu quo, le cinéma influence la société et les comportements. Si les garçons grandissent en ayant comme unique image féminine la femme fatale, et comme unique image masculine l’homme tout puissant qui a juste à tendre la main pour se servir, il n’est guère étonnant que ces garçons deviennent des hommes misogynes et/ou violents » affirme le site Slapdashculture.

 

 

 

ENCOURAGEMENT À LA CULTURE DU VIOL ?

 

 

Plus  encore, selon le site Cinepsis (Eva Le Moine, art. cité) :  « Comme le relève l’historien André Gunthert*, les dispositifs cinématographiques conduisent à normaliser les comportements de séduction agressifs, à banaliser les violences sexuelles, à érotiser le viol, souvent défini comme un « crime passionnel » ; bref, à construire une culture du viol. »

                                                                                                 * André Gunthert, universitaire spécialiste des cultures visuelles ; ses travaux témoignent de son engagement en faveur des « luttes intersectionnelles » (immigrés, féminisme minorités sexuelles). Voir sur son blog L’image sociale, l’article Le 'Male gaze', une notion féministe, https://imagesociale.fr/6497

 

Le même article continue : « Si la majorité des films grand public se construisent sur une objectification de la femme, c’est-à-dire s’ils présentent la femme comme objet, dominée, soumise, alors notre imaginaire va aussi se façonner selon cette vision. Le texte de Laura Mulvey fait écho au concept freudien de « pulsion scopique », d’après lequel on éprouve un plaisir sexuel à posséder l’autre par le regard. Ce plaisir voyeuriste est entretenu par les codes cinématographiques : les choix de cadrage, de plans, légitiment l’exhibition de la femme comme objet sexuel. On apprend, via le cinéma, à prendre du plaisir en voyant l’autre comme objet et non sujet. (…) Notre imaginaire, notre désir, nos fantasmes, se construisent sur ce principe scopique. Inconsciemment mais inévitablement, cela modifie nos rapports sociaux, nos rapports sexuels. »

 

 

 

UNE « POSSESSION » MINIMALE, VOIRE DÉRISOIRE ?

 

 

 

Or, tout d’abord, on peut contester l’idée que le regard masculin, au cinéma, influence le comportement sexuel dans la société : comme on l’a dit, c’est plutôt le comportement social (l’observation des femmes par les hommes) qui de façon logique, trouve son prolongement dans les créations artistiques on n’a donc pas besoin « d’apprendre » ce type de comportement « via le cinéma »  – tout au plus peut-on dire que les pratiques se renforcent mutuellement, et encore. N’importe qui peut se référer à ces scènes, décrites mille fois, où sur la place publique, à la terrasse des cafés, en Italie, les hommes commentent les charmes des  jeunes filles qui passent : ils n’ont pas attendu le cinéma hollywoodien pour le faire…

On peut aussi conteste l’idée de pulsion scopique (même avec l’estampille de Freud) : n’importe qui comprend qu’il n’y a pas de véritable « possession » de l’autre par le regard – pas plus dans la réalité que dans les créations de culture populaire ou artistiques, mais un très modeste substitut, qui est de l’ordre de l’anodin. Il y entre la « possession par le regard » et la possession vraie à peu près autant de différence qu’entre les 10 thalers dans la tête et les 10 thalers dans la poche de la célèbre comparaison de Kant, ou, dit autrement, entre celui qui affiche au mur un poster de Ferrari et le propriétaire d’une Ferrari.

Evidemment la sexualité joue un rôle tel dans notre existence qu’elle occupe une grande partie de nos idées et de nos regards – mais c’est tout. Peut-être les féministes (à qui l’expérience masculine est inconnue) ont-elles du mal à comprendre que les préoccupations sexuelles des hommes telles qu’elles se manifestent dans le regard ne « vont pas loin » et que si on regarde volontiers les jolies femmes, il est burlesque (ou inepte) de parler de possession – il s’agit seulement  d’une forme d’appréciation esthétique.

Toutes les notions évoquées dans la description parfois apocalyptique du regard masculin sont exagérées et fantasmées pour obtenir un effet dénonciateur dans la critique féministe. S’il y a « délire », c’est le plus souvent du côté féministe.

On admettra bien que présenter des jolies femmes a de quoi « plaire » (sans plus, d’ailleurs) aux spectateurs masculins (ou plutôt à la moyenne d’entre eux ?)  –  évidemment plus qu’aux spectatrices. C’est tout ce qu’on peut admettre comme fondé dans les considérations sur le regard masculin au cinéma. On admettra aussi que le regard masculin homosexuel sera sans doute flatté par la présentation de beaux corps masculins (quand l’occasion se présente) * et probablement le regard lesbien par la présentation de beaux corps féminins. On voit mal ce qui serait scandaleux dans ce constat, mais le désir passionné de dénoncer le « pouvoir masculin » explique seul les exagérations des critiques féministes..

                                                                                           * Dire que c’est rarement le cas dans le cinéma traditionnel est énoncer un simple constat ; d’ailleurs il ne manque pas de films où de beaux corps masculins sont montrés – ils sont sans doute moins sexualisés que les corps féminins, mais si c’était le cas, les féministes se scandaliseraient-elles (-ils) qu’on traite les hommes en objets ? Sur un exemple de corps masculin vu par le regard d'une femlme dans un film ancien, voir appendice.

 Il n'est pas question de nier qu'il existe quelque chose comme le regard masculin, dans la vie comme dans les arts visuels - mais ce regard est (sauf exceptions, évidemment) bien plus anodin et moins perturbant que ce que la critique féministe prétend.

