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Le comte Lanza vous salue bien
21 octobre 2020

VERLAINE ET RIMBAUD, OU « LES AMANTS DU PANTHÉON » QUATRIEME PARTIE

 

 

VERLAINE ET RIMBAUD,

OU

 « LES AMANTS DU PANTHÉON »

 

QUATRIÈME PARTIE

 

 

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

PENDANT CE TEMPS, EN FRANCE

 

 

En 1877, Verlaine est devenu « répétiteur » au collège Notre-Dame de Rethel, tenu par des Jésuites. Il se prend d’affection pour l'un de ses élèves, âgé de 17 ans, Lucien Létinois, et vit quelque temps avec lui – jusqu’à la mort prématurée de Létinois qui désespère Verlaine.

Il subit une autre péripétie judicaire lorsqu’il est condamné à un mois de prison pour violences sur sa mère. Cette agression se situe dans le contexte de déboires financiers de Verlaine qui a essayé sans succès d’exploiter des terres agricoles.

Tandis qu’il est toujours adonné à l’alcool, sa situation financière se dégrade. Selon son ami Lepelletier : « Il descendit, lentement plutôt, et par une poussée de chaque jour peu sensible, tous les échelons de la détresse. Il eut, en outre, des pertes d’argent à subir du fait d’engagements, de contrats, de fâcheuses entreprises, comme ses exploitations agricoles à Juniville et à Coulommes. Une escroquerie, de la part d’un abbé, lui enleva ses derniers picaillons ».

Il finit par vivre à Paris quasiment comme un clochard, sans domicile fixe, faisant des séjours à l’hôpital pour se mettre à l’abri, aidé par quelques amis fidèles.

Mais peu à peu sa réputation grandit, il publie de nouveaux recueils – alors que sa vie matérielle ne s’améliore pas.

 

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Verlaine dans ses dernières années.

wikihttps://fr.m.wikibooks.org/wiki/Fichier:Paul_Verlaine_3.jpg

 

 

 

VERLAINE CATHOLIQUE ET ANTIRÉPUBLICAIN

 

Pendant son emprisonnement en Belgique en 1873-75, il a fait l’expérience d’une conversion religieuse. Ses poèmes se présentent maintenant come ceux d’un catholique convaincu :

« Ô mon Dieu vous m'avez blessé d'amour », « Je ne veux plus aimer que ma mère Marie »  (recueil Sagesse, 1880)

Il conserve jusqu’à la fin ces convictions catholiques :

« Une vierge a conçu, le monde est délié !

(…)

Ô Rome, ô Mère ! » (Bournemouth, recueil Amour, 1888)

« Je crois en l'Église romaine,

Catholique, apostolique et

La seule humaine qui nous mène

Au but que Jésus indiquait » (Seigneur, vous m'avez laissé vivre, recueil Bonheur, 1891).

Son catholicisme s’accompagne de positions hostiles à la république et aux nouveaux dirigeants du moment. Le vrai peuple devrait rejeter les politiciens républicains, « nos tyrans minuscules d'un jour », ces « petits amis » qui se sont emparés des places profitables :

« Ô paysan cassé sur tes sillons,

Pâle ouvrier qu’esquinte la machine,

(…)

Redevenez les Français d'autrefois,

Fils de l'Église, et dignes de vos pères! »

Il ridiculise Marianne, symbole de la république, comme une vieillarde ignoble qui a mené une vie de débauche (Bustes pour Mairie, recueil posthume Invectives, 1896).

Bien que plutôt partisan de la monarchie légitime (des Bourbons), il trouve même des mots de sympathie pour la famille Bonaparte.

En 1879, le Prince impérial (Louis-Napoléon, fils de Napoléon III) vivant en exil en Angleterre, avait souhaité s’engager dans l’armée anglaise (il avait fait ses études à l’académie militaire de Woolwich) pour servir au Zoulouland*,  afin d’avoir une expérience des combats.  Il fut tué par les Zoulous dans une embuscade, provoquant la stupéfaction en France.

                                                                                          * Les Britanniques avaient engagé une campagne militaire contre le puissant royaume zoulou. Après une défaite humiliante des forces anglaises, des renforts furent envoyés et c’est à ce moment que le prince impérial s’engagea ; voir par ex. https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/la-mort-du-prince-imperial/

 

 

Verlaine écrivit un poème en hommage au Prince impérial :

«  Prince mort en soldat à cause de la France*,

(…)

Fier jeune homme si pur tombé plein d’espérance,

Je t’aime et te salue ! »

                                                                               * « à cause de la France », qui a obligé la famille impériale à l’exil et donc est cause indirectement, de la mort du prince.

 

Il rappelle que lui, Verlaine, éduqué aux « doctrines sauvages » dans sa jeunesse, avait détesté la famille impériale et le jeune prince. Maintenant,

« J’admire ton destin, j’adore, tout en larmes

 Pour les pleurs de ta mère,

 Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes,

 Comme un héros d’Homère. »

Même si Verlaine réserve son « vœu suprême » « Au lys de Louis Seize », il reconnait que le martyre du jeune Napoléon l’a rendu digne de la couronne : « Gloire à ta mort française ! »

«  Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne,

Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne,

Bon chrétien, du martyre ! »

(Prince mort en soldat à cause de la France, recueil Sagesse, 1880).

 

 

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Paul Joseph Jamin, La mort du Prince impérial.

Blog Peinture Française du 19ème Siècle

http://fr-peint.blogspot.com/2017/01/la-mort-du-prince-imperial-1882.html

 

 

 

Mais selon une notice du Dictionnaire Maitron, Verlaine aurait fréquenté en 1881 une réunion de socialistes révolutionnaires – si l’ajout de son nom n’est pas une erreur ou une invention de l’indicateur de police qui donne le renseignement, on peut penser que Verlaine rêvait à une synthèse entre les idées socialistes et le traditionalisme politique.

Nous évoquerons plus loin les textes très hostiles à la république et à l'héritage de la Révolution française rédigés par Verlaine à cette époque.

Nous savons aussi que Verlaine fut séduit par le général Boulanger quand celui-ci devint le chef d'une coalition informelle réunissant des révolutionnaires, des radicaux et des monarchistes, qui parut menacer un moment les institutions (1886-89)*.

                                                                                                                       * Ses adversaires l'accusaient d'aspirer au pouvoir par un coup d'Etat alors que c'était probablement inexact. Les intentions de Boulanger, s'il était arrivé au pouvoir, restent impossibles à préciser.

 

Dans tous les cas, à la fin de sa vie, Verlaine était nationaliste, ce qui l’amenait à se disputer avec un des jeunes poètes de son cercle, nommé Paterne Berrichon, pacifiste et anarchiste – ce dernier devait, comme on sait, épouser la sœur de Rimbaud et adopter des idées catholiques et traditionalistes.*

                                                                                              * Rapporté par A. F. Cazals et Gustave Le Rouge, qui furent proches de Verlaine à la fin de sa vie, dans leur livre Les derniers jours de Verlaine. Notons que Gustave Le Rouge publia ensuite des romans d'aventures fantastiques à épisodes comme Le Mystérieux Docteur Cornélius, faisant de lui un des maîtres du roman populaire.

 

Verlaine exprime aussi ses sentiments de sympathie pour des monarques étrangers, en dédiant un poème rempli d'émotion au roi Louis II de Bavière à l'occasion de sa mort *- ou sur un mode plus badin, à Léopold II de Belgique, monarque intelligent et presqu'un compatriote (sans doute rappel des origines ardennaises de Verlaine).

                                                                                   * (...) Salut à votre très unique apothéose

                                                                      Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,

                                                                      Sur un air magnifique et joyeux de Wagner (A Louis II, recueil Amour, 1888). Comme on sait, Louis II mourut noyé dans des circonstances énigmatiques en 1886, après avoir été interné dans un château sur ordre de son propre gouvernement pour cause de maladie mentale. Pour Verlaine, ce roi artiste, victime des préjugés vulgaires, fut le seul vrai roi de son époque.  

 

 

 

 

LA GLOIRE ET LA MISÈRE

 

 

Verlaine, malgré son existence de marginal, est considéré désormais comme un grand écrivain – sans doute plus pour les œuvres de ses débuts que ses recueils récents – il a des amis fidèles, il est célèbre, les journalistes viennent l’interroger (voir annexe 1)

Mais Verlaine reste dans la misère, dont il ressent amèrement l’humiliation permanente :

« C’est ce qu’on appelle la Gloire !

— Avec le droit à la famine,

 À la grande misère noire

 Et presque jusqu’à la vermine —

C’est ce qu’on appelle la Gloire ! »

(Littérature, recueil Invectives)

 

 En raison de son mode de vie, sa candidature à l’Académie française (au fauteuil laissé vacant par la mort du très sérieux Hippolyte Taine !) n’a aucune chance d’aboutir et il la retire. Quelques années avant sa mort, il est consacré par vote des écrivains « Prince des poètes » (à la mort de Leconte de Lisle, qui avait reçu ce titre).

Il passe ses dernières années en compagnie de femmes déchues, « ribaudes attentives à vider son porte-monnaie en même temps que les petits verres » (Lepelletier).

Ses poèmes pornographiques des recueils Hombres (hommes en espagnol) et Femmes, témoignent de ses pratiques bisexuelles et de ses vagabondages amoureux. Il recherche des adolescents, comme cet « Odilon, un gamin mais monté comme un homme » (poème Mille e tre, allusion aux conquêtes de Don Juan) - parfois parmi les voyous. A la fin de sa vie, il est probable qu’il devait se contenter de fantasmes, rêvant à ses conquêtes passées, « Chéris sans nombre qui n’êtes jamais assez ! » (Mille e tre).

