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Le comte Lanza vous salue bien
2 juillet 2021

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES 5 ANTICOLONIALISME, ANTIRACISME

 

 

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES

5

ANTICOLONIALISME, ANTIRACISME

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

CARREFOUR DES CONFORMISMES

 

 

La Commune est devenue un mythe positif : il en résulte que non seulement on approuve ses objectifs (du moins tels qu'on les comprend aujourd'hui) mais plus étonnant, tout ce qui est positivement connoté par notre époque est aussi attribué aux Communards, sans craindre l’anachronisme. On a lu pour le 150 ème anniversaire des titres comme “ les Communards furent les premiers écologistes”...

On crédite aussi les Communards d'avoir été féministes, bien que la Commune n'ait pris effectivement aucune mesure de grande ampleur en faveur des femmes - on cite une mesure d'égalité salariale pour les instituteurs et institutrices et une mesure admettant les compagnes à la pension de veuve des morts au combat;  cela n'empêche pas d'ailleurs que les femmes ont été nombreuses à prendre parti pour la Commune.

En accord avec les théories actuelles sur l’intersectionnalité des luttes, il parait certain aux admirateurs actuels de la Commune que celle-ci et ses partisans étaient autant antiracistes qu’anticolonialistes.

Pourtant rien ne va particulièrement dans ce sens dans les faits historiques, pour une bonne raison : les débats et et les actes de la Commune étaient concentrés sur la possibilité de faire de Paris une ville régie par ses propres règles, ce qui laissait en-dehors des préoccupations des Communards l’existence des colonies et de leurs habitants (colons et colonisés). Mais peu importe, on inventera au besoin ou on comprendra de travers les quelques renseignements d’époque qui évoquent les colonies et les populations non-européennes.

 

 

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 Une femme en uniforme de garde national de la Commune.

Dessin de Daniel Vierge, un artiste d'origine espagnole présent à Paris sous la Commune.

Images d'art. Musée Carnavalet
https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/daniel-vierge_femme-a-l-hotel-de-ville-deuxieme-jour-de-la-commune-1871_aquarelle

 

 

 

LES COMBATTANTS ARABES DE LA COMMUNE, MYTHE OU RÉALITÉ ?

 

 

Depuis quelques années, on évoque ainsi avec complaisance la participation de combattants arabes à la Commune, présentée comme  le « ralliement de soldats issus des troupes coloniales à la Garde nationale  ». L’idée est évidemment de montrer que les représentants des populations dominées ont soutenu le programme émancipateur de la Commune.

On rappelle ainsi que « les quatre régiments de Zouaves avaient été dissous après la défaite de Sedan » et on indique que la Commune avait décidé de les reconstituer (article de l’Institut du monde arabe, https://www.imarabe.org/fr/actualites/bibliotheque/2021/l-insurrection-algerienne-et-la-commune-de-paris-deux-insurrections-en).

L’Institut du monde arabe semble ignorer qu’ à la date de la Commune, les régiments de zouaves éaient composés exclusivement (ou quasi exclusivement) d’Européens. D’où sort cette histoire de Zouaves de la Commune* – ou plus exactement, de la République ?

                                                                         * Nous mettons une minuscule pour parler des soldats, une majuscule quand c'est le nom de l'unité. Pareil pour les turcos plus loin. Mais l'usage peut être différent dans les citations.

 

D’une affiche datée du 19 mai 1871, où un certain commandant Lecaudey invite les hommes de coeur à rejoindre l’unité de Zouaves, dits de la République, en formation (le texte est aussi publié au Journal Officiel de la Commune). L’affiche précise que « Les hommes inscrits à l’avance faisaient tous partie des anciennes compagnies de francs-tireurs » et invite particulièrement les « enfants de la Commune de Lyon » à rejoindre la future unité (il fallait déjà arriver dans Paris assiégé ?). Il est ajouté que les zouaves (dont l’effectif est limité à 500 hommes) auront la même solde que la Garde nationale.

En tous cas, il ne s'agit nullement de reconstitution des régiments de l’armée régulière, mais d’une unité de volontaires habillés en zouaves, tenue qui était devenue populaire : il y avait des zouaves partout : aux USA pendant la guerre de Sécession;  les zouaves pontificaux qui avaient défendu le pouvoir temporel de la Papauté jusqu’en 1870  étaient bien connus*.

                                                 * En 1870, profitant de ce que les troupes françaises qui protégeaient le pape avaient quitté Rome pour participer à la guerre contre la Prusse, les troupes du jeune royaume d’Italie occupèrent sans beaucoup  de difficultés Rome, balayant la faible défense des troupes pontificales, dont les zouaves.

 

 

 

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Non, ce ne sont pas des zouaves de la Commune mais des zouaves pontificaux, volontaires au service du pape, qui exerçait encore une puissance temporelle sur la région romaine, ultime obstacle avant l'unification complète de l'Italie. Sur ordre du roi Victor-Emmanuel, les troupes du  général Cadorna entrèrent dans Rome le 20 septembre 1870 et occupèrent la ville après de courts combats. Tandis que le pape se considérait comme prisonnier dans son palais du Vatican, la population romaine approuva par référendum son intégration dans le royaume d'Italie.

Site Vendéens et Chouans.

 http://www.vendeensetchouans.com/archives/2016/12/21/34714103.html

 

 

 

Il est probable, compte-tenu de la date tardive de l’affiche de recrutement, que l’unité des Zouaves de la République resta à l’état de projet ?*

                                                * Quel aurait dû être le rattachement de ces Zouaves par rapport à la Garde nationale ?  Voir plus loin ce qu’on dit des corps-francs ou unités de francs-tireurs.

 

Lecaudey, commandant sur le papier des Zouaves, qui était aussi “fleuriste-feuillagiste”, sera acquitté en 1873 après un premier procès par contumace (Dict. Maitron).

Même sans faire partie des Zouaves de Lecaudey, il y avait des zouaves dans les unités de la Commune : un dessin de Bertall (dans sa série “Types de Communeux"), représente un zouave, pipe à la bouche, d'allure peu militaire (est-ce un volontaire habillé en zouave ou un soldat démobilisé rallié à la Commune ? )

 

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 Affiche de constitution des Zouaves de la République, dans le cadre des troupes de la Commune.

 Site de ventes Gensdeconfiance.com

 

 

 

« IL S’APPELAIT KADOUR.... »

 

 

L’unité formée par Lecaudey (qui n’eut sans doute pas le temps d’avoir une existence réelle) ne doit pas être confondue avec les Turcos de la Commune.

