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Le comte Lanza vous salue bien
18 mars 2020

LA COMMUNE DE MARSEILLE EN 1871 TROISIEME PARTIE LES DERNIERS MOIS DE GUERRE

 

 

 

LA COMMUNE DE MARSEILLE EN 1871

TROISIÈME PARTIE

LES DERNIERS MOIS DE GUERRE

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

Nous sommes donc après la brève première Commune de Marseille, du 1er au 4 novembre 1870,  et les élections qui ont confirmé la municipalité modérée de Bory.

  

GGOD BYE MISTER TRAIN

 

L’Américain excentrique George Francis Train, si on en croit ses mémoires, quitta Marseille en train pour Lyon en compagnie de Gaston Crémieux, « one of the leaders of the Ligue du Midi », peu après l’échec de la première Commune (qui prit fin le 4 novembre 1870). Mais il semble que Crémieux était absent lors de la première Commune. Etait-il rentré entretemps et repartait-il pour ne nouvelle tournée afin de sauver ce qui pouvait encore l’être de la Ligue du Midi ?

En arrivant à Lyon, ils sont arrêtés par des soldats gouvernementaux. Train a le temps d’avaler une proclamation de Cluseret pour qu’elle ne tombe pas aux mains des soldats (!). Ils sont emmenés dans une prison lyonnaise que Train appelle une Bastille, où il est enfermé 13 jours. Là, Train est séparé de Crémieux. Son secrétaire arrive à Lyon et fait des démarches pour sa libération, tandis qu’aux USA, on avait raconté que Train avait été tué par les soldats à Marseille (It had been currently reported in America that the soldiers had shot me in Marseilles). Gambetta ordonne alors que Train soit amené à Tours par… « train spécial ».

« To Tours I went in style. I had been poisoned in the Lyons Bastile, and was ill, in consequence, having lost thirty pounds of flesh in thirteen days. I was met at Tours by Gambetta's secretary, M. Ranc, afterward a deputy, who told me I could see the Dictator at four o'clock. "Why not now?" I asked. "Because it is not possible for M. Gambetta to work until he has had his dinner." I found that these French officials were as fond of their dinner as English officials. At the appointed hour M. Ranc took me to the palace of the prefecture, and I was admitted at once to Gambetta's presence. »

(J’arrivai à Tours en grand style. J’avais été empoisonné [?] dans la Bastille de Lyon et j’étais malade, ayant perdu 30 livres en 13 jours. Je fus accueilli à Tours par le secrétaire de Gambetta, M. Ranc, plus tard député. M. Ranc me dit que je pourrai voir le Dictateur à 4 heures. Je lui demandai pourquoi pas maintenant ?  Parce que M. Gambetta ne peut pas travailler tant qu’il n’a pas eu son dîner. Je trouvais que ces officiels français tenaient autant à leur dîner que des officiels anglais. A l’heure dite, M. Ranc m’amena au palais de la préfecture et je fus admis en présence de Gambetta.)

Faut-il croire le dialogue entre Train et celui qu’il appelle le Dictateur (ce surnom était fréquemment donné à Gambetta et n’a pas été inventé par Train)?

Train annonce à Gambetta qu’il compte se présenter aux élections présidentielles américaines de 1872.  S’il est élu, il pourra rendre service à la France.

« The Dictator smiled again, and said: "You sent Cluseret to Paris, and bought him a uniform for 300 francs."

"You are only fairly well informed, M. Gambetta. I paid 350 francs for the uniform."

"Cluseret is a scoundrel," he said.

"The Communards call you that," I replied. »

(Le Dictateur sourit encore et dit : Vous avez envoyé Cluseret à Paris et vous lui avez acheté un uniforme de 300 francs.

-  Vous n'êtes pas parfaitement informé, M. Gambetta. J’ai payé l’uniforme 350 francs.

-  Cluseret est un scélérat, dit-il.

-  C’est le nom que vous donnent les Communards, répondis-je).

A la date de l’entretien (novembre 1870, à la rigueur début décembre), le mot « Communards » était-il d’un usage courant ? Faut-il croire ce que raconte Train ? Il est par exemple exact que Ranc était le collaborateur proche de Gambetta à l’époque (fut-il à un moment son secrétaire ? il fut directeur de la sûreté de Gambetta) ; il y a sans doute un fond de vérité dans il l’entretien rapporté. Gambetta ordonna que Train soit expulsé de France.

Il semble que celui-ci présenta bien sa candidature aux élections de 1872 mais pas grand monde – sinon personne ne vota pour lui.

Train était un féministe. Par contre, il est parfois présenté comme un « négrophobe » ou un démocrate raciste. Son slogan était « Woman first and Negro last is my program » (les femmes d’abord et les noirs en dernier, voilà mon programme), bien qu’il ait été en faveur du Nord dans la guerre de Sécession, mais seulement parce qu’il désapprouvait la sécession et sans prendre part au conflit.

Toujours de plus en plus excentrique, Train mourut en 1902. A sa mort, un club de sceptiques et rationalistes auquel il appartenait déclara qu’il avait été un des rares hommes sains d’esprit dans un monde fou, fou…

 

 

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Carte de visite utilisée probablement pour la propagande électorale de George Francis Train en 1872, signée For President 1872 Geo Francis Train.

Site de ventes Historical Auctions

 https://historical.ha.com/itm/autographs/george-francis-train-wonderfully-inscribed-brady-carte-de-visite/a/6199-36326.s

 

 

 

MARSEILLE À L’ÉPOQUE DU PRÉFET GENT

 

 

Peu de temps après les événements de la Commune de novembre 1870, ont lieu les obsèques du fils Esquiros : le cortège est formé par les vélites républicains (de 10 à 16 ans), la Jeune Légion urbaine, la Garde nationale, les loges maçonniques, l’Association internationale des travailleurs (« une centaine d’ouvriers »), la presse, les autorités civiles et militaires dont le maire Bory. Clovis Hugues prononce un discours. Selon l’HEM, « enterrement pompeux mais rigoureusement civil », sans aucun signe chrétien.

Le gouvernement refuse l’armistice qui devait permettre des élections nationales; il appelle sous les drapeaux les hommes de 20 à 40 ans, même soutiens de famille.

Des mesures semblables avaient déjà été prises sans grand effet.

On ne parlait plus de la Ligue du Midi (peut-être officiellement dissoute en décembre 1870 seulement, à moins que sa dissolution ait été tacite ?) ; mais le 15 novembre 1870 se créa le Cercle républicain du Midi, dont faisait partie Albert Baume, ancien chef de cabinet d’Esquiros. Ce Cercle, « en accord avec l’Internationale, tenta de ressusciter l’esprit et les buts de la Ligue du Midi (Antoine Olivesi, La Commune de 1871 à Marseille et ses origines, cité par le Dictionnaire Maitron, art. Albert Baume). Baume, peut-être membre de l’Internationale, avait fait partie de la liste radicale battue aux élections municipales par les républicains modérés. Il mourut prématurément au début de 1871.

Depuis l’arrivée de Gent, le personnel préfectoral avait été renouvelé. Selon Taxil, Gent avait organisé ses bureaux de la préfecture et de l’administration en recrutant chez les journalistes locaux de toutes nuances, pour se concilier les bonnes grâces de la presse : « Vous vous présentiez au bureau des enfants assistés, à celui du domaine départemental, à la direction des pompes funèbres, ou à l’inspection des asiles d’aliénés ; vous étiez nez à nez avec des feuilletonnistes, des secrétaires de rédaction, des courriéristes théâtraux. »

Le chef de cabinet du préfet était aussi un journaliste : « Auguste Cabrol, radical à tous crins, un joyeux vivant qui fumait une pipe colossale et, à la fin de ses audiences, tapait amicalement sur le ventre de ses visiteurs. » Le nouveau secrétaire général (qui remplace Rouvier, en décembre 1870), un nommé Fouquier, plus à droite, avait été journaliste au Figaro, puis avait dirigé à Marseille un journal républicain modéré commandité par le négociant et éphémère préfet Labadié.

 

 vieux-port-de-marseille-2

 Le Quai du Port avec l'Hôtel-de-Ville vers la fin du 19ème siècle, carte postale. Les tramways électriques furent introduits à Marseille à partir de 1892.

