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Le comte Lanza vous salue bien
30 janvier 2024

ALGÉRIE ET FRANCE, TROIS SIÈCLES DE RELATIONS AVANT 1830 PARTIE TROIS : FIN DIX-HUITIÈME SIÈCLE, DÉBUT DIX-NEUVIÈME SIÈC

 

 

ALGÉRIE ET FRANCE, TROIS SIÈCLES DE RELATIONS AVANT 1830

PARTIE TROIS  : FIN DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE, DÉBUT DU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit.]

 

 

 

RELATIONS AVEC LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

Après la proclamation de la république en France (septembre 1792), le nouveau ministre de la marine Monge adressa une lettre au dey pour se présenter, sans insister sur les récents événements (abolition de la monarchie). Le ministre indiquait qu’il serait répondu plus amplement à la dernière lettre du dey (adressée au ministre de Louis XVI) qui se plaignait des préjudices subis par les navires algériens sur les côtes françaises de la part de puissances tierces.

Par la suite, le ministre annonça avec satisfaction au dey qu’il avait obtenu la libération du raïs Ali, captif à Gênes*, et le renflouage de deux chébecs coulés sur les côtes de France par les Génois et les Napolitains, qui furent renvoyés à Alger : « Ces actes de condescendance [sic] de la nation française vous prouveront combien elle met de prix à conserver la paix et la bonne amitié qui règnent depuis longtemps entre nos deux pays. ». En même temps le ministre mettait en garde le dey contre toute atteinte aux traités et rappelait que la France avait les moyens de se faire respecter : « L’éclat de nos victoires sera sans doute parvenu jusqu’à vous, et vous aurez appris avec plaisir ce qu’il en coûte à l’Empereur [germanique], aux Rois de Prusse et de Sardaigne, pour avoir outragé la nation française par de perfides agressions**. »

                                                            * Toujours en paix avec quelques pays, dont la république de Gênes, la France pouvait agir sur ces Etats pour obtenir la restitution des prises ou des captifs, au moins en partie.

                                                           ** Est-il besoin de souligner que la France avait déclaré la guerre à l’empereur germanique et souverain autrichien (provoquant l’entrée en guerre de la Prusse, alliée de l’Autriche) et envahi sans déclaration de guerre les états du roi de Piémont-Sardaigne...

 

En guerre avec la moitié (au moins) de l’Europe, la république française souhaitait rester en paix avec la régence d’Alger qui adopta dès lors la même attitude conciliante. Une escadre française vint à Alger pour apprendre de vive voix au dey les changements survenus en France. Le consul Vallière fut confirmé dans ses fonctions. Vallière obtint « la permission d’exporter d’énormes fournitures de grains, de viande salée, de cuirs et d’autres denrées destinées à l’alimentation du Midi et à la subsistance des armées, déjouant ainsi les intrigues des Anglais » (H.-D. de Grammont, Histoire d'Alger sous la domination turque (1515-1830), 1887).*

                                                                        * Toutes les citations entre guillemets sans indication d’origine sont extraites du livre de Grammont.

 

Grâce à Vallière qui après une période difficile, a gagné la confiance du dey, celui-ci apporte son aide à  la France qui a besoin de ravitaillement et de crédit : il « poussait la bienveillance jusqu’à avancer l’argent nécessaire aux marchés conclus avec les Indigènes. Plus tard, il prêta même cinq millions au Directoire sans vouloir en recevoir d’intérêts car ce prince n était pas avare*. » Il écartait les conseils de se lier à la coalition anti-française.

                                                                      * Sur ces cinq millions (en fait seulement un million ?) voir plus loin. 

 

 

 Theodore Leblanc - General View of Algiers c1835 - (MeisterDrucke-203759)

 Theodore Leblanc (1800-1837), Vue générale d'Alger, vers.1835.

Site Art 9000.

https://www.art9000.com/francaise/art/artiste/impression-d-art/theodore-leblanc/14864/1/104616/general-view-of-algiers-c-1835/index.htm

 

 

 

PUISSANCE DES FAMILLES BUSNACH ET BACRI

 

 

Les finances d’Alger étaient largement dans les mains des négociants juifs originaires de Livourne, notamment Nephtali Busnach (Naftali Boujenah – Busnach est orthographe des textes français de l’époque) et Joseph Cohen-Bacri (dont le nom est souvent simplifié en Bacri, parfois orthographié Bakri), son beau-frère (ou son gendre comme on trouve parfois ?), qui avaient pris un fort ascendant sur le dey*.

                                                                             *  En tant que Juifs d'Europe, les négociants comme Bacri et Busnach échappaient à la condition véritablement lamentable de la communauté juive indigène d'Algérie, soumise au mépris et aux mauvais traitements aussi bien des Turcs que des Arabes. Néanmoins, en tant que Juifs, l'animosité contre eux restait vive.

 

Selon Grammont, les Anglais s’adressèrent à ces négociants pour pousser la régence à s’aligner sur les positions anglaises, mais les succès militaires des Français empêchèrent un renversement d’alliance. Toutefois « à partir de ce moment, Busnach et Bacri louvoyèrent entre les deux nations ennemies, favorisant tantôt l’une, tantôt l’autre, selon les chances apparentes du succès ». Les deux négociants furent notamment impliqués dans les achats de blé par la France qui devaient progressivement devenir un point de contentieux entre les deux pays.

Le comité de salut public (après le 9 thermidor) écrit au dey, avec le tutoiement de rigueur :

« LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE COMPOSANT LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER, ANCIEN AMI* ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, le 1 floréal an III (26 avril 1795). Illustre et magnifique Seigneur (...). La République française ne perdra point le souvenir de toutes les preuves d’attachement que tu lui as données, et elle te garantit la réciprocité la plus parfaite. » Signé CAMBACÉRÈS, DELMAS, MERLIN, TREILHARD.

                                                                                               * Ancien ami, ici au sens d’ami de vieille date. Cette formule est systématique dans les lettres au dey de cette époque.

 

 (les citations des lettres sont extraites du livre d'Eugène Plantet, Correspondance des deys d’Alger avec la Cour de France 1579 — 1833, 1889).

 

 

QUELQUES NUAGES SUR UNE VIEILLE AMITIÉ

 

 

Vers 1795 (Grammont dit 1793, mais c’est sans doute une erreur) les relations entre le dey et la France se refroidirent à cause d’un personnage que soutenait le dey, ​ Meïfrun, beau-frère de Vallière. Ce personnage avait participé au soulèvement de Toulon contre la Convention qui avait abouti en décembre 1793  à la reprise de la ville suivie d’une dure répression. Meïfrun avait pu s’enfuir et se réfugier en Espagne. Le dey s’était lié d’amitié avec  Meïfrun quand celui-ci avait occupé quelques années auparavant les fonctions de chancelier du consulat de France. Il fit venir Meïfrun à Alger où il pourvut « généreusement » à sa subsistance et celle de sa famille. Le dey demanda à Vallière d’obtenir le pardon de Meïfrun par les autorités républicaines. Vallière (dont la famille avait aussi participé à l’insurrection de Toulon) n’obtint rien sauf de se rendre suspect (même si ces tractations eurent très certainement lieu après la chute de Robespierre, période moins dangereuse).*

                                                                                       * La lettre précitée du comité de salut public indique au dey : « Nous avons chargé notre Consul Vallière, qui est lui-même beau-frère de l’homme auquel tu as accordé ton amitié [Meïfrun], de te faire connaître les raisons extrêmement importantes qui nous empêchent de céder à l’instant même au désir que nous avons de t’obliger. » 

 

Le dey mécontent donna ordre au bey de Constantine de cesser les relations avec les établissements français (gérés par une agence d’Afrique qui avait succédé à la compagnie royale) et renvoya les présents de la France. Un envoyé français arriva en 1796 pour destituer Vallière qui fut remplacé par l’ancien conventionnel montagnard Jeanbon Saint-André*.

                                                                                                     * Plus tard baron d’empire, meurt en 1813 préfet à Mayence – département annexé du Mont Tonnerre.

 

Finalement on transigea sur le cas Meïfrun qui reçut un dédommagement de 100 000 francs en compensation de ses biens confisqués. Cette solution ne satisfaisait pas le dey . A partir de ce moment «la France « ne retrouva pas l’ancienne amitié et ne tira plus rien de la Régence sinon par l’intermédiaire des Bacri et des Busnach qui firent chèrement payer leurs services ».  Lorsque Mustapha el Ouznadji fut nommé en 1794 bey de Constantine, « le commerce entier de cette province échut aux Busnach et l’on ne put plus en tirer de blé sans leur consentement ».

Grammont est peut-être excessif sur ce point de la mauvaise volonté du dey à partir de l’affaire Meïfrun. Ainsi, le gouvernement français est reconnaissant de l’action du dey qui obligea le bey de Tunis à une mesure de réparation pour avoir laissé des navires anglais s’emparer de vaisseaux français en rade de Tunis : « vous vous êtes empressé de prendre toutes les mesures convenables pour contraindre le Bey à une réparation complète envers la République; nous vous en savons infiniment de gré » (lettre du Directoire au dey, juillet 1796).

 

 

 

LE DEY NE PEUT PAS PRÊTER AUTANT D’ARGENT QU’IL LE VOUDRAIT

 

 

Le dey ne ménageait pas les éloges au Directoire français, sans s’arrêter au fait que ce régime était en principe laïque (mais le savait-il ?) : « Chefs illustres de la nation des chrétiens, organisateurs des affaires de la République française, membres du Directoire exécutif, mes grands, puissants et respectables amis, — Que Dieu vous accorde une bonne fin et vous dirige dans le droit chemin ! — Après avoir offert à Vos Excellences nos vœux multiples et des prières abondantes etc ». Il acceptait la demande du Directoire de lui prêter un millions de livres (ou 200 000 « piastres fortes d’Espagne ») en regrettant de ne pouvoir faire plus    : « Mes chers et grands amis, il nous est impossible de parfaire la somme d’un million de piastres que vous nous demandez comme emprunt. (...) La Régence est en amitié séculaire avec vous, et la vraie amitié se prouve dans ces moments et circonstances. En un mot il n’y a point de cérémonies entre nous. » 

 (lettre de SIDI HASSAN, DEY D’ALGER, AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Alger, le 1er juillet 1796).

E. Plantet commente : « Comme on le voit, Hassan consentit à nous prêter un million (200 000 piastres), et non pas cinq millions que nous lui demandions. » et précise « Cette avance fut faite pour deux ans, sans intérêts. » 

La France avait aussi besoin des livraisons de blé de la régence d’Alger – encore faut-il remarquer que ses livraisons se payaient assez chers : « ... la Régence se vantait de nous rendre des services avec ses fournitures de grains, il est bon de remarquer qu’elle vendait à l’Agence d’Afrique, au prix de 45 piastres, la charge de blé que les étrangers ne payaient que 38 piastres. » (E. Plantet).

 

 

RETOUR DE LA CORSE DANS LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

La France avait notifié à Alger le retour de la Corse dans la république (après l’épisode de gouvernement séparé de Pascal Paoli et du royaume anglo-corse qui prend fin en octobre 1796), de façon à ce que l’état d’hostilité cesse envers les navires corses :

« LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER, ANCIEN AMI  ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS. Paris, le 18 pluviôse an V (6 février 1797). Illustre et magnifique Seigneur,

La République, toujours grande, a oublié les torts des Corses, et s’est hâtée de leur restituer l’exercice de tous les droits de citoyens français. La Corse est donc aujourd’hui du nombre de nos Départements, ses habitants sont redevenus citoyens, et comme tels ils peuvent attendre de vous les égards et traitements affectueux que vous avez pour leurs compatriotes. Le Directoire exécutif les réclame de votre loyauté et de l’amitié que vous professez pour la République »

Ce à quoi le dey répond : « La simple énumération de vos conquêtes fait l’éloge de vos troupes, et nous observons que la Corse est rentrée derechef sous votre domination. Il nous a été agréable de recevoir cette nouvelle officiellement, au moment de la sortie de nos corsaires, qui ont les ordres les plus précis de respecter tous les bâtiments corses qui navigueront sous le pavillon de la République française, et qui se trouveront munis de passeports français. »

 

 

POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DE LA RÉGENCE

 

Les difficultés internes et extérieurs de l’Etat algérien continuaient, aggravées selon Grammont, par le caractère soupçonneux du dey Hassan : Alger était en conflit avec Venise (jusqu’à la disparition de Venise comme Etat en 1797), la Hollande la Suède, le Danemark, le Portugal. Seul le conflit avec le Portugal déboucha sur une guerre ouverte, les autres pays ayant préféré payer plutôt qu’être inquiétés. Un traité fut conclu avec les Etats-Unis (avec l’aide du consul Vallière, dit Grammont) et les hauts fonctionnaires de la régence mécontents furent embarqués pour Constantinople et leurs biens saisis par le dey.

