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Le comte Lanza vous salue bien
25 octobre 2023

ALGER AU TEMPS DES DEYS, DES CORSAIRES ET DES ESCLAVES, PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

ALGER AU TEMPS DES DEYS, DES CORSAIRES ET DES ESCLAVES

PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit.]

 

 

 

 

 

Tout le monde ou presque sait que l’intervention française en Algérie de 1830 fut provoquée par une suite d’événements qui culmina avec un  coup de chasse-mouche donné par le dey (le souverain) d’Alger au consul de France. Cet incident diplomatique fut considéré par le gouvernement français comme un point de non-retour. Il fallut encore trois ans pour arriver à l’expédition de 1830 qui devait avoir comme conséquence 130 années de colonisation française.

Il n’est pas sans intérêt de revenir sur ces événements aux conséquences disproportionnées et sur les relations qui avaient existé jusque là entre la France et ce qu’on appelait la régence d’Alger.

Pour cela il faut encore revenir en arrière de quelques siècles.

 

 Nota Bene : dans cette étude on reprend l'appellation donnée le plus souvent par les contemporains et surtout par les historiens au territoire placé sous l'autorité des dirigeants ottomans installés à Alger : la régence d'Alger. Dans les actes internationaux, l'appellation en arabe El-Djazâ'ir (الجزائر ) s'appliquait à la fois à la ville et au pays qu'elle commandait (Watan El-Djazâ'ïr, pays d'Alger). Pour les Ottomans, Alger (ville et pays) était un eyalet,  terme qu'on peut traduire par province ou gouvernorat, ou encore un pachalik ou beylerbeylik (selon l'époque et le titre donné au gouverneur).

Selon une etymologie qui n'est pas acceptée par tous les spécialistes, le nom de la ville viendrait des îles qui faisaient face au port et qui furent plus tard rattachées à sa jetée actuelle ; en arabe Al-Djaza’ir (الجزائر), « les îlots ». Du nom arabe de la ville viennent les transcriptions française (Alger) anglaise (Algiers) etc.

 

 

 

ALGER AVANT L’INSTALLATION DES CORSAIRES TURCS

 

 

Depuis la conquête arabe (entre 647 et 709), le Maghreb central avait été soumis à diverses souverainetés, d’abord extérieures au Maghreb (les Califes de Bagdad) puis originaires du Maghreb même, souvent berbères. Ces souverainetés (dynasties sanhadjiennes, puis Almoravides et Almohades) s’étendaient  selon les époques sur des territoires débordant du Maghreb (union avec l’Espagne islamique, souveraineté sur le Mali, etc).

A partir du 13ème siècle, le royaume ou sultanat zianide* domina le Maghreb central. Sa capitale était Tlemcen, dans l’ouest de l’Algérie actuelle. Cependant, leurs territoires sont fluctuants et ils rivalisent avec les Hafsides implantés à Tunis pour établir leur emprise sur tout le Maghreb. Leur histoire est marquée par des guerres avec Les Mérinides**. A l’est de l’Algérie actuelle, les émirats de Béjaia et Constantine relevaient théoriquement du royaume hafside de Tunis mais acquièrent une quasi-indépendance.

                                                                                                  * Les Banu Zïane sont une tribu berbère originaire des Aurès.

                                                                                                 ** Les Mérinides ou Marinides, dynastie d'origine berbère implantée dans l’est marocain.

 

A la fin du XV ème siècle le royaume zianide se désagrège et se replie sur Tlemcen. Les ports, Alger, Annaba, Jijel, Dellys, forment de petites républiques marchandes. À Alger, une aristocratie marchande d'origine andalouse, protégée par une tribu arabe, dirige la ville. Dans les Hauts plateaux et dans  le Sud, les confédérations tribales indépendantes de tout pouvoir central, et en Kabylie des principautés indépendantes se constituent (Wikipédia, art. Régence d'Alger).

 

Une chose va modifier le destin d’Alger, petite ville côtière parmi d’autres, c’est la politique de la monarchie espagnole. A la fin du 15ème siècle les « Rois catholiques » (le couple formé par la reine de Castille et son mari le roi d’Aragon) ont réalisé la Reconquista de l’Espagne et mis fin à l’existence de royaumes musulmans en Espagne – une partie de la population musulmane s’est d’ailleurs réfugiée en Afrique du nord*.

                                                                                                * Une seconde vague d’immigration aura lieu au début du 17ème siècle quand la monarchie espagnole décida en 1609 d’expulser les Morisques, population  initialement musulmane et  théoriquement convertie au catholicisme après la Reconquista, qui s’était déjà révoltée dans le passé contre la couronne espagnole.

 

Les rois catholiques décident au début du 16 ème siècle de soumettre la côte d’Afrique du nord à leur puissance, soit par des possessions directes soit en soumettant les dirigeants musulmans à un statut de vassal. En peu d’années ils s’emparent d’Oran, de Mers El Kebir, de Bejaia; les villes de Dellys, Mostaganem, Cherchell, paient un tribut aux Espagnols, le roi de Tlemcen se déclare vassal de Ferdinand le Catholique. Alger est à l’époque dirigée par l’émir Salim At-Toumi* (il existe d’autres transcriptions) qui accepte la suzeraineté espagnole et permet aux Espagnols de s’installer sur le Peñon** d’Alger (un îlot en face d’Alger sur lequel les Espagnols bâtissent une forteresse)

                                                                                                                * Salim at-Toumi est le chef de la tribu arabe des Thaâliba auquel l’oligarchie citadine commerçante d’Alger laisse le pouvoir pour régner sur la ville au début du 16 ème siècle (Wikipédia).

                                                                                                             **  Peñon, rocher en espagnol. Sur ce mot, on peut ajouter qu’aujourd’hui encore, les Espagnols occupent une presqu’île de la côte marocaine, le peñón de Vélez de la Gomera, qui fait partie des territoires espagnols en Afrique du nord (Ceuta, Mellila).

 

 

 

LES BARBEROUSSE S’EMPARENT D’ALGER

 

 

C’est alors que les frères Barberousse entrent dans la grande histoire.

Les quatre frères sont originaires de l’île de Lesbos (ou Mytilène) dans la mer Egée, à proximité  de la côte turque. Leur famille pourrait avoir été chrétienne mais convertie à l’islam. Les Barberousse n’ont donc au départ aucun lien avec le Maghreb.

Arouj (ou Aroudji), né vers 1474, devient en quelques années un corsaire réputé qui se livre à des attaques victorieuses en Méditerranée contre les pays et les navires chrétiens, aussi bien marchands que de guerre, attirant l’attention du sultan turc. Lors d’un combat avec un navire des  chevaliers de Saint-Jean (futur ordre de Malte) son frère ainé est tué et Arouj est capturé, il reste emprisonné deux ans avant de s’évader avec l’aide de son frère Khayr ad-Din.

En 1503, avec ses frères Khayr ad-Din et Ishak, il établit à Djerba sa base d’opérations, puis à la Goulette (près de Tunis). Comme il participe au transfert en Afrique du nord des musulmans qui fuient l’Espagne, ceux-ci le surnomment Baba Arudj (père Arudj), nom qui est transposé dans les pays chrétiens en Barbarossa ou Barberousse. Arouj essaie de conquérir Bejaia (où les Espagnols sont installés) avec l’aide des Kabyles mais il est repoussé.

En 1514 les trois frères s’emparent de Jijel (Djidjelli) que les Génois avaient occupé et qui devient leur nouvelle base.

Alger est alors une ville de 20 000 habitants. L’oligarchie commerçante, mécontente des concessions faites aux Espagnols par l’émir Salim At-Toumi qui gouverne la ville, fait appel aux frères Barberousse ; ceux-ci, alliés à un chef kabyle, le sultan de Koukou, Belkadi (ou Sidi Ahmed U el Kadhi), s’emparent d’Alger.  Salim At-Toumi est semble-t-il, assassiné dans son bain par Arouj (ou sur ordre de celui-ci). Arouj se proclame sultan d’Alger et annonce qu’il gouverrnera avec les notables de la ville.

Arouj conquiert l’arrière-pays d’Alger et l’Ouest algérien. Il prend ensuite la ville de Ténès et Tlemcen, intervenant dans les querelles dynastiques des souverains de Tlemcen (branche subsistante des Zianides) : le sultan en titre se réfugie auprès des Espagnols et marche avec eux contre Arouj. Celui-ci, malgré son alliance avec le chef kabyle Belkadi, est mis en échec (une force venue à son secours depuis Alger avec son frère Ishak est battue et son frère tué) ; Arouj doit abandonner Tlemcen où il s’était établi  et il est tué lors d’une bataille en 1518.

 

 

LA GLOIRE DE KHAYR AD-DIN BARBEROUSSE

 

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 Nigâri (1494–1572), miniature représentant Khayr ad-Din Barberoussse, amiral de la flotte ottomane (1540). Le farouche marin et guerrier est présenté humant une fleur.

Palais de Topkapı (Istanbul). Wikipédia, art. Régence d'Alger.

 

 

 

Son frère Khayr ad-Din (ou Kheireddine), resté à Alger est proclamé sultan d’Alger en 1519 (et hérite aussi du surnom de Barberousse). Khayr ad-Din propose au sultan turc de rattacher Alger à l’empire ottoman. Dans l’attente de la décision du sultan, Khayr ad-Din parvient à se faire reconnaître comme suzerain du sultan de Tlemcen, suscitant l’hostilité du sultan hafside de Tunis qui pour contrer Khayr ad-Din, s’allie avec le sultan de Koukou Belkadi, jadis allié d’Arouj, mais avec qui les relations sont devenues mauvaises car Khayr ad-Din le rend responsable de la défaite et la mort de son frère Arouj qu'il aurait mal appuyé lors du combat contre les Espagnols et leurs alliés zianides.

Battu en 1519 par les Tunisiens et Belkadi, Khayr ad-Din doit abandonner Alger en 1520 et Belkadi s’en empare ; il y règne 5 ou 7 ans,  comme sultan de Koukou et d’Alger. Mais Khayr ad-Din revient en Algérie dès 1521, s’empare de Jijel et s’allie avec un rival de Belkadi. Il progresse  vers Alger, soumettant des villes de l’est algérien, puis remporte la victoire sur Belkadi (ce dernier ayant été assassiné la veille de la bataille) en 1525 (ou 1527 ?). Khayr ad-Din redevient sultan d’Alger. En 1529 il s’empare du Peñon d’Alger toujours occupé jusque-là par une garnison espagnole.

Dans l’intervalle la Turquie [l’empire ottoman, mais pour simplifier on utilisera parfois le nom Turquie, un peu anachronique] a accepté l’offre de Khayr ad-Din. Alger (et le territoire qu relève d’Alger) devient une « province d’empire » et non une simple province. Le « souverain » d’Alger rend hommage au Sultan d’Istanbul (la capitale de l’empire ottoman, encore fréquemment appelée Constantinople en Occident), mais ne lui paie pas de tribut. C’est un souverain vassal mais qui dispose d’une grande liberté de manœuvre. En pratique, l’élite dirigeante d’Alger est composée de Turcs ou de  Kouloughlis (ou Kuloğlu), qui sont des enfants de Turcs et de femmes maghrébines,  auxquels vont rapidement s’ajouter les « renégats » européens qui forment une grande part de la corporation des corsaires.