Des amis lui procurent un minimum de revenus : « Un comité de quinze admirateurs, dont Maurice Barrès*et Robert de Montesquiou**, se fonde sous la présidence de la duchesse de Rohan afin de lui assurer une rente mensuelle » (https://républiquedeslettres.fr/verlaine-9782824901053.php); des journalistes du Figaro (dont le jeune Léon Daudet) lui servent aussi une petite rente que Verlaine, bien diminué par l’alcool, vient toucher au journal (http://dormirajamais.org/verlaine/).

                                                                                                                              * Maurice Barrès, écrivain et homme politique, d'abord individualiste et anarchisant. Député boulangiste en 1889, se veut à la fois socialiste, fédéraliste et néanmoins patriote. S'oriente ensuite  vers des positions nettement nationalistes, critique le "déracinement";  son antisémitisme s'exprime clairement au moment de l'affaire Dreyfus. Académicien en 1906, il est alors une figure de premier plan littéraire et politique.

                                                                                                       ** Dandy éclatant, et poète lui-même, le comte Robert de Montesquiou-Fesenzac a sans doute été un des modèles du personnage du baron de Charlus dans l’œuvre de Marcel Proust, de même que la nièce de Montesquiou (la comtesse Greffulhe) est l'un des modèles de la duchesse de Guermantes.  Proust et Montesquiou, qui avaient une génération d'écart, s’appréciaient. En 1895, le jeune Proust publie son premier article dans Le Figaro : c’est le récit d’une réception mémorable donnée dans un pavillon de Versailles par Montesquiou, où se presse le Tout-Paris.

 

Enfin le ministère de l’Instruction publique lui sert des secours, une aumône selon Lepelletier qui se scandalise qu’une « société, qui se prétend lettrée, artiste, intellectuelle et raffinée comme la nôtre », n’ait rien fait pour assurer une vie décente à Verlaine.

Verlaine avait eu un fils, Georges, de son mariage avec Mathilde. Il ne le verra quasiment plus après sa séparation et s’en inquiéta assez peu, souhaitant pourtant qu’on le pousse à faire des études supérieures, peut-être Polytechnique* !

                                                                                        * Ambition cruellement déçue. Pour une fois Verlaine rejoignait les aspirations de Rimbaud !

 

Parmi ses publications, Verlaine écrivit une étude sur les Poètes Maudits (a-t-il créé l’expression ?), première édition en revue en octobre 1883, en livre en 1884, dans laquelle il parle de Rimbaud, attirant l’attention sur son nom et son oeuvre :

« Il courut tous les Continents, tous les Océans, pauvrement, fièrement (riche d’ailleurs, s’il l’eût voulu, de famille et de position) après avoir écrit, en prose encore, une série de superbes fragments, les Illuminations, à tout jamais perdus, nous le craignons bien*.  Il disait dans sa Saison en Enfer : « Ma journée est faite. Je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront. »

Tout cela est très bien et l’homme a tenu parole ».

                                                                                     * On pensait que les Illuminations étaient perdues. Le texte sera publié partiellement à partir de 1886, avec préface de Verlaine.

 

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Verlaine au café.

Wikipedia

 

 

 

À HARAR, UN HOMME INDIFFÉRENT À SON PASSÉ

 

Que savait-on de Rimbaud à l’époque où de nouveau on parlait un peu de lui ? On savait qu’il avait disparu, on croyait qu’il menait une vie errante, beaucoup le croyaient mort (voir annexe 1, l'opinion d'Anatole France).

Un jour de décembre 1883, son patron d’Aden, Alfred Bardey, se trouvait sur le même bateau que le célèbre journaliste Paul Bourde – qui avait été condisciple de Rimbaud au lycée de Charleville. Le nom de Rimbaud vint dans la conversation et Paul Bourde comprit que le poète disparu et le collaborateur de Bardey à Aden et au Harar étaient le même homme.

Mais Bourde attendit 1889 pour divulguer publiquement l’information – quand la renommée grandissante de Rimbaud rendit la nouvelle intéressante.

Rimbaud eut quand même quelques échos de sa notoriété, par courrier échangé avec Paul Bourde en 1888, puis en 1890, un certain Laurent de Gavoty, responsable d’une revue littéraire à Marseille, lui écrivit à Aden pour lui proposer de collaborer à sa revue – lettre apparemment sans réponse*

                                                                                                         * La lettre commençait par : « Monsieur et cher poète… » ; Rimbaud était qualifié de « chef de file de l'école décadente et symboliste ».

 

Rimbaud avait tourné le dos à la poésie et à son passé

Parlant de sa vie à Paris et Londres en 1871-72 - et donc aussi de sa période de création poétique – il dira que ce fut une période d’ivrognerie et sans intérêt

A une de ses relations commerciales d’Aden (selon les sources, le négociant marseillais César Tian, ou son collaborateur Maurice Riès, ou un autre ?), il déclara à propos de ses oeuvres poétiques que c’étaient des « rinçures » (de l’eau de vaisselle).

Si Rimbaud était encore intéressé par l’écriture, c’était pour publier des descriptions géographiques ou géopolitiques des territoires qu’il connaissait

Il proposa (et fit peut-être paraître anonymement) de articles sur la situation dans la corne de l’Afrique à des journaux comme Le Temps ou Le Figaro (les grands journaux d’information et d’opinion de l’époque, de tendance conservatrice).

Il écrivit à Bourde, fin 1887 ou début 1888, pour lui proposer de suivre la guerre italo-abyssine* en tant que correspondant du Temps.

                                                                                            * Après ce premier conflit, les Italiens réussirent à signer un traité avec l’Abyssinie – le Ras Mekonnen (ou Makonnen) alla en Italie pour la signature officielle – un voyage commenté avec humour par Rimbaud dans sa correspondance avec Ilg. Comme on sait, l’interprétation divergente du traité par les deux pays provoqua la seconde guerre aboutissant pour l’Italie au désastre d’Adoua (1896) – mais à cette date, Rimbaud était mort depuis 5 ans.

 

 

Ô MORT, VIEUX CAPITAINE…

                                                                   (Baudelaire, Le Voyage)

 

Depuis plusieurs mois Rimbaud était tourmenté par une douleur au genou. Son état s’aggrava, il souffrait énormément et devait rester allongé. Il décida de liquider ses affaires à Harar et en avril 1891, il arriva à Aden, très éprouvé par la douleur encore accrue par la fatigue du voyage fait en litière puis en bateau.

A l’hôpital d’Aden, les médecins estiment que son état est trop grave et lui conseillent de se faire soigner en Europe.  Il règle ses affaires pendantes avec César Tian (qui l’héberge avant son hospitalisation) puis s’embarque pour la France, sur L’Amazone, navire des Messageries maritimes.

Arrivé à Marseille, il est admis aussitôt à l’hôpital de la Conception où on diagnostique un cancer – il est amputé de la jambe (25 mars). Son collègue d’Aden Maurice Riès semble présent à ce moment (il le dira dans un témoignage de 1929)*.

                                                                                                                             * Faut-il croire que les visites de Riès à Rimbaud hospitalisé « étaient sans doute moins motivées par la compassion que par une affaire d'importation d'armes au Saza » (Lukian Prijac, Maurice Riès et ses fils, Arabian humanities, 2004 https://journals.openedition.org/cy/180#bodyftn20) ? L’une n’empêchait sans doute pas l’autre.

 

La mère de Rimbaud, prévenue par télégramme, est présente, puis rentre à Roche (la propriété familiale des Ardennes).

Rimbaud constate l’échec de sa vie - bien qu’à cette date il lui soit encore possible de penser qu’il vivra, bien que diminué. Il écrit à sa soeur :

« Où sont les courses à travers monts, les cavalcades, les promenades, les déserts, les rivières et les mers ? »

« Et moi qui justement avais décidé de rentrer en France cet été pour me marier ! Adieu mariage, adieu famille, adieu avenir. Ma vie est passée. Je ne suis plus qu'un tronçon immobile... si stupide que soit son existence, l’homme s’y attache toujours » (lettre du 10 juillet 1891).

Après l'opération, Rimbaud qui a informé ses connaissances d’Aden et d’Abyssinie de son amputation, reçoit des lettres de sympathie de Constantin Sotiro et Constantin Rhigas, ses confrères grecs de Harar. Rhigas lui écrit : « J'aurais préféré qu'on me coupe [ma jambe] plutôt que la vôtre ». César Tian lui écrit (il en profite pour parler affaires). Ras Mekonnen, le cousin de l’empereur Ménélik et gouverneur du Harar lui écrit : « J'ai appris avec étonnement et compassion qu'on avait été obligé de te couper la jambe (…). Je suis toujours ton ami ».

Rimbaud est tourmenté nuit et jour par les douleurs de l'amputation et par le sentiment de sa vie gâchée.

Seul, il rentre en train à Roche, un trajet éprouvant dans son état, d'abord jusqu'à la gare la plus proche et en carriole jusqu'à la maison familiale.

Il veut retourner le plus vite possible à Harar. Il rêve encore d’épouser une « catholique de race noble abyssine» [race sans doute au sens de famille ou clan] ou une orpheline très bien élevée qu’il ira chercher dans un orphelinat – un moyen d’éviter d’être rebuté par une famille bourgeoise.

Fin août son état s’aggrave et il repart pour Marseille avec sa sœur Isabelle – en effet il préfère être à Marseille pour pouvoir repartir dès que possible pour l’Afrique et l’Orient – une possibilité bien illusoire. Il est de nouveau hospitalisé à la Conception, mais les médecins ne peuvent que constater qu’il est atteint d’un cancer généralisé.