Les turcos ou tirailleurs algériens étaient bien des unités “indigènes” de l’armée régulière. Il est tout-à-fait probable que quelques éléments de ces unités avaient rejoint la Commune. On connait la nouvelle d’Alphonse Daudet (qui donne des boutons à certains), Le Turco de la Commune*, où on présente un brave type (“C’était un petit timbalier de tirailleurs indigènes. Il s'appelait Kadour, venait de la tribu du Djendel”) qui se retrouve isolé dans le Paris communard et rejoint les troupes de la Commune en quelque sorte sans rien comprendre. Quand les soldats gouvernementaux entrent dans Paris, il tire sur eux, croyant qu’il s’agit des Prussiens, puis il reconnait avec joie en eux des camarades des régiments réguliers. Mais on le prend pour un insurgé (ce qu’il était sans le savoir) et il est fusillé séance tenante (les exécutions sommaires étaient connues même des écrivains conservateurs !).

                                                              * Cette nouvelle fait partie des Contes du Lundi, un recueil dans lequel Daudet évoque notamment des personnages et situations de la guerre de 1870 et de la Commune, dans un esprit à la fois patriotique et très critique envers les Communards.

 

 

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Soldat indigène au service de la Commune, portant le drapeau rouge (titre original : Nègre porte-drapeau en costume de zouave, 1871). Malgré le titre, on peut se demander s'il s'agit d'un costume de zouave ou de turco.

Dessin de Daniel Vierge. Musée Carnavalet. https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/types-de-communard-negre-porte-drapeau-en-costume-de-zouave-1871. Pour la reproduction ci-dessus, Pinterest.

 

 

 

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 Costume de tirailleur algérien ou "turco". Image probablement de la fin du 19ème siècle. Les costumes des zouaves et des turcos étaient très proches, mais, comme on voit sur cette image, il semble que les turcos portaient réglementairement un turban autour de leur chéchia. Quant aux zouaves, leur recrutement était devenu essentiellement  européen et ils portaient souvent le képi (comme les zouaves pontificaux de la photo plus haut) et non la chéchia.

Vente e-bay.

 

 

 

Maxime Du Camp (une référence qui donne autant de boutons que Daudet à certains) cite un turco qui servait d’ordonnance au général de la Commune Bergeret, de sorte que le général Eudes voulut aussi son ordonnance “indigène” et trouva un spahi : « Ce spahi appartenait au détachement venu d'Algérie, qui arriva précisément le 4 septembre [1870]. Eudes en fit son ordonnance favorite, et, dans les dernières convulsions de la Commune, son homme de confiance, ainsi que nous aurons à le raconter; on ne savait, ou l'on ne pouvait prononcer son nom, et on l'appelait Nègre ».

On peut faire ce qu’on veut de cette citation*.

                                             * Maxime Du Camp, Les Convulsions de Paris, épisodes de la Commune, 1879-1880 (1ère édition ?). Gallica et Wikisource. 

 

Il ressort aussi bien du récit de Daudet que de ce que raconte Du Camp, que les soldats "indigènes"  étaient  suffisamment rares pour être recherchés comme ordonnances par les chefs militaires de la Commune (si nous acceptons les témoignages de ces auteurs). On peut aussi citer le turco Mohammed ben Ali, ordonnance de Maxime Lisbonne, lieutenant-colonel de la Commune*.

                                                         * Mohammed ben Ali avait été blessé lors du siège de Paris par les Prussiens. Lisbonne avait été son officier à ce moment. Au moment où débuta la Commune, le turco sortait de l'hôpital. Lisbonne proposa de lui payer le voyage de retour en Algérie mais Mohammed préféra rester auprès de son ancien supérieur.

 

Les “indigènes” dans le camp communard étaient probablement peu nombreux, probablement des isolés ou des petits groupes abandonnés à leur sort la suite des événements – mais combien ?

Il y a eu une unité dénommée le bataillon des Défenseurs de la République, dits « Turcos de la Commune » : elle faisait partie des trois unités de la Garde nationale qui incorporaient massivement des enfants ou adolescents (encadrés par des adultes), avec le bataillon des Pupilles et le bataillon des Vengeurs de Flourens.  Sur les turcos, un auteur écrit que son commandant Wolff « sera tué au combat, sans qu'on sache où ni comment. Nous n'avons quasiment rien retrouvé sur cette unité qui semble avoir donné des sueurs froides aux militaires [de Versailles] qui recherchent en priorité les enfants et les adolescents ayant combattu dans ses rangs » (Thomas André, Les enfants perdus de la Commune, Cultures & Conflits, 1995, https://doi.org/10.4000/conflits.449)

 Pour cet auteur, les unités précitées font partie de la Garde nationale. Mais on considère généralement Les Vengeurs de Flourens comme un corps-franc (ou de francs-tireurs), c-à-d, sauf erreur, en-dehors de la Garde nationale (qui est recrutée sur une base territoriale et de façon obligatoire pour les hommes entre tel et tel âge). Les unités de francs-tireurs (formées pendant la guerre de 1870-71) avaient existé un peu partout en France. « Ces unités disparaîtront aussi vite qu’elles s’étaient créées. Certaines, essentiellement celles restées à Paris, prendront part à la Commune dans le camp des fédérés » (site du Ministère de la défense). Des unités supplémentaires comme les Vengeurs de Flourens, s’y sont ajoutées.

 

 

Quel était le lien entre ces unités de francs-tireurs et la Garde nationale ? Théoriquement, celle-ci aurait dû être la seule force militaire à Paris; le général Cluseret a accusé Delescluze d’avoir encouragé l’existence de formations parallèles (peut-être pour se soustraire à l'influence du Comité central de la Garde nationale ?). Lissagaray a également écrit : « Au lieu de provoquer à grands frais la création de corps francs, tels que Les Vengeurs, les Zouaves, Les Enfants de Paris, Les Enfants perdus, les cavaliers, les garibaldiens (il y en [a] plus de 32 comprenant environ 10 000 hommes) et d’éparpiller des efforts précieux, on aurait dû refondre toutes les activités particulières  dans une organisation uniforme .»

Les historiens pourraient réfléchir à cette question.

 

 

 

LES TURCOS DE LA COMMUNE

 

 

Or, on sait que Victorine Brocher (Rouchy à l’époque) et son mari « s'engagent dans le bataillon des Défenseurs de la République, dits turcos de la Commune, comme cantiniers » (Wikipedia).

Le Dictionnaire Maitron indique que le bataillon des Turcos était commandé par Léon Edouard Naze* ; parmi les combattants figuraient Berjaud, Devrigny, Fabre, Lantara, Laurent, Le Toux (et non Letoux), Martin, Marseille, Ménard, Napied, Sébire.