Car la « course » - qu’on appelle souvent en Occident à l’époque du nom italien « corso » devient l’activité principale d’Alger (et d’autres localités de la côte d’Afrique du nord)

En 1534, Khayr ad-Din intervient dans les querelles de succession pour le sultanat hafside de Tunis ; il s’empare de Tunis au nom de l’empire ottoman. Le sultan de Tunis déposé fait appel à Charles-Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint empire romain germanique, qui débarque lui-même devant Tunis en 1535 et s’empare de la ville après avoir battu les troupes de Khayr ad-Din, qui se replie vers Alger.*

                                                                                                                     * Charles Quint rétablit le souverain hafside à Tunis, qui règne dès lors sous protection espagnole. En 1569, les Ottomans d’Alger reprennent Tunis mais en 1571 (1573 ?) les Espagnols s’en emparent de nouveau et rétablissent les Hafsides jusqu’en 1574, où la ville tombe définitivement au pouvoir des Ottomans (voir plus bas). Elle sera administrée sous la supervision du dirigeant turc d’Alger jusqu’au moment où elle acquerra une autonomie qui lui permettra de s’opposer, parfois militairement, à Alger.

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La carrière de Khayr ad-Din prend un double tournant entre 1533 et 1537: d’une part il est nommé beylerbey par le sultan ottoman Soliman et d’autre part, capitan pacha (kabudan pacha, kaputan pacha) de la flotte ottomane : le premier titre lui donne autorité sur toutes les possessions ottomanes d’Afrique du nord, le second fait de lui l’amiral en chef de la flotte ottomane, mais la  conséquence est qu’il doit s’installer à Constantinople – peut-être le sultan ottoman préfère-t-il l’avoir près de lui plutôt que jouissant d’une large autonomie à Alger ? Khayr ad-Din laisse à son khalifa (lieutenant) Hassan Agha (connu comme Hassan l’Eunuque)* l’administration des territoires d’Afrique du nord relevant du beylerbey d’Alger.

                                                                                                                           * C’était un renégat d’origine sarde.

 

Charles-Quint essaie de négocier avec Khayr ad-Din en espérant le détacher de son allégeance à l’empire ottoman,  mais ces négociations sont sans doute un leurre de part et d’autre. Finalement, Charles-Quint exaspéré par la guerre de course que mène Alger et désireux d’en finir avec la puissance grandissante des Ottomans en Afrique du nord, décide de prendre Alger, leur place principale.

 

 

L’ÉCHEC DE CHARLES-QUINT - LES FRANÇAIS ALLIÉS DES TURCS

 

 

Une puissante expédition est organisée en 1541 avec des troupes espagnoles, italiennes, allemandes et des alliés, notamment les chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean (qui s’est implanté récemment à Malte et sera bientôt connu comme ordre de Malte). Certaines « pointures » militaires de l’époque font partie de l’expédition comme l’amiral génois Andrea Doria, qui dirige la flotte espagnole, Alvarez de Tolède, duc d’Albe (qui gagnera ensuite une réputation sinistre par sa répression de la rébellion des provinces belges et néerlandaises) et Hernán Cortés, le célèbre conquistador de l’empire aztèque. Charles-Quint est lui-même présent à la tête de ses troupes.

Mais l’opération st un échec complet du fait d’une tempête qui disperse la flotte de l’empereur (entre 160 et 190 navires détruits),  après le débarquement des troupes, désorganisées par le mauvais temps. De plus Charles-Quint  avait compté sur l’appui des berbères du Koukou (opposés à Khayr ad-Din depuis l’épisode de la lutte avec Belkadi) mais ces derniers, malgré leur promesse, ont fait défaut.

Charles-Quint doit se mettre à l’abri en faisant retraite jusqu’au Cap Matifou où il peut rembarquer ses troupes malgré les attaques des soldats de Hassan, mais il a perdu environ 12 000 hommes et la tempête fait encore des ravages sur le chemin du retour.

 

En 1543, le roi de France François Ier, uni par un traité d’alliance depuis 1536 au sultan turc Soliman le Magnifique, ordonne de prendre la ville de Nice qui appartient au duc de Savoie, allié de Charles-Quint, et demande l’ide des Turcs. 20 000 Franco-Turcs assiègent la ville, qui est bloquée par 120 galères turques commandées par Khayr ad-Din Barberousse (qui a d’abord relâché à Marseille) et des navires français en soutien.

Les Franco-Turcs s’emparent de la ville (août 1543) - la population est évacuée, sous la protection des Français, ce qui suscite la colère des Ottomans qui comptaient bien rafler une masse d’esclaves. Les assaillants échouent à prendre la citadelle. Ils se retirent à l’arrivée des troupes impériales venant au secours de la ville, conduites par le duc de Savoie et le marquis Del Vasto, mais avant de partir ils pillent et incendient la ville.

La flotte ottomane passe l’hiver à Toulon, que François Ier a fait entièrement vider de ses habitants*, avant de se retirer en mai 1544 (contre rançon, semble-t-il, usage surprenant pour des alliés !).

                                                                                                                * La cathédrale est transformée en mosquée durant ce séjour. Les Marseillais, Toulonnais, et autres Provençaux, bien que sujets du roi de France, sont assez révulsés de l’alliance du roi avec des musulmans contre d’autres chrétiens.

 

Khayr ad-Din meurt en 1546 à Constantinople, chargé d’honneurs et de richesses. Son fils Hassan pacha, lui succède sur décision du Sultan (ne pas confondre avec Hassan Agha, le lieutenant de Khayr ad-Din). *

                                                                                                                * Il semble que Hassan pacha soit nommé beylerbey dès avant la mort de son père– et qu’il ait exercé cette fonction sur deux périodes. La chronologie des dirigeants d’Alger est passablement complexe.

 

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 Vue de la cité d'Alger, gravure vers 1730 (?). site Reddit, https://www.reddit.com/r/papertowns/comments/adgcfg/algiers_in_the_early_18th_century_algeria/

 

 

 

 

LES SUCCESSEURS DE KHAYR AD-DIN - EULDJ ALI

 

 

Après Khayr ad-Din, il n’y a eu que 5 nominations de beylerbey en titre si on suit la chronologie de l'article Wikipédia Beylerbeys d'Alger  Le dernier fut Euldj Ali (ou Uludj Ali ou Ochali Pacha ou Occhiali)* qui s’empare de Tunis deux fois (1569 et 1574). En 1571 il participe à la bataille de Lépante (1571) où la flotte ottomane sera vaincue par les flottes combinées de l’Espagne (et ses alliés), du pape et de Venise. A Lépante, Euldj Ali, voyant la bataille perdue, rompt le combat et ainsi permet aux vaisseaux qu’il commande d’échapper à la destruction. Le Sultan le nomme capitan pacha, de sorte qu’il laisse l’administration d’Alger à des lieutenants - bien que restant beylerbey en titre (il est vrai que durant son séjour à Alger, Euldj Ali avait eu des ennuis avec la milice des janissaires)..

                                                                                                    * Euldj Ali est un renégat d’origine calabraise. Capturé par les corsaires d’Alger, il se convertit à l’Islam et devient à son tour un corsaire réputé.

 

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Nakkaş Osman  et AliL'armée d'Euldj Ali en marche vers Tunis, 1569 (1581).

En 1569, Euldj Ali, beylerbey d'Alger, à la tête d'environ 5000 janissaires et de troupes kabyles, s'empare de Tunis qui était aux mains des Espagnols. Mais la garnison espagnole de La Goulette résiste jusqu'à l'arrivée en 1573 d'un corps expéditionnaire de près de 20 000 hommes mené par Don Juan d'Autriche (le fils illégitime de Charles-Quint et le vainqueur de Lépante). Les Espagnols reprennent Tunis et rétablissent la dynastie hafside sous protection espagnole. En 1574, sur ordre du Sultan  Sélim II, Euldj Ali et Sinan pacha (à l'époque gouverneur de l'Egypte et futur grand vizir ottoman) reprennent Tunis. La garnison espagnole est presque entièrement massacrée.

Aga Khan Museum  (Toronto, Canada) Source/Photographer : http://www.akdn.org/museum/detail.asp?artifactid=1720#, Wikipedia art. Regency of Algiers.

 

 

 

Le « règne » des lieutenants des beylerbeys est souvent chaotique. Ainsi Hassan Corso, un renégat d’origine corse comme l’indique son nom, qui exerce l’intérim, s’oppose à l’arrivée du nouveau beylerbey turc, .Celui-ci, une fois installé fait périr ceux qui s’étaient opposés à son arrivée et Hassan Corso meurt dans des supplices atroces.

Les beylerbeys n'étaient pas nommés à titre définitif (ce qui n'était pas dans les habitudes de l'empire ottoman) mais pouvaient exercer à plusieurs reprises la fonction : Hassan pacha fut trois fois beylerbey d'Alger, à la satisfaction de la population.

A partir de 1587 (à la mort d’Euldj Ali), le Sultan, désireux d’éviter les troubles que causait la nomination et les interims des beylerbeys, ne nomme plus de beylerbey, mais des pachas désignés en principe pour trois ans. Ceux-ci doivent gouverner Alger et les territoires qui y sont rattachés en prenant avis des puissants organismes locaux : l’odjak des janissaires dont le  diwan ou conseil est une émanation, et la taïfa ou corporation  des corsaires, ainsi que des notables civils et religieux de la ville (ces derniers sont les moins puissants des organismes de pouvoir).

L'odjak est la corporation des janissaires*, ou milice (à noter que pour l'historien Tal Shuval, « le terme ocak (prononcé odjak) définit la province d'Algérie ainsi que son élite militaro-administrative » (Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2002). Chaque membre a - en principe -  un droit égal dans la prise de décision, quel que soit son grade.

                                                                                                      * Les janissaires sont des soldats de métier d’infanterie, formés à partir de jeunes chrétiens enlevés à leur famille, dans les régions soumises au pouvoir ottoman et convertis à l’islam (système du Devchirmé ou tribut du sang); ils forment une corporation puissante (aussi bien à Constantinople que dans les provinces d’empire), redoutée par les Sultans, qui finalement ordonneront le massacre des janissaires au début du 19 ème siècle.

 

Les frontières de la régence d’Alger se stabilisent au 17 ème siècle : la régence s’étend sur la bande côtière entre l’ouest d’Oran (la ville d’Oran elle-même reste possession espagnole jusqu’en 1792, avec une interruption) et l’ouest de Bône. A l’intérieur, elle exerce une suzeraineté sur les tribus arabes et kabyles qui paient un tribut – mais de nombreuses tribus refusent le tribut et selon leur éloignement, la régence n’exerce aucun contrôle sur celles-ci.

 

Le pays est divisé en quatre parties : le Dar Es-Soltane, territoire comprenant Alger et ses environs, directement gouverné par le pacha installé à Alger, puis trois beyliks, dirigés par un bey, subordonné au pacha ou ensuite au dey d’Alger : celui de l'Ouest (chef-lieu Mazouna, Mascara et Oran à partir de 1792), celui de Titteri (Médéa) et celui de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en plusieurs outans administrés par un caïd généralement d'origine turque. Les outans comprennent plusieurs douars et tribus dirigés par des cheiks (arabes ou kabyles).

  Les relations avec le Maroc – qui reste indépendant de l’empire ottoman - sont par moment conflictuelles. Quant à l’ancien royaume hafside de Tunis, après sa conquête par Khayr ad-Din Barberousse, il fut un moment placé sous l’autorité des beylerbeys d’Alger (sans qu’il y ait annexion) mais ensuite il constitua une régence autonome de l’empire ottoman, sous l’autorité d’un bey. Il y eut donc aussi des conflits armés entre la régence d’Alger et de celle de Tunis.

 

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Carte de la régence d'Alger. Les frontières vers le sud ne sont pas indiquées - les limites du pouvoir des dirigeants ottomans installés à Alger étaient en effet fluctuantes. Les ottomans avaient pénétré jusqu'à Toughourt mais il semble qu'ils n'avaient pas pu s'y maintenir durablement.

Wikipédia, art. La régence d'Alger.