Le caïd du Sebaou qui « supportait avec peine l’esprit d’indépendance des Kabyles » fit étrangler sous un prétexte le chef des Flissas El Haoussin ben Djamoun au moment où il passait à Alger revenant du pèlerinage de la Mecque – les Flissas et leurs alliés se soulevèrent ; la guerre dura 4 ans et se termina à l’avantage des Kabyles.

Le dey changeait souvent les beys des provinces, en partie parce qu’il soupçonnait leur fidélité et en partie pour recevoir à chaque fois les présents dûs par le nouveau bey.  A Titeri il y eut trois beys en l’espace de quelques années (le bey précédant étant emprisonné). A  Constantine le bey Mohammed el Ousnadji fut étranglé en 1797 au moment où il revenait d’une attaque contre la Tunisie. Le bey d’Oran Mohammed ben Osman « qui avait reçu le glorieux surnom d El Kebir [le grand] mourut subitement en revenant d’Alger ; tout le monde crut qu’il avait été empoisonné ».

Le dey était de nouveau en conflit avec les Portugais et avec les Anglais qu’il accusait de soutenir les Portugais. Les Anglais pour l’apaiser lui offrirent un brik de vingt quatre canons*.

                                                                                                      * Ce cadeau faisait suite aux reproches du dey aux Anglais pour avoir capturé un vaisseau français dans les eaux d’Alger.

 

 

ENVOYEZ-MOI UN AUTRE CONSUL ...

 

 

Le dey avait fini par se plaindre de Jeanbon Saint-André : « ...il n’y a pas de nation que j’aime, ni de Gouvernement que j’estime autant que la République française. Ce sont ces sentiments qui m’ont fait souffrir jusqu’ici, avec une patience peu conforme à mon caractère personnel et avec le caractère en général de toutes les Puissances musulmanes, la conduite insupportable de votre Consul (...) Ainsi, Citoyens Directeurs, j’exige en ami qui désire vivre toujours en paix, amitié cordiale et bonne harmonie avec vous et votre nation, que vous me fassiez le plaisir de rappeler le plus tôt possible le Consul Jeanbon Saint-André et que vous m’envoyiez un autre Consul» ( SIDI HASSAN, DEY D’ALGER, AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Alger, le 22 octobre 1797).

Selon E. Plantet Jeanbon Saint-André  s’était fait mal voir en refusant de donner des présents au dey et à ses hauts dignitaires – faut-il croire que c’est la seule raison ?

En 1798 Jeanbon Saint André remit le consulat à  M. Moltedo, un Corse (frère d’un député au conseil des Cinq-Cents).

Jeanbon Saint André déclara pompeusement à son successeur : « J’avais trouvé ici la France à genoux, je vous la laisse debout. » 

Pour Grammont, le consul de France avait pu faire valoir les avantages pour Alger ou le monde musulman en général, des victoires françaises : « le châtiment de Venise » [sic], la libération des esclaves musulmans de Gênes et de Livourne. »

Il est aussi intéressant, pour la suite de l’histoire, de citer cette réflexion de Grammont : « c’était grâce à ses sages combinaisons [ de Jeanbon Saint-André]  que son pays avait pu transporter aux Bakri la dette contractée auprès du Dey que la pénurie des finances ne permettait pas d’acquitter en ce moment » - il s’agit probablement de la dette qui devait ensuite empoisonner les relations entre la France et la régence jusqu’en 1830.

Le gouvernement français souhaite une meilleure collaboration de la régence sur la question des navires neutres capturés par des corsaires français au motif qu’ils transportent des marchandises anglaises : « ... trois prises neutres ont successivement été conduites par nos corsaires dans le port d’Alger. Vous avez ordonné leur renvoi, et vous avez en même temps fait dire à notre Consul qu’il vous répugnait d’admettre des prises neutres (...). Cette détermination ne nous semble point conforme à l’esprit de nos traités, etc » (lettre du Directoire, juillet 1797).

 

 

MUSTAPHA DEY SUCCÈDE À HASSAN DEY

 

 

Les deys successifs ne manquent pas de demander aux Français de favoriser autant que possible les transactions commerciales faites par Bacri et Busnach et leur agent en France Simon Abucaya, et demandent à diverses reprises qu’on leur paie ce qui est dû. En effet, les Bacri-Busnach étaient aussi débiteurs de la régence et l’absence de paiement se répercutait sur elle.

Il est vrai que le gouvernement français ne s’empressait pas de payer ses dettes envers Bacri et Busnach au motif (opportun) de soupçons que ces négociants travaillaient aussi avec les Anglais.

Il est probable que chaque pays, au-delà des protestations d’amitié, n’était pas d’une franchise totale. Ainsi le gouvernement français accepte la demande du dey d’envoyer à Alger un ingénieur maritime : « aussitôt que votre désir à cet égard nous a été connu, nous avons donné les ordres convenables (...) on ne saurait trop se presser lorsqu’il s’agit d’obliger ses amis ». Mais le gouvernement donne les ordres suivants : « Il parait  convenable d’accorder au Dey le constructeur qu’il demande. En même temps on prescrira à celui-ci de mettre beaucoup de lenteur dans ses opérations (...) en un mot d’avoir l’air de faire beaucoup, mais de faire réellement très peu de chose », de façon à réaliser seulement ce qui est dans l’intérêt de la France, « fermer aux Anglais les ports de la Régence » sans rien ajouter aux « moyens actuels d’agression » de celle-ci.

Hassan dey mourut en 1798. Son neveu Mustapha (Mustafa),  Kaznadji (premier ministre et ministre des finances) fut élu pour lui succéder – après l’échec d’une tentative sanglante de coup d’état. Selon Grammont, le nouveau dey était « peureux, ignorant, brutal et passait pour avoir des accès de véritable folie ».

Grammont ajoute que le nouveau dey était proche de Busnach qui avait favorisé son élévation et gouvernait derrière son dos. Il inaugura son règne par des violences et des extorsions aussi bien contre des membres de sa famille que contre les consuls étrangers. Il fit destituer et emprisonner les beys du Titeri et de Constantine (1801-1803). Ses intimidations et parfois ses violences contre les consuls des puissances européennes restaient sans punition car « toutes les nations européennes avaient trop à faire à cette époque pour pouvoir se créer de nouveaux embarras de l’autre côté de la Méditerranée ».

 

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Le palais Mustapha Pacha (Dar Mustapha pacha), Alger, aquarelle par Gabriele Carelli (1820 ou 1821-1900).

Ce palais fut édifié dans l'enceinte de la Casbah pour le dey Mustapha en 1798-99. C'était une résidence privée. 

Chris Beetles Galleryhttps://chrisbeetles.com/artwork/14023/dar-mustapha-pacha-algiers

 

 

 

LES BONS COMPTES FONT LES BONS AMIS

 

 

 « Son premier acte politique fut de nous réclamer l’argent prêté par Sidi Hassan » (E. Plantet – il s’agit du million prêté sans intérêt).

« Illustres amis, les nommés Bacri et Abucaya, Juifs sujets de notre pays, sont d’anciens et affidés serviteurs de notre Gouvernement. Les 200 000 piastres fortes que feu Hassan Pacha a prêtées amicalement, il y a quelques années, à vous nos amis, nous étant présentement nécessaires, remettez-les entre les mains des susdits Bacri et Abucaya » écrit le nouveau dey au gouvernement français.

Il réclame aussi le paiement d’une livraison de blé faite par un certain  Mollah Mohammed et le remboursement de cargaisons saisies par la France au motif qu’elles transitaient sur des navires venant d’Angleterre. Il conclut ainsi : « Illustres et chers amis, à l’arrivée de notre présente lettre, vous remettrez en entier, entre les mains du sujet d’Alger Bacri, les 200 000 piastres fortes qui sont en vos mains, le chargement du navire venant d’Angleterre, les sommes de Bacri que vous devez, le prix des blés de Mollah Mohammed et le blé du navire de Bacri qui devait se rendre à Marseille, parce que des affaires de cette nature sont des sujets de froideur et d’altération entre nous. Envoyez-nous la réponse à notre lettre d’amitié. — Que Dieu Très-Haut rende notre amitié ferme et permanente ! Que votre félicité et votre gloire se perpétuent » (lettre du dey, juin 1798).

 

 

TOUJOURS LES CRÉANCES BACRI-BUSNACH

 

 

La France remboursa les 200 000 piastres, prétendant avoir déjà donné des ordres quand elle avait reçu la lettre du dey. Mais pour le reste, le Directoire écrivait :  « Votre lettre contient quelques objets de réclamations pécuniaires qui sont particulièrement relatives à des sujets musulmans ou juifs de votre pays. Nous n’entrerons pas ici dans les détails (...) parce que de pareilles questions ne nous semblent pas devoir être traitées dans une lettre amicale (...). Mais nous allons charger notre Consul, le citoyen Moltedo, de vous donner sur ces divers objets toutes les réponses que vous pouvez désirer. »

Un sujet tenait à coeur le dey : les corsaires français avaient pris « une cargaison venant de Londres, à bord d’un bâtiment danois appartenant en partie à moi-même, en partie à mes sujets Bacri et Abucaya (...) quoique muni d’un passeport d’un de vos Ministres ». Le dey demandait la restitution de la prise vu que ces négociants n’avaient commis aucune faute et qu’ils « doivent à notre Régence de très grandes sommes, faisant leur commerce avec notre argent. En les attaquant, eux ou leurs fonds, on nous attaque nous-même ou notre Trésor ». Il demandait aussi « Que vous fassiez payer aux dits Bacri et Abucaya l’argent qui leur est dû, déjà il y a longtemps, pour des vivres fournis à la République (...) il est temps qu’on les récompense (...) simplement en leur payant ce qui leur est dû, pour les mettre en cas de pouvoir payer leurs dettes à notre Régence » (lettre du 17 septembre 1798).

Apparemment les réponses furent peu satisfaisantes et le Kaznadji (khaznadji, premier ministre et ministre des finances) écrit à Talleyrand, ministre des relations extérieures du Directoire : « Son Altesse le Dey ayant depuis reçu, avec une lettre très polie du Directoire exécutif, des réponses moins satisfaisantes, par vive voix, du Consul de France à sa première lettre  (...) Ne soyez pas surpris si jusqu’ici beaucoup de choses ont été refusées que votre Consul a demandées au Dey, quand vous avez vous-même eu si peu d’égard à ce que lui-même (...) vous a demandé. » 

 

Décidément ulcéré par l’affaire du navire danois saisi avec sa cargaison par les Français, le dey relançait sa réclamation et ajoutait : « En outre, vous voudrez bien nous faire passer avec la plus grande diligence tout l’argent, jusqu’à la dernière obole, dû de votre côté au susmentionné Juif Bacri » (lettre du dey au Directoire, octobre 1798).

 

 

LA CAMPAGNE D’ÉGYPTE ET SES RÉPERCUSSIONS

 

L’annonce de l’expédition d’Egypte effraya d’abord les dirigeants d’Alger car ils redoutaient que la destination de l’expédition soit justement Alger (preuve que les relations n’étaient pas excellentes). Ils apprirent que Bonaparte avait pris Malte sur la route de l’Egypte (juin 1798), et libéré les esclaves musulmans, ce que ne manqua pas de souligner avec satisfaction Moltedo, faute de pouvoir apporter de meilleures nouvelles sur les réclamations du dey.

