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Le comte Lanza vous salue bien
31 mai 2013

MARSEILLE EN REVOLUTION CINQUIEME PARTIE

MARSEILLE EN REVOLUTION CINQUIEME PARTIE

LE TEMPS DES VENGEANCES

 

 

 

 

 

 

Premiers jours de répression à Marseille 

 

 

Nous avons vu les débris de l’armée départementale, accompagnés par les dirigeants des comités marseillais et par une foule de personnes craignant pour leur vie, se réfugier à Toulon, où ils arrivent par voie de terre ou de mer.

 

Ils arrivaient dans une ville où les sectionnaires « fédéralistes » avaient pris le pouvoir, arrêté les Jacobins et appelé au secours les forces militaires en guerre avec la France.

Des hommes comme le vice-amiral de Trogoff ou le baron d’Imbert, mais aussi des hommes du peuple comme Jean-Baptiste Roux, avaient pris la tête de la révolte lui donnant une coloration plutôt monarchiste et négocié le débarquement des alliés dès le 23 août.

 

Le 28 août, les amiraux Samuel Hood et Juan de Langara font débarquer 17 000 hommes dans la baie des Islettes :

2 000 Britanniques, 7 000 Espagnols, 6 000 Napolitains et 2 000 Piémontais.

Le 29, la flotte anglo-espagnole entre dans la rade de Toulon ; le vice-amiral républicain Saint-Julien, en désaccord avec Trogoff, ordonne le branle-bas, mais seulement quatre vaisseaux sur dix-sept lui obéissent et il doit se réfugier dans la petite rade, avant de se rendre (il sera embarqué pour Barcelone par les Britanniques).

 

Dès le  28 août les forces de Carteaux qui marchent vers Toulon livrent combat aux gorges d’Ollioules : les républicains entrent dans le village mais sont repoussés par les habitants, preuve que leur présence n’était pas la bienvenue.

Un 2ème combat a lieu un peu après et cette fois des éléments anglais, espagnols et napolitains y participent mais sont refoulés.

Selon Lautard, le reste des troupes fédéralistes de Villeneuve-Tourette, à peine réfugié à Toulon,  participe aux combats contre les républicains ; ceux-ci mettent à sac le village d’Ollioules car les habitants ont tiré sur les républicains

 

3000 marins républicains s’échappent et rejoignent les troupes de Carteaux qui  commence le siège de Toulon le 8 septembre. L’armée d’Italie commandée par le général Lapoype (les 6000 hommes qui avaient été demandés pour prendre Marseille en tenaille) vient renforcer l’armée de Carteaux, après avoir pris La Valette.

 

A Toulon, les conventionnels en mission Beauvais et Baille, qui avaient quitté Toulon pour Nice, le 3 juin 1793, ont fait l’erreur d'y revenir le 18 juillet alors que le pouvoir venait de passer aux sectionnaires. Ils furent arrêtés et jetés en prison avec leurs collègues Paul Barras et Stanislas Fréron (ces deux derniers ne tarderont pas à s'évader).

Le Marseillais Pierre Marie Baille, ayant appris qu'on avait également incarcéré son père, se pendit dans sa cellule le 2 septembre 1793, peu avant de comparaître devant un tribunal. Beauvais sera délivré lors de la reprise de Toulon mais mourra peu après épuisé par sa captivité.

Signalons que le boulevard marseillais un peu triste qui porte le nom de Baille ne rend pas hommage au Conventionnel, mais à un homonyme, M. Baille, sur le terrain de qui le boulevard fut construit une cinquantaine d'années après la période révolutionnaire. Par contre, dans la station de métro Baille, figure un buste et un rappel de la vie du Conventionnel..

 

Le 1er octobre 1793, d'Imbert fait proclamer l'enfant du Temple, Louis XVII, roi de France et hisser le drapeau blanc à fleur de lys, l'amiral Trogoff livre la flotte et l'arsenal à la marine britannique. Toulon va vers son destin qui sera probablement pire que celui de Marseille après un répit. La reprise de Toulon par les forces républicaines, dont fait partie Napoléon Bonaparte qui dirige l’artillerie avec le grade de chef de bataillon, sonnera l’heure de la vengeance révolutionnaire.

 

Pendant ce temps à Marseille, les représentants en mission, Albitte, Escudier, Saliceti et Ricord, organisaient la répression.

Signalons que le  Conventionnel en mission Jean-François Ricord, député montagnard du Var, ne doit pas être confondu avec Alexandre Ricord, le journaliste et membre important du club local des Jacobins de Marseille.

Albitte avait écrit au comité de salut public : si nous devions punir tous les coupables, les trois quart des habitants de Marseille et du département ont participé à l'insurrection et il faudrait les éliminer. Comme ce serait excessif, je propose de ne punir que les plus coupables, les chefs de l'armée départementale, les membres du comité général et du tribunal populaire (cité par P. Guibal, la révolte fédéraliste en Provence).

Ainsi, les Conventionnels en mission , loin d'accréditer l'idée que seule une poignée de fautifs avait imposé ses vues à une population en majorité "dans la ligne" révolutionnaire, reconnaissaient (à tort ou à raison) que la majorité de la population avait adhéré à l'insurrection.

Au début la répression paraissait modérée, les arrestations peu nombreuses: en voyant quelqu'un être arrêté, on se rassurait pour soi-même, raconte Lautard, on se disait : c'est normal, il a servi dans l'armée fédéraliste, il a occupé des fonctions dans les comités, moi qui n'ai rien fait de tout cela, je ne risque rien, et le lendemain on dormait soi-même en prison.

Les Conventionnels mirent en place un tribunal révolutionnaire avec les cadres jacobins revenus dans la ville : Mailllet était président, Giraud accusateur public, Chompré modestement greffier. Le tribunal jugeait "révolutionnairement" c'est-à-dire sans jury et sans appel.

Les dirigeants fédéralistes qui n’ont pas pu s’enfuir sont condamnés et exécutés à partir du 29 août, comme Laugier, président du tribunal populaire fédéraliste, ou Vence, commissaire à l’armée départementale et élu à l’assemblée qui devait se réunir à Bourges. Vence, d'abord réfugié à Toulon, a essayé de fuir en bateau à Gênes, son bateau a été rattrapé par un corsaire et il a été ramené à Marseille.

Avec Vence a été capturé Pinatel, trésorier général de l'armée départementale, qui est aussi exécuté.

Rousselet, premier et peu capable "général" de l'armée départementale est exécuté.

Bussac, vice-président du comité général est exécuté. Le fait d'avoir désapprouvé la dérive "royaliste" des derniers jours et l'appel aux alliés anglo-espagnols, au point qu'il a failli être arrêté par les dirigeants fédéralistes, ne lui épargne pas la peine de mort. 

Selon l'Encyclopédie des Bouches-du-Rhône,  ouvrage monumental publié entre 1913 et 1937 sous la directrion de Paul Masson auquel collaborèrent les meilleurs historiens provençaux et marseillais de l'époque, "à ce  moment, tout le monde est suspect dans les Bouches-du-Rhone". Dans chaque localié existe un comité de surveillance à qui la loi du 17 septembre 1793 vient donner des pouvoirs presque sans limite.

"La liberte, la tranquillité des citoyens, sont entre leurs mains. Partout, les comites de surveillance abusent de leurs pouvoirs et, dans les Bouches-du-Rhone peut-être plus qu’ailleurs, en raison de l'ardeur des passions politiques... Au moindre soupçon, l'habitant ou le passant étaient jetés en prison". 

 

 

 

Barras et Fréron à Marseille

 

 

 

Bientôt les conventionnels Barras et Fréron remplacent Albitte et Escudier. Albitte a été jugé trop modéré par le comité de salut public et par Danton, qui lui reproche de ménager les négociants marseillais.

Il est curieux que dans l'imagerie révolutionnaire qui est ce qui reste dans la mémoire collective, Danton joue le rôle du "bon" contre Robespierre, qui lui est le "méchant". Danton n'a pas toujours été "l'indulgent" que Robespierre dénoncera et son désir de s'en prendre aux négociants (peu importe qu'ils aient ou non participé  l'insurrection) est caractéristique de sa vision politique.

Barras et Fréron sont des hommes ambitieux et finalement, comme leur carrière ultérieure le montrera, sans autre conviction que leur intérêt ou la crainte d’être dépassés par les événements et d'y perdre la tête;  ils vont se montrer féroces. Leurs pouvoirs sont considérables et sont souvent comparés (comme pour leur successeur Maignet ) aux pouvoirs des proconsuls romains de l'Antiquité dans les provinces conquises. Sous réserve de rendre compte à la Convention et au comité de salut public, ils ont toute autorité pour imposer les mesures révolutionnaires qui leur paraissent convenir.

Pour plaire à la faction jacobine qui domine la Convention, ils pensent qu’il faut surenchérir sur la répression.

Le 12 octobre ils arrivent à Marseille et publient un arrêté : "La Terreur est à l'ordre du jour... Il ne suffira plus, pour jouir avec ingratitude des bienfaits de la révolution, d'être modérés, d'être accapareurs ou sectionnaires. Nous ne voulons que des républicains".

Beaucoup de ceux qui ont lu l'arrêté ont du se dire que s'il y avait une chose dont ils se seraient bien passé, c'était de jouir des bienfaits de la révolution...

Les Conventionnels ordonnent l’arrestation de tous les fonctionnaires et administrateurs locaux ayant servi les fédéralistes (arrêté du 19 octobre signé Barras et Fréron).

Après les responsables administratifs vient la masse des partisans, actifs ou passifs, du fédéralisme. Ceux qui ont participé aux votes des sections, qui ont appartenu à l’armée départementale ou qui, à un titre ou un autre, sont suspects d’hostilité au jacobinisme, sont jetés en prison avec en perspective la menace de la guillotine.

 

 

 

 Le soi-disant fédéralisme jacobin

 

 

 

Le retour de Marseille dans l'obéissance à la Convention rendait posible l'approbation de la nouvelle Constitution dite de 1793.

Les assemblées électorales primaires approuvèrent la Constitution. Qui aurait été assez imprudent pour émettre une opposition, demande Augustin Fabre…

Les autorités départementales "républicaines" ont été reconstituées et on trouve l'Arlésien Paris comme président du département et Alexandre Ricord comme procureur du département (on a vu qu'il ne faut pas le confondre avec le Conventionel en mission Jean-François Ricord) . Ricord n'y reste pas longtemps. Avant la reprise de Toulon, il lance un appel aux bons républicains marseillais pour aller renforcer les troupes qui assiègent le port rebelle et lui-même va bientôt rejoindre l'armée de Carteaux comme "accusateur militaire" avec rang de colonel.

Isoard, secrétaire du Club des jacobins et président par intermittence, devenu également "procureur" de la municipalité, provoque à Marseille en octobre 1793 la réunion d’un congrès des sociétés populaires du Midi.