S’est-il « converti » avant de mourir (au sens d’un retour à la religion) ?  Il accepte la visite de l’aumônier. Sa sœur, qui est une fervente catholique, rapporte que le prêtre en sortant de chez le malade, lui dit « d’un air troublé, d’un air étrange » : « Votre frère a la foi, mon enfant. Que nous disiez-vous donc ? Il a la foi, et je n’ai même jamais vu de foi de cette qualité. ».

Selon Isabelle , Rimbaud sur son lit s’écrie parfois « Allah Kérim » (Dieu est généreux) – ce qui ne prouve pas une conversion à l’Islam.

Il confond sa soeur avec son domestique Djami (resté à Aden) : vite, il faut faire les bagages, la caravane n’attend pas !

La veille de sa mort, il dicte à Isabelle une lettre – incohérente mais terriblement émouvante - pour un directeur (probablement de compagnie maritime) :

« M. le Directeur, […] envoyez-moi donc le prix des services d'Aphinar* à Suez. Je suis complètement paralysé donc je désire me trouver de bonne heure à bord. Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord… »

                                                                                            * Aphinar n’existe pas. Isabelle a pu mal comprendre le nom ou plus sûrement, dans sa demi-conscience, Rimbaud a forgé un nom en pensant à un autre.

 

Ses dernières pensées ont été pour le monde qu’il avait laissé, Suez et l’au-delà de Suez, comme devait l’appeler le poète marseillais Louis Brauquier.

Il meurt le lendemain, 10 novembre 1891, sa sœur à ses côtés. Le corps fut ramené à Charleville et inhumé dans la stricte intimité familiale.

 

 Rimbaud-dessin-Isabelle

Rimbaud en 1891, dessin de sa soeur Isabelle Rimbaud. Rimbaud est présenté coiffé de la calotte ou fez qu'il portait en Afrique.

Blog Rimbaud photographe

http://rimbaudphotographe.eu/10-novembre-1891/

 

 

373_001

 L'hôpital de la Conception, carte postale, début du 20 ème siècle. Le nom de l'hôpital est une abréviation d'Immaculée Conception. L'hôpital a été reconstruit en 1984 et il ne reste presque rien des anciens locaux.

Site de vente Delcampe.

https://www.delcampe.net/fr/collections/cartes-postales/france-marseille/timone-baille-pont-de-vivaux/cpa-marseille-hopital-de-la-conception-vue-dune-cour-interieur-1000650373.html

 

 

 

MORT ET TRANSFIGURATION

 

 

 

 

 Bâtiment_A_hôpital_de_la_Conception

Plaque en hommage à Rimbaud. L'inscription laisse penser que Rimbaud est mort à son retour immédiat d'Aden, alors qu'il est mort lors de son second séjour à l'hôpital de la Conception.

Hôpital de la Conception, Marseille.

Wikipedia

 

 

 

Sa sœur et le mari de celle-ci (qu’elle a rencontré après la mort de Rimbaud), Pierre-Eugène Dufour, plus connu sous le pseudonyme un peu maladroit de Paterne Berrichon, adopté lorsqu’il essayait de se faire connaître comme poète*, consacreront leur vie à accroître la renommée de Rimbaud et s’efforceront de le présenter comme un homme recherchant la foi à travers les étapes de son existence.

                                                                                                            * On a vu qu’il faisait partie du cercle de Verlaine.

 

Rimbaud a légué une somme à son domestique Djami. Isabelle Rimbaud la lui fera parvenir par l’entremise de César Tian et de Mgr Taurin Cahagne, l’évêque missionnaire – pas de quoi prétendre comme le font certains que Rimbaud avait une liaison avec Djami.

 

Ceux qui ont connu Rimbaud en Afrique expriment leur chagrin, comme l’explorateur Jules Borelli qui écrit en 1899 à Isabelle Rimbaud : « Quelle tristesse dans les dernières lettres de Rimbaud ! C’est à pleurer – Rimbaud que j’ai connu se reconnaît absolument dans sa tristesse, son ironie, son désespoir – je les ai lues et relues, elles restent gravées dans mon cœur et me laissent une profonde mélancolie » (http://www.sitsit.net/toit/lautre-rencontre-rimbaud-borelli/)

Le Ras Mekonnen écrit : Dieu a rappelé à lui Rimbaud parce que la terre n’était pas digne de le porter. Au-delà de la formule littéraire et convenue, on peut penser qu’il y a une vraie émotion.

 

Parmi les admirateurs actuels de Rimbaud, certains considèrent que seul l’écrivain est important. Que les traces, lettres, souvenirs, laissés par le Rimbaud des dernières années n’ont pas plus d’intérêt que ceux laissés par des milliers de commerçants ou de coloniaux qui ont vécu à la même époque dans des territoires similaires.

Pour d’autres, la seconde partie de la vie de Rimbaud a autant de signification que la première - il poursuit la recherche de ce qu’on peut appeler – par une formule banale – le sens de la vie, dans son existence même et non dans la littérature dont il a constaté l’échec.

Sa trajectoire continue à étonner et sa vie pose des questions en résonance avec nos interrogations les plus intimes.

 

La mort de Rimbaud ne fut pas claironnée dans la presse - il n’était pas encore un personnage si célèbre - mais finit par se savoir.

Le journal L'Écho de Paris l’annonça le 6 décembre 1891.

 

Verlaine rendit hommage à son ancien ami dans deux poèmes ; dans l’un, il écrit : 

« Toi mort, mort, mort ! Mais mort du moins tel que tu veux,

En nègre blanc, en sauvage splendidement

 Civilisé, civilisant négligemment… »

Il conclut : « Rimbaud ! pax tecum sit, Dominus sit cum te ! »*

                                                                                            * Que la paix soit avec toi, que le Seigneur soit avec toi

 

Il y aurait beaucoup à commenter sur les expressions de Verlaine, d’ailleurs bien éloigné de connaître les réalités de la vie dans la corne de l’Afrique.  Rimbaud, plus prosaïquement, se contentait de penser que les civilisés étaient des « nègres blancs », pas meilleurs que les autres (le mot « nègre » a aujourd’hui une connotation insultante qui amène à le proscrire, mais son usage à l’époque était assez neutre).

 

Le premier article de critique littéraire sur Rimbaud après sa mort parut le 1er janvier 1892 : il était signé du jeune Charles Maurras – qui s’efforce d’être équitable ; mais pour lui, Rimbaud «ne nous laisse rien que de très beaux vers de jeunesse », « finalement, il n'a rien fait », c'est « un magnifique génie avorté » (Revue encyclopédique, 1er janvier 1892, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2135895/f7.image).

 

 Jusqu'assez avant dans le 20 ème siècle, émergèrent de nombreux témoignages sur Rimbaud, émanant de commerçants et marchands - situation insolite pour un poète. Tous ceux qui l’ont connu à la dernière époque de sa vie ont laissé la même image : un homme taciturne, parfois sarcastique, honnête et fiable – un homme qui a rejeté sa vie antérieure. Une image qui n’a pas grand chose à voir avec l’adolescent « révolté » et tapageur de ses débuts, de la même façon que l’homme maigre à petite moustache d’Aden et de Harar ne ressemble plus à l’adolescent plutôt poupin et ébouriffé du Coin de table de Fantin-Latour.

En 1929 encore, Maurice Riès* écrit à un certain Deschamps, après lui avoir précisé sa nouvelle adresse à Mazargues, car il a quitté le Prado (quartiers de Marseille comme on le devine) : « j'affirme de toutes mes forces qu'il fut marchand passionné et habile, d'une honnêteté scrupuleuse, se félicitant toujours, dans nos conversations amicales qui nous portaient souvent aux confidences intimes et sincères, d'avoir foin [rejeter, mépriser] de ce qu'il appelait " ses frasques de jeunesse", d'un passé qu'il abhorrait » (Blog de Alain Leclef http://www.aleclef.com/article-33905385.html)

                                                                                       * On pense que Maurice Riès est une des personnes présentes sur la fameuse photo contestée de Rimbaud avec un groupe à l'Hôtel de l'Univers à Aden en 1880 (cf. troisième partie).

 

 

 

 

MORT D’UN POÈTE CÉLÈBRE ET MISÉRABLE

 

 

Verlaine mourut en 1896, n’ayant pas encore atteint 52 ans.

« Souffrant de diabète, d'ulcères et de syphilis, il meurt d'une pneumonie aiguë le 8 janvier 1896, à 51 ans, au 39 rue Descartes, dans le Ve arrondissement de Paris ». ll occupait un petit logement assez miteux avec sa compagne Eugénie Krantz.

Les circonstances misérables de sa mort sont racontées – sans certitude, par Saint Georges de Bouhélier (le fils d’Edmond Lepelletier), lui aussi poète - voir son témoignage https://www.biblisem.net/etudes/saintmor.htm.

 Dans son agonie, on rapporte que Verlaine avait appelé ses amis Lepellletier, Mallarmé et François Coppée. Ceux-ci n’arrivèrent qu’après sa mort, François Coppée était particulièrement éprouvé de n’avoir pas été présent quand son ami l’appellait.*

                                                                                              * François Coppée était à l‘époque très connu, poète et dramaturge, académicien. En 1898 il devint le président d’honneur de la Ligue de la Patrie française qui fédérait les nationalistes antidreyfusards.