Moltedo demanda une mesure de réciprocité du dey : la libération de tous les Maltais en esclavage sur le territoire algérien, « et s’ils se trouvent en moindre quantité que premiers [les musulmans captifs à Malte], que leur nombre soit complété par les Français déserteurs d’Oran et [les] insulaires ci-devant vénitiens » (il y avait donc encore des Français déserteurs des garnisons espagnoles en captivité à cette date ?  voir partie 2) ; les insulaires « ci-devant vénitiens »  étaient (probablement) les habitants des Iles ioniennes devenus Français au traité de Campo-Formio, mais capturés avant cette date. On ne sait pas si le dey se montra favorable à la demande de Moltedo (voir un peu plus loin pour les captifs « déserteurs d’Oran »).

 

 

Le sultan ottoman, dont l’Egypte était une possession autonome, se considéra en guerre avec la France (malgré la prudence cousue de fil blanc de Bonaparte qui avait écrit au sultan pour expliquer que l’expédition n’était en rien dirigée contre lui).

Le sultan ordonna au dey Mustapha de déclarer la guerre à la France, puis sans résultat à cette première demande, lui envoya une seconde injonction puis expédia un capidji afin d’obtenir l’exécution de ses ordres. Le dey déclara la guerre à la France et fit emprisonner le consul Moltedo et d’autres Français – leur captivité fut « adoucie par les soins des consuls d’Espagne, de Suède, de Danemark et de Hollande » (ces pays étaient en paix avec la France). Bacri et Busnach intervinrent aussi pour les prisonniers d’autant plus qu’en rétorsion leurs biens en France avaient été saisis par le Directoire. Finalement les Français furent libérés après une détention bénigne. Moltedo quitta Alger.

La guerre eut une autre conséquence : sur les conseils de Moltedo, le gouvernement français avait décidé de payer les sommes dues à Abucaya (faut-il comprendre la totalité des sommes dues a Bacri et Busnach dont Abucaya était l’agent ?) pour un montant de 2 300 000 livres environ. « On s’était décidé à payer des acomptes de 150 000 livres par quinzaines, quand éclata la guerre entre la France et la Turquie, et le Directoire se borna à demander aux Bacri de nouveaux approvisionnements » (E. Plantet).

Bacri et Busnach étaient en quelque sorte piégés car s’ils voulaient obtenir le paiement des sommes dues, il fallait ne pas rompre avec la France et donc continuer à répondre à ses demandes.

 

 

 

MUSTAPHA  ALLIÉ DE NAPOLÉON

 

 

 

Entretemps, en France, Bonaparte était devenu Premier consul. Bonaparte envoya à Alger le consul général Dubois-Thainville,  qui avait mission de rétablir la paix. Dubois-Thainville arriva en mai 1800  avec une lettre du Premier consul qui écrivait que la guerre entre Alger et la France était contraire aux intérêts des deux nations*

                                                                                                             * Dans les instructions données à Dubois-Thainville par Talleyrand il y avait aussi, entre autres sujets, de parvenir à un arrangement sur le paiement des sommes dues à Bacri et Busnach. Le consul devait aussi obtenir la libération des captifs français (dont « 250 Français provenant de la garnison de Corfou (...) enlevés et retenus par la Régence, contre le droit des gens »,  malgré l'intervention en leur faveur de la Porte ottomane. Enfin il devait tenter d'apporter une solution au cas des captifs français « déserteurs d’Oran » - preuve que ce sujet n'avait pas été résolu (voir plus haut).

 

 

Dubois-Thainville signa d’abord un armistice puis en  septembre 1800 un traité définitif de paix. Le dey reçut un présent d’un million (il semble selon Plantet qu’il en avait réclamé six !).

 La première lettre du  dey à Bonaparte Premier consul était pour lui rappeler les dettes Bacri et Busnach :

 « MUSTAPHA, DEY D’ALGER, A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Alger, le 30 novembre 1800

(...) Au très noble, très respectable, très éminent, notre grand ami le Sultan des côtes de France, le plus glorieux des Monarques et le plus éminent des Princes chrétiens, le très noble, très respectable, très éminent Consul Bonaparte. — Que sa fin soit heureuse, et qu’il puisse vivre sur le trône de la puissance au comble de la gloire et, de la célébrité, par l’intercession de Jésus-Christ, fils de Marie et verbe ou esprit éternel ! (...) Un de nos serviteurs, nommé Busnach, nous ayant représenté de vive voix qu’il lui était dû en France diverses sommes dont il demandait le remboursement d’une manière complète et sans diminution, nous avons écrit cette lettre amicale pour vous faire connaître cette représentation, et pour vous prier de faire payer sans diminution au frère de Busnach, notre serviteur, les sommes qui lui sont dues. »

 

Mais sur ordre du sultan (qui était perméable à l’influence anglaise en sous-main), la guerre fut de nouveau déclarée à la France en janvier 1801. Dubois-Thainville se rembarqua avec des protestations d’amitié des dirigeants d’Alger et le dey écrivit au Premier consul pour expliquer qu’il n’avait déclaré la guerre que contraint et forcé. Il utilise un argument intéressant : les Turcs d’Alger ont un devoir d’obéissance envers le sultan, qui est un devoir d’essence religieuse – s’ils y manquaient, leurs propres femmes auraient été dégagées de leur devoir d’obéissance et « interdites » (sexuellement, on suppose).

MUSTAPHA, DEY D’ALGER, A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Alger, le 13 avril 1801

(...) Au plus grand des Grands, au plus élevé de ceux qui suivent les lois du Messie, à ceux qui gouvernent la République française et particulièrement à Son Excellence notre ami Bonaparte, (...) nous avons l’honneur de vous informer, notre ami, qu’ayant avec vous d’anciennes liaisons d’une amitié longtemps entretenue, nous avons paru néanmoins manifester des dispositions hostiles par l’expulsion de votre Consul (...). Par une suite d’événements qui ont rompu la paix entre vous et les Ottomans (...) nous aussi, qui sommes une partie des esclaves qui courbent la tête sous le joug du Sultan, et sommes obligé de répondre aux magnifiques Commandements émanés de son auguste Cour (...). Considérant que c’est un devoir de notre religion d’obéir aux ordres du Sultan, — si nous manquons au devoir de l’obéissance, nos femmes, dégagées elles-mêmes de toute obéissance, nous seront interdites, — par toutes ces raisons nous avons dû nous comporter d’une manière hostile. (...) Mais la sagesse est en Dieu et c’est lui qui l’a ainsi voulu. Sans doute cet état ne durera pas ; il n’est rien de si difficile qui ne s’arrange, et, s’il plaît à Dieu, ce trouble sera sous peu changé en repos. »

Mais le dey s’inquiète d’avoir conclu en 1800 l’armistice puis la paix avec la France avant semble-t-il que le sultan ait lui-même décidé la paix. Si le sultan, poussé par des malveillants, voulait punir Alger de ce qu’il pourrait considérer comme une trahison, comme le bruit en court,  le dey demande à Bonaparte d’attaquer la flotte ottomane s’il apprend qu’elle se dirige vers Alger: « nous espérons, s’il plaît à Dieu, pouvoir avant peu reconnaître ce service d’ami. (...) Cependant, mon respectable ami, que ces paroles et cette lettre soient toujours un profond secret entre nous ! (...) S’il en était autrement, vous seriez sans nécessité la cause d’une foule de maux et d’inimitiés entre la Porte ottomane et nous. Vous avez trop d’intelligence pour qu’il soit nécessaire d’insister sur cet avertissement. (...) que ceci demeure absolument secret, et qu’à l’exception des Juifs, qui que ce soit n’en ait connaissance! (...) . Soyez sur vos gardes. Et le salut. Écrit à la fin de Zilcadé, l’an 1215, 1801 de Jésus-Christ. (Sceau) MUSTAPHA, Dey et Pacha d’Alger. Traduit par SYLVESTRE DE SACY, le 1er prairial an IX.

Le dey proposait ainsi à Bonaparte, dans le plus grand secret, sinon exactement de faire cause commune contre son propre suzerain le sultan ottoman, du moins d’attaquer celui-ci s’il s’en prenait à Alger (sans que pour autant la collusion apparaisse au grand jour). A noter la curieuse formule de ne parler à personne de ce pacte sauf aux juifs (?).

 

 

« GLOIRE DES PRINCES LES PLUS ILLUSTRES DE LA CHRÉTIENTÉ (...) PUISSANT, GLORIEUX ET TRÈS AFFECTIONNÉ BONAPARTE »

 

Un complot contre le dey Mustapha, jugé trop pro-français, eut lieu avec l’appui des Anglais, mais les conjurés mal coordonnés, furent éliminés. Peu après la paix fut signée entre la France et l’empire ottoman, permettant le retour de Dubois-Thainville, maintenant très ami de Busnach.

Bonaparte écrivit au dey en novembre 1801 : « Illustre et magnifique Seigneur, Des raisons de politique vous ont forcé la main [pour la rupture des relations]  (...). Le passé est passé. Dans la paix conclue entre la République et les Anglais et la Sublime Porte, je me suis assuré qu’on ne voulait rien entreprendre contre vous. » 

Une nouvelle fois la paix fut signée avec Alger en décembre 1801 *; le traité «  stipulait la liberté du commerce comme avant la rupture, la suppression de l’esclavage des Français à Alger, la restitution des Concessions d’Afrique, l’exemption d’une année de redevances [des concessions], et le remboursement des sommes respectivement dues par la France aux Bacri** et par la Régence à la Compagnie d’Afrique dépossédée de ses comptoirs » (E. Plantet). Le chargé d’affaires français avait la prééminence sur les autres consuls. « Les Bacri ayant demandé le remboursement des 200 000 piastres qu’ils avaient avancées au Dey pour notre compte lors de la première négociation, Dubois-Thainville avait vigoureusement repoussé leur prétention » (E. Plantet).

                                                                     * « Le Gouvernement Français et la Régence d’Alger reconnaissent qu’une guerre n’est pas naturelle entre les deux États. »

                                                                      ** « Art. 13. — S. E. le dey s’engage à faire rembourser toutes les sommes qui pourraient être dues à des Français par ses sujets, comme le citoyen Dubois-Thainville prend l’engagement, au nom de son gouvernement, de faire acquitter toutes celles qui seraient légitimement réclamées par ses sujets Algériens.» (le traité ne vise pas expressément les dettes des Bacri, ce qui d'ailleurs ne serait pas conforme aux usages des traités qui restent dans des dispositions générales).

 

Le dey exprimait son affection pour la France et son dirigeant : « Gloire des Princes les plus illustres de la chrétienté, le plus grand des Rois de la nation du Messie, Empereur actuel de Paris et des autres pays, puissant, glorieux et très affectionné Bonaparte, Premier Consul de la République française » (lettre d’avril 1802).

