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Le comte Lanza vous salue bien
14 janvier 2022

LE FÉMINISME RADICAL ET LA TRADITION ARTISTIQUE OCCIDENTALE

 

 

LE FÉMINISME RADICAL ET LA TRADITION ARTISTIQUE OCCIDENTALE

PARTIE 1

 

  

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

Durant plusieurs siècles, la peinture et la sculpture occidentales avaient pris comme un de leurs principaux thèmes la représentation du nu féminin (alors que le nu masculin était plus faiblement représenté). Malgré des moments de plus ou moins grande pudibonderie, liés le plus souvent à l’influence de conceptions religieuses dans leur version la plus rigoriste*, la tendance artistique de la représentation du nu féminin (qu’il soit complet ou suffisamment déshabillé) n’avait jamais été contestée sérieusement.

                                                                                  * On peut par exemple évoquer la courte période où Savonarole fut tout-puissant à Florence : sa prédication (et l’autorité effective qu’il exerçait sur la ville) convainquit plusieurs artistes dont Botticelli de détruire leurs oeuvres représentant des nus ou des sujets profanes.

 

Mais l’évolution récente des mentalités modifie la perception générale de la tradition artistique occidentale.

Nous avons donné à cette (modeste) étude le titre Le féminisme radical et la tradition artistique occidentale, après quelques hésitations. Mais il nous a paru que les notions d’art occidental et de tradition expriment bien les concepts mis en cause par le féminisme radical. Enfin, cette étude ne concerne que certains aspects de l’art (visuel) et de la culture au sens large, et ne prétend à aucune exhaustivité.

L'idée de cette étude m'est venue alors que je faisais des recherches pour ma série de messages Femmes nues, Hommes habillés dans l'art. Elle s'intercale entre la partie 2 et la partie 3 à venir de cette série.

 

 

 

QUELQUES NOTIONS SUR LE FÉMINISME RADICAL (OU NÉO- FÉMINISME)

 

 

A partir des dernières décennies du 20e siècle, un fort mouvement féministe porta son regard sur toutes les activités sociales pour y traquer les preuves de la subordination des femmes.

Ce mouvement féministe a répandu, entre autres théories, l’idée que les peintres (et les sculpteurs), essentiellement masculins, avaient représenté la femme telle qu'elle devait être pour la société patriarcale (c'est-à-dire dominée par les hommes) : belle, désirable et soumise. Le même point de vue est appliqué aux productions de la culture de masse comme le cinéma.

Les féministes radicales lient la situation dominée de la femme à la norme hétérosexuelle qui selon elles, est imposée par la société patriarcale. Pour beaucoup d’entre elles, les distinctions d’identité masculine ou féminine (qu’on appellera de genre) et les comportements sexuels sont des constructions sociales (ou culturelles) et non des faits de nature, et sont établies ou imposées en fonction de l’intérêt de la partie masculine de la population.

L’idéologie féministe radicale qui se décompose en diverses tendances, influence forcément le féminisme classique et même les courants d’opinion mainstream qui reprennent comme un effet de mode les mots d’ordre banalisés du féminisme radical.

 

Le féminisme radical est fondé sur un certain nombre de bases théoriques développées dans la seconde partie du 20 ème siècle.

Pour Catharine McKinnon, la société est divisée en deux classes (l’une dominée, l’autre dominante), les femmes et les hommes : « Cette division représente le fondement même de toutes les relations sociales » (Toward a Feminist Theory of the State,1989). Le féminisme radical peut donc reprendre les formulations marxistes, mais cette fois appliquées à la division de la société selon les sexes.

La situation privilégiée des hommes sera désignée généralement sous le terme de patriarcat.

En 1990, Judith Butler (qui a notamment été professeur à l'université de Berkeley), publie son ouvrage majeur Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, qui fait entrer dans le débat l'idée que le genre n'est pas une donnée naturelle mais une construction artificielle.

A partir de là, le féminisme radical peut se décomposer en diverses tendances et privilégier un ou plusieurs aspects de la domination masculine. Il élabore des concepts comme « la culture du viol » qui serait, par essence,  le point de vue masculin sur les femmes

La masculinité est alors définie comme critère du mal. Toutes les oppressions découlent du principe masculin : pas seulement les oppressions de sexe (y compris la discrimination des minorités sexuelles). mais les oppressions de classe ou de race. Dès lors, certaines féministes mettent en cause les relations hétérosexuelles.

Catharine MacKinnon considère la sexualité hétérosexuelle comme l’inégalité sexiste érotisée et l’instrument d’oppression des femmes. Selon elle la pornograhie serait l’expression même de la sexualité masculine : « le porno enseigne que l’agression physique des femmes est l’essence même du sexe ».

Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon ont donc développé une critique forte de la pornographie qui visait en fait les relations hétérosexuelles – de façon à englober l’une et les autres dans le même discrédit. En effet, il est difficile de contester que même dans la société soit-disant patriarcale, la pornographie est mal vue (par pornographie on entend les productions pornographiques, livres, magazines de photos et films) et les consommateurs de la pornographie sont considérés avec mépris. Profitant de ce terrain solide (puisqu’admis par la société), les féministes radicales entreprennent de faire dériver vers la pornographie toute manifestation de la sexualité hétérosexuelle dans les arts ou les médias*.

Les productions culturelles vont donc être examinées selon les logiques mises au point par les théoriciennes féministes.

 

                                                                                            * Cette position initiale s’est modifiée chez certaines féministes (minoritaires) qui ont considéré que les productions pornographiques pouvaient être considérées d'un point de vue poltique (en tant que productions méprisées par l'élite sociale) et qu’une pornographie féminine était possible (et souhaitable). Ces féministes ont lancé le domaine universitaire des porn studies qui semble s’être fait une place (marginale toutefois) surtout aux USA, représenté notamment par Linda Williams, Laura Kipnis, Annie Sprinkle. Celle-ci écrit: « la solution au mauvais porno n’est pas « pas de porno », c’est un meilleur porno » (cf les articles de « Loupche «  sur le site Berthine, 2020 https://www.berthine.fr/les-porn-studies-ou-letude-de-la-pornographie-1-3/)

 

 

 

THÉORIE ET VANDALISME

 

 

En 1970, Kate Millett publie sa thèse (initialement soutenue à l'université Columbia), Sexual Politics (traduit sous le titre La Politique du mâle), qui la rend célèbre : elle analyse le pouvoir patriarcal à travers la littérature occidentale et lie l’oppression sexuelle des femmes à l’hétérosexualité dans les œuvres de D. H. Lawrence, Henry Miller et Norman Mailer.

En 1992, le livre de Lynda Nead, The Female Nude: Art, Obscenity and Sexuality exerce la même critique dans le domaine artistique et considère que le nu féminin en art est un des symboles de la domination masculine. Dès 1972, un auteur masculin, John Berger, avait fait des réflexions similaires en notant que sur l’ensemble de la peinture à l’huile traditionnelle européenne, vingt ou trente tableaux seulement montraient une femme pour elle-même et non pas comme une forme d’idéal désirable*.

                                                                                                       * John Berger comptait-il pour rien les milliers de portraits féminins représentant des femmes qui, même généralement flattées par le peintre (encore que pas toujours), étaient souvent assez loin d'un « idéal désirable» ?

 

La critique faite par les féministes envers l’art tel qu’il est traditionnellement conçu, au moins en Occident, est qu’il est le reflet de la domination masculine et notamment du fait que dans la plupart des œuvres d’art présentant des figures féminines nues (ou dénudées) il impose des modèles de beauté féminine et « réduit » la femme à un objet de séduction à l’usage des hommes.

Avant même la théorisation des idées féministes sur l’art par des auteures de la seconde moitié du 20 ème siècle, ce point de vue fut exposé avec éclat par des actes de vandalisme.

Ainsi, dès avant la guerre de 14, des féministes britanniques (qu’on appelait suffragettes et qui militaient alors, principalement, pour l’accès des femmes aux droits politiques dont le droit de vote) s’en prirent à des œuvres d’art qui selon elles représentaient la domination masculine.