 

 

CONTRADICTIONS

 

 

Les reproches féministes sur le regard masculin prennent souvent une forme contradictoire : les femmes montrées dans les films sont pour les féministes quasiment à la fois, des femmes fatales :et des femmes soumises (deux images pourtant à l’opposé l’une de l’autre) : « Si les garçons grandissent en ayant comme unique image féminine la femme fatale, et comme unique image masculine l’homme tout puissant qui a juste à tendre la main pour se servir, il n’est guère étonnant que ces garçons deviennent des hommes misogynes et/ou violents » (https://www.slapdashculture.com/le-male-gaze-dans-la-culture-sois-belle-et-sexuelle/).

Ajoutons que pour les féministes, les femmes dans les films émanant de réalisateurs masculins sont aussi décrites comme des ingénues qui ont besoin d’être secourues par les hommes. 

On conviendra que l’image de l’homme qui ressort (ou ressortirait) des films incriminés est tout aussi contradictoire que l’image de la femme ; il serait victime des femmes fatales (car le sens de cette dernière expression est bien une femme qui par son comportement conduit l’homme à un amour déraisonnable qui cause sa perte), chevalier servant de malheureuses créatures qui ont besoin de lui pour se tirer des mauvais pas et enfin, prédateur violent qui n’a qu’à « qu’à se servir » - assurément ces diverses caractéristiques peuvent exister séparément, mais rarement chez le même individu – enfin, elles sont loin d’être interchangeables …

 

 

DES CRITÈRES PHYSIQUES PRÉDOMINANTS

 

 

Au moins on sera d’accord avec l’un des constats des critiques du male gaze, qui est le fait de présenter de préférence sinon exclusivement, des filles (ou femmes) « agréables à regarder », aptes à satisfaire les préférences masculines en terme de séduction et de sexualité. Ce n’est pas qu’ici encore, la mode ne joue pas son rôle en imposant des caractéristiques qui se modifient dans le temps : les silhouettes et physionomies changent avec les époques ; la nôtre semble préférer depuis quelques années - du moins en France (influence du monde de la mode, stricto sensu, c’est-à-dire des couturiers ?)  - des femmes grandes et osseuses avec joues creuses et pommettes saillantes,  tandis que d'autres types physiques semblent se raréfier, pour des raisons complexes (changements de population, métissages ?).

Selon une « experte », dans les films critiqués, «  les femmes sont avant tout considérées pour leurs attraits physiques » (site Potiches https://lespotiches.com/culture/voir/on-vous-explique-le-male-gaze-et-le-female-gaze/)

Pour un autre site, « Enfin, on en revient à l’image du corps des femmes : les corps normés sont les seuls qui sont fétichisés. A croire que les femmes qui ne conviennent pas à ces normes n’ont pas le droit d’avoir une sexualité ! » (Site Elena sans H, http://elenasansh.com/2020/10/11/le-male-gaze-cest-quoi/

Ou encore : « Ah oui, parce que, pour qu’il y ait male gaze, il faut que les actrices soient entièrement soumises aux diktats de beauté contemporains : grandes, minces, bronzées… » (https://www.celles-qui-osent.com/qu-est-ce-que-male-gaze/) (on confond ici les critères de mode, qui varient, avec les critères de séduction)

 

 Pourtant, il est difficile de justifier qu’il s’agit d’une critique fondée : en quoi serait-il désobligeant de montrer des jolies femmes ?

 

 

ESSENTIALISATION

 

 

La critique passe alors d’un plan à un autre. On aura ici recours au concept d’essentialisation.

Le reproche d’essentialisation fait à l’image féminine dans les films et autres productions de culture populaire est double. Dans un premier sens, on reproche de réduire l’image de la femme à la beauté physique au détriment des autres traits de personnalité. On parle aussi d’assignation à des critères physiques. Comme on l’a dit plus haut, ces mots, largement utilisés depuis quelque temps (notamment en ce qui concerne les populations immigrées) sont toujours négativement connotés : on n’a pas besoin de démontrer qu’il est fautif, scandaleux (voire carrément délictueux) d’essentialiser ou d’assigner à une caractéristique, la condamnation est contenue dans les mots mêmes qui dispensent de tout autre raisonnement.

Parallèlement, et plus encore, on reproche à l’image de la femme d’être restreinte aux femmes qui sont assez belles (jolies) pour répondre au goût physique des hommes – il y a alors exclusion des autres femmes, « invisibilisation » comme on dit. C’est ce qu’exprime (avec excès, conformément au style féministe habituel) le site Slapdashculture : « Nous voyons des femmes - correspondant aux standards de beauté définis par les hommes, - placées dans un contexte charnel - nues*. La nuance est fondamentale. Ces corps dénudés n’existent que pour émoustiller sexuellement les hommes. Il s’agit de leur fonction première, ce qui, en tant que femme, me met personnellement très mal à l’aise, en plus de me filer des complexes. C’est de la pure objectification du corps féminin, et ça craint. Quand on verra une meuf grosse/vieille/non-valide/… nue dans un Tarantino (sans que le public masculin ne tourne de l’oeil ou ne râle), on pourra éventuellement en reparler. » (https://www.slapdashculture.com/le-male-gaze-dans-la-culture-sois-belle-et-sexuelle/)

                                                                                                     * Au passage, notons que le male gaze au cinéma tel que décrit à l’origine ne concernait pas les corps nus, tout simplement parce que le cinéma hollywoodien des années 40-50-60 ne montrait pas de corps nus en raison des règles d’autocensure en vigueur.

 

Ou encore : « qu’est-ce que les films apprennent aux petites filles ? Que leur but dans la vie est d’être belle et de se marier. Et si elles sont laides ou lesbiennes ? C’est simple : elles n’existent pas. » (même site). 

                                                                                      

 

 

 

LE REGARD DISTINGUE NATURELLEMENT

 

 

Examinons ces reproches. Tout d’abord on pourrait faire remarquer (ce serait un peu spécieux) que les personnes qui seraient essentialisées ou assignées à une caractéristique physique (la beauté) dans un film n’existent pas vraiment,  ce sont des personnages de film. Mais on admet que l’argument est faible car le personnage est considéré, grâce à la fiction cinématographique, comme réel le temps du film, et au demeurant, on peut dire que c’est l’actrice (au-delà du personnage) qui est soumise au regard masculin.

Au surplus, l’attitude présente chez les spectateurs masculins d’un film, on l’a dit, est une attitude présente dans la vie. C’est bien dans la réalité que le regard masculin distingue, parmi les femmes qu’il rencontre (au sens le plus banal, ne fut-ce que 10 secondes dans la rue ou dans un transport collectif), les femmes qu’il apprécie physiquement (ou esthétiquement) et les femmes qu’il n’apprécie pas ou qui l’indiffèrent.

Cette réaction est évidemment honnie par les féministes qui jugent que les femmes sont alors assimilées à des choses – mais il n’y a rien de tel en la matière :  il y a des moments où ce qu’on regarde, c’est la beauté physique (ou l’absence de beauté – ou de charme etc), que ce soit dans la réalité ou dans un film ;  nous savons très bien que la personne ne se réduit pas à ce seul critère, mais aucune logique ne nous impose, sous prétexte que la personne ne se réduit pas à ce seul critère, de ne pas le prendre en considération à un moment donné.  

C’est a fortiori vrai lorsque le contact avec la personne se réduit à quelques secondes (dans la rue par exemple) : quel inconvénient y a-t-il à apprécier la personne rencontrée selon son charme physique, sa façon de s’habiller – c’est-à-dire selon des critères strictement visuels qui sont les seuls à pouvoir être utilisés dans un court moment. D’ailleurs rien n’indique que les femmes (dans leur ensemble et sauf évidemment exceptions) n’utilisent pas les mêmes critères à l’égard des hommes rencontrés fugitivement.

Dans le refus (ou la dénonciation) du regard masculin focalisé sur les qualités (ou défauts) physiques des femmes, il y a aussi et surtout un sentiment de discrimination. On parle de chosification, mais en fait, on a du mal à reconnaître qu’on souffre de ne pas être chosifiée…

Examinons cet argument, fondé sur un principe très actuel, celui de non-discrimination. Le regard masculin, en privilégiant les femmes qui répondent à des critères physiques, opèrerait une discrimination entre les femmes. Celles qui ne sont pas regardées présentent leur situation comme humiliante. On l’a vu (concernant des personnages de films) dans des citations de sites féministes « Et si elles sont laides ou lesbiennes ? C’est simple : elles n’existent pas. » (https://www.slapdashculture.com/le-male-gaze-dans-la-culture-sois-belle-et-sexuelle/) « Ces corps dénudés n’existent que pour émoustiller sexuellement les hommes. (…) ce qui, en tant que femme, me met personnellement très mal à l’aise, en plus de me filer des complexes » (même site) ; « il faut que les actrices soient entièrement soumises aux diktats de beauté contemporains : grandes, minces, bronzées… » (https://www.celles-qui-osent.com/qu-est-ce-que-male-gaze/)

 

 

 

LES FILLES D’Á CÔTÉ

 

Les observations peuvent être en partie fondées pour des films, où l’existence de normes est très présente. Mais on l’a dit, le regard masculin dans la création n’est que la conséquence du regard masculin dans la vie. Or, dans la vie, les femmes qui sont regardées ne répondent pas à des normes aussi étroites. On se souvient que le fondateur de Playboy, Hefner, avait sinon créé, du moins répandu le concept de girl next door (la fille d’à côté, mot-à-mot la fille de la porte d’a côté),  jolie (forcément) mais simple et dont le physique ne correspond pas aux critères de beauté « parfaite » *. Une autre expression plus ancienne pouvait désigner ce type de jeunes filles ou jeunes femmes (non mariées) dans le monde anglo-saxon, « la fille du fermier », définie comme « a desirable and naïve young woman » (une jeune femme/fille désirable et naïve » (Wikipédia, Farmer’s daughter).

                                                                              * « La girl next door (…)  ou all-American girl est un archétype culturel et sexuel américain qui désigne une femme à la féminité modeste et non prétentieuse. » (Wikipédia). L’actrice Doris Day fut baptisée la girl next door favorite de Hollywood. L’expression a aussi un sens plus général et s’applique en ce cas aussi aux garçons : selon le Cambridge Dictionnary, the boy/girl next door est utilisé « to describe someone who is completely ordinary, not rich, famous, etc. » (pour décrire quelqu’un qui est complètement ordinaire, ni riche, ni célèbre, etc).

 

 

 

playboy_195502

 Couverture du magazine Playboy, février 1955. Au début de son activité, Hugh Hefner, le patron de Playboy, déclarait vouloir montrer des girls next door, des jeunes filles jolies mais dans la (bonne) moyenne, comme celles figurant sur la couverture ci-dessus. A l'intérieur des numéros, les jeunes filles apparaissaient plus dévêtues mais toujours en conservant leur allure fraîche et naturelle. 

http://www.philsp.com/mags/playboy.html

 

 

 

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 La fille du fermier, tableau de Sir John Everett Millais (date et localisation inconnues ?) Millais, très célèbre peintre victorien, illustre ici l'idée d'une jeune fille de la campagne au physique avenant, mais à l'allure modeste (et un peu triste). Elle n'est pas vêtue comme une demoiselle mais pas non plus de façon trop humble (elle porte des bottines et non des sabots, etc) - la situation sociale des fermiers anglais était souvent plus élevée que celle de leurs homologues continentaux..

Wikipédia, art. Farmer's daughter.

 

 

 

 

On peut s’étonner que Hefner ait prétendu que ses modèles étaient des girl next door (en précisant d’ailleurs « sans leurs vêtements ». L’idée était de révéler le potentiel de séduction des filles « normales », une fois « mises en situation », mais aussi de montrer qu’il n’existait pas de cloison étanche entre la jeune fille « saine » et « normale » et la jeune fille désireuse de vivre des expériences sexuelles, à une époque où la sexualité était refoulée loin des regards par le puritanisme dominant aux Etats-Unis.  Mais au fil du temps, les modèles de Hefner finirent par s’identifier au modèle stéréotypé de la jeune femme délibérément sexy et attirante, dotée de caractéristiques physiques précises et similaires.

 

 

 

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 L'expression Girl next door a été utilisée comme titre de films. Mais dans le scénario, le personnage féminin ne correspond pas forcément à ce qu'implique l'expression. Ainsi dans le film The Girl Next Door  (1953), comédie musicale de Richard Sale, avec June Haver, Dan Dailey et Dennis Day : le personnage masculin, dessinateur de bande dessinées, veuf avec des enfants, tombe amoureux de sa voisine qui est une meneuse de revue - ce n'est  donc pas vraiment une Girl next door dans le sens figuré de l'expression, mais elle se révélera, dans les relations sentimentales, parfaitement fiable. Le titre du film a été traduit en français par Adorable voisine (c'était l'époque où on traduisait systématiquement les titres anglais).

Dans The Girl Next Door (La Fille d'à côté au Québec), film de Luke Greenfield (2004) avec Emile Hirsch et Elisha Cuthbert, on retrouve un même détournement ironique de l'expression : un étudiant timide tombe amoureux de sa très joile voisine  sans savoir que celle-ci est une star du porno. Significativement, le film est sorti en France sous son titre original anglais.

https://www.imdb.com/title/tt0045815/mediaviewer/rm4042505729/?ref_=tt_ov_i

 

 

 

 

La fille qui correspond à des critères de beauté imposés (par qui ? des publicitaires, des couturiers * ?) est souvent bien moins attrayante que la fille naturelle. Mais pour les féministes, il faut à tout prix prouver que les regards masculins sont habitués à des critères stricts (et artificiels) de beauté ; du point de vue des femmes, les critères de beauté ne sont pas naturels, mais « imposés » aux femmes : celles qui sont en-dehors « n’existent pas ». Reconnaître qu’un très grand nombre de femmes peuvent être trouvées charmantes ne fait pas l’affaire des féministes qui doivent présenter les situations sous l’aspect le plus répulsif.

                                                                                         * Rappelons ici le mot du couturier Karl Lagerfeld, qui était certes un homme mais pas hétérosexuel : au-dessus de la taille 38, je n’habille pas les femmes… Les « normes » soi-disant imposées aux femmes n’émanent pas forcément de l’homme hétérosexuel moyen.

 

 

 

 

LA SÉDUCTION POUR TOUT LE MONDE ?

 

 

Mais il reste « les laides ou lesbiennes » qu’on ne montre jamais, du moins au cinéma – pour les lesbiennes c’est de moins en moins vrai d’ailleurs.  Et pour pousser le raisonnement jusqu’à son terme, on s’indigne (ou on fait semblant) de remarquer que jamais on ne voit (ni ne verra sans doute) dans un film une femme nue qui soit vieille ou non-valide ou grosse (obèse). Il est exact qu’il y a une injustice (ou une inégalité) dans le regard masculin, mais cette injustice est dans la vie même, comme elle l’est dans d’autres situations où l’égalité parfaite (ou même partielle) n’existe pas.

Exiger qu’on ne réduise pas la séduction à des personnes attirantes physiquement (et les critères de l’attirance physique sont loin de se réduire aux « diktats » des modes éphémères ou des couturiers, mais ils n’en existent pas moins) va contre les tendances naturelles des individus, c’est même une contradiction dans les termes.

Un tel constat d’inégalité, dans la vie et dans les productions de fiction, épargne-t-il les hommes ? Combien d’hommes sont écartés du « marché » de l’amour parce qu’ils ne satisfont pas aux critères physiques et sociaux exigés par la part féminine de la population (du moins celle qui est situation de choisir), sans que cette exclusion fasse verser des flots de paroles aux fabricants de l’opinion dominante ? *

                                                                                    * On sait que c’est le sujet récurrent des livres de Houellebecq.

 

 

LA NATURE, IMPÉRATIF OU ALIBI ?

 

 

Nous avons dit que « le regard distingue naturellement ».

Nous nous attendons au contre-argument, selon lequel ce qui est affiché comme naturel est en fait une « construction sociale », donc modifiable, et que la nature est l’alibi de l’ordre établi.

Ainsi, André Gunthert, cité plus haut, dans une récente polémique sur une affiche du planning familial qui déclarait que « les hommes aussi pouvaient être enceints » (en faisant référence aux personnes transgenres), prend parti contre ceux (et celles) pour qui « la nature » (comprendre la réalité biologique) rend impossible pour les hommes de porter un enfant. Il écrit que « l’instrumentalisation d’un ordre prétendument « naturel » pour fonder l’ordre social fait partie des principales mythologies précisément dévoilée par le féminisme et la « théorie du genre ». Il dénonce « l’instrumentalisation de modèles empruntés à une « nature » de pacotille » ou le « naturalisme fallacieux des réactionnaires ». Il estime que l’invocation (par ceux qu’il appelle des réactionnaires) des sciences exactes, au détriment des sciences humaines, tend à justifier l’ordre établi – tandis que les théories issues des sciences humaines (dans leur vision progressiste, donnée comme seule valable), par exemple la théorie du genre [le genre masculin ou féminin est une construction sociale] constituent une « approche [qui] a démontré de manière éclatante l’entrecroisement de l’imaginaire avec les déterminismes biologiques »*

André Gunthert, Animaliser le genre ?, L’Image sociale, août 2022

https://imagesociale.fr/10600

                                                                                           *.Cette formulation (peu claire) semble donner la priorité aux sciences sociales sur les sciences exactes, voire suggérer le remplacement des secondes par les premières. ; dans la question de savoir si des hommes peuvent porter un enfant, la réponse est biaisée : si l’homme est pris comme homme biologique, la réponse est non sauf à imaginer des opérations chirurgicales que personne n’a encore essayées. Si par contre on parle d’une femme biologique qui a choisi une transition vers le genre masculin (l’appellation admise est « homme trans ») mais qui a conservé ses organes féminins, la réponse est oui. Plutôt que d’expliquer ceci, A. Gunthert préfère proclamer que les sciences humaines constituent désormais le critère de la vérité scientifique à l’« l’entrecroisement de l’imaginaire » et des « déterminismes biologiques «  (ce qui signifie ?) et que ceux qui les refusent (ou critiquent) sont les nouveaux obscurantistes, assertion qui laisse songeur pour l’avenir.

 

Or, tout le monde invoque la nature quand cela sert son propos. Elle est l’alibi tour à tour des réactionnaires ou des progressistes. Peu importe que le regard masculin dans la vie soit une construction sociale (comme à peu près tout dans ce qui n’est pas strictement biologique) – il ne semble pas prioritaire de déconstruire cette pratique à force d’autodiscipline et d’autocensure.

Devant l’obstination des hommes (du plus grand nombre, pour être exact) à rester ce qu’ils sont, une partie des féministes prétend avoir trouvé la parade ; rompre toute relation avec les hommes et refuser l’hétérosexualité – donc opter pour l’homosexualité féminine.

Mais rien n’indique que les personnes homosexuelles ne fassent pas appel également au regard discriminant qui classe les personnes rencontrées selon des critères physiques d’attractivité ... Evidemment, personne dans les milieux féministes concernés ne le reconnaîtra dans l’immédiat – il vaut mieux continuer à faire croire que certaines attitudes sont l’apanage exclusif de l’homme hétérosexuel conservateur (et blanc…).

 

 

 

LE REGARD MASCULIN PEUT-IL PLAIRE AUX FEMMES QUAND MÊME ?

 

 

On admet qu’au cinéma, pendant longtemps, le point de vue masculin a été privilégié dans les scènes où sont présentes des femmes. Cela ne veut pas dire que des femmes spectatrices ne pouvaient pas y trouver leur compte, en s’identifiant par exemple à l’héroïne « passive ». Mais on peut aussi indiquer que beaucoup de films classiques ne reproduisent pas le schéma « homme actif- femme passive qui n’a qu’à se laisser aimer et épouser ». On peut penser notamment à l’héroïne d’Autant en emporte le vent, film tiré d’un roman écrit par une femme.

Notons ici que la critique féministe fait souvent état du « test de Bechdel-Wallace » pour apprécier la place des femmes dans un film. Le test pose  3 critères pour définir  la représentativité des femmes dans un film  : y a-t-il  au moins deux femmes  nommées dans le film ; ont-elles  un dialogue entre elles ;  parlent-elles d’autre chose que d’un homme ? Ce test ne vise pas le « regard masculin » en tant que tel (un film se déroulant dans un monastère d’hommes  aura zéro au test, et pourtant sera exempt de toute scène de séduction  féminine !).

Enfin, il ne serait sans doute pas difficile de trouver dans de films de la grande époque hollywoodienne des scènes où l’homme - héros du film - est présenté avec une insistance sur ses caractéristiques physiques peu éloignée de celle du regard masculin pour les femmes (voir annexe).

 

 

LA BONNE CONSCIENCE DU MONDE DU SPECTACLE

 

 

Le sexisme des milieux du spectacle est maintenant largement « dénoncé » par ce même milieu, aux USA comme dans d’autres pays.

Parmi les éléments constitutifs de ce sexisme, il y a non seulement l’attitude masculine à l’égard des femmes dans la profession (affaires de harcèlement, chantage à l’emploi, etc), l’importance accordée aux femmes dans les diverses branches de la profession et dans les scénarios, mais aussi le regard masculin porté sur les femmes dans les films, notamment la représentation des femmes centrée sur leurs caractéristiques physiques (« objectivation » des femmes, considérées comme des objets, ou « chosification »).

Les soirées de remises de récompenses de la profession sont devenues l’occasion de prises de parole, saluées comme acte de courage par les uns, comme actes de conformisme par d’autres.

Tout cela est bel et bon, mais il est probable que parmi les femmes de la profession qui dénoncent les tares du monde du spectacle, celles qui sont dotées d’un physique attrayant ont en fait une double attitude : côté face, je suis politiquement correcte, côté pile, je me débrouille pour continuer à  profiter des avantages que me procure mon physique, puisque la profession est surtout ouverte aux personnes dotées d’un bon physique, de sorte que leur principale angoisse arrive en cours de carrière du fait du vieillissement (qui les mettrait hors course).

 

 

 

LE REGARD MASCULIN DANS L’ART

 

 

Si dans les critiques féministes, le regard masculin est principalement décrit à propos des films, il est évident qu’il est aussi présent dans le domaine de l’art, donc qu’il existait déjà  dans des œuvres datant de plusieurs siècles :  dans ce domaine, sa dénonciation  est  moins publique, du fait que le domaine artistique concerne un public plus restreint par rapport au cinéma, mais on trouve les mêmes reproches de privilégier les femmes attirantes physiquement dans les représentations picturales ou de propager la  culture du viol à propos de certaines œuvres.

 On se souvient du slogan créé par le groupe d’artistes féminin Guerrilla Girls  dès la fin des années 80: Do Women Have To Be Naked To Get Into the Met. Museum? (Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Metropolitan Museum?)*.

Il est incontestable que des peintres du passé (et quelques peintres du présent) ont « utilisé » les femmes pour montrer des scènes de séduction – le fait que la plupart des peintres dans le passé étaient des hommes ne fait que corroborer ce constat. Mais si on peut être d’accord sur le constat, on a le droit de ne pas l’être sur le jugement qui en découle. La séduction féminine est quelque chose qui existe (et qui tient une grande place dans l’existence) et il n’y a aucune raison de se scandaliser que des peintres (principalement) ou des sculpteurs aient voulu traiter cette réalité.

                                                                     * Nous avons déjà abordé le sujet de la critique féministe de l’art (occidental) dans nos messages Le féminisme radical et la tradition artistique occidentale http://comtelanza.canalblog.com/archives/2022/02/02/39330643.html

http://comtelanza.canalblog.com/archives/2022/01/14/39303869.html, suivis du message  Féminisme radical et mouvement woke http://comtelanza.canalblog.com/archives/2022/02/28/39365204.html

qui traite plus particulièrement du wokisme et des thèmes de l’intersectionnalité.

 

 

 

À L’ÉPOQUE DE LA PEINTURE GALANTE

 

 

Parmi les peintres du passé (à compter de la Renaissance), on peut considérer que le regard masculin, au sens où on l’entend (pour le dénigrer), est particulièrement représenté chez les peintres du 18ème siècle galant, voire libertin.

Un site Le Bec magazine (dont le slogan est « Pour sortir du patriarcat ») écrit à propos d’une exposition récente sur les peintres du 18ème siècle, en citant une phrase d’une universitaire, Iris Brey* (qui, d’ailleurs, ne vise pas les peintres, mais le cinéma) :

« Toute la grammaire érotique du male gaze est fondée sur le fait qu’on prenne du plaisir sans le consentement de la femme. » [Iris Brey] C’est souvent le cas sauf si le regard du modèle de certaines Odalisques invite clairement le regardeur, la faisant passer du statut d’objet convoité à celui de sujet agissant. Regard qui a été considéré comme scandaleux, car bouleversant les codes patriarcaux ! »

https://lebec.media/les-numeros/numero-deux/view/le-male-gaze-suite-et-fin

                                                                              * Iris Bray propose d’adopter (au cinéma) le regard féminin, qui perçoit les événements et les personnes en fonction de la personnalité ou la psychologie des personnages féminins.

 

On peut déjà s’étonner qu’on parle sérieusement du « consentement de la femme » pour des personnages représentés en peinture…

A propos de François Boucher, l’un des peintres les plus renommés du 18ème siècle pour ses représentations féminines*, le même site écrit : « Vous y retrouverez le regard « mâle », ce fameux male gaze, celui de ces peintres qui ont su détourner les légendes mythologiques pour assouvir leur soif de chair fraîche, avant d’oser peindre des Odalisques plus contemporaines... » (https://lebec.media/les-numeros/numero-deux/view/le-male-gaze-suite-et-fin)

                                                                         * L’oeuvre de François Boucher (1703-1770) a abordé tous les genres (peinture mythologique, religieuse, de genre, voire portraits ou paysages), avec une prédilection pour les sujets permettant de représenter des personnages féminins, nus ou déshabillés. Son succès culmina avec sa nomination comme premier peintre du roi en 1765. Mais déjà dans les dernières années de sa vie, et durant la période postérieure, il fut critiqué pour sa frivolité et considéré comme le symbole du goût corrompu d’une époque. Pourtant Le peintre révolutionnaire David déclarait : N’est pas Boucher qui veut.

 

Dans un autre article du même auteur (autrice) sur le même site, La nudité et le sexe dans l’art, le regard masculin, on lit à propos des Odalisques représentées en peinture : « C’est une esclave vierge attachée au service du harem, qui peut accéder au statut de concubine. Vous l’aurez compris, il eût été indécent de donner cet air concupiscent à une femme occidentale… Vision machiste doublée de racisme latent. » Or les odalisques représentées (comme celle d’Ingres, dont il est question dans l’article et qui est fort peu concupiscente) sont justement le plus souvent des Occidentales, historiquement présentes dans les harems. Le parti pris idéologique fait écrire des bêtises. Mais l’important est sans doute de mentionner le racisme et le machisme dans la même phrase et la même réprobation …

 

 

 

EN REGARDANT FRANÇOIS BOUCHER

 

 

Que Boucher et d’autres aient représenté des jeunes filles extrêmement attrayantes (avec un type physique assez idéalisé correspondant au goût de l’époque) est indiscutable. Mais doit-on parler sans ridicule, d’absence de consentement pour le simple fait de représenter ces figures ? Il est clair que les tableaux de Boucher avaient de quoi satisfaire le public masculin – mais rien n’indique que le public féminin (public élitiste dans les deux cas car à l’époque, l’accès à l’art était quasiment réservé à la haute société et aux milieux des professionnels de l’art) n’ y ait pas trouvé aussi son compte.

Si nous regardons une des oeuvres inspirées de la mythologie de Boucher, La nymphe Calisto séduite par Jupiter sous les traits de Diane (1759), on voit deux jeunes filles dont l’une (apparemment un peu plus âgée) étreint l’autre – leurs jambes semblent (à première vue) entremêlées ; la plus jeune (Callisto) est dénudée (sans montrer toutefois son sexe) ;  son corps est à la fois souple et potelé – son visage lisse et rond exprime une certaine surprise devant l’entreprise de Diane. En utilisant l’anecdote mythologique de la transformation de Jupiter, qui prend l’apparence de Diane pour séduire Callisto*, Boucher montre une scène amoureuse entre deux jeunes femmes, l’une entreprenante et l’autre qui ne sait pas bien comment réagir.

                                                                          * « Callisto faisait partie de la suite d'Artémis [Diane chez les Latins] qui imposait à ses compagnes une stricte chasteté. Zeus [Jupiter] s'éprit d'elle et imagina une ruse pour la séduire. Il prit les traits d'Artémis pour l'approcher sans éveiller sa méfiance et s'unit à elle par surprise. Tombée enceinte à l'issue de ce viol, elle chercha à cacher son état à Artémis, mais fut découverte lors d'une baignade dans la rivière. Artémis entra dans une vive colère et la chassa de sa suite ». Artémis transformera même la malheureuse Callisto en ourse pour la punir (d’avoir été violée !). (Wikipédia, art Callisto).

 

 

 

François_Boucher_-_La_Nymphe_Callisto,_séduite_par_Jupiter_sous_les_traits_de_Diane_(1759)

 François Boucher, La nymphe Calisto séduite par Jupiter sous les traits de Diane (1759).

Musée d'art Nelson-Atkins, Kansas City (États-Unis)

Wikipédia.

 

 

 

La question du consentement de Callisto à l’’entreprise de Diane (puisqu’elle pense qu’il s’agit de Diane) est à peine effleurée.

Cette question mise à part, faut-il parler, d’un point de vue actuel, de l’ouverture d’esprit du peintre qui a représenté une scène d’amour lesbien avec délicatesse ? Ouverture d’esprit d’autant plus grande qu’en fait, la personne qui a pris les traites d’une femme (enfin, d’une déesse) est un homme (enfin, un dieu), de sorte qu’on pourrait parler ici de « fluidité des genres » de façon très actuelle -  même si les métamorphoses des dieux sont uniquement des astuces pour parvenir à leurs fins ; selon la mythologie, la délicatesse décrite ici par Boucher s’achève quand même en viol (il faut bien que Zeus/Jupiter reprenne son apparence réelle au moment voulu). Mais Boucher s’en tient aux tendres préliminaires ...

 

 Boucher n’est pas toujours aussi chaste (ou chastement suggestif). Dans un tableau rarement reproduit (on peut se demander s'il s’agit d’un tableau de Boucher ou d’un imitateur), la scène de séduction, cette fois classiquement hétérosexuelle, est plus crue : un « berger » (il est habillé à la façon fantaisiste dont Boucher habillait ses bergers, bien loin des véritables bergers), a entrepris une bergère tout aussi élégante*.

                                                                                                       * La représentation du personnage masculin est ici très proche d’autres peintures de Boucher. Celui-ci a parfois peint, sans doute à la demande de particuliers, des scènes plus explicitement érotiques, avec (parfois mais rarement) la représentation réaliste de l’anatomie féminine : on peut penser à la version de Léda et le Cygne où la vulve du personnage féminin est visible. Ce dernier tableau est-il attribué de façon sûre à Boucher ? Comme pour celui que nous reproduisons ci-dessous, le catalogue raisonné des œuvres de Boucher doit donner des éléments de réponse.

 

 

6-pastoral-erotica-Francois-Boucher

 François Boucher (?), Pastorale érotique. Musée du Louvre.

Pour la reproduction, site de vente de reproduction de tableaux Toperfect.

https://www.peintures-tableaux.com/%C3%A9rotica-pastorale-Fran%C3%A7ois-Boucher.html

Ce tableau a un pendant (https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010064533). Le Musée du Louvre parait exclure (?) l'attribution à Boucher; toutefois son commentaire est consacré aux tribulations des deux tableaux pendant la guerre et non à des questions d'attribution. Acquises par Goering pendant la seconde guerre mondiale (après avoir été refusées par un premier acquéreur allemand au motif qu'il s'agissait de copies), récupérées par le Louvre, elles sont non exposées.

 

 

 

Le berger encore habillé, embrasse le sein de la jeune femme. Celle-ci est très largement déshabillée : on devine que le berger y est pour quelque chose.  Seul un bout de tissu cache encore l’intimité de la jeune fille. Le regard assez tendre  de la bergère  montre bien son consentement à profiter des plaisirs de l’amour. Mais selon les conventions de l’époque, les jeunes filles bien élevées ne devaient pas montrer leur désir et paraître se laisser faire plutôt qu’être actives, d’où le geste que la bergère fait avec la main, comme pour refuser pudiquement ce qu’en fait elle accepte*.

                                                                                         * Jean-Jacques Rousseau dans son livre L’Emile ou De l’éducation (publié en 1762) indique que l’attitude pudique et passive des jeunes filles est conforme à la nature, comme l’attitude active et entreprenante du garçon. Il considère que la pudeur de la jeune fille et sa « résistance » sont des éléments de séduction. On peut donc voir qu’un penseur dit « progressiste » comme Rousseau approuvait les idées dominantes de son époque en ce qui concerne le comportement souhaitable pour les jeunes filles.

 

Parler de regard masculin est certainement autorisé devant cette composition qui va plus loin que ce que se permet généralement Boucher (si c'est bien lui l'auteur au moins des toiles originales qui auraient été ensuite copiées). Mais qu’est-ce qui empêche une femme (du 18ème siècle ou d’aujourd’hui) devant ce tableau de se laisser aller aux mêmes évocations voluptueuses (parfaitement compatibles avec le charme du sentiment amoureux) que le spectateur homme ? Boucher (ou son imitateur) en flattant les goûts masculins, s’est-il interdit de flatter aussi ceux des femmes ?

Evidemment, celles qui parlent à tout bout de champ de domination masculine et de patriarcat, ne verront dans ce tableau que le triomphe du désir masculin, voire de la culture du viol (même si rien n’autorise cette lecture).

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Il nous semble que l’ensemble de dénonciations féministes qui a fait l’objet de ce message est largement artificiel et a pour but de critiquer systématiquement l’homme hétérosexuel, source de tous les maux pour les féministes (selon une idéologie très répandue, qui amplifie le point de vue féministe, l’homme blanc hétérosexuel est aussi la cause de tous les maux pour les « minorités »).

Ce qui est anodin est constitué en tare morale et chez les plus extrémistes, se voit accusé d’être un élément de la culture du viol. Pour justifier ces reproches excessifs, il faut donc que la description des actes dénoncés soit rendue la plus répulsive possible au prix même d’exagérations et d’approximations : le regard masculin dans les films correspond-il à la situation actuelle ou plutôt à des films déjà anciens ? Le regard masculin est-il vraiment une forme de « possession » ? Montrer une jeune fille comme désirable, est-ce encourager la culture du viol ? Et cette dernière existe-t-elle vraiment, etc.

La description du regard masculin faite par les femmes (féministes) est remarquable du fait que celles-ci interprètent ce dont elles n’ont aucune expérience directe : elles peuvent donc se laisser aller à dire tout ce qui leur passe par l’esprit. Alors qu’elles reprochent aux hommes de considérer les femmes d’après des « stéréotypes », elles tombent dans le même défaut.

 

En fait nous pensons que pour des raisons complexes, il existe désormais dans des milieux féministes (qui ne sont pas constitués uniquement de femmes) une détestation de l’homme hétérosexuel, et que cette détestation a besoin de se justifier par des arguments plus ou moins convaincants sur la domination du patriarcat (en Occident, car on détourne pudiquement le regard quand il ne s’agit pas de l’Occident), le sexisme dans les productions de la culture populaire ou dans l’art, etc. Les constats qui expliquent qu’on parle de regard masculin existent réellement, mais ils sont transformés et grossis au point de devenir des accusations imaginaires.

En résumé, c’est la détestation qui invente les raisons de s’indigner et non les raisons de s’indigner qui aboutissent à la détestation.

 

 

 

 

APPENDICE : LE REGARD FÉMININ DANS UN FILM DE 1940 : SEE THOSE SHOULDERS

 

 

Peut-on trouver dans les films de la grande période hollywoodienne (souvent citée – mais pas seulement – pour ses films caractéristiques du  « regard masculin »)* des exemples où le personnage masculin est traité en termes de regard à peu près comme le personnage féminin scruté par la caméra pour mettre en valeur ses avantages physiques ?

                                                                                                           * Le cinéma actuel présente-t-il souvent ces scènes de regard masculin ? Il faudrait distinguer le cinéma américainb, français, etc.  On a fait récemment ce reproche  aux films d’Abdellatif Kechiche (notamment Mektoub, My Love, 2017) – mais encore ? La pratique est-elle en déclin ?

 

Dans le film Seven sinners (en français La Maison de sept pêchés*, 1940), l’action se déroule dans une île du Pacifique où se trouve une base de la marine  américaine.

                                                                                                          * Film réalisé par Tay Garnett. Celui-ci est un cinéaste prolifique, considéré comme talentueux par certains critiques et de second plan par d’autres. Parmi ses films les plus connus : Le facteur sonne toujours deux fois (The Postman Always Rings Twice, 1946), d’après le célèbre roman de James Cain. Le film Seven sinners présente l'intérêt historique d'évoquer (certes dans une ambiance de comédie) une île du Pacifique sous contrôle américain avec une base de la marine un an environ avant l'attaque de Pearl Harbour.

 

Un cabaret (The seven sinners) est le lieu de réunion des marins et de la population surtout masculine, surtout depuis qu’une nouvelle chanteuse a été engagée. Celle-ci est jouée par Marlène Dietrich. Au début du film, celle-ci chante une chanson  quand entre dans le cabaret, où les marins en uniforme sont nombreux et l’ambiance déjà électrique, un officier de marine remarquable : la caméra suit l’œil intéressé de la chanteuse quand elle détaille le nouvel arrivant, remontant des jambes vers son torse et ses épaules puissantes puis son  visage ; la chanson qu’elle interprète à ce moment (The man's in the navy, c’est un homme de la marine) correspond exactement à l’homme qu’elle est en train de regarder, grand, vigoureux et séduisant :

 

See those shoulders broad and glorious?

See that smile? That smile's notorious

You can bet your life

The man's in the navy ...

(Vous voyez ces épaules, larges et glorieuses ? Vous voyez ce sourire ? Ce sourire est célèbre, vous pouvez parier sur votre vie que c’est un homme de la marine…. Des hommes qui font un bon mètre quatre-vingt, il y en a plein, mais quand il y en a un qui est poursuivi par une centaine de femmes, vous pouvez parier sur votre vie que c’est un homme de la marine etc).

 

Le jeune officier de marine (joué par John Wayne) impeccable en uniforme blanc à col montant, s’approche de la chanteuse tandis qu’une bagarre se déclenche et qu’il continue à avancer en écartant énergiquement et sans modifier son attitude calme tous les bagarreurs qui passent à sa portée.

 

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John Wayne et Marlène Dietrich dans une scène du film Seven sinners (en français La Maison de sept pêchés), 1940.

Vente eBay.

 

 

 

On peut donc dire que l’apparition de John Wayne dans le film est une illustration (modeste, certes) d’une forme de regard féminin : le personnage masculin est vu d’après le regard intéressé de la chanteuse/Marlène Dietrich (le spectateur comprend dès alors qu’ils sont voués à avoir une relation amoureuse).

Dans ce film, le regard féminin détaille les qualités physiques d’un homme – peut-être parce que le personnage féminin est une chanteuse de cabaret, clairement plus « libre » qu’une femme ordinaire. Evidemment le réalisateur n’est pas une femme, mais cela suffit-il pour écarter l’idée qu’on a ici (de façon discrète) un regard féminin porté sur un homme ?  On peut aussi considérer que dans ce cas, la femme spectatrice peut également prendre plaisir au spectacle qui lui est proposé d’un bel homme.

Cet exemple démontre que les films anciens ne se bornaient pas à  s’attarder sur l’apparence physique du  personnage féminin, le personnage masculin pouvait être traité de façon similaire. Il est probable qu’on trouverait d’autres exemples de cette situation, ce qui permettrait alors de relativiser le caractère spécifique du « regard masculin » considéré comme une manifestation du sexisme dans le cinéma.

 

 

AJOUT : Dans le  roman de Doris Lessing Le Carnet d'or (The golden notebook, 1962), la narratrice, Anna, observe que dans les films américains, les personnages masculins sont érotisés et prennent des positions qui attirent l'attention sur leurs parties génitales. Réflexion à verser au dossier - le cinéma  américain de l'époque n'a peut-être pas érotisé que les femmes ...

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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