                                                       * Lithographe, adhérent - semble-t-il - de l’Internationale. Réfugié à Londres après la Commune, condamné par contumace à la déportation en 1873, grâcié en 1879.

 

Victorine Brocher écrit : « Nous avions alors comme chefs le commandant Naze et les capitaines Martin, Letoux et plusieurs autres officiers et sous-officiers.

Notre bataillon n'était encore ni organisé, ni habillé, ni équipé, ni armé; parmi nous il y avait des zouaves, des spahis, des turcos ; j'avais dans mon service un nègre*, il était très bon garçon. »

                                                                                   * Est-il besoin de préciser que le mot n'a ici aucune valeur péjorative ?

 

Comme on l’a dit, les zouaves avaient un recrutement européen – mais ce n’était pas le cas pour les spahis et les turcos, qui étaient des indigènes, sauf les cadres supérieurs. Victorine n’explique pas d’où provenaient ces recrues, qui étaient sans doute des soldats isolés des unités régulières, ralliés à la Commune, soit par sympathie, soit pour de simples raisons de subsistance. 

 Une gravure montre les Spahis de l’armée de Paris durant le siège de 1870-71 – donc avant la Commune

 

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Spahis faisant partie de l'armée régulière, à Paris durant la guerre franco-prussienne et le siège de la capitale en 1870-71.

Site Paris-Musées, musée Carnavalet. https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/le-siege-de-paris-les-spahis-de-l-armee-de-paris

 

 

 

Selon Victorine Brocher : « Les défenseurs de la République avaient des tuniques bleu clair, un pantalon large de même couleur avec molletières, mais moins large que ceux des Zouaves, les officiers avaient des tuniques avec revers à la Robespierre, sabre au côté et képi rouge avec galons dorés, trois, quatre ou cinq selon le grade. Le costume ne manquait pas d'élégance et il était pratique. Moi, j'avais le costume de drap fin, bleu clair, jupe courte, à mi-jambe, (car on ne peut aller au combat avec des jupes longues, c'est absolument impossible, on ne pourrait pas se mouvoir), corsage ajusté avec revers à la Robespierre, un chapeau mou tyrolien et une écharpe rouge en soie, avec franges dorées en sautoir, un brassard de la convention des ambulances. »

(Victorine Brocher, Souvenirs d’une morte vivante, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97623796.texteImage)

 

Victorine raconte qu’elle a cousu « vite fait » les galons de Naze quand il prit son commandement.

Curieusement, Victorine Brocher ne mentionne pas (sauf erreur) le surnom de Turcos de la Commune pour son bataillon. De plus, elle évoque le seul commandant Naze et jamais Wolff.

Aurait-on confondu à tort les Défenseurs de la république et les Turcos de la Commune ? Questions pour spécialistes …

 

 

Les sites militants font un sort à un soi-disant « Père Trankil » un Kabyle rallié la Commune – il semble même que dans un quartier du Paris « populaire » (mais néanmoins bobo), une peinture de streetart le représente (existe-t-elle toujours ?) : costaud, croisant les bras et coiffé d’une sorte de chéchia, mais ce portrait semble celui du Communard Huet, natif de Normandie, qu'on trouve sur le Maitron… Et on présente invariablement le père Trankil accueillant avec joie la nouvelle du ralliement à la Commune de l’Algérie – qui comme on va le voir, était le ralliement à la Commune de quelques colons d’Algérie présents à Paris et certainement pas de la population autochtone.

Mais les militants aiment ces récits dans le style des belles histoires de l’oncle Paul dans le journal Spirou des années 50-60…

 

 

LA COMMUNE D’ALGER

 

 

Il y a deux autres chapitres du rapprochement voulu entre la Commune et l’anticolonialisme : la Commune d’Alger et la révolte de la Kabylie.

En Algérie, ls colons avaient depuis longtemps contesté l’administration militaire (les « bureaux arabes ») qui avait la direction des affaires locales et qui était notamment accusée d’être trop favorable aux indigènes. Dès avant la chute du Second empire, ils avaient obtenu que l’autorité dans la colonie soit remise au pouvoir civil – mais la décision tardait à s’appliquer. La chute du Second empire et la proclamation de la République leur donnaient l’occasion d’aller plus loin et d’envisager le gouvernement de la colonie par les colons eux-mêmes, et non par des administrateurs nommés par la métropole (on parle alors du self-government pour l’Algérie, comme dans les colonies blanches anglaises).

« … l'autorité française en Algérie croule de toutes parts. A Alger a éclaté une insurrection des civils contre les militaires. C'est ce qu'on appelle la Commune d'Alger, qui n'a rien de commun avec celle de Paris, bien que certains insurgés de cette révolte antérieure, ardents, aient combattu plus tard dans les rangs de nos communards. Il s'agit en Algérie d'un mouvement des Européens qui réclament une administration purement civile, dont ils seront les maîtres et qui fera peser sur les indigènes la domination la plus dure. » (Marcel Émerit, La question algérienne en 1871, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1972, https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1972_num_19_2_2203).

La fameuse Commune d’Alger est donc une suite de troubles qui mettent aux prises les administrateurs métropolitains et la « base » des colons, souvent modestes, et persuadés qu’ils ont vocation à faire main basse sur les terres des indigènes, qui selon eux, ont jusque là été exagérément protégés par l’administration militaire.

Benoît Romuald  Vuillermoz*, un avocat, ancien proscrit du 2 décembre 1851, est élu (ou proclamé ?) maire d’Alger au 4 septembre 1870. Il prend le titre de commissaire extraordinaire, parle de constitution fédérale, tandis que d’autres imaginent que l’Algérie pourrait demander son rattachement à l’Angleterre ou à l’Espagne. Les agitateurs et la foule des colons d’Alger oblige successivement les administrateurs militaires ou civils qui lui déplaisent à se rembarquer.

                                                         * Vuillermoz sera élu député en juillet 1871 aux élections complémentaires - et ne fera pas beaucoup parler de lui avant de démissionner…

 

Evidemment, comme le mouvement communaliste est fort à Alger, les autres villes, Constantine et Bône, restent plutôt en retrait, ne se souciant pas d’appuyer Alger.

 

 

ADVERSAIRES ET PARTISANS DE LA COMMUNE D’ALGER À VERSAILLES ET À PARIS

 

 

Lors de la proclamation de la Commune de Paris, quelques uns des agitateurs algérois se rallient à la Commune de Paris (agissaient-ils en accord avec Vuillermoz ? - question pour les spécialistes). Or ceux qui publient au Journal officiel de la Commune le 28 mars 1871, un acte d’adhésion à la Commune de Paris, sous la signature des « délégués de l’Algérie », Alexandre Lambert*, Lucien Rabuel, Louis Calvinhac, sont présents à Paris (puisque leur proclamation est datée de Paris) ; dès lors, quelle est leur représentativité réelle sur le terrain ? On remarquera que leur déclaration se place dans la perspective autonomiste qui est celle de la Commune de Paris (du moins dans les principes) :

« L’Algérie tout entière revendique les libertés communales.