 

 

ÉVOLUTION DE LA RÉGENCE D’ALGER

 

 

 

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 Dar Aziza ( villa d'Aziza), partie subsistante de l'ancien palais de la Jenina, résidence des dirigeants de la régence d'Alger. Ce palais fut abandonné en 1818 par le dernier dey puis ensuite servit aux gouverneurs français. Il fut malheureusement détruit par la suite (incendie en 1844, destruction en 1857). Le bâtiment subsistant doit son nom actuel au fait qu'il aurait été la résidence d'une princesse, Aziza, fille d'un dey d'Alger, ou d'un caïd et épouse d'un bey de Constantine (Wikipédia).

Site personnel FLICKR, photo de Ath Salem https://www.flickr.com/photos/144330620@N04/with/32349016596/

 

 

 

L’obéissance d’Alger (comme de Tunis) au Sultan ottoman est toujours délicate.

Les pachas envoyés par Istanbul ont en fait des pouvoirs limités « par le pouvoir de la milice et de son Divan, et ils n’avaient aucune autorité sur l’organisation des corsaires, la tâ’ifat al-ra’îs, qui menait ses actions comme si elle faisait partie intégrante de la flotte ottomane. » (Tal Shuval, La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle, Population et cadre urbain, Chapitre "Survol de l’histoire politique de la Régence d’Alger (XVIème-XVIIIème siècles)", https://books.openedition.org/editionscnrs/3679)

                                                                                                                                             * Les membres les plus importants du  diwan (ou divan), mot signifiant salle du conseil,  siégeaient assis sur des coussins, d'où l'importation en Occident du mot pour désigner un meuble. 

 

Outre les guerres et tensions avec ses voisins musulmans et les puissances chrétiennes, et les difficultés avec les habitants de l’intérieur, parfois insoumis, la régence connaissait des difficultés avec ce qui était pourtant le fondement de la régence, l’odjack des janissaires, en partie pour des questions financières : « Nous avons vu qu'à la fin du XVIe siècle les gouverneurs ne pouvaient plus assurer la solde des janissaires, ce qui allait être chronique tout au long du XVIIsiècle  (...)  telle était la situation dans la plupart des provinces ottomanes à l'époque. »  (Tal Shuval Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2002, http://journals.openedition.org/remmm/244 

Le régime des pachas triennaux dure jusqu’en 1659, puis de 1659 à 1671, ce sont les chefs de la milice des janissaires (les aghas) qui dirigent la régence. Ce règne est particulièrement agité car « les quatre agha qui gouvernèrent entre 1659 et 1671 furent assassinés » (Shuval, La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle).

Enfin à partir de 1671, le pouvoir passe aux deys* qui sont désignés localement par les janissaires et les raïs (commandants des navires corsaires) réunis dans le diwan (ou divan) ** .

                                                                                                             * Dey est un mot qui veut dire oncle, à l'origine utilisé pour désigner un chef de la milice des janissaires.

                                                                                                            ** Il semble qu’à la fin du 17 ème siècle la corporation des raïs est englobée dans celle des janissaires. Avant cela, il n'est pas certain que les raïs faisaient partie du divan.

 

 

Le régime est toujours mouvementé car « un seul des onze deys qui gouvernèrent entre 1671 et 1710 connut une mort naturelle » (Shuval). Pour sauver la face, Istanbul continue d’envoyer des pachas à Alger, sans aucun pouvoir face au dey, lui-même soumis au danger d’être éliminé physiquement par l’odjack et son  émanation, le divan,  s’il déçoit ses électeurs. Enfin, le dey obtient du Sultan qu’il cesse d’envoyer des pachas (1711) et désormais c’est lui qui, en même temps qu’il est élu dey par le divan, se vit attribuer le titre de pacha par le sultan, Dès lors le régime se stabilise, au cours du 18 ème siècle seuls 2 deys sur 9 sont assassinés, certains deys ont des règnes de plus de 20 ans.

Cette stabilité est due à l’affaiblissement du diwan et à l’importance croissante d’un groupe de hauts fonctionnaires, « les Puissances ».

Néanmoins l’instabilité reparait au début du 19 ème siècle. Sur la longue durée, on remarque que « Sur les trente deys qui se succèdent de 1671 à 1818, quatorze sont imposés par l'émeute après l'assassinat de leur prédécesseur » (Wikipédia, art. Régence d'Alger).

 

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Jan Luyken (1649–1712), Hassan Agha, beylerbey d'Alger, dirigeant un divan. Gravure de 1684 (la gravure est donc postérieure d'environ un siècle à la scène représentée).

Rijksmuseum. Wikipédia.       

 

 

 

 

PROVINCE AUTONOME OU ÉTAT INDÉPENDANT ?

 

 

La régence a évolué vers une quasi indépendance par rapport à l’empire ottoman (comme les régences de Tunis et Tripoli). Pour les Occidentaux, ce sont les Etats barbaresques (car ils sont établis sur la côte de Barbarie, désignation géographique assez péjorative de la côte nord-africaine). Le dirigeant d’Alger est souvent appelé « le roi d’Alger » par les Occidentaux, mais le terme de régence est utilisé par eux : il rend compte des liens de vassalité (théorique) avec l’empire ottoman.

En effet, les liens avec l’empire ottoman ne disparaissent pas entièrement mais sont surtout symboliques.

Sur l’évolution politique de la régence d’Alger, on peut se reporter à l’ouvrage de Tal Shuval La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle, Population et cadre urbain, Chapitre Survol de l’histoire politique de la Régence d’Alger (XVIème-XVIIIème siècles), https://books.openedition.org/editionscnrs/3679 ,

Ainsi que du même auteur, l’article cité Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie. 

Cet auteur estime que l’autonomie de la régence d’Alger allait de pair avec la réaffirmation du caractère ottoman de celle-ci :

« Le marchandage entre l'élite ottomane de la province et le centre est perçu comme un signe de la volonté de celle-là de se libérer de l'emprise de celui-ci, alors qu'il devrait être compris non seulement comme une des manières très ottomanes de mener des relations entre le centre et ses provinces, mais aussi comme le désir de l'élite algérienne de se rattacher d'avantage au centre. »

Pour lui, « La création d'une idéologie de sauvegarde du caractère « turc » de l'élite locale, notamment au XVIIIe siècle » fut le « moyen de manifester sa loyauté au centre de l'Empire ».

En pratique indépendants, les dirigeants algériens proclamaient – sincèrement - leur fidélité au Sultan et à l’empire et leur identité turque.

 

 

LES POPULATIONS D’ALGÉRIE : UN PAYS DOMINÉ PAR UNE CASTE

 

Rien ne serait moins exact que d’imaginer Alger ou les autres cités barbaresques comme dirigées par des Maghrébins à l’époque ; les Maghrébins n’avaient pas droit au chapitre et formaient une population soumise, dirigée par des « seigneurs » (pachas, deys, janissaires et raïs).d’origine étrangère.

                                                                                                  * L’historien Michel Fontenay parle d’un « régime militaire et colonial qui n’avait de maghrébin que l’implantation géographique » (Art Barbaresques, Dictionnaire de l’ancien régime, 1996).

 

Selon les voyageurs occidentaux, l’Algérie comporte deux populations principales : les Turcs (qui peuvent provenir d’Anatolie ou d’autres régions de l’empire ottoman : on se rappelle que les Barberousse étaient de Lesbos), et la partie indigène (majoritaire)  que la plupart des voyageurs appellent Maures ; ils  distinguent souvent les Maures des villes et les Maures des campagnes, que certains voyageurs appellent alors arabes ou bédouins selon leur mode de vie (sédentaire ou nomade). Certains voyageurs font encore une distinction avec les Kabyles. 

Toutefois, étaient assimilés aux Turcs les  kouloughlis (en turc kuloghlu,kuloğlu), fils de Turcs et de Maghrébines, à condition toutefois d’avoir reçu une éducation turque.

« Ils affectaient de ne parler que le turc, la langue des maîtres. Très orgueilleux, ils ne se mêlaient guère aux autres musulmans et ils avaient des mosquées de leur rite. Leur ambition était de se faire considérer comme des Turcs de pure race » (Marcel Emerit, Les tribus privilégiées en Algérie dans la première moitié du XIXe siècle, Annales. Economies, sociétés, civilisations, 1966. https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1966_num_21_1_421348

 

Parmi les Maures des villes, certains auteurs distinguaient ceux qui étaient installés depuis des siècles en Afrique du nord et ceux qui avaient fui l’Espagne lors de la Reconquista ou de l’expulsion des Morisques, ceux-ci étant réputés très hostiles aux Européens, du moins aux dire des auteurs Européens.

Dans les campagnes, les habitants sont divisés traditionnellement en tribus. Certaines sont dites makhzen. Ces tribus sont privilégiées : elles fournissent des troupes à la Régence, sont chargées du maintien de l'ordre et de la collecte des impôts, sont considérées comme usufruitières de la terre par concession du dirigeant de la régence. Le concept de « tribu makhzen » s'oppose à celui de « tribu raya », imposables et assujetties. En allant vers le sud on trouve les tribus indépendantes, qui ne reconnaissent pas l'autorité de la régence.

 

Les Chrétiens renégats sont assimilés administrativement aux Turcs.

Il existe une minorité juive et enfin des Chrétiens, soit esclaves en attente d’un rachat qui ne viendra peut-être jamais, soit libres résidant en Algérie (surtout à Alger) pour des périodes variables (consuls, commerçants, prêtres chargés du rachat et de l’assistance aux esclaves chrétiens – au 18 ème siècle, le père Ximénez réside 3 ans à Alger où il est chargé de l’hôpital établi par son ordre religieux, le révérend Shaw est chapelain de la « factorerie » anglaise etc).

Seuls les Turcs forment la classe dominante et ont accès aux postes les plus élevés ainsi que la participation aux institutions.

Marcel Emerit écrit :  « on est étonné de constater le petit nombre de ces dominateurs. Ils semblent n'avoir jamais dépassé une vingtaine de milliers d'hommes. »

« Bien des témoignages (...) nous indiquent que la domination turque était détestée. Et cependant la faiblesse numérique des dominateurs prouve que leur pouvoir était d'ordinaire accepté sans opposition grave (...) par l'ensemble de la population arabe de l'Algérie. » 3600 soldats turcs environ [en 1829] suffisaient au maintien de l’ordre. Il est vrai que « Les Turcs avaient la même religion que les autochtones (le rite seul était un peu différent) et ils n'étaient pas tracassiers à condition que l'impôt fût régulièrement versé. Ils étaient perfides et féroces en cas de résistance, mais ils avaient rarement l'occasion d'exercer directement leur fureur. Les Arabes, très divisés, comprenaient que l'ordre ne pouvait se maintenir dans la Régence d'Alger que par l'arbitrage de ces rudes musulmans, qui parlaient une langue étrangère et ne cherchaient pas à accaparer les terres ou à coloniser le pays. » ( Les tribus privilégiées en Algérie dans la première moitié du XIXe siècle, art. cité).

Typique d’une certaine insistance des historiens français d’autrefois à faire remarquer la situation déplorable de la majorité de la population avant l’intervention française, Eugène Plantet écrit : « ... ce fier Odjak qui put exploiter sans merci, jusqu’au dernier jour, les Arabes, les Juifs, les Maures chassés d’Espagne qui habitaient à Alger. Ils se considérèrent comme en pays conquis » (Correspondance des deys d’Alger avec la cour de France introduction, 1889).