 

Le milieu littéraire s’émut de sa disparition. « La presse, pendant trois jours, n’écrivit que de lui » (Paul Clerget, Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial, https://www.ebooksgratuits.com/html/clerget_paul_verlaine_et_ses_contemporains.html)

 

 

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 Le comte Robert de Montesquiou (1855-1921), un admirateur et protecteur de Verlaine. Photo par Nadar, 1895

Blog Elegancepedia.

 

Les obsèques furent organisées par ses amis et fidèles, notamment par Lepelletier et le comte de Montesquiou-Fesenzac ; elles eurent lieu le 10 janvier 1896 par un jour glacial.

Le cortège, suivi par environ 5000 personnes, traversa Paris au milieu d’une foule considérable,

Les cordons du poêle* étaient tenus par Maurice Barrès, François Coppée, Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Robert de Montesquiou.

                                                                                                                      *  L'usage dans les enterrements était que des proches tiennent les cordons du poêle, c'est-à-dire les cordons du drap funéraire (ou poêle) qui recouvrait le cercueil.

 

Le ministre des Beaux-Arts et le ministre de l’Instruction publique avaient envoyé leurs représentants.

La famille était représentée par l’ex-beau-frère de Verlaine Charles de Sivry. Son fils Georges était absent.

Le convoi fut payé par le ministère – ce n’était quand même qu’un convoi de de 5ème classe, selon Clerget – les amis de Verlaine payèrent la partie religieuse des obsèques (Lepelletier).

Parmi ceux qui suivaient le cortège, on citait des académiciens (Sully-Prud’homme, José-Maria de Hérédia, Jules Lemaître), des écrivains célèbres dans des genres différents : le poète Jean Richepin (futur académicien), la femme de lettres Rachilde, Georges Courteline, les peintres Eugène Carrière et Raffaëlli, les écrivains et critiques Georges Rodenbach, Henri de Régnier, Charles Maurras, et de nombreux autres connus ou moins connus (dont Émile Blémont, survivant des dîners des Vilains Bonshommes)*

                                                                                      * Apparemment, Jules Renard était là aussi ; pourtant il aimait peu Verlaine qu’il comparait à une hyène. On connait sa plaisanterie : "Est-ce que le fils de Verlaine ressemble à Rimbaud?"

 

La cérémonie religieuse eut lieu à l’église Notre-Dame du Mont, où se pressait l’assistance des grands jours. Les grandes orgues étaient tenues par Théodore Dubois et Gabriel Fauré. La maîtrise interpréta le Pie Jesu de Niedermeyer.

Puis le cortège se mit en marche pour le cimetière des Batignolles.

Au cimetière, François Coppée, Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Maurice Barrés, Jean Moréas et Gustave Kahn prononcèrent des discours, celui de Mallarmé étant le plus obscur, comme prévu, débutant ainsi : « La tombe aime tout de suite le silence ».

Ces obsèques prirent l’aspect d’une apothéose, selon les biographes et amis de Verlaine, Cazals et Gustave Le Rouge. Plus acerbe, Saint Georges de Bouhélier, fils d’Etienne Lepelletier, dit : « Parmi la multitude des assistants, des académiciens se pavanaient qui devaient faire grand étalage de leur admiration pour Verlaine devant son tombeau. Mais quel besoin Verlaine avait-il de leur certificat dérisoire ? »

 

Tout le monde n’était pas admiratif. Alphonse Daudet, quand on lui rapporte que François Coppée a dit devant le cercueil de Verlaine « …inclinons-nous sur le cercueil d’un enfant », explose : « Un enfant ! […] Un homme qui donnait des coups de couteau à ses amants, qui, dans un accès de priapisme de bête sauvage, ses vêtements jetés à terre, se mettait à courir tout nu après un berger des Ardennes… »*

                                                                                   * Il existe peut-être des sources permettant de savoir à quoi Daudet faisait allusion. Son propos est rapporté par le Journal d’Edmond de Goncourt, qui détestait littéralement Verlaine, qualifié de « saoûlard, assassin, pédéraste », pervertisseur de la jeunesse avec ses poèmes malsains (voir annexe III).

 

Un Comité pour l’érection (si on ose dire) d’une statue de Verlaine est créé sous la présidence de Mallarmé et de Coppée : outre les célébrités qui assistaient aux funérailles, de nombreux autres personnages en font partie – citons Anatole France, Alphonse Daudet*, Gabriel Hanotaux, ministre des affaires étrangères, Raymond Poincaré, vice-président de la Chambre des Députés - futur président de la République, Frédéric Mistral, Emile Zola, plusieurs hommes de lettres belges, des romanciers mondains (Paul Hervieu, la comtesse de Martel-Janville qui écrit sous le pseudonyme de Gyp). On note la présence de deux députés, Alphonse Humbert et Clovis Hugues**. Parmi le menu-fretin, les anciens des dîners des Vilains Bonshommes Albert Mérat et Blémont, ainsi que Paterne Berrichon. La vice-présidence était assurée par le sculpteur Auguste Rodin.

                                                                         * Malgré son avis réservé sur Verlaine ; réciproquement, ce dernier l’appréciait très peu, il le considérait comme le prototype du méridional arriviste et un auteur nul.

                                                                                           ** Alphonse Humbert participa à la Commune et fut déporté en Nouvelle-Calédonie. Devenu un journaliste influent, dans les années 1890, il est président du conseil municipal de Paris et député radical; se rapproche ensuite des nationalistes; antidreyfusard virulent comme son beau-frère Edmond Lepelletier. Le Provençal Clovis Hugues a peut-être participé à la Commune de Marseille et fut condamné à la prison pour avoir écrit en faveur de la Commune de Paris; député radical, puis socialiste, un moment boulangiste; il sera d'abord antidreyfusard puis se ralliera à la thèse de l'innocence de Dreyfus. Par ailleurs c'est un poète en langue française et provençale, membre du Félibrige.

 

La statue sera inaugurée (en 1911 seulement)  à Paris - non pas tant par esprit centraliste, mais parce que la ville natale de Verlaine*, Metz, appartient à l’époque à l’Empire allemand - de plus Verlaine a dans un poème patriotique assez médiocre (intitulé justement Metz) réaffirmé le caractère français de Metz, ce qui rendrait impossible aux autorités allemandes d’accepter un monument en son honneur.

                                                                                                              * Bien que né à Metz, Verlaine avait ses origines familiales dans les Ardennes, ce qui constituait un point commun avec Rimbaud.

 

Les circonstances qui entourent la mort de Rimbaud et de Verlaine sont tellement dissemblables qu'elles peuvent illustrer à quel point ces deux individualités, qu'on voudrait marier pour l'éternité, appartenaient à des univers différents. Leur point commun est d'avoir partagé deux ans de tribulations, après quoi Rimbaud s'est irrémédiablement éloigné, non seulement de Verlaine, mais de ce qui avait constitué son existence pendant ces années, tandis que Verlaine demeurait sentimentalement attaché à Rimbaud et malgré sa vie marginale, restait partie intégrante du milieu littéraire.

 

 

 

ENTREZ ICI,  VERLAINE ET RIMBAUD ...

 

 

On peut maintenant revenir à la proposition de « faire entrer » Rimbaud et Verlaine au Panthéon.

D’abord, l’intérêt de la proposition repose sur un présupposé, que l’entrée au Panthéon est quelque chose de prestigieux et de valorisant. On est libre d’en douter.

L’idée que le Panthéon est l’endroit où se trouvent les plus grands personnages de l’histoire et de la culture française dans tous les domaines (comme semble l’indiquer l’inscription à son fronton) est assez cruellement démentie par la réalité ; le monument est rempli de seconds ou troisièmes couteaux* (en étant gentil), à part une petit nombre d’individualités de premier plan.

                                                                                 * Nous ne parlons pas ici des hauts dignitaires de l’Empire napoléonien qui y ont été inhumés jusqu’en 1814 (voire 1815) – le Panthéon étant alors à la fois nécropole et lieu de culte - et qui s'y trouvent toujours; leur liste est assez drôle, mais au moins on ne prétendait pas qu’il s’agissait de personnalités exceptionnelles. Par exemple, le seul peintre qui soit au Panthéon est Joseph-Marie Vien, comte de l’Empire et membre du Sénat impérial, qui avait été  le professeur du grand peintre David et l'un des initiateurs en France du courant néo-classique (dans un style plutôt galant et mièvre). Ces dignitaires de l'Empire ne sont pas considérés comme des panthéonisés au sens actuel, mais ils sont quand même présents dans les lieux.

 

Si la liste des panthéonisés est tellement décevante, c’est en raison de l’obligation implicite que la personne admise ait rendu des services à la collectivité –  raisonnement qui suppose que le fait d’avoir été un grand écrivain ou un grand peintre ou musicien ou cinéaste, etc, ne constitue pas un tel service à lui seul. On considère aujourd’hui que la vie de la personne retenue pour le Panthéon doit correspondre aussi aux valeurs républicaines  ou mieux, à la conception actuelle de celles-ci.

Dans ces conditions, l’entrée de Verlaine et Rimbaud au Panthéon n’est pas demandée en raison de leurs seules qualités de créateurs – mais des positions et des valeurs qu’ils ont manifesté durant leur vie, ou de leur exemplarité pour notre époque.

On peut trouver le raisonnement contestable dans son ensemble - mais il est plus intéressant de le critiquer de l’intérieur.

Tout d’abord Rimbaud et Verlaine seraient admis comme représentants de l’homosexualité – pour attester que celle-ci a parfaitement sa place dans la société. Dire de chacun d’entre eux qu’il était, essentiellement, un homosexuel, ne correspond pas à la réalité de leur existence.  En outre, prétendre qu’ils auraient été à leur époque victimes de l’homophobie est très contestable.