Opprimés pendant quarante années par la double centralisation de l’armée et de l’administration, la colonie a compris depuis longtemps que l’affranchissement complet de la Commune est le seul moyen pour elle d’arriver à la liberté et à la prospérité. »

 

                                                          * Il doit s’agir d’Alexandre Lambert, républicain de Châteauroux, assigné à résidence en Algérie après le coup d'état du 2 décembre 1851. Selon le Dict. Maitron, « Il y a probablement identité avec l’Alexandre Lambert, figure du mouvement algérois, qui fut envoyé en 1871 comme délégué de l’association républicaine d’Alger à Paris. Là, il devint délégué de l’Algérie auprès de la Commune, au sein d’un improbable « comité de sûreté générale et de l’intérieur, département de l’Algérie et des colonies, place Beauvau », puis « chef de bureau au ministère de l’intérieur (presse) ». Il fut tué au cours de l’investissement de la capitale. » (Voir aussi la page http://www.mauricemauviel.eu/wa_files/Notice_20sur_20Lambert.pdf).  Ne pas le confondre avec Alexis Lambert, journaliste républicain en Algérie, opposé à l’administration militaire, préfet de Bône, préfet d’Oran en 1870-71, Commissaire extraordinaire de la République en Algérie, en février-avril 1871, député d’Oran à l’Assemblée nationale en juillet 1871.

 

Cette parution entraine la réponse d’un député de l’Algérie à l’Assemblée nationale (à Versailles), Marcel Lucet (ancien préfet de Constantine)*, dans  le journal Le Temps du 2 avril 1871 ; il conteste la représentativité des trois délégués de l’Algérie qui sont «  simplement les délégués d'une société politique de la ville d'Alger, dite Association républicaine ». Lucet proteste  « tant en mon nom qu'en celui de mes concitoyens, qui m'ont honoré de leurs suffrages, contre toute idée d'adhésion au Comité central que ces messieurs appellent Commune de Paris, dont les actes criminels ont mis le comble aux malheurs de la France », tout en se déclarant attaché « autant que qui que ce soit », aux  franchises communales et partisan d’une «  large décentralisation administrative », mais sans empiéter sur ce qu’il appelle « le politique » (comprendre les compétences de l’Etat)..(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k224612x.texte)

 

                                                * Lucet était aussi un républicain exilé après le coup d'état du 2 décembre 1851, fixé en Algérie. Nommé préfet de Constantine en septembre 1870, député de Constantine de 1871 à 1876, sénateur de Constantine de 1876 à 1883, siégeant au groupe de la Gauche républicaine.

 

Lambert réagit alors  au Journal Officiel de la Commune en rappelant que Lucet « a abusé de ses fonctions de préfet pour se faire élire », qu’il a été élu « grâce à la frauduleuse complicité du grand rabbin de Constantine », et affirme que l’Association républicaine a le soutien de « la grande majorité de la population coloniale » et que la « Délégation de l’Algérie » auprès de la Commune de Paris, qui est son émanation, a « bien le droit de parler au nom de toute la population algérienne* qui veut la fédération et l’autonomie communales » (3 avril 1871).

                                                                                               * A l'époque, il semble que les termes "population algérienne" visent les colons et non les indigènes.

 

On peut dire que la « Commune d’Alger » et ses représentants (plus ou moins accrédités ?) à Paris avaient seulement en vue la liberté et la prospérité de l’Algérie des colons grâce à un régime d’autonomie ou fédéral.

 

 

LA RÉVOLTE DE MOKRANI OU RÉVOLTE DE LA KABYLIE

 

 

On va d’ailleurs le vérifier avec l’épisode de l’insurrection ou révolte de la Kabylie qui se place en gros à la même époque que la Commune de Paris.

Bien que les deux événements n’aient aucun lien organique, certains parlent d’une « Commune kabyle (ce n’est qu’une expression) ou signalent que dès qu’on est au courant en Algérie de la Commune de Paris, l’insurrection éclate en Kabylie, comme s’il y avait une relation de cause à effet entre les deux événements – au mieux on peut penser que les insurgés algériens ont profité des ennuis du gouvernement français, mais ce n’est même pas exact car l’insurrection kabyle, d’ailleurs précédée par de nombreux incidents, éclate trois jours avant le 18 mars, début de l’insurrection parisienne.

Après la proclamation de la République (4 septembre 1870) une période d’agitation s’est ouverte dans la population autochtone. Un historien de la fin du 19ème siècle écrit que pour les musulmans « un peuple s’incarne dans le sultan que la volonté d’Allah a mis à sa tête ; l’Empereur vaincu et prisonnier, c’était, pour eux, l’anéantissement de la France ». Ce qui se passait en France et en Algérie leur démontrait que l’autorité avait disparu : « Les moins malveillants des indigènes disaient, alors, que nous étions tous devenus fous ». « Le délire de la fièvre révolutionnaire s’empara, à Alger et à Constantine, de quelques énergumènes [parmi la population coloniale] qui, malgré les efforts des officiers et des gens de cœur comme les Warnier, les Lucet et autres, donnèrent aux indigènes stupéfaits le spectacle inouï de chefs et de fonctionnaires français méconnus, injuriés, arrêtés ou expulsés. » (Louis Rinn, Histoire de l'insurrection de 1871 en Algérie, 1891, www.miages-djebels.org/IMG/pdf/Insurrection_1871a.pdf), https://www.miages-djebels.org/IMG/pdf/Insurrection_1871a.pdf)*.

                                                             * Louis Rinn avait été officier des bureaux arabes. Il porte sur l’insurrection le point de vue des militaires, qui mettent en cause la désorganisation et l’incompétence de l’administration civile dans la genèse de la révolte.

 

Le bachaga Mokrani (ou Moqrani)* était un puissant féodal, mais son statut avait baissé d’un rang au moins lorsqu’il avait perdu son titre de khalifa pour devenir bachaga (ce qui en faisait une sorte de gouverneur payé par l’administration française). Néanmoins, il avait de bonnes relations avec les militaires en Algérie et se considérait comme vassal de l’empereur (il avait été reçu à Compiègne par Napoléon III) ; pour lui les militaires protégeaient, plus ou moins, les populations et surtout ses possessions, contre la rapacité des colons. 