Le féminisme iconoclaste débute le 10 mars 1914. lorsque  la suffragette Mary Richardson étudiante aux Beaux-Arts s’en prend avec un hachoir au tableau La Vénus au miroir de Velázquez (vers 1650), exposé à la National Gallery de Londres, occasionnant sept entailles dans le tableau.

Peu après, Mary Richardson a expliqué son geste de la manière suivante : « J’ai essayé de détruire l’image de la plus belle femme de la mythologie pour protester contre le gouvernement qui détruit Mme Pankhurst [la célèbre suffragette], qui est le plus beau personnage de l’histoire moderne » (cité par Liliane Inés Cuesta Davignon, De l’iconoclasme à la censure, Le musée, champ de bataille du genre, Cahiers de l’Ecole du Louvre, 2020).

 

Parmi les œuvres vandalisées en l’espace de quelques mois, on trouve des tableaux représentant des hommes célèbres, ainsi le portrait de Henry James par John Singer Sargent, le portrait du duc de Wellington par Herkomer et le portrait de l’écrivain Carlyle par Millais.  Les œuvres ciblées sont « presque toujours des portraits d’hommes célèbres et des scènes à caractère solennel. Les femmes vandales attaquent la pompe de l’Etat, ses flonflons, son prestige, ses trésors nationaux » (Agnès Giard citée  par le blog Eromakia* , https://eromakia.fr/index.php/punir-censurer-interdire-les-feministes-au-musee/).

« Trois châteaux écossais sont brûlés en une seule nuit, ainsi que la bibliothèque Carnegie de Birmingham. Des stations de train sont vandalisées… Une bombe explose à Westminster Abbey » (idem). La guerre qui éclate en août 1914 met fin à ces premières manifestations de vandalisme.

                                                                                                           * Eromakia, d'après les mots grecs signifiant amour et combat. Ce blog hostile au féminisme radical est tenu par une femme.

                                                                                                     

Or, si les autres œuvres attaquées sont l’expression du pouvoir masculin ou de l’autorité de l’Etat, la première attaque contre une œuvre majeure de la peinture occidentale, La Vénus au miroir , dénonce aussi l’image de la femme telle que la conçoivent les hommes. En effet, Mary Richardson, interrogée sur ses motivations, déclara qu’elle « n’aimait pas la façon dont les visiteurs masculins du musée restaient bouche bée devant elle [l’œuvre] à longueur de journée » (Liliane Inés Cuesta Davignon, art. cité).

Selon l’article précité de Liliane Inés Cuesta Davignon : « Ceci introduit une nouvelle dimension dans la signification que l’on peut attribuer à l’acte, à savoir le regard (masculin) porté sur la nudité féminine dans les œuvres d’art qui nous rappellent que celles-ci ont traditionnellement été réalisées par des hommes, pour des hommes ». Le même auteur (qui est conservatrice de musée !) évoque l’épisode de la destruction (ou tentative de destruction) du tableau de Velasquez comme « le symbole visuel par excellence de la critique féministe de l’histoire de l’art et des musées » (il est quand même surprenant qu’un acte iconoclaste soit considéré comme une simple expression de critique par une conservatrice de musée, à l'encontre même des impératifs de sa profession).

 

 

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Mary Richardson, après avoir lacéré  La Vénus au miroir de Velázquez à la National Gallery, est immobilisée par des visiteurs (certains brandissent leur guide touristique) et des gardiens (tous masculins!), mars 1914. Dessin du journal italien La Domenica del Corriere.

Illustration tirée de l'article de Liliane Inés Cuesta Davignon, De l’iconoclasme à la censure, Le musée, champ de bataille du genre , https://journals.openedition.org/cel/9652?lang=en

 

 

 

Le même auteur (qui réfléchit à la façon dont les musées peuvent refléter la conception dominante de l’art et les normes sociales) écrit, en reprenant les analyses de Mary Kosut :  « Dans ce sens, le musée peut devenir une institution sexiste, raciste et ethnocentriste. Il transmet un ensemble de valeurs qui est le résultat de décisions et de « l’autorité curatoriale »[les conservateurs], ensevelies jusqu’à très récemment sous « la tradition, la richesse, la lignée familiale, l’hétéronormativité et le patriarcat »

Elle affirme que «  Le musée a été traditionnellement une institution hétéronormative et patriarcale qui contribue à maintenir les rôles et les stéréotypes liés au genre, l’invisibilisation de la femme dans l’histoire et des identités sexuelles dissidentes. »

L’auteur signale qu’à partir des années 80 « Sous l’influence de la critique féministe de l’histoire de l’art et des travaux de Griselda Pollock, les musées commencèrent à remettre en question le canon en tant que corpus de connaissances et la construction des savoirs, surtout par rapport aux groupes historiquement exclus ou sous-représentés tels que les femmes, les personnes queer, les minorités raciales et ethniques ; les Autres, en somme ». Dès lors, les musées plus ouverts aux nouvelles tendances de la société furent – selon elle - en butte aux demandes de censure provenant notamment de milieux réactionnaires, scandalisés par les nouvelles pratiques muséales (lors d’exposition notamment) qui s’ouvraient aux « minorités ».

Néanmoins, elle mentionne le retrait d’un musée, en 2018, par la conservatrice, d’un tableau victorien (pourtant bien peu érotique), au motif qu’il s’agissait d’une représentation masculiniste de la femme ; l’article indique que le tableau a été remis en place et que son retrait momentané faisait partie d’une expérimentation (ce qui n’est pas si clair) : la censure exercée à partir d’un point de vue féministe n’est pas vraiment soulignée (ou du moins est édulcorée). On reviendra sur cet épisode.

Après avoir indiqué que le musée pouvait être un champ de bataille, l’auteur de l’article conclut de façon plutôt convenue que « tout cela prouve une chose : si les musées et les objets qui y sont conservés suscitent de telles réactions, parfois passionnées et violentes, c’est qu’ils ont un rôle à jouer dans la lutte pour l’égalité des genres, la cause féministe et la visibilisation des minorités sexuelles et dissidentes ».

(Liliane Inés Cuesta Davignon, De l’iconoclasme à la censure, Le musée, champ de bataille du genre , https://journals.openedition.org/cel/9652?lang=en).

 

 

GROUPES MILITANTS

 

 

L’audience de plus en plus large du féminisme y compris dans ses tendances radicales explique que la dénonciation de la domination masculine dans l’art et l’histoire de l’art soit devenue quasiment le point de vue dominant :  le milieu des conservateurs (et conservatrices, car comme dans d’autres secteurs professionnels l’audience du féminisme radical est parallèle à la féminisation des professions concernées) s’engage à la suite des militantes (et militants) féministes les plus actives (actifs)* par conviction,  prudence ou conformisme.

                                                                                   * Il existe bien entendu des hommes qui épousent ( ?) les thèses féministes radicales, plus souvent dans le cadre d'autres combats associant des populations ou groupes considérés comme dominés.

 

Le chemin parcouru depuis quelques décennies est probablement tel que les opinions traditionnelles et les opinions contestataires ont échangé leurs positions : ce sont les positions féministes qui maintenant font figure de positions dominantes et institutionnelles.

Cette évolution, résulte du mouvement général des idées et de l’action militante de quelques groupes.