 

 

DONNER UNE BONNE LEÇON À ALGER  (BONAPARTE)

 

 

Le même mois les circonstances du naufrage sur les côtes algériennes d’un vaisseau de guerre français parti de Toulon pour rejoindre l’expédition de Saint-Domingue, causèrent l’indignation chez les Français. Dubois-Thainville écrit au dey : « Les rapports qui me sont parvenus sur cet événement font frémir. Les habitants des contrées où le naufrage a eu lieu se sont portés aux attentats les plus inouïs ; (...) Les Français qui ont échappé à la fureur de la mer ont été dépouillés, mis nus par le froid le plus rigoureux, assassinés ou traînés impitoyablement dans les montagnes. Plus de 200 ont péri de la main des barbares. » « Je réclame, au nom et d’après les ordres de Bonaparte, Premier Consul de la République française : 1° La punition exemplaire des assassins, 2° La restitution de tous les effets saisis par eux, 3° La délivrance immédiate des Français qui sont encore en leur pouvoir ... »

 

Selon Grammont, le dey, mécontent que Dubois-Thainville ne lui ait pas fait de présent, laissa les raïs attaquer des vaisseaux français et d’autres nationalités obligeant les pays européens – sauf la France - à payer pour conserver la tranquillité. Plusieurs affaires grossirent ainsi le contentieux entre les deux pays. Bonaparte déclara à Talleyrand : « je préfère avoir une rupture avec Alger et lui donner une bonne leçon s’il en a besoin que de souffrir que ces brigands n’aient pas pour le pavillon français le profond respect que je suis à même de les obliger d’avoir ; à la moindre chose qu’ils me feront, je les punirai comme j’ ai puni les Beys d Égypte. »

 

En août 1802 une escadre française apparaissait devant Alger ; un envoyé remettait au  dey une lettre de Bonaparte : « BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, A MUSTAPHA, DEY D’ALGER. Paris, le 9 messidor an X (18 juillet 1802). Grand et magnifique Dey, Je vous écris cette lettre directement parce que je sais qu’il y a de vos Ministres qui vous trompent (...) Un officier français a été battu, dans la rade de Tunis, par un de vos reïs. (...). Deux bricks de guerre ont été pris par vos corsaires, qui les ont amenés à Alger et les ont retardés dans leur voyage. Un bâtiment napolitain a été pris par vos corsaires dans la rade d’Hyères, et partant ils ont violé le territoire français. Enfin, du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de 150 hommes qui sont entre les mains des barbares. Je vous demande réparation pour tous ces griefs, (...) il faut que vous fassiez respecter mon pavillon [et], celui de la République italienne où je commande*. »

                                                                            * Napoléon était aussi président de la république italienne, ex-république cisalpine.

 

 

« JE DÉTRUIRAI VOTRE RÉGENCE ... »

 

 

Puis une nouvelle lettre était expédiée avec un nouvel émissaire. Le ton était encore plus menaçant  : » Je vous fais également connaitre mon indignation sur la demande que vos Ministres ont osé faire que je paye 200 000 piastres. Je n’ai jamais rien payé à personne, et, grâce à Dieu, j’ai imposé la loi à tous mes ennemis (...) Si Dieu ne vous a pas aveuglé pour vous conduire à votre perte, sachez ce que je suis et ce que je peux. Si vous refusez de me donner satisfaction et si vous ne réprimez pas la licence de vos ministres qui osent insulter mes agents et de vos bâtiments qui osent insulter mon pavillon, je débarquerai quatre-vingt mille hommes sur vos côtes et je détruirai votre régence (...) Que vous et votre conseil réfléchissiez donc bien sur le contenu de cette lettre, car ma résolution est immuable. »

Le dey prit peur et fit tout ce qui lui était demandé : « ma réponse est que je désire vous satisfaire sur tous les points ». On relâcha les équipages et bateaux capturés, le raïs coupable de violence sur un officier français fut condamné à mort (conduit devant le consulat de France pour y être décapité, le consul  Dubois-Thainville lui fit grâce au nom de la République). Le dey écrit : «  vous m’avez demandé de faire arrêter le Capitaine qui a emmené deux navires de la République française ; par considération pour vous je l’ai destitué, mais je dois vous informer que mes Capitaines ne savent pas lire* et que, de tous les écrits des chrétiens, ils ne connaissent que les passeports d’usage. »

                                                                                            * [comprendre : ne savent pas lire l'écriture européenne ou latine.]

Enfin sur les naufragés, la réponse était abrupte : « Dieu a disposé de leur sort et il n’en reste pas un seul ; ils sont tous perdus. *» « ... vous désirez que nous soyons amis avec la République italienne et que nous respections son pavillon comme le vôtre. Vos intentions seront remplies; si tout autre que vous nous l’avait demandé, nous n’aurions pas accordé cet article. Huitièmement, vous ne voulez pas m’envoyer les 200 000 piastres que j’avais demandées (...) mais soit que vous nous accordiez ou que vous nous refusiez cette somme, nous n’en serons pas moins amis. Neuvièmement, (...) la Compagnie d’Afrique pourra travailler comme auparavant. » Le dey n’oubliait pas une piqure de rappel sur une question récurrente : « Treizièmement, je vous prie en grâce de donner les ordres nécessaires pour qu’on termine les affaires de Bacri et de Busnach, attendu les pertes qu’ils ont essuyées**. »

                                                                                             *  Dans la brochure du comte de Laborde, Au roi et aux chambres sur les véritables causes de la rupture avec Alger et sur l'expédition qui se prépare, 1830.(dont on parlera plus tard) la traduction donnée de ce passage est différente : « Vous me demandez cent cinquante hommes que vous dites être dans mes Etats; il n'en existe pas un. Dieu a voulu que ces gens se soient perdus et cela m'a fait de la peine. »

                                                                           ** Selon Plantet, « Bonaparte donna des ordres pour que les comptes de ces Juifs [sic – style d’époque !] fussent examinés avec soin. Ceux-ci transmirent au Ministère une nouvelle note de leurs créances, montant à 8 151 012 francs 54 centimes ».

 

Il ne parait pas que Napoléon ait honoré le dey d’une lettre pour l’informer de son accession au rang d’empereur.

Selon Grammont, à Alger, l’orage se détourna vers le consul anglais : «  M. Falcon ayant commis l’imprudence de recevoir chez lui en plein jour des femmes turques, vit violer son domicile par les chaouchs* (...) qui châtièrent les femmes à coups de bâton ; le consul fut chassé et embarqué de force ». L’amiral Nelson apparut pour demander raison de ces mauvais traitements mais le dey resta ferme. Alger se préparait à un bombardement mais Nelson mit à la voile et revint quelque temps après pour installer un nouveau consul.

                                                                                                 * Chaouchs, en pays de tradition ottomane, huissiers chargés de l’exécution des ordres du sultan ou du dey - y compris d'exécutions capitales.

.

Les Anglais préféraient éviter une rupture avec Alger à ce moment, mais selon Grammont ils favorisèrent l’ insurrection kabyle de 1804 et peut-être des complots contre le dey.

 

 

 

LE POGROM DE 1805

 

 

Par deux fois Mustapha fut attaqué et blessé par ses assaillants. A ce moment, l’impopularité des juifs atteignait son maximum dans la population, toutes catégories confondues. On les accusait notamment « d’affamer le pays par leur commerce de grains et de monopoliser les denrées les plus nécessaires »  tandis que la famine régnait à l’intérieur du pays*.

                                                                                                                         * : Grammont : « Il régnait justement à cette époque une terrible famine qui éprouvait surtout l’intérieur du pays mais dont le contre coup se faisait cruellement sentir à Alger. »

 

Le consul de France avait averti Naphtali Busnach des orages qui s’accumulaient contre lui.  « ...  les Beys de Constantine et d’Oran avaient engagé le Dey à se défaire de lui [Busnach] »,  accusé de ruiner le pays et de pousser par son arrogance les indigènes (les non-Turcs) à la révolte. Busnach avait déjà échappé à des tentatives d'assassinat.

Le 28 juin 1805 à sept heures du matin, Busnach sortait du palais de la Jenina ; un janissaire nommé Yahia l’abattit d’un coup de pistolet à bout portant en criant :  Salut au roi d’Alger. Aux gardes qui accouraient, le meurtrier déclara : J’ ai tué le Juif. Etes-vous donc les chiens du Juif ? » Les janissaires le portèrent en triomphe*.

                                                                                                            * Selon certaines sources, ce janissaire avait à se plaindre personnellement de Busnach à qui il avait demandé une faveur qui ne lui avait pas été accordée.

 

Le dey, tremblant devant les conséquences, envoya son chapelet au meurtrier en gage de pardon. Ce fut le signal d’un terrible pogrom.

« Soldats, citadins, Maures, Kabyles, Biskris* et Mozabites** se ruèrent sur les Juifs massacrèrent tout ce qui ne trouva pas son salut dans la fuite et envahirent les maisons où ils commirent toutes les violences imaginables excités encore par les cris joyeux des femmes qui applaudissaient à ce spectacle du haut des terrasses. »

                                                                                        * Habitants originaires de la ville de Biskra, qui, à Alger, constituent une corporation de portefaix, de porteurs d’eau.

                                                                                        ** Groupe ethnique berbère, originaire du Mzab (groupe d'oasis du Sahara septentrional), la communauté mozabite d'Alger avait un statut particulier et disposait de sa propre représentation auprès des autorités deylicales. Les mozabites étaient les principaux organisateurs du commerce caravanier et ils avaient le monopole de la gestion des bains publics, des boucheries et des moulins de la ville (Wikipédia, art. Mozabites).

 

Les entrepôts appartenant aux Bacri et Busnach furent évidemment pillés. Bacri parvint à s échapper. Dubois-Thainville sauva deux cents personnes sous la protection du pavillon français. Le dey fit embarquer les survivants pour Tunis (certains allèrent aussi à Livourne ou Gênes) et « promit à la Milice de ne plus admettre aucun Juif à la Jenina ». Ces  lâchetés ne le sauvèrent pas :  le 30 août il fut renversé et la milice proclama à sa place Ahmed ben Ali (Ahmed II) ancien ministre de la marine. L’ancien dey demanda à s’embarquer, ce qui fut refusé - il essaya de s’enfuir et fut égorgé, « son corps fut traîné dans les rues par la populace et jeté devant la porte Bab Azoun ».

Pendant un mois les violences continuèrent, « les crimes les plus odieux furent impunément commis sous l’inspiration de l’Agha [commandant en chef] de la Milice* qui mécontent de n’avoir pas été élu, entretenait soigneusement un désordre dont il espérait profiter », promettant un nouveau massacre des Juifs. Le nouveau dey le fit arrêter et décapiter ce qui ramena le calme

                                                                                          * Ne pas confondre l’agha (parfois écrit aga) de la milice et l’agha des Arabes ou agha de la méhallé, méhalla, qui est le chef de toutes les forces armées de terre de la régence.

 

 

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 Allégorie de la libération des esclaves d'Alger, par  François-André Vincent  (1746–1816), huile sur toile, 1806. 

Ce tableau fut commandé par (ou offert à ?) Jérôme Bonaparte, le plus jeune frère de Napoléon (et futur roi de Westphalie). En juillet 1805, lors d’une visite à Gênes, Napoléon écrit à Jérôme qui se trouve aussi à Gênes à la tête d’une escadre : « Mon frère (…), le but de votre mission est de retirer tous les esclaves, génois, italiens et français, qui se trouvent dans les bagnes d’Alger.» Parti début août, Jérôme rentre triomphalement à Gênes le 31 août avec à son bord deux cent trente et un esclaves rendus à la liberté. La transaction aura coûté 450 000 francs. On peut penser que la scène allégorique prend place dans le port de Gênes (le phare qui apparait au fond est probablement le célèbre phare surnommmé la Lanterne). A droite on voit des barques ramenant les captifs accueillis avec joie par la population. Le peintre François-André Vincent avait connu la célébrité vers 1780 mais était en retrait au début du 19 ème siècle.

Museumslandschaft Hessen Kassel. Wikipédia pour le tableau, site du comte Colonna Walewski pour les renseignements (la collection du comte Colonna Walewski, descendant de Napoléon, détient une réplique du tableau du musée de Cassel).

https://colonnawalewski.ch/9i253/#:~:text=En%201805%2C%20l'annexion%20de,trouvent%20dans%20les%20bagnes%20d'

 

 

 

SITUATION INTÉRIEURE – INSURRECTION DES DERKAOUA

 

 

La province de l’Est était depuis deux ans agitée par des révoltes (révolte des Hanencha réprimée par Ingliz bey et révolte des Nemencha durement réprimée par Osman bey)*.

                                                                                                  * Concernant l’histoire intérieure de la régence d’Alger, nous suivons ici le plus souvent le livre d’Ernest Mercier, Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu’à la conquête française, 1891, plus complet que Grammont. Il existe entre les deux livres des discordances – par exemple sur l’orthographe des protagonistes – ou sur le déroulement de certains événements, qui rendent assez difficile une harmonisation sans erreur des deux sources.

 

En 1804, « toute la Kabylie »  prit les armes sous la conduite d’un Derkaoui* « fanatique », Mohammed ben Abdallah ben el Harche (selon Grammont, Ben el ou Bel-Ahrèche, surnommé Bou-Dali, selon E. Mercier, Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu’à la conquête française, 1891), un marabout marocain qui s’était établi dans les environs de Djidjelli (Jigel)**.