 

Le Dr Shaw (clergyman anglais, docteur en théologie), qui résida plusieurs années en Algérie dans les années 1720-1730,  écrit : « Les camps [des janissaires à l’intérieur du pays] ont pour objet de maintenir les Arabes et les Maures dans l’obéissance ; de lever le carache ou tribut, que l’on fait payer double à ceux qui s’y font contraindre ; de mettre à contribution les districts qui ne sont pas entièrement soumis ; et enfin d’acquérir de nouveaux sujets, ce que les beys font en pénétrant assez avant dans les déserts du Beled-ul-Djérid. Mais comme il y a un grand nombre de districts dans ces déserts qui, attendu leur stérilité, ne paient pas le tribut, les beys ne font guère de campagnes sans y enlever beaucoup d’esclaves ; genre de spoliation qui leur est d’autant plus facile, que les Maures, n’étant point unis entre eux, se trahissent volontiers les uns les autres. »

 

 

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Carte de la régence d'Alger (travail personnel de LuzLuz31) d'après la carte dans l'article de Yaël Kouzmine, Jacques Fontaine, Badr-Eddine Yousfi, Tayeb Otmane, Étapes de la structuration d'un désert : l'espace saharien algérien entre convoitises économiques, projets politiques et aménagement du territoire, Annales de Géographie, 2009https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-6-page-659.htm), faisant ressortir les tribus makzhen et raya et les tribus indépendantes du pouvoir central. A noter que des tribus indépendantes occupaient une part de la bande côtière à l'est et vers Cherchell (?).

Wikipédia, art. La régence d'Alger.

 

 

 

 

 

LA GUERRE DE COURSE OU « CORSO »

 

 

Dès l’installation des frères Barberousse, apparait une constante dans le fonctionnement de la régence d’Alger, qui va se renforcer de plus en plus jusqu’au 17 ème siècle où elle atteint son apogée : c’est la guerre de course, ou dans le langage de l’époque (et des historiens), le « corso ».

Le corso ( terme italien ou en  lingua franca)* est  défini par l’historien Michel Fontenay comme une   « forme de violence sur mer aux confins de la course et de la piraterie […] pratiqué[e] à longueur d’année des deux côtés de la Méditerranée sous prétexte de guerre sainte contre l’infidèle » cité par Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne (recension de plusieurs ouvrages), Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2012/ https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2012-1-page-103.htm

                                                                                                                                * Selon le site La Question du latin, la lingua franca était un dialecte à base principalement d’italien et d’espagnol utilisé pour communiquer entre Européens et habitants de l'empire ottoman (l’empire ottoman utilisait d'ailleurs l’italien comme langue diplomatique). La lingua franca s’est maintenue stable pendant trois siècles. Un extrait correct de lingua franca se trouve dans la turquerie du Bourgeois Gentilhomme car Molière a été aidé pour rédiger son texte par le chevalier d’Arvieux qui avait été chargé de mission diplomatique à Alger (article  LINGUA FRANCA, 2012 https://enseignement-latin.hypotheses.org/4898). D'autres auteurs font ressortir la composante provençale de ce jargon (ou pidgin) : selon Michel Fontenay, la lingua franca était un mélange d'italien et d'occitan. Selon P. Boyer, la lingua franca est un jargon à base d espagnol, d'italien et de provençal, utilisé dans tous les ports méditerranéens..Il semble que par la suite la lingua franca fut aussi appelée «  petit mauresque » avant de s'effacer au 19 ème siècle.

 

 

M. Fontenay distingue donc le corso de la course proprement dite. La « course » entre Etats européens désignait un mode de guerre sur mer, pratiquée par des particuliers, auxquels l’État délivrait des lettres de marque pour attaquer les navires marchands du pays ennemi.

Le corso ou course barbaresque a son origine dans l’état de guerre permanente (mais pas toujours ouverte) qui oppose le monde musulman (particulièrement l’empire ottoman) au monde chrétien. Mais l’empire ottoman finit par se dégager de la course (sauf état de guerre déclarée avec un  pays particulier), qui reste par contre un mode de fonctionnement permanent des trois régences barbaresques d’Alger, Tunis et Tripoli. Ainsi, lorsque l’empire ottoman est en paix avec la France (à partir du traité avec François Ier), les régences continuent à attaquer les navires et les côtes françaises et il en est de même pour les autres pays chrétiens. Leur activité ne s’arrête pas à la Méditerranée puisqu’on compte des incursions très remarquées en Europe du nord. Toutefois les attaques en Atlantique (au-delà du détroit de Gibraltar) sont plus le fait des corsaires de la « république de Salé » établis dans cette localité de la côte marocaine, mais ceux-ci à l’occasion de certaines opérations, s’allient aux corsaires des régences, dont Alger.

La course se déroule en mer et sur les zones côtières ; son but est de s’emparer de navires avec leurs cargaisons, ainsi que leurs passagers, qui sont amenés dans les Etats barbaresques pour être vendus comme esclaves, de même que les habitants, hommes, femmes et enfants,  raflés dans les zones côtières

L’esclavage dans les Etats barbaresques n’est pas un état définitif, du moins en principe. En effet, les chrétiens prisonniers peuvent être rachetés. C’est notamment le cas de personnes de qualité. Les autres peuvent espérer un rachat collectif par des religieux spécialisés dans la mission de rachat, ou bien (mais sans doute à partir du 17ème-18ème siècle), par les Etats dont ils sont ressortissants, mais combien restent en esclavage et y meurent ? Peut-être la majorité. On en parlera plus en détail.

A la course ottomane et barbaresque s’oppose une contre course, occidentale ou chrétienne, qui se livre aux mêmes actes. Apprécier cette contre-course se heurte à des présupposés idéologiques. Qui est responsable de la course ? Est-il légitime de parler de contre-course ? Pour les historiens musulmans, on dit souvent que la course musulmane est apparue en raison du refus des puissances occidentales de laisser les navires des pays musulmans pratiquer le commerce.

Michel Fontenay , grand spécialiste du sujet, estime que « la course s’est développée plus tôt du côté ottoman (aux temps de Barberousse, puis de Dragut et Euldj Ali) comme un mode favori de la guerre navale, en se spécialisant dès l’origine dans la razzia des rivages occidentaux pour se procurer des esclaves de rame ; et le corso barbaresque, qui a pris sa relève, est resté vivant jusqu’à l’aube des temps contemporains » (Routes et modalités du commerce des esclaves dans la Méditerranée des Temps modernes (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles), Revue historique, 2006, https://www.cairn.info/revue-historique-2006-4-page-813.htm).

 

Andries_van_Eertvelt_-_Naval_battle_between_Turks_and_Christians_-_(MeisterDrucke-1396853)

Andries van Eertvelt, Bataille navale entre Turcs et Chrétiens, 1607. Que ce tableau représente un engagement réel ou d'imagination, il illustre la popularité du thème en Occident à l'époque.

Site de vente de reproductions Meisterdrucke

https://www.meisterdrucke.fr/fine-art-prints/Andries-van-Eertvelt/1396853/Bataille-navale-entre-Turcs-et-Chr%C3%A9tiens.html

 

 

Il ressort également que la course chrétienne contre les navires et les côtes musulmanes (avec l’assentiment des Etats chrétiens, ce qui distingue la course du piratage pur et simple – la même remarque étant valable pour la course ottomane et barbaresque) a été numériquement plus faible que la course ottomane et barbaresque. C’est ce qu’indique notamment F. Braudel dans son célèbre livre La Méditerranée à l’époque de Philippe II (plusieurs éditions depuis 1949), ainsi que Michel Fontenay, La Méditerranée entre la Croix et le Croissant, cité dans Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne, art. cité). 

Michel Fontenay arrive à la même conclusion :  « le corso chrétien (...) n’a jamais atteint une ampleur et une intensité comparables, même à son apogée, contemporain de la guerre de Candie »  [milieu du 17 ème siècle] (article précité).                    

On reviendra sur le corso chrétien.

Pour donner une idée des effets de la course barbaresque, on peut citer l’extrait suivant qui concerne seulement quelques années du 17ème siècle :

« En huit ans, situés entre 1620 et 1630, 936 bâtiments chrétiens saisis par les corsaires furent amenés à Alger. Selon les archives du Consulat de France à Alger citées par le Père F. Dan [religieux chargé du rachat des chrétiens captifs et auteur d’une Histoire de Barbarie et de ses corsaires, 1649] d’octobre 1628 à août 1634, 80 navires et 1331 captifs avaient été pris aux seuls Français, rapportant aux ra’îs quelque cinq millions de livres. Ustâ Murâd, qui avait été le « capitaine des galères » de Tunis, avant d’être choisi comme dey en 1637, aurait saisi 900 navires, et fait près de 25 000 captifs. Alger comptait désormais six « bagnes » ou prisons d’esclaves et Tunis neuf, puis treize. 

https://books.openedition.org/psorbonne/49303?lang=fr

 Environ un siècle après, les chiffres montrent une nette diminution, du moins à suivre une source, le journal du religieux Ximénez : « du 26 mai 1718 au 11 avril 1720 — sur presque deux années — plus de 605 personnes et 38 embarcations de plusieurs types ont été capturées, ce qui fait une moyenne de 19 navires et plus de 302 esclaves par an. » (Leïla Ould Cadi Montebourg, Alger, une cité turque au temps de l’esclavage. À travers le Journal d’Alger du père Ximénez, 1718-1720, https://books.openedition.org/pulm/547).

 

Le nombre d’esclaves chrétiens d’Alger, 25 000 à l’estimation d’Haedo [voir plus loin sur Haedo] vers 1580, atteignait, semble-t-il, vers 1630, 35 000, soit près du quart de la population. » (Charles-Robert Ageron , Regards européens sur l’Afrique barbaresque (1492-1830),

Le produit des prises (marchandises, vaisseaux et captifs) est partagé entre le dey, les capitaines corsaires et l’équipage. Le dey reçoit obligatoirement une part importante des prises qui sont évaluées et partagées selon des règles fixes.

 

 

JUSTIFICATION RELIGIEUSE

 

Existe-t-il une cause idéologique à la Course chez les Barbaresques ? On a souvent mis en évidence les raisons religieuses. La course serait pour les Musulmans une des formes du jihad, la guerre sainte.

Le Père de Haedo (ou Haëdo), religieux captif quelques années à Alger à la fin du 16ème siècle,  donne la justification de la course selon les barbaresques , en laissant comprendre que l’activité n’est pas complètement conforme aux règles du Coran : «  Comme le Coran défend la course à moins que ce ne soit pour protéger la religion ou faire des prosélytes, les corsaires prétendent que ce n’est pas là un scrupule qui doive les arrêter, puisque disent-ils, causer des dommages aux chrétiens, en leur enlevant leurs biens et leurs richesses, c’est en définitive étendre la loi musulmane. »

La justification religieuse survit (ou parait survivre jusqu’à la fin de l’époque du corso : « Dans les Régences, les corsaires sont les héros de l’Islam, ils pratiquent le djihâd et sont, aux yeux de la population, des mudjâhid, des combattants de la foi, des ghâzi, des soldats qui vont porter la guerre chez les Infidèles. »

« La présentation des retours, surtout s’ils sont fructueux, se fait, elle aussi, dans le même esprit :

 "Par la grâce du Très Haut, six navires de guerre d’Alger, boulevard de la Guerre Sainte*, sont entrés dans l’Océan et y ont capturé quatre bâtiments". » (Daniel Panzac, Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin XVIIIe - début XIXe siècle), Cahiers de la Méditerranée, 65 | 2002, http://journals.openedition.org/cdlm/47

                                                                     *  Un des surnoms d’Alger est « dâr al-jihâd » ou demeure du jihâd, une des portes de la ville donnant sur le port est nommée Bâb al-Djihâd (porte de la guerre sainte) – on conserve l’orthographe des citations. Mais les sunoms les plus fréquents sont Alger la blanche et Alger la bien gardée.