Peut-on vraiment parler de « fédéralisme jacobin » comme le veulent certains historiens qui insistent sur cet épisode obscur de façon à montrer qu'il aurait existé un "bon" fédéralisme, compatible avec la Révolution dans sa version radicale (il s'agit d'historiens politiquement orientés qui savent manier le discours ce qui leur permet de concilier une apparente objectivité historique avec des positions favorables à la Révolution, donc à une tradition politique de gauche dont ils se réclament - même si on trouve aussi à droite des nostalgiques du Jacobinisme !).

Selon l'article Wikipedia consacré à Isoard, voici quel était le projet des Jacobins méridionaux:

Il demandait qu'il soit organisé chaque année, deux mois après la convocation de chaque législature, une assemblée où chaque section patriotique enverrait un représentant. Ces assemblées non permanentes qui devaient se tenir à tour de rôle dans les principales villes de la République serviraient d'instances intermédiaires entre l'exécutif parisien et les comités de surveillance permanents des sociétés populaires et des municipalités. Des commissaires élus par les comités de surveillance et formés à l'échelle régionale par ces assemblées circuleraient sans cesse pour impulser l'application des lois produites par la volonté générale, la participation des citoyens à la discussion préparatoire à l'établissement des lois étant désormais assurée (comment ?).

Le congrès des sociétés populaires est finalement dissout par la Convention qui y voit un danger et accuse ses participants de « fédéralisme », terme repris sans analyse par les historiens qui semblent ne pas connaître, en droit des institutions, ce que signifie un régime fédéral.

Le secrétaire du club de Marseille, Isoard, s’enfuit de nouveau à Paris tandis que des militants sont arrêtés et la municipalité (mise en place lors de la reprise de la ville, donc a priori jacobine) est cassée par Fréron, la ville déclarée (de nouveau ?) en état de siège, mais il est probable que l’interdiction de ce Congrès sert surtout de prétexte pour prendre des mesures qui renforcent la mise en tutelle de Marseille trois mois après la fin de l’épisode du fédéralisme « bourgeois ».

Lautard donne de ces événements une version qui est bien loin de l’importance (rétrospective) apportée à ce Congrès par certains historiens d'aujourd'hui et dont on peut se demander si les événements décrits sont les mêmes.

Il indique que les représentants en mission tenaient le Club sous surveillance. Par arrêté, ils avaient décidé que le Club marseillais serait le point central des sociétés populaires du département. Une assemblée générale des sociétés du département (ou de tout le Sud-Est ?) se réunit en présence des membres de l'administration départementale. Mais une fois les membres du département partis, l'assemblée rédige une adresse à la Convention. L'administration départementale en aurait pris ombrage et aurait voulu montrer aux sociétés populaires « qu’elles n’étaient pas des corps délibérants » et n’avaient pas à correspondre avec la Convention.

Ricord, qui aurait été à l'origine de cette adresse, est désavoué et quitte Marseille en octobre; c'est sans doute à ce moment qu'il rejoint l'armée de Carteaux  qui assiège Toulon, en tant qu' "accusateur militaire", puis il sera en 1794 à Paris avant d'accepter un poste d'accusateur (une vraie vocation) au tribunal révolutionnaire de Perpignan, où selon Lautard, il se montrera acharné contre les anciens fédéralistes marseillais qui lui passeront entre les mains.

L’accusation de fédéralisme, déjà tendancieuse pour l’insurrection anti-Jacobine du printemps 1793, mais à la rigueur compréhensible, est ici de pure langue de bois. Il s’agit de discréditer l’adversaire dans le cadre de conflits internes au « parti » jacobin, parti qui se confond avec le club des Jacobins de Paris et les clubs de province affiliés, en appliquant une étiquette « contre-révolutionnaire » aux militants locaux qui ne sont pas « dans la ligne ». Nous en reparlerons dans notre partie "Réflexions".

Dans un article paru dans la revue Provence historique (n° 203, tome 51 de 2001) Un lieu de mémoire, le 25 de la rue Thubaneau à Marseille, consacré il est vrai plus à l'histoire du lieu (le siège du club local des Jacobins) qu'à l'histoire politique, les auteurs Régis Bertrand et Georges Raynaud, rappellent qu'après la reprise de Marseille par les troupes de la Convention, le club n'est plus rien d'autre qu'un membre quasi-officiel de l'administration et une courroie de transmission du comité de salut public; ils indiquent toutefois que le club manifeste son désaccord avec certaines mesures "terroristes" prises par les conventionnels en mission puis (selon d'autres sourrces)  il participe aux initiatives culuturelles mises en place par le nouveau Conventionnel en mission, Maignet pour enraciner la république jacobine à Marseille.  Mais ces auteurs parlent d'une quasi inactivité du club à une époque où l'administration locale est prise en mains par le pouvoir central et ses représentants.

Le club se réactive après la chute de Robespierre (inquiet devant les menaces de "réaction") mais en septembre 1794 la Convention thermidorienne ordonne aux nouveaux conventionnels en mission de le fermer ; cette fermeture cause une émeute et  une répression avec des exécutions de membres du club . Une société "épurée" des partisans républicains extrémistes (à une époque où le terme même de Jacobin est banni) prend sa place et dure un an sans beaucoup d'activité avant de disparaître. Nous en reparlerons.

Les auteurs cités plus haut ne font même pas allusion à l'épisode du congrès des sociétés populaires.

Vaut-il alors la peine de parler de "fédéralisme jacobin" et de monter en épingle un événement secondaire opposant des militants jacobins entre eux ?

 

On a vu que Barras et Fréron réorganisent la municipalité; ils destituent les hommes qui qui avaient été installés par Albitte après la reprise de la ville par Carteaux (des rescapés de la municipalité en fonctions avant la prise de pouvoir par les fédéralistes), car ils sont jugés trop tièdes. La Convention décide en outre qu'il n'y aura plus de maire à Marseille.

Les Conventionnels en mission mettent en place une commission municipale dirigée par Micoulin, le journaliste qui publiait le Journal des départements méridionaux et des amis de la Constitution, qui avait été emprisonné à l'époque des fédéralistes. Pour représenter le guvernement central, un agent national, Lejourdan, est nommé. Ces deux hommes sont forcés d'accepter ces fonctions sous peine d'être réputés suspects (Augustin Fabre, Histoire de Marseille). Lejourdan refusera d'être ensuite juge au tribunal révolutionnaire.

 

Les Conventionnels décident la destruction de tous les monuments de Marseille qui onr servi de lieu de réunion aux « infâmes » sections fédéralistes. Ce sont souvent des églises, de très anciens lieux qui faisaient partie de la mémoire de la ville qui disparaissent, entre vingt et vingt-cinq bâtiments : une grande partie de l’abbaye Saint Victor, l’église des Accoules, avec sa belle architecture et ses vitraux anciens, qui selon Lautard fut détruite au canon, l'église Saint-Ferréol, l'église des Capucins, celle des Minimes, l'église de La Palud...

Fréron décide de détruire aussi l’Hôtel de Ville, cette "infernale maison ", tout en protestant que ce n'est pas la maison commune qu'il veut détruire, mais le repaire des sectionnaires et de la municipalité qui avait prêté le serment sacrilège (de lutter contre la Convention). Les travaux de destruction commencent, l'intérieur est saccagé, les décorations du fronton et une cheminée attribuées à Puget, ainsi que le balcon sont démolis, mais Micoulin et Lejourdan, appuyés à Paris par le Conventionnel Granet, obtiennent de Robespierre jeune que le monument soit épargné et Maignet, qui succède à Barras et Fréron (nous en parlerons ensuite) procède à une remise en état, mais ce qui a été détruit est perdu à jamais, notamment les décors de Puget.

Fréron proclame qu’il faut raser Marseille, il voudrait au moins combler le bassin du Vieux-Port en y précipitant la colline de Notre-Dame de la Garde : quel symbole !

Sa proposition est-elle sérieuse ? Peu importe, elle montre à quel point il faut punir Marseille.

Selon Fréron, ses habitants sont incompatibles avec la République. Il faudrait les « déporter » (où donc ?) et les remplacer par des gens du Nord.

Dans une lettre, Fréron écrit : "Mais pourquoi se dissimuler que la classe la moins riche de cette commune regrette l'ancien régime ; que les porte-faix, les marins, les ouvriers du port sont aussi aristocrates, aussi égoïstes que les négociants, les marchands, courtiers, officiers de marine ? Où donc est la classe patriote ?"

 La prise de Toulon va relancer la répression à Marseille même.

 

 

La punition de Toulon 

 

 

 

 Les espoirs des fédéralistes avaient fait long feu. Bordeaux avait été reprise en septembre 1793, Lyon en octobre après un siège terrible. Kellermann avait dirigé le siège puis il avait été arrêté par les Conventionnels comme suspect de modérantisme, crime impardonnable. Il fut emprisonné et ne sortit de prison qu'au 9 thermidor, avec la chute de Robespierre.

La répression de Lyon devait être sans pitié.

"Lyon a fait la guere à la République, Lyon n'est plus", prononça le Conventionnel en mission Couthon, qui se déplaçait en fauteuil roulant.

Cette ville "criminelle" fut débaptisée et appelée "Commune affranchie". Des milliers de Lyonnais furent exécutés, tués en masse dans des fusillades ou guillotinés, les quartiers qui avaient pris parti contre la Convention commencèrent à être détruits.

Le 21 décembre 1793, Toulon est reprise, après un siège de quatre mois et de gros efforts en moyens militaires de la part de la Convention. Le général en chef commandant le siège, le peu capable Carteaux (ancien peintre) a été remplacé par Doppet (ancien médecin) que nous avons vu combattre lors de l’avance républicaine sur Avignon. Celui-ci, conscient de son insuffisance,  renonce à son commandement et la Convention nomme un militaire expérimenté, Dugommier, qui donne carte blanche à Napoléon Bonaparte.

Les alliés anglais, espagnols, napolitains et piémontais, qui n’ont plus d’espoir de tenir le port, décident l’évacuation.

Avant cela, ils ont fait sauter l’arsenal. Le commodore Sidney Smith, le James Bond de l’époque, avec un collègue espagnol, se charge de poser les explosifs. Mais la destruction ne sera pas aussi réussie qu’ils le pensaient. Par contre les alliés emmènent avec eux les navires de guerre français, dont l’un, un puissant vaisseau de 118 canons baptisé le Commerce de Marseille, car il avait été offert par la Ville à la marine royale quelques années auparavant, servira dans la Royal Navy sous le même nom.

 

Et la population ? Elle n’avait pas grand-chose à espérer des Montagnards.

Les alliés emmènent tous ceux qu’ils peuvent. Des milliers de Toulonnais, on dit 15 000, soit les deux tiers de la population, avec des bagages réduits au minimum ou sans rien, embarquent sur les navires alliés dans une ambiance d’apocalypse tandis que les tirs des canons républicains s’abattent sur le port. Avec eux embarquent aussi les Marseillais qui s’étaient réfugiés à Toulon.

Ils seront débarqués à Southampton pour certains, pour d’autres en Corse (qui s’est soulevée contre la Convention et peut donc les accueillir d’autant que les Britanniques vont prêter main-forte aux Corses de Pascal Paoli) et même à Malte, où règne encore l’Ordre de Malte, évidemment acquis à la cause contre-révolutionnaire.

 

Toulon s’était révoltée contre la Convention, elle avait appelé les « ennemis », elle avait reconnu Louis XVII : sa punition devait être exemplaire.

Lautard raconte un récit qu’il tenait d'un ami du général Cervoni.

Cervoni, un Corse, servait dans l’armée républicaine. Il n’était pas général alors et il devait sous l’Empire être gouverneur de la région militaire de Marseille puis se faire tuer à la bataille d’Eckmühl.  Lautard, pourtant royaliste, l’appelle « le noble général Cervoni, l’ami de Marseille » c’est dire à quel point il l’appréciait.

Cervoni raconte qu’il fut l’un des premiers à entrer à Toulon avec ses soldats. Les Conventionnels en mission lui avaient donné l’ordre de fusiller les premiers Toulonnais qu’il rencontrerait.

Il vit venir vers lui, épouvantés, des habitants dont des femmes et des enfants.

« Rentrez chez vous, braves gens, je ne vous veux pas de mal », leur dit doucement Cervoni.

Le brave Cervoni ignorait sans doute que ces Toulonnais allaient peut-être mourir le lendemain.

 

En effet, le lendemain les Conventionnels Paul Barras et Stanislas Fréron donnent l’ordre à tous les « bons citoyens » de se rendre au Champ de Mars.

Il ne reste plus que 7 000 habitants à Toulon. En fait, tous ceux qui viennent ne savent pas quel sort les attend. Des prisonniers jacobins qui étaient enfermés par les contre-révolutionnaires sur le navire Le Thémistocle sont présents et désignent ceux qui doivent être abattus. 7 à 800 personnes (on donne même le chiffre de 2000) sont fusillées sommairement, sur le champ de Mars, en plusieurs fois jusqu'au 31 décembre.

Des témoins dont Marmont, ami de Bonaparte, qui servait dans l’armée républicaine (futur duc de Raguse et Maréchal de l’Empire et de la Restauration), décriront comment les victimes sont choisies : on désigne certes des ennemis politiques mais aussi son créancier, son ennemi personnel, le mari dont on veut se débarrasser pour avoir sa femme.

Même des villageois entrés dans Toulon à la suite des troupes républicaines, qui sont venus là par curiosité, sont fusillés.

On connaît l’astuce utilisée au moins le premier jour des fusillades par les Conventionnels. Après la décharge, les Conventionnels crient à ceux qui ne sont que blessés de faire signe, la République leur fait grâce. Les blessés se manifestent, ils sont alors achevés à l’arme blanche.

Le même scénario avait déjà servi à Lyon lors de la reprise de la ville en octobre 1793.

Un rapport triomphant à la Convention déclare que ni l'âge ni le sexe n'ont été épargnés et que tous ceux qui n’ont pas été tués par le feu  de la liberté ont été achevés par le fer de l’égalité.  Il a bien fallu que les fusillades soient accomplies par l’armée régulière. Que faisaient donc Bonaparte ou Marmont (ce dernier était un officier dont les sympathies étaient plutôt royalistes mais qui trouvait dans l’armée républicaine un refuge comme beaucoup d’anciens nobles) et d'autres lors de ces fusillades ?

 

Par la suite, la commission révolutionnaire prononce 290 condamnations judiciaires. Parmi les victimes, un vieillard de 94 ans, une femme à peine accouchée…

Fréron proclame qu’il faut raser Toulon. Déjà la ville est débaptisée.

Le 4 nivôse an II,  la Convention vote un décret disposant que : « Le nom infâme de Toulon est supprimé. Cette commune portera désormais le nom de Port-la-Montagne ».

Ce nom est une évocation peut-être du Mont-Faron qui domine Toulon mais surtout un hommage à la Montagne de la Convention.

 

 

 

 

Ces féroces soldats (air connu)

 

 

 

 

Nous avons déjà parlé des mots célèbres de la Marseillaise, sur ces « féroces soldats qui viennent égorger nos fils et nos compagnes ». Si de tels massacres sont inconnus pendant les guerres de la Révolution de la part des ennemis de la France révolutionnaire, il n’en est pas de même pour les soldats révolutionnaires.

On vient de voir que les massacres de Toulon n’ont pas épargné les femmes. Il est probable que ce fut aussi le cas lors de la reprise de Lyon en octobre 1793, sans parler des exécutions "judiciaires" à Toulon, Lyon ou à Nantes. Dans cette dernière ville, des milliers de personnes furent noyées dans la Loire sur ordre du Conventionnel Carrier, ou sont mortes en prison où des milliers de détenus dont beaucoup de femmes et d'enfants se trouvaient dans des conditions épouvantables.

Y avait-il des enfants parmi les massacrés par fusillades, à Lyon ou à Toulon ? Nous ne le savons pas. Les citoyens invités à se rendre au Champ de mars de Toulon étaient-ils venus avec leurs enfants ?

Mais on sait parfaitement que des enfants furent massacrés en Vendée.

 

Sans entrer dans le détail de ce qui s’est passé non seulement en Vendée mais dans les départements voisins, on peut rappeler certains faits qui probablement ne souffrent pas la contestation.

Dès le Ier août 1793 (donc après l'élimination des Girondins lors de l'émeute du 2 juin 1793 où la majorité de la Convention a été forcée de voter leur arrestation sous la menace des sans-culottes) la Convention vote un décret décidant la destruction de la Vendée qui s'est soulevée contre la République.

A la fin de 1793, les combattants Vendéens, acculés sur les bords de la Loire après leur défaite de Cholet, rejoints par une multitude de vieillards, de femmes et d'enfants fuyant les incendies et les dévastations des armées républicaines, passent le fleuve et pénètrent en Bretagne et dans le Maine où ils espèrent recevoir des secours des populations qui leur sont souvent favorables. Au total, ce sont 60 000 à 100 000 personnes selon les estimations, hommes femmes et enfants, qui franchissent le fleuve. C’est la « virée de Galerne ».

Presque tous ceux qui ont participé à la virée de Galerne vont y laisser la vie.

Ils sont taillé en pièces d’abord à la bataille du Mans, le 12 décembre 1793 (10 à 15000 tués au combat ou dans les massacres chez les Vendéens, y compris femmes et enfants, alors que les républicains n'auraient que 30 morts et 100 blessés), puis à la bataille de Savenay le 22 décembre 1793. Avant et après ces batailles, en plusieurs lieux, les républicains ont massacré indifféremment combattants et femmes et enfants, malgré quelques tentatives de modérer les tueries par les généraux Kléber et Marceau.

Après Savenay, le général Westermann, surnommé « le boucher des Vendéens », écrit au Comité de salut public une lettre restée célèbre :

« Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé... Kléber et Marceau ne sont pas là. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire ».

Il est drôle de penser que Westermann qui se donne le beau rôle (si on ose dire) fut plus tard considéré comme ami de Danton et guillotiné avec lui, Camille Desmoulins et ceux qu’on a appelé les « Indulgents » ! Il avait pourtant fait tout son possible pour ne pas être classé dans cette catégorie…

Ceux qui ont échappé au massacre immédiat sont conduits à Nantes, qui devient alors une annexe de l’enfer sur terre.

En décembre 1793,  arrivent à Nantes 8 000 à 9 000 prisonniers vendéens, hommes, femmes et enfants, qui sont entassés dans la prison de l'Entrepôt des cafés. Les conditions sanitaires sont épouvantables.

Outre la mortalité dans les prisons, les prisonniers sont guillotinés (en petit nombre car la guillotine n’est pas adaptée aux tueries sur une vaste échelle) fusillés en masse  ou surtout noyés, avec ou sans simulacre de jugement, sur les ordres de Carrier. Les noyades des prisonniers de tout âge et sexe, entassés sur de vieux navires qui sont coulés au milieu de la Loire, sont restées célèbres.

 Au total, sur les 12 000 à 13 000 prisonniers , hommes, femmes et enfants, que compte la ville, 8 000 à 11 000 périssent, dont la quasi-totalité des prisonniers de l'Entrepôt . La grande majorité des victimes sont des Vendéens , on compte aussi des Chouans (insurgés bretons), des suspects nantais, généralement girondins ou fédéralistes, des prêtres réfractaires, des prostituées, des droits communs, ainsi que des prisonniers de guerre Anglais et Hollandais, en violation des lois de la guerre admises par les pays civilisés.

Le général Kléber, écrira, dans ses Mémoires :

« Des milliers de prisonniers [vendéens] de tout âge et de tout sexe sont successivement arrêtés et conduits sur les derrières. …la France, l’Europe entière, connaissent toutes les atrocités qu’on a exercées sur ces misérables [il faut comprendre ces malheureux]. La ville de Nantes a particulièrement servi de théâtre à ces scènes sanglantes et inouïes, que ma plume se refuse de décrire … ».

Des massacres nombreux ont évidemment lieu dans d’autres localités comme Angers. On parle de tannerie de peau humaine.

En Vendée même s’organise la répression une fois les Vendéens vaincus militairement.

Le 12 décembre 1793, le représentant en mission Jean-Baptiste Carrier écrit au général Haxo, avec le tutoiement de rigueur : « Il entre dans mes projets, et ce sont les ordres de la Convention nationale, d'enlever toutes les subsistances, les denrées, les fourrages, tout en un mot dans ce maudit pays, de livrer aux flammes tous les bâtiments, d'en exterminer les habitants…je vais incessamment t'en faire passer l'ordre ».

Mais cette politique de destruction déjà dans l’intention des « ordres » de la Convention évoqués par Carrier, sera portée à son maximum par  les « colonnes infernales » au début de 1794. Pendant que les derniers prisonniers de la virée de Galerne meurent dans les prisons de Nantes ou noyés dans la Loire, le général Turreau, l’un des commandants, écrit : « il faut exterminer tous les hommes qui ont pris les armes, et frapper avec eux leurs pères, leurs femmes, leurs sœurs et leurs enfants. La Vendée doit n'être qu'un grand cimetière national ».

On sait ce qu’ont été ces colonnes et c’est à ce moment qu’on a parlé de femmes et d’enfants coupés vivants en morceaux, ou jetés vivants dans les fours à pain chauffés, les « simples » massacres faisant figure de banalités et d’activités de club de vacances.

Dans certaines communes considérées comme « patriotes », les troupes massacrent quand même les habitants sans tenir compte des consignes qui étaient de les transporter dans d’autres régions pour faire un désert de la Vendée.

Ce qui précède est pris sur les articles généralement bien documentés en la matière de Wikipedia. Il n’est pas question de savoir ici s’il y a lieu ou non de parler de génocide, les faits sont suffisamment parlant même sans cette étiquette.

 

 Une dernière illustration sera fournie par le Journal intime de Stendhal, à la date du 1er septembre 1806.

Stendhal, raconte une partie de plaisir dans le parc de Montmorency avec son ami grenoblois Faure et un nommé Laguette-Mornay, lieutenant dans la garde impériale, futur baron. Les propos sont libres : « Laguette parle des petites allemandes qu’il  a eues ».

Et puis, le paysage traversé amène d’autres récits :

« Nous revenons par des chemins enterrés. Guerre de la Vendée. Le beau-frère de Laguette. Caverne où on étouffe des enfants, indiquée par une vieille que les habitants avaient eu l’imprudence de laisser. Père accompagnant son fils qui venait remettre son fusil. On fusille le fils. Soldats égorgeant des femmes grosses, arrachant leur enfant et le portant au bout de leur baïonnette. Soldats gémissant d’être employés à cette guerre, désirant le sort de ceux qui la font au Rhin, à la vue des enfants étouffés dans la caverne par la fumée. »

Aucun commentaire de Stendhal, comme si un ange passait. Le paragraphe suivant : « Nous dînons », description d’un parc charmant, « le plus joli que j’ai vu », on se croirait à Bergame (sic !).

Stendhal n’est peut-être pas le premier à parler de la guerre de Vendée et des actes de barbarie qui y ont été commis, mais ce qu’il en dit, dans un texte qui n’est pas fait pour la publication, a le mérite de la sincérité.

On devine que les souvenirs qui sont évoqués ne sont pas ceux de Laguette mais les souvenirs que le beau-frère de Laguette a du raconter à ce dernier. Si l’histoire du jeune homme fusillé devant son père alors qu’il vient rendre un fusil, probablement pour obéir à des ordres de désarmement, est l’une de ces exactions comme il y en a tant en temps de guerre, les enfants enfumés dans la caverne (selon un scénario qu’on retrouvera pendant la conquête de l’Algérie pour des familles arabes) et surtout les femmes égorgées, éventrées et les fœtus mis au bout des baïonnettes sont des images d’une guerre sauvage. Et encore le beau-frère de Laguette n’avait pas tout vu ou tout raconté. Les soldats qui gémissent en obéissant aux ordres gardent un sens moral et un discernement que n’ont plus ceux qui spontanément, couverts et encouragés par leurs supérieurs, se livrent à des actes de pure barbarie.

Et maintenant, vaut-il encore la peine de parler de « ces féroces soldats » ennemis, dont l’histoire n’a retenu aucune exaction semblable ? Combien de Français d’aujourd’hui, aussi ignorants en histoire qu’en géographie, prennent au comptant les phrases de la Marseillaise, sans se demander qui, réellement, massacrait des civils, des femmes et des enfants à cette époque ?

Au même moment, bien loin de là, à Dux en Bohême, Giacomo Casanova, prototype de l'homme libre mais farouchement opposé à la Révolution, informé (et encore sans doute imparfaitement) des violences qui se déroulaient en France, s’écriait : que Dieu me tienne éloigné de ce pays qu’il a frappé de sa malédiction !

 

 

Marseille innommable : la Ville sans nom

 

 

 

Marseille en tous cas, échappa aux massacres de masse et même Lautard, fédéraliste et royaliste,  reconnait que les Allobroges qui avaient tellement épouvanté la population, étaient d'assez braves gens plus intéressés par les basses-cours que par le pillage des maisons et que les Marseillais finirent par regretter Carteaux quand il quitta la ville. Il est vrai que Carteaux et ses troupes n'étaient pas chargées de la répression et devaient maintenant assiéger Toulon.

 

Marseille avait finalement eu la chance d'être reprise assez tôt. La résistance plus prolongée de Lyon, celle encore plus longue de Toulon, la situation de Nantes qui était aux portes de la Vendée sans parler de la Vendée elle-même, avaient entrainé une répression bien plus féroce.

 

Après la reprise de Toulon, une pompeuse cérémonie à lieu à Marseille, Isoard, le secrétaire du Club des Jacobins, remet une couronne civique à Dugommier, le général qui a commandé le siège de Toulon; un boulevard central de Marseille porte le nom de Dugommier depuis cette époque, personnage peu sanguinaire d'ailleurs et qui n'était pour rien dans la répression ordonnée par les Conventionnels.

Il est à noter que cette cérémonie doit avoir lieu à l'extrême fin de 1793 ou au début de 1794, et on peut s'étonner de voir Isoard, qui a quitté Marseille en catastrophe après l'épisode du Congrès des sociétés populaires, soit revenu si vite. C'est pourtant Augustin Fabre qui indique sa présence à  cette cérémonie.

 

Les Conventionnels n’en ont pas fini avec Marseille, au contraire.

Selon Lautard, avant la fin de l'année 1793, 1500 pères de famille étaient sous les verrous, dans d'anciens couvents,  Saint-Jaume, Sainte-Claire, au couvent des Carmélites ou au Palais de Justice (l'ancien Palais, ou Pavillon Davel), cette dernière prison étant réservée aux prisonniers les plus importants, les condamnés d'avance.

Ceux qui pouvaient fuyaient en Italie, les passeurs génois par bateau faisaient des affaires en or : 'le prix était énorme mais le service était immense" dit Lautard.

Le tribunal révolutionnaire de Marseille de Giraud et Maillet avait prononcé 162 condamnations à mort en 4 mois. 

C'était trop peu pour Fréron et Barras qui le trouvent trop indulgent et trop lent. Selon eux, avec ce tribunal, " les plus acharnés sectionnaires, les négociants infâmes échappaient à la mort ".

Ils font arrêter Maillet et Giraud accusés de toucher des pots de vin, et nomment à leur place un tribunal de 5 membres tous parisiens, la commission militaire, présidée par Leroy, surnommé Brutus (7 janvier 1794).

Maillet et Giraud seront acquittés par le tribunal révolutionnaire de Paris et auront même droit à des félicitations, comme quoi le tribunal révolutionnaire ne prononçait pas toujours des sentences de mort, du moins quand les accusés étaient de bons Jacobins accusés à tort de manquer de zèle.…

Le tribunal leur donnera « la couronne civique et le baiser fraternel ».

 

Fréron se réjouit de l'activité du nouveau tribunal; il écrit  à Moïse Bayle : « La commission militaire va un train épouvantable contre les conspirateurs ; ils tombent comme grêle sous le glaive de la loi. Demain, seize doivent être guillotinés…En huit jours, la commission militaire fera plus de besogne que le tribunal criminel n'en a fait en quatre mois. Demain, trois négociants danseront la carmagnole; c`est à eux que nous nous attachons. »

 

A partir du 1er pluviose an II  (20 janvier 1794), jour de son installation, cette commission jugea 219 accusés dont  123 condamnés à mort. Bientôt cassée par la Convention, cette commission tint sa dernière séance le 23 ventôse an Il (13 mars 1794), elle avait siégé durant sept semaines (Paul Masson).

Puis le tribunal révolutionnaire de Maillet et Giraud reprit son service, puisque ses membres avaient retrouvé la confiance des autorités supérieures; il fut ensuite remplacé par la commission d'Orange dont on va parler.

Fréron et Barras (leurs collègues sont là pour la forme) décident aussi de modifier le nom de la ville.

Par un arrêté du 17 nivôse an II, 6 janvier 1794, signé Barras, Saliceti, Freron et Ricord,  fait au Port-la-Montagne (ci-devant Toulon),  il est décidé que  " le nom de Marseille que porte encore cette commune criminelle sera changé. La Convention nationale sera invitée de lui en donner un autre. Provisoirement, elle reste sans nom et portera cette dénomination".

Le général de division Lapoype, commandant militaire de la commune de Sans-Nom en état de siège, était chargé de l’exécution du présent arrêté.

Les raisons de la mesure méritent d'être citées :

"Considérant que la commune de Marseille a la première sonné le tocsin de la rébellion dans le Midi...Considérant que par l'examen des papiers trouvés dans...l'infâme Toulon, on voit que Marseille et Toulon n'avaient qu'un même esprit, qu'une même pensée, qu'une même intention...cette coalition est démontrée par la stupeur dans laquelle la réduction de sa fidèle alliée l'a plongée et la retient au milieu des chants d'allégresse qui retentissent dans toutes les communes des départements environnants..."

Ainsi les Conventionnels reconnaissent que Marseille dans son ensemble était bouleversée par la "réduction", ou en termes plus modernes, la défaite ou la chute de Toulon, ce qui au moins tend à montrer que l'opinion fédéraliste n'était pas seulement l'expression d'une minorité bourgeoise comme voudront le dire plus tard les historiens pro-jacobins, les Lourde et les Vialla, mais l'expression de la majorité de la population. Et les Conventionnels, sans rire, ajoutent que Marseille, seule, reste silencieuse au milieu des "chants d'allégresse" qui retentissent pour la prise de Toulon. Mais où retentissent ces chants d'allégresse ?  Dans les communes du Midi quadrillées par les comités de surveillance ?

A Paris, David avait organisé une grandiose cérémonie en l'honneur de la reprise de Toulon. Mais dans le reste de la France, il est peu probable qu'à part chez les Jacobins locaux, on ait entendu beaucoup de chants d'allégresse, en tous cas, pas à Lyon, livrée à la Terreur et à la destruction, ni à Bordeaux, reprise par la Convention en septembre, ni à Nantes, en proie à une féroce répression, ni en Vendée...et dans les départements "prudents", combien de démonstrations d'allégresse sans sincérité aucune ?

 

ARRETE du 17 NIVÔSE AN II (6 janvier 1794)

 

 (extrait, orthographe modernisée)

 

 LIBERTE, EGALITE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Les représentants du peuple près les armées et les départements du Midi

 

Considérant que la commune de Marseille a la première sonné le tocsin de la rébellion dans le Midi...

 

Considérant que cette commune a attenté à la souveraineté nationale en arrêtant des députés envoyés dans les départements Méridionaux par la Convention; que ses nombreux bataillons ont marché, enseignes déployées, contre les armées nationales, leur ont livré des batailles, ont assiégé, pris et saccagé des villes qui étaient restées fidèles à la République.

(...)

 Considérant que par l'examen des papiers trouvés dans...l'infâme Toulon, on voit que Marseille et Toulon n'avaient qu'un même esprit, qu'une même pensée, qu'une même intention, un même but ; que des commissaires communs ont été envoyés aux flottes ennemies; que l'arrivée seule des soldats de la République dans les murs de Marseille a empêché les Anglais d'entrer dans ses ports ; que cette intimité, cette coalition est démontrée par la stupeur dans laquelle la réduction [la prise] de sa fidèle alliée l'a plongée et la retient au milieu des chants d'allégresse qui retentissent dans toutes les communes des départements environnants;

 

ARRETENT :

 

1° Le nom de Marseille que porte encore cette commune criminelle sera changé. La Convention nationale sera invitée de lui en donner un autre. Provisoirement, elle reste sans nom et portera cette dénomination

2° Les repaires où se tenaient les assemblées des sections et du Comité général, seront rasés, et un poteau qui rappellera leur révolte, sera dressé sur le terrain qu'ils occupaient;

(...)

5°:Le commandant militaire de la commune de Sans-Nom  est chargé, sous sa responsabilité,  de l’exécution du présent arrêté.

 

Fait au Port (de) la Montagne [Toulon] le 17 nivôse, l'an II de la République, 

 

signé : FRERON, PAUL BARRAS, SALICETI [orthographié SALLICETY], RICORD 

 

( Suit l'ordre du général de division Lapoype, commandant militaire de la place de Sans Nom, en état de siège, d'exécuter l'arrêté et de le faire publier, afficher et proclamer dans la commune de Sans Nom, sur son territoire [le terroir marseillais] et dans les départements méridionaux ).

 

 

 

 

 

 

 

« Marseille était innommable » ainsi que le commente l'ouvrage de Paul Masson déjà cité.

Même les députés montagnards du département, notamment Granet, se plaignent de ce changement de nom.

Fréron écrit à Moïse Bayle : "Que diable lui fait un nom ou un autre ?... Il ne s’agit plus d`être Marseillais, ou Picard, ou Normand, ou Breton, il s’agit  d’être Français ».


Malgré la menace de la guillotine, les Marseillais protestent. Paul Masson y voit la preuve d'un esprit particulariste qui a survécu à toute les révolutions.  


Fréron et Barras vont jusqu'à dire :

"L'importance que l'on met à conserver le nom de Marseille serait peut-être la raison la plus puissante pour le changer. Toute l'Europe sait que lorsqu’on demandait à un Marseillais s'il était Français, il répondait : Non, je suis Provençal !

Voilà l’opinion qu`on apporte ici en naissant. C’est un péché originel…Le Marseillais, par sa nature, se regarde comme un peuple à part… La situation géographique, …son langage particulier, tout alimente cette opinion fédéraliste…Ils ne voient que Marseille. Marseille est leur patrie, la France n’est rien. Quand même Marseille n'aurait pas fait la guerre à la République. il eût été politique de changer son nom".

 

L'Encyclopédie de Paul Masson voit de façon caractéristique dans ce morceau écrit en pleine Terreur la preuve de «  l’indéfectible attachement des Marseillais, des Provençaux, à leur petite patrie », et les auteurs qui sont tous de bons Marseillais (dont Raoul Busquet) ou de bons Provençaux, se réjouissent de ce que ni Louis XIV ni la Convention (dont les méthodes étaient incomparablement plus violentes, ajouterons-nous) n'ont réussi à supprimer le particularisme marseillais. On notera qu'encore à l'époque de Paul Masson et de ses collègues, le particularisme marseillais se distinguait mal du particularisme provençal. 

 Finalement, la Convention finit par abroger l'arrêté des Conventionnels en mission. Même si la Terreur continue à Marseille, celle-ci retrouve son nom et célèbre même ce rétablissement par des réjouissances.

Dans son Histoire de Marseille (1829) Augustin Fabre écrira:

"Ils (les Conventionnels Barras et Fréron) proposent de supprimer le nom de Marseille et de lui donner désormais celui de ville sans nom, comme s'il dépendait d'eux d'effacer cette appellation  glorieuse que prononçaient avec respect tous les grands hommes de l'Antiquité et qui se rattachait à des souvenirs impérissables."

 Longtemps après les faits, le patriotisme marseillais éclate dans le commentaire de Lautard, qui écrit dans les annes 1840 :

"Noble et antique Marseille, des assassins sans gloire essayèrent de tuer ton nom, comme si ce nom consacré par 27 siècles pouvait jamais mourir !"

(au passage Lautard donnait à Marseille encore plus d'antiquité qu'elle n'en avait puisque c'est seulement son 26ème centenaire qui a été fêté en 2000).

 

 

 

 

 270

Le clocher des Accoules. L'église gothique des Accoules fut détruite sur ordre de Barras et Fréron, seul le clocher fut épargné parce qu'il portait une horloge et donc qu'il était utile. Une église de style néo-classique fut reconstruite à l'époque de la Restauration. Sur la photo on voit le calvaire qui fut aussi accolé au clocher sous la Restauration.

Photo de l'auteur.

 

 

La  Terreur à Marseille

 

 

 

Sur l'ensemble de la période de Terreur à Marseille (depuis la reprise de la ville, en passant par la période où les pouvoirs sont exercés par Barras et Fréron, puis par la période où Maignet exerce les pouvoirs au nom de la Convention en remplacement de Barras et Fréron) on peut citer les phrases d'Augustin Fabre dans son Histoire de Marseille :

"Qui pourrait dire le nom de toutes les victimes ? Qui pourrait peindre avec d'assez noires couleurs les calamités affreuses que le Ciel irrité fit tomber sur Marseille ? Les prisons regorgèrent de suspects entassés les uns sur les autres.

Une farouche tyrannie, foulant aux pieds tout ce les hommes respectent, soumit les citoyens tremblants à ses ignobles caprices et les haines particulières engendrèrent de nombreux forfaits, sous le masque du patriotisme indigné et de la liberté gémissante... brutal abus de la force, outrages de toute espèce, souillures de tous les instants, tels furent les moyens de gouvernement employés par les montagnards victorieux".

 

 Le tribunal révolutionnaire de Maillet et Giraud avait relativement épargné les négociants, peut-être parce que, malgré tout, les juges étaient des Marseillais qui respectaient ces hommes qui avaient fait la prospérité de Marseille.

La commission militaire présidée par Leroy dit Brutus, composée de Parisiens, qui remplaça le tribunal de Maillet et Giraud, puis la commission d’Orange qui remplaça le tribunal de Maillet et Giraud un moment rétabli après la suppression de la commission Brutus, n’avaient pas ces scrupules. 

 

On assiste alors à l’exécution de nombreux négociants et banquiers ; certes beaucoup d’entre eux avaient soutenu plus ou moins clairement le mouvement fédéraliste. Mais on discerne l’intention de frapper les classes aisées à un moment où la Révolution hésite à s’engager dans la voie de la révolution sociale que veulent les sans-culottes, donc vers une société vraiment égalitaire, du moins égalitaire en tant que rien ne serait au-dessus des sans-culottes dont on sait qu’ils ne sont pas vraiment des prolétaires, mais des petits artisans ou commerçants, qui s’arrangent très bien d’avoir des gens en dessous d’eux. Le député Omer Granet, fabricant de tonneaux, le Jacobin de base Fassy, fabricant de voiles, illustraient le milieu où se recrutaient les partisans de la Terreur, comme l'imprimeur Mossy qui s'enrichira dans l'achet de biens nationaux et dont on reparlera.

La Convention et le Comité de salut public donnent des gages à la frange militante de la Révolution, ces « gardes rouges » qui peuplent les clubs affiliés aux Jacobins et les comités de surveillance, en sacrifiant les « riches » confondus avec les « aristocrates » et tous les contre-révolutionnaires. On a vu que Fréron poussait à la condamnation des négociants.

De plus, les biens des condamnés sont saisis par la Nation ce qui est aussi une façon de pousser aux condamnations.

 Enfin l'application de la loi du maximum ( prix des denrées fixé par l'Etat) provoqua des "délits éconmiques" qui pouvaient se solder par la mort, comme les tentatives de dissimuler des biens en cas de réquisition.

Les négociants Samatan, Hugues, Rabaud, Seimandy, et d'autres, sont exécutés.

Samatan était le chef d’une maison de commerce, marié avec une demoiselle Timon-David (beaucoup de Marseillais connaissent l’école privée Timon-David, Boulevard de la Libération, qui tire son nom d’un chanoine et éducateur de cette famille au 19ème siècle).   Après avoir participé aux institutions municipales provisoires de la fin 1789 et s’être opposé à Chompré, il avait choisi de s’éloigner et après un séjour à Tunis où sa maison avait une succursale, il s’était installé en Italie.

Mais il était revenu à Marseille et avait accepté de la municipalité le poste de président du comité de subsistances en 1792. Il avait à ce titre fait venir 40 000 charges de blé du royaume de Naples, 4 chargements d'Amérique et 10 000 charges de la Baltique. Excepté quatre vaisseaux interceptés par les Anglais, tous les autres arrivèrent à destination (Wikipedia).

Accusé une première fois devant le tribunal révolutionnaire de Giraud et Maillet en octobre 1793, sous le prétexte d'avoir dissimulé au fisc révolutionnaire des marchandises; il fut acquitté. Le tribunal, dont Chompré était greffier, avait pu se montrer équitable.

Mais de nouveau accusé devant la commission Brutus, il fut condamné et guillotiné le 23 janvier 1794. Il semble que le prétexte de l'accusation était que ses bateaux, pour apporter du blé à Marseille, avaient été autorisés à passer par la Royal Navy, peut-être à la fin de la révolte fédéraliste lorsque le comité négociait avec les Anglais. Un boulevard de Marseille porte son nom.

 

Lautard écrit : « Lequel n’a pas entendu parler de la belle et grande expédition  aux Indes orientales de la maison Rabaud dont le chef devait expier plus tard sur l’échafaud son honorable renommée commerciale ? ». Le prétexte de son accusation? Les canons qui avaient servi aux fédéralistes pour tirer sur la 11ème section qui s'était désolidarisée de la cause fédéraliste, venaient de ses entrepôts.

 

On exécute aussi, c’est bien le moins, les membres des familles nobles de Marseille, même s’ils n’ont pas participé au soulèvement fédéraliste. Ainsi le chevalier de Mazargues, le marquis de Glandevès-Niozelles.

Les anciens échevins qui ont eu le tort de ne pas s’enfuir sont aussi exécutés puisqu’ils ont exercé des fonctions sous l’Ancien régime.

L’ancien échevin Bagarry, "bon et digne bourgeois, pétulant comme un jeune homme", caché à la campagne avec un juge du tribunal populaire sectionnaire (fédéraliste), est exécuté avec son compagnon.

L’évêque constitutionnel Roux jugé responsable d’avoir organisé une procession en août 1793 pour demander la protection divine contre les troupes de la Convention est guillotiné (il se rétracte avant de mourir de son serment constitutionnel et reçoit les sacrements d’un prêtre réfractaire très actif, prisonnier comme lui, l’abbé Reimonet, qui survivra à cette période).

Même le clergé constitutionnel n’est plus protégé par son statut, les églises, déjà désertées par les fidèles, sont fermées. Parmi les prêtres constitutionnels exécutés, l'abbé Bertrand, curé des Accoules, le grand vicaire Sardou, ancien prieur de Notre-Dame du Mont.

Le fabricant de chapeaux Grégoire "honnête et pacifique vieillard", le commerçant protestant Laurent Tarteiron, "le meilleur, le plus inoffensif des fils de Marseille", le dentiste Carnelli d'origine italienne, le pharmacien Lavit qui avait fourni de médicaments l'armée départementale, sont exécutés.

L'avocat Lavabre, un des rares avocats à avoir pris parti pour les fédéralistes (selon Lautard, ses collègues s'étaient abstenus de participer au soulèvement qui était pour eux un danger sans profit...) est rattrapé alors qu'il s'enfuyait en bateau, il préfère se jeter à l'eau qu'être capturé.

Le négociant Guilhermy est arrêté. Quelle est ta profession ? lui demande Brutus. Courtier en denrées coloniales. Il n'en faut pas plus pour qu'il soit condamné à mort. 

De nombreuses autres personnalités marseillaises sont envoyées à la guillotine mais aussi des gens des milieux populaires. Lautard cite notamment le cuisinier ambulant Mégy, un bien mauvais cuisinier mais le plus inoffensif des hommes. Il avait déplu à un Jacobin.

Ainsi parmi tant de personnes des classes populaires exécutées pour avoir parlé dans les sections ou fait partie de l’armée départementale, on note qu’une femme est exécutée (à la suite forcément d’une dénonciation). En faisant la queue pour du ravitaillement, elle avait dit aux autres personnes : attendez que les Anglais soient là, quand ils seront là nous aurons de quoi manger. Crime digne de la peine capitale, on en conviendra.

 Un homme du peuple, d'une localité proche de Marseille, qui a fait partie de l'armée départementale, est interrogé par ses accusateurs : pourquoi a -t-il suivi dans leur révolte les Marseillais ?

Il répond : parce que la fière cité de Marseille doit toujours être notre boussole et notre guide.

Il est probable qu'il paya de sa tête cette belle réponse.

Beaucoup d'artisans sont victimes de la jalousie de leurs concurrents, membres du comité de surveillance qui décidait des listes de suspects, ou de délateurs intéressés.

Les jugements de la commission Brutus portent la mention suivante : « La commission militaire siégeant à sans nom, ci devant Marseille ».

 

La guillotine est d’abord installée au plan Saint-Michel - devenu Place de la Constitution  (la Plaine) puis transférée au bas de la Canebière, à hauteur de la place actuelle de la Bourse. Selon Raoul Busquet, elle était installée à peu près à l'endroit où en 1934, fut assassiné le roi Alexandre de Yougoslavie qui commençait une visite officielle en France (une plaque sur un réverbère marque l'endroit de cet assassinat).

Le capitaine de la marine marchande Tassy, en marchant vers la guillotine, essaya de profiter de la proximité du Vieux-Port pour s'enfuir: Il se jeta à l'eau mais poursuivi en barque, il fut assommé d'un coup d'aviron et traîné à la guillotine. 

 

 

212

Tranquille abri des bateaux de plaisance, le Vieux-Port actuel ne ressemble plus à celui que connaissaient les Marseillais de l'époque révolutionnaire.

Les événements avaient dramatiquement diminué le trafic commercial, ajoutant la crise économique à la crise politique;

Photo de l'auteur.

 

 

 

Un autre eut plus de chance et parvint Dieu sait comment à gagner Gênes où il arriva presque nu, en vrai nauffragé.

Les sans-culotte font une distraction d’aller voir les exécutions et lorsque la tête tombe, ne manquent pas de crier : Passarez !

C’est le vieux mot utilisé à Marseille lorsqu’on jetait les ordures par les fenêtres pour avertir, s’il en avait le temps, le passant de se coller au mur pour éviter d’être salopé. Passez au ras du mur !

 

Le président de la commission Brutus écrit à la Commune de Paris: « le sang des scélérats, des ennemis de la patrie arrose les sillons du midi. Leurs corps fertilisent les champs. La terre a soif de ces monstres. Ca va bien, ça ira mieux avant peu… ».

Lautard note que lorsqu’on donnait l’ordre d’arrêter une personne appelée Rigordy ou Hugues, on ne spécifiait pas forcément de qui il s’agissait et quatre ou cinq personnes de ce nom étaient arrêtés pour une seule ; sept Hugues furent arrêtés lorsqu'on ordonna d'arrêter le négociant de nom; une fois en prison, on trouvait souvent un motif pour garder les arrêtés par erreur.

Mais on pouvait aussi échapper au pire. Lautard, de sentiment certes très contre-révolutionnaire, mais qui avait servi quelques jours seulement dans l’armée départementale au moment de l’action fédéraliste sur Avignon (et qui donc ne semble pas s’être énormément dévoué pour la cause qu’il soutenait ?) fut arrêté et comme des centaines d’autres, incarcéré au couvent Sainte-Claire transformé en prison.

Il était comme tous les autres sous la menace de la guillotine, car on pouvait être condamné pour peu de chose selon l’humeur des juges.

Pourtant les prisonniers étaient loin d’avoir le même sort que les prisonniers des tragiques prisons de Nantes.

Lautard et ses codétenus étaient libres d'aller et venir en prison, ils plaisantaient (quand ils en avaient le cœur), et jouaient aux boules dans le jardin du couvent, et Lautard note que le cercle qui se formait autour des joueurs n’avait rien à envier au cercle entourant les joueurs au Chapitre, place de Marseille en haut de la Canebière qui devait être à cette époque le rendez-vous des boulistes.

Un coin de la prison était surnommé "Rive-neuve" (du nom du quai où beaucoup de membres de professions maritimes habitaient et travaillaient à Marseille) : c'était le coin des calfats, des charpentiers de marine, des ouvriers du port, et les détenus de ce coin aimaient rire et chanter, et boire aussi.

Mais Lautard note aussi que l'emprisonnement rendait égoïste. Quand on apprenait un acquittement, on feignait de se réjouir mais l'envie était "au fond du vase".  

Il vit partir beaucoup de compagnons pour la guillotine. Il raconte que l’un d’eux plaisantait avec les autres et avec le garçon barbier qui lui faisait la barbe lorsqu’on l’appela pour le jugement (l’exécution, si la condamnation était prononcée suivait de très peu, sans retour en prison). Le garçon barbier fut tellement ému qu’il ne put continuer à le raser. Le compagnon de Lautard serra la main à tout le monde, s’efforçant de ne rien laisser paraître, alors que tous les autres avaient le cœur serré. Ils ne devaient jamais le revoir.

Parfois une teinte de plaisanterie marseillaise colore ces souvenirs malgré les circonstances. Un dénommé Francoul avait été arrêté, peut-être à la place de son frère; il est appelé pour son jugement. Comme il n'avait pas de chapeau, il demande à son cousin, détenu lui-aussi, de lui prêter son chapeau (preste mi toun capeou, en provençal).

Condamné il ne revient pas. Son cousin, en y pensant, gémissait : Pauvre Francoul, lou capeou ero tout noou (le chapeau était tout neuf) !

 

 

 

 

 Histoire d'amour  d'un Corse et d'une Marseillaise

 

 

 

Un jeune officier qui a billet de logement à Marseille et qui fait le va-et-vient entre Marseille et Toulon, Napoléon Bonaparte, dira plus tard, à propos de l’exécution du négociant Hughes, âgé de 84 ans et à qui « on n’avait rien d’autre à reprocher que d’être riche de 18 millions » : « Il me semblait que c’était la fin du monde ». Mais l’officier se trouve dans le camp des guillotineurs, peut-être sans vraie conviction et il attend son heure.

 

 Bonaparte est-il à un moment logé chez la famille du négociant Clary, ancien échevin  ? Selon certaines sources, Bonaparte n'a pas logé chez les Clary mais de toutes façons, il a fréquenté cette famille avec qui les Bonaparte avaient des relations depuis plusieurs années. Quand la famille Bonaparte est arrivée de Corse, chassée par l'insurrection paoliste, au printemps 1793, ce sont les Clary qui leur ont trouvé un premier logement.

Le chef de la famille Clary, n’en mène pas large dans ces mois d'automne 1793. Son fils et son beau-fils sont en prison pour avoir participé aux actions contre-révolutionnaires (ou au moins en sont accusés ce qui revient au même).

Alors cet officier républicain, c’est un peu sa sauvegarde. Clary père meurt dans son lit au début de 1794, mais l’état d’angoisse dans lequel il vit a certainement hâté sa mort.

Quant à Napoléon, rejoint par son frère Joseph, il ne tarde pas à tomber amoureux de la fille de la maison, Désirée Clary : même dans les périodes troublées, l’amour conserve ses droits. La chronologie de cet amour n'est pas vraiment certaine.

Son frère Joseph aimait aussi Désirée, mais selon certaines sources, Napoléon lui aurait demandé de s’effacer ce que le bon Joseph, bien que l’aîné de la famille, aurait  fait. Il se console avec Julie, la sœur de Désirée. En août 1794 il l’épouse à Cuges-les-Pins et ni l’un ni l’autre ne savent qu’ils seront un jour roi et reine de Naples, puis d’Espagne. Donc l'aventure amoureuse de Napoléon avec Désirée aurait commencé avant août 1794,  si on admet que Joseph aurait accepté de s'effacer et de reporter son affection sur Julie.

Napoléon se fiance avec Désirée en 1795, et espère se marier mais Mme Clary fait lanterner la demande : il y a bien assez d’un Bonaparte dans la famille, aurait-elle dit...

Napoléon, happé ensuite par le tourbillon parisien du Directoire, qui lui fait rencontrer Joséphine, se détachera de Désirée ; celle-ci finira par épouser Bernadotte en 1798, futur maréchal de France et comme on sait, futur roi de Suède..

A Sainte-Hélène, avec une élégance relative, Napoléon dira : J’ai fait Bernadotte maréchal, prince (de Pontecorvo) et roi parce que j’avais pris le sexe et le pucelage à Désirée.

Une façon donc de payer sa dette. Sauf que si Bernadotte est devenu roi de Suède, ce n’est pas vraiment grâce à Napoléon. Le gouvernement suédois cherchait un homme capable pour être adopté par le roi de Suède qui n’avait pas d’enfant et lui succéder. Son choix s’est porté sur Bernadotte et Napoléon s’est borné à ne pas s’y opposer. La dynastie des Bernadotte et donc les descendants de Désirée Clary règnent toujours sur la Suède.

 Le séjour intermittent de Bonaparte à Marseille est aussi marqué par une dénonciation portée contre lui par Omer Granet, le député montagnard. Napoléon a proposé de remettre en état les forts pour tenir Marseille en respect. Il pense sans doute que cette suggestion ne peut qu'être bien vue du pouvoir central qui a toutes les raisons de se méfier de Marseille.

Mais le 25 février 1794, Omer Granet le dénonce au Comité de salut public comme ayant proposé de rénover « les bastilles marseillaises ». L'officier responsable doit se présenter au Comité de Salut public pour se justifier. Napoléon, qui sait que dans ce genre de circonstances, la meilleure défense consiste à mettre en cause une autre personne, détourne l'attaque sur l'officier chargé des fortifications, qui a seul la responsabilité de ce domaine. L'affaire semble ne pas avoir eu de suite, heureusement.

 

 

 Les rêveries d'un promeneur marseillais

 

 

A l'époque où la Terreur était à l'ordre du jour à Marseille, un homme se promenait et dessinait.

Il s'appelait Jean-Martin Marchand et était artiste-peintre de profession et miroitier.

Un jour un homme le vit dessiner et lu dit : Monsieur, vous dessinez?

- Oui, pour passer le temps.

- Vous dessinez alors que la mort plane sur toutes les têtes ?

Marchand répondit : Si la mort plane sur toutes les têtes, alors nous n'avons plus besoin de rien.

Une façon de dire qu'il pouvait bien dessiner puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire.

Que dessinait-il ? Des  paysages et déjà des monuments. 

Marchand n'appréciait sans doute pas beaucoup les opinions révolutionnaires et les hommes qui les représentaient. Pourtant rien ne montre qu'il ait été particulièrement politisé. C'était plutot un promeneur solitaire, qui non seulement dessinait mais recueillait des chants populaires en provençal et lui aussi s'essayait à écrire des poèmes provençaux. Il était donc sensible à tout ce qui constituait la mémoire de Marseille. 

Lui, le solitaire, l'homme qui rêvait devant les ruines ou devant les couchers de soleil sur la mer, il allait ausi être confronté plus directement au pouvoir des partisans de la Révolution.

Un voisin, commissaire d'arrondissement, vient à deux heures du matin faire chez lui une visite domiciliaire, probablement à la fin de 1793. Pourquoi ne sers-tu pas la République (aux armées), lui demande-t-il. Parce que la loi de conscription ne concerne pas les hommes de mon âge, dit Marchand.

Le voisin lui répond: si dans 15 jours tu ne t'es pas engagé, je te fais arrêter.

Marchand commente : Avant la révolution, ce commissaire était un pauvre artisan illettré. Oh, que de scélérats la révolution a révélés !

Marchand décide alors de quitter Marseille et de se réfugier à Toulon, "le Port la Montagne" selon la désignation de l'époque, comme sculpteur journalier pour l'arsenal (forcément cela se passe après la reprise de cette ville par les troupes de la Convention). La route est semée d'ambuches, il ne recontre que des gens qui le bafouent et le rudoient dont des gendarmes, sans doute parce que sa tête ne leur revenait pas.

"Me voici à Toulon, je jette un voile sur ce que j'ai vu". Il vit très chichement, lave ses vêtements la nuit à la fontaine, couche sur des copeaux. Dans cette période de calamité, tous les coeurs se renfermaient, il dépérissait, il était résigné à tout. Un bon samaritain apparait, lui procure un matelas, lui donne du bouillon.

"Ange tutélaire, qu'es tu devenu ? je t'ai cherché, je ne t'ai jamais retrouvé", dit Marchand avec un ton très rousseauiste.

" Je n'aurai jamais la consolation de te montrer que mon coeur est digne du tien".

"Un an s'écoule, Robespierre meurt. Je déserte, je marche la nuit et j'arrive chez moi exténué et dans un état qui m'a laissé un fond de tristesse que je ne cesse de combattre".

Marchand, libéré de ses craintes par la chute de Robespierre, mais non de sa tristesse (il s'agirait probablement, pour la psychiatrie moderne, d'un traumatisme psychique), peut revenir à ses promenades et à ses dessins.

On peut remarquer qu'il se trompe sur la durée de son exil toulonnais puisqu'il n'a pu partir à Toulon avant la reprise de la ville (19 décembre 1793) et qu'il dit être revenu à Marseille après la mort de Robespierre (après le 9 thermidor, fin juillet 1794) ce qui fait six mois et non un an.

Il se met probablement à ce moment à dessiner les ruines des monuments détruits sur l'ordre des Conventionnels parce qu'ils avaient servi de "repaire" aux "infâmes sections fédéralistes", généralement des églises, dont il laissera ainsi un témoignage.

Ces destructions, son expérience traumatisante à Toulon provoquée par la menace du commissaire de quartier, créèrent chez lui une véritable exécration de la révolution.

C'était un homme sans doute renfermé et timide qui voyait se défaire le décor urbain qu'il aimait (Régis Bertrand, article sur Jean-Martin Marchand dans le catalogue d'exposition Marseille en révolution, 1989).

Les générations des hommes vont vite, très vite, disait Marchand, mais ils nous laissent leurs monuments comme témoignage. Aujourd'hui on détruit plus vite encore les hommes et les monuments.

 Il mourut à Marseille, en 1842, octogénaire. 

 Certains exaltent les hommes de la révolution et leur courage, leur exemplarité, pour faire l'éloge de leurs idées politiques qui sont toujours d'actualité, nous dit-on.  N'oublions pas de mettre en regard tous ces hommes tranquilles, comme ce promeneur solitaire, qui éprouvèrent ce qu'était réellement la vie à l'époque révolutionnaire, la tyrannie des militants devenus les maîtres du destin de leurs voisins, des commissaires de quartier, des "comités de surveillance", les visites domiciliaires, les menaces de mort portées contre des gens qui n'étaient coupables de rien. 

Etrange idéal, qui fut incarné par une réalité si pénible qui évoque tous les totalitarismes des siècles suivants.... 

 

 

318

 

Vue de la basilique Saint Victor. Le cloître qui attenait à la basilique, bien plus vaste qu'elle, fut détruit par ordre de Barras et Fréron car il avait été le siège d'une section fédéraliste durant l'épisode du soulèvement de Marseille contre la Convention. Photo de l'auteur, 2012.

 

 

 

Maignet à Marseille

 

 

 

Le Conventionnel en mission dans le Vaucluse, Maignet est envoyé à Marseille d’abord comme collègue de Fréron et Barras, en février 1794, puis il les remplace, tout en gardant sa mission pour le Vaucluse.

En effet Robespierre se méfie de Fréron et Barras et a demandé leur rappel. Les deux conventionnels vont bientôt faire partie de ceux qui provoqueront la chute de l’incorruptible le 9 thermidor.

En mai 1794, Mourreau, l’un des dirigeants jacobins du Vaucluse (le département a été créé en pleine insurrection fédéraliste par la Convention), également oncle du célèbre Viala, et Maignet, sont chargés de la répression du village de Bédoin dans le Vaucluse. Un arbre de la liberté a été déraciné et jeté dans la mare aux cochons du village, déjà défavorablement connu pour ses sentiments mitigés à l’égard de la Révolution.

La répression de ce « crime odieux » se solde par l’exécution de 65 personnes et l’incendie du village, les historiens locaux se battant, sans doute selon leurs opinions politiques, pour savoir si tout le village a été incendié ou seulement quelques maisons, mais le nombre des condamnés à mort, fusillés ou guillotinés, n’est pas contesté ; tous les habitants non condamnés furent répartis dans des villages républicains, ce qui voulait dire que le village était interdit à l’habitation. Sous le Consulat, le préfet Jean Debry fit installer à Bédoin une colonne à la mémoire des victimes. 

La nomination de Maignet à Marseille ne signifie donc pas précisément un adoucissement de la Terreur, même si Maignet intervient pour faire annuler par la Convention l'arrêté de Barras et Fréron qui déclarait Marseille "Ville sans nom".

Pour se concilier les Marseillais (du moins les Jacobins locaux), la Convention décide en avril 1794 que la section 11, qui s'était opposé sur la fin aux fédéralistes,  a bien mérité de la patrie. On décide notamment que les biens des condamnés serviront à indemniser les familles des patriotes de la section 11 tués ou blessés en luttant contre les fédéralistes. On passait l'éponge sur le fait que jusqu'à la mi- août 1793, la section 11 avait suivi la révolte fédéraliste.

Le Comité de salut public casse la commission Brutus qui lui semble trop liée à un groupe terroriste suspect, peut être aux hébertistes, dans le cadre des rivalités qui existent entre les différents groupes révolutionnaires. Dans l'immédiat, comme on l'a vu, on rétablit le tribunal marseillais de Giraud et Maillet.

Les « magistrats-assassins » (selon Augustin Fabre), de retour à Marseille, n’oublient pas qu’ils doivent à Barras et Fréron d’avoir été dénoncés et menacés à leur tour de la guillotine. Il semble que Giraud et Maillet enverront à Robespierre une dénonciation visant Barras et Fréron pour détournement de fonds (Raoul Busquet, Histoire de Marseille). Robespierre songeait peut-être à l’utiliser contre ses adversaires (qui allaient bien au-delà des seuls  Barras et Fréron) quand ceux-ci prirent les devants en l’accusant devant la Convention au 9 thermidor.

Puis, la Convention décide que tous les crimes contre-révolutionnaires doivent être jugés par le tribunal révolutionnaire de Paris.

Maignet, l’homme de la répresion de Bédoin, fait remarquer que le Midi représente un très grand nombre de ces criminels. Les envoyer à Paris provoquera l'engorgement du tribunal révolutionnaire et causera des dépenses. Il demande et obtient la formation d’une commission à Orange pour juger les rebelles du Midi, et tous les suspects de modérantisme ou de sentiments contre-révolutionnaires.

Les jugements de la commission d’Orange seront une « horrible boucherie » selon Lourde, qui écrit en 1839, et qui est pourtant sympathisant des révolutionnaires.

La commission fonctionna du 19 juin au 4 août 1794 et jugea 591 accusés venus de tous les départements du Midi. elle en fit exécuter 332.

 Parmi les premiers prisonniers de Sainte-Claire à être envoyés cette commission, jugés d'avance, figuraient deux hommes bien différents: un vieil officier noble, le chevalier de Marin, et le menuisier Menissart, victime d'une jalousie de métier. Ils furent exécutés. Avant de partir pour Orange, le vieil officier a remis à ses codétenus un billet pour sa soeur, dont le ton sobre et l'évocation biblique font plus penser à l'Amérique des pionniers qu'à la Provence de la fin du 18ème siècle : Adieu, ma chère soeur, nous nous reverrons dans la vallée de Josaphat.

Les accusés venaient à la commission d'Orange de toute la Provence.

Un des membres de la commission écrit à propos d’un de ses collègues, en plaisantant : « untel, il lui faut des preuves, comme aux tribunaux d’Ancien régime » et poursuit : « Ami, la sainte guillotine va bien, 3000 têtes tomberont bientôt ».

Pendant cette période, Rébecqui, l’ami de Barbaroux, qui est revenu clandestinement  à Marseille, ne pouvant trouver de refuge nulle part du fait des lois qui punissent de mort ceux qui donnent asile aux proscrits, se suicide (il se jette dans le Vieux port) en mai 1794.

Barbaroux, après l’échec du soulèvement de la Normandie en juillet 1793, mène une vie errante avec d’autres députés ou responsables girondins proscrits. Des personnes qui leur ont donné asile sont condamnées à mort. Ils doivent vivre en vagabonds, traqués en permanence.

Il finit par se cacher avec Pétion, Buzot, Guadet et Salles dans les grottes de Saint Emilion, dans le Bordelais. Désespéré par cette vie de vagabond sans espoir, il essaye de se suicider, ses amis l’en empêchent et détournent le coup. Il est blessé à la mâchoire mais le coup de feu a attiré du monde et il est arrêté avec deux amis Guadet et Salles.

Il est  guillotiné le 24 juin 1794 avec eux.

Buzot et Pétion qui ont échappé à l’arrestation, sont retrouvés peu après sans doute morts de faim et dévorés par les loups. Quelle fin pour les chefs du parti girondin...

 

Un mois plus tard, c’était le 9 thermidor et la chute de Robespierre et des chefs jacobins (Couthon, Saint-Just). Robespierre aussi a tenté de se suicider et c’est la mâchoire brisée, comme Barbaroux, après une nuit de souffrance, qu’il est porté à la guillotine.

Très vite les prisons s’ouvraient et la plupart des détenus étaient relâchés, c’était la fin de la Terreur.

 

Peu de temps avant, Robespierre avait célébré à Paris une grandiose fête de l’Etre suprême. A Marseille, la fête se déroula Place Castellane, présidée par Maignet, selon Lourde et Raoul Busquet (mais selon Lautard, Maignet attendu par la municipalité qui avait fait des préparatifs magnifiques en son honneur, ne vint pas - mais Lautard était lui-même en prison et s'est peut-être trompé sur ce point). La fête eut lieu avec tout l'apparat requis pour cette solennité autant patriotique que religieuse (en tous cas déiste) faisant intervenir des choeurs de jeunes filles, des chars décorés, des nourrices portant des enfants.

Maignet était un partisan de la déchristianisation, il avait fait enlever tous les signes religieux chrétiens des cimetières et les avait fait remplacer par le seul panneau à l’entrée du cimetière : « Silence, ils reposent ! ».

Il activa la destruction des images religieuses et envoya à la fonte la statue de Notre-Dame de la Garde, en notant que "la Madone la plus vénérée ici" va enfin servir à quelque chose.

Le déchristianisation donna lieu à un certain nombre de "déprétisations", les prêtres venant abjurer devant les autorités leur ordination. Ainsi l'abbé de Beausset, ci-devant chanoine noble de Saint-Victor,  qui avait toujours soutenu le mouvement révolutionnaire, vint abjurer et dans la foulée, se maria avec la fille, non d'un sans-culotte, mais d'un négociant.

Maignet fit aussi interdire les spectacles en provençal au motif que l'unité des Français devait être marquée par l'unité de langage.

Le club local des Jacobins donnait le bon exemple en matière d'éradication du provençal. Lors de l’ouverture des séances, selon A. Fabre, le président criait : Vive la République, vive la Convention, vive la Montagne, vivent les sociétés jacobines, vive la loi du maximum (loi qui fixait un maximum des prix des denrées)… citoyens, vous êtes invités à cultiver l’étude de la langue française.

Selon Lautard, c'est à la fin de la séance que le président disait aux membres du Club : allez, et tâchez d'apprendre le Français.

Les deux versions ne sont pas incompatibles et il y avait peut-être une piqure de rappel en fin de séance.

Certes on peut trouver des oeuvres de propagande jacobine en provençal (et on se souvient que Isoard et Terneau avaient publié des brochures bilingues) et on cite la pièce de théâtre de Pélabon, les Marseillais à Nice, presque entièrement en provençal et qui raconte les exploits des sans-culottes marseillais occupant Nice; il semble d'ailleurs que Pélabon, suspect, trouva ce moyen de prouver son "patriotisme", mais avec Maignet les oeuvres provençales, même d'esprit jacobin, n'avaient plus droit de cité.

 

Sous l'autorité de Maignet, Marseille assista à la célébration de fêtes civiques comme la fête en l'honneur des "mânes" du député Beauvais (ce député à la Convention était en mission à Toulon lors de l'insurrection fédéraliste; emprisonné par les fédéralistes, il avait été libéré lors de la reprise de la ville par les troupes de la Convention près de six mois après mais était mort peu après des suites de sa détention; on se souvient que son collègue le Marseillais Baille, emprisonné avec lui, s'était suicidé en prison avant de passer en jugement). Il y eut aussi la fête de la prise de Toulon.

Marseille connut également la fête de la Fraternité, qui fut en quelque sorte jumelée avec un embryon de culte de la Raison, celui-ci favorisé aussi par Maignet (il semble que Maignet ne regardait pas comme contradictoires le culte de la Raison et celui de l'Etre suprême). La fête de la Fraternité fut célébrée  le 21 mars 1794 en grande pompe dans le Temple de la Raison (ancienne église des Prêcheurs (devenue depuis église Saint-Cannat). Lautard note que les acteurs de l’opéra chargés d’interpréter les chœurs ou l’actrice bien en chair chargée d’incarner la déesse Raison n’en menaient pas large et auraient préféré être ailleurs. Par contre les égéries du Jacobinisme, la Cavale, la Fassy, tenaient avec bonheur les premiers rangs.

Maignet ordonna des travaux d'aménagement du Temple de la Raison juste avant la fin de sa mission en août 1794. Une commande de toiles fut passée au peintre Réattu mais déjà la suite des événements politiques condamnait l'existence du temple de la Raison, trop liée à la Terreur. Réattu peignit une demi-douzaine de toiles mais n'arriva jamais à se faire payer intégralement les commandes par l'administration, qui ne voulait plus en prendre livraison.

Réattu fit pourtant de beaux efforts d'imagination pour modifier les titres des toiles et les rendre compatibles avec les évolutions politiques :

Ainsi "la Raison faisant construire un autel à l'Etre suprême et à la patrie" devenait, dans la proposition pour réactiver la commande faite par Réattu au préfet des Bouches-du-Rhône en 1804, "la France rétablissant les autels" (comprenons les autels de la religion catholique, après le Concordat de 1801), sans plus de succès.

Quant au "Génie de la Liberté encourageant les Vertus, les Sciences et les Arts", il devenait en 1804 : "le Génie de la France encourageant les Sciences, les Arts, le Commerce et la Navigation", programme plus bourgeois et plus spécifiquement marseillais.

Sans succès avec l'administration napoléonienne, il semble que Réattu pensait encore pouvoir utiliser ses toiles sous la Restauration.

Pour la circonstance, " la Liberté et l'Egalité chassant de leur territoire les castes privilégiées" devenait "la Religion et la Foi poursuivant les vices des peuples schismatiques et idolâtres"...

(d'après la catalogue d'exposition Marseille en révolution, 1989).

 

 

 Profiteurs

 

 

 

Si les sans-culottes croient que leur règne est arrivé, la Terreur profite aussi aux nantis suffisamment habiles pour se mettre bien avec le pouvoir jacobin et n'avoir pas trop à craindre de ses velléités égalitatistes.

La vague d’émigration qui suit la répression de l’insurrection fédéraliste est plus importante que celle qui est intervenue avant 1793 : les biens des émigrés sont saisis comme « biens nationaux » et mis en vente, comme d’ailleurs les biens des condamnés à mort.

La plupart des négociants importants étant soit émigrés (ils sont considérés comme tels même quand ils n’ont pas quitté la région et se cachent) soit condamnés à mort, ce sont donc des biens considérables qui sont mis sur le marché (biens d’habitation, biens industriels).

Dans certains cas, les biens peuvent être rachetés par des membres de la famille ou des prête-noms pour qu’ils ne passent pas à des étrangers.

Parmi les personnes dont les biens sont vendus après leur émigration en 1793, on note des bourgeois qui avaient eux-mêmes profité de la vente des biens nationaux dans les années précédentes !

Certains notables mais aussi des gens plus modestes, ont fait de très bonnes affaires en achetant les biens nationaux, d’autant que ces achats permettaient aussi de se faire bien voir du parti au pouvoir. Acheter les biens nationaux et donc faire entrer de l'argent dans les caisses plutôt vides de l'Etat révolutionnaire, était une preuve de patriotisme.

Parmi les gros bénéficiaires de ces ventes, on cite à Marseille l’imprimeur Auguste Mossy, l’un des notables Jacobins

(Christian Bonnet . La vente des biens nationaux dans les Bouches-du-Rhône, Histoire, économie et société. 1988, 7e année, n°1).

 

 

 

 

 Regard sur la Terreur quarante ans après

 

 

 

 

Augustin Fabre, dans son Histoire de Marseille, 1829,  note que pendant la Terreur,  les gens les plus modestes montèrent aussi à l’échafaud.

« Ainsi le jacobinisme qui avait promis l’égalité réalisait sa promesse avec une cruelle ironie (…) la vue des souffrances humaines, c’est son plaisir, le mépris de notre nature, c’est son orgueil… ». L’auteur de l’Histoire de Marseille, libéral mais pas du tout Jacobin, semble ici viser particulièrement le rêve jacobin de construire un homme nouveau (un rêve commun avec tous les totalitarismes qui apparaîtront plus tard) et de changer, en quelque sorte, la nature de l’homme.

 

Et il ajoute : L’homme qui vit dans ces moments tragiques n’est plus que le vil jouet d’un ciel barbare et moqueur ; vainqueurs et vaincus, bourreaux et victimes ont tous en commun le mépris et le dégoût de la vie.

Loin d’être une époque exaltante, la Révolution n’aurait été qu’un temps de malheur pour ceux qui l’ont vécue, y compris ses partisans.

L’approche d’Augustin Fabre, écrivant quarante ans après la Révolution, rejoint celle du journaliste modéré Ferréol Beaugeard, revenu à Marseille après s'être caché sous la Terreur, qui écrivait en 1795, au moment de l’entrée en vigueur du régime du Directoire, qui paraissait marquer la fin d’une période terrible (à juste titre, même si l’ère des violences n’était pas complètement terminée) :

« Nous allons sortir d’un temps anarchique durant lequel tous les hommes furent malheureux, même les scélérats ».

 

 

 

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 Notre-Dame de la Garde vue depuis le Palais Longchamp.

A l'époque révolutionnaire, ces deux sites marseillais n'avaient pas encore leur physionomie actuelle, puisque le Palais Longchamp et la basilique Notre-Dame de la Garde n'ont été construits que sous le Second empire.

Photo de l'auteur.

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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