                                                             * Le cheikh Mohammed el-Hadj el-Mokrani (1815-1871), khalifa, puis bachaga de la Medjana, et son frère Bou-Mezrag el-Mokrani, seront les chefs de l’insurrection kabyle.

 

 

 

BNF Chasse à courre donnée en l'honneur des Chefs arabes (Forêt de Compiègne) le 29 Novembre estampe 1862

Chasse à courre en forêt de Compiègne, en l'honneur des chefs arabes reçus par l'empereur Napoléon III, gravure extraite du Monde Illustré n°296 du 13/12/1862. Le pied du cerf est offert en geste d'hommage aux chefs arabes, en présence de l’impératrice. L’empereur s’est retiré avant la fin de la chasse. Mokrani est probablement le cavalier à gauche (indications sur l'étude de Jacques Olivier, Le bachagha Mohammed-el-Moqrani, Centre de documentation historique sur l’Algérie, Club Kabylie, 2013, http://cdha.fr/sites/default/files/kcfinder/files/Club_Kabylie/Le_bachagha_Mokrani_JO_250214.pdf).

Pour l'illustration : Site Mémoire des équipages, La vénerie impériale https://memoiredesequipages.fr/fiche/1669/2/44




 

Pour Mokrani, se retrouver subordonné à des civils était pour lui une humiliation : «  L’instauration du régime civil représentait pour Mokrani une véritable catastrophe non seulement parce qu’il se sentait menacé par l’expansion prévisible de la colonisation, mais aussi parce qu’il craignait un régime dans lequel l’aristocratie ne semblait pas avoir de place » (X. Yacono,  Kabylie : L'insurrection de 1871, in Encyclopédie berbère , 2004, https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.1410

Louis Rinn prête ces paroles à Mokrani : « Ce gouvernement [la République] pourra donner aux masses indigènes, dans une très large mesure, la sécurité, le bien-être et la paix, mais jamais il ne nous donnera la Heurma (c’est-à-dire les honneurs, le prestige et les faveurs). Nous autres, représentants des grandes familles, nous sommes, de par la volonté de Dieu, nés pour commander, faire la guerre et vivre respectés et honorés, comme l’ont été nos nobles ancêtres ; il est de notre dignité de rester étrangers à tout travail et à tout commerce. »

 

 

 

« SI VOUS ETIEZ GOUVERNÉS PAR UN HOMME DE RACE… »

 

 

Tous les récits d’époque attribuent à Mokrani des paroles et des lettres dans lesquelles il exprime (avec regret et modération) son peu d’estime pour le nouveau gouvernement français et son dégoût de la sorte d’anarchie qui semble régner en France et dans l’Algérie coloniale : « Si vous étiez gouvernés par un homme de race, je n’hésiterais pas : j’irais moi-même, de ma personne, lui livrer ma tête et me mettre à sa disposition; mais le général Lallemand n’est pas gouverneur de l’Algérie : il n’est pas seul à Alger ! »

Il semble que Mokrani, fidèle à ses engagements préalables, a attendu que la France soit en paix pour donner le signal de l’insurrection*.

                                          * Lors de la guerre de 1870 lui et d’autres chefs avaient signé une déclaration pour encourager les autochtones à s’engager dans l’armée française.

 

On a longuement discuté de l’effet sur l’insurrection du décret Crémieux accordant la nationalité française aux Juifs d’Algérie – pour conclure qu’il n’avait pas joué un grand rôle dans le mécontentement de la population arabe et kabyle - certainement pas un rôle moteur, malgré de célèbres propos de Mokrani comme quoi il n’obéirait jamais à des Juifs*, ni à des mercantis**.

                                             * Allusion notamment au fait qu’ Adolphe Crémieux était ministre de la Justice.

                                           ** Mercanti, marchand (souvent dépréciatif), terme utilsé fréquemment en Orient.

 

Le 15 mars (trois jours avant les événements parisiens), Mokrani avertit par lettres ses correspondants de l’armée française qu’il entre en insurrection: «  Je m’apprête à vous combattre ; que chacun aujourd’hui prenne son fusil !Transmettez vite, je vous prie, à monsieur le général Augeraud, la lettre que je vous envoie à son adresse. Restez avec le bien, et que le salut de Dieu soit sur vous ! » Ces deux lettres écrites, le bachagha fit couper le télégraphe, que tant de fois il avait fait réparer depuis trois mois [depuis le début de l’agitation contre la présence française], puis il envoya des émissaires dans diverses directions. » (Louis Rinn, Histoire de l'insurrection de 1871 en Algérie).

 

 

Mokrani, appuyé par ses parents et vassaux, fit alliance avec le grand maître de la confrérie religieuse des Rhamanya, Cheik El Haddad, qui proclama la guerre sainte le 8 avril et nomma son fils Aziz pour diriger la lutte au nom de la confrérie. 

Une partie de la population fut sensible aux appels à la guerre, dont un paysan (après la fin de l’insurrection) rapporte le style :

« Quel bien peut-on espérer d'un gouvernement semblable ; ce n'est plus qu'un corps sans tête. Je fais appel à toi, au nom de la justice divine, viens à notre aide et Dieu donnera la victoire à la cause de la religion de Mohamed. Il vaut bien mieux pour nous mourir que vivre avec de tels fauteurs de désordres qui ont renversé le gouvernement. C'est ce qui est cause de la ruine des Français ; c'est le manque d'obéissance » (cité par Richard. Ayoun, Le décret Crémieux et l'insurrection de 1871 en Algérie. Revue d’histoire moderne et contemporaine,1988, www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1988_num_35_1_1439).

 

Les insurgés d’Algérie ont-ils eu connaissance de la Commune ? Si oui, elle a du leur apparaître comme un nouvel exemple de l’anarchie française.

Jusqu’au bout, Mokrani resta à sa manière fidèle à une France qui n’existait plus : « En pleine révolte, on l'entendra murmurer : « Si le grand sultan [Napoléon III] revenait, il verrait que je suis meilleur que les autres. » (Pierre Darmon , La révolte du bachaga Mokrani, L’Histoire, 2012 www.lhistoire.fr/la-r%C3%A9volte-du-bachaga-mokrani).

Il n’est pas question de résumer ici l’insurrection qui toucha la Kabylie et une partie du Constantinois et environ un tiers des habitants autochtones de l’Algérie.