                                                                                  * Derkaoua, Derqaoua, Darqawa, Nom d’une importante confrérie religieuse marocaine comptant également des adeptes dans l’Ouest algérien (...) Cette tariqa (« voie », « chemin ») tire ses origines lointaines d’un ancêtre prestigieux, personnage pourtant historique mais auréolé de légende, bu derraqa (« l’homme au bouclier »), mujahid aussi preux qu’ascétique, se vouant tout entier à la guerre sainte, au jeûne, et à la prière. » (MPeyron, Encyclopédie berbère). La confrérie est donc rigoriste et fondamentaliste, souvent opposée aux pouvoirs en place accusés de corruption.

                                                                                                 ** L'expression « toute la Kabylie »  de Grammont est à prendre avec réserve. Selon un auteur récent : « Un hasard heureux permit aux Turcs d’éviter que la Kabylie, toujours rebelle, ne se joigne au grand soulèvement derkaoua du début du xixe siècle. Celle-ci venait un effet d’adopter avec enthousiasme les enseignements d’une confrérie religieuse nouvelle et concurrente, la Rahmaniya, fondée par un marabout de Kabylie. Les bons rapports existant entre Alger et les moqqadem rahmaniya permirent de dissocier les révoltés en puissance et l’apport des tribus berbères soulevées se limita à la petite Kabylie, à l’Ouarsenis et aux massifs montagneux côtiers du Dahra et des Trara. Bien mieux, les Kabyles fournirent au Dey des contingents pour combattre les cherifs derkaoua » (P. Boyer, art. Agha, Encyclopédie berbère, https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/915).

 

 

Il avait d’abord gagné les esprits par ses prédications, puis mené quelques actions de piraterie. Rejoint par d’autres prédicateurs, son audience s’était accrue et il s’installa à Djidjelli dont la garnison turque s’était enfuie. A l’été 1804 avec 60 000 hommes (en grande patie des Kabyles des tribus Beni-Amrane et Beni-Fergane), il se lança à l’assaut de Constantine mais fut mis en déroute. Les fuyards furent encore écrasés par le bey de Constantine Osman bey.

Assez curieusement, à Alger on faisait courir le bruit que les rebelles étaient commandés par Jérôme Bonaparte, l’un des frères de Napoléon,  qui venait  de quitter Alger où il était venu réclamer des captifs français et italiens.Le bey de Constantine espérant en finir avec les rebelles, se laissa entrainer dans un traquenard dans les montagnes et fut battu et tué sur l’oued Zhour, la plus grande partie de son armée fut détruite.

Son successeur Abdallah dispersa les bandes de El Harche qui s’enfuit dans la montagne, tandis que le raïs Hamidou punissait les gens de Djidjelli qui avaient soutenu El Harche. L'année suivante El Harche souleva les Kabyles voisins de la ville de Bougie qui fut assiégée sans succès. Pourchassé par les Ouled Mokran (puissante tribu kabyle qui désapprouvait les désordres crées par les rebelles) et les janissaires, il  passa pour mort – en fait il rejoignit le derkaoui Ben Cherif dans la province d’Oran et périt probablement en 1807 (voir ci-dessous)*. Peu de temps après un autre chérif, Mohammed ben Abdallah qui se disait le neveu de El Harche, relança l’insurrection ; après 4 ans de luttes sans succès, il fut tué dans une embuscade.

                                                                                                                     *  Un auteur récent écrit «  Il se refugia chez Ben Šarīf [le Ben Cherif des auteurs français du 19 ème siècle) à l’ouest où ils menèrent ensemble trois batailles contre les beys d’Oran. Que sont-ils devenus réellement ? Les sources restent plus au moins vagues ; on dit que Ben al ʼAḥrāš aurait été tué par Ben Šarīf ». On notera les modifications des transcriptions, par exemple pour cet auteur, le bey Osman est transcrit (ou translittéré) bey ʽUṯmān, etc (Abla Gheziel, La politique des deys d’Alger à la veille de la conquête française (1730-1830)  https://hal.science/hal-02062607/document).

 

En 1805 la province d’Oran fut touchée par l’insurrection des Derkaoua, dont le chef local était Abd-El-Kader ben  Cherif. Celui-ci parvint à s’emparer de Mascara, puis il attaqua Oran. La révolte s’étendit de Miliana à Oudjda. Un nouveau bey, El Mekallech (fils de l’ancien bey Mohamed El Kebir) débloqua Oran, assiégée par les partisans de ben Cherif, puis les défit. Ayant appris que ben Cherif s’était réfugié auprès des tribus des Flitta et des Beni-Amer, il attaqua les villages de celles-ci et remporta une victoire à Souk-El-Ahd. Il punit alors méthodiquement les tribus insoumises. Une dernière tentative de ben Cherif, rejoint par l’autre chef derkaoui, El Harche (ou El-Ahrèche), tourna au desastre ; El Harche aurait été tué dans la bataille (1807 probablement)*. El Mekallech  était victorieux. Mais les rapines et le comportement du bey suscitèrent le mécontentement du dey qui le fit arrêter, torturer pour savoir où il cachait ses trésors, puis exécuter (1808).

                                                                                                                     * Voir plus haut sur le sort incertain de El Harche/El-Ahrèche/al ʼAḥrāš.

                                                                                                  

Ben Cherif continua de résister contre le nouveau bey, l’énergique Bou Kabous. Pourchassé sans relâche, il mit de la distance avec ses adversaires. Quelque temps après les troubles reprirent sous la direction du beau-père de ben Cherif, un autre Derkaoui qui finit par être tué.

                                                                   

 

 

RELATIONS CONFLICTUELLES AVEC LA FRANCE

 

 

 

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Pascal Coste,  Le Palais de la Djenina à Alger, crayons et aquarelle sur papier,1847.

Pascal Coste (1787-1879) né et mort à Marseille, artiste et architecte, voyagea dans les pays d'Afrique du nord et du Moyen-Orient. A Marseille, son oeuvre principale d'architecte est le palais de la Bourse. La scène représente une cour du palais de la Jenina (ici orthographié Djenina) qui fut le palais des deys jusqu'en 1817. 

 

 

Les relations épistolaires entre Napoléon et le dey étaient rares. Lorsque le dey écrivait à son puissant homologue, les louanges du sultan, suzerain du dey, tenaient plus de place (sans doute à dessein) que les louanges adressées au souverain français. Ainsi le dey Ahmed (ou Akhmed dans les courriers français) écrit en 1806  à Napoléon : «  ...  de la part du Dey et Gouverneur d’Alger Akhmed, (...) revêtu de l’honorable poste de Lieutenant de Sa Hautesse le Sultan Sélim, — Que Dieu perpétue ses jours, son règne et son empire ! qui, par la grâce spéciale de l’Éternel et par l’assistance particulière du Très-Haut, est le Padischah de notre siècle, le très grand Sultan et très illustre Empereur des intérêts des mortels, celui qui protège les pays du Créateur contre l’injustice de la révolte et qui efface les traces de la violence et de l’iniquité, le Maître absolu des nations, l’ombre de Dieu étendue sur les fils d’Adam, le Sultan des deux continents et des deux mers ... »

 Ahmed imposait des taxes et des amendes dans toutes les directions. Il imposa à Bacri une amende de cinq cent mille piastres fortes. Il exigea deux millions du Portugal, imposa des tributs à l’Espagne, à l’Angleterre, aux  Etats-Unis, à la Hollande, à l’Autriche. La France refusa de payer tribut, ce qui provoqua une tension entre elle et la régence. Le consul de France lui écrivait : «DUBOIS-THAINVILLE, CHARGÉ D’AFFAIRES DE FRANCE, A AKHMED, DEY D’ALGER. Alger, le 19 septembre 1806. Illustre et magnifique Seigneur, La porte de votre palais m’ayant été fermée, je ne puis communiquer avec Votre Excellence que par écrit. »

Dubois-Thainville réclamait la libération de captifs comme le père capucin Philibert, recommandé par le cardinal Fesch. Le dey le considérait comme Portugais et l’avait fait soumettre à un dur esclavage, alors qu’étant Italien, il aurait dû être protégé. Le consul réclamait aussi la libération du capitaine Monti de Bonifacio et de son équipage. Il essayait de faire accepter au dey que les changements survenus en Italie impliquaient aussi des changements dans les pratiques des corsaires algériens :   

« ... j’ai eu l’honneur d’annoncer à Votre Excellence que l’auguste frère de Sa Majesté l’Empereur des Français était monté sur le trône de Naples, et, conformément aux intentions de mon Souverain, j’espérais que vous donneriez des ordres pour que les Napolitains jouissent des mêmes égards que les Français (...) Il paraît que Votre Excellence a donné peu de foi à mes paroles, qui néanmoins étaient celles de mon puissant Souverain, puisqu’une grande quantité de bateaux pêcheurs napolitains ont été attaqués et saisis par vos corsaires dans le port et sur la côte. »

A la suite du refus de la régence de respecter les pavillons de pays alliés de la France, on arrêta les Algériens habitant Marseille et on mit l’ embargo sur leurs vaisseaux et leurs marchandises.

Le dey Ahmed n'était pas plus amical envers les autres pays européens. Il insulta le consul anglais devant le divan, et le menaça de mort. « M.  Frayssinet, consul de Hollande fut mis à la chaîne à cause d’un léger retard dans l’envoi des présents. M. Ulrich, consul de Danemark reçut le même traitement pour un motif semblable. »

Les consuls européens s’assemblèrent et rédigèrent une protestation collective dans laquelle ils affirmaient leur solidarité et réclamaient formellement l’inviolabilité diplomatique, obligeant ainsi le dey à céder devant la menace d’un départ général des consuls.

Le Dey pour se venger de l’embargo ordonné par la France, confia les établissements et les pêcheries de corail à l’Angleterre qui aux dires de Grammont ne gagnèrent pas grand-chose dans l’affaire.

 Le gouvernement algérien était fidèle à sa politique de jouer alternativement une puissance contre l’autre. Quant au bey  de Constantine, comme il avait protesté contre le départ des Français qui avait réduit le commerce, le dey le fit étrangler, l’accusant aussi de collusion avec le bey de Tunis auquel il venait de déclarer la guerre en exigeant le paiement du tribut de vassalité. Mais la campagne tourna à l’avantage de la Tunisie.

 

 

QUARANTE MULES CHARGÉES D’OREILLES

 

Ayant d’abord réussi à s’entendre avec les kabyles Flissa, les commandants envoyés par le dey battirent les troupes tunisiennes : « les Algériens firent un énorme butin et envoyèrent au Dey quarante mules chargées d’oreilles » (Grammont). Mais ils perdirent du temps au Kef où les Tunisiens s’étaient retranchés et leurs alliés kabyles rentrèrent chez eux – les Turcs d’Alger furent alors battus par les Tunisiens à la bataille de l’Oued Serrat (juillet 1807).

Le dey Ahmed fit pendre les rescapés qui eurent la mauvaise idée de rentrer à Alger et étrangler le bey de Constantine vaincu. Le successeur de ce dernier fut assassiné par un aventurier qui se proclama bey de Constantine – il fut éliminé après avoir fait régner quelque temps la terreur sur la province.

Finalement la paix fut faite avec la Tunisie sous condition que celle-ci paie le tribut habituel.

 

 

CHUTE ET MORT DU DEY AHMED ET DE SON SUCCESSEUR ALI

 

Napoléon envoya à Alger un brick avec mission de de rapatrier plus d’une centaine de captifs italiens (sujets de Napoléon ou alliés de l’empire français) et le dey se plia à cette demande. Il était même prêt selon Grammont, à se réfugier avec ses trésors sur le navire français, car il voyait bien que son pouvoir et sa vie étaient menacés.

 Les janissaires étaient furieux des défaites conte les Tunisiens et des exécutions de fuyards – quant aux baldis (les citadins d’Alger) ils étaient indignés de la présence de la femme du dey au palais de la Jenina, contraire aux vieilles coutumes. En novembre 1808, une bande de cinq cents Turcs envahit le palais et tua le dey Ahmed dont le corps fut traîné dans les rues. Les assassins élurent l’un d’entre eux, Ali el Rassal, qualifié par Grammont de « faible d’esprit, fanatique et cruel ». Il fit mettre à mort les ministres de son prédécesseur. Les janissaires furent mécontents des cadeaux d’avènement du nouveau dey, mais celui-ci fit remarquer que les caisses étaient vides. Le désordre se poursuivait et les janissaires votèrent même le pillage de la ville – mais une partie d’entre eux, ceux qui étaient mariés, déclarèrent qu’ils défendraient la ville avec les Couloughlis (métis de Turcs et d’Arabes) et les Arabes – chaque groupe, « s’attendant sans cesse à être attaqué par l’autre, ne dormait que la main sur ses armes ».

 

Le dey allait accepter le pillage quand survint le « camp d’Oran » (les janissaires chargés de la tournée fiscale de la province d’Oran), qui fit cause commune avec les modérés. On décida de se débarrasser d’Ali. En février 1809, les conjurés envahirent le palais et Ali  fut étranglé. Le chef du complot, Omer Agha ayant refusé la fonction de dey, le Khodjet el kheil (receveur général des impôts) Hadj Ali fut proclamé dey. Selon Grammont « il se gorgeait d’opium, restant dans une apathie voisine de l’imbécillité tant qu’il n’avait pas pris sa dose accoutumée et tombant dans des accès de démence furieuse quand il la dépassait (...) La plupart des Deys avaient été sanguinaires, celui-ci les dépassa tous. Il avait un goût particulier pour les supplices atroces » et condamnait à mort pour des vétilles.

Le dey fit étrangler le bey de Constantine Ahmed Tobbal pour avoir vendu du blé aux Juifs;  « cet acte aussi barbare qu’injuste raviva les troubles dans la province de l’ Est ». Dans la province d’Oran, le bey Bou Kabous qui avait refusé d’envoyer des troupes pour la guerre de Tunisie était entré en insurrection et s’était allié aux Marocains (du moins on le disait).  Abandonné par ses partisans, il fut capturé et périt dans d’horribles tortures.

 

 

VIOLENCES DU NOUVEAU DEY HADJ ALI – TROUBLES INTÉRIEURS

 

 

Le consul Dubois-Thainville avait refusé de donner au dey des présents d’avènement et quitta Alger laissant l’intérim au vice-consul qui fut ensuite embarqué de force sur un vaisseau américain (1810) . Les consuls protestèrent et la France s’abstint de toute action jusqu’au retour de Dubois-Thainville en septembre 1810. Selon Grammont, Napoléon « n’exigea aucune réparation car il était parfaitement décidé à en finir une fois pour toutes avec les puissances barbaresques » et il avait prévu l’annexion de l’Afrique du Nord dans un  des articles du traité secret conclu avec la Russie. Le chef de bataillon Boutin avait été envoyé secrètement dans la régence au printemps de 1808 pour lever le plan d’Alger et de ses environs*. Napoléon avait aussi posé des questions à l'ancien consul Jeanbon Saint-André sur les défenses d'Alger. 

                                                                                     * Ses plans et observations ne servirent à rien dans l’immédiat mais furent exploités en 1830 lors de la préparation de l’expédition d’Alger. 

 

Les Kabyles de nouveau révoltés battaient en 1810 le camp de l’Est tandis que la guerre se rallumait avec Tunis – la seule action d’éclat fut celle du raïs algérien Hamidou qui s’empara d’une frégate tunisienne. Hamidou pourchassait principalement les vaisseaux espagnols et portugais, marquant le regain de la guerre de course. Le consul espagnol fut frappé au visage par l’Oukil el Hardj (orthographe de Grammont, ou Ouakil al-kharadj, ministre de la marine) pour s’être plaint. La guerre fut déclarée aux États Unis dont le chargé d’affaires fut expulsé.

David Cohen-Bacri, le fils de Joseph, qui était mokadem (muqaddam), chef de la communauté juive d’Alger, accusé de servir d’espion au sultan, fut assassiné par un janissaire sur ordre du dey en 1811*.

                                                                                                          * Grammont écrit : « Dès les premiers jours de son règne, il [le dey] fit mettre à mort Bakri accusé de servir d’espion au Sultan, puis son dénonciateur Ben Taleb et Ben Duran qui dirigeait les affaires des héritiers de Bakri » - mais Bacri fut assassiné en 1811 soit 2 ou 3 ans après la nomination de Hadj Ali comme dey.

 

Néanmoins la famille resta influente. C’est Joseph Bacri, le père de David, qui lui succéda comme mokadem. « Les abus de sa gestion, surtout dans la répartition de l'assiette des impôts entre les membres de la commu­nauté, devinrent si criants, que les sept grands rabbins de la communauté, conduits par rabbi Itshak Aboulker, osèrent s'en plaindre devant son protecteur, le Dey. Mal leur en prit, car au lieu d'écouter leurs doléances, le Dey, qui était son complice, ordonna de les décapiter sur le champ. Ce scandale, d'une gravité sans précédent » ruina le prestige de Joseph Cohen-Bacri qui finit par être « lâché » par le dey et s’exila à Livourne (où la famille avait son origine) où il mourut dans la pauvreté. Mais son frère Jacob lui succéda comme mokadem (renseignements sur le site https://moreshet-morocco.com/tag/bacri-badach-baha/).*

                                                                                                   * Jacob Cohen-Bacri était en conflit avec son frère. Il  fut longtemps le représentant de la maison-mère à Marseille et à Paris. Formé aux négociations, il resta mokadem pendant les dernières années du règne des deys jusqu’à la conquête française. Il fut maintenu un an à son poste par les nouvelles autorités françaises. Mort en 1836 à Paris.

 

Selon Grammont, Hadj Ali « dans ses moments lucides », effrayé à l’idée d’un débarquement français, soit flattait le consul français soit, excité par les héritiers Bacri, le  menaçait s’il ne payait pas la dette contractée par la République.

 

En juillet 1813, l’agha Omer fut battu par les Tunisiens, peut-être en raison de la trahison des contingents kabyles . De retour à Alger il fit décapiter en représailles plusieurs chefs kabyles et des soldats arabes.

Le sultan ottoman Mahmoud, désireux d’arrêter la guerre contre la Tunisie, déclara un embargo sur les navires et les sujets d’Alger et menaça d’envoyer son Capitan pacha pour rapporter la tête du dey qui dès lors, accepta de faire la paix.

A l’intérieur, les tribus du Sud insurgées battaient le bey de Titeri en 1814. Les Flissa pillaient le pays jusqu’à la Mitidja malgré la répression du caïd du Sebaou. En 1816 le chef des Flissa signait la paix.

 

 Place_et_palais_de_la_Jenina_1832

Le palais de la Jenina vers 1832. Le palais se trouvait sur l'actuelle place des Martyrs, anciennement place du Gouvernement pendant la période française, partie basse de la Casbah ou plus exactement de la vieille ville ou medina. Le palais de la Jenina (ou Dar soltan el-kadîma, vieille maison du Sultanavait été le siège des dirigeants d'Alger depuis l'époque de Arouj Barberousse, voire même avant (l'émir d'Alger Selim El Toumi y aurait résidé au début du 16 ème siècle - mais le palais fut certainement remanié au cours des siècles). Trop difficile à défendre contre les intrusions d'émeutiers, il fut abandonné par le dey Ali Khodja à son avènement (1817). Celui-ci transporta le siège du pouvoir deylical dans la forteresse de la Casbah (partie haute). Endommagé par un incendie en 1844 ou 1845, le palais fut détruit en 1856 par l'autorité française. Seules subsistent quelques parties dont le palais Dar Aziza. 

Wikipédia.

 

 

LOUIS XVIII ÉCRIT AU DEY

 

La nouvelle de l’abdication de Napoléon et du retour des Bourbons (avril 1814) parvint à Alger. M. de Maynard qui en apportait la nouvelle, fit « fit saluer sans aucune difficulté le nouveau pavillon blanc par les canons des forts » d’Alger (E. Plantet).

Louis XVIII écrivit au dey pour lui apprendre qu’il était de retour sur le trône de ses pères ; il espérait que les bonnes relations qui avaient toujours existé entre la France et la régence seraient maintenues. Il confirmait Dubois-Thainville comme consul. Il terminait par la formule habituelle des rois de France : « Sur ce, nous prions Dieu qu’il vous ait, illustre et magnifique Seigneur, en sa sainte et digne garde ». Talleyrand, redevenu ministre des affaires étrangères, redoublait la lettre du roi par ses protestations d’amitié.

Dubois-Thainville débarqua, notamment chargé de ratifier les traités au nom du nouveau pouvoir.

Le dey Ali répondit au roi : « Vous nous instruisez, par cette lettre, que vous vous êtes assis comme Roi dans la capitale de votre Royaume, et que vous avez pris la Couronne. Que Dieu rende cet avènement heureux pour vous ! Vous me dites dans votre lettre : — « Nous conserverons avec vous, s’il plaît à Dieu, l’amitié précédente; elle ne changera et ne cessera jamais ; il n’y aura entre nous et vous que sincérité et jamais il n’y aura de manque de foi. » — Oui ! nous avons renouvelé entre nous et vous une amitié plus grande que la précédente » (lettre du 12 juillet 1814).

Cette lettre ainsi que celle de même teneur adressée à Talleyrand agaça les dirigeants français. Talleyrand s’étonna de ce « que le Dey ne donnait à Louis XVIII que le titre de Roi sans autre qualification, tandis que depuis plus d’un siècle tous les Souverains de France avaient eu celui de Padischah [empereur]. Il demanda des explications sur « l’absence du préambule en style oriental », et réclama « ces expressions de louange et de haute considération qui avaient toujours accompagné le titre d’Empereur, et dont l’oubli constituait une véritable impolitesse » (E. Plantet). Il fit demander à Dubois-Thainville de nouvelles lettres plus conformes au protocole !

Les relations se crispaient du fait de discussions sur la restitution de prises à amenées à Alger durant les guerres de Napoléon. Les héritiers Bacri renouvelèrent leurs réclamations : « ils avaient eu l’adresse d’intéresser Hadj Ali au recouvrement de ce qui leur était dû et celui-ci somma le consul de payer à bref délai »* (Grammont).

                                                                                                                 * Il semble s’agir de réclamations diverses dont les créances pour les achats de blé n’étaient qu’une partie. E. Plantet écrit : « Le retour aux affaires de Talleyrand, le grand protecteur des Bacri, leur avait rendu bon espoir de recouvrer leurs créances. »

 

Le dey réclama la nomination d’un autre consul et fit signifier à Dubois-Thainville de quitter la régence. Ce dernier dut partir et écrivit à son ministre :  « Au moment où j’étais exposé à Alger aux plus affreux traitements en défendant, j’ose le dire, avec quelque courage les intérêts du Roi, (...) les auteurs de tous nos démêlés avec Alger (les Juifs Bacri et Busnach) en imposaient au Gouvernement [d’Alger] et déterminaient mon rappel. »

 

 

 « ÉLITE DES PRINCES DE LA NATION DU MESSIE ... »

 

Le roi Louis XVIII écrivit alors au dey pour lui annoncer la nomination comme consul général de Pierre Deval, tandis que le nouveau ministre des affaires étrangères français écrivait au ministre de la marine du dey pour s’étonner d’actes aussi inamicaux que l’expulsion du consul Dubois-Thainville ou la teneur de lettres non conformes au protocole établi. Il réfléchissait au moyen d’obtenir « des explications franches et amiables, de sorte que toutes les contestations puissent être arrangées selon les règles de la raison et de la justice ». 

Le dey, prudent, envoya au roi une lettre remplie de formulations religieuses,  mais comportant les louanges de style oriental de nature à satisfaire les autorités françaises : le roi Louis XVIII était par exemple qualifié de « Colonne des Rois qui professent la religion de Jésus, élite des Princes de la nation du Messie, gloire des Souverains illustres, modèle des grands Monarques, le très fortuné, très sincère, très affectionné Empereur de France, notre grand ami » *.  

                                                                                                             * Les lettres des deys de cette époque comportent aussi, comme on l'a déjà vu plus haut pour une lettre à Napoléon,  des louanges hyperboliques du sultan ottoman (dont le dey se proclame avec dévotion le fidèle vassal et serviteur) – de telle façon que les louanges au roi de France paraissent inférieures qualitativement, ce qui est peut-être le but recherché, ainsi que de rappeler le caractère ottoman de la régence.

 

Le dey se justifiait d’avoir fait partir Dubois-Thainville, homme en qui on ne pouvait avoir confiance, et concluait : « nous espérons que vous ne nous exclurez point de votre souvenir fortuné, et que le Tout-Puissant nous accordera à tous ce qui est véritablement essentiel à notre bonheur, et donnera de nouveaux accroissements à notre amitié réciproque. Ainsi soit-il ! par respect pour Jésus, fils de Marie, l’esprit divin. Écrit le 14 de la lune de Safer de l’année 1230 de l’hégire, c’est-à-dire le 27 janvier 1815, à Alger la bien gardée. »

 

 

HADJ ALI ÉTRANGLÉ DANS SON BAIN, SON SUCCESSEUR DANS SA PRISON

 

 

La guerre reprit entre Alger et Tunis qui bénéficiait du soutien des tribus de l’Est en rébellion permanente. La milice des janissaires (l’odjack) était de plus en plus indisciplinée et de moins en moins efficace au combat, elle désapprouvait la guerre avec la Tunisie. Elle décida de se débarrasser du dey mais l’agha Omer, pressenti, refusa d’accepter d’être le prochain dey. Des prophéties couraient sur des événements funestes.

Le 22 mars 1815, le dey Hadj Ali fut étranglé dans son bain « par un jeune nègre son favori »  - qui fut lui-même mis à mort sur place par les conjurés. Le Kaznadji (premier ministre) Mohammed fut proclamé dey. Il eut la mauvaise idée de faire un recensement de la milice  - qui était tombée à quatre mille hommes parmi lesquels plus de sept cents étaient incapables de tout service. Il fut arrêté et  étranglé dans sa prison 15 jours après son accession au trône deylical. Son remplaçant fut Omer Agha qui avait refusé précédemment le poste mais ne put se dérober.

Peu après, on apprenait le retour de Napoléon sur le trône.  Napoléon écrivit au dey Omar pour annoncer la nouvelle (mars 1815). Le nouveau ministre des affaires étrangères, le duc de Vicence* écrivit aussi au dey pour annoncer le retour comme consul de Dubois-Thainville, les lettres furent apportées par ce dernier dont la nomination agaça les autorités de la régence.**

                                                                                         * Armand de Caulaincourt, duc de Vicence, militaire et diplomate, un des fidèles de Napoléon.

                                                                                       **  « Nous avons donc été bien surpris d’apprendre que l’ancien Consul a été de nouveau envoyé à Alger » (lettre du dey Omar au duc de Vicence). Les nouveaux dirigeants français n’avaient pas forcément le choix de diplomates chevronnés acceptant de se compromettre avec le régime de Napoléon.

 

Le nouveau dey refusa de recevoir Dubois-Thainville (et même de le laisser débarquer) tant qu’il n’aurait pas de réponse aux réclamations sur la question des créances Bacri (Grammont). Toutefois selon E. Plantet le dey demandait surtout à la France le paiement de 114 300 piastres, montant de prises contestées et exigeait l’engagement de donner des présents. Le consul demanda des ordres – dans l’intervalle Napoléon, vaincu à Waterloo, abdiqua pour la seconde fois  et Dubois Thainville dut partir. Le gouvernement des Bourbons, de retour au pouvoir, confirma comme consul général Pierre Deval (qui avait déjà été désigné précédemment par le gouvernement de Louis XVIII)*

                                                                                                      * On reparlera plus en détail du consul Deval par la suite.

 

 « En vertu des nouvelles instructions du Ministère, Deval devait donner satisfaction complète à la Régence, restituer la valeur des prises confisquées par Dubois-Thainville, et promettre la liquidation des anciennes créances des Bacri. » (E. Plantet). Deval débarqua en août 1815, apportant des présents pour le dey et les dignitaires.

 

 

OMAR DEY – LE BOMBARDEMENT DE 1816

 

 

En 1815, la guerre avec les Etats-Unis tourna mal pour la régence d’Alger ; le commodore Decatur venait de capturer deux vaisseaux algériens, dont celui du raïs Hamidou qui fut tué dans le combat et l’escadre américaine prit position devant Alger; « l’effroi et la douleur régnèrent dans la ville où on s’était habitué à considérer Hamidou comme invincible » (Grammont). Le dey dut accepter les conditions de paix imposée par les Américains (abolition du tribut, libération des captifs américains, abolition du droit de visite des navires américains par les navires de la régence).

Puis une flotte hollandaise vint menacer la ville en demandant les mêmes conditions. Enfin la flotte britannique apparut à son tour. Son commandant, lord Exmouth venait stipuler des traités pour des petits pays méditerranéens. Mais en mai 1816, il revint pour exiger au nom de l’Europe la libération des captifs européens et l’abolition définitive de l’esclavage. Le dey gagna du temps, mais la population se livra à des violences contre les Anglais et insulta lord Exmouth. Pourtant celui-ci repartit pour chercher des instructions. Alors le dey se mit en état de se défendre et donna ordre au bey de Constantine de détruire les concessions* (qui depuis 1807 étaient gérées par les Britanniques) et de s’emparer de leur personnel : « deux cents personnes furent tuées ou blessées, huit cents autres furent emmenées en esclavage. »**

                                                                                                            * C’est-à- dire les établissement de La Calle, Collo, Bône etc.

                                                                                                             ** Cet épisode, souvent appelé « massacre des corailleurs », est raconté de façon différente par diverses sources qui citent souvent le chiffre de 200 morts. En fait, le massacre de Bône le 23 mai 1816, est l’épisode le plus brutal du ravage des concessions  : « 2000 corailleurs chrétiens (Napolitains, Provençaux et Corses) sont assaillis par la garde turque du Dey d’Alger qui craignait qu’ils ne s’emparent de ville avec l’aide de la flotte anglaise. L’affrontement fait 15 morts parmi les turcs et 40 parmi les corailleurs, avec en outre de nombreux blessés. Les corailleurs emprisonnés sont libérés le 24 mai par le consul anglais et peuvent rentrer chez eux [?]. Bien que ces chiffres soient exagérés [?] , le retour de 500 corailleurs à Ajaccio, avec de nombreux blessés à l’arme blanche, crée une vive émotion » (Un site, des monuments, La Parata et Les Sanguinaires, https://www.grandsitesanguinaires-parata.com/wp-content/uploads/2020/04/livret-crdp-enseignant.pdf

La destruction des concessions souleva les tribus kabyles qui commerçaient  avec elles et les troupes du bey de Constantine furent mises en échec par les kabyles.

 

 A la nouvelle des exactions contre les Européens, lord Exmouth reçut l’instruction de repartir vers Alger ; à Gibraltar il fit sa jonction avec l’escadre hollandaise et en août 1816 il était de nouveau devant Alger où il lançait un ultimatum au dey et sans réponse, commençait le bombardement.

Devant les destructions causées par le bombardement, le dey fut obligé de traiter sur les bases suivantes : abolition de l’esclavage, libération de tous les esclaves chrétiens au nombre de 1200, presque tous Italiens et Espagnols, une réparation pécuniaire d’environ 500 000 francs (Grammont).

 Ces événements ont été décrits plus en détail dans notre message Alger à l’époque des deys, des corsaires et des esclaves, troisième partie.

 

Mais contrairement aux vœux émis par le congrès de Vienne en 1814-15 (qui devaient être renouvelés en 1818 au congrès d’Aix la Chapelle), « le Dey resta libre de faire la Course sur les petites puissances à la seule condition de traiter les captifs comme prisonniers de guerre et non comme esclaves ».

« Il se prévalut de cet oubli pour réclamer immédiatement le tribut de la Toscane, de la Suède et du Danemark. Les Reïs reçurent l’ordre de courir sur les marchands de Hambourg, Brême, Lubeck et sur les navires Prussiens » tandis que les Etats Unis envoyaient une escadre pour demander et obtenir un traité plus favorable que le précédent.

Grammont écrit : « Le consul de France [Deval] auquel il [le dey] témoignait beaucoup d’amitié, avait cherché à lui persuader de faire la paix, représentant que les temps étaient changés et que l’Europe unie ne tolèrerait plus que l’ Odjeac [la milice des janissaires unie aux raïs] rançonnât les petites puissances. Alors que veux-tu que je fasse de ma Milice, répondit Omer. Avec quoi la nourrirai je ? Comment faire pour la contenir ? En fait, il subissait comme tous ses prédécesseurs l’inexorable fatalité qui le contraignait bon gré mal gré à un état de guerre permanent. »

 

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Théodore Leblanc (1800-1837), Le port et la jetée d'Alger, vers 1830, aquarelle.

Site de reproduction Meisterdruck.

 

 

 

POSITION ATTENTISTE DE LA FRANCE

 

 

s-l1600

 Nicolas Eustache Maurin (1799-1850), Alger. Vente d'esclaves, lithographie, vers 1830.

La gravure de Maurin est une représentation conforme aux stéréotypes européens des moeurs de la régence d'Alger, avec une certaine complaisance sexuelle. Un jeune Turc (bien plus qu'un Arabe) fait l'acquisition de trois jeunes femmes dénudées, deux blanches et une noire. Le vendeur a un habillement qui pourrait évoquer celui de Grecs de l'époque. Depuis le bombardement de lord Exmouth (1816), l'esclavage a été aboli - en principe - à Alger, mais cela ne semble concerner que les ressortissants européens. On peut penser qu'il continue pour des personnes relevant du vaste empire ottoman (notamment il est probable que des Grecs révoltés, hommes, femmes et enfants, furent vendus dans les Etats barbaresques lors de la guerre d'indépendance de la Grèce, parfois par des marchands grecs fidèles à l'empire ottoman et surtout à leurs intérêts). La gravure de Maurin n'est donc pas invraisemblable même si elle présente un caractère souriant et même complaisant sans doute assez éloigné de la réalité.

Vente e-Bay.

 

 

La paix européenne, ainsi que le remarque Grammont, permettait maintenant aux pays européens de s’occuper de la question des régences d’Afrique du nord et notamment Alger, la plus active. Mais la position de la France, qui s’efforçait de maintenir de bonnes relations avec Alger, de façon à en tirer, autant que possible, des avantages, prouvait que le « concert » européen ne jouait pas à l’unisson et que le dey avait encore un espace diplomatique lui permettant d'utiliser une puissance contre une autre, comme autrefois.

Abdeljelil Temimi rappelle ainsi que « le ministre français des Affaires Etrangères a envoyé au consul de France à Alger le 2 août 1816 l'ordre suivant : "Les bâtiments et les troupes sous les ordres de lord Exmouth, étant partis d'Angleterre et venant sans doute se présenter Incessamment devant Alger, vous resterez absolument étranger à toutes les discussions et à tous les événements qui pourront avoir lieu". »

Le même auteur conclut : « La France refusa de s'associer aux projets établis par la conférence de Londres pour la suppression des Corsaires car elle préférait le maintien de la piraterie au renforcement de l'hégémonie maritime de l'Angleterre. » (Abdeljelil Temimi, Documents turcs inédits sur le bombardement d'Alger en 1816. Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, 1968, https://doi.org/10.3406/remmm.1968.985 )

 

« Après la défaite, l’émeute, telle était la coutume d’Alger », commente Grammont.  « La Milice (...) voulut piller la ville et surtout les habitations des Juifs, victimes désignées d’avance dans les émotions populaires. Omer parvint encore cette fois à apaiser le tumulte ». Il fit réparer les destructions causées par le bombardement : « comme les esclaves chrétiens faisaient défaut, on abolit la peine de mort pour les criminels arabes qui furent dès lors condamnés aux travaux forcés »*. Le retour de la peste accompagna les derniers mois de règne d’Omar, de plus en plus isolé. En septembre (ou octobre ?) 1817, une bande d’assassins envahit la Jenina et étrangla le Dey. Celui-ci avait été, pour Grammont « un des meilleurs princes qui aient jamais gouverné Alger ».