 

Une anecdote célèbre s’impose : en 1786, Thomas Jefferson, ambassadeur américain auprès de la France, et John Adams, ambassadeur auprès de la Grande-Bretagne, ont une entrevue à Londres avec Sidi Haji Abdul Rahman Adja, ambassadeur de Tripoli en visite. Demandant pourquoi leurs vaisseaux sont attaqués [par les Barbaresques] hors de toute guerre, ils s'entendent répondre que, d'après le Coran, toutes les nations qui n'ont pas reconnu Mahomet sont pécheresses, et qu'il est donc légitime de les piller et de réduire leurs peuples en esclavages, sauf si elles acceptent par traité de payer des tributs. (article Corso (piraterie), Wikipédia). Ce qui est indiqué pour Tripoli est valable pour Alger et Tunis, les autres puissances barbaresques. Mais il faut remarquer que si les Etats barbaresques pratiquent la course, jusqu’aux premières décennies du 19 ème siècle, ce n’est plus le cas de l’empire ottoman – sauf cas de guerre déclarée avec une puissance. D’ailleurs l’empire ottoman essaie en vain d’user de sa position de suzerain pour convaincre les Etats barbaresques d’abandonner la course.

Pourtant la religion est-elle autre chose qu’un prétexte plus ou moins sincère ? Les Etats barbaresques pratiquent d'ailleurs la guerre de course entre eux ou même contre les vaisseaux  relevant de l’empire ottoman, notamment les navires grecs (il est vrai chrétiens, mais battant pavillon ottoman).

« Sans minimiser la possible motivation religieuse des raïs d’Alger au XVIIe siècle, Lemnouar Merouche tend également à relativiser l’importance du jihâd pour les équipages corsaires, et insiste sur la perspective de gains matériels que le corso pouvait laisser entrevoir, parfois de manière illusoire  (...)

 Le conflit religieux n’était ainsi plus vu que comme un moyen de légitimer une activité économique dont les ressorts avaient été trop longtemps occultés » (Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne, art. cité).

 

 

LES RENÉGATS

 

L’’aspect religieux de la course chez les Etats barbaresques est d’autant plus discutable que la course durant plusieurs décennies, est l’affaire de renégats qui ne sont pas particulièrement des modèles de foi religieuse.

Ces renégats, issus souvent des divers Etats et régions d’Italie (ou assimilés à l’Italie comme la Corse), mais aussi d’Espagne, de France ou d’Europe nordique, se recrutaient de deux façons : soit spontanément ils venaient offrir leurs services aux Etats barbaresques, soit il s’agissait de marins chrétiens ou de passagers capturés par les corsaires barbaresques qui préféraient se convertir à l’islam pour être mis en liberté et ensuite faire leurs preuves dans la carrière de corsaire, d’abord comme simples marins, puis lieutenants des commandants, enfin raïs (commandants d’un ou de plusieurs vaisseaux). Pourtant on verra que les propriétaires d’esclaves ne favorisaient pas les conversions, mais il y a peut-être une évolution de ce point de vue dans l’histoire des captifs chrétiens.

Les Européens  convertis à l’islam étaient appelés (par les Occidentaux) renégats (ceux qui avaient renié leur foi). Certains d’entre eux purent même accéder aux fonctions de « roi d’Alger » ou de Tunis ou de Tripoli. Ces musulmans d’origine chrétienne étaient ce que le Révérend père de Haedo appelait « des Turcs de profession » c'est-à-dire devenus turcs par profession de la religion de ces derniers (P. Boyer, Les renégats et la marine de la Régence d'Alger, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1985, https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1985_num_39_1_2066)

Parmi les plus célèbres on put citer au 16 ème siècle Euldj Ali (d’origine calabraise) Hassan Corso, Mami Corso, Hassan Veneziano* (dont les noms indiquent assez les origines), Caïd Ramdan (d'origine sarde) : la plupart exercèrent (légalement ou pas) un rôle dirigeant dans la régence d’Alger. Au 17 ème siècle on peut citer Ali Bitchin (d’origine toscane), le Néerlandais Jan Janszoon, connu sous le nom de Mourad Raïs, qui fit ses débuts de corsaire à Alger avant de s’établir à Salé, Mami Arnaute ou Mami Arnaoute (un Albanais mais était-ce un converti ?)Hussein pacha Mezzomorto (de Majorque probablement), énergique dey d’Alger puis kapitan pacha (ou kapudan pacha) à Istanbul***.

                                                                               * Hassan Veneziano fut aussi Kapitan pacha à Istanbul. 

                                                                               ** Son surnom de Mezzomorto (en italien « à demi-mort »), résulterait d’un combat avec les Espagnols au cours duquel il aurait été laissé à moitié mort. Après avoir assassiné le dey d'Alger, Baba Hassan, auquel il succède, il assure la défense d’Alger en 1683 lors du bombardement de la ville par l'amiral Duquesne, puis encore lors du bombardement de 1688 par l'amiral d'Estrées. 

 

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Le dey d'Alger Mezzomorto Hussein Pacha, gravure de 1687 (portrait sans doute d'imagination par Andreas Matthäus Wolfgang, 1660–1736). 

Mezzomorto, d'origine majorquaise (selon certains) devint un raïs célèbre, puis dey d'Alger en 1683 après avoir fait assassiner le dey en poste, alors que la ville était soumise au blocus et au bombardemnt de la flotte française de l'amiral Duquesne. Puis Mezzomorto est nommé kapudan pacha (amiral en chef) de la marine ottomane de 1695 jusqu'à sa mort. Il combat notamment les Vénitiens; il meurt à Paros en 1701 et est enterré à Chios.

 Source  Brown University Library.

Wikipédia.

 

 

Mezzomorto (mort en 1701) est un des derniers renégats célèbres. Les Turcs d’Asie furent de plus en plus nombreux à occuper les postes importants dans les régences et ce fut aussi le cas chez les corsaires. Avec le 18 ème siècle, les renégats disparaissent à peu près du paysage algérien, sous réserve de quelques exceptions. C’est la fin d’une époque. Au début du 19 ème siècle, on ne trouve plus dans les Etats barbaresques comme renégats que quelques délinquants européens qui ont fui une sentence judiciaire.

Tous les Européens qui exerçaient comme corsaires à Alger (et les autres Etats barbaresques) s’étaient-ils convertis à l’islam ? C’est probablement le cas de presque tous – on cite le cas du néerlandais Simon Dansa (Simon Raïs) qui n’eut pas besoin de se convertir, semble-t-il*. Il abandonna d’ailleurs par la suite Alger, obtint son pardon et se mit au service de la France (notamment de la ville de Marseille) ;  selon certains récits, chargé d’une ambassade par Louis XIII à Alger, eut l’imprudence d’accepter une invitation du pacha qui le fit arrêter et exécuter**.

                                                                                                                * « La légende, reprise par le Père Dan [auteur d’une Histoire de Barbarie et de ses corsaires, 1637], veut que ce soit le corsaire flamand Simon Dansa ou Danser qui ait, de 1606 à 1609, appris aux Algériens l'emploi des vaisseaux ronds (...) Bien accueilli par les autorités locales, puisqu'on ne lui demanda même pas, selon certains, de renier, il ramena en trois ans près de quarante vaisseaux de commerce {capturés] à Alger » (Pierre Boyer,  Les renégats et la marine de la Régence d'Alger, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1985, https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1985_num_39_1_2066)

                                                                                                                  ** Il est vrai qu’en quittant Alger il avait emporté deux canons de bronze appartenant au dey...

 

Selon le religieux  Diego de Haedo (ou Haëdo (dont on reparlera), vers 1580, les renégats occupent à Alger 6000 maisons sur 12 000 – ils seraient donc environ la moitié de la population ?

A leurs côtés, qu’il s’agisse de janissaires ou de marins et de raïs, il y avait aussi des hommes issus de familles d’origine chrétiennes de Grèce continentale ou de l’archipel grec, mais converties à l’slam depuis plus ou moins longtemps. Braudel parle d’Alger à la fin du 16 ème siècle comme d’une ville italienne, avec peut-être ce qu’il faut d’exagération. Comme on l’a dit, par la suite, les Turcs musulmans prirent de plus en plus d’importance et même, des Maghrébins alors que de façon théorique, le caractère turc de la profession de janissaire était réaffirmé.

 

 

 

LES RENÉGATS VUS PAR LES CHRÉTIENS

 

 

Le révérend père de Haedo, captif des Barbaresques d’Alger entre 1579 et 1581 a laissé une description de la régence d’Alger à cette époque (Topographie et histoire d’Alger et Histoire des rois d’Alger, vers1612- 1619 )*.

                                                                                                         * On discute de la question de savoir si Haedo est vraiment l’auteur des livres. Certains avancent qu’ils ont été écrits par le bénédictin Antonio de Sosa, compagnon de captivité de Cervantès, et par Cervantès lui-même, sous le pseudonyme commun de Haedo. Peu importe ici.

 

S’agissant des renégats, le brave ecclésiastique dénie à leur conversion à l’islam toute sincérité :

 « Les Turcs de profession sont tous les renégats qui, étant chrétiens par le sang et la parenté se sont faits Turcs volontairement, avec impiété et méprisant leur Dieu et Créateur. » Il indique que les renégats avec leurs enfants sont « plus nombreux que les autres habitants maures, turcs et juifs » d’Alger et que toutes les nations chrétiennes ont fourni « son contingent de renégats ».

« Le motif qui, à la si grande perdition de leurs âmes, les pousse à abandonner le vrai sentier de Dieu, est chez les uns la lâcheté qui les fait reculer devant les travaux de l’esclavage, chez les autres le goût d’une vie libre, et chez tous, le vice de la chair si fort pratiqué chez les Turcs. Chez plusieurs, la honteuse pédérastie est inculquée dès l’enfance par leurs maîtres... »

Le fait est (...), qu’il y a peu des renégats qui soient véritablement musulmans, car ils ne se font tels que par pure coquinerie, pour vivre à leur goût et se plonger dans toute espèce de luxure, sodomie et gloutonnerie. Au fond, ils ne sont effectivement ni chrétiens, ni mahométans. Beaucoup de ces renégats, même la majeure partie, soupirent intérieurement après leur retour dans leur patrie et au christianisme ; mais il y en a qui sont retenus par l’attrait de la liberté des vices ou par leurs richesses ; d’autres par l’agrément de pouvoir voler à chaque instant (avec impunité)... » (Diego de Haëdo, Topographie et Histoire générale d’Alger, cité sur le site Clio-Texte, La Régence d’Alger, textes réunis par Patrice Delpin, 2015, https://clio-texte.clionautes.org/la-regence-dalger.html).

Un autre témoin occidental écrit :

« La plupart de ceux qu’on appelle Turcs en Alger, soit de la maison du roi, ou des galères, sont chrétiens reniés et mahométisés de toutes nations. Mais sur tous force Espagnols, Italiens et Provençaux des îles et côtes de la mer Méditerranée, tous adonnés à paillardise, sodomie, larcins et tous autres vices détestables ne vivant que des courses, rapines et pilleries qu’ils font sur la mer, et îles circonvoisines » (Nicolas de Nicolaÿ,  Les navigations, pérégrinations et voyages faits en la Turquie,  1567-1568. Cité sur le site Clio-Texte, La Régence d’Alger, https://clio-texte.clionautes.org/la-regence-dalger.html).

 

LE CORSO ÉTAIT-IL RENTABLE ?

 

 

La course (ou corso dans sa spécificité méditerranéenne) est un phénomène qui a varié avec le temps. Etait-elle rentable ? Les historiens en discutent.

« À l’appui d’une estimation des revenus du corso, M. Fontenay montre qu’il s’agissait d’une activité finalement peu rentable, un pis-aller « sans vraie gloire ni gros profit, à laquelle on ne se voue que faute de mieux »* (Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne, art. cité,  https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2012-1-page-103.htm

                                                                                                         * La remarque pourrait s’appliquer à la course chrétienne contre les navires musulmans.

 

Mais D. Panzac évoque des réussites même à l’époque tardive comme «  le ra’îs algérien Hamidou [qui] avait gagné, en dix-huit ans d’activité ininterrompue, plus de 41 000 riyæls, soit une moyenne de 2500 riyæls par an; sa fortune, certaine, lui avait ainsi permis d’être le propriétaire d’un superbe domaine sur la route de Sidi Ferruch » (Alain Blondy    compte-rendu  du livre de Daniel Panzac, Les corsaires barbaresques. La fin d’une épopée, 1800-1820. 1999, in Bulletin critique des Annales islamologiques, 2001, https://www.persee.fr/doc/bcai_0259-7373_2001_num_17_1_991_t4_0128_0000_1).

Le profit des prises était partagé, dans les Etats barbaresques, selon des modalités variables sur lesquelles on n’entrera pas dans les détails, entre l’Etat (le dey) et les corsaires (l’armateur, le raïs ou capitaine, les marins). Globalement, à Alger, à la fin de la période (fin 18ème -début 19ème siècle) « l’apport de la course représentait, entre 1789 et 1798, près de 26 % des revenus propres tirés du pays, près de 10 % entre 1800 et 1802, près de 5 % entre 1804 et 1810, mais 20 % entre 1811 et 1815. À cet apport direct, s’ajoutait l’apport indirect de la course, à savoir les versements que les États européens faisaient pour protéger leurs navires des activités corsaires. » (Alain Blondy, art. cité).

              

LA COURSE BARBARESQUE : UNE OBLIGATION CAUSÉE PAR LES EUROPÉENS ?

 

 

Une thèse est avancée selon laquelle les Etats barbaresques ont été contraints à pratiquer la course du fait du refus des Européens de commercer avec eux.

L’article de  Moulay Belhamissi (Université d’Alger) Course et contre-course en méditerranée ou comment les algériens tombaient en esclavage (XVIe siècle – 1er tiers du XIXe siècle), Cahiers de la Méditerranée, 2002,  présente ainsi la situation en rejetant tous les torts sur les Européens :

« Trois siècles de luttes acharnées, de guerres meurtrières et d’atrocités entre une jeune Régence active et entreprenante à ses débuts, et la plupart des nations maritimes d’Europe mues par des préjugés anti-musulmans, un esprit de croisade et des appétits politico-économiques, engendrèrent toutes sortes de heurts et de malheurs. Aux milliers de morts de part et d’autre, de disparus en mer, s’ajouta le pitoyable lot de captifs » (https://journals.openedition.org/cdlm/36

De son côté, Leïla Ould Cadi Montebourg écrit que « La Régence [d’Alger] (...) n’entretenait pas de marine marchande à cause des conditions faites aux nations musulmanes par les nations européennes » (Alger, une cité turque au temps de l’esclavage).

Cet auteur dit que malgré les traités (il s’agit ici des traités avec la France, à partir de 1689) prévoyant que les deux parties « pourront réciproquement faire leur Commerce dans les deux Royaumes, & naviguer en toute sureté », « Alger se trouvait coincée dans la dépendance, sans autre marge de manœuvre que la requête humiliante, la transgression des accords signés ou la guerre déclarée, c’est-à-dire la rupture officielle des traités » sans vraiment expliquer cette situation de déséquilibre. 

L’auteur y voit même (en s‘appuyant sur les travaux de J. Matheix) «  la cause [du] retard économique » des économies maghrébines ».

Dès lors, pour cet auteur, « La conclusion s’impose :  les puissances européennes, la France en particulier, ne cessèrent de tenter d’anéantir la régence d’Alger par la guerre, la course, les entorses aux traités, la capture et l’exploitation de ses hommes, de lui rendre les échanges commerciaux normaux impossibles, ce qui la menait à rompre la paix en ne respectant pas non plus les traités et par surcroît de l’humilier».

Pourtant, tout le monde ne partage pas ce point de vue – du moins pas de façon aussi tranchée.

Pour Daniel Panzac, « les Régences subissent les conséquences de leurs activités : disparition à peu près complète de leur commerce maritime, attaques de représailles contre les populations côtières, bombardements navals des ports et surtout des capitales. Il s’agit donc bien de guerres, exacerbées de part et d’autre par le fait religieux, où l’esclavage est pratiqué par les deux camps. » (Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin XVIII ème - début XIX ème siècles, Cahiers de la Méditerranée, 2002, https://journals.openedition.org/cdlm/47?lang=en#:~:text=16Les%20R%C3%A9gences%20subissent%20les,ports%20et%20surtout%20des%20capitales.)

 

Tal Shuval écrit : « En retour, les Européens qui s’estimaient victimes de la course opéraient des actes de représailles, habituellement sous forme de bombardements de la ville d’Alger. L’efficacité de ces actions punitives n’est pas prouvée car, malgré les dégâts, parfois importants, que les bombes infligèrent à la ville, la course ne cessait pas. » (La ville d'Alger vers la fin du XVIIIe siècle, ouv. cité).

 

De son côté   Gilbert Buti, dans son compte-rendu du livre de  Daniel Panzac, Les corsaires barbaresques. La fin d'une épopée, 1800-1820, dit que « Par ailleurs, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’activité corsaire a presque totalement détourné les Maghrébins du transport maritime. Les puissances européennes ont réussi à confisquer ce secteur d’activité en assurant seuls les liaisons avec l’Afrique du nord et plus généralement avec l’ensemble de la Méditerranée arabo-musulmane » où se sont les Européens qui se mettent au service des négociants musulmans » et il conclut, en accord avec d’autres études, que c'est « l’hostilité des négociants et des armateurs européens [pas des Etats, donc ?] qui empêcha la constitution, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’une véritable « marine marchande barbaresque »

(Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2003, https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2003-4-page-179.htm)

 

 

 

 

LA COURSE, UNE ACTIVITÉ CONSTITUTIVE POUR LES  RÉGENCES

                                       

 

Pourtant, au début du 19 ème siècle, les armateurs et négociants musulmans réorientent leur activité vers le commerce (cela semble concerner surtout Tunis et la zone gréco-ottomane), de sorte que la paix revenue avec la fin des guerres napoléoniennes, il y a des « réactions de plus en plus vives des Occidentaux » et une «  reconquête commerciale de l’Afrique du nord »  entreprise par eux ce qui a pour conséquence que « les Régences réactivent la course, véritable instrument militaire plus que machine économique » (Gilbert Buti, art.cité, https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2003-4-page-179.htm).

« Panzac montre quelles auraient pu être les ressources des Régences si, d’une part les Européens ne les avaient pas arrêtées net dans leur nouvel élan, et, d’autre part, si le vieil atavisme ottoman n’avait fait préferé, de gaîté de cœur [on souligne l’expression] , une activité plus militaire et moins marchande » (A. Blondy, compte-rendu du livre de D. Panzac, art. cité   https://www.persee.fr/doc/bcai_0259-7373_2001_num_17_1_991_t4_0128_0000_1

 

A l’origine, le refus de commercer fut présent du côté européen (quoique certains pays comme Venise ont toujours commercé avec les musulmans sauf en temps de guerre déclarée) - comme il existait de l’autre côté de la Méditerranée. Mais ce fut sans doute de moins en moins vrai du côté européen On ne peut pas considérer comme pure hypocrisie les déclarations des autorités d’Etat et  des villes côtières du sud de l’’Europe selon lesquelles la paix et la liberté du commerce était dans l’intérêt bien compris des deux rives de la Méditerranée.

Mais la course était constitutive des institutions d’Alger (et des autres Etats barbaresques) : à Alger, le dey était élu par le diwan, émanation des janissaires et des corsaires – le poids social et politique des corsaires (et des janissaires) reposait sur la course (et sur un état de guerre permanent avec la rive nord de la Méditerranée).  C’était un grand obstacle à l’’abandon de celle-ci. On a fait remarquer que le défaut de développement des relations commerciales – même en admettant que les Etats chrétiens étaient prêts à commercer - obligeait les Barbaresques à poursuivre l’activité de la course : elle était essentielle pour eux, mais ne l’était pas pour les Etats et villes de la rive nord.

Comme l’esclavage (dont on va parler) on peut dire que la course est « à l’origine même des Régences », les deux sont « la preuve tangible de leurs luttes victorieuses contre les infidèles, justifiant ainsi leur existence et le maintien de leurs structures sociales » (Daniel Panzac, Les esclaves et leurs rançons chez les barbaresques (fin XVIII ème - début XIX ème siècle, art. cité)

                                                                               * Nous étendons ici à la course ce que l’auteur dit dans ce passage de l’esclavage des chrétiens.

 

 

 

LA CONTRE-COURSE

 

 

 

De l’autre côté, le corso chrétien ou contre-course est menée par les navires des marines des Etats chrétiens ou  des particuliers ayant obtenu des lettres de marque (les autorisant à pratiquer la course) et les marines de deux ordres chevaleresques militaires et religieux, l’ordre des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, Rhodes et Malte (plus connus comme chevaliers de Malte) qui disposent en quasi souveraineté (sous réserve d’une allégeance formelle à l’empire espagnol qui se distend avec le temps) des îles de Malte et Gozo, tandis que l’ordre de Saint Etienne, basé à Livourne et placé sous l’autorité des grands ducs de Toscane, essaie de marcher sur ses traces.

Bien qu’on ait parlé parfois d’esprit de croisade pour les participants du corso chrétien, il est probable que la religion servait souvent de paravent à des activités d’enrichissement chez certains corsaires, mais aussi  traduisait simplement la volonté de rendre coup pour coup à l’adversaire en ce qui concernait la marine des Etats.
Les activités de corsaire de l’ordre de Malte ne touchaient pas que des musulmans, puisqu’ils s’emparaient aussi des cargaisons des bateaux grecs – en effet, ceux-ci battaient pavillon de l’empire ottoman – d’ailleurs les Grecs  jouent vraiment de malchance puisqu’ils sont aussi en butte à la course barbaresque !

On peut aussi citer une différence entre la course barbaresque et la course chrétienne  (au moins celle de l’ordre de Malte) : les personnes qui estimaient avoir subi des prises de cargaison à tort pouvaient recourir à un tribunal des prises de l’ordre de Malte, situé à Mdina. Mais il est probable qu’aucun musulman n’était admis à déposer plainte, les plaintes  étant vraisemblablement réservées à des chrétiens traités à tort comme des musulmans.

Il faut ajouter que le roi de France, en paix avec l’empire ottoman, était souvent amené (avec plus ou moins de succès) à se plaindre auprès du Grand Maître de l’ ordre de Malte lorsque des biens appartenant à des musulmans et des musulmans eux-mêmes étaient pris sur des vaisseaux français, voire d’autres nationalités  – les chevaliers de Malte considérant quant à eux qu’ils étaient dans leur droit de saisir les biens et les personnes des musulmans où que ce soit, puisqu’il existait une guerre permanente entre eux et les musulmans.

Devenu avec le temps le protecteur de l’ordre de Malte (qui comporte un grand nombre sinon une majorité de chevaliers français) et en même temps, « ami » de l’empire ottoman, le roi de France est amené nécessairement à jouer un rôle de médiateur entre les uns et les autres, et ses interventions ont aussi lieu en faveur des Etats barbaresques, avec lesquels il est pourtant parfois en guerre ! Les consuls français dénoncent aussi, à l’époque de Louis XIV, le tort que fait au commerce la « course chrétienne » notamment des chevaliers de Malte. Comme l'époque n'en était pas à une contradiction, près, le roi de France se procurait en même temps des captifs turcs pour ses propres galères, avant d'abandonner cette pratique sous la pression du sultan ottoman.