On peut citer X. Yacono : « La majeure partie de l’Algérie refusa de suivre le mouvement et les Indigènes [sic] restés fidèles prirent une part importante à la lutte contre les insurgés. Si ceux-ci totalisèrent 200 000 combattants beaucoup n’étaient certainement pas armés de fusils et, pour l’emporter, la France ne fit intervenir dans ses colonnes que 22 000 hommes y compris les troupes régulières indigènes. Si on dénombra plus de 340 combats, du côté français on enregistra 2 686 décès dont plus de la moitié imputables aux maladies. Les pertes civiles s’élevèrent à une centaine d’hommes chez les Européens mais ne peuvent être précisées pour les Indigènes. » (art. cité)

Il est indiqué qu’à un moment, Mokrani souhaita négocier - de fait il n’avait peut-être jamais voulu rompre complètement avec la France, mais Thiers refusa toute négociation, une attitude rigide comparable à celle qu’il adopta envers la Commune. Les insurgés essayèrent de gagner un appui international en écrivant à la reine d'Angleterre en lui demandant l'envoi d'une escadre, ainsi qu'au Sultan de l'empire ottoman (ce dernier étant l'ancien suzerain de l'Algérie avant l'annexion française).

L’insurrection mit pratiquement fin à l’agitation politique chez les colons d’Algérie qui firent bloc derrière l’armée*, qui dut reconstituer ses effectifs car l’essentiel des forces avait été transféré en métropole pour les besoins de la guerre contre la Prusse.

                                                                                   * Les colons, formés en milices, paniqués, se livrèrent à des violences injustifiées qui à leur tour en entrainèrent d’autres. Mokrani parait avoir toujours souhaité la modération.

 

Le 5 mai, Mokrani est tué lors d’une escarmouche à Ouled-Souffla. Dès lors, la direction de la révolte passe à son frère Bou Mezrag, mais l’insurrection reflue et les tribus se soumettent l’une après l’autre. En janvier 1872, elle est pratiquement terminée.

La répression prendra un double aspect : judiciaire contre les individus ayant participé activement à l'insurrection et collective par des amendes et confiscations de terres infligées aux tribus.

 

Il est probable que les responsables de la Commune de Paris ne se préoccupèrent pas beaucoup de ce mouvement. Dans le Journal officiel de la Commune on lit : « Comme contraste avec les mauvaises nouvelles qui nous arrivent depuis quelques jours d’Algérie, nous sommes heureux d’enregistrer la dépêche suivante (…):

Constantine, le 28 mars 1871, 2 h. du soir.

Tebessa et Bord Borri Arredj [Bordj Bou Arreridj] débloqués, cette dernière sans coup férir. Le Bach Aga, isolé et abandonné d’un grand nombre des siens, est réduit à l’impuissance.

Le mouvement insurrectionnel touche donc à sa fin. »

Alexandre Lambert polémiqua avec un journal (La Patrie – en fait, c’était un autre journal qui avait publié l’article incriminé par Lambert) :

« Fidèle à votre rôle d’alarmiste et d’ennemi déclaré de la Commune, vous parlez de troubles survenus en Algérie et vous en exagérez la gravité pour en effrayer l’opinion publique. »

Lambert contestait que l’insurrection soit « l’œuvre des nombreux amis que la Commune possède en Algérie » et affirmait que « tous les colons algériens sont intéressés à maintenir le calme et l’ordre chez les indigènes, et qu’ils en viendraient facilement à bout s’ils avaient la Commune et toutes les libertés qu’elle comporte » (on voit mal comment…). Cédant au complotisme, il affirmait que « toutes les insurrections algériennes sont depuis longtemps l’œuvre préméditée des bureaux arabes [les bureaux militaires]. Ce fait est si vrai, que le gouvernement a rendu un décret ordonnant de poursuivre devant les conseils de guerre les officiers dans le commandement desquelles une insurrection éclaterait ; mais ce décret est demeuré inappliqué. »

 

 

Sequestre_Mokrani

Séquestre mis sur les biens de l'ex-bachaga Mokrani, arrêté du commissaire extraordinaire de la République française en Algérie, Alexis Lambert, du 23 (ou 25 ?) mars 1871. Ne pas confondre le commissaire extraordinaire, avec son presque homonyme Alexandre Lambert, qui représentait à Paris les colons sympathisants de la Commune.

Wikipedia, art. La révolte de Mokrani.

 

 

 

 

 

COMMENT LES MILITANTS VOIENT L’HISTOIRE

 

 

Dans ces conditions, on peut sourire en lisant sur des sites militants des affirmations comme « La Commune d’Alger : la désunion entre le prolétariat européen et le peuple kabyle mena à l’échec ! ». Le prolétariat européen d’Algérie (quel prolétariat d’ailleurs ?) n’avait certainement pas envie de s’allier avec ceux dont ils voulaient spolier les terres et qu’ils considéraient comme des inférieurs, et des hommes comme Mokrani certainement pas envie de s’allier à des gens de peu, irrespectueux des hiérarchies naturelles, même au cas improbable où ces derniers lui auraient offert une alliance.

Plus subtil mais tout autant illusoire est la réflexion d’un site QG décolonial  qui écrit : « l’absence chez les Communards de l’ébauche d’une réflexion sur les colonies et leur nécessaire libération est caractéristique d’un malentendu historique entre révolutionnaires du monde dominant et révolutionnaires des mondes dominés qui perdure jusqu’à nos jours. Rêvons. Comment ne pas imaginer la force supplémentaire qu’aurait eu la Commune de Paris si elle avait pu se coordonner avec le mouvement insurrectionnel indigène d’Algérie plutôt que d’accepter l’adhésion du mouvement communaliste et colonialiste d’Alger publiée d’ailleurs dans le Journal officiel de la Commune ? Une erreur que commettra aussi la deuxième république espagnole…*» (https://qgdecolonial.fr/2021/05/31/edito-20-la-commune-de-paris-au-miroir-de-la-commune-dalger-et-de-la-revolte-de-mokrani/).

                                                                                 * Lors de la guerre civile espagnole, les populations indigènes du Maroc espagnol se rangèrent du côté du soulèvement anti-républicain. Les troupes dites "Maures" de l'armée franquiste furent particulièrement craintes et détestées par les républicains en raison de leur violence.

 

Mais ce site militant oublie que l’insurrection kabyle n’était pas le fait de « révolutionnaires » mais de féodaux alliés à une puissante confrérie religieuse. La Commune, dont on connait le virulent athéisme (au moins chez certains de ses partisans) n’avait vraiment rien pour comprendre l’insurrection kabyle, aristocratique et religieuse et pour s’allier avec elle, à supposer qu’elle en ait eu la possibilité matérielle. On peut aussi rêver au mariage de la carpe et du lapin.