De plus leur entrée – envisagée comme plus ou moins simultanée (ensemble mais pas en couple, selon les pétitionnaires  – on voit mal ce que serait une entrée en couple ?) tend à les présenter, dans un effet  « grand public », comme des amants pour la vie, ce qui ne correspond pas non plus à la réalité, notamment pour Rimbaud qui s’est complètement détourné de Verlaine et certainement  pas parce que la société désapprouvait les amours homosexuels, mais parce que l’amour de Verlaine était ressenti par lui comme toxique et représentait un moment dépassé de son existence.

 

 

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Rimbaud interprété par Leonardo Di Caprio, dans le film Total Eclipse.

https://images5.fanpop.com/image/photos/25900000/Leo-as-Arthur-Rimbaud-in-Total-Eclipse-leonardo-dicaprio-25968704-1066-580.jpg

 Le film Total Eclipse, distribué en France sous le titre Rimbaud Verlaine est un film franco-anglo-belge réalisé par Agnieszka Holland (1995). Paul Verlaine est interprété par David Thewlis, Mathilde Verlaine par Romane Bohringer, Isabelle Rimbaud par Dominique Blanc. Le point de départ du film imagine qu'après la mort de Rimbaud, Isabelle Rimbaud vient trouver Verlaine pour obtenir la restitution de manuscrits de son frère, dont elle veut protéger la mémoire. Un flash-back retrace alors les débuts et le déroulement de la liaison Verlaine-Rimbaud. Le  film n'obtint que peu de succès (Di Caprio n'avait pas encore été pleinement lancé par Titanic, 1997).

On peut voir sur You Tube (lien ci-dessous) la scène du dîner des Vilains Bonshommes - dont le déroulement semble assez exagéré mais qui ne manque pas d'intérêt.

https://www.youtube.com/watch?v=1J77kNBOtHk

 

 

 

 

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Rimbaud et Verlaine (Leonardo Di Caprio et David Thewlis) dans le film Total Eclipse

http://www.lavisqteam.fr/?p=48079

 

 

Si nous regardons leurs idées politiques, leur adhésion à la Commune est mise en avant à la fois par les partisans de la panthéonisation et par leurs adversaires ; pour les premiers, les Communards représentent de façon évidente les valeurs de la République égalitaire, généreuse, opposée aux discriminations. Pour les autres, les Communards sont des rebelles radicaux – ils ne peuvent pas être honorés par les institutions de l’ordre républicain « bourgeois » sans que cet hommage devienne une récupération au profit de l’ordre établi.

 

 

 

 CONTRE L'ORDRE ÉTABLI - OUI, MAIS LEQUEL ?

 

 

Mettons-les d’accord.

Tout d’abord Verlaine. Il fut réellement un sympathisant de la Commune – plutôt passif, mais il n’était pas obligé d’aller se faire tuer dans les combats ou sur les barricades (du moins s’il pouvait s’en dispenser) ; on se souvient d’ailleurs que pendant les bombardements de la Semaine sanglante, tandis qu’il craignait de voir le Panthéon proche s’effondrer sur son immeuble, une des préoccupations de Verlaine était de « se faire la bonne », une situation qui socialement et sexuellement, est bien éloignée de l’image qu’on voudrait donner du révolutionnaire en rupture avec toutes les règles de la société bourgeoise.

Mais il y a mieux. Verlaine, dans les années 1880, était devenu un adversaire acharné des valeurs républicaines et révolutionnaires (qu’il ne se donnait pas la peine de séparer), aussi bien dans les principes, dans le déroulement historique que dans la réalité prosaïque de la république opportuniste. Il se réclamait de la « France ancienne » (Prince mort en soldat à cause de la France, cité plus haut). Dans un long texte publié de façon posthume, Voyage en France par un Français, il attaque les fondements de la France républicaine.

Il vitupère « l’an II d’exécrable mémoire ». ceux  qui « se sont précipités tête baissée dans l’inepte, dans l’immonde, dans l’abominable Révolution française ». Il  salue ceux qui ont sauvé l’honneur à l’époque, les insurgés fédéralistes du Centre et du Midi, et surtout les Vendéens et les Chouans « en lutte contre la France criminelle de l’Encyclopédie et des plus sales faubourgs d’une Gomorrhe nouvelle, eux, fiers paysans hâlés au soleil paternel, contemplateurs et familiers des grandes aurores et des grands flots, sourds comme leurs rochers à la démence parisienne ».

 Pour lui, le résultat de la révolution fut la transformation des Français en une population abêtie, pleutre, traitée comme du bétail par l’Etat tout-puissant. La seule valeur commune subsistante est l’argent, tandis que Dieu est « blasphémé tous les jours, défié, crucifié dans son église, souffleté dans son Christ, exproprié, chassé, nié, provoqué ! Quelle tribune* et quelle presse ! Quelle jeunesse et quelles femmes, — et quel pays ! »

                                                                                                       * Il vise ici le Parlement, qu'on appelait souvent la tribune.

 

Pour autant, les révolutionnaires qui prétendent renverser l’ordre établi ne lui inspirent aucune sympathie : « Qu’on ne me parle pas de juin Quarante-huit ou de la Commune de Soixante et onze : émeutes fabriquées de toutes pièces et de longue main par la Franc-Maçonnerie et sa branche récente, l’Internationale », instrumentalisant la misère et la détresse de pauvres types avinés. Il en vient presque à excuser le « déplorable » M. Thiers : «  jamais la démagogie, un instant comprimée — férocement et mal — par ce qui restait d’énergie à la bourgeoisie, personnifiée par ce Thiers déplorable, jamais la basse démagogie n’a été à la veille d’une telle victoire. »

(Voir des extraits plus longs en Annexe II).

On a cité (première partie) son appréciation sur la Commune dans une lettre de 1886 à Louis-Xavier de Ricard, lui-même  ancien Communard (poète occitan et fédéraliste « anti-jacobin » selon Verlaine, qui lui consacre une chronique de sa série d'articles Les hommes d’aujourd’hui ) :« Quelle époque grotesque et grandiose ! »

Dans ses Confessions de 1890, sa vision de la Commune est plus sereine, il évoque avec sympathie (mais sans excès d’enthousiasme) la Commune ; « ces deux mois d’illusions, par le fait généreuses, que je ne regrette pas, somme toute, d’avoir eues ».

A la fin de sa vie, il est probablement intellectuellement proche de ses amis « droitiers », qu’on retrouvera peu d’années après à la Ligue de la patrie française antidreyfusarde (Coppée, Barrès, Lemaître, Hérédia, le dessinateur Forain*). Son ami proche Lepelletier sera député de la même tendance.

                                                                                                                                 * Celui-ci ancien Communard, comme Lepelletier.

 

Quant à Rimbaud, nous ne saurons jamais ce qu’il pensait à la fin de sa courte vie de la Commune -  il est probable qu’il n’y pensait plus, pas plus qu’à son existence antérieure, trop occupé à se faire payer ses fusils par Ménélik et d’autres tâches de sa vie de commerçant.

 Si nous regardons leur comportement dans la vie privée, on peut hésiter à considérer Verlaine, alcoolique et auteur de violences conjugales, comme particulièrement exemplaire – et il y en a qui feraient probablement la grimace devant le dragueur des « chéris » de 15 ans* (en revanche, cela ne devait pas choquer grand monde à son époque…).

                                                                                                                                   * Dans le poème Mille e tre, Verlaine déclare préférer les garçons entre 15 et 20 ans.

 

Pour ce qui concerne Rimbaud, nous avons vu sa désinvolture avec sa compagne abyssine, renvoyée avec quelques thalers – mais il est difficile d’en savoir plus et on ne peut juger abstraitement de situations dont on connait mal toutes les circonstances.

 

 

 

 LE SILENCE ET L'OUBLI

 

 

On peut aussi se demander si cette panthéonisation ne va pas à l’encontre des vœux des deux intéressés.

Verlaine a parlé du Panthéon, au moment de l’admission de Victor Hugo, premier admis en 1885 dans le Panthéon rétabli dans sa fonction de nécropole pour les grands hommes : « Ils l'ont fourré dans cette cave où il n'y a pas de vin ! », phrase extraite de son poème Panthéonade (le mot renvoie à Pantalonnade, qui provient du nom de Pantalone, personnage de la Commedia dell’arte, vieillard ridicule, avare, libertin).

Moins connu que cette réflexion, son poème Pour les gens enterrés au Panthéon (qui date de 1894 ou un peu après) évoque un Panthéon qui peut étonner au premier abord, car encore peuplé de chanoines ou de princes - avec quelques nouveaux arrivés républicains ; Verlaine les considère avec ironie et éloignement.

 

Pour les gens enterrés au Panthéon (Œuvres posthumes)

Morts d’à-côté*, beaucoup de cendre, quelques os.
Cendre obscure, chanoine ou maréchal ou prince**.
Os connus : grand poète ou chef d’Etat*** qu’évince
Du monde un tueur gosse****, émoi des Lombrosos

Étonnement des Nordaus ! ***** Morts historiques
Dans la ville hystérique (…)

Hôtes qui sommeillez sous tant de rhétorique,

Je ne vous plains pas, certe : on jalouse les morts,
Mais on ne les plaint pas,

(…) 
Mais je voudrais qu’autour de ces dalles où gisent
Vos restes négligés sur un rite aboli******
Le silence régnât, cette fleur de l’oubli.