Plus qu’à une situation d’opposition frontale entre deux mondes et deux cultures, les relations entre Chrétiens et Etats musulmans s’apparente plutôt – du moins sur la longue durée - à la guerre froide entre le bloc communiste et les pays capitalistes après 1945, faisant alterner les périodes de tension et de détente, voire parfois de connivence. 

 

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 Lorenzo a Castro (Actif c. 1664 - mort  c.1700 ?), Galère de l'ordre de Malte, vers 1680.

Dulwich Picture Gallery.

Wikipédia, art. Esclavage à Malte

 

 

 

LES TRAITÉS ENTRE LES BARBARESQUES ET LES PUISSANCES CHRÉTIENNES

 

 

A partir du 17 ème siècle, « des accords diplomatiques liaient (...) certaines puissances européennes à l’empire ottoman, reléguant les appels à la Croisade à des exercices rhétoriques dénués de réelles portées » (Guillaume Calafat, La Croix et le Croissant revisités : le corso, Malte, les Grecs et la Méditerranée à l'époque moderne, art. cité ) - mais ces accords ne s’appliquaient pas aux Etats barbaresques malgré leur statut théorique de provinces ou d’Etats vassaux de l’empire ottomanes* – il fallut donc que les puissances européennes se mettent d’accord avec les Etats barbaresques eux-mêmes.

                                                                                         * Le sultan ottoman reconnaissait, avec réticence, qu’il ne pouvait se faire obéir des Etats barbaresques.

 

Les traités signés avec diverses puissances européennes – et par la suite les Etats-Unis, garantissaient, très souvent,  aux Etats barbaresques des revenus : pour éviter d’être attaquées en course, les puissances européennes acceptaient de payer un tribut annuel ainsi que d’accorder d’autres avantages, ce qui, pour utiliser un mot qui n’apparaitra que plus tard, est ce qu’on appelle du racket. On remarquera que ce racket n’existait pas en sens inverse. La course n’a donc pas besoin de fonctionner effectivement pour être rentable.

On notera aussi que les traités ne mettaient pas à l'abri de toute atteinte les vaisseaux amis : le fait pour le bateau d'une nation en paix avec la régence concernée  de transporter des marchandises ou des passagers appartenant à une nation en guerre avec la régence (guerre ouverte ou guerre potentielle du fait que cette nation n'a pas signé de traité), pouvait justifier sa prise. C'était vrai aussi pour les activités de contre-course de l'ordre de Malte. 

Enfin, les traités avec  la France, garantissaient aux navires barbaresques une protection : un navire barbaresque, même corsaire, était protégé s'il sse trouvait à moins d'une certaine distance des côtes de France et la marine ou l'artillerie côtière française devait normalement le protéger en cas d'attaque par une puissance tierce et s'il y avait quand même prise de ce navire, la France devait intervenir diplomatiquement pour obtenir qu'on relâche la prise..

 

Il y eut sans doute au fil du temps, chez les puissances européennes l’idée que les Etats barbaresques n’étaient plus vraiment dangereux et qu’on pouvait donc s’abstenir de payer – il était donc important pour les Etats barbaresques de confirmer de temps en temps que  leur pouvoir de nuire était intact.

S’agissant d’Alger, Eugène Plantet (éditeur en 1889 des Correspondances entre la régence d’Alger et la cour de France, d’après les archives du ministère des affaires étrangères) décrit la situation à la fin du 18 ème siècle :

«  Toutes les nations maritimes de la chrétienté étaient ainsi, l’une après l’autre, victimes des Seigneurs barbaresques, et se trouvaient dans la nécessité d’opter entre la guerre ou l’impôt. » Elles achetaient la neutralité de la régence d’Alger.

«  Sept États payaient aux Algériens le tribut tous les deux ans. C’étaient les États-Unis, la Hollande, le Portugal, Naples, la Suède, la Norvège et le Danemark. En outre, ces trois dernières Puissances avaient à livrer des ancres, des câbles, des mâts, des fers de lance, des provisions de poudre et de boulets pour une valeur de 5 000 francs. La taxe du tribut était fixée en moyenne à 125 000 francs ; nous devons ajouter qu’elle fut réduite, en 1791, à 108 000 francs pour la Suède et à 100 000 francs pour le Portugal. La Hollande en fut dégagée en 1816, après l’expédition de Lord Exmouth à laquelle elle participa. Les États-Unis s’en affranchirent en 1825, mais consentirent à donner un présent à chaque mutation de Consul. La France, l’Angleterre, l’Espagne, la Sardaigne, le Hanovre, la Toscane, Venise et Raguse ne payaient pas de tribut, mais donnaient des présents en numéraire ou en nature, également tous les deux ans, sans compter tous les cadeaux de joyeux avènement. On devait en offrir encore au commencement de l’année, aux fêtes du Beïram, et chaque fois qu’il s’agissait de traiter une affaire. La plupart des avanies faites aux agents européens n’avaient pas d’autre but que de favoriser les mutations de personnel, afin de participer plus souvent à la curée. Fraissinet, Consul de Hollande, Ulrich, Consul de Danemark, furent mis tous deux à la chaîne pour un léger retard dans l’envoi de leurs cadeaux. »

 

Le même auteur poursuit :  « ... dans la seule année 1807, le Divan extorqua 40 000 piastres au Portugal, 12 000 à l’Espagne, 10 000 à l’Angleterre, 100 000 aux États-Unis, 50 000 à l’Autriche, 40000 à la Hollande. Les villes hanséatiques s’étaient soumises aussi au régime des présents. Hambourg et Brème envoyaient à Alger des munitions navales et du matériel de guerre. L’Autriche et la Russie, profitant du voisinage de la Turquie, refusèrent toujours le tribut, mais le Gouvernement pontifical, accusé de ne rien donner, dut souvent recourir aux bons offices de la France pour protéger ses marins. »

Il faut faire la part du style polémique de l’époque quand il s’agit de décrire la piraterie des Barbaresques, avec le sous-entendu implicite que l’intervention française de 1830 y a heureusement mis fin.

De son côté, dans un éclairage plus moderne, Leïla Ould Cadi Montebourg   écrit :

«  De 1518 à 1830, l’Algérie a conclu plus de soixante traités de paix et de commerce avec la plupart des nations d’Europe et particulièrement avec la France. »* (Alger, une cité turque au temps de l’esclavage, ouv. cité), mais c’est pour en tirer des conclusions différentes sur l'inégalité des traités.

                                                                                                                      * Plantet écrit que la régence d’Alger a conclu 59 traités ou confirmations de traités avec le seul Etat français.

 

 

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Traité de paix entre le roi d'Angleterre Charles II et la "cité et royaume d'Alger", 1664. Le roi d'Angleterre prend les titres de roi de Grande-Bretagne (Britain), France (vieille revendication remontant à la guerre de 100 ans) et Irlande. C'est probablement le premier traité entre l'Angleterre et Alger. Site Reddit. 

https://www.reddit.com/r/algeria/comments/jola4s/history_a_peace_treaty_signed_between_king/

DES TRAITÉS INÉGAUX ?

 

 

Les effets des traités sont jugés différemment selon les auteurs. Leïla Ould Cadi Montebourg   écrit : « En fait, depuis la fin du xviie siècle, les États barbaresques avaient obtenu d’inclure dans les traités de paix avec l’Angleterre notamment, la fourniture de matériel pour la construction de bateaux. Et si, dans le traité signé avec la France pour cent ans le 24 septembre 1689, cette précision n’est pas donnée, il est néanmoins stipulé [que la Régence et ses sujets], pourront réciproquement faire leur commerce dans les deux Royaumes, & naviguer en toute sureté, sans en pouvoir estre empêchez pour quelque cause & sous quelque prétexte que ce soit ». Cette clause supposait l’achat possible de matériel pour armer les navires. »

Or, selon cet auteur, la réciprocité des dispositions du traité n’était pas respectée par la France (l’était-elle mieux par Alger ?). 

Leïla Ould Cadi Montebourg  écrit : « .. pour échapper aux ravages exercés sur eux par les corsaires chrétiens, les négociants musulmans avaient appris — avance Jean Mathiex — à « utiliser de préférence le pavillon étranger, qu’ils considéraient comme moins exposé que celui du Grand Seigneur [de l’empire ottoman] , car ils espéraient pouvoir obtenir des indemnités de la puissance chrétienne qui n’aurait pas su faire respecter son pavillon. Mais (...) : les puissances chrétiennes respectaient un droit maritime, tout à leur avantage, puisqu’elles l’avaient elles-mêmes peu à peu élaboré, et dans ses prescriptions il y en avait toujours une que l’on pouvait opposer aux réclamations du malheureux commerçant turc grugé.(...)  De sorte « Les Maghrébins, particulièrement les Algériens [pour commercer], devaient nécessairement passer par des intermédiaires. (...) Si nous examinons de près le traité de 1689, nous ne pouvons manquer de remarquer que la réciprocité entre les deux parties était plus apparente que réelle ». L’auteur indique qu’il n’y avait aucune représentation diplomatique de la régence d’Alger en France de sorte qu’en cas de difficultés, il fallait envoyer ponctuellement un émissaire. De plus, la France « ne respectait pas les traités quand il s’agissait d’esclaves dont elle avait besoin pour ses galères. »

Notons au passage que l’auteur cité parle de Maghrébins, voire d’Arabes, ce qui crée une certaine confusion. Le commerce maritime était-il le fait exclusif des Turcs d'Alger, les Maghrébins y participaient-ils et dans quelle proportion ?

Or, parler de traités inégaux au détriment des Barbaresques est curieux : est-ce que les Barbaresques, par exemple, s’engageaient à fournir aux Anglais du matériel pour la construction des bateaux ? c’est pourtant ce que faisaient les Anglais (gratuitement ?), ce qui montre à l’évidence qui était le bénéficiaire réel de la paix. La seule chose qu’on puisse dire c’est que les Etats barbaresques n’avaient pas toujours la possibilité de conclure des traités aussi avantageux pour eux avec toutes les puissances.*

                                                                                                              * On ne doit pas non plus cacher que ces clauses avantageuses étaient aussi, de la part du pays européen, une façn d'agir pour obtenir des avantages par rapport à ses concurrents.                                                                                                        

                                           

Quant à l’absence de corps diplomatique des régences en Occident (sauf ambassades ponctuelles) –  elle semble un fait avéré mais on peut se demander si le défaut de réciprocité n’était pas compensé par la situation instable et périlleuse des consuls des puissances chrétiennes dans les régences et notamment à Alger : « ... le premier consul des Provinces-Unies, Wijnant de Keyser, qui arrive en août 1616 à Alger, sera trois fois mis en prison pendant les onze ans qu’il passera dans cette ville, et recevra même la bastonnade en public » (Wolfgang Kaiser,  Négocier avec l’ennemi. Le rachat de captifs à Alger au XVIe siècle, Siècles, 2007, https://journals.openedition.org/siecles/1292?lang=en), le consul de France en 1683 est exécuté attaché à la bouche d’un canon, ainsi que d’autres ressortissants français,  idem pour le consul de France en 1688, avec d’autres ressortissants*, et on pourrait multiplier les exemples des consuls ou autres envoyés européens jetés en prison, bastonnés etc.

                                                                                               * Il est vrai que dans les deux cas, la ville était bombardée par une escadre française, ce qui est une explication sans être une justification. L'exécution du consul en 1683 (le père Le Vacher) a été contestée. En 1688 le consul Piolle n'eut pas le temps d'arriver au lieu d'exécution, il fut massacré en route. Mais il est certain que des captifs français subirent l'exécution attachés à la bouche du canon en 1683 et 1688.