On peut citer à cet égard les remarques de Louis Rinn (Histoire de l'insurrection de 1871 en Algérie, 1891, www.miages-djebels.org/IMG/pdf/Insurrection_1871a.pdf), même si on peut faire des réserves aussi bien sur la comparaison avec les guerres de Vendée que sur les bienfaits de la colonisation : « Les nobles de la Medjana et les seigneurs religieux de Seddouq ne combattirent que pour la conservation de privilèges, d’immunités et d’abus qui pesaient lourdement sur les pauvres et les humbles enrôlés sous leurs bannières. Ceux-ci, Arabes ou Qbaïls [Kabyles], comme jadis les paysans vendéens ou bretons, se firent tuer et ruiner pour une cause qui n’était pas la leur. De cette lutte, que des représentants d’un autre âge dirigeaient contre le droit moderne, la colonisation et la civilisation françaises sont sorties triomphantes, et, avec elles, la masse des vaincus, malgré un écrasement terrible, bénéficie aujourd’hui de notre victoire ».

 

Enfin, une petite devinette : qui a écrit de Mokrani :  « Il reçut la mort qu’il cherchait orgueilleux et fier comme il eût fait du triomphe » ? C’est Jules Favre, ex-ministre des affaires étrangères du gouvernement Thiers et adversaire de la Commune. Après la fin de l’insurrection arabo-kabyle, il y eut un procès des présumés responsables survivants devant les Cours d’assises d’Algérie : « Des ténors du barreau parisien, tels Jules Favre, se déplacèrent en Algérie. Les acquittements furent nombreux*. » (J. Olivier, L’insurrection de 1871, Centre de documentation historique sur l’Algérie, Club Kabylie, 2014  http://cdha.fr/sites/default/files/kcfinder/files/Club_Kabylie/insurrection1871_JO_251014.pdf)

                                                                      * On doit être plus nuancé sur ce point. Voir Bertrand Jalla, L'autorité judiciaire dans la répression de de 1871 en Algérie, Outre-Mers. Revue d'histoire, 2001, https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2001_num_88_332_3901.

 

Parmi les défenseurs des révoltés on trouvait aussi l’avocat marseillais Laurier, qui avait été l’un des défenseurs de certains accusés de la Commune de Marseille (Laurier fut député républicain gambettiste et se rapprocha ensuite des monarchistes) et Albert  Grévy (frère du président de l’Assemblée nationale et futur président de la République Jules Grévy), qui défendit Bou Mezrag, le frère de Mokrani (celui-ci fut condamné à mort puis sa peine fut commuée en déportation en Nouvelle-Calédonie).

Les articles d’histoire sur la Commune d’Alger et l’insurrection kabyle ont si peu en commun avec les récits de sites militants qu’on a peine à croire qu’on parle des mêmes faits.

 

 

 

LA COMMUNE ET L’ANTIRACISME

 

 

Après avoir constaté l’inexistence de visées anticolonialistes chez les Communards (au contraire même, du fait des prétentions communalistes de certains colons d’Algérie) on peut s’interroger sur l’antiracisme des Communards. Certes, on louera leur manque de xénophobie (mais évidemment il s’agissait d’accueillir ceux des étrangers qui participent à la Commune) ; on verra plus loin que certains ex-Communards ont par la suite – la société française ayant évolué - regardé les étrangers ave beaucoup plus de méfiance – on peut même alors parler de xénophobie.

Mais regardons au moins deux Communards dont la carrière s’est justement arrêtée au moment de la Commune.

 

 

 

FLOURENS : FIER D’ÊTRE ARYEN

 

Gustave Flourens, présenté comme sympathisant blanquiste, élu au conseil de la Commune, nommé général des forces de la Commune, fut tué par un gendarme Versaillais d’un coup de sabre alors qu’il était prisonnier (selon le témoignage généralement retenu d‘Amilcare Cipriani, également prisonnier) ; sa mort eut lieu après  l’échec de l’opération des Communards  pour marcher sur Versailles.

Mort à 33 ans, considéré comme le héros chevaleresque de la Commune, sa disparition fut durement ressentie et on sait que le corps franc des Vengeurs de Flourens se constitua à ce moment. On oublie que Flourens , fils d’un savant célèbre, avait eu le temps de débuter une carrière professorale. Professeur intérimaire au Collège de France (à 25 ans !), il est chargé de traiter l’Histoire des races humaines. Son cours est interdit du fait des opinions anti-religieuses et anti-bonapartistes qu’il y exprime, mais il publie ses leçons sous le titre d’Histoire de l'Homme. Il enseigne notamment que la supériorité physique, intellectuelle et morale des Aryens blonds aux yeux bleus les destine à dominer les peuples inférieurs (Wikipedia) – significativement le Maitron et la plupart des sites militants oublient de mentionner ces particularités. On peut citer quelques extraits de ses leçons publiées (seule l’ introduction et une première leçon ont été publiées) :

« Ils s’appelaient les Aryas*, les hommes purs et ils méritaient ce nom. C’est d’eux que nous viennent nos idées les plus élevées, nos sentiments les plus nobles (…) Et nous aussi, Français, nous sommes Aryas (…) Nous avons, comme les Grecs, l'amour du vrai et du beau, le goût pur, l'expression heureuse. Nous tenons de nos pères, Gaulois et Germains, l'intrépidité, l'élévation des sentiments, la bonté. »

« Chez tous les peuples de la division aryane, le corps est aussi bien constitué que l'âme. Il offre l'organisation la plus parfaite, la mieux appropriée à la condition humaine.»

« Autant le mélange entre peuples de même race est bienfaisant, autant il est funeste entre peuples de races différentes. »

[les Aryas] « Peuple brave, avançant courageusement à travers le monde, ne regardant jamais en arrière, toujours vainqueur, tant il a de force d'âme, des ennemis qui l'entourent, de tous ces autres peuples, jaloux de sa supériorité, qui avant son expansion se sont partagé la terre. Nous avons le droit d'être fiers de notre origine. »

                                                                              * Le terme sanscrit arya fut utilisé puis plus couramment remplacé par le terme aryen – l’expressions indo-aryen était aussi utilisée (cf. plus loin la citation de Tridon). Ces mots désignent la population primitive supposée être à l’origine des divers peuples blancs ayant peuplé l’Inde et l’Europe, et parlant des langues ayant une origine commune, les langues indo-européennes (qu’on appelait aussi indo-germaniques au 19e siècle).

 

« Les Gaulois présentaient le type arya dans toute sa pureté : teint blanc, cheveux blonds, yeux bleus. Ils étaient de haute taille ». La nation française est issue du mélange fécond des Gaulois avec les Latins, tandis que les Allemands, moins latinisés, forment un peuple moins actif (c’était écrit avant 1870 !). Quant aux Anglais, du mélange des conquérants normands avec « les Germains non francisés et les restes des Bretons naquit cette nation anglaise si forte, si persévérante, si active, maîtresse de tant de peuples ».