 

                                                       * A côté : Verlaine habitait près du Panthéon

                                                      ** A l’époque de Verlaine, le Panthéon est encore en presque totalité rempli par les notables napoléoniens (par exemple le maréchal Lannes, prince de Montebello) ; s'il y a eu des chanoines (les chanoines de Sainte Geneviève ?) on n'en parle plus dans les descriptions actuelles; mais on y avait inhumé à l'époque napoléonienne trois cardinaux italiens morts à Paris - dont il reste un seul aujourd’hui, tristement réclamé par personne.

                                                       *** Le poète est évidemment Victor Hugo, le chef d’Etat est Sadi Carnot, président de la République assassiné en 1894 par l’anarchiste Caserio et inhumé immédiatement au Panthéon, ce qui donne la date du poème.

                                                     **** Caserio avait 21 ans.

                                                    ***** Cesare Lombroso, psychiatre italien, inventeur du concept de « criminel-né »; Max Nordau, médecin et critique allemand, vivant en France, auteur en 1894 de Dégénérescence, où il veut montrer que la société est entrée en décadence parce que les personnes atteintes d’hystérie ou dépressives sont devenues, pour une partie du public, des modèles à suivre : « l'œuvre de Nordau reflète sans conteste une tendance réactionnaire de la pensée européenne » (Wikipedia).

                                                   ****** Rite aboli : le rite catholique, aboli au Panthéon lorsque celui-ci a été laïcisé en 1885.

 

Le peu de goût que Verlaine avait pour le Panthéon de son époque est-il un argument suffisant pour éviter qu’il soit inhumé dans le Panthéon de notre époque (curieusement plus idéologique que le Panthéon de la 3ème république débutante) ?

 

 

 DERNIÈRES VOLONTÉS 

 

 

Evoquons d’autres arguments. Verlaine était catholique. Se trouver dans un monument considéré aujourd’hui comme éminemment laïque (cela pourrait se discuter) ne serait sans doute pas conforme à ses convictions - même si sa tombe*, au cimetière des Batignolles, ne comporte pas (sauf erreur) de signe religieux

                                                           * Il s’agit d’un monument familial assez modeste.

 

Les partisans de l’entrée au Panthéon de Verlaine ont ironisé sur cette tombe quasiment à l’abandon, ornée de vilaines fleurs artificielles – imagine-t-on que sa tombe au Panthéon sera mieux fleurie et que les gens viendront pour Verlaine, alors qu’ils visitent avant tout le monument ?

Verlaine avait évoqué le lieu où il serait inhumé, au cimetière des Batignolles, parce que son ami Villiers de l’Isle-Adam (mort en 1889) y était inhumé. Au moment où il avait été question de transférer ailleurs le corps de Villiers, il avait dit  «  J’ai dans ce cimetière mon tombeau de famille, où dorment déjà mon père et ma mère : j’y ai ma place… Il me serait donc douloureux de penser que mon cher ami de si longtemps, que mon grand Villiers, qui me fut fidèle et doux en cette vie, ne restât pas mon compagnon de l’au-delà » (Paul Clerget, Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial, ouvrage cité).

Certes Villiers a bien été transféré – au Père-Lachaise et cette séparation n’empêche évidemment pas les deux amis d’être compagnons dans l’au-delà.

Mais si on se souciait des remplir les volontés de Verlaine, plutôt que de le transporter au Panthéon, on le transporterait au Père -Lachaise auprès de son ami Villiers de l’Isle-Adam.

A moins de transférer le corps de l’auteur de L’Eve future et des Contes cruels au Panthéon avec Verlaine ? Mais est-il assez exemplaire ?

 

Et maintenant Rimbaud.

Comme il est enterré à Charleville et qu’il détestait cette ville, la cause est entendue. Il faut arracher « l’homme aux semelles de vent » (le surnom que lui avait donné Verlaine) de sa tombe ardennaise et l’inhumer dans la capitale.

Certes à 16 ans, Rimbaud écrivait à son professeur Georges Izambard « ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province »  - mais c’est surtout une réflexion d’adolescent qui souhaite élargir son horizon.

Quelques mois après, exposant ses idées poétiques dans la lettre à Paul Démeny, Rimbaud se moque du style français à propos des poèmes d’Alfred de Musset : « tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine, commenté par M. Taine » (l’intéressant n’est pas de savoir si le jeune Rimbaud se trompait, mais quelle opinion il avait d’une certaine  tradition française).

A 17 ans, comme beaucoup qui n’auront pas son génie, l’adolescent de province ne jure que par Paris. Si on veut, il était du genre, à l’époque, à comprendre de façon positive la phrase « Paris n’est pas la France » !

Faut-il conclure qu’il aurait aimé avoir Paris pour dernière demeure, à supposer qu’il s’en soit soucié ?

On peut quand même en douter. A la fin de sa vie, comme on sait, Rimbaud jugeait que sa vie à Paris et Londres (une ville qu’il avait estimée d’ailleurs supérieure à Paris) avait été une période d’ivrognerie et sans intérêt. Il est probable – on ne peut pas l’affirmer – que son goût d’adolescent pour Paris était bien oublié et qu’au contraire, la ville était synonyme de mauvais souvenirs.

En 1906, Victor Segalen interrogea des relations de Rimbaud dans les ports de la Mer Rouge :

«  — Parlait-il quelquefois de ses amis en France ?

— Jamais. Il n’aimait en France absolument que sa sœur, disait ne désirer revenir que pour elle… D’ailleurs, longtemps après sa mort j’ai reçu une lettre de sa sœur, une lettre, oh ! comme lui aurait pu en écrire… »

(Blog Un train en Afrique, Le Double Rimbaud http://www.africantrain.org/le-double-rimbaud)

 Ainsi, il n’est pas déraisonnable de penser que Rimbaud, qui n’aimait en France que sa sœur, est plus à sa place dans le cimetière de Charleville, enterré avec elle, qu’ailleurs.

 

 

 

 CERCUEILS FICTIFS

 

 

Les partisans de la panthéonisation ont un suprême argument :  

« Enfin, il faut savoir que les translations récentes au Panthéon (Aimé Césaire, par exemple) sont faites désormais sans la présence du corps. Pour Rimbaud, de toute façon, il ne doit rester que de la poussière. Donc, c'est une panthéonisation surtout symbolique que nous demandons » (Frédéric Martel, journaliste et essayiste, un des initiateurs de la pétition).

https://www.lepoint.fr/culture/toute-l-oeuvre-de-rimbaud-est-marquee-par-des-preferences-homosexuelles-18-09-2020-2392531_3.php

Ainsi il y aurait des « translations sans corps »  (des translations de quoi en ce cas ?). M. Martel cite Aimé Césaire mais il n’y a eu aucune translation, même symbolique, mais inauguration d’une plaque au cours d’une cérémonie.

Il a sans doute à l’esprit, de façon plus pertinente, la cérémonie de panthéonisation de Germaine Tillon et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, deux résistantes qui ont aussi accompli une oeuvre (ethnologue pour G. Tillion, engagée dans la lutte auprès des plus pauvres pour Geneviève de Gaulle-Anthonioz). Lors de la cérémonie, les cercueils qui ont été portés au Panthéon étaient vides, à l’exception d’un peu de terre ramassée près de leurs tombes : les corps sont restés dans les cimetières où ils sont inhumés, à la demande des familles

Mais peut-on dire que les personnes représentées par un cercueil vide, accessoire pour une cérémonie – « entrent » vraiment au Panthéon ? Alors qu’aucune tombe à leur nom, même vide (ce qu’on appelle un cénotaphe), n’existe (probablement ?) dans les cryptes et que les restes continuent d’être dans d’autres lieux (situation différente de la panthéonisation de personnes dont les restes n’ont pas été retrouvés, cas par exemple  de Condorcet ou semble-t-il, de  Jean Moulin).

Si Rimbaud et Verlaine - c'est-à-dire leurs restes - n’entrent pas effectivement au Panthéon, alors à quoi sert d’ironiser sur les fleurs en plastique de l’un et le fait que l’autre partage sa tombe à Charleville avec Paterne Berrichon, « son ennemi » ?*

                                                                              * Expression un peu curieuse puisque Rimbaud n’a jamais entendu parler de Paterne Berrichon, son beau-frère posthume, qui entreprit d’éditer ses textes et de défendre sa mémoire ; on lui a reproché d’avoir tiré Rimbaud vers le catholicisme et d’avoir édité les textes de façon peu scrupuleuse – mais tirer Rimbaud dans son propre camp est un travers très partagé.

 

Alors, cercueil vide, peut-être revêtu du drapeau tricolore (sans doute pas du drapeau rouge des Communards – il ne faut pas trop en demander, et puis sait-on encore que les Communards préféraient le drapeau rouge au drapeau tricolore ?)  - à moins qu'on se contente d'inaugurer une simple plaque - ce qui serait bien moins fort comme symbole ?

                                                                                                                    

Dans tous les cas, il est peu probable qu'au cours de la cérémonie, on rappelle les paroles de Maurice Barrès devant le cercueil de Verlaine en 1896 : « Si l’on admet, comme c’est notre opinion, que le culte des héros fait la force des patries et maintient la tradition des races, il faut placer au premier rang des mainteneurs de la patrie et de la race le groupe des littérateurs et des artistes .»

 

 

Il est sans doute dommage que le Panthéon français ne se contente pas de simples bustes, comme le Walhalla allemand, d'ailleurs bien plus oecuménique que le Panthéon français.*

                                                                                             * Temple néo-classique au bord du Danube, dans un cadre naturel grandiose, construit à l’initiative du roi de Bavière Louis Ier pour honorer les grands hommes et femmes ayant illustré la civilisation allemande, représentés par des bustes ou des inscriptions. Un comité décide toujours des nouvelles admissions. Ainsi les empereurs germaniques du Moyen-âge voisinent avec Bach, Mozart, Beethoven, Goethe, Wagner, Bismarck, Einstein ou Edith Stein, la religieuse catholique d’origine juive morte à Auschwitz.