 

On peut ici mentionner le groupe Guerrilla Girls (le mot s'écrit avec 2 "r" en anglais). crée à New York en 1985. Ce groupe e plasticiennes se fait connaître par des interventions où elles portent des masques de gorilles. En 1989 elles conçoivent une affiche célèbre, sur laquelle l’odalisque d’Ingres porte le masque de gorille caractéristique de leur groupe ; une phrase commente l’image: « Les femmes doivent-elles être nues pour rentrer au Metropolitan Museum ? »

Une phrase d’explication indique que moins de 5 % des artistes dans les sections d’art moderne (du Metropolitan Museum de New York) sont des femmes, mais plus de 85 % des nus sont féminins. « Cette affiche, devenue iconique, a été rééditée en 2005 et 2012 pour démontrer que ces chiffres n’ont guère évolué ». Les Guerrilla Girls ont donc deux angles d’attaque : la sous-représentation des artistes femmes dans les musées et la représentation de la femme qui est principalement celle du nu:

 

Pour ces militantes (et militants), l’évolution est bien sûr toujours trop timide et on dénoncera toujours le patriarcat comme si on était en 1960, selon le principe que le militant qui a gagné la partie n’a plus de raison d’exister : plus le mouvement devient hégémonique et plus il doit continuer à dire qu’il est minoritaire et persécuté. On examinera plus loin quelques aspects du caractère hégémonique du mouvement féministe dans l’activité des musées.

 

 

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 Affiche des Guerrilla Girls, pour le public français, avec les statistiques actualisées du Metropolitan Museum sur les artistes femmes exposées et les nus féminins. La tête de gorille emblématique du groupe a sans doute été choisie par proximité avec le mot Guerrilla.

Exposition au Palais de Tokyo, Paris, 2013.

 Guerrilla Girls | Palais de Tokyo

 

 

 

 

LES ARTISTES FEMMES DANS L’HISTOIRE

 

 

La « sous-représentation » des artistes femmes dans les musées doit moins à une volonté délibérée des hommes de minorer (« invisibiliser » dans le jargon à la mode) les femmes, que d’un constat (lui-même en rapport certes avec la condition des femmes durant des siècles) qui est celui du faible nombre d’artistes femmes – et peut-être aussi du fait que les artistes femmes ont rarement été des artistes de premier plan.

La féministe Linda Nochlin s’est demandé «  Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes » et donne des réponses convaincantes à la question, dont la formulation même sous-entend qu’en effet, les femmes artistes n’ont pas accédé au statut de grands créateurs non en raison de la censure des hommes (qui auraient délibérément minoré l’importance des femmes artistes) mais pour d’autres raisons : « Nochlin met (…) en avant la formation insuffisante des femmes dans le domaine des arts et souligne que si jamais une femme a eu la chance de recevoir une formation dans ce domaine, l’importance de la demande domestique et sociale lui pèse tant, qu’elle ne dispose alors plus du temps nécessaire pour se consacrer à son art. De plus l’enseignement artistique académique était interdit aux femmes »*

Elle estime que « L’histoire de l’art, et le monde de l’art avaient jusqu’à présent fermé définitivement leurs portes à toutes personne qui n’était pas un homme blanc et occidental : il n’y avait jamais eu de grandes artistes femmes, car le monde de l’art ne leur avait jamais ouvert ses portes. La femme n’est pas actrice de l’art, mais sujet, notamment au travers du nu féminin. »

On peut ajouter que l’histoire de l’art (occidental, est-il besoin de le préciser) fournit une liste substantielle d’artistes femmes (avant le 20ème siècle où le chiffre des artistes femmes a considérablement augmenté), mais il est difficile de prétendre que Sofonisba Anguissola ou Artemisia Gentileschi sont des artistes comparables à Rembrandt ou Raphaël. A ce compte-là, combien d’artistes masculins sont plus ou moins justement relégués au second, voire ou troisième ou quatrième rang de l’histoire de l’art ? Et si par hasard une femme a occupé à un moment le premier rang, au moins dans un domaine particulier, comme Elizabeth Vigée-Lebrun, portraitiste la plus célèbre à la fin de l’Ancien régime en France, la mise en perspective critique a fait d’elle (et de ses semblables masculins) des peintres mondains, relégués parmi les artistes habiles mais sans plus, dépourvus des qualités qui font les « grands artistes », les créateurs de dimension exceptionnelle. 

 

 

 

LE REGARD MASCULIN (MALE GAZE)

 

 

 

Dans le domaine des arts visuels, les théoriciennes féministes ont inventé le concepts de « regard masculin », qui s’est largement imposé et auquel on se réfère constamment aujourd’hui.

« Le regard masculin, également appelé vision masculine ou male gaze [en anglais], désigne le fait que la culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeu vidéo, bande dessinée, etc.) imposerait au public d'adopter une perspective d'homme hétérosexuel » (Wikipédia, art. Regard masculin).

Ce concept a été proposé par la critique de cinéma Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema publié en 1975.

Pour Laura Mulvey, qui s’appuie sur les travaux de Freud et les théories marxistes, les violences exercées sur les femmes par le patriarcat et le capitalisme (quasiment synonymes) sont véhiculées dans les images produites par le cinéma. Selon elle, le concept de regard masculin comprend le regard du réalisateur, des personnages masculins et du spectateur.

Elle démontre que, dans les films produit par Hollywood, l'image sexualisée des actrices est le sujet central du film afin de satisfaire le plaisir de l'homme.

On parle de male gaze lorsque la caméra s'attarde, par exemple, sur les formes d'un corps féminin.

« Le concept de Male gaze désigne le fait que le regard masculin hétérosexuel nous est imposé par la culture dominante, à travers le cinéma, les jeux vidéo, la publicité, la littérature… Produit de notre société patriarcale, ce regard transforme les femmes en objets de désir. »

Qu’est-ce que le Male gaze? | La Ligue de l’Enseignement (ligue-enseignement.be)

Pour un article du site Montréal Campus, le « male gaze » ou regard masculin désigne la chosification de la femme depuis la perspective de l’homme hétérosexuel cisgenre au cinéma ou à la télévision. Le but est de plaire à ce public cible en misant sur l’érotisation du corps de la femme. »

« Le regard masculin se traduit notamment en misant sur les gros plans ou les balayages des pieds à la tête du corps d’une femme.

Selon la professeure de cinéma et de télévision à l’École des médias de l’UQAM, Stéfany Boisvert, la « persistance du male gaze » se fait de façon inconsciente puisque ce phénomène est ancré dans les codes cinématographiques. Ainsi, ce concept peut être perpétré [sic] autant par des hommes que par des femmes. » (Se défaire du « regard masculin » dans le cinéma québécois - Montréal Campus (montrealcampus.ca)

« Le spectateur prend un plaisir voyeuriste à regarder la femme à travers le regard de l’acteur auquel il s’identifie (principe de scopophilie) » ; « La femme est représentée soit de manière fétichisée (survalorisation et culte de la mère) soit de manière sombre (dénigrement ou mise en valeur d’un mystère féminin) » (ces deux citations extraites de l’article Le male gaze ou le pouvoir des images, leblogducinema.com).

Ce concept est aujourd’hui vulgarisé par des blogs de la façon suivante : « C’est ça, le « male gaze », lorsqu’on vous fait mater une femme présentée comme objet de fantasme à travers les yeux d’un homme. »

Dans ces présentations, les termes fétichisme ou fantasme sont d’ailleurs utilisés sans rapport avec leur utilisation classique dans l’étude des sexualités ; regarder une femme selon des critères sexuels ou érotique n’a rien de spécialement fétichiste ou fantasmatique (c’est même un contresens). On ne saisit d’ailleurs pas bien l’association de la femme désirable et de la mère (« survalorisation du rôle de la mère » - qui semble relever d’un registre différent – mais tout aussi dépréciateur).

Les sites ou professeurs militants utilisent (consciemment ou non) des termes tendant à criminaliser le phénomène décrit : ainsi, selon l’enseignante de Québec citée plus haut, le concept du male gaze serait « perpétré » (et non perpétué, comme on devrait écrire) – or, on perpètre un crime...

Le concept de « regard masculin » aujourd’hui banalisé est lui-même fondé sur une vérité tellement banale qu’il faut la camoufler sous des formulations savantes pour lui prêter une prétention scientifiques.

« Selon l'analyse psychanalytique de Laura Mulvey, il existe deux sources principales de plaisir visuel au cinéma : la scopophilie et le narcissisme. » (Wikipédia, art. Scopophilie). Le regard masculin s’appuie sur la scopophilie.

