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Le comte Lanza vous salue bien
19 juillet 2022

FEMMES NUES, HOMMES HABILLÉS DANS L’ART PARTIE 3

 

 

 

FEMMES NUES, HOMMES HABILLÉS DANS L’ART

PARTIE 3

 

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

 

 

DE KLINGER À MAGRITTE

 

 

 

 

MAX KLINGER OU LA NOSTALGIE D’UN MONDE DISPARU

 

 

 

L’un des derniers artistes à exploiter les vieux thèmes de la peinture occidentale mettant en scène des femmes nues, fut Max Klinger (1857-1920), un artiste allemand, assez peu connu en France mais qui fut un artiste de premier plan de son vivant, au moins dans son pays, et qui tient encore une place importante dans l’histoire de l’art allemande.

Souvent rangé parmi les symbolistes, il se fait d’abord connaître comme graveur, puis comme peintre et sculpteur. On considère que ses gravures anticipent les recherches des surréalistes. « Leur influence sur les collages de Max Ernst est manifeste et de Chirico, grand admirateur de Klinger, lui consacra un texte où il le qualifie de "Génie du bizarre". » (notice du Musée de Strasbourg, https://www.musees.strasbourg.eu/collection-mamcs/-/entity/id/317815)

Animateur de ce qu’on a appelé la Sécession berlinoise (groupe d’artistes opposés à l’Académisme dominant) il est pourtant membre de l’Académie de peinture berlinoise et professeur à l’Académie d’arts graphiques de Leipzig, ville dont les mécènes favoriseront son œuvre). Son refus de l’académisme ne signifie pas qu’il se détourne de l’héritage de la Grèce et de l’Italie ; mais au contraire, il souhaite le rénover. L’idée de « Gesamtkunstwerk » (œuvre d’art totale) inspire son œuvre, qui de façon idéale, devrait associer sculpture, peinture, dessin, aussi bien que musique et littérature

 

Entre 1899 et 1902, il exécute le monument à Beethoven destiné au musée des beaux-arts de Leipzig. Son monument à Richard Wagner n'aboutira pas.

Il participe aux travaux de la Sécession viennoise.

C’est dans ce cadre qu’est exposé sa statue de Beethoven lors de la 14ème exposition de la Sécession viennoise  en 1902 : «  La statue de Klinger de Beethoven était la pièce maîtresse de l'exposition et, à ce titre, était placée au milieu du hall principal de la Maison de la Sécession. La frise de Klimt était à l'origine destinée à compléter la pièce de Klinger, mais elle est devenue plus tard la plus célèbre des deux et l'une des œuvres les plus reconnaissables de Klimt »  (Fondation Mahler, https://fr.mahlerfoundation.org/mahler/contemporaries/max-klinger/#:~:text=La%20statue%20de%20Klinger%20de,la%20Maison%20de%20la%20S%C3%A9cession). La statue de Beethoven , en marbre, ivoire et bronze (rompant ainsi avec les stricts habitudes académiques et renouant avec certaines caractéristiques de la sculpture antique) dérouta les critiques par ses intentions et sa réalisation et fut considérée comme un échec.

 

Certaines peintures de Max Klinger présentent l’aspect de frises où tus les personnages sont vus sur un même plan, sans profondeur. Tel est le cas de sa Crucifixion (1890, Musée de Leipzig), du Christ dans l'Olympe (Musée du Belvédère, Vienne, Autriche), ou  du Jugement de Pâris (Das Urteil des Paris1885-7, Musée du Belvédère, Vienne) une toile de très grandes dimensions (3,20 × 7,20m) qui nous intéresse particulièrement.

Nous avons déjà évoqué de tableaux représentant cette scène de la mythologie (cf. partie 1) – et celui de Klinger n’entre qu’imparfaitement dans notre thème, car les spectateurs masculins sont nus et non pas habillés. Mais c’est probablement l’une des dernières apparitions de ce sujet dans la peinture occidentale.

 

 

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 Max Klinger, Jugement de Pâris (Das Urteil des Paris), 1885-7, Musée du Belvédère, Vienne. Cette toile de 3,20 × 7,20m, avec son cadre fragmenté et  orné de reliefs, était un exemple de la tentative de Klinger de dépasser la peinture pour parvenir à l'oeuvre d'art totale ( « Gesamtkunstwerk »).

 Wikimedia Commons.

 

 

CC_Johannsen_2021_Abb02

Max Klinger, Jugement de Pâris. Détail des trois déesses.

Site du Musée du Belvédère, Vienne.

https://sammlung.belvedere.at/objects/6167/das-urteil-des-paris

 

 

 

Si Klinger a voulu s’affronter à un sujet désormais quasiment abandonné après avoