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Le comte Lanza vous salue bien
20 mai 2013

MARSEILLE EN REVOLUTION QUATRIEME PARTIE

MARSEILLE EN REVOLUTION QUATRIEME PARTIE

MARSEILLE CONTRE PARIS

 

 

 

 La révolte dite fédéraliste

 

 

 

Avant même l’arrestation des Girondins, des villes ont suivi la même évolution que Marseille.

A Lyon où les tensions entre modérés et Jacobins sont extrêmes, les Jacobins ont pu s’emparer de la Mairie le 9 mars 1793. Leur leader est Chalier, qui est proche de Marat et s’appuie sur les sans-culottes lyonnais.

Les modérés lyonnais après 80 jours de pouvoir jacobin, entrent en insurrection violente contre celui-ci. Rappelons ces événements : le 29 mai 1793, 23 des 32 sections lyonnaises marchent sur l'Hôtel de Ville qui est attaqué au canon. Chalier et ses partisans sont arrêtés et la municipalité suspendue. Une municipalité provisoire est créée, qui chasse les envoyés de la Convention et fait juger Chalier. Celui-ci est exécuté le 17 juillet sur la place des Terreaux. Le couperet, manié par des mains inexpertes, doit tomber trois fois, et le bourreau doit achever la décollation au couteau.

À l'annonce de ces événements, la Convention décrète le siège de la ville et élève Chalier au statut de martyr de la République, aux côtés de Lepeletier de Saint-Fargeau (conventionnel assassiné par un royaliste pour avoir voté la mort de Louis XVI) et de Marat qui vient d’être assassiné le 13 juillet 1793 par Charlotte Corday (d’après la notice Wikipedia, le Soulèvement de Lyon contre la Convention nationale).

 Après l’arrestation des Girondins (journée du 2 juin 1793 à Paris), la montée en puissance des modérés dans certaines régions  et leur prise de pouvoir dans les villes ou les départements trouve une justification supplémentaire.

L’insurrection est notamment forte en Normandie, en Aquitaine (dont beaucoup de députés Girondins justement, sont originaires), à Lyon et en Provence, sans parler de la Corse où le refus du jacobinisme se teinte d'indépendantisme sous la conduite de Pascal Paoli. Mais potentiellement l'insurection touche l’ensemble de la France puisque 60 départements (sur 85) protestent contre la journée du 2 juin. Toutefois ces protestations ne sont pas toujours suivies d’effet. La Convention essaie d’empêcher certains départements de passer à la dissidence et y réussit souvent.

 

Ainsi dans l’Isère, les représentants en mission de la Convention dissuadent les dirigeants du département de se joindre à la révolte (on a vu dans notre première partie que les compatriotes du jeune Stendhal étaient des gens prudents). Après tout, il valait mieux faire profil bas dans des régions plutôt calmes où les révolutionnaires extrémistes étaient rares, que prendre des risques pour s’opposer à des événements parisiens, donc éloignés.

Tel n’était pas le cas à Marseille ou Lyon où une vraie guerre politique opposait déjà les modérés et les extrémistes. Pour les modérés, le combat contre leurs adversaires n'est pas un choix mais une nécessité, presque une question de vie ou de mort.

 

Les villes et départements insurgés décident de créer des armées départementales et de les concentrer  à des points de ralliement pour ensuite marcher sur Paris ainsi que de l’envoi de députés à Bourges pour créer une anti-Convention.

C’est le début de ce qu’on appellera assez improprement l’insurrection fédéraliste.

 Le 8 juin, des représentants de Lyon, de Bordeaux, du Gard, des Hautes et Basses-Alpes, se réunissent à Marseille pour se concerter devant le danger commun. Marseille n'était donc pas seule même si finalement, chacun des principaux foyers de l'insurrection affrontera seul les troupes de la Convention, sans arriver à organiser un front commun.

 

L’attitude des Marseillais vis-à-vis de la tournure que prenait la politique révolutionnaire à partir de 1793 (voire avant, mais surtout depuis la guerre maritime avec les puissances méditerranéennes en Méditerranée avec notamment la Grande-Bretagne et l’Espagne) était liée aux répercussions du conflit sur l’activité du port. La guerre provoquait la suspension des activités commerciales et des difficultés de ravitaillement.

Aussi bien les riches négociants que toute la partie des classes populaires  vivant de l’activité portuaire directement ou indirectement, était touchés et avaient tendance à voir dans la politique menée par les centres de décision parisiens une catastrophe pour Marseille.

La révolte fédéraliste fut en partie aussi la réponse des Marseillais à une politique qui les ruinait ou les conduisait au chômage et à l’asphyxie.

 

Il existait à Marseille un journal depuis 1781, le journal de Marseille de Ferréol Beaujard, que nous avons vu en 1790 soutenir l'action de Lieutaud quand celui-ci dirigeait la garde nationale.

Beaujard, journaliste de talent, rendait compte avec objectivité des événements révolutionnaires. A partir des débuts du mouvement fédéraliste, il appuya ouvertement le mouvement qu’il estimait conforme aux intérêts de Marseille.

Il faut reconnaître que le mouvement fédéraliste manquera cruellement de dirigeants valables. On a vu (troisième partie) que Lautard, qui y a participé, jugeait les principaux chefs, Peloux et Castelanet, comme des nullités. L'encadrement militaire devait aussi se révéler insuffisant. Toutefois des personnalités comme Laugier ou Vence parmi les civils, et Villeneuve, commandant militaire à partir du mois d'août, mais en fait trop tard pour réparer les premières erreurs, ont mérité les éloges de Lautard.

Voici comment Lautard présente lucidement le soulèvement marseillais de 1793 et ses conséquences : « Le réveil des honnêtes gens, la Révolution un instant enchainée,  une levée de boucliers mal organisée et mollement soutenue, un simulacre de guerre, un désastre qui a fait époque dans les annales de la Provence, Marseille ruinée, affamée, muselée, abreuvée d’humiliations… ».

 

 

Début des opérations militaires

 


Le mouvement fédéraliste marseillais va être dès le début handicapé par la mauvaise qualité de ses dirigeants.

Lautard dit que les sommités du barreau et de la Bourse n'avaient pas voulu s'engager dans le mouvement, par égoïsme, par crainte, par souci de s'occuper avant tout de ses affaires personnelles - évidemment pas par sympathie pour la république jacobine.

Il en résulta que le comité des sections fut" inondé de médiocrités pour ne pas dire plus"...

A Marseille, le comité des 32 sections nomme des autorités municipales provisoires qui prêtent serment de défendre l’indivisibilité de la République, les personnes et les biens, cette précision est caractéristique de l'orientation modérée des sections. Il nomme aussi une nouvelle administration départementale et un nouveau district (administration intermédiaire entre le département et la commune). Le comité des sections exerce donc son pouvoir non seulement sur Marseille mais sur les Bouches-du-Rhône.

Le comité général siège dans l'église Saint-Jaume, qui est aussi le siège de l'une des sections (l'église fut détruite après la reprise de Marseille par les troupes de la Convention; elle se trouvait rue Saint-Jaume, dont seule subsiste une petite partie, près de la poste Colbert, le reste de la rue a disparu dans les destructions du quartier du Vieux-Port en 1943).

Le comité demande à l’armée départementale de 6000 hommes créée par les Conventionnels en mission de se mettre à sa disposition mais le commandant Moisson préfère attendre à Avignon que les choses se décantent et les troupes ainsi réunies se débandent et retournent chez elles sans plus attendre.

Le 19 juin la Convention casse le comité des sections marseillaises, le tribunal populaire, appelle ses membres des assassins, ordonne que Peloux et Castelanet, les principaux membres du comité des sections, soient traduits devant elle et à l’armée des Alpes du général Carteaux de rétablir l’autorité de la Convention à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône.

Le département des Bouches-du-Rhône répond qu’il ne reconnait plus les décrets de la Convention depuis le 31 mai, se rallie à la proclamation des sections de Marseille et créée une armée départementale qui doit se concerter avec celle du Gard et se réunir à Avignon. Leur but est de faire la jonction avec les insurgés lyonnais puis de monter sur Paris.

Il est aujourd'hui difficile d'évaluer l'audience du mouvement sectionnaire et l'adhésion de la population. On peut en tous cas noter l'unanimité des sections , même si cette unanimité n'allait pas rester jusqu'au bout intacte. Comme pour ses ennemis jacobins, d'ailleurs, il est délicat d'apprécier s'il représentait la majorité de la population ou une forte minorité (ce qui n'impliquerait pas que la majorité ait été jacobine, les plus nombreux dans les situations de crise où s'engager dans un camp ou un autre fait courir un risque de mort, étant sans doute dépolitisés, ou attentistes). Les dirigeants se recrutaient principalement dans la bourgeoisie commerçante.

L'historien Michel Vovelle définit le mouvement sectionnaire ou fédéraliste marseillais, comme un « mouvement bourgeois à base de masse non négligeable » ; expression curieuse mais qui reconnait qu’une partie importante des classes populaires marseillaises avait rejoint la bourgeoisie contre le jacobinisme au pouvoir.

Nous reviendrons ultérieurement sur le qualificatif de "fédéralistes" qui leur fut donné comme aux autres insurgés des régions qui s'étaient dressées contre la Convention.

Au même moment, plusieurs députés Girondins ont pu s’enfuir de Paris où dans les premiers temps leur surveillance était plutôt lâche. Réfugiés en Normandie, à Caen, ils s’emploient à mettre sur pied une armée départementale (ou mieux interdépartementale).

Parmi ces députés figure Barbaroux.

Il écrit aux Marseillais : Marseillais, marchez sur Paris… la racine du mal est à Paris.

Il impressionne beaucoup une jeune fille de bonne famille, républicaine mais modérée, qui acquiert la certitude un peu naïve que l’homme à abattre est Marat. Elle fait le voyage à Paris pour l’assassiner, ce qui sera chose faite le 13 juillet 1793. Cette jeune fille est Charlotte Corday.

Pendant ce temps, le contingent marseillais qui doit avec d'autres contingents former l'armée départementale contre la Convention perd du temps à Arles où il se rend à la demande des modérés arlésiens et fait la chasse aux jacobins locaux, ce qui donne le temps  aux représentants du Gard de revenir à des positions plus prudentes.

Le contingent des Bouches-du-Rhône prend la route d’Avignon sous le commandement de Rousselet, un ancien sous-officier qui n'est pas un foudre de guerre. Avec les Marseillais on trouve des contingents venus de villes voisines qui ont suivi la même évolution que Marseille (comme Aix, pour une fois sur la même ligne que sa voisine et éternelle rivale, où les sections modérées ont pris le pouvoir et fermé le Club local des Jacobins, appelé curieusement club des Antipolitiques - le même club qui avait été à l'origine de l'assassinat de Pascalis dont on a parlé dans notre première partie).

Le Conventionnel Bô, envoyé en mission en Corse, car l'île est aussi en train de se soulever contre la Convention à l'instigation de Pascal Paoli, est arrêté à Marseille par les nouvelles autorités. Il restera emprisonné jusqu’à la prise de Marseille par les troupes de la Convention.

Le comité des sections prend des mesures rigoureuses contre les Jacobins (qui avaient eux-mêmes été à l'origine d'assassinats et de mesures violentes) : après jugement par le tribunal populaire dirigé par Laugier, plusieurs Jacobins, parmi ceux qui n’ont pas pu s’enfuir, sont exécutés à Marseille le 25 juillet, devant un grand concours de peuple, ce qui semble indiquer une adhésion populaire assez forte.

L’un d’entre eux, probablement Barthélémy, membre du conseil du département, meurt en embrassant une cocarde tricolore. C'était un fabricant de savon, donc un dirigeant d'entreprise, ce qui montre qu'on aurait tort de penser que les fédéralistes (ou sectionnaires) représentaient les classes aisées et les Jacobins, les classes populaires; la division des idées ne recoupait pas les divisions de classe.

On peut aussi citer cette phrase prononcée après la fin de la révolte fédéraliste par l'un des représentants de la Convention chargés de la répression, Fréron, au début de 1794, et qui donne à penser (même s'il faut évidemment nuancer le propos) :

 " Mais pourquoi se dissimuler que la classe la moins riche de cette commune regrette l'ancien régime ; que les porte-faix, les marins, les ouvriers du port sont aussi aristocrates, aussi égoïstes que les négociants, les marchands, courtiers, officiers de marine ? Où donc est la classe patriote ?"

Evidemment pour Fréron, avoir des sentiments hostiles aux révolutionnaires au pouvoir à Paris, c'est "regretter l'ancien régime", c'est être "égoïste" et "aristocrate". Mais l'état d'esprit qu'il décrit, pourtant après la fin de la révolte et lors de la dure répression menée par la Convention, semble presque unanime chez les Marseillais, au-delà des divisions de classe. 

 

 

 Pendant ce temps, la France républicaine doit faire face à la guerre étrangère avec presque tous les pays d'Europe -guerre qu'elle a elle-même suscitée très largement).

Mal informés de l'évolution politique des Marseillais, ou croyant qu'elle n'empêche nullement de partciper à l'effort de guerre, certains départements frontaliers demandent à Marseille de leur envoyer des secours.

Mais à Marseille, ceux qui étaient sceptiques sur les raisons de faire la guerre à l'Europe, sont maintenant au pouvoir et la guerre voulue par les révolutionnaires n'est visiblement pas leur priorité. Leur priorité c'est leur autodéfense contre la Convention et ses supports locaux.

A ceux qui leur écrivent (par exemple le département des Pyrénées Orientales) pour demander de l'aide contre "les ennemis de la République", les dirigeants marseillais répondent avec une ironique politesse : "Nous aurions été charmés de pouvoir répondre à votre demande, mais nous avons besoin de toutes nos forces..."
C'est presque la réponse d'un commerçant avisant poliment le client qu'il n'a plus ce produit en magasin.

 Le lieutenant Vialla, auteur en 1910 d'un ouvrage sur l'insurrection marseillaise dont on reparlera, de tonalité très patriotique et très pro-jacobine, s'indigne : « Il va sans dire que la ville de Marseille n'entendait plus maintenant l'appel de la patrie ».

 

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 Marseille vue depuis le Lacydon (bassin du Vieux port.  On voit le quai des Belges, l'église Saint Augustin et le commencement de la Canebière.

 

Photo de l'auteur.

 

 

 

 

La route d'Avignon

 

 

L'armée des Alpes du Général Carteaux a reçu mission de la Convention de mater la révolte et descend la vallée du Rhône tandis que l'armée des Marseillais remonte vers Lyon. Les deux forces vont immanquablement s'affronter.

Les fédéralistes marseillais, puisque tel est le nom que leur donnent leurs ennemis, quand ce n'est pas carrément les royalistes, entrent dans Avignon le 7 juillet 1793 ( il s'agit du bataillon de Marseille augmenté du bataillon de la garde nationale d’Aix, d'autres contingents des villes des Bouches-du-Rhône, ainsi que de Tarascon et de l’Isle sur Sorgue - aujourd'hui en Vaucluse mais à l'époque faisant partie des Bouches-du-Rhône).

Les Avignonnais étaient dans l'incertitude sur la conduite à adopter. Avignon et l'ancien Comtat-Venaissin, lors de leur rattachement à la France révolutionnaire, avaient été répartis entre les Bouches-du-Rhône et la Drôme. Avignon voyait donc d'un assez mauvais oeil l'influence que Marseille exerçait sur elle et avait tendance à prendre le contre-pied de sa trop puissante voisine.

A ce stade, les Jacobins avaient encore le pouvoir dans la ville mais étaient contestés par une partie de la population qui n'avait pas oublié les massacres dits de la Glacière en 1790 : des révolutionnaires avignonnais, avant même l'annexion par la France de la ville qui dépendait encore du Saint-Siège, avaient arrêté des Avignonnais ennemis de l'annexion, disons des réactionnaires pour eux, en vengeance d'une émeute qui avait coûté la vie à un partisan de l'annexion, et les avaient massacré au cours d'une nuit de beuverie, dans le Palais des Papes, jetant les cadavres dans la Glacière (l'endroit du Palais des Papes où on conservait la glace). Ces assassins étaient restés impunis et tenaient parfois le haut du pavé à Avignon, à l'image des "pendeurs" marseillais. L'entrée des fédéralistes marseillais s'accompagna de la fuite de certains des Jacobins locaux, les autres tombant aux mains de leurs ennemis politiques.

Avant cela s'est placé l'épisode de la mort du jeune Viala le 6 juillet 1793.

Agé de 13 ans, Joseph Agricol Viala faisait partie du bataillon de l'Espérance (il en était même le chef)  formé de jeunes avignonnais de son âge, fidèles de la Révolution. Il était le neveu de l’avocat Agricol Mourreau (ancien prêtre qui avait avait choisi d'abandonner la prêtrise à la Révolution) qui était le leader jacobin à Avignon et qui, selon l’historien Michel Vovelle, tenait dans la région « un front de classe très dur ». Ces termes marxistes montrent bien une lecture de la Révolution en termes de lutte des classes (en l’occurrence entre bourgeoisie et classes populaires, on suppose, mais ni l'avocat Mourreau ni la famille Viala n'étaient spécialement des "pauvres").  

La Garde nationale d'Avignon (de sympathie jacobine) et les adolescents du bataillon de l'Espérance sortirent d'Avignon pour tenter de bloquer le passage aux fédéralistes.

Viala fut tué par les Marseillais (beaucoup de récits, sans doute dans un but dépréciateur, disent même « les royalistes marseillais »), alors qu’il coupait le câble du bac de la Durance à Bonpas, pour empêcher les Marseillais de passer la rivière. "Ils m’ont pas manqué, aurait dit à un de ses camarades le jeune Viala en mourant, c’est égal, je meurs content". Ce qui est plaisant est qu’il aurait dit ces paroles… en provençal, langue qui, pour les révolutionnaires, était à faire disparaître comme tous les « idiomes locaux », mais Viala parlait la langue qu’il connaissait. L’oncle de Viala, Mourreau, a tout fait pour médiatiser le sacrifice de son neveu, qui renforçait son propre prestige politique régional et c'est peut-être lui qui a inventé ces "dernières paroles".

Selon un livre de 1808 de Fantin des Odoards, "Histoire philosophique de la Révolution française" (ce qui veut dire probablement que l'auteur cherche les causes plus que le simple récit des faits)  Viala  a été tué non pas par les Marseillais à proprement parler mais par la garde nationale de l’Isle sur Sorgue, faisant partie de l'armée départementale dont le principal contingent était marseillais.

Au 19ème siècle, le vieil historien du Vaucluse, Barjavel, nostalgique de la souveraineté pontificale (et ancêtre de l’auteur de science fiction ?) prétendit que le jeune Viala avait été tué parce qu’il avait nargué les Marseillais (ou selon d’autres versions, le passeur du bac) en montrant son cul, comme quoi les faits révolutionnaires ont une version digne et une version prosaïque selon le narrateur…

Viala aurait d'ailleurs été le seul mort de cette éphémère "prise d'Avignon" par l'armée fédéraliste.

Bonaparte se trouvait à Avignon quand les fédéralistes marseillais y entrèrent. Arrivé depuis peu de Corse, chassé avec sa famille par l’insurrection paoliste, il était en mission pour acheter des chevaux pour l’armée.

Apparemment pas inquiété malgré son appartenance à l’armée, Bonaparte nota que dans l’armée marseillaise il y avait beaucoup de jeunes fils de négociants qui avaient « une jolie tournure ».

Il rencontra parmi les officiers marseillais une connaissance du temps de l’armée royale, un ancien officier  nommé Somis , orthographié parfois Somise (oncle de Désirée Clary, le monde est petit, mais Bonaparte ne connaissait sans doute pas encore Désirée Clary, sa future fiancée d'un moment, même si la famille Clary semble avoir rendu service à la famille Bonaparte à son arrivée de Corse). Somis et Napoléon s'étaient notamment rencontrés à Ajaccio en 1792.

Somis l’invita à rejoindre les fédéralistes (« le sort du monde » eût-il changé ?).

Mais Bonaparte n'avait pas l'intention de se mêler "de guerres intestines" (selon ce qu'il a raconté ensuite, en dictant ses  souvenirs à Sainte-Hélène) et déclina l'offre de Somis en se bornant à donner quelques conseils techniques sur la difficulté de défendre Avignon.

Une position de neutralité que devait démentir le souper de Beaucaire, brochure rédigée peu après où il défend les Jacobins contre les Fédéralistes et par laquelle il se fit avantageusement remarquer par le frère de Robespierre, Augustin, Conventionnel en mission.

En tout cas il ne semble pas que Bonaparte, contrairement à ce qui est parfois indiqué, ait participé militairement aux combats contre les Fédéralistes.

Plus tard à Sainte-Hélène, Napoléon dira que le gouvernement révolutionnaire avait conservé l’armée et la planche à billets et qu’aucun gouvernement ne peut perdre dans ces conditions.

Devenu Premier consul, Bonaparte fera rechercher et détruire tous les exemplaires de la brochure où il avait pris le parti des Jacobins, du moins selon les Mémoires de son ami et secrétaire (et futur préfet de la Restauration)  Bourrienne…

 Nous verrons plus tard quel a été le destin de Somis, personnage certes secondaire sinon de quatrième ou cinquième plan, mais bon témoin de cette époque parfois étonnante (finalement un vrai veinard comparé à d'autres qui laissèrent la vie dans ces épisodes de guerre civile); dans une période bien plus calme, nous ferons aussi connaissance de son beau-frère, Antoine d'Anthoine, Maire de Marseille sous l'Empire.

Mais nous sommes pour l'instant dans la tragique année 1793.

Les Marseillais ayant appris que l'armée de Carteaux a occupé Pont Saint Esprit en bousculant les fédéralistes du Gard, qui se rétractent prudemment de leurs promesses d'assistance, décident de quitter Avignon le 15 juillet, après avoir mis en prison les principaux jacobins qui n'avaient pas pris la fuite et laissent la ville dans les mains des modérés assez effrayés par ce départ soudain.

L'armée de Carteaux s'approche d'Avignon tandis qu'une autre armée dirigée par Kellermann (l'un des vainqueurs de Valmy, d'ailleurs suspect aux yeux de la Convention) s'apprête à faire le siège de Lyon.

L'avant-garde de l'armée républicaine (on veut dire l'armée qui obéit aux ordres de la Convention) est représentée par un bataillon de volontaires savoisiens, partisans de la Révolution, la légion des Allobroges; ces Savoisiens devenus Français depuis peu sont commandés par un militaire de circonstance, le chef d'escadron, plus tard général, Doppet, médecin de profession, auteur de livres curieux où il fait l'éloge du caractère aphrodisiaque de la fessée et finalement plutôt humaniste dans son genre. 

Les "patriotes" avignonnais incarcérés se libèrent et invitent les républicains à entrer dans la ville, abandonnée par les fédéralistes.

Mais Doppet croit à un piège

Devant le danger, les modérés d’Avignon rappellent alors l’armée départementale des Fédéralistes  (à moins que celle-ci ait eu honte d’abandonner Avignon comme le suppose Fantin des Odoards dans son livre de 1808 et soit revenue d'elle-même).

L'armée des Marseillais revient dans Avignon et massacre dans les rues et les cours des maisons un certain nombre des "patriotes" (Jacobins) sortis des prisons, dont probablement quelques massacreurs de la Glacière, qui trouvent enfin leur punition.

L’armée de Carteaux s’avance. Doppet, chef de la légion des Allobroges, qui fait partie de l’armée de Carteaux, reçoit un message de l’adjudant général  Fox, de l’état-major républicain : «  faites le moins de prisonniers possible », dont il ne tient pas compte (ce qui aurait pu lui valoir la guillotine). D’ailleurs, Doppet incorpore le plus souvent les prisonniers dans ses troupes. Naïf ou faisant semblant de l’être, Doppet écrit que ces prisonniers prétendaient avoir été trompés par leurs chefs et découvraient avec surprise que leurs antagonistes étaient de « bons républicains ». On comprendra qu’ils avaient intérêt à parler ainsi pour sauver leur peau.

 

Les troupes républicaines prennent L’Isle sur Sorgue qui a résisté aux forces de la Convention (on a vu que sa Garde nationale fait partie des troupes fédéralistes) et qui est mise à sac avec probablement un certain nombre d’habitants tués dans leurs maisons. D’ailleurs comme dira sans rire Bonaparte dans le Souper de Beaucaire, les habitants de l’Isle avaient tué un soldat républicain venu en parlementaire : les soldats républicains n’ont pas pu se contenir lors de la prise de la ville, mais on n’a pas volé une épingle !

 

Doppet  reçoit un message de Rousselet disant qu’il combat pour la République mais contre les intrigants qui depuis 4 ans sont cause des désordres, ce que Doppet interprète comme une condamnation de tout ce qui a été fait depuis 4 ans et une preuve que les fédéralistes sont en fait des contre-révolutionnaires.

 

Selon l’historien Lourde (dit de Mazamet) auteur au 19ème siècle d’une Histoire de la Révolution dans les Bouches-du-Rhône, de tonalité très favorable aux Jacobins, Rousselet démissionne de ses fonctions au moment où l’armée fédéraliste est dans Avignon ; un conseil de commissaires civils et d’officiers prend les décisions. Parmi ces commissaires figurent Vence et Michel dit d’Eyguières qui écrira plus tard une histoire de l'armée départementale.

L’armée de Carteaux assiège Avignon et elle est repoussée par les troupes fédéralistes. Carteaux se retire. Les fédéralistes ne sauront pas exploiter ce petit succès, bien au contraire.

En effet, Avignon est ensuite abandonnée par les troupes fédéralistes, par erreur en quelque sorte. A la réception d’un courrier du comité des sections qui dit : « dans le cas peu présumable où vous abandonneriez Avignon, vous vous  replieriez sur la rive gauche de la Durance », les commissaires civils lisent cela comme un ordre de se replier.
L'ordre est exécuté dans une ambiance extravagante de sauve qui peut. "Tous les chemins de la Durance à Marseille furent couverts de soldats courant à la débandade", selon Michel d'Eyguières.

Les fuyards arrivent à Marseille le 28 juillet.

 

Le 26 juillet, l’armée républicaine peut entrer dans Avignon.

L’évacuation d’Avignon crée une impression défavorable chez les départements voisins qui avaient envoyé des contingents pour aider les fédéralistes. Un détachement de gendarmes des Hautes-Alpes rebrousse chemin devant l'hostilité de la population d'Apt, selon Vialla.

Mais l’armée de Carteaux non plus n’est pas unanime et justement on a du mal à empêcher un détachement des Hautes-Alpes qui en fait partie de rejoindre le camp opposé.

 

 

 Difficultés des autres révoltes fédéralistes

 

 

 

Marseille n’était pas seule en lutte. Certes Lautard dira que Marseille se retrouvait seule devant la Convention. Il veut dire par là qu’aucune des villes ou régions en état d’insurrection (Lyon, Bordeaux, Nantes, la Normandie) n’avaient pu coordonner réellement son action avec Marseille. Chacune affrontait la Convention de son côté. Marseille pouvait bien sûr compter sur l’appui des villes des Bouches-du-Rhône et ensuite du Var qui avaient chassé les Jacobins et encore cet appui était parfois plein d’hésitations bien compréhensibles. Ainsi la municipalité de Trets hésitait à rejoindre le camp fédéraliste et elle hésita si longtemps qu’ensuite la question n’avait plus d’actualité, les fédéralistes ayant été vaincus. En histoire, il n’y a pas de suspense : on sait que l’armée de Carteaux entra dans Marseille le 25 août  1793.

Les chefs Girondins qui ont pu s’enfuir de Paris, dont Barbaroux, réfugiés à Caen, ont essayé de soulever la Normandie.

Une petite armée a été levée et confiée à des officiers plutôt voire carrément monarchistes, Wimpffen et son adjoint de Puisaye.

L’armée est battue le 13 juillet 1793 à Pacy-sur-Eure presque sans combat. Les responsables du mouvement essayent de résister dans Caen. Wimpffen propose aux Girondins d’appeler à l’aide les Britanniques. Les Girondins refusent ce recours « aux ennemis » que les modérés et les monarchistes constitutionnels avaient moins de scrupule à admettre.

Désormais leur sort est scellé. Les Girondins dont Barbaroux descendent vers Bordeaux qui résiste encore. Nous verrons plus tard quelle mort les attend.

Wimpffen arrivera à se cacher et à survivre, comme Puisaye qui passe chez les Vendéens où son talent d'organisateur sera apprécié.

Lyon va bientôt subir un siège digne des "vraies guerres" et une "punition exemplaire", mais avant cela elle résistera plus longtemps que Marseille.

 

On peut ici s'interroger sur le mot de Fédéraliste employé pour décrire l'insurrection marseillaise, mais aussi les autres insurrections similaires.

Il e semble pas que les insurgés aient employé ce mot, c'étaient leurs adversaires qui les appelaient ainsi.

Les Jacobins les accusaient de vouloir transformer la France en république fédérale, ce qui, pour ces maniaques de l'unité, méritait la mort. Lorsqu'on veut justifier aujourd'hui la répression jacobine (et il ne manque pas de gens pour s'identifier aux Jacobins) on insiste sur le fait qu'elle défendait les conquêtes de la Révolution qui sont le socle de la démocratie dont nous jouissons (aussi décevante soit-elle). Sauf que cette démocratie pouvait aussi exister dans une républlique fédérale. Il faut donc croire que la justification de la violence jacobine manque son but.

D'ailleurs, les dirigeants fédéralistes avaient-ils vraiment le but de créer une républque fédérale? L'un d'entre eux, Buzot, en a rêvé, mais sans aller très loin. Etait-ce alors le but des insurgés dans leurs régions, qui auraient substitué ce but aux conceptions girondines proprement dites ? Si c'est le cas, ce ne fut jamais clairement énoncé et peut-être cette conception n'a pas eu le temps d'arriver à maturation.

Selon Fréron, un homme politique jacobin que nous retrouverons et un spécialiste du retournement de veste, les drapeaux utilisés par les troupes fédéralistes portaient l'inscription "République fédéralisée" (sic) mais il semble que c’était une invention de sa part.