La scopophilie, scoptophilie ou pulsion scopique, (…) est « définie par Sigmund Freud comme le plaisir de posséder l'autre par le regard. Il s'agit d'une pulsion sexuelle indépendante des zones érogènes où l'individu s'empare de l'autre comme objet de plaisir qu'il soumet à son regard contrôlant. » (Wikipédia, art. Scopophilie).

En effet, nul ne doute qu’à une certaine période, les cinéastes (principalement hollywoodiens) ont eu tendance à montrer aux spectateurs masculins ce qu’ils avaient envie de voir.

Par exemple, les films de James Bond présentaient aussi le personnage principal comme bien habillé, utilisant des voitures de prestige, dans un environnement luxueux, tout un ensemble éloigné de la vie de la plupart des spectateurs. En définitive, le cinéma (et d’autres médias) fournissait au spectateur moyen (certes masculin, mais les femmes y avaient leur part, moindre sans doute), et de façon illusionniste (évidemment), les rêves que celui-ci pouvait avoir (ou créait ces rêves si on veut).

Tour le discours qui s’est développé autour d’une réalité très banale est caractéristique de la prétention para scientifique des milieux activistes. Prétendre que ces films donnaient à voir une représentation « normative » de la société n’était pas faux, mais le constat reste banal (un film qui présente, de nos jours, le point de vue politiquement correct, - par exemple un film qui prône le « vivre-ensemble », donne aussi une vision normative de la société).

 

 

 

COMMENT UNE BANALITÉ DEVIENT UNE THÉORIE

 

 

Des films présentent les femmes de façon attrayante pour le spectateur masculin – qui toutefois a peu de chances d’en faire toute une affaire (ce n’est qu’un film) ; c’est la présentation théorique du phénomène qui est contestable par excès : non, le regard masculin ne concerne pas « la femme » en général, mais la femme présentée dans le film. Non il ne permet pas la prise de possession, ou la domination effective (qu’est-ce que ça pourrait bien vouloir dire ?), on ne « s'empare » réellement de personne : ce n’est qu’un regard sur un personnage de fiction, en image. La généralisation et l’abstraction systématique transforment en acte de domination ce qui est une simple récréation, le plus souvent dans un film d’évasion, un entertainment comme on dit en anglais-américain.

Il suffit de comparer l’image des femmes dans les films de James Bond (notamment de la première époque) et celle que présente un film pourtant grand public et un chef d’œuvre du cinéma hollywoodien comme Autant en emporte le vent : si le personnage masculin Rhett Butler détaille Scarlett O’Hara lorsqu’il fait sa connaissance, avec les caractéristiques du male gaze (il la trouve séduisante, évidemment, réaction qui n’est pas encore devenue incorrecte), Scarlett sait parfaitement se défendre et porte un regard féminin plein de détermination sur les gens et le monde. Mais comme on le sait le film a d’autres défauts… 

On objectera que le regard masculin tel qu’il s’exprime au cinéma a son équivalent (en fait son origine) dans la réalité :  dans le regard que les hommes portent sur les femmes, qui (au moins à certains moments) recherchent dans les femmes prioritairement l’aspect esthétique et sexuel. Peut-être, mais il serait niais de croire que les femmes ne regardent pas non plus les hommes (en général) d’une certaine façon, triant selon divers critères ceux qui méritent une appréciation positive et délaissant les autres.

 Le male gaze est-il condamné ? Il vient un moment où on peut se féliciter du chemin parcouru même si pour cela, il faut confesser que l’hydre qu’on combat a quasiment disparu. Ainsi le refus du male gaze serait devenu général aujourd’hui, grâce -aux « jeunes : « Masculinité toxique et “male gaze” au cinéma : pour les jeunes ça ne passe plus » titre un article de Télérama.

https://www.telerama.fr/cinema/masculinite-toxique-et-male-gaze-au-cinema-pour-les-jeunes-ca-ne-passe-plus-6989135.php

 

 

FEMALE GAZE ?

 

 Bien entendu, un female gaze (ou une vision particulière des femmes) est maintenant préconisée dans le cinéma (notamment chez les réalisatrices) – il ne consiste pas à érotiser l’image des hommes (on s‘en doute) mais il est défini de façon générale comme un regard qui « adopte le point de vue d’un personnage féminin pour épouser son expérience ».

Mais les théoriciennes militantes ont un point de vue plus rigoureux pour affirmer qu’un film relève du « regard féminin ». selon Wikipédia, la critique Iris Brey propose ainsi de « questionner » les six points suivants :

  1. Est-ce que le personnage principal s’identifie en tant que femme ?
  2. Est-ce que l’histoire est racontée du point de vue du personnage principal féminin ?
  3. Est-ce que l'histoire remet en question l'ordre patriarcal ?
  4. Est-ce que la mise en scène permet au spectateur ou à la spectatrice de ressentir l’expérience féminine ?
  5. Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est conscientisé ?*
  6. Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par autre chose qu'une pulsion scopique? 

                                                                                                                      * On suppose que ça veut dire : n’est pas un simple spectacle ? Cela rejoint le point 6.

 

Initialement conçu à partir de la critique cinématographique, le concept de male gaze peut aussi s’appliquer dans le domaine de l’art et rejoint d’autres concepts extrêmement répandus par le féminisme théoricien, comme la culture du viol (qu’on abordera plus loin), pour exercer sur les peintres anciens ou modernes une censure (ou une tentative de censure) conforme à ces principes.

 

 

UNE POLÉMIQUE OU UNE PSEUDO-POLÉMIQUE ? LE BAISER DE BLANCHE-NEIGE

 

 

 

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 Le baiser du Prince à Blanche-Neige endormie pour l'éternité après avoir mangé la pomme empoisonnée. Le baiser « d'amour véritable » du Prince la réveillera. Blanche-Neige et les sept nains, dessin animé de Walt Disney, 1937.

Photograph: Disney/Allstar

The Guardian, article de Sidney Rose, juin 2021 https://www.theguardian.com/film/2021/jun/16/how-disney-became-embroiled-in-the-culture-wars

 

 

 

Les polémiques qui naissent à partir de l’expression des points de vue féministes (ou néo-féministes ou féministes radicales) sont qualifiées par les défenseurs de ces thèses de pseudo-polémiques (la polémique qui ne vous plait pas sera toujours une pseudo-polémique).

On en a un exemple récent avec la polémique à propos du baiser non consenti de Blanche-Neige dans le dessin animé de Walt Disney (1937) et sa déclinaison dans une attraction du Parc Disneyland.

 

« La scène du baiser à la fin de Blanche-Neige et l’absence de consentement de la princesse est un sujet qui crispait déjà l’opinion publique américaine. Mais ce qui a réveillé la polémique, et dépassé les frontières, c’est un paragraphe d’un article du SF Gate, la version en ligne du quotidien San Francisco Chronicle

Dans une critique publiée le 1er mai 2021, le jour de la réouverture de Disneyland, deux journalistes (féminines) donnent leur avis sur la nouvelle version d'une attraction du parc » (La "cancel culture" veut-elle vraiment supprimer la scène du baiser "non consenti" dans "Blanche-Neige" ? (francetvinfo.fr)

En effet, les autrices de l’article, après avoir plutôt fait l’éloge de la nouvelle attraction, remarquent :

« N'avons-nous pas déjà accepté que le consentement dans les premiers films Disney est un problème majeur ? Qu'apprendre à des enfants qu'embrasser, alors qu'il n'a pas été établi que les deux personnes sont d'accord, n'est pas ok? Il est difficile de comprendre pourquoi, en 2021, Disney a choisi d'ajouter une scène avec des idées aussi rétrogrades sur ce qu'un homme peut faire à une femme (…) Pourquoi ne pas réinventer une fin qui garde l’idée du film et la place de Blanche-Neige dans la mythologie Disney, mais évite ce problème ?»