Dans la leçon introductive, Flourens passe rapidement en revue les différentes races et les raisons qui font qu’elles sont inférieures aux Aryas blancs – tout en s’efforçant de rester équitable. Il salue avec émotion la naissance du christianisme (sans mentionner le nom), qui n’est pourtant pas une création de la race aryenne : « Ce fut pourtant au milieu de peuples araméens que se produisit le plus sublime des dévouements ». « Dans la Judée apparut la religion qui ordonnait aux hommes de s'aimer les uns les autres (…) Une immense espérance souleva l'Europe ».

On ne posséde pas le texte complet des leçons de Flourens (s'il les a prononcées ?) et donc son examen approndi de chaque population; seule la leçon sur le peuplement de l'Inde figure dans le petit volume disponible : 

Gustave Flourens, Histoire de l'homme : cours d'histoire naturelle des corps organisés, au Collège de France https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k626428.texteImage#

 

 

 

TRIDON : L’IDÉAL GREC CONTRE L’ESPRIT SÉMITIQUE

 

Bien différent est Tridon.

Gustave Tridon était un militant révolutionnaire très proche de Blanqui, admirateur de personnages de la Révolution française comme Hébert. Il fut membre de la Commune ; il put s’enfuir lors de l’écrasement de la Commune, se réfugia en Belgique, où épuisé par la maladie (il était tuberculeux - on dit parfois qu’il s’est suicidé), il mourut dès août 1871.

Il semble que son livre posthume, Du molochisme juif : études critiques et philosophiques, rédigé avant la Commune et paru en Belgique dans les années 1880*, ait été écrit en collaboration avec Blanqui.

                                           * Avec l’indication « par Gve. Tridon, avocat, ancien membre de l’Assemblée nationale,  ancien membre de la Commune, ancien membre du Comité de salut public, etc »

 

Ce livre qui prend l’aspect d’un livre érudit, se fonde sur les thèses des Allemands Ghillany et surtout  Daumer :  ce dernier (ami de Feuerbach) « défend l’idée que le dieu juif Jehovah et Moloch ne font qu’un. Le judaïsme ne serait qu’un molochisme, une religiosité reposant sur des sacrifices humains, dont l’héritage barbare se perpétuerait dans le christianisme (… ); Daumer accuse le christianisme de procéder d’une matrice « molochiste », d’être un culte fondé sur le sacrifice humain et le « cannibalisme » sublimé en théophagie. »

L’oeuvre de Daumer fut louée par Karl Marx

« La thèse de Daumer et Ghillany sera reprise et développée en France par le blanquiste et communard Gustave Tridon (...) Le projet de ce livre, œuvre posthume, remonte à 1864, Blanqui collaborant étroitement à son élaboration.»

Art. Molochisme juif, Metapedia, https://fr.metapedia.org/wiki/Molochisme_juif

 

Voici quelques citations de l’ouvrage de Tridon :

« Combattre l'esprit et les idées sémitiques est la tâche de la race indo-aryenne. »

« La tâche de l'esprit moderne est donc de balayer jusqu'à la dernière parcelle l'esprit sémitique et de revenir à la destinée antique de notre race, à la devise sans laquelle sans laquelle elle ne peut vaincre, à son dogme sublime, l'Humanité. »

« La victoire de l'esprit indo-hellénique ouvre l'horizon de l'avenir. »

« Au monde antique vivifié par l'alluvion des nations modernes, nous devons les conquêtes de nos arts, l'éblouissement de nos cités. C'est lui qui arracha le voile jeté sur la vie par la terreur religieuse.

Ô Hellénie ! véritable patrie du sage, Ithaque perdue de nos rêves. Les dieux grecs ne sont jamais morts pour le penseur et le poète; son âme est le temple ou s'élèvent, rangées à double et triple rang, leurs statues, où se célèbre l'éternelle Panathénée. »

(Tridon, Du Molochisme juif, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62073w.texteImage)

 

 

 

BLANQUI, INSPIRATEUR DE TRIDON

 

 

Certains Communards évoluèrent après la Commune vers des positions nettement racistes (voir les messages suivants), mais ici on a affaire à des personnages qui étaient antisémites et racistes (ou suprémacistes) au moment même où ils étaient Communards. On objectera qu’il ne s’agit que de deux personnages – mais les autres Communards n’avaient pas les mêmes préoccupations théoriques que Flourens ou Tridon, donc n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer sur les questions de la supériorité ou de l’égalité des races.

On ajoute que les idées exprimées par Flourens et Tridon étaient assez  largement  partagées à l’époque (l’inégalité des races était plutôt l’opinion dominante). Pour Tridon, l’antisémitisme est inséparable du rejet du christianisme. Mais l’opposition entre Aryens et Sémites va bien au-delà de la seule dénonciation du monothéisme et de la nostalgie du « miracle grec ». Toutes les qualités positives et « progressistes » de l'humanité son référées à la race aryenne (ce qui est aussi le cas chez Flourens). La particularité de Tridon (à priori, c’est moins vrai chez Flourens) n’est pas d’avoir exprimé des idées relativement banales à l’époque, mais d’avoir considéré que le destin historique de la race aryenne était de réaliser l’avènement d’une société plus juste (du socialisme ?), un point de vue moins fréquent. 

Enfin, il faut aussi considérer l’implication dans les théories de Tridon, de Blanqui, considéré comme le grand inspirateur de certains Communards (rappelons que Blanqui fut élu au conseil de la Commune mais, détenu en province à l’époque, ne put y participer). On a parlé du « racisme invétéré » de Blanqui à l’égard des Allemands ( ?) et des Juifs (cf. Gilles Manceron et Emmanuel Naquet, L’antisémitisme à gauche… aussi, in Être dreyfusard hier et aujourd’hui, Michel Dreyfus dir., 2009, https://books.openedition.org/pur/125193?lang=fr

Le même article rappelle l’antisémitisme de Proudhon, mais qui semble avoir eu peu d’influence sur ses disciples Commnards (?).

Détestation de l’influence sémitique et rêve d’un retour aux valeurs grecques chez Tridon, éloge plus classique de la supériorité des Aryens sur tous les autres peuples chez Flourens, condamnation du rôle prépondérant des Juifs dans le capitalisme et du judaïsme en tant que précurseur du christianisme, chez Blanqui : leurs conceptions ne se confondent pas exactement, mais peuvent se rejoindre ; leur point commun est de penser la description de l’humanité, son évolution et les conflits historiques (et, au moins partiellement, sociaux) en termes raciaux.

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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