Blog Histoire des familles Fabre de Labruguière

http://famillefabredelabruguiere.blogspot.com/2011/12/cartes-postales-anciennes-sur-marseille.html

 

 

 

 

 

À LA TRIBUNE DES CLUBS DÉMOCRATES

 

 

La situation militaire permet, de façon détournée, d’alimenter une guerre des classes : dans les réunions des clubs, on s’en prend aux riches qui « attendent les Prussiens » (selon l’HEM).

Les démocrates « avancés » ne s’épargnent pas entre eux. Le citoyen Gillet, ancien spirite, dénonce les ordres religieux  – il est ridiculisé par le citoyen Pencin à la tribune de l’Alhambra.

Création du club républicain de la Garde nationale dont le but est d’empêcher la restauration monarchique et qui est partisan de la « guerre à outrance ».

Dans ses Confessions d’un ex-libre-penseur, Léo Taxil décrit avec ironie l’activité des clubs démocratiques :

« Les révolutionnaires, ne pouvant plus déployer leur zèle en arrêtant quiconque leur déplaisait, se rattrapèrent au moyen des clubs.

Il y avait alors deux clubs très fréquentés : l’Alhambra et l’Eldorado. Le premier se tenait dans un café-concert qui avait fait faillite ; le second, dans une salle de bal.

Là, chaque soir, on fusillait un général, en effigie.

Le président de la séance donnait lecture des dépêches reçues dans la journée.

— Citoyens, voici ce qui se passe dans les Vosges : le général Cambriels vient de résigner son commandement entre les mains du général Michel.

Voix nombreuses :

— Cambriels est un traître !… À mort ! À mort !…

Le président agitait sa sonnette :

— Que ceux qui sont d’avis que le général Cambriels doit être fusillé veuillent bien lever la main.

Toutes les mains se levaient.

Ce n’était pas plus compliqué que cela.

Deux jours après, on fusillait le général Michel, parce qu’il n’avait pas passé par les armes le général Cambriels. »

Parfois (mais l’histoire est peut-être trop belle ?) des blagueurs se manifestent :

«  Un soir, cependant, on ne fusilla personne.

Je ne sais plus quel mauvais plaisant monta à la tribune et dit :

— Citoyens du club de l’Alhambra, vous êtes sur un volcan. La Monarchie s’apprête à confisquer la République. Depuis hier, le comte de Chambord est à Marseille. Il loge chez son ami, le marquis de Foresta. Il a passé sa journée d’aujourd’hui à distribuer de l’or à la troupe, et, en ce moment même, il est ici dans la salle.

Ces paroles provoquèrent un tumulte indescriptible. Toute l’assistance poussait des hurlements. Chacun accusait son voisin d’être le comte de Chambord. Plusieurs furent obligés de venir se justifier à la tribune et d’établir leur identité. ».

Le jeune Léo Taxil, car il a adopté ce nom par égard pour ses parents, qui ont des opinions politiques opposées aux siennes, a commencé de donner des articles à la presse de gauche. Il est aussi actif à la tribune :

« J’étais un des orateurs ordinaires de l’Alhambra :

Ce fut, sur mon initiative, qu’on fusilla, un beau dimanche, l’évêque de Marseille. » [il s'agit évidemment d'une condamnation fictive]

Taxil explique au public du club que sous la révolution française, on avait guillotiné des ecclésiastiques moins coupables que l’évêque de Marseille : « On vota donc, à mains levées, que l’évêque de Marseille serait exécuté à bref délai.

C’est ainsi qu’on surexcitait les mauvaises passions de la multitude. Exalté moi-même au plus haut degré, je ne comprenais pas le mal que je faisais.

Un autre jour, j’obtins le vote d’une motion réclamant l’installation permanente d’une guillotine sur la place de la Bourse. Il fallait, disais-je, terrifier le cléricalisme. Et je me souviens qu’on m’écoutait, qu’on m’applaudissait, moi, petit bonhomme de seize ans !… Quand je songe à ce triste passé, j’ai honte pour moi et pour le peuple.

(…) Franchement, je devais être fou, et tous nos clubistes marseillais aussi. »

On notera que, selon Taxil, les thèmes favoris des clubs « révolutionnaire » sont la conduite de la guerre, l’hostilité à la monarchie et l’anticléricalisme (qui était déjà le sujet de prédilection de Taxil), mais que personne ne parle de révolution sociale (ou alors Taxil ne l’a pas noté). Pourtant, des préoccupations sociales (vagues) existent, puisque selon Rossi (ouv. cité) Taxil lui-même, son frère aîné (qu’il a entraîné dans ses opinions « extrémistes ») et d’autres (Clovis Hugues, Elie Devèze, un camarade de lycée de Taxil), pensent à créer un « club international des jeunes travailleurs », ce qui aussi une façon de jouer un rôle pour des jeunes gens.

 

 

 

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 La place Saint-Michel (la Plaine) carte postale vers 1900 (avec un timbre...bavarois).

Appelée communément la Plaine, ou Plaine Saint-Michel, cette grande place servait de club en plein air. C'est aussi là que se trouvait l'un des clubs politiques très fréquenté en 1870-71, l'Alhambra. La place a ensuite été nommée au 20 ème siècle place Jean-Jaurès, mais reste connue de tous les Marseillais comme la Plaine.

https://www.pinterest.fr/pin/693343305112626912/visual-search/

 

 

 

TOUJOURS LA GUERRE

 

Le gouvernement a créé des camps pour les gardes nationaux mobilisés (donc susceptibles d’être envoyés au combat), dont celui de Conlie (de sinistre mémoire pour les mobilisés bretons) et pour les mobilisés provençaux, le lieu choisi est le Pas-des-lanciers (finalement un autre lieu sera retenu).

Le gouvernement (Gambetta) annonce une grande victoire sous les murs de Paris le 1er décembre : « Vive Paris, vive la France vive la république une et indivisible » - c’est une fausse nouvelle : le général et ses troupes avaient juré de ne revenir que morts ou victorieux, note ironiquement l’HEM. Ils sont rentrés battus dans Paris.

Cela n’empêche pas d’annoncer le 2 décembre que le roi Guillaume et Bismarck, qui se trouvent à Versailles (?), sont encerclés.

Le recrutement pose des problèmes, on prend des mesures contre les réfractaires, on procède à la révision des exemptions. On prévoit des secours aux familles des mobilisés. Il y a des tensions avec les étrangers présents à Marseille, évidemment non mobilisables.

On reçoit des mauvaises nouvelles de l’armée de la Loire* -le préfet Gent les fait afficher en affirmant sa transparence.

                                                 * Il s’agit notamment de la bataille du Mans, où les mobilisés bretons du camp de Conlie sont engagés alors que leur état physique est lamentable en raison des conditions de vie désastreuses dans le camp. On a raconté par la suite que Gambetta les avait délibérément envoyés au massacre.

 

Le camp des mobilisés provençaux est fixé dans « les Alpines *», sur les communes de Graveson, Eyrargues, Barbentane, Saint-Rémy, Tarascon, Châteaurenard, après étude par une commission.

                                 * Aujourd’hui, la forme « Alpilles », déjà présente à l’époque, est seule utilisée.

 

L’administration du camp est organisée :

« Le colonel du génie Quinquandon est nommé commandant supérieur du camp des Alpines avec rang de général de division dans l’armée auxiliaire (…); M. Maurice Rouvier secrétaire général de la préfecture des Bouches-du-Rhône est nommé vice- président civil du camp et spécialement chargé de l’organisation proprement dite etc » (arrêté de Gent du 14 décembre 1870).

Le recrutement pose toujours des problèmes ; l’organisation est défaillante : la caserne Saint-Charles est une véritable écurie d’Augias, les mobilisés reçoivent du matériel défectueux fourni par des margoulins.

On encourage la dénonciation des réfractaires ; des mesures illégales (c’est ce que pense l’HEM) frappent financièrement ceux-ci pour les obliger à se soumettre.

                               * Selon Rossi (ouv. cité) , Léo Taxil fut malmené dans la rue par un commerçant qui lui reprochait d’avoir donné lecture dans un club d’un article de journal dénonçant comme réfractaires ses fils.

 

 

Les scènes d’adieux entre les mobilisés et ceux qui restent, aussi bien dans les cafés que dans l’intérieur des familles, se reproduisent indéfiniment. Les mobilisés des Bouches-du-Rhône ressemblent aux guerriers d’opéra qui chantent « partons » et restent sur place, note l’HEM (voir annexe, Lapins de garenne et lapins de choux).

La ville subventionne l’armée de Garibaldi et ses uniformes d’opérette (l’HEM dixit), alors qu’elle n’a pas de quoi recruter des policiers, désarmés devant la criminalité. On note à la fin 1870 un nombre considérable d’assassinats, tant sur la voie publique qu’à domicile.

Bien que plus calme en apparence, la ville est parcourue de rumeurs : en décembre 1870, on craint un contre-coup des événements de Lyon (où une partie des gardes nationales, devant la menace allemande, a voulu prendre le pouvoir et fusillé le commandant Arnaud qui refusait de donner l’ordre de marche). Le départ effectif d’Esquiros pour Bordeaux soulage le préfet Gent. Celui-ci, par précaution, a confié la garde de la préfecture à des gardes mobiles de son département, le Vaucluse.

Le camp des Alpines suscite l’opposition à Avignon qui se plaint qu’il va occuper des terres utiles aux maraichers.

Dans le reste de la France, on accuse Marseille de ne pas faire grand-chose pour la défense du pays, ce qui oblige l’administration locale à quelques gesticulations :

Le préfet Gent déclare : «… si éloigné que soit l’ennemi et quelque peu probable que soit la venue de ces nouveaux barbares, il convient pour protester hautement contre d’indignes lâchetés, que Marseille proclame sa ferme résolution d’imiter l’ admirable exemple que Paris donne depuis près de quatre mois au monde entier ;

Arrêtons :

Article premier. Il est institué une commission spécialement chargée d’étudier et d’arrêter le système de défense qui doit le plus efficacement protéger la ville de Marseille et la mettre à l’abri des attaques… »

Parmi les membres de la commission, on trouve Espérandieu, architecte de la ville (on lui doit le Palais Longchamp, Notre-Dame de la Garde, la continuation de la cathédrale La Major, etc).

Selon l’HEM, « cet arrêté qui heureusement ne fut jamais bien pris au sérieux par personne et peut être pas même par celui qui l’avait rédigé et ceux qui l’avaient conseillé, fut assez vertement critiqué surtout par les journaux avancés ».

 

 

COMBIEN DE MARSEILLAIS SONT PARTIS AU COMBAT ?

 

 

Même si la question est en peu en-dehors de notre sujet, force est de se rendre compte de la difficulté d’avoir des chiffres exacts à ce sujet.

Selon une publication officielle du département (préfecture et conseil général réunis) en 2017, « En 1870, la garde nationale mobile des Bouches-du-Rhône forme le 43 ème régiment de Marche. Le 4ème bataillon, fort de 20 officiers et 935 sous-officiers ou gardes mobiles* sollicite, par voie de pétition, son envoi devant l’ennemi.
Il quitte Marseille le 12 octobre1870 et prend part à plusieurs combats dans la 1 ère et la 2 ème armée de la Loire. Le 6 janvier 1871 ayant déjà enregistré de lourdes pertes et réduit à moins de 600 hommes il combat à Azay, à proximité de la route Orléans-Le Mans (…) contre des forces très supérieures en nombre. Au cours de cet engagement, 8 officiers et 348 sous-officiers et gardes mobiles sont tués ou blessés. Au moment de l’armistice, le 28 janvier 1871, cette unité ne dispose plus que
de 240 hommes. En un peu plus de trois mois, ce bataillon a donc
perdu les trois quarts de son effectif. » (http://www.bouches-du-rhone.gouv.fr/content/download/2025/12006/file/La%20guerre%20de%201870-1871.pdf)

 

                                    * Dans le discours prononcé par le Général Thiery (qui commandait à l’époque le bataillon comme lieutenant-colonel), lors de l'inauguration du monument des Mobiles à Marseille le 26 mars 1894, les chiffres diffèrent un peu ; il est indiqué : « …le 4ème bataillon formé à Marseille à l'effectif de 1200 volontaires est parti de cette ville le 12 octobre 1870 ». Après la bataille d’Azay, selon le général, « Les rapports du 4ème bataillon accusent 120 Mobiles tués, blessés ou disparus ; de plus, 4 officiers tués et 4 officiers blessés…. Tels sont les résultats approximatifs matériels de ce combat du 6 janvier 1871. »

 

C’est cette unité qui est mentionnée par l’HEM, qui vante sa « brillante conduite près de Vendôme en même temps que les pertes douloureuses éprouvées par le bataillon qui faisait partie de l’armée de la Loire » et cite le journal Le Peuple qui écrit : « Les mobiles marseillais réduits à 577 combattants soutinrent particulièrement le choc de doux régiments de la garde royale du roi de Prusse et leur firent éprouver des pertes » ; ce journal fournit une liste de victimes et évalue à 250 le nombre de soldats morts, blessés ou prisonniers après cette bataille (le général Thiéry dit 128).

Il est à observer que parti à 1200 (ou 955 ?) le 4ème bataillon est réduit à 577 au moment de la bataille d’Azay, mais rien n’indique que les manquants sont tous morts ou blessés au combat (ou prisonniers). En effet, les pertes par maladie furent, en général, un peu supérieures aux pertes au combat (François Roth, La guerre de 70, 1990*).

                           * Cet auteur note que les pertes de la guerre (50 927 morts, sous réserves, dont plus de la moitié n’ont pas été tués au combat) n’ont rien à voir avec « l’effroyable saignée de la première guerre mondiale ».

 

 

A cette unité qui a demandé à aller au front, s’ajoutent les francs tireurs et corps francs : « Ils participeront, eux aussi, à différents combats, de la Haute Saône au Loiret, de la Côte d’Or en Haute Marne. »

Il est toutefois difficile de savoir si toutes les unités de francs-tireurs constituées sont intégralement parties. 

Enfin, dans l’article de Rémi Dalisson, Mémoire de guerre et nouvelles pratiques culturelles sous la IIIe République : l’exemple du monument aux morts de 1870 à Marseille, Cahiers de la Méditerranée, 86 | 2013, (http://journals.openedition.org/cdlm/6891) on peut lire:

« Si Marseille et le département n’ont pas été directement touchés par le conflit, ils n’en ont pas moins participé aux combats comme les autres départements. Les Bouches-du-Rhône perdirent entre 1 050 et 1 100 hommes sur plus de 30 000 combattants* et ses soldats participèrent à une quarantaine de combats, dont la répression du soulèvement en Algérie où trois bataillons de gardes mobiles provençaux furent envoyés à Constantine. Le département prit part à toutes les formes de combats de la guerre**, via ses bataillons de l’armée régulière (8 914 hommes de la garde mobile), ses bataillons de gardes nationaux (13 290 hommes) et ses francs-tireurs comme les Francs-tireurs provençaux(1 200 hommes à eux seuls), les Francs-tireurs de l’Égalité ou la Guérilla de Marseille qui combattirent dans les Vosges, le Doubs, la Côte-d’Or, la Haute Marne et le Loiret. »

C’est pour rendre hommage à ces combattants que fut édifié le monument “des Mobiles”, en haut de la Canebière, inauguré en 1894, destiné à montrer que « les enfants des Bouches-du-Rhône ne furent pas les derniers à contribuer à la défense de la Patrie … ».

                          * Plutôt que 30 000 combattants, il semblerait plus exact de dire 30 000 mobilisés à titre divers ? Les chiffres cités ne donnent d’ailleurs pas un total de 30 000. Dans l’HEM, on chiffre à 30 000 l’effectif présent à la revue de la Garde nationale du Prado fin septembre 1870 (mais les « mobiles » et futurs « mobilisés » ne seraient qu’une partie de cet effectif ?) et le journal L’Egalité fournit le chiffre de 40 000 de son côté.

                     ** La formule semble impliquer que toutes les unités citées ont combattu, ce qui semble inexact.

 

En fait, si on comprend bien, sur les effectifs de la Garde nationale mobile, 1200 (ou 955) sont partis volontairement et ce sont les seuls à être partis contre les Prussiens; les autres effectifs de la Garde nationale mobile ont été envoyés en Algérie (où certains ont combattu l’insurrection de Kabylie)* ; les gardes nationaux « mobilisés » (affectés au camp de Graveson) ne sont pas partis - du moins pas au combat. Les gardes nationaux sédentaires (plus de 40 ans) sont restés sur place.

Il faut enfin ajouter les effectifs des corps-francs.

                                                                              * Sur ces mobiles provençaux en Algérie, voir les Notes historiques sur le 1er bataillon de la mobile des Bouches-du-Rhône et l’insurrection arabe de 1871, de Charles d’IIle (https://books.google.fr/books id=a74QAQAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false).

L’auteur est un mobilisé des cantons de Trets et Gardanne, probablement de famille aristocratique. Son récit, passablement conservateur, contient des passages savoureux, comme lorsque les mobiles provençaux du 1er bataillon (d’Aix, Salon, Peyrolles etc, mais aussi de « banlieues » de Marseille : la Belle-de-Mai, Sainte-Marguerite…) sont pris pour des Turcs par la population arabe parce qu’ils ne parlent pas français !

 

 

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Le monument des Mobiles de Marseille, en haut de la Canebière, en hommage aux gardes mobiles et francs-tireurs du département. Le monument fut inauguré en 1894 sous la municipalité républicaine socialiste du Dr. Siméon Flaissières, mais fut édifié à la suite d'une souscription  en accord avec la municipalité précédente, républicaine modérée, de Baret. 

Découvrir Marseille

http://parcours.marseille.fr/fo/poi.php?id=135&idpc=7&l=1

 

 

DSCF8151

 Une des inscriptions du monument des Mobiles, dédiée aux unités qui ont combattu "l'insurrection arabe de la province de Constantine".

Marsactu

https://marsactu.fr/agora/des-monuments-qui-temoignent-du-passe-colonial-de-marseille/

 

 

 

 

 

 

LASSITUDE GÉNÉRALE ET DÉBOIRES DU CAMP DE GRAVESON

 

 

L’annonce du bombardement de Paris (décembre 1870) est suivie par une proclamation du préfet dans le style « assez de paroles, aux armes », invitant ceux qui ne sont pas encore appelés à s’engager spontanément. Quelle mère, quelle épouse, voudrait les retenir quand la patrie les appelle ?

Mais selon l’HEM, l’effet fut faible : « notre population … commençait à être blasée sur l’éloquence officielle ».

D’ailleurs « ce sont toujours les mêmes mots sonores, les mêmes phrases creuses, les noms des signataires seuls changent ».

En décembre 1870, le gouvernement décida la suppression des conseils départementaux (élus sous l’Empire et qui ne réunissaient plus) ou les commissions départementales établies après le 4 septembre, et leur remplacement par une nouvelle commission nommée par les préfets. Le préfet Gent nomma en janvier 1871 une nouvelle commission avec des modérés (dont Bory, Ramagni, Brochier, plus à gauche, pour Marseille). Les nommés étaient souvent médecins, avoués, notaires, ou « propriétaires ».

 

Le 4 janvier 1871, le départ des mobilisés pour le fameux camp donne lieu à des manifestations houleuses. Les mobilisés se plaignent que la compagnie des mobiles du Vaucluse (qui sert à la protection de Gent) reste à Marseille alors qu’eux partent ; de plus, les « mobiles » des Bouches-du-Rhône ont été envoyés en Algérie où on les laisse tranquilles*. Gent, qui pendant une demi-heure n’arrive pas à prendre la parole en raison de l’agitation, s’efforce de leur donner des explications. Il conclut pompeusement :

« Pendant que les gardes nationaux mobilisés délivreront la France des envahisseurs, la Garde nationale sédentaire, à la tête de laquelle je serai heureux de me placer, sera là pour défendre la République ».

                                         * Les « mobiles » auraient dû être envoyés au combat avant les « mobilisés ». En fait, il semble que personne n’est allé au combat, du moins contre les Prussiens – car certains « mobiles’ » stationnés en Algérie ont participé à la répression du soulèvement en Kabylie en mars 1871.

 

D’ailleurs ce n’est pas au camp des Alpines que les mobilisés sont dirigés dans l’immédiat, car il n’est pas prêt, mais dans des localités où l’organisation n’est pas meilleure. Par la suite, au camp qui sera connu comme « camp de de Graveson », les mobilisés seront exposés aux intempéries et au mistral, les aménagements du camp seront caractérisés par de nombreuses malfaçons. L’opinion publique marseillaise est informée journellement par les lettres des mobilisés, « témoignant toutes de l’incurie et de l’imprévoyance d’une administration qui proclamait et décrétait sans cesse sans se soucier des effets » de ses décisions, ironise l’HEM.

Selon Pierre Miquel (La Troisième République, 1989), le camp de Graveson sera surnommé le « camp de crevaison » par les mobilisés. Le préfet de la Drôme refuse d’envoyer ses mobilisés dans le « dépotoir marseillais». Rouvier, « vice-président civil du camp », y paradait avec un képi de général, vareuse à sept galons, bottes à l’écuyère…

 

 

PARS POUR LA CORSE, OU LES MÉSAVENTURES DE GUSTAVE NAQUET

 

 

En janvier 1871, on apprit que Gustave Naquet* (directeur du journal de gauche Le Peuple) était nommé préfet en Corse.

                          * Gustave Naquet, démocrate, franc-maçon, combat le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, puis mène une vie de journaliste assez bohême, séjourne en Amérique; il  rencontre une jeune américaine Laura Musgrave (âgée de 15 ans) qui sera sa compagne (mais qu'il n'épouse pas). Revient en France. Rédacteur en chef du journal démocrate marseillais Le Peuple. Après la proclamation de la république (4 septembre 1870), membre de la commission départementale provisoire, puis membre du comité de défense et du comité exécutif de la Ligue du Midi. Selon le Dictionnaire Maitron, Naquet soutint sans y participer directement la Commune révolutionnaire proclamée le 1er novembre 1870 à Marseille (?). Nommé préfet de la Corse en janvier 1871, mal reçu par une partie de la population, il est rapidement mis fin à ses fonctions. Selon le Dictionnaire des préfets, il « combat » la Commune de mars 1871, mais il est brièvement arrêté en mai 1871 pour offense à la morale religieuse, puis condamné à deux ans de prison pour un article hostile au gouvernement sur le traité de paix. S’évade de la maison de santé où il était détenu, se réfugie en Belgique. Grâcié, subit de nouvelles condamnations, mène une existence de journaliste besogneux, brièvement consul à Southampton, meurt en 1889 à Marseille (où il comptait relancer Le Peuple), dans une grande pauvreté. Enterré civilement au milieu d’une grande affluence d’amis politiques.

 

Dans un journal (dont l’HEM ne dit pas le titre), un article assez méchant parut, s’adressant aux Corses :

« Donc le citoyen Naquet, semblable à Ménélas

Part pour la Corse,

Part pour la Corse,*

en qualité de préfet. Messieurs, de grâce (…) Ne laissez même pas le citoyen Naquet débarquer à Ajaccio Il ne vous servirait à rien et il manquerait à notre bonheur. (…) laissez- nous le citoyen Naquet, que nous puissions l’entendre encore qualifier de prussico-clerico-monarchico l’immense majorité du pays qui demande quand finira le Sabbat politique auquel nous sommes soumis… »

L’article, qui, rappelait que Naquet avait toujours vilipendé les Corses, les traitant de mouchards et de policiers, était parsemé d’allusions déplaisantes (dans le style de l’époque**), y compris aux origines juives de Naquet.

                        * Rappel de La Belle Hélène, d’Offenbach où on chante à Ménélas : Pars pour la Crète, Pars pour la Crète, Que rien ne t’arrête.

                      ** La référence à Ménélas, que sa femme trompait, semble évidente.

 

Naquet défie en duel Loret, le directeur du journal qui a publié l’article : le défi se transforme en rixe entre les deux dans un café. Le journal L’Egalité se montre aussi critique pour Naquet, avec des allusions mystérieuses*.

                                * Notons au passage que dans plusieurs récits de seconde main sur la Commune de Marseille, on confond parfois Gustave Naquet et Alfred Naquet, qui fut député républicain socialiste (Vaucluse, Seine), initiateur de la loi sur le divorce (1884) et étroitement associé au mouvement boulangiste. C’est notamment le cas dans le Dictionnaire amoureux de Marseille de l’avocat Paul Lombard.

 

 

L’ARMISTICE DE JANVIER 1871

 

 

Les mobilisés qui ont des motifs d’exemption sont obligés d’aller passer leur conseil de révision au camp de Graveson – cette procédure inutilement pénalisante amène son lot de contestations.

Arrive l’annonce de l’armistice de 24 jours avec les Allemands (28 janvier 1871), qui cause partout des remous et des débats. Jules Favre, qui a signé l’armistice, vient à Bordeaux en parler avec Gambetta qui se déclare en désaccord puis démissionne.

Dans une réunion publique tenue à l’Eldorado de Marseille, les adversaires de l’armistice proposent d’installer une Commune révolutionnaire à la mairie.

Par contre, l’HEM cite un article, probablement d’Aubry dans Le Petit Marseillais, qui exprime les sentiments des partisans de la paix :

«  …si nous devons nous débarrasser de nos ennemis par une paix, signons la vite coûte que coûte, nos sacrifices ne seront ni plus lourds ni plus amers aujourd’hui que dans huit jours.

Chaque vingt quatre heures qui s’écoulent vient nous apporter cette terrible conviction que la guerre est impossible, la paix inévitable ».

Il trouve inepte ceux qui préconisent une guerre de partisans (la guérilla), comme si la France pouvait se comparer géographiquement à l’Espagne ou au Mexique – et les Français à des Espagnols ou des Mexicains*.

                                     * La guérilla espagnole avait tenu en échec les troupes de Napoléon Ier (au prix d’atrocités de part et d'autre, dont Goya a témoigné), la guérilla mexicaine avait fait de même contre les troupes de Napoléon III qui soutenaient l’empereur Maximilien.

 

Des élections sont prévues pour le 8 février 1871 car les Allemands ont souhaité qu’une assemblée nationale élue puisse ratifier les accords de paix.

Gent démissionne, puis retire sa démission. La décision est prise (par Gent ?) que les mobilisés partiront pour Lyon, ce qui se fait avec des désordres, certains mobilisés refusent de monter dans les wagons.

« C’était une singulière idée de faire partir les mobilisés pour Lyon alors que l’armistice était signé et que tout le monde avait la conviction morale que les hostilités ne reprendraient pas », dit l’HEM, qui flaire une manœuvre dans cette décision.

L’arrivée des Marseillais suscite l’ironie chez les Lyonnais. Un journal lyonnais, La Mascarade, écrit :

 « …si nous n’avons pas été vainqueurs, c’est que les Marseillais n’étaient pas là (…) les mobiles des Bouches-du-Rhône se chauffent le ventre au soleil d’Afrique [en Algérie] et leurs mobilisés se dirigent à petites journées vers le camp des Alpines. »

Ce journal imagine les mesures prises à Marseille qui rêvait d’avoir son siège comme Paris :

« Pour parer à toute éventualité d’attaque par mer, le château d’If sera armé d’une douzaine de batterie de 24 sous le commandement d’Edmond Dantès et de l’abbé Faria auxquels la connaissance absolue des lieux donne une compétence extraordinaire. A l’entrée du port de la Joliette on a coulé des chargements de savon et placé des torpilles et des troun de l’air* explosibles qui interceptent tout passage (…). Le port de la Cannebière [le Vieux-Port] se défend tout seul par ses odeurs et ses émanations. Le château impérial [Palais du Pharo], les bains des Catalans et le restaurant de la Réserve [ont été] crénelés et armés de batteries… »

                       * Troun de l’air, ou Tron de l’air (plus courant aujourd’hui), expression provençale (tonnerre de l’air) servant de juron (on trouve aussi Tron de Dieu etc) ; par extension, personne vive et énergique (surtout pour une femme) : c’est un vrai tron de l’air.

 

 

 

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L'hôtel-restaurant  « La  Réserve – Roubion  » ici sur une carte postale des années 1900,  était un des établissements prestigieux de Marseille. Créé dans les années 1860 par le restaurateur Roubion, jusque là installé près du Pharo, sur la Corniche récemment aménagée ; il aurait été l’établissement le plus luxueux que Marseille ait jamais connu. Il doit son nom à une ancienne réserve de crustacés, en contrebas de l'hôtel. Ce dernier était reconnaissable à ses rangées de fenêtres en arc en plein cintre (d'après Petites Balades urbaines), mais cet aménagement n'existait peut-être pas encore au moment où un journal lyonnais imaginait les travaux de défense pour rire de certains lieux célèbres de Marseille. 

http://www.petites-balades-urbaines.com/les-projets-qui-ont-fait-marseille/les-grands-projets-du-xixeme-siecle/sur-les-traces-de-la-balneotherapie-sur-la-corniche/

.

 

 

 

A peu près au même moment eut lieu une catastrophe de chemin de fer à Ollioules- Bandol – elle était liée à la guerre car due à l’explosion d’un wagon de munitions rattaché à un train de voyageurs. Toute la France fut émue « à l’exception bien entendu de la puissante et richissime compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, laquelle d’ailleurs était trop coutumière d’imprudences coupables pour s’émouvoir outre mesure de celle qui venait d’occasionner la mort d’une centaine de voyageurs », commente l’HEM.

 

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 Une affiche préfectorale de l'époque des élections de février 1871. Gambetta fait publier un télégramme de "Bismark" [sic pour Bismarck] qui proteste contre l'exclusion du droit de se porter candidat de nombreuses catégories de citoyens français (en fait il s'agissait des personnes ayant exercé des fonctions sous l'Empire). Gambetta repousse cette "insolente prétention" de s'immiscer dans les élections françaises. Le préfet Gent ajoute : "après une pareille intimation [de Bismarck], l'élection n'est plus un sacrifice, c'est un devoir", pour déjouer "les desseins perfides du barbare qui veut donner des ordres à la France". "Républicains, votons ! Votons tous !" - Marseille, le 4 février 1871, le Préfet muni des pleins pouvoirs administratifs et militaires, Alph. Gent.

Site de vente Vermot et associés.

http://www.vermotetassocies.com/_fr/lot/guerre-de-1870-71-depeche-telegraphique-de-bordeaux-le-4-fevrier-1871-16126426#.XnTjPOTsYqQ

 

 

 

 

LES ÉLECTIONS DE FÉVRIER 1871

 

 

Léo Taxil rapporte, à sa manière (ne pas oublier que quand il publie ses Confessions, il s’est rallié au parti conservateurs et catholique, même si c’est une fumisterie) les manœuvres du préfet pour assurer le succès des candidats gouvernementaux et éviter l’élection des conservateurs : « dans les Bouches-du-Rhône particulièrement, les représentants de l’autorité républicaine le prirent à leur aise, mieux encore que partout ailleurs ». Pourtant, Gent, hostile à la paix (comme Gambetta), avait d’abord fait mine de démissionner* pour ne pas organiser les élections. Taxil rapporte que pendant que Gent trainait les pieds dans les Bouches-du-Rhône, il se portait candidat dans le Vaucluse…

                    * Il annonce qu’il va s’engager dans l’armée. L’HEM ironise sur ce « conscrit de 60 ans », qui reprend vite sa démission.

 

Les élections à l’Assemblée nationale eurent lieu au scrutin de liste avec panachage.

Selon l’HEM, trois listes étaient en présence dans les Bouches-du-Rhône :

 -         La liste du Sémaphore (journal modéré) avec Gambetta, Trochu, Thiers, Charrette, Auguste Casimir-Périer, Grévy, Lanfrey, Eugène Pelletan, Jules Favre, Jules Simon, Dufaure (cette liste associait des républicains modérés, dont plusieurs anciens membres du gouvernement de la défense nationale, au moins un monarchiste déclaré, mais « patriote », le général de Charrette, et Gambetta, républicain radical) ;

-          La liste de la Gazette du Midi (journal conservateur) avec notamment Trochu, Grévy Thiers, Cathelineau, Charette, Chanzy, Casimir-Périer, Lanfrey, de Coriolis (plusieurs monarchistes de tendances diverses associés à des républicains modérés) ;

-          La liste des journaux démocrates L’Egalité et Le Peuple , avec notamment: Gambetta, Rouvier, Ledru-Rollin, Sorbier, Esquiros, Delpech (l’ancien préfet démissionnaire), Eugène Pelletan, Amat…

Léo Taxil, lui, parle d'une liste confectionnée par la préfecture. Mais aucune liste ne pouvait apparaître comme liste officielle – cela aurait trop rappelé les pratiques de l’Empire. Il est probable que la liste centriste avait l’aval de la préfecture.

Comme on l’a souvent dit, dans toute la France les élections furent un plébiscite pour ou contre la poursuite de la guerre. Cela impliquait que les électeurs devaient à peu près savoir comment voteraient les députés qu’ils choisissaient (car vu la brièveté des délais, il n’y eut pas de vraie campagne électorale).

Dans le département, il y eut 75 803 votants sur 140 189 inscrits.

Furent élus, dans l’ordre des suffrages obtenus sur tout le département : Eugène Pelletan (1er avec 65 678 voix, selon l’HEM*), Gambetta (63 976 voix), Thiers (55 428 voix), Trochu, Grévy, Casimir-Périer, Lanfrey, Charette**, Esquiros, (47 950 voix), Ledru Rollin, Amat (ce dernier étant un des rares élus du département à être Marseillais, presque tous les autres étant des plus ou moins grandes célébrités nationales).

                             * Des sources plus récentes (dictionnaire des parlementaires de Robert et Cougny) donnent un total légèrement différent, ainsi que pour plusieurs des élus dont l’HEM donne le résultat (HEM p. 284) mais les différences sont mineures.

                            ** Charette avait été élu sans être candidat. Il démissionna aussitôt.

 

Plusieurs noms étaient communs à toutes les listes. Les électeurs avaient choisi en tête des républicains indiscutables (Pelletan et Gambetta) mais aussi des modérés ou des monarchistes. Les candidats les plus à gauche, Esquiros, Ledru-Rollin, Amat, étaient en queue des élus, la plupart des candidats de la liste « démocrate », n’étaient pas élus.

Il parait excessif de dire comme le site des Amis de la Commune (https://commune1871.org/index.php/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-communes-en-province/594-la-commune-de-marseille-23-mars-4-avril-1871 ) que Marseille élut des députés « résistants ». C’était certes le cas pour Gambetta, mais pas pour Thiers, ni pour Casimir-Périer ou pour Lanfrey, par exemple. Pour Pelletan, élu en tête, il peut y avoir une ambigüité : était-il clair qu’il était pour la paix ? ll était sur la liste des modérés et sur celle des démocrates*.

                                  * Eugène Pelletan s'inscrivit au groupe de l'Union républicaine. Il vota pour les préliminaires de paix et appuya la politique de Thiers ; Auguste Casimir-Périer, orléaniste, puis rallié à la république conservatrice, après avoir voté pour la paix, pour les prières publiques, pour l'abrogation des lois d'exil des familles ayant régné sur la France, « inclina sensiblement vers le centre gauche », ministre de l’intérieur du gouvernement de Thiers fin 1871 -  son fils Jean fut Président de la République; Lanfrey s’était fait connaître comme opposant à Gambetta. Il s'inscrivit au centre gauche et vota avec les républicains conservateurs qui appuyèrent la politique de Thiers (d’après le dictionnaire des parlementaires de Robert et Cougny).

 

 

Il vaut mieux dire avec Léo Taxil que « Les Marseillais s’offrirent une députation des plus panachées ». Il faut tenir compte de plus que les députés étaient élus par l’ensemble du département : les «  campagnes » et les autres villes (Aix, Arles) ont certainement voté dans un sens plus conservateur qu’à Marseille même.

7 élus sur 11, élus dans d’autres départements grâce aux candidatures multiples, choisissaient de siéger au titre d’un autre département, ou démissionnaient, ce qui obligea à des élections complémentaires quelques mois après.

Le préfet Gent est élu dans son département, le Vaucluse, et démissionne de son poste de préfet *.

                                            * L’HEM prétend que Gent se fit élire comme candidat pour la paix. Or le dictionnaire des députés dit qu’il vota à l’Assemblée contre la paix. Avait-il trompé ses électeurs ?

 

« Si en province le parti conservateur eut la victoire, il n’en fut pas de même à Paris où la majorité resta aux républicains radicaux » (HEM).

A Lyon, les mobilisés marseillais prirent part au vote pour l’Assemblée nationale : « les mobilisés, sourds à la douleur de leurs chefs qui voyaient dans la paix la perte de leurs galons, de leurs appointements et de leurs hautes positions, votèrent pour les candidats qui leur offraient plus de garanties pour les renvoyer dans leurs foyers que pour les envoyer devant l’ennemi. En cela, ils firent preuve sinon de bravoure, du moins de sagesse », déclare l’HEM, prenant clairement partie pour la paix (comme sur le moment ses rédacteurs, voir plus loin la citation de l’article d’Aubray).

 

 

  

« MAJORITÉ RURALE… »

 

 

Nous avons laissé Gaston Crémieux à Lyon avec le curieux Mr. Train, vers le début novembre 1870, où selon l’Américain, ils auraient tous deux été mis en prison (sans doute parce qu’ils sont suspects d’avoir été sympathisants de la brève Commune de Marseille). Si ce récit est exact (?), Crémieux ne resta pas longtemps détenu. Selon la notice Wikipedia, fin novembre, Gaston Crémieux prend de nouveau contact avec Adolphe Crémieux, alors ministre de la Justice (et sans doute vaguement son parent) ; celui-ci conseille à l’épouse de Gaston, Noémie, de « calmer » son mari et le propose comme secrétaire général de la préfecture, ce que lui refuse à deux reprises le préfet Gent.

Crémieux est présent à Bordeaux, délégué du journal marseillais L'Egalité, pour l’ouverture de l’Assemblée nationale. Le 13 février 1871, il assiste à la séance de vérification des pouvoirs. 

Le patriote italien Garibaldi, qui s’était mis au service de la république avec sa brigade, a été élu député par plusieurs départements. Selon les témoignages, Garibaldi se présente à l’Assemblée, vêtu d’un poncho, de sa chemise rouge, coiffé d’un feutre tyrolien. Il était accompagné de Victor Hugo et d’Alphonse Esquiros, également députés.

Son habillement provoque déjà l’agacement chez les conservateurs, vêtus bourgeoisement. Garibaldi avait décidé de démissionner, peut-être parce qu’il avait appris que son élection serait invalidée du fait de sa nationalité – mais aussi parce qu’il n’avait pas l’intention de siéger. Après lecture de sa lettre de démission par le président, il demande la parole, ce qui provoque un vrai charivari, avec les cris des adversaires et partisans de Garibaldi (ceux-ci sont surtout dans les tribunes). Garibaldi ne peut pas parler. C’est à ce moment que depuis les tribunes du public, Gaston Crémieux cria: « Majorité rurale, honte de la France » (on discute sur l'expression exacte)*.

                                                      * Lissagaray rapporte ainsi l’expression dans son Histoire de la Commune. Crémieux voulait marquer que les députés conservateurs, qui formaient la majorité de l’Assemblée, étaient en grande partie issus des campagnes. Dans Le Figaro du 17 février 1871, l'intervention de Crémieux est ainsi rapportée :« Majorité rurale, honte de la France, étouffeurs de discussions, vous n’opprimerez point la voix des villes, vous écouterez Garibaldi. » (Blog de Michèle Audin, La Commune de Paris, https://macommunedeparis.com/2021/02/16/16-fevrier-1871-il-y-a-trois-jours-garibaldi-a-demissionne-et-gaston-cremieux-a-invente-le-mot-ruraux/). « Dans une certaine confusion, on entendit les mots : « députés ruraux » et « majorité rurale ». Bien qu'il soit difficile de le prouver de façon absolument  incontestable, cette dernière expression fut bien prononcée, semble-t-il, par le journaliste Gaston Crémieux correspondant de L'Égalité, de Marseille. » (Raymond Huard, article cité plus loin).

 

 « Gravement, calmement, Garibaldi se leva et sortit de la salle. Il descendit l’escalier du théâtre [où siégeait l’Assemblée].

La foule l’acclamait. Les gardes nationaux battirent du tambour et lui présentèrent les armes. Il s’arrêta entre les lignards et les artilleurs et prononça un discours. Il se retira dans son hôtel et, le lendemain, quitta Bordeaux et regagna Caprera. » (Jérôme Grévy, L'invalidation de Garibaldi par l'Assemblée nationale , Parlement[s], Revue d'histoire politique 2011/2 (n° 16) https://www.cairn.info/revue-parlements1-2011-2-page-33.htm

Les mots « rural », « ruraux », furent employés dès lors par beaucoup de journalistes de gauche pour désigner moqueusement les conservateurs ; on trouve « majorité rurale » dans un article de Crémieux dans L’Egalité (Raymond Huard, « Rural ». La promotion d'une épithète et sa signification politique et sociale, des années 1860 aux lendemains de la Commune. Revue d’histoire moderne et contemporaine, Octobre-décembre 1998 https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1998_num_45_4_1936)

 

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Giuseppe Garibaldi en 1866. Il porte sur cette photographie à peu près le même costume que lors de la séance à l'Assemblée nationale de Bordeaux en février 1871, sinon qu'au lieu de son calot, le grand patriote et révolutionnaire italien portait, semble-t-il, un chapeau tyrolien (sans doute à larges bords et non le petit chapeau citadin auquel on pense).

 Wikipedia.

 

 

 

« CAPITULARDS » CONTRE BELLICISTES EN CHAMBRE ?

 

 

Le traité de paix préliminaire est signé le 26 février 1871 et ratifié par l’Assemblée nationale. Cette ratification et plus généralement le résultat des élections a ulcéré la gauche et l’extrême-gauche, qui dénoncent les « capitulards » et les « lâches » qui ont accepté une paix honteuse.

L’HEM reproduit un article, probablement d’Aubrey dans Le Petit Marseillais, publié à l’époque, où il s’en prend aux adversaires de la paix, c’est-à-dire à l’extrême-gauche :

« Avez-vous donc oublié tout ce que ce peuple que vous traitez de lâche a fait d’héroïques efforts, s’est imposé d’extrêmes sacrifices pour soutenir cette lutte disproportionnée qu’un régime maudit a entreprise et que votre aveuglement a continuée ? A qui donc est ce sang dont le sol de la France est encore rouge ? (…) Avec quel argent a-t-on fondu ces canons, acheté ces armes (…), avec quel argent a-t-on rempli les poches de tous ces fournisseurs et de tous ces gens avides de titres et de places ? Pourtant, ces campagnards grossiers, ces travailleurs ignorants, ces bourgeois poltrons et égoïstes que vous méprisez aujourd’hui, vous les flattiez et les exaltiez hier pour qu’ils n’osassent s’apercevoir que vous restiez au coin du feu tandis que vous les poussiez sur les champs de bataille (…) Inclinez-vous donc aujourd’hui devant leur volonté et n’outragez pas ceux qui, sans vous et malgré vous, ont sauvé l’honneur de la France. Ainsi vous pourrez encore nous faire croire que du rôle de républicains, vous ne voulez pas descendre au rôle de factieux. »

A plusieurs reprises, l’HEM a laissé entendre que les adversaires de la paix tenaient surtout à conserver leurs places, leurs appointements : la guerre avait fait d’eux quelque chose, il fallait qu’elle continue. Ce raisonnement (qui vaut notamment pour les républicains de la tendance gambettiste) peut sembler polémique, mais pas plus que celui qui attribue aux partisans de la paix des réactions de peur sociale, préférant la défaite à la révolution en quelque sorte.

Cela vaut la peine de s’y arrêter.

 

 

 

GUERRE ÉTRANGÈRE ET GUERRE SOCIALE

 

 

Il existe une interprétation assez courante (et plutôt politisée) sur les événements qui précédent la Commune, à Paris et dans les villes où un mouvement communaliste a eu lieu. Selon cette interprétation, le « peuple » était partisan de la défense « à tout prix » tandis que les possédants étaient en faveur de la paix. Pourquoi voulaient-ils livrer ainsi, comme on le dit parfois, la France à Bismarck ?

L’explication la plus aisément fournie est que les possédants redoutaient que le peuple, armé (du fait du service dans la garde nationale) et indigné des mauvais résultats de la défense, exige des mesures toujours plus radicales et même entre en révolution, dans le but immédiat de continuer la guerre par des moyens populaires. Les bourgeois ont donc choisi de faire la paix pour éviter la révolution (qui s’est quand même produite avec la Commune – mais a été vaincue).

On va même jusqu’à dire que la présence de l’armée « prussienne » (ou allemande) était souhaitée par les possédants car elle pouvait mater toute tentative de soulèvement populaire.

Cette thèse existait déjà à l’époque dans le dénonciation des « capitulards ». On a vu plus haut que l'HEM cite des discours dans les clubs où on accuse les riches qui « attendent les Prussiens ».

Parmi les auteurs récents qui ont repris cette thèse, on trouve Henri Guillemin, chrétien de gauche :

« Qu'ils soient Allemands ou Français, les gens convenables ont à présent le même adversaire effrayant : la basse plèbe, ces "prolétaires" (…) la populace qui crie "aux armes!" et prétend résister au destin » [et continuer la guerre] (Cette curieuse guerre de 70, extraits choisis, site Les Amis de Henri Guillemin http://www.henriguillemin.org/evenements/extraits-choisis-de-cette-curieuse-guerre-de-70/).

Le raisonnement de Guillemin, au moins dans ce passage, n’implique pas que les possédants redoutaient en premier lieu une révolution, mais qu’ils voulaient en finir avec la guerre, contrairement au « peuple » qui voulait la poursuivre.

Examinons ce raisonnement. D’abord il fait l’impasse sur le fait que le pays, dans son ensemble - et pas seulement les possédants – a voté pour la paix.

L’universitaire François Roth, écrit sur l’esprit général à l’époque: « On est frappé par la profonde aspiration à la paix. »

« La reprise de la guerre était une totale illusion. Ultérieurement, Gambetta a admis que ce n’était pas la solution (…)

Etait-il possible de faire autrement ? Thiers a été suivi, la mort dans l’âme, par l’immense majorité de ses compatriotes. Les accusations d’égoïsme bourgeois qui s’élèveront une centaine d’années après les événements relèvent du phantasme idéologique et servent de défoulement commode » (F. Roth, La Guerre de 70, 1990).

Dès lors, si la majorité de la population a voté pour la paix, opposer ce vote à celui du « peuple » est une formule rhétorique. Certes il y a une différence entre la population rurale et celle des villes, mais pas au point de considérer que l’ensemble du « peuple » (les classes populaires) était en faveur de la poursuite de la guerre.

Les raisons de vouloir mettre fin à la guerre qui sont attribuées aux possédants sont de deux ordres (mais qui  peuvent s’imbriquer) : la guerre est coûteuse (le poids financier repose quand même sur les plus riches) et elle entretient dans les classes populaires une agitation belliciste qui peut déboucher sur un mouvement révolutionnaire. Ce dernier scénario est d’ailleurs celui que préconise Bakounine dans divers textes, dont un manuscrit rédigé à Marseille (après l’échec de la Commune de Lyon), La situation politique en France (octobre 1870) ; cf  Jean-Christophe Angaut , Marx, Bakounine et la guerre franco-allemande, Sens public, http://sens-public.org/article131.html#sdfootnote3sym.*

                                * « Bakounine affirme donc que la révolution sociale qu'il propose comme seul moyen pour parvenir au soulèvement capable de repousser l'envahisseur, que cette révolution sociale n'est pas à redouter, quand bien même elle mènerait à une phase de guerre civile. » (art. cité). Bakounine a préalablement théorisé qu’après la chute de l’Empire napoléonien, la guerre n’est plus une guerre entre Etats, auxquelles les masses peuvent rester indifférentes, mais une guerre d’un Etat (la Prusse) contre un peuple porteur des valeurs révolutionnaires, le peuple français.

 

 

L’accusation de manquer de patriotisme fait partie du dénigrement de l’adversaire ; elle peut donc être purement rhétorique ou partiellement exacte mais même en ce cas, elle peut aussi être retournée contre celui qui la formule.

Il faut donc interroger également le patriotisme des partisans de la poursuite de la guerre.

Or, comme on l’a vu, en ce qui concerne Marseille et sa région, un bon nombre de partisans de la guerre à outrance et de la « levée en masse » sont restés sur place au lieu d’aller au front (ne sont partis que les environ 1000 « mobiles » qui ont demandé à partir en octobre 1870 et sans doute de façon plus variable, les francs-tireurs). L’agitation pro-belliciste des démocrates et républicains avancés ne débouchait pas forcément sur des actes concrets de patriotisme*.

                                           * La situation était différente à Paris où les gardes nationaux étaient au contact avec l’assiégeant et entretenaient le mythe de la « sortie torrentielle » qui devait emporter l’ennemi (mythe qu’on trouve aussi dans les discours à Marseille) et dont les tentatives furent désastreuses. Zola, dans La Débâcle, évoque ainsi l'état d'esprit des Parisiens à la fin du siège:  « Tandis que l’armée, à bout de courage et sentant venir la fin, demandait la paix, la population réclamait encore la sortie en masse, la sortie torrentielle, le peuple entier, les femmes, les enfants eux-mêmes, se ruant sur les Prussiens, en un fleuve débordé qui renverse et emporte tout. »

 

 

Dès lors, on peut conclure que si les bourgeois ont fini par souhaiter la paix (ou l’ont toujours souhaitée ?), leur sentiment était conforme à celui de la plus grande partie de la population. Cette considération n’exclurait pas chez eux une inquiétude (parfaitement logique) devant les risques que l’agitation « populaire » débouche sur une révolution.

Et de l'autre côté, le patriotisme dit « populaire » (en fait, surtout des milieux républicains d’extrême-gauche) visait principalement à maintenir une sorte de position acquise d’opinion dominante et de contrôle urbain, bien plus qu’à exercer une véritable action guerrière, sauf à Paris.

 

 

 

UN NOUVEAU PRÉFET ET FIN DE LA « TORPEUR » ?

 

 

Le 3 mars 1871, arrive à Marseille le nouveau préfet, le contre-amiral Cosnier, qui remplace Gent.

Voici le commentaire, assez désinvolte comme on peut s’y attendre, de Léo Taxil sur la période précédant les événements de la seconde Commune de Marseille, qui vont débuter le 23 mars 1871 :

« En province, les ultra-radicaux commençaient à s’endormir ; le 18 mars* les secoua. Les Marseillais ne devaient pas être les derniers à sortir de leur torpeur.

— Paris a une Commune Révolutionnaire, disait-on ; eh ! pourquoi Marseille n’aurait-elle pas la sienne ? »

                          * Premier jour de la Commune de Paris (avant sa proclamation officielle le 28 mars 1871, après les élections du Conseil de la Commune le 26) : le 18 mars, une partie de la Garde nationale parisienne et de la population entre en insurrection contre la tentative du gouvernement de Thiers de déménager les canons qui étaient aux mains de la Garde nationale à Montmartre et d'autres lieux. Deux généraux sont fusillés par les insurgés, le gouvernement quitte Paris pour Versailles.

 

 

 

 

 

ANNEXE

LAPINS DE GARENNE ET LAPINS DE CHOUX

 

 

De façon assez ironique, les conceptions théoriques d’un Bakounine sur la guerre populaire sont à la fois vérifiées pour une part et contredites pour une autre, et dans tous les cas ramenées à une réalité bien plus prosaïque, par le petit texte d’Alphonse Daudet, La défense de Tarascon (inséré dans les Contes du Lundi).

On y trouve le bellicisme républicain des Tarasconais qui ne se réveille que lorsque la république est proclamée*, leur frénésie de faire partie de groupes de francs-tireurs aux noms grandiloquents, (Frères de la mort... ), les demandes des « mobiles » de partir pour le front, émanant des mêmes qui fournissent des certificats médicaux pour être versés dans la Garde nationale sédentaire (les premiers sont surnommés « lapins de garenne », les seconds étant « lapins de choux », mais « lapins » dans les deux cas comme Daudet le note dans un carnet), le tout culminant dans le punch d’adieu offert par ceux qui ne partent pas à ceux qui partent, alors que personne ne part et que tous le savent bien. Il s’agit bien sûr d’une caricature, mais si le trait est gros, il prend certainement appui sur une réalité.

                                                            * Ce point doit être nuancé : à Marseille, ville républicaine, l’enthousiasme pour la guerre fut immédiat, ce qui surprit Léo Taxil. Lors de la déclaration de guerre, les chefs républicains, eux, manifestèrent contre la guerre, en opposition avec une « base » chauvine. Après le 4 septembre,  l'opposition entre la base et les leaders disparut, tous se rassemblant pour la « défense nationale ».

 

Bien entendu, on objectera que ce texte montre surtout le patriotisme chauvin et superficiel des petits (ou moyens ?) bourgeois  (l’armurier Costecalde, le receveur Pégoulade, etc ), en ignorant le patriotisme du « vrai peuple », que Daudet ne montre pas. Mais en Provence, le patriotisme des classes populaires était-il si différent du patriotisme « petit-bourgeois » ?  On peut penser qu'il ne se distinguait du patriotisme bourgeois que dans la mesure où il servait d’argument contre les possédants, accusés de pactiser avec l’ennemi.

 

Extraits de La défense de Tarascon, d’A. Daudet

 

« … jusqu’à Sedan, nos braves Tarasconais s’étaient tenus chez eux bien tranquilles. Pour ces fiers enfants des Alpilles, ce n’était pas la patrie qui mourait là-haut : c’étaient les soldats de l’empereur, c’était l’Empire. Mais une fois le 4 septembre, la République, Attila campé sous Paris, alors oui ! Tarascon se réveilla et l’on vit ce que c’est qu’une guerre nationale…

(…)

C’est surtout au café de la Comédie, le matin, en déjeunant, qu’il fallait les entendre, ces bouillants Tarasconais :

« Ah çà ! qu’est-ce qu’ils font donc, les Parisiens avec leur tron de Dieu de général Trochu ? Ils n’en finissent pas de sortir… Coquin de bon sort !

Si c’était Tarascon !… Trrr !… Il y a longtemps qu’on l’aurait faite, la trouée ! » Et pendant que Paris s’étranglait avec son pain d’avoine, ces messieurs vous avalaient de succulentes bartavelles arrosées de bon vin des Papes (…)

[Les membres de la garde nationale de « marche » ou mobile, demandent à leur commandant, le « brave général Bravida » (ancien capitaine d’habillement) de « marcher » au front. Celui-ci va à Marseille demander des instructions au préfet]

Dès les premiers mots, le préfet l’interrompit :

« Pardon, général… Comment se fait-il qu’à vous vos soldats vous demandent de partir et qu’à moi ils me demandent de rester ?… Lisez plutôt. »

Et, le sourire aux lèvres, il lui tendit une pétition larmoyante, que deux lapins de garenne — les deux plus enragés pour marcher — venaient d’adresser à la préfecture avec apostilles du médecin, du curé, du notaire, et dans laquelle ils demandaient à passer aux lapins de choux pour cause d’infirmités.

« J’en ai plus de trois cents comme cela, ajouta le préfet, toujours en souriant. Vous comprenez maintenant, général, pourquoi nous ne sommes pas pressés de faire marcher vos hommes. (…). Sur ce, Dieu sauve la République, et bien le bonjour à vos lapins ! »

Pas besoin de dire si le général était penaud en retournant à Tarascon. Mais voici bien une autre histoire. Est-ce qu’en son absence les Tarasconais ne s’étaient pas avisés d’organiser un punch d’adieu par souscription pour les lapins qui allaient partir ! Le brave général Bravida eut beau dire que ce n’était pas la peine, que personne ne partirait, le punch était souscrit, commandé, il ne restait plus qu’à le boire, et c’est ce qu’on fit…

(…)

… à la fin du punch d’adieu tout le monde pleurait, tout le monde s’embrassait, et, ce qu’il y a de plus fort, tout le monde était sincère, même le général !… »

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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