La polémique fut exploitée notamment aux USA par la chaîne conservatrice Fox News et en France par les médias rétifs au progressisme, de sorte que les partisans « sérieux » du progressisme ironisèrent sur une polémique qui n’avait pas de raison d’être :

« La "cancel culture" veut-elle supprimer la scène du baiser dans le film Blanche-Neige et les Sept Nains parce que l'héroïne endormie ne donne pas son consentement au prince charmant ?  (La "cancel culture" veut-elle vraiment supprimer la scène du baiser "non consenti" dans "Blanche-Neige" ? (francetvinfo.fr) ) « Les 1001 versions de “Blanche-Neige” et la fausse polémique » (Télérama) ; « Le baiser volé de Blanche-Neige, une fausse polémique montée de toutes pièces » (Slate).

La polémique présentée comme sans objet s’emballa en France avec la parution  - paradoxalement dans le journal progressiste Libération -  d’un dessin de la dessinatrice Coco qui ironisait sur l’attitude des nouveaux bien-pensants, en présentant une Blanche-Neige qui, bien qu’endormie, traitait d’idiot le prince qui hésitait à l’embrasser : « Quel coincé … j’ai couché avec 7 nains, je te rappelle ».

Dès lors ceux qui se moquaient de la polémique créée « de toutes pièces » par les conservateurs et dénonçaient l’épouvantail de la cancel culture, finissaient par poser gravement des questions sur le caractère réactionnaire des œuvres Disney :

« Au-delà de la controverse liée à Blanche-Neige, les questions relatives aux droits des femmes et à la manière dont elles sont représentées méritent d'être posées face aux oeuvres Disney. », commente France Culture (« On brandit les mots "cancel culture" comme un épouvantail" franceculture.fr), qui cite ce qui est probablement un tweet d’un spécialiste de l’image, André Gunthert : « Les princesses Disney ne véhiculent pas un modèle de société progressiste. Alors pourquoi se moquer de ceux qui essayent de réfléchir sur ce modèle ? »

Ce dernier, sur son blog L’Image sociale, développe son argumentation. Il commence par affirmer, comme il est fréquent chez les progressistes, que la Cancel culture est une invention conservatrice : « La pseudo-polémique sur le baiser de Blanche-neige fournit une remarquable démonstration du recours à la «cancel culture» – expression de la droite américaine adoptée par les néoconservateurs français pour mieux disqualifier les interpellations progressistes. En effet, personne n’a réclamé la censure, l’annulation ou la destruction par le feu de la scène iconique ».

Il remarque qu’après avoir déclenché une polémique qui n’avait pas lieu d’être, les anti-progressistes prétendent ridiculiser ceux qui s’y sont laissé prendre : « Allons donc! Faut-il monter sur ses grands chevaux à propos d’un simple dessin animé? Le piège du second degré se referme sur les progressistes ». 

A. Gunthert conclut :

« Non, il n’est pas absurde de remettre en question les modèles culturels, qui servent à faire passer des messages en douce et à rendre légitimes certains comportements. La critique féministe dénonce depuis longtemps les «princesses Disney», qui enferment les personnages féminins dans un carcan de clichés (…) Est-ce qu’on peut embrasser une fille inconsciente? Est-ce qu’on peut faire l’amour à sa copine quand elle dort? Oui, répond le baiser du Prince charmant, puisque si tu l’embrasses, tu lui sauves la vie. »

André Gunthert*, L’Image sociale, mai 2021 https://imagesociale.fr/9777

                                                                                      * André Gunthert est  un spécialiste engagé qui, par exemple, discerne sous une énième campagne de communication gouvernementale destinée - en première analyse – à  promouvoir le « vivre ensemble » et la laïcité, une campagne « raciste » (ce sont ses propres mots), émanant d’un Etat  islamophobe: « la laïcité suprémaciste des lois sur le voile ou de la loi «séparatisme» est un instrument de stigmatisation des minorités issues de l’immigration, qui prolonge les logiques coloniales de hiérarchisation des populations en fonction de leur origine » (article Les prénoms de la laïcité, ou comment cacher l’islamophobie, sept. 2021, https://imagesociale.fr/10028).

 

Ainsi, après avoir tenté de démontrer que la polémique n’avait pas de raison d’être, le spécialiste conclut de façon à justifier qu’elle était bien fondée puisque selon lui, le message de la scène du baiser de Blanche-Neige est quasiment une justification (en poussant à peine son raisonnement) de la culture du viol. Ajoutons que le titre de son article Rire avec Fox News (allusion sans doute à la formule connue: on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde) est aussi une présentation de mauvaise foi : en disant que les progressistes souhaitaient modifier le récit de Blanche-Neige, Fox News ne prétendait pas faire rire, mais provoquer l’indignation. Le titre choisi veut mettre en garde les progressistes comme Coco qui, inconsciemment,  « tombent dans le piège » des réactionnaires. 

 En fait, le piège, si piège il y avait, est d'avoir contraint les progressistes, par leurs réactions, à confirmer a posteriori les accusations des conservateurs, d'où, sur certains sites militants, la dénonciation d'une manoeuvre typique de l' « extrême-droite », ici confondue avec le capitalisme pro-patriarcal (« On a là toutes les ficelles d’une méthode bien typique de l’extrême-droite (...) pour faire monter les idées réactionnaires », Site Révolution permanentehttps://www.revolutionpermanente.fr/Baiser-de-Blanche-Neige-de-la-fausse-polemique-au-vrai-dessin-legitimant-les-agressions-sexuelles).

 

 

 

DISNEY, DANGER PUBLIC ?

 

 

Le débat oppose des « camps » décidés à utiliser tous les moyens rhétoriques pour discréditer leurs adversaires (et conquérir les indécis).

Les partisans du progressisme notèrent souvent qu’un autre déroulement de l’histoire de Blanche-Neige pouvait être envisagé, que rien n’interdisait de modifier les contes de fées, que Disney lui-même l‘avait fait*. Ils ne proposaient pas toutefois de nouvelle fin pour l’histoire, mais on peut imaginer celle-ci : le prince refuse d’embrasser Blanche-Neige car le baiser ne serait pas consenti et donc, elle ne revient pas à la vie. Cette nouvelle fin aurait l’avantage de pouvoir servir de métaphore au triomphe des idées néo-féministes, comme de la plupart des idées rangées depuis peu sous l’appellation de wokisme  : ce qui est présenté comme une libération produit finalement des catastrophes…

                                                                                                                            * Le dessin animé modifie en effet la péripétie qui amène le dénouement heureux dans le conte recueilli par les frères Grimm : dans ce conte, le Prince fait déplacer le tombeau vitré de Blanche-Neige et c'est en le déplaçant qu'une secousse permet à Blanche-Neige de recracher le morceau de pomme empoisonné coincé dans sa gorge, provoquant son réveil. On comprend Walt Disney d'avoir remplacé cette péripétie laborieuse et peu esthétique par un baiser, qu'il n'a toutefois pas inventé : il semble déjà figurer dans une version du conte de la fin de du 19 ème siècle, et ce dénouement s'inspire du baiser de la Belle-au-bois-dormant.

 

Enfin, un observateur attentif démontre que dans le film de Disney, Blanche-Neige est amoureuse du prince, qu'elle a déjà vu : le baiser est donc consenti  (Polémique – Blanche Neige et la culture du viol, article de  « Xxoii», mai 2021, La Taverne des sciences. Pour l'auteur, cette agitation autour du baiser non consenti (et du dessin de Coco) est révélatrice « de la stupidité des wokistes » (https://latavernedessciences.com/blanche-neige-cancel-culture/).

 

 

Dès avant la polémique (avec ou sans guillemets) de 2021, les films Disney étaient dans le collimateur des néo-féministes et plus généralement des progressistes.

Dans le New-York Post d’octobre 2018, un article titrait « Kristen Bell says ‘Snow White’ kiss sends controversial message about consent » (K. Bell dit que le baiser de Blanche-Neige fait passer un message discutable sur le consentement).