Selon Isnard, député du Var à la Convention et Girondin,  qui s'est caché à Paris durant la Terreur et n'a donc pas participé à l'insurrection, les drapeaux des insurgés  portaient l'inscription "République française une et indivisible, respect aux personnes et aux propriétés".

Les Fédéralistes marseillais parlèrent toujours de la République une et indivisible. Etait-ce sincère ?

Leurs ennemis les accusèrent aussi d'être des monarchistes camouflés et il y avait indubitablement des royalistes parmi eux. Ces royalistes se réclamaient probablement de la monarchie constitutionnelle, le régime que soutenaient des hommes comme La Fayette, de Dietrich ou Rouget de Lisle, monarchie renversée par l'émeute parisienne au 10 août, que beaucoup de modérés regrettaient notamment en province.

Laurent Lautard, de sympathies monarchistes, dans ses "Esquisses historiques. Marseille de 1789 à 1815 par un vieux Marseillais" s'exprime ainsi, parlant pour lui et ses amis : 

Nous avions la cocarde aux trois couleurs à notre chapeau, mais on fond du coeur, nous avions les fleurs de lys.

Mais jusqu'à quel point doit-on croire que ce qu'il dit s'applique à tous les Fédéralistes ?

Par contre, ce qu'il dit également parait pouvoir s'appliquer à tous les participants et sympathisants de l'insurrection :

Les commissaires civils firent répandre des proclamations comme quoi le but de l’insurrection était de renverser Robespierre et de réhabiliter les députés Girondins proscrits après le 31 mai.

Il commente : "Comme si l’objet réel, l’objet forcé de la guerre, n’était pas notre propre salut : l’atroce conduite de l’ennemi, dans tous les coins de la Provence qui tombaient en son pouvoir, ne nous justifiait que trop. Quand le mur du voisin est en feu, cela vous regarde dit le poète".

 Ainsi le but initial, qui était de lutter contre un groupe politique radical, qui avait pris le pouvoir par la violence et voulait imposer toujours par la violence sa conception de la société et même de la vie et de l'homme à l'ensemble du territoire, devenait par force un combat pour la patrie provençale en danger.

Dans la phrase de Lautard, les mots qui définissent la situation sont présents: Provence, guerre, ennemis.

La Provence, avec Marseille a sa tête, était en guerre et devait affronter ses ennemis.

Quelque part, elle aussi pouvait s'appliquer la devise dont les révolutionnaires jacobins faisaient tant d'usage: il lui fallait vaincre ou mourir.

 

 

 

"Venez, hommes du Midi, ou craignez pour ce que vous avez de plus cher"

 

 

 

Selon Doppet, « tout le Midi était coalisé contre la Convention », les forces ennemies étaient supérieures en nombre à l’armée de Carteaux (qui semble avoir été à ce moment de 3000 hommes ?) mais celle-ci avait plus d’artillerie et se renforçait d’arrivées nouvelles.

Evidemment d’autres historiens du 19ème siècle comme Lourde ou du début du 20ème, comme le lieutenant Vialla, qui se dit « historien militaire », auteur d’un ouvrage intitulé Marseille révolutionnaire, l’armée-Nation, auteurs favorables à la Convention et à l’idéal révolutionnaire, prétendent que les fédéralistes avaient du mal à recruter, que leur position politique représentait celle d’une étroite classe bourgeoise, donc que la majeure partie du Midi ne les suivait pas. Ils ne peuvent admettre que le camp qui représentait « la Grande Révolution » aurait eu contre lui, dans certaines régions, la majorité de la population. L’opinion de Doppet qui lui, parle de "tout le Midi" coalisé contre la Convention, est quelque peu contradictoire avec la vision de Lourde ou Vialla tendant à démontrer l’adhésion réticente donnée au mouvement fédéraliste.

 

Rousselet est finalement remplacé par un ancien officier noble et monarchiste, le chevalier de Villeneuve- Tourette, qui se met spontanément à la disposition du comité des sections, ainsi que Cabrol-Moncoussou, qui fut un temps commandant de la Garde nationale marseillaise. Villeneuve regroupe ses troupes à Aix.

Le Comité général, à Marseille, se ressaisit après l’échec d’Avignon. Le 27 juillet, il fait paraître une proclamation pour exhorter les volontaires à rejoindre leurs drapeaux. Le comité ne se fait pas beaucoup d’illusion sur le sort qui l’attend en cas de défaite. Le même jour il écrivait à ses collègues du comité d'Aix : «... N'oublions pas qu'il vaut mieux périr les armes à la main que d'attendre la hache des bourreaux ».

Villeneuve-Tourette dispose des troupes qui ont pris la fuite à Avignon, comprenant les compagnies de Marseille et d’Aix bien réduites par les défections, mais celle d’Avignon (il s’agit des éléments fédéralistes de la ville) et de l’Isle sur Sorgue sont intactes –celles de l’Isle "avait conservé son drapeau", selon Lourde.

De nouveaux contingents marseillais s'engagent dans les troupes de Villeneuve.

ll  reçoit des renforts de plusieurs localités, dont La Ciotat, Aubagne, Roquevaire. Selon Lautard, ces villes envoient beaucoup d’hommes comparativement à leur population.

Surtout, Toulon vient aussi de réaliser une révolution sectionnaire : les Jacobins sont arrêtés, certains sont exécutés, les nouveaux dirigeants toulonnais se concertent avec ceux de Marseille qui se réjouissent : la révolution marseillaise a été lente, celle de Toulon s’est faite en un seul jour !

(il est caractéristique qu’ils utilisent le mot de révolution pour ce changement d’orientation politique).

Toulon envoie un bataillon de ligne de 500 hommes, prélevé sur les troupes régulières cantonnées dans la ville, un bataillon de douaniers, la Garde nationale de Rians se joint à ces troupes, soit deux mille hommes en tout et « il en arrivait à tous les instants » (Lourde) 

 

Quatre commissaires, Laugier (président du tribunal populaire), Vence, Rampal fils et Michel d'Eyguières sont adjoints au commandant de la force armée. A leur arrivée à Aix, ils font paraître une proclamation :

«... Rassurez-vous, citoyens, l'armée est ralliée. Marseille s'est levée en masse et accourt pour nous renforcer. Les braves guerriers vont retourner à l'ennemi. Tout le département du Var s'ébranle ; Toulon nous envoie  d'excellents artilleurs, des troupes.

« Levez-vous, citoyens, ou craignez le sort des infortunés habitants de l'Isle [sur Sorgue] ; les maisons y ont été saccagées, les moissons incendiées au milieu du carnage. Bientôt vous apprendrez qu'Avignon a subi le même sort...

« Venez vous ranger sous nos drapeaux. Un général aussi recommandable par son civisme que par ses talents dirige l'armée; des officiers expérimentés marchent sous ses ordres. Nous sommes dans l'abondance des munitions de guerre et de bouche. Venez, hommes du Midi, ou craignez pour tout ce que la nature vous a donné de plus cher... »

 

Commentant le fait que des monarchistes rejoignent la révolte fédéraliste, Michelet, historien favorable aux Montagnards même s'il condamne la Terreur, écrit que le girondinisme se royalisait.

C'était aussi le cas à Lyon où les insurgés confient le commandement militaire au comte de Précy. Mais Michelet aurait aussi bien pu écrire que le royalisme se girondinisait, ce qui n'était pas plus faux.

 

Les troupes fédéralistes seraient au plus fort de la levée de 8000 à 10 000 hommes. Evidemment la levée est difficile et après le recours au volontariat pur ou aux primes et soldes pour les recrues, il faudra envisager la réquisition ce qui ne rend pas la cause fédéraliste populaire. A Aubagne on veut même incorporer les hommes mariés, pourtant dispensés dans les autres localités, ce qui provoque le mécontentement.

Le capitaine Vialla, qui écrit peu de temps avant la guerre de 1914, visiblement exalté par l’idée de la Nation en armes, justement inventée lors de la Révolution et qui va trouver une si belle illustration dans l’hécatombe de la Grande guerre, y voit le signe que la cause des fédéralistes n’est pas celle du peuple mais d’une classe bourgeoise. Mais il est dans la logique des fédéralistes qui dénoncent la dictature jacobine, d’être aussi moins efficaces dans le recrutement car les punitions prévues par eux contre les récalcitrants sont modérées. Et ceux qui adhèrent au fédéralisme sont justement des gens qui généralement, sont partisans des libertés individuelles et peu enclins à devenir soldats de force, même pour la bonne cause. Par ailleurs le capitaine Vialla, cédant aux mêmes réactions que les Jacobins en leur temps, dont il est l’hériter intellectuel, oublie complètement les difficultés de la Convention pour lever des soldats en Vendée et dans de nombreuses régions, et insiste sur les difficultés du parti adverse en omettant celles du parti qui a ses faveurs.

 

De son côté, cyniquement, Bonaparte, dans le Souper de Beaucaire, s’adressant aux négociants marseillais, leur dit que faire la guerre n’est pas leur métier, qu’ils restent plutôt chez eux à faire leurs affaires commerciales. Sauf que la conception jacobine qu’il défend implicitement, était justement que lorsque la Patrie était en danger, tout le monde devait tout sacrifier pour la défendre.

Dès lors, la question était de savoir quelle cause méritait qu’on se sacrifie pour elle. Celle des fédéralistes exigeait aussi le sacrifice, mais de façon mesurée et s’adressait à des hommes raisonnables plus qu’à des fanatiques. Sa défaite était donc assez prévisible comme chaque fois que des gens sensés affrontent des fanatiques, que des gens qui répugnent aux moyens extrêmes sont opposés à d'autres qui n'ont pas de limites.

La proclamation des commissaires civils auprès de l'armée départementale du 3 août montre bien cette attitude de modération chez les fédéralistes :

« L'armée est organisée. Elle s'ébranle; elle marche. C'est le moment où les volontaires doivent joindre leurs drapeaux. Nous déclarons à tous ceux qui se sont enrôlés et qui n'auront point joint lundi prochain, 5 du courant, qu'ils seront déchus de la gratification de 500 livres, accordée par l'arrêté des trois corps administratifs... En conséquence, lundi prochain, à 6 heures précises, nous passerons la revue générale de l'armée dans les différents quartiers et nous rayerons du rôle des compagnies le nom de ceux qui seraient absents ».

 

 

 

Combats de Lambesc, Cadenet et Salon

 

 

 

 

Carteaux après la prise d’Avignon, passe la Durance et s’établit à Orgon, tenant un front de 60 kms démesuré pour sa petite armée d’environ 5000 hommes. Il prend son  temps et réoccupe les villes qui avaient adhéré au fédéralisme (Arles, Tarascon) où les autorités jacobines sont rétablies et avec elles les clubs de même tendance.

Villeneuve est prévenu qu’un détachement ennemi se présente devant Salon. Les fédéralistes aux ordres de M. de Canonge qui occupaient Lambesc reculent et Carteaux entre dans cette ville.

Villeneuve arrive pour secourir son lieutenant de Canonge et entreprend avec ses 3000 hommes un mouvement d’encerclement du détachement républicain fort de 1000 hommes, le 4 août. Les républicains se retirent et Villeneuve réoccupe Lambesc et Rognes.

 

Le 5 août, Carteaux est encore à Salon dont Villeneuve veut le déloger. Il concentre ses forces sur les hauteurs de Saint-Cannat, avec des renforts venus d’Aix commandés par Mandat, son général en second, et le 6, oblige Carteaux à quitter Salon et remonter sur Orgon.

 

Après ce succès, Villeneuve tient la ligne de Miramas à Lambesc en passant par Salon et Pelissanne. Pour protéger ses lignes il demande à un de ses officiers de passer la Durance et d’occuper Cadenet. Le 11 août les républicains tentent de réoccuper Cadenet et bombardent les fédéralistes. L’officier fédéraliste est blessé et la panique se met dans leurs rangs.

 

Villeneuve ne peut les retenir, malgré sa supériorité numérique. « l'évacuation de Cadenet se fît dans le plus grand désordre. Ce fut une véritable déroute. Les fuyards coururent d'une seule traite jusqu'à Aix et Marseille ».

 

Villeneuve se maintient à Salon et couvre Aix. Selon Vialla, il semble d'ailleurs que le véritable projet du Comité général n'était pas de livrer bataille à l'armée de Carteaux, mais de révolutionner plutôt la région du Midi. Pendant que Villeneuve tiendrait en échec Carteaux sur sa gauche jusqu'à hauteur de la Durance, des bandes de partisans devaient se répandre du côté de l'est, soulever les populations du Var et des Basses- Alpes et donner la main aux bataillons qui étaient à l'armée d'Italie.

 

En effet des soldats fédéralistes partent en direction des Basses-Alpes et des projets sont faits pour s’emparer de Sisteron (dont les officiers sont « dans les bons principes », comprenons qu’ils sont des modérés) ainsi que pour détacher de l’armée d’Italie les contingents des Bouches-du-Rhône et du Var.

 

Pendant ce temps le comité de salut public républicain ordonne à trois bataillons de l’armée d’Italie de prendre en tenaille les troupes fédéralistes, après avoir démis de ses fonctions le commandant de cette armée, le général Brunet, qui n’est pas sûr. Brunet qui est de Manosque, y retourne et son arrivée coïncide avec celle d’un bataillon fédéraliste parti d’Aix. Une échauffourée a lieu : les Conventionnels en mission présents à Manosque dont Robespierre jeune, manquent d’être arrêtés et s’enfuient en abandonnant leurs bagages.

 

De son côté, Carteaux s’est porté sur Salon avec 3000 hommes le 18 août et divise ses troupes en deux colonnes qui attaquent les forces de Villeneuve qui sont dispersées et le détachement de Lambesc ne prend pas part à la bataille. Une nouvelle fois la panique se déclenche et les troupes fédéralistes lâchent pied.

D'après le commissaire civil Michel d'Eyguières, qui assistait à la bataille, l'armée départementale ne perdit en tout que 30 hommes tués ou blessés.

 

Villeneuve veut rallier ses troupes à Lançon mais les commissaires civils auprès de son armée décident de se porter sur Les Pennes et Villeneuve fait aussi occuper Septèmes. La retraite prit, sans cause apparente, les allures d'une véritable déroute

 

Villeneuve rallie enfin ses forces et les positionne sur les passages commandant l’entrée de Marseille, sur les hauteurs de la Gavotte et à Fabregoules (Septèmes). Il établit son quartier général à Notre-Dame (Notre-Dame-Limite). 

 

 

 

Marseille face à son destin 

 

 

 

 

Marseille est maintenant quasiment assiégée.

 

Le Comité général veut démontrer que malgré ce que répète  la propagande des Jacobins, il n’est pas devenu monarchiste : la fête de la chute de la monarchie, le 10 août, est célébrée à Marseille, en présence des autorités. Mais comme on l'a vu, de nombreux monarchistes ont rejoint la rébellion, qui a besoin de toutes les bonnes volontés, à commencer par le général de l’armée marseillaise, Villeneuve-Tourette et nombre de ses officiers.

Le 14 août, un comité de sûreté générale de 5 membres est créé : Peloux, Castelanet, Abeille, Laugier et Raymond fils aîné, ces deux derniers  bientôt remplacés par Bruniquel et  Poyard  - selon Lautard, l’énergique et compétent Bruniquel, un protestant qui fait partie de la maison de négoce Rabaud, est toujours présent dans les situations de danger ; on le reverra de nouveau, en 1815, dans un moment où son action sera bénéfique puisqu’il s’opposera aux excès de la Terreur blanche, recueillant la reconnaissance de tout Marseille.

Pour Lourde, écrivant en 1838 et admirateur des Jacobins, ces membres du comité marseillais ne sont que des traîtres, mais Doppet, contemporain des faits, avait déjà remarqué que les deux camps se traitaient mutuellement de traîtres.

Devant le danger, Marseille retrouve ses traditions religieuses qui sont aussi des traditions civiques.

Le 15 août, sur ordre du comité de sûreté générale, en présence des membres du comité général des sections, de la Garde nationale, de la municipalité, du clergé constitutionnel avec à sa tête l’évêque Roux, et d’une foule considérable qui pour la première fois depuis la peste de 1720 sent qu’une terrible menace pèse sur la ville, une procession a lieu à Notre-Dame de la Garde ( à l’époque un modeste sanctuaire, puisque la basilique de style romano-byzantin avec sa célèbre statue dorée ne date que des années 1860) pour demander la protection de la Sainte Vierge. La statue de la Vierge est portée par les fidèles, précédée de joueurs de tambourins et de galoubets.

Puis dans les jours qui suivent le clergé ordonne l’exposition devant les églises des reliques des Saints marseillais : Saint Lazare, dont on croyait à l’époque qu’il était le ressuscité des Evangiles, Saint Victor, Saint Cannat, Saint Cassien et d’autres.

Marseille retrouve ses vieux réflexes du temps où la devise de la ville était « Victor vere tuere Massiliam » (Victor protège vraiment Marseille).

Mais rien ne pouvait épargner à Marseille le sort qui l’attendait.

Le nouveau comité publie une proclamation :

« Marseillais éveillons-nous, il n’est plus temps de calculer les dangers, il faut les braver. Que chacun de nous se lève et se porte en masse contre les scélérats qui veulent égorger nos femmes et nos enfants, piller nos maisons, dévaster nos propriétés… que l’exemple de Lyon et de Toulon nous inspire de l’énergie » …«  Considérant l’état de guerre dans lequel se trouve Marseille, il n’est plus permis à un bon citoyen de rester tranquillement chez lui ».

La proclamation indique que toute personne en désaccord avec les décisions du nouveau comité est libre de sortir de Marseille dans les 24 heures, ce qu’on peut lire comme une preuve du caractère mesuré des Fédéralistes. Il est peu probable que les Jacobins aient jamais eu l’idée d’une semblable clause en faveur des opposants.

 

Le 20 août le comité de salut public fédéraliste de 5 membres décide que tous les citoyens en état de porter les armes sont tenus de se lever en masse et sont en état de réquisition permanente. La Bourse, les spectacles, les maisons de jeux sont fermés. Il en est de même des cafés et des magasins à partir de 4 heures de l'après-midi.

 

Le comité général (qui existe toujours, car le comité de sûreté générale s’occupe des questions de défense) fait accélérer les condamnations de ses adversaires : onze Jacobins sont exécutés dans la journée du 22 août : « L'arrivée inopinée de Carteaux va délivrer les autres. Il y a dans les prisons de Marseille trois à quatre cents Jacobins qui attendent leur tour. Le temps va manquer au tribunal militaire pour les frapper. En prévision d'un échec possible, le Comité général de Marseille a fait prévenir celui de Toulon de se tenir prêt à recevoir les prisonniers » (Vialla).

 

Carteaux entre à Aix le 21 août tandis qu’à Marseille une réunion des délégués des départements du Sud-Est essaie de prendre des mesures de défense communes non sans méfiance entre les membres car certains départements sentant venir le vent, se déclarent prêts à accepter la constitution de 1793 (qui était justement proposée à la ratification des départements quand l’insurrection a éclaté – cette constitution qui de toutes façons ne devait jamais être appliquée et devenir un symbole sentimental de l’idéal jacobin).

 Le nouveau comité décide d’entamer des négociations avec les puissances coalisées dont les flottes croisent au large de Marseille et Toulon, la flotte anglaise commandée par Lord Samuel Hood, la flotte espagnole par l’amiral Juan de Langara. Une idée déjà soulevée auparavant qui avait été écartée dans l’immédiat.

Marseille accueille une frégate anglaise la Némésis, le 22 août 1793, officiellement en vue d'un échange de prisonniers, en réalité pour entamer des pourparlers. Le négociant Jean Abeille, qu'on retrouvera, un homme adroit et distingué, clairement monarchiste, se charge de négocier sur la Némésis.

Puis Abeille rejoint deux autres Marseillais déjà présents sur le Victory (probablement le même qui sera le navire amiral de Nelson à Trafalgar 12 ans après) au large de Toulon pour rencontrer l’Amiral Lord Hood, officiellement pour traiter avec lui de l'approvisionnement de Marseille et de toute autre mesure utile. Il a en fait les pleins pouvoirs.

Il signe le 23 août une convention ainsi rédigée : « Si mes commettants sont assurés de conserver la liberté pour laquelle ils combattent, je m’engage en leur nom à faire proclamer Roi Louis XVII, fils de l’infortuné Louis XVI ».

Les partisans du Jacobinisme peuvent triompher, le masque est tombé. Mais la reconnaissance de Louis XVII, exigence des alliés, n’était pas le retour à l’Ancien régime.

De toutes façons, on peut supposer que l’Amiral Hood était bien ennuyé. Il n’avait certainement pas les moyens d’intervenir partout et il savait très bien  que Marseille était difficilement défendable puisque protégée du côté de la terre par aucune défense. Il aurait fallu des dizaines de milliers d’hommes, et encore, pour défendre la ville.

L'amiral Hood préférait un débarquement à Toulon dont les nouveaux dirigeants, qui avaient éliminé les Jacobins, voyaient aussi avec épouvante se rapprocher les troupes de la Convention. Les délégués marseillais voyant que l'amiral anglais ne pouvait rien pour Marseille, allèrent à Toulon pour mettre au point avec leurs collègues toulonnais le débarquement des alliés.

Enfin, l’Amiral Hood avait aussi reçu une demande d’aide émanant des Corses insurgés contre la Convention, sous la signature de Pascal Paoli, qui, en même temps, écrivait au Roi George III et au Premier ministre Pitt, des courriers qui probablement par le biais des agents britanniques en Italie, arrivèrent à leurs destinataires. Mais Paoli était maître de presque toute la Corse, même s'il pouvait craindre la riposte républicaine (c’étaient les garnisons françaises de Bastia, Calvi, Saint-Florent qui étaient assiégées) alors que Marseille, Toulon et avec elles toutes les  villes qui avaient suivi leur rébellion, comme La Ciotat, Aubagne, étaient maintenant aux abois (Aix, Arles, étaient déjà tombées aux mains de l'armée de Carteaux).

L’Amiral Hood fait une proclamation par laquelle il promet son soutien aux populations provençales révoltées si elles se prononcent pour le rétablissement de la monarchie que les puissances voient comme la seule solution aux malheurs de la  France :

 « Je viens vous offrir les forces qui me sont confiées, pour épargner l'effusion du sang, pour écraser les factieux,rétablir l'harmonie et la tranquillité 
que leur détestable système menace de troubler dans toute l'Europe.
« Comptez sur la fidélité d'une nation franche ; je viens de donner une preuve éclatante de sa loyauté. Plusieurs 
vaisseaux chargés de blé, venant de Gênes, arrivent dans vos ports escortés par des vaisseaux anglais.
« Prononcez-vous donc, et je vais faire succéder des années de bonheur à quatre ans de servitude et de calamité ». 

Mais pendant que cette négociation a lieu, une section, la 11ème, qui est celle du quartier populaire des Prêcheurs (le quartier du 18ème siècle a disparu lors du percement de la rue Impériale sous le second Empire, actuelle rue de la République) forte de 400 ou 500 hommes, maintenant que l’armée de Carteaux approche, décide de jouer la carte du Jacobinisme. Elle affronte depuis le 23 août les autres sections fédéralistes et « toute la ville » . On notera que ceux qui disent que cette section, revenue au Jacobinisme, affronte « toute la ville » sont les mêmes (Lourde, le lieutenant Vialla) qui s’épuisent, à d’autres moments, à expliquer à quel point l’opinion fédéraliste était sans adhésion profonde sur la masse des habitants.

La section 11 condamne le recours aux armées étrangères sollicité par le comité marseillais : « C'est de ces hommes, abreuvés de notre sang, de celui de nos femmes et de nos enfants, qu'on attend des secours!... Cherchons plutôt à calmer le courroux des Français qui marchent contre nous. Nous pouvons tout espérer de nos frères ; ils sont Français, il suffit. Ils seront généreux ».

L’avenir va bientôt montrer si les républicains sont aussi généreux que le croyait la section 11.

Quant aux étrangers « abreuvés du sang de nos femmes et nos enfants », les membres de la section 11 auraient sans doute eu du mal à en trouver un exemple véridique, mais ils ne s’en souciaient pas, c’était avant tout une formule réthorique. Après tout, n’était-ce pas une reprise de la Marseillaise ?

D'autres sections, bien que plus attentistes, se rallient (sentant peut-être le vent tourner) à la motion de la 11ème section.

Les autorités marseillaises nomment à la hâte un commandant supérieur de la défense, M. de La Baume (sans doute pour la sécurité intérieure, Villeneuve continuant à diriger la défense militaire). Vialla ne manque pas de dire qu’autour de lui « viennent se réunir tout ce que la ville compte d'officiers royalistes, fédéralistes et contre-révolutionnaires ». On décide de dissiper par la force le rassemblement de la 11ème section. Les autres sections, renforcés par des marins, qui paraissent avoir été constamment du côté modéré, attaquent la 11ème section qui ne semble pas être secourue par les sections qui avaient approuvé sa motion. Mais dans toutes les sections, il existe des flottements, et bien des sectionnaires quittent leur poste, ou ne le rejoignent pas, sans doute par prudence : si l'armée conventionnelle est victorieuse, il vaudra mieux avoir le moins possible participé à l'insurrection fédéraliste.

La 11ème section s’enferme dans l’église des Prêcheurs, elle est bombardée au mortier depuis la Canebière. Le siège que soutient cette section est décrit comme un acte d’héroïsme par Vialla et comme une bouffonnerie par Lautard. Dès que les obus commencent à tomber, détachant des pierres de l’église, les révoltés de la section 11 sortent de l'église. Ils arrivent à quitter Marseille en passant par Allauch et à rejoindre les avant-postes de Carteaux.

Assez curieusement Vialla écrit : « Dans les journées des 20, 21 et 22 août, la terreur fit partir pour Septèmes et Fabregoules un grand nombre de citoyens qui allèrent ainsi renforcer l'armée départementale. Les dispositions de la section 11 en faveur des Jacobins trouvèrent peu d'écho dans cette population marseillaise avilie tout à coup par la peur ». Ainsi Vialla est obligé de reconnaître que l’ensemble de la population n’adhère pas au revirement de la section 11. Pour s’en consoler il déclare que les Marseillais qui vont renforcer l’armée sont « avilis par la peur » !

 

Carteaux a quitté Aix le 23 août, le 24 il approche des forces de Villeneuve; celui-ci envoie des troupes occuper Roquevaire pour tenir tous les accès à Marseille mais elles fondent en chemin, et une de ses compagnies se rallie à Carteaux.

Villeneuve demande au Comité de lui envoyer quatre bataillons en secours.

« Hélas ! écrira plus tard  le commissaire civil Michel d'Eyguières, il n'y avait plus de bataillons dans la ville; tout était épars... Il était malheureusement écrit dans le livre du destin que ce jour-là mettrait le comble à la honte de Marseille ».

Les troupes fédéralistes lâchent pied, les canonniers précipitent leurs pièces dans les ravins et mettent le feu aux poudres ce qui augmente la panique.

A trois heures de l’après-midi les premiers fuyards arrivent dans Marseille où le comité faisait déjà proclamer l’échec de Carteaux et en peu de temps la ville est en proie à une terreur complète.

 

Lautard raconte ainsi ce qu’il a vu :

« Quelle scène de désolation, un torrent d’hommes qui n’avaient su que courir, inondant le pavé, guerriers d’un jour peu soucieux de leur défaite, ardents à satisfaire leur appétit sans trouver du pain nulle part, des fourgons, des canons, des affuts, des chevaux sans maîtres… les sans-culottes déchainés hurlant la menace et l’insulte, la plupart des maisons abandonnées, les citoyens paisibles claquemurés ou en fuite ».

La population se précipitait hors des murs comme si Marseille était en feu, les familles aisées couraient se réfugier dans leurs bastides, les prolétaires avec femmes, enfants et vieillards cherchant un abri, s’agglutinaient sur les bords du Jarret et de l’Huveaune pour y camper... « Certes il y avait lieu de s’attendre à tout mais l’imagination allait au-delà du possible ». 

 

Il ne reste plus que 500 hommes de l’armée départementale dont la compagnie de l’Isle sur Sorgue, qui restait fidèle au camp fédéraliste et 200 ou 300 hommes des troupes de ligne venus de Toulon, le reste de ces soldats de ligne ayant rejoint l’armée de Carteaux où ils espéraient faire oublier leur engagement du mauvais côté.

 Tout le monde avait fui devant Carteaux, "Attila microscopique", comme le dit plaisamment Lautard, ce Carteaux qui restait étonné à l'entrée de Septèmes devant la fuite de ses adversaires et croyait à une ruse.

Le 25 août, Carteaux fait son entrée dans Marseille, avec seulement 2900 soldats (selon Lautard - il semble pourtant avoir disposé d'effectifs supérieurs, au moins 5000 à 6000 hommes - mais il avait pu fractionner ses forces); il faut sans doute ajouter à ce nombre environ 2000 Jacobins provençaux qui l'ont rejoint, dont les membres de la 11ème section marseillaise.

Carteaux est accompagné des Conventionnels en mission Albitte, Nioche, Saliceti, Escudier et Gasparin. Ceux-ci font une proclamation annonçant la punition des coupables et le rétablissement des autorités républicaines.

Les chefs fédéralistes et les débris de l’armée départementale, rejoints par un contingent de Roquevaire passent d’abord par Cassis où il est probable qu'ils dorment à la belle étoile puis entrent le lendemain à Toulon suivis "d’une foule de Marseillais des deux sexes" (selon l'historien Fantin des Odoards écrivant une quinzaine d'années après) qui ont fui la ville, par voie de terre ou par la mer, on imagine dans quel état d'esprit.

Ces 2000 personnes, au moins, sont accueillis à bras ouverts par les Toulonnais (du moins ceux qui ont les mêmes opinions) malgré la difficile position de Toulon.

 

 

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 Marseille. vue du Vieux port et de Notre-Dame de la Garde, prise depuis la quai du Port (quai de la Mairie). On voit le célèbre "ferry-boat" (à propulsion solaire depuis quelques années) qui relie les deux rives (quai du Port et quai de Rive-neuve). Photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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