                                                                                                                  * L’article Wikipédia  Bombardement d'Alger (1816) écrit, d’après un historien britannique : « le dey force la population juive locale à reconstruire Alger, à la place des esclaves chrétiens » - les deux versions ne sont pas incompatibles.

 

Dans les suites du bombardement de 1816, la France obtint du dey de reprendre le contrôle des établissements commerciaux qui avaient été confiés aux Britanniques en 1807 – cette reprise se fit moyennant des redevances fortement augmentées.

 

 Histoire_de_M_Cryptogame___[

 RodolpheTöpffer, Histoire de monsieur Cryptogame, 1830 (publié en 1846). Le genevois Töpffer est considéré comme un des créateurs (sinon le créateur) de la bande dessinée. Dans l'histoire passablement loufoque de monsieur Cryptogame, le héros est poursuivi par une jeune femme, Elvire, qui rêve de l'épouser.  Ils se retrouvent sur un bateau qui est capturé par des corsaires d'Alger. Elvire est saisie par un vieux Turc qui veut "la mettre à part pour son harem". Mais Elvire ne se laisse pas faire et le vieux Turc est envoyé par dessus bord. En 1830 (date de création de l'Histoire de monsieur Cryptogame), l'image des corsaires barbaresques attaquant les navires occidentaux  et réduisant leurs passagers en esclavage reste vivace même si elle représente désormais un passé récent (bien qu'on ne puisse pas exclure qu'il se produise encore  quelques incidents qui justifient la persistance des représentations). Il est amusant de comparer la gravure romantique de Maurin aux dessins comiques et ironiques de Töpffer, à la même époque. On retrouvera Töpffer par la suite.

Gallica

 

 

 

ALI KHODJA  AFFRONTE LES JANISSAIRES

 

 

Le successeur d'Omar fut Ali Khodja ; il quitta dès novembre 1817 le palais de la Jenina trop mal défendu et vint se loger dans la citadelle de la Casbah où il fit transporter le trésor public (khazna). Il se fit garder par 2000 kabyles zouaoua. Puis il lança une proclamation pour exiger l’obéissance de la milice, invitant ceux qui n’étaient pas d’accord à partir. En même temps il encourageait les Couloughlis (métis de Turcs et de femmes arabes) à se grouper autour de lui. Un début de révolte l’amena à faire exécuter les mutins. Les mécontents se réfugièrent auprès de la Méhalla du Constantinois (la troupe chargée de la tournée fiscale annuelle dans cette province) ; de là ils marchèrent sur Alger. Il y eut un affrontement ; les mutins, mitraillés depuis les fortifications, et chargés par les soldats fidèles au dey, subirent de grosses pertes. La victoire resta à  Ali Khodja (décembre 1817) . « Les prisonniers furent empalés ou torturés (...) les survivants implorèrent l’aman [pardon, grâce] qui leur fut donné ». Ali Khodja accorda à ceux qui voulaient d’être rapatriés à Smyrne ou Constantinople.

 

On peut remarquer que l’élimination (partielle) des ioldachs ou janissaires à Alger est contemporaine ou à peu près de l’élimination des mamelucks (qui sont l’équivalent des janissaires en Egypte) au Caire par le vice-roi Mehemet-Ali (1811) et dans l’empire ottoman (à Constantinople et dans d’autres lieux) par le sultan  Mahmoud II en 1826. Dans l’empire ottoman ou dans les provinces autonomes de l’empire, les janissaires, milice de soldats professionnels s’arrogeant un rôle politique, sont éliminés par les dirigeants qui renforcent leur pouvoir personnel  A Alger, les janissaires fidèles à Ali Khodja restent mais leur pouvoir de nuisance parait très diminué – les rescapés du massacre des janissaires dans l’empire ottoman de 1826 se réfugient d’ailleurs à Alger.

 

 

HUSSEIN DEVIENT DEY. IL REÇOIT LES AMIRAUX ANGLAIS ET FRANÇAIS

 

Ali Khodja fut félicité par le corps consulaire pour sa victoire sur les janissaires. Son bref gouvernement fut marqué par des mesures tyranniques ou incohérentes* mais il mourut en mars 1818 de la peste. Il désigna comme successeur le Khodjet el Kheil (receveur général des impôts) Hussein qui fut aussitôt proclamé. Ce dernier édicta une amnistie générale et l’annulation de la plupart des décrets de son prédécesseur – mais deux tentatives d’assassinat eurent lieu contre lui dès les premiers temps de son gouvernement.

                                                                                               * « Il est resté célèbre par l’arrêté qu’il prit ordonnant de jeter à la mer toutes les filles publiques. Ce fut à grand peine qu’on le détourna d’en exiger l’exécution » (E. Mercier).

 

La France essayait probablement de sauver son influence autrefois prédominante dans la régence d’Alger (influence qui avait, comme on a vu, des hauts et des bas) – mais elle ne pouvait pas refuser de s’associer à la Grande-Bretagne pour notifier aux régences les décisions du congrès d’Aix-la-Chapelle tendant à l’élimination de la piraterie (qu’on n’appelait plus la guerre de course). En fait, chacune des deux puissances maritimes européennes voulait éviter que l’autre agisse seule.

Une flotte combinée anglaise et française, commandée par le vice-amiral Freemantle et le contre-amiral Jurien de la Gravière, reçut mission de « sommer, au nom de l’Europe, les régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli de renoncer à leurs habitudes invétérées de piraterie » (mémoires de l’amiral Jurien de la Gravière). En septembre 1819 la flotte mouillait devant Alger.

« Lorsque nous parûmes dans la baie, les batteries du port saluèrent successivement le pavillon français et le pavillon anglais de vingt et un coups de canon. Nous rendîmes immédiatement ces saluts, et à peine l’ancre fut-elle au fond que nous reçûmes la visite de nos consuls. »

Les amiraux, reçus par le dey, lui firent observer qu’en arrêtant des navires dont finalement les papiers étaient en règle, « Hussein-Pacha leur causait un tort considérable, puisqu’après les avoir empêchés de continuer leur route et leur avoir ainsi fait perdre un temps précieux, il les rendait sujets à une quarantaine onéreuse ».

Le dey défendait la légalité du droit de visite : « Il pouvait, disait-il, avoir demain la guerre avec la régence de Tunis. Dès lors il lui importait de s’assurer si ses ennemis ne cherchaient point à lui échapper en arborant un pavillon ami. D’ailleurs, ajouta-t-il en élevant la voix, je ne reconnais pour amies que les nations qui ont des agents à Alger (il voulait parler des nations qui, sous forme de présents, consentaient à lui payer tribut). Toutes les autres, je les tiens pour ennemies, et les traiterai comme telles tant qu’elles n’auront pas envoyé faire leur paix avec cette régence. » L’insolence de ce barbare [sic] me parut insupportable. Bien que son ton eût été jusque-là fort modéré et que j’eusse remarqué dans ses manières un certain fonds d’obligeance, je jugeai que nous ne parviendrions pas à triompher de son obstination. » (Mémoires de Jurien de la Gravière). L’amiral français avertit le dey qu’il risquait de provoquer une action punitive d’envergure des puissances occidentales  s’il continuait « à exercer la piraterie contre le commerce européen ».

La mission des deux amiraux eut un plein succès à Tripoli mais à Tunis le bey  répondit par des atermoiements.

A peu près au même moment on reparlait en France des créances Bacri-Busnach. Le gouvernement nomma une commission pour établir le montant exact des créances en accord avec le fondé de pouvoir des créanciers. On aboutit à un accord sur le montant de 7 millions de francs  (1819) et une loi de 1820 autorisa le gouvernement à payer la créance. Tout paraissait en bonne voie mais le dey ne voyait arriver aucun versement.

En 1821, alors que la guerre menaçait de reprendre entre Alger et Tunis, le sultan envoya des ordres formels à ses deux vassaux qui signèrent une une paix définitive.

 

 

POURSUITE DES TROUBLES INTÉRIEURS

 

 

La régence continue d’être déchirée par les révoltes intérieures.

La révolte des Derkaoua paraît se poursuivre puisqu'en juin 1816 le dey Omar demande au sultan ottoman de l'aider par l'envoi de troupes et de munitions: « Aussi nous vous demandons de nous envoyer des soldats et des munitions de guerre, car cela est un devoir qui vous incombe, du fait que depuis cinq ou dix ans, est apparu à l'ouest et à l'est du pays un faux Mahdi (...); sa bande ne reconnaît pas Dieu ; ses gens de montagne ont la tête nue [?] et ils n'ont plus la foi.  (...) (Abdeljelil Temimi, art. cité). Le faux Mahdi est certainement El Harche/El-Ahrèche/al ʼAḥrāš, mais en 1816 il est probablement mort (mais on l'ignore peut-être; en tous cas, il a des successeurs).

Le bey de Constantine, après avoir été battu par les Ouled Derradj, fut remplacé. Il tenta de résister au dey et fut étranglé.

En 1817 le bey de l’ouest (Oran) qui avait rétabli la paix fut pourtant étranglé sur ordre du dey alors qu’il se rendait à Alger pour la visite habituelle au dey et le versement du tribut de sa province.* Apparemment le dey le suspectait de vouloir se rendre indépendant.

                                                                                                          * « Après avoir reçu d’eux [des chaouchs, émissaires du dey, venus à sa rencontre] la missive |du dey] dont ils étaient porteurs,  le bey tendit le cou sans une parole et les chaouchs l’étranglèrent » (E. Mercier).

 

 Le nouveau bey de Constantine, Tchaker (originaire de Smyrne) était tyrannique et violent. Il soulevait le pays contre les Turcs par ses exactions ; il faisait tuer les personnages principaux de sa province pour s’emparer de leurs biens. Il massacra lors d’un guet-apens des membres de la puissante famille des Oulad Mokran. Mais il subit des défaites cuisantes par les Kabyles en 1816 et 1817.

Ali Khodja décida de se débarrasser de Tchaker. Il nomma comme nouveau bey un certain Kara Mustafa. Tchaker essaya de résister mais Kara Mustafa marcha contre lui avec le renfort des tribus kabyles. Tombé entre les mains de son successeur, Tchaker fut étranglé (janvier 1818) – mais Kara Mustafa ne tarda pas à éveiller les soupçons par sa conduite déréglée et il fut lui-même exécuté peu après et remplacé par Ahmed Bey el Mamlouk (d’origine italienne semble-t-il).

Dans le sud le bey de Titeri luttait contre les Oulad Naïl toujours révoltés. La province d’Oran était agitée par les marabouts mais l’ordre était maintenu par le bey Hassan, les fauteurs de troubles furent successivement vaincus et mis à mort. « ... le plus dangereux de tous en raison de son influence dans la province était le marabout des Hachem de R’eris près de Mascara, Sid El Hadj Mohi-ed-Dine » qui, par chance, fut grâcié sur intervention de la femme d’Hassan –  un des fils de ce marabout sera le futur adversaire des Français, Abd-El-Kader.

Dans le sud de la province d Alger, les fils de Si Ahmed Tidjani, fondateur de la confrérie des Tidjania,  Mohammed el Kebir et Mohammed es Sr’eïr, qui avaient fait leur place-forte à Aïn-Mâdi, « fanatisés par leur éducation et se croyant appelés à une haute des tinée » (E. Mercier) annoncèrent la révolte contre le gouvernement des Turcs.

Dans la province de Constantine le bey Ahmed el Mamlouk s’apprêtait à combattre les Beni Ameur. Sa conduite maladroite amena sa destitution. « ... au moment où Housseïn [Hussein] qui devait être le dernier dey d’Alger acceptait le pouvoir, la situation s’offrait menaçante sur tous les points » (E. Mercier).

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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