Mais ce qui retenait l’attention de divers intervenants sur internet d’abord aux USA puis en Europe, c’était la différence d’âge entre les héroïnes Disney et leurs amoureux :

« People are disturbed by the age gap between Snow White and her prince - Someone needs to call the police » (les gens sont choqués par la difference d’âge entre Blanche-Neige et le prince. Quelqu’un devrait appeler la police)

Sur un site français, on lit, de façon plus fantaisiste néanmoins : « Vous avez toujours trouvé louche l’histoire de prince “charmant” qui chope Blanche-Neige tandis qu’elle dort ? Mais saviez-vous que la princesse n’avait que 14 ans alors que lui était dans la trentaine ? » Le site publie un graphique d’origine américaine probablement (passablement loufoque), destiné à montrer que « certaines des love stories Disney pourraient tomber sous le coup de la protection des mineurs »

https://www.brain-magazine.fr/article/brainorama/59345-Un-graphique-revele-les-differences-dage-dans-les-couples-Disney, février 2020.

Le soupçon de pédophilie (ou de flirter avec la pédophilie) qui est impliqué plus ou moins clairement dans les réflexions sur l’âge des héroïnes Disney est en effet, comme on le verra, un des soupçons qui sont le plus volontiers agités par les néo-féministes pour discréditer le patriarcat et l’hétérosexualité.

En juin 2021 un article du Guardian, le journal de gauche britannique, recensait les principales accusations contre les oeuvres Disney, allant bien au-delà des questions de consentement : Cotton plantations and non-consensual kisses: how Disney became embroiled in the culture wars (Plantations de coton et baisers non-consentis : comment Disney devint impliqué dans les guerres culturelles) The Guardian, https://www.theguardian.com/film/2021/jun/16/how-disney-became-embroiled-in-the-culture-wars

L’article faisait d’ailleurs observer que si les productions historiques de Disney  lui-même encouraient les reproches de racisme ou de masculinisme, les dirigeants actuels de la société sont soucieux de montrer que les productions Disney  sont respectueuses de toutes les revendications minoritaires ou féministes, une attitude économiquement rentable.

 

 On peut remarquer que les reproches faits à Disney sur l’âge des héroïnes ou la différence d’âge entre elles et leurs amoureux omettent de se demander s’il s’agit d’une invention de Disney (il est peu probable que les films donnent réellement un âge précis aux héroïnes et aux héros, ces derniers étant un peu plus âgés qu’elles) ou s’il s’agit d’indications figurant dans les contes de fées à l’origine des films (modifiés ou pas par les films) : dans les contes,  la société décrite (même si le conte se place dans un environnement imaginaire, il se réfère forcément au type de société contemporaine de l’apparition du conte ou de ses adaptations successives) est sans surprise très éloignée des mœurs modernes, notamment pour ce qui concerne les relations entre sexes, l’âge du mariage etc.*

                                                                                                                        * Voir notamment les intéressants articles de Tony Gheeraert, Baisers volés (1-2), sept. 2021, site Le siècle des merveilles: Mme d'Aulnoy et Perrault https://merveilles.hypotheses.org/461

 

 

Il est donc assez logique que, au moins dans les pays anglo-saxons, la critique vise de façon plus générale les contes de fées comme ce fut le cas d’une polémique en 2018 à propos cette fois du baiser non consenti de la Belle au Bois dormant (voir l’article de François Fièvre, Sur la moralisation des contes de fées, 2018, qui note que les personnages de conte ne sont pas des personnages de roman et que des questions comme le consentement ne sont pas pertinentes à leur propos , même s’il est évident que le conte transmet des normes et des stéréotypes https://iconoconte.hypotheses.org/831) * – mais la réponse sera alors qu’il ne s’agit pas de juger des contes en soi, comme production intellectuelle, mais de leur perception actuelle (notamment chez les enfants), et de leur valeur d’exemple.

                                                                                                                  * «  ... la plupart des personnages [des contes] y ont une épaisseur psychologique tellement inconsistante (je renvoie sur ce point aux travaux de Max Luthi) qu’il est impertinent de se poser la question de leur consentement ou non à ce qui leur arrive. » Voir aussi de même auteur, La Blanche-Neige de Schrödinger https://iconoconte.hypotheses.org/987.

 

 

 

 

LES MÉSAVENTURES DE HYLAS

 

 

L’audience des idées féministes dans le monde de l’art et notamment dans sa fraction institutionnelle (les musées, les administrations culturelles) peut être évoqué par quelques faits récents.

En 2018, un tableau de John William Waterhouse, un peintre victorien tardif, Hylas et les Nymphes (1896), est décroché par la conservatrice de la Manchester Art Gallery (Royaume-Uni). La toile représente une scène de la mythologie : Hylas, un jeune homme qui participe à l’expédition des Argonautes, venu puiser de l’eau à une cascade, s’adresse aux nymphes du lieu (les nymphes sont des divinités des eaux) : séduites par la beauté de Hylas, les nymphes vont bientôt l’entrainer avec elles dans les profondeurs. Selon un récit mythologique, Hylas épousera une des nymphes - mais on peut aussi penser qu'il est mort noyé. Selon une version, Hylas est transformé en écho.

La toile est enlevée et remplacée par le commentaire suivant :

« Cette salle présente le corps des femmes soit en tant que “forme passive décorative” soit en tant que “femme fatale”. Remettons en cause ce fantasme victorien ! ». Le reste du message fait référence à la nécessité de mieux réfléchir aux questions de genre, de race, de sexualité et de classe « qui nous affectent tous » et pour lesquelles les œuvres d’art devraient « nous parler d'une façon plus contemporaine et pertinente ».

Le décrochage du tableau a lieu dans le cadre d’une performance d’une une artiste féministe contemporaine, Sonia Boyce, et comme élément de cette performance, qui comportait aussi, notamment, l’intervention d’une artiste queer (voir l’article d’Ariane Lemieux, Le geste de censure comme intervention artistique. Le décrochage d’Hylas et les Nymphes par Sonia Boyce, revue en ligne exPosition http://www.revue-exposition.com/index.php/articles5/lemieux-decrochage-hylas-waterhouse-sonia-boyce)

 

Questionnée, la conservatrice met en avant une initiative inspirée par le mouvement MeToo. Toutefois, elle dit que le tableau pourrait à nouveau être exposé par la suite mais avec une contextualisation revue. La boutique du Musée cesse aussi de vendre les reproductions de l’œuvre. La réaction du public est très majoritairement défavorable et le mot désagréable de censure est prononcé. Le tableau est réinstallé quelques jours après et on prétendra que son retour (rapide) était programmé dans le cadre de la performance de Sonia Boyce * – ce qui n’est pas vraiment établi.

                                                                                             * C’est ce qu’indique notamment l’article de Liliane Inés Cuesta Davignon, De l’iconoclasme à la censure, cité plus haut.

 

Comme l’explique le site Eromakia  (https://eromakia.fr/index.php/hylas-et-les-nymphes-ou-le-feminisme-a-contresens/), il est évident que  dans le mythe grec, les nymphes ne sont pas des victimes du patriarcat, mais  des divinités actives et capables d’imposer leur volonté et leur désir aux hommes.

Dans la mythologie,  Hylas participe à l'expédition des Argonautes avec Hercule, dont il est l' amant (éromène*) - ce qui prête au récit une complexité supplémentaire; loin d'être un prédateur représentatif du patriarcat, Hylas est un jeune homme préservé jusqu'alors du monde du désir féminin, représenté par les nymphes.

                                                                                                                            *  « Dans la Grèce classique, un éromène est un adolescent, voire une adolescente, engagé dans un couple pédérastique avec un homme adulte, appelé « éraste ». Un jeune garçon était susceptible de devenir éromène à partir du moment où il sortait du quartier des femmes, le gynécée, pour fréquenter la palestre, où il recevait une éducation intellectuelle et physique. Ce statut social, bien que reconnu et codifié par les sociétés antiques, était cependant le fait d'une certaine aristocratie (...) On considérait que l'apparition de la barbe au menton du jeune homme mettait fin à la possibilité de ce statut social. » (Wikipédia, art. Eromène). Dans le récit mythologique, Hercule part à la recherche de Hylas, désespéré par sa disparition, et les Argonautes repartent sans lui. Dans l'Antiquité, des célébrations en mémoire de la disparition d'Hylas avaient lieu sur les lieux où se plaçait la légende.

 

L'anecdote mythologique pourrait orienter  vers une interprétation du tableau comme mise en garde contre les dangers du désir féminin :

« Le stéréotype de l’homme prédateur n’est donc pas pertinent ici. Mais avec le féminisme misandre, l’homme ne peut jamais gagner. Si on ne peut pas l’accuser d’être un phallocrate dominateur, on va alors lui reprocher sa peur du désir féminin et proposer que le tableau illustre la « peur de la virilité victorienne des vagins féminins » (Eromakia, art. cité).

Néanmoins on peut admettre que c’est moins l’histoire mythologique elle-même que le Musée a voulu censurer – ou « contextualiser » - que le tableau de Waterhouse présentant un jeune homme (d'allure plus âgée d'ailleurs que le Hylas mythologique) discutant avec des jeunes femmes dévêtues – pourtant suffisamment plongées dans l’eau pour que seule une partie de leurs corps soit visible.

Les jeunes  filles du tableau ne paraissent pas si jeunes (sauf peut-être pour des féministes convaincues ?) qu’on puisse penser – plus ou moins consciemment - à un soupçon d’attirance pédophile chez l’artiste. Mais le mot « nymphe » qui fait penser à « nymphette », comme le suggère le site Eromakia (article précité), a peut-être joué son rôle dans la dénonciation du tableau, dans un contexte contemporain d’ignorance et d’inculture de plus en plus générale, y compris chez les personnes en possession de diplômes universitaires (mais on présente cette hypothèse avec précaution).

Il semble que la décision de décrocher le tableau a moins été motivée par la possibilité d’une attirance (de l’artiste, et aussi d’une partie du public) pour des très jeunes filles (même si  les nymphes du tableau n’ont pas l’air de sortir de l’école),  que par des considérations sur la sexualité adolescente (l’idée que les jeunes filles du tableau regardent Hylas avec du désir) : « Le choix de décrocher Hylas et les Nymphes au terme de la performance est, selon Sonia Boyce, une décision prise collectivement lors des dernières conversations qui ont engagé les points de vue d’une trentaine de personnes (…) Pour autant, les conversations semblent avoir fait émerger des ressentis singuliers sur Hylas et les Nymphes. Sonia Boyce parle d’un certain malaise pour des membres du groupe devant la mise en scène de l’appétit sexuel de filles pubères et la représentation de la sexualité qu’elle induit quant au désir physique de l’adolescente. » (Ariane Lemieux, Le geste de censure comme intervention artistique , art. cité).

Selon ce qui est rapporté (de façon assez emberlificotée) le groupe réuni autour  de la conservatrice du musée et de l’artiste performeuse, s'est ému (on parle de «  malaise ») d’un tableau qui montre «  des jeunes filles pubères »  (donc a priori parfaitement capables d’avoir une sexualité) qui éprouvent une attirance sexuelle pour un homme. Ce qui cause le malaise de la petite communauté pensante est donc ce qui passe pour « normal » et non-problématique chez d’autres. C’est bien l’hétérosexualité qui est visée ici, dans un renouvellement de la vieille pudibonderie.

On peut enfin penser que la conservatrice du musée, faisant avec ce qu’elle avait, a présenté comme un tableau sexiste un tableau passablement pudique et anodin – mais dans l’idéologie féministe (ou intersectionnelle), tout peut être matière à dénonciation et la réalité intrinsèque de la chose dénoncée a moins d’importance que le discours qu’on peut tenir à son propos.

 

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 John William Waterhouse, Hylas et les Nymphes (1896), Manchester Art Gallery. 

Wikipédia.

 

 

 

 

ART CLASSIQUE ET REVUES PORNO

 

 

On peut citer d’autres illustrations de l’influence des thèses néo-féministes sur le monde de l’art et de la conservation des œuvres d’art.

Il y a peu, une peinture baroque de G. E. Schröder (1684-1750) figurant la déesse Junon les seins nus, accrochée dans la salle à manger du Parlement suédois, a été retirée afin de ne pas offenser à la fois les féministes et les visiteurs musulmans, (cité par le blog Eromakia).

En mai 2021, l’achat d’un pastel de Degas pour le Museum Van Gogh d'Amsterdam a été critiqué pour la seule raison que le pastel représente une jeune femme nue à sa toilette vue de dos, en train de s’essuyer. De plus Degas est un peintre connu pour sa misogynie (Un cul dessiné par Edgar Degas vers 1885 affole les féministes néerlandaises, (opinions), Le Temps, juin 2021, https://www.bilan.ch/opinions/etienne-dumont/un-cul-dessine-par-edgar-degas-vers-1885-affole-les-feministes-neerlandaises).

 Les théories des néo-féministes sur l’art occidental sont devenues matière à lieux communs pour une ribambelle de suiveurs : ainsi une progressiste militante assimile les nus féminins de la peinture du 18ème siècle à des « revues pornos » (cité par Constance Desanti  Les dégâts de la cancel culture sur le nu féminin dans l’art" (marianne.net), Marianne, oct. 2021). Pour faire bonne mesure,  la même progressiste considère – sans faire la part de la plaisanterie - que dans la mythologie, Zeus apparait comme « le plus grand prédateur sexuel de la culture occidentale* ».

                                                                                                * Expression reprise fréquemment. Le «  Gang du clito » écrit sur Facebook, sous le titre  La mythologie & la culture du viol : « Dans la mythologie grecque, Zeus, maître des dieux, est un véritable prédateur sexuel. Il est ce qu'on pourrait appeler un serial violeur ». 

 

On peut quand même constater que la progressiste citée ne semble pas avoir une connaissance même superficielle des revues pornos car la peinture du 18ème siècle ne montre pas les caractères sexuels féminins de façon explicite (ou réaliste), à la différence des revues pornos – si tant est qu’il en reste encore. Au mieux elle pourrait comparer les tableaux « galants » du18ème à ce qu’on appelait, quand il en existait, des revues de charme ; mais le but est ici, comme souvent, de décrire les représentations érotiques émanant de peintres hommes de la façon la plus dépréciative.

Dans un esprit proche, Laurence Dionigi* interprète le nu féminin comme tendant à la pédophilie puisque les peintres représentent souvent des filles très jeunes (selon nos normes) ; elle assimile sans façons des peintres qui font poser des pré-adolescentes à des peintres qui font poser des jeunes filles plus âgées :

« On peut dire que leur jeunesse est exaltée à travers le regard lubrique du peintre âgé » (Comment le nu féminin est devenu féministe, interview de Laurence Dionigi, Terrafemina, avril 2021 https://www.terrafemina.com/article/art-comment-le-nu-feminin-est-devenu-feministe_a357978/1)

                                                                                     * Présentée par le site Terrafemina comme « écrivaine et militante pour les droits des femmes », auteur(e) de L'érotisme dans l'art, 2021.

 

Il serait également intéressant de se demander pourquoi dans les œuvres classiques qui n’ont rien de clandestines, la représentation des caractères sexuels masculins sont est parfois explicite (l’appareil génital est fidèlement représenté), comme dans certaines oeuvres du Caravage ou de Giulio Romano, alors que pour les femmes, la représentation gomme tout détail réaliste. On trouve fréquemment dans la statuaire, notamment à l'époque de la Renaissance, la représentation naturaliste des  caractères sexuels masculins : on peut notamment penser au David de Michel-Ange.

Il semble évident que le nu féminin réaliste n’était pas admis par la société,  contrairement au nu masculin; mais on doit dire que les peintres ou sculpteurs ont très souvent observé la même pudeur pour le nu masculin, dissimulant par un artifice l’appareil génital.

A l’opposé, les critiques féministes observent que souvent, le nu masculin est représenté sans ornement, alors que le nu féminin (déjà non réaliste) est agrémenté d’accessoires.

Quel que soit le cas de figure, les féministes en tirent la preuve d’une dévalorisation de la représentation féminine.

 

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Le Caravage, fresque Jupiter, Neptune et Pluton, vers 1597-1600, détail représentant Pluton, Casino Boncompagni Ludovisi (Villa Aurora), Rome.

Un exemple de nu masculin réaliste, dans la seule fresque réalisée par le Caravage. Dans cette représentation, les critiques ont vu selon les cas « l'affirmation d'une homosexualité extravertie » de la part du peintre ou une symbolique alchimique en lien avec les travaux du  commanditaire (et protecteur) du peintre,  le cardinal Del Monte (Jupiter, Neptune et Pluton, art. Wikipédia). Parmi les nus réalistes de Caravage, on cite aussi L'Amour victorieux (Eros en adolescent), Musée de Berlin - voir l'article de Natacha Aprile, La légende Caravage. Vie et œuvre de l’artiste, entre fantasmes et réalités , Les Cahiers de Framespa, 2020, https://journals.openedition.org/framespa/9617.

Sur la fresque, voir aussi  - entre autres - l'article Seriez-vous prêt à payer 475 millions d’euros pour vivre dans cette villa italienne (et son plafond peint par le Caravage) ?, AD Magazine, nov. 2021, https://www.admagazine.fr/lifestyle/news/article/a-vendre-villa-italienne-et-plafond-peint-par-le-caravage

 

 

 

 

 

ET LES AUTRES CULTURES ? LES ETHNOCENTRISTES NE SONT PAS TOUJOURS CEUX QU’ON PENSE

 

 

Les progressistes utilisent un langage où reviennent les mêmes mots qui ont valeur de démonstration  Ainsi, selon «  l'écrivaine et militante pour les droits des femmes Laurence Dionigi », déjà citée, le nu féminin «  témoigne toujours de la place accordée aux femmes à une époque donnée, et des injonctions, complexes et fantasmes (hétéronormés) qui les étouffent » [par définition, ce qui est hétéronormé étouffe toutes les femmes, semble-t-il et pas seulement celles qui ne sont pas hétérosexuelles ?]

 

Très souvent le reproche fait à l’art occidental comprend non seulement la critique de l’obligation hétérosexuelle (ou injonction hétéronormée), mais aussi celui de manquer d’ouverture aux autres cultures (on ne dit plus civilisations, semble-t-il, pour des raisons qu’il serait curieux d’analyser), bref d’être ethnocentré

Ainsi, pour Linda Nochlin (dont il a été question) la réflexion sur la place des femmes dans l’histoire de l’art doit pendre en compte  non seulement le genre mais également la race et la classe, afin de décloisonner encore plus une discipline trop souvent ethnocentrée (https://www.sossorciere.com/post/pourquoi-n-y-a-t-il-pas-eu-de-grandes-artistes-femmes, lien qui semble devenu indisponible).

De son côté Liliane Inés Cuesta Davignon (De l’iconoclasme à la censure, art. cité), écrit reprenant les analyses de Mary Kosut que « le musée peut devenir un instrument qui légitime une certaine idée de culture que nous pourrions qualifier de normative, et comment tout ce qui s’éloigne de cette norme en est exclu . Dans ce sens, le musée peut devenir une institution sexiste, raciste et ethnocentriste » résultant de facteurs comme «  la lignée familiale [ ?], l’hétéronormativité et le patriarcat ».

 

On note donc une convergence – caractéristique du principe d’intersectionnalité des luttes – qui associe l’oppression des femmes, attribuée à l’hétérosexualité et au patriarcat, à l’ethnocentrisme et au racisme.

Or, cette association, devenue presque systématique et qui apparait à la façon d’un réflexe pavlovien, entre des combats présentés comme convergents, consiste en l’occurrence à seulement aligner des mots supposés susciter par eux-mêmes l’indignation.

Dès lors qu’on a en vue l’art occidental, il est logique de se focaliser sur celui-ci. Mais à supposer qu’on veuille « décloisonner » et rejeter l’ethnocentrisme dans l’histoire de l’art, on aimerait bien savoir dans quelle culture non-occidentale les femmes ont acquis une place au moins égale aux hommes dans la création artistique et culturelle (puisque c’est le sujet abordé par Linda Nochlin) et plus généralement quelle culture non-occidentale a accordé dans le passé et accorde maintenant aux femmes une condition meilleure que la culture occidentale.

 

 

 

CACHEZ CE PATRIARCAT QUE JE NE SAURAIS VOIR …

 

 

On peut facilement (très facilement) observer que les néo-féministes décrivent la condition subordonnée des femmes du fait de la domination patriarcale dans la société occidentale et dans la seule société occidentale, ou mieux dans la civilisation occidentale, de l’Antiquité aux sociétés contemporaines. C’est compréhensible dans une certaine mesure, puisque les féministes appartiennent à la société occidentale (ou y vivent, si on préfère cette formulation plus factuelle) : elles parlent des situations qu’elles observent au quotidien – ou prétendent observer (au passage, nous disons « elles » mais on peut y associer les hommes qui sont les propagateurs des mêmes idées). Toutefois, de la part de personnes qui dénoncent volontiers l’ethnocentrisme et le mépris occidental pour les autres cultures et civilisations (du moins certaines d’entre elles), on peut penser que les féministes ne sont pas vraiment logiques avec elles-mêmes (ou eux-mêmes) : pourquoi ne pas consacrer des études au patriarcat (ou à la faiblesse du patriarcat, si tel est le résultat de ces études) dans les cultures non-occidentales ?

D’autant plus que l’évolution historique a fait que désormais de fortes populations issues des cultures non-occidentales résident en Occident. Leur culture d’origine survit, mais forcément modifiée par le contact avec la culture occidentale sous ses divers aspects (celle-ci pouvant en retour être modifiée par ces apports, ce qu’on appelle parfois la « créolisation »), Le résultat de ces interactions est d’ailleurs dans certains cas de provoquer une dilution presque complète de la culture d’origine dans la culture d’accueil (occidentale) et dans d’autres, de susciter des tendances à la résistance et à l’exacerbation des différences. Il en découle que l’argument selon lequel les néo-féministes ont pour priorité de parler des situations vécues par les femmes (et les minorités sexuelles) dans les sociétés occidentales, n’entre pas en contradiction avec la possibilité d’études intégrant les populations d’origine non-occidentales établies en Occident, à moins de vouloir, paradoxalement pour des progressistes,  « invisibiliser » ces populations.

Or, les néo-féministes ne semblent pas souhaiter s’engager sur ce terrain et préfèrent (généralement), en accord avec le principe d’intersectionnalité des luttes,  attribuer à l’idéologie dominante (blanche, occidentale, capitaliste, suprémaciste, de tradition chrétienne ou rationaliste) la situation infériorisée des femmes issues des cultures non-occidentales*, plutôt que de porter leur attention sur les formes du patriarcat qui pourraient être présentes traditionnellement dans les communautés issues des cultures non-occidentales.

                                                                                                  * On voit cette attitude par exemple sur les débats sur le port du voile dit islamique, où les néo-féministes soutiennent (généralement) les femmes portant le voile au nom de la liberté féminine, et accusent d’islamophobie et de mysoginie les adversaires du port du voile.

 

L’hypocrite Tartuffe disait à la servante Dorine qui exhibait son décolleté devant lui : Cachez ce sein que je ne saurais voir… Ici les féministes radicales disent  : cachez ce patriarcat non-occidental que je n’ai pas envie de voir ...

 

Le cas de Paul Gauguin permet de montrer à l’œuvre la construction d’un mythe qui associe dans la même dénonciation le patriarcat, la violence sexuelle contre des très jeunes filles et l’attitude de supériorité européenne (ou occidentale) sur les autres cultures, donc la plupart des ingrédients des luttes « intersectionnelles ». Or, il s’agit en grande partie d’un mythe. Nous allons le montrer en partie 2.

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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