 

Leïla Ould Cadi Montebourg  cite le consul Laugier de Tassy au 18 ème siècle : « Enfin on se plaint que les Algériens violent les traités de paix, et déclarent la guerre aux chrétiens, sans autre raison qui les y autorise que leur intérêt ou leur caprice » et font donc « des prises par surprise »,  «  et que même en pleine paix, ils pillent les bâtiments amis, en obligeant les maîtres de leur donner ce qui leur manque, comme vivres, cordages et autres choses semblables ». Laugier de Tassy signale : « Tout cela est remarquable parce que les Algériens le font impoliment et brusquement. Les chrétiens sont quelquefois dans le même cas à l’égard de leurs amis ou alliés, mais ils font les choses de manière moins rude. » (la citation fait donc une différence, malgré tout, entre le comportement des Barbaresques et celui des chrétiens contrairement à ce qu’implique Leïla Ould Cadi Montebourg).

De son côté,  Gilbert Buti écrit : « Au vrai, les traités signés tout au long du XVIIIe siècle entre les Régences et les États européens, plaçant les deux parties sur un pied d’égalité, convenaient tout à fait aux deux camps, dans la mesure où ils contribuaient à affirmer l’autonomie de la Barbarie vis-à-vis de la Sublime Porte [l’empire ottoman] et où ils ne bouleversaient pas fondamentalement les échanges commerciaux établis. » (compte-rendu du livre de D. Panzac, art cité https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2003-4-page-179.htm#:~:text=Au%20vrai%2C%20les%20trait%C3%A9s%20sign%C3%A9s,et%20o%C3%B9%20ils%20ne%20bouleversaient

 

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 Traité de paix entre les Etats-Généraux des Provinces-Unies (Pays-Bas) et la régence d'Alger, 1757, mettant fin à la guerre commencée en 1755. Site de ventes  Antiquariaat FORUM B.V., 't Goy-Houten (Utrecht, Pays-Bas).

https://www.forumrarebooks.com/item/_algiers_treaty_states_general__tractaat_tusschen_haar_hoog_mogende_de_heeren_staaten_generaal.html?

 

 

 

 

UNE INÉGALITÉ AU PROFIT DE QUI ?

 

 

En général, il est difficile de parler d’inégalité des traités au détriment des Barbaresques quand ces traités prévoient le versement de tributs à l’Etat barbaresque pour qu’il s’abstienne d’attaques contre le pays signataire du traité. Où est l’inégalité sinon de la part de celui qui impose ces conditions ? Shuval écrit :

« À partir de la fin du xviie siècle, et durant le xviiie siècle, au lieu d’avoir recours à des actes de représailles, les puissances européennes préférèrent conclure des accords avec la Régence. Les pays européens les moins puissants (et les États-Unis) devinrent tributaires d’Alger, car ils aimaient mieux s’acquitter d’un droit de navigation annuel que de voir leurs bateaux pillés et les équipages réduits à l’esclavage » (La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle, ouv.cité).

Pourtant les critiques de l’attitude des puissances chrétiennes ont raison sur deux points.

Les régences ont toujours toléré la présence de religieux chrétiens sur leur territoire, alors que le contraire ne semble pas avoir été possible. Il est vrai que cette présence était largement imputable aux nécessités du rachat des esclaves chrétiens (on en parlera plus en détail) et allait donc dans l’intérêt des régences. Cette présence avait pris avec le temps la forme d’établissements d’assistance, comme à Alger, l’hôpital des religieux trinitaires espagnols, qui recevait les captifs chrétiens malades*, dont s’occupait vers 1720 le père Ximénez qui a laissé un journal étudié par Leïla Ould Cadi Montebourg. Ce religieux avait souhaité fonder un établissement similaire à Oran (ville reprise récemment par la régence aux Espagnols) mais avait échoué. Il devait par la suite fonder à Tunis un hôpital plus performant que le modeste établissement existant (avec évidemment l’accord du bey, qui en attendait un revenu). Ces actions d’assistance engendraient parfois la concurrence peu charitable des différents ordres religieux soutenus par les consuls de leur nation respective**.

                                                                                             * Apparemment il y avait eu jusqu’à 5 hôpitaux pour les esclaves chrétiens rattachés chacun à un bagne à Alger, mais au début du 18 ème siècle, un seul subsistait.

                                                                                            ** On pourrait penser à la concurrence de nos modernes ONG...

 

Ainsi, dans certaines limites évidemment, l’islam des régences s’avérait plus tolérant que la chrétienté pour ce qui était de l’assistance morale et matérielle aux captifs.

Enfin, il est exact que les accords n’étaient pas  scrupuleusement respectés par la France, comme l’indique Leïla Ould Cadi Montebourg en ce qui concerne la présence d’esclaves turcs utilisés pour ramer sur les galères du roi (avec les condamnés français pour motifs divers – droit commun, protestants après la révocation de l’édit de Nantes, etc). Comment la France pouvait-elle se les procurer, en désaccord avec les traités signés avec l’empire ottoman ?

Elle achetait des captifs « Turcs » à l’ordre de Malte, qui rentabilisait ainsi ses prises, ou bien il s'agissait de Turcs d’Alger (ou des régences) pris sur les navires barbaresques en période de guerre. Le Sultan ottoman émettait des protestations (au moins pour ses propres ressortissants) mais les Français prétendaient que ces Turcs lui étaient indispensables pour les galères du roi ; les ministres refusaient l’idée de remplacer les Turcs par des Maghrébins ou même comme le proposait le consul de France à Malte*, par des Grecs chrétiens (!) - sans doute en raison du poids de la formule « fort comme un Turc ».

Finalement le roi de France cessa d'utiliser des Turcs pour ses galères vers 1680 ou 1690 - il semble que le sultan ottoman avait menacé de mettre en prison l'ambassadeur de France. La France continua d'acheter des esclaves semble-t-il (sur le marché de Constantinople !) mais ce n'étaient plus des Turcs.

Les galères, progressivement réduites à pas grand-chose, survécurent en France  jusqu’à leur suppression en 1748** sauf erreur (on peut supposer que sur les dernières galères, faux-monnayeurs et contrebandiers français étaient bien plus nombreux que les captifs provenant d'Orient). ***

                                                                                                                      * Cité par G. Calafat,

                                                                                                                     ** C’est aussi la date de la suppression des galères en Espagne. L’empire ottoman continua à les utiliser de son côté comme le montre l’histoire dont on a fait état, de la mutinerie des galériens chrétiens en 1760, s’emparant de la galère capitane et la conduisant à Malte. Justement à Malte les galères (sans doute en nombre très réduit) existèrent jusqu'en 1798 semble-t-il, date de la fin de la souveraineté territoriale de l'ordre (après la prise de Malte par Napoléon Bonaparte sur la route de l'expédition d'Egypte).

                                                                                                                  *** Mais pendant longtemps on continua de parler en France de galères et de galériens pour le bagne et les condamnés au bagne – qui d’ailleurs était installé à Toulon, là où les dernières galères avaient eu leur port d’attache.

 

 

GUERRE ET PAIX EN MÉDITERRANÉE

 

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Reinier Nooms (1623/1624–1664), Vue d'Alger avec le navire De Liefde (de l'amiral néerlandais Ruyter), 1662. Rijksmuseum, Amsterdam, Pays-Bas.  Le tableau montre au moins deux navires battant pavillon des Pays-Bas et il est probable que les autres navires qu'on voit sont aussi des unités de la flotte de Ruyter. La ville d'Alger est représentée comme un ensemble bien délimité de couleur blanche formé par de nombreuses maisons reserrées dans les fortifications et adossé à la colline..

Wikipédia, art Régence d'Alger.

 

 

Malgré les traités de paix (et souvent en raison de leur ambiguïté ou de la violation de leurs dispositions) de nombreux épisodes de guerre ouverte – ou au moins de démonstrations de force - eurent lieu entre les Etats barbaresques et les puissances occidentales. Enfin certaines puissances n’avaient pas signé de traité et donc l(état de guerre était permanent avec les Barbaresques..

 Eugène Plantet  (introduction à son livre Correspondance des deys d’Alger) avec la Cour de France, 1889) mentionne (sans être sans doute exhaustif) les diverses opérations des puissances occidentales contre la Régence d’Alger en incluant celles qui ont eu lieu avant les traités, soit démonstration armée en vue d’Alger, soit opération de bombardement, voire de débarquement.

En ce qui concerne la France, « nous avons à mentionner quinze expéditions militaires », dont la tentative de débarquement du duc de Beaufort sous Louis XIV en 1664 à Djidjelli (Jigel), les bombardements de Duquesne en 1682 et 1683, celui de l’amiral d’Estrées en 1688.

« Cinq fois l’Espagne tenta de réparer ce désastre [l’opération de Charles-Quint en 1542] et par une fatalité qu’on a peine à concevoir, elle subit autant de revers. André Doria parut devant Alger en 1601 avec 70 vaisseaux, et ne put même pas débarquer. L’escadre d’O’Reilly, préparée et dirigée avec une grande habileté en 1775, par ordre de Charles III [roi d’Espagne], dut remettre à la voile sous le feu des assiégés. En 1783 et 1784 « Alger fut bombardé à deux reprises, 400 maisons furent atteintes, sans que le Divan parût le moins du monde intimidé, et les Espagnols ne parvinrent à lui arracher un traité, l’année suivante, qu’aux conditions les plus dures. ».

L’Angleterre  tenta un débarquement dans le port de Bougie en 1671, et l’amiral Keppel en 1749 bombarda Alger. En 1804, l’amiral Nelson fait une démonstration dans la rade d’Alger pour appuyer des négociations tendues. En 1816, l’amiral Exmouth, à la tête d’une flotte anglo-hollandaise, vient exiger l’abolition de l’esclavage, et sur refus du dey, bombarde Alger. Le dey doit accepter les exigences britanniques -pour un moment. En 1824, une flotte anglaise menace de nouveau Alger pour imposer le respect dû au consul britannique. Les Provinces-Unies (Pays-Bas) interviennent contre Alger en 1662, avec le célèbre amiral Ruyter. Les Danois interviennent contre Alger en 1770 et  1772,  Venise en 1767, puis les Etats-Unis à plusieurs reprises.

 Enfin, les régences étaient souvent en guerre entre elles (notamment Alger contre Tunis) et donc les captures de vaisseaux entre régences étaient chose courante.

Peut-on vraiment parler de paix, au moins pour le 18 ème siècle, dans ces conditions ? Oui et non.  G. Buti  écrit : « A partir de 1720, s’ouvre le temps des relations apaisées ( 1720-1795), dès le milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie des États européens sont en paix avec les Régences barbaresques. Néanmoins, la course, ou du moins sa menace, reste un moyen de pression fondamental pour les Régences afin d’obtenir des présents, les versements de contributions financières prévues par les traités et devenues préférables à un butin incertain » Malgré cela il existe « de nombreux heurts dans la mesure où, comme le souligne avec force l’auteur [D. Panzac ], un principe fondamental des corsaires est de n’être jamais en paix avec tous les États européens à la fois. » (compte-rendu du livre de D. Panzac, art cité).

Pourtant avec le temps la course devint de plus en plus marginale sans disparaître.

Curieusement il y eut une résurgence à la fin du 18 ème siècle, avec les guerres révolutionnaires. On peut penser qu’Alger (et les autres Etats barbaresques) faisant face à une baisse de revenus, réactivèrent la course. Les flottes de guerre européennes étaient aux prises les unes avec les autres, tandis que pour raisons de guerre, le commerce régulier était désorganisé (et donc la part même modeste que les Etats barbaresques tiraient du commerce). Les Etats barbaresques eurent donc à nouveau recours à la course de façon plus massive que dans les décennies précédentes. On en reparlera.

Mais pour les contemporains occidentaux et pour la postérité, la caractéristique principale des régences, dont notamment celle d’Alger, c’est l’esclavage des chrétiens capturés sur les navires ou sur les côtes.

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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