 

 

 LE PANTHÉON DE LA RÉVOLTE

 

 

Les partisans de la panthéonisation veulent ouvrir le Panthéon aux révoltés car « C’est cela la France » (ça fait penser à une publicité pour Renault : c’est très Français). Ils présentent la demande de panthéonisation de ces révoltés (surtout Rimbaud) comme un acte qui serait lui-même un acte anticonformiste, quelque chose de pas sérieux au départ, une manifestation « potache » (un mot qui ne sonne pas très moderne) – comme s’ils avaient demandé la panthéonisation de rigolos*. Mais en même temps, on resitue Rimbaud dans une filiation très française : « Rimbaud incarne l’esprit français, cette longue lignée qui va de Rabelais à Voltaire, et de Voltaire à Victor Hugo » - pourtant on a vu que le jeune Rimbaud récusait Rabelais et Voltaire (auxquels il ajoutait La Fontaine et Musset) comme représentant l’esprit français «haïssable au suprême degré » !

                                                                                            * On comparera avec une pétition qui ne se prend pas au sérieux, au contraire de l'autre: sur le site ActuaBD on trouve une pétition pour la panthéonisation des auteurs de Hara Kiri (dont le sous-titre était le journal bête et méchant et dont Charlie est le successeur plus politisé et moins loufoque) : le professeur Choron, Cavanna, Wolinski et Cabu (ces deux derniers victimes, comme on sait, du terrorisme) et d'autres (https://www.actuabd.com/PETITION-Hara-kiri-au-Pantheon).

 

Si Rimbaud, jeune, a manifesté de façon plus ou moins cohérente – c’était un adolescent – sa révolte contre les valeurs françaises admises à son époque, ou mieux contre toute discipline sociale, Rimbaud adulte, s’est détourné de toute attitude expressément rebelle –  on est libre de penser qu’il a fait preuve d’une révolte plus radicale encore, par le désintérêt et le dédain de toute idéologie, mais que cette révolte par l'indifférence n'est pas de celles qu’on peut facilement récupérer dans les institutions.

 

 

 

D’AUTRES RIMBAUDS

 

 

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Rimbaud (façon Andy Warhol) à l'honneur dans les couloirs de l'hôpital de la Conception.

Photo extraite du journal Nice-Matin, 2019.

https://www.nicematin.com/faits-divers/varois-retrouve-mort-dans-un-hopital-a-marseille-ouverture-dune-enquete-pour-homicide-involontaire-410337

 

 

Rimbaud est mort à Marseille. Apparemment il n’a rien écrit sur cette ville qui pour lui était un port de départ et d’arrivée (la porte de l’Orient) - mais où il a peut-être vécu quelques mois. C'est aussi à Marseille que - peut-être - Rimbaud avait signé un engagement non suivi d'effet pour les Carlistes espagnols.*

                                                                                                                       * « Mon ami le poète Raoul Gineste rencontra Rimbaud à Marseille. Il venait de souscrire un engagement dans une bande carliste », écrit Charles Maurras dans son article paru en 1901, La statue de Rimbaud  http://maurras.net/textes/85.html.

 

Dans la dernière partie de sa vie, il rencontre dans la corne de l’Afrique et sur les bords de la Mer Rouge un grand nombre de Marseillais (Riès, Borelli, Tian et d'autres). Et lorsqu’il reçut un écho de sa célébrité naissante, c’était par une lettre de ce M. de Gavoty qui lui écrivait pour lui demander de collaborer à une revue littéraire de la cité phocéenne.

Un monument hommage à Rimbaud se trouve sur la plage du Prado (je n’en dirai rien sur le plan esthétique) – monument qui a trente ans et a passablement vieilli, comme ce genre de commande publique, installé dans un endroit isolé -  de ce fait, paradoxalement il se trouve plus en phase avec la tristesse de la destinée humaine de Rimbaud.

Si une ville en France, autre que sa ville natale pouvait revendiquer sa sépulture, ce serait Marseille, la ville de Louis Brauquier le poète de l’au-delà de Suez, qui a évoqué les marchands et les armateurs, les navires et les cargaisons sur toutes les mers : 

« Et la nuit glisse sur les globes électriques.

Des sirènes, au loin, soufflent dans le brouillard,

Un camelot crie le journal. Retour d'Afrique,

Rimbaud est mort ce soir.»

(Louis Brauquier, Mort de Rimbaud, in Le Bar d'escale).

 

Si Rimbaud avait pu rentrer en bonne santé d’Afrique, se serait-il  installé à Marseille pour de là, y poursuivre ses affaires ? C'est ce que suppose un Rimbaldien éminent, M. Jacques Bienvenu, interrogé dans un article qui examine les liens de Rimbaud avec Marseille (Arthur Rimbaud, l'impossible héritage marseillais, article de Jérémy Collado, site Slate http://www.slate.fr/story/97357/arthur-rimbaud-heritage-marseillais). Mais on peut toujours rêver sur ce qui ne s’est pas passé.

 

 

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Monument à Athur Rimbaud, Le bateau ivre.

Sculpture de  l'artiste Jean Amado, inaugurée le  28 janvier 1989, parc de la plage du Prado, Marseille.

https://madeinmarseille.net/23261-statue-sculpture-fontaine-insolite/

 

 

 

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Cases extraites de l'histoire Le Coup de grâce, faisant partie de l'album Les Ethiopiques de Hugo Pratt (1978).

https://www.2dgalleries.com/articles/le-si-si-si-mv9957-92

 

 

Rimbaud n’est pas le pré carré des Français et de leurs débats politiques et littéraires.

On peut regarder comment d’autres peuvent percevoir sa trajectoire. Rimbaud faisait partie des références de Hugo Pratt (1927-1995), l'auteur italien de bande dessinée, créateur du personnage de Corto Maltese, le marin désinvolte et anarchisant.

Dans une aventure de Corto Maltese (Le Coup de grâce, faisant partie de l’album Les Ethiopiques), un officier britannique (pas si clean qu’il n’en a l’air), en poste dans le Somaliland vers 1920, lit au début de l’histoire des vers de Rimbaud – Corto Maltese, présent, s’étonne un peu ironiquement : je croyais que les officiers anglais n’aimaient que Kipling ?

L’officier répond qu’en effet, il aime aussi Kipling*.

                                                                                                                                        * Est-il besoin de rappeler que Kipling, connu surtout en France pour Le Livre de la Jungle, est non seulement un nouvelliste de premier plan, mais aussi un poète ?

 

Hugo Pratt aimait Kipling et Rimbaud. Il avait notamment vécu en Ethiopie à l’époque coloniale italienne, où son père était militaire de carrière – ce qui ne pouvait que le rendre sensible à Rimbaud, qui avait connu les mêmes peuples et les mêmes paysages.

Certains jugeront peu sérieux de parler de Hugo Pratt et de Kipling à propos de Rimbaud  - mais Rimbaud n’est la propriété de personne.

 

 

 DERNIER MOT

 

 

Laissons le dernier mot aux intéressés.

Verlaine, qui abandonnait le Panthéon de son temps (aurait-il mieux aimé celui de notre temps ?) au silence et à l’oubli (« Mais je voudrais qu’autour de ces dalles  (…)
Le silence régnât, cette fleur de l’oubli »).

 

Et Rimbaud, la veille de sa mort, dictant sa dernière lettre au directeur d’une compagnie maritime, pour dire où il voulait aller – certainement pas à Paris :

« Je suis complètement paralysé donc je désire me trouver de bonne heure à bord. Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord… »

 

 

 

 

 

 APPENDICE 1

 

RIMBAUD VU PAR ANATOLE FRANCE EN 1886

 

 

« Ce jeune poète n’a brillé qu’un moment. Il était dans sa destinée de disparaître à vingt ans. Ostendent terris hunc tantum fata*. On ne sait ce qu’il est devenu. Les uns croient qu’il est marchand de cochons dans l’Aisne ; d’autres affirment qu’il est roi de nègres. Enfin le bruit court qu’il est mort récemment en Afrique au service d’un trafiquant d’ivoire et de peaux. On ne s’accorde pas mieux sur son visage. Le masque est d’un ange, dit M. Paul Verlaine. Il est d’un paysan assassin, dit M. Félix Fénéon. Que d’incertitudes ! La vie de M. Arthur Rimbaud est mêlée de fables, comme celle d’Orphée. Du moins, si les véritables œuvres d’Orphée sont perdues, nous avons celles de M. Arthur Rimbaud.»

                           * Citation (bien dans le style d'A. France), de Virgile : les destins se borneront à montrer [ce jeune homme] au monde [et ne feront rien de plus].

Extrait d'un article paru dans le journal Le Temps, 24 octobre 1886.

 

 

VERLAINE DANS SES DERNIÈRES ANNÉES, SELON ANATOLE FRANCE

 

Extrait de La Vie Littéraire, 5ème série (reprise d’articles parus dans divers journaux)

 

« Verlaine y est visité [à l’hôpital] par les esprits les plus brillants. M. Maurice Barrès s’excuse de ne pouvoir passer tous les dimanches à son chevet. Des jeunes gens enthousiastes viennent devant ce lit numéroté saluer leur maître.

 Les journalistes l’assiègent. Ils l’interrogent sur les décadents et sur les symbolistes. Nous tenons de M. Paul Verlaine lui-même qu’un reporter lui fit un jour cette question inattendue :

— Monsieur Verlaine, quelle est votre opinion sur les femmes du monde ?

 Cela, c’est la gloire. Mais quand Paul Verlaine dit que ce n’est pas le bonheur, on n’a pas de peine à l’en croire.

(..)

Saint François l’aurait reconnu, n’en doutez point, pour un de ses fils spirituels, et peut-être aurait-il fait de lui son disciple préféré. Et qui sait si Paul Verlaine, sous la bure, ne serait pas devenu un grand saint, comme il est devenu parmi nous un grand poète.»

http://obvil.sorbonne-universite.site/corpus/critique/france_vie-litteraire-05

 

 

 

 

 

APPENDICE 2

 

VERLAINE RÉACTIONNAIRE

 

Extraits du Voyage en France par un Français, parution dans les oeuvres posthumes (1913)

 

«  Hélas ! tout paraît fini et bien fini pour la  France aujourd’hui ! Les défaites si éloquentes  de 1870-71 semblent n’avoir parlé qu’à des  sourds et même c’est d’elles que date cette recrudescence  du mal et du pire qui signalera  notre époque à l’horreur de la postérité. L’impiété  fait des progrès effrayants de concert avec  l’idée républicaine telle que l’ont entendue les  hommes les plus perdus de la première révolution,  et jamais la démagogie, un instant comprimée  — férocement et mal — par ce qui restait  d’énergie à la bourgeoisie, personnifiée par ce  Thiers déplorable, jamais la basse démagogie  n’a été à la veille d’une telle victoire.(…)

Plus de respect, plus de famille, le plaisir effronté, — que dis-je, la débauche au pinacle, nul patriotisme, plus de conviction même mauvaise, plus même, excepté chez quelques déclassés, l’héroïsme impie de la barricade : l’étudiant « noceur », l’ouvrier « gouapeur » sans plus, le lâche bulletin de vote remplaçant, pour les besognes de l’émeute, le fusil infâme, mais franc du moins ; l’argent pour tout argument, pour toute objection, pour toute victoire ; la paresse et l’expédient prenant le pain du vieux travail, et Dieu blasphémé tous les jours, défié, crucifié dans son église, souffleté dans son Christ, exproprié, chassé, nié, provoqué ! Quelle tribune et quelle presse ! Quelle jeunesse et quelles femmes, — et quel pays !

(…) il nous suffira de constater l’énorme aplatissement du peuple français depuis qu’il s’est forgé les chaînes de Quatre-vingt-neuf et a passé par tous les maîtres qui ont bien voulu s’en faire craindre et servir. Un des traits de cet aplatissement, c’est la patience toute nouvelle avec laquelle ce peuple accepte et subit les plus lourdes charges à lui imposées par ses élus. Tous les impôts possibles sur les matières les moins vraisemblablement imposables, un service militaire de plus en plus écrasant et qui leur répugne, l’administration s’alourdissant et se relâchant* chaque année davantage, tout cela passe sur nos Français comme un chien dans un troupeau. On se range et on s’aligne avec une soumission qu’on refuse au bon Pasteur lui-même.

                                                   *[se relâchant : comprendre sans doute : de moins en moins respectueuse des administrés]

 Ah ! en l’an II d’exécrable mémoire, l’homme du peuple, certes bien égaré, bien fou, participait du moins à la tyrannie et tablait sur sa propre violence : il pillait, labourait des champs par lui volés le jour d’auparavant, et quand il fallait défendre ce bien mal acquis, donnait son sang aux armées ou prenait celui des légitimes possesseurs ou des héritiers, soit de vive force, la hache à la main, soit par une bonne dénonciation publique à sa section. Parfois aussi le sentiment du juste l’emportait en d’héroïques insurrections. Il revendiquait les franchises anciennes et mêlait la vieille foi monarchique aux tentatives fédéralistes du Centre et du Midi. En Bretagne, en Vendée, la persécution religieuse et la réquisition militaire soulevèrent la population tout entière et il s’ensuivit une guerre gigantesque, sans égale dans les annales d’aucune nation. Ces nobles fils du sillon puisèrent dans leur forte simplicité et dans la rectitude de leur conscience l’énergie de vingt armées pour résister au mal tout-puissant, le tenir en haleine et en échec pendant des années et sauver aux yeux du monde et de l’avenir l’honneur de la fidélité et du bon sens français ! Ils eurent toute raison comme ils eurent tout courage, ces Vendéens têtus, ces Chouans obstinés. (…) en lutte contre la France criminelle de l’Encyclopédie et des plus sales faubourgs d’une Gomorrhe nouvelle, eux, fiers paysans hâlés au soleil paternel, contemplateurs et familiers des grandes aurores et des grands flots, sourds comme leurs rochers à la démence parisienne, et comme eux gardiens et témoins d’un sol dur, dévorant, vierge, dernier refuge, citadelle terrible de la Tradition !

Mais le peuple d’aujourd’hui ! Il accepte tout préjudice lui venant de ceux qu’il élève sur ses pavois d’un an ou deux, il assiste paisible à l’injustice qui frappe le prochain, — car l’envie lui dévore le cœur, — et si elle l’attrape au passage, non moins paisible il se tait, rit jaune, tout en se jurant de mieux voter « aux prochaines » et, aux prochaines, du soliveau passe à la grue*. Ceci, nous l’avons vu vingt fois et nous le reverrions cent, si Dieu ne devait nous prendre en pitié que très tard. Toute dignité, tout courage civil, tout effort public un peu généreux est mort au moment précis où le Suffrage Universel entrait dans les mœurs. Qu’on ne me parle pas de juin Quarante-huit ou de la Commune de Soixante et onze : émeutes fabriquées de toutes pièces et de longue main par la Franc-Maçonnerie et sa branche récente, l’ Internationale, à coups de journaux, d’argent et d’un recrutement par tous pays, en des temps de faim et d’affolement extraordinaire dans des cerveaux étroits surchauffés de misère avinée (...) »

                                                             * [allusion à la fable de la Fontaine, Les Grenouilles qui demandent un roi. Les grenouilles, fatiguées d'avoir pour roi un soliveau (une pièce de plancher, donc inerte), prennent à la place une grue, qui les croque]

 

https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_posthumes_(Verlaine)/Voyage_en_France_par_un_Francais

 

 

 

 

 

ANNEXE 3

VERLAINE ET EDMOND DE GONCOURT

 

 

 Edmond de Goncourt n'aimait pas Verlaine, comme en témoigne un passage souvent cité de son Journal :

« Malédiction sur ce Verlaine, sur ce soûlard, sur ce pédéraste, sur cet assassin, sur ce couard traversé de temps en temps par des peurs de l’enfer qui le font chier dans ses culottes, malédiction sur ce grand pervertisseur qui, par son talent, a fait école, dans la jeunesse lettrée, de tous les mauvais appétits, de tous les goûts antinaturels, de tout ce qui est dégoût et horreur ! »

 

Cela n'empêcha pas Goncourt de présider en 1893 le comité Verlaine constitué pour rendre hommage au poète à Nancy.

Moins connue est l'anecdote rapportée par Edmond de Goncourt (qui tient seul le Journal depuis la mort de son frère Jules en 1870). En 1871, au moment de la Commune. Goncourt se rend avec un ami dans les bureaux de l'Hôtel de Ville, pour obtenir un laisser-passer pour quelqu'un qui veut sortir de Paris. Sans doute pense-t-il que Verlaine, chef du bureau de presse, pourra l'aider. Il ne semble pas qu'il puisse rencontrer Verlaine et la description de l'ambiance des bureaux de la Commune est très négative. Le soir, il voit Verlaine qui lui confie qu'il s'est opposé à une résolution tendant à démolir Notre-Dame de Paris (résolution émanant forcément de Communards - il devait s'agir de discussions de sous-fifres et non de quelque chose de sérieux ?).

Voilà une raison de panthéoniser Verlaine que personne n'a relevée jusqu'à présent : avoir sauvé Notre-Dame !  

 

« Jeudi 4 mai. —  (...)

J’accompagne Burty à l’Hôtel de Ville, où il va essayer d’attraper un laissez-passer en blanc, pour un pauvre diable qui veut s’enfuir. Il s’agit de découvrir le poète Verlaine, nommé chef de bureau de la Presse.

Le concierge ne sait pas quel est le numéro du bureau de la Presse, et les employés s’ignorent absolument entre eux.

Dans un salon, les gardes nationaux, inoccupés, tracassent de leurs baïonnettes la serge verte, qui enveloppe les lustres. Dans un corridor, un soldat engueule furibondement son officier. Sur tous les escaliers battent, entr’ouvertes, les portes des lieux*, et cela sent très mauvais partout.

                                                                                                                                * [les lieux d'aisance, les toilettes]

Après avoir vagué dans le palais (...), après avoir été renvoyés de droite à gauche, nous nous présentons au Comité. Quatre ou cinq matelas sont jetés en travers de la porte, et dans la grande salle vide, errent quelques sales gens affolés. On dirait le campement d’une insurrection. Ce n’est pas un pouvoir, c’est un corps de garde mal balayé.

 Le soir, Verlaine confesse une chose incroyable. Il déclare qu’il a dû combattre et empêcher une proposition qui voulait se produire : — une proposition demandant la destruction de Notre-Dame-de-Paris.»

Journal des Goncourt, 1871 https://fr.wikisource.org/wiki/Journal_des_Goncourt/IV/Ann%C3%A9e_1871

 

 

 

 

 

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Le comte Lanza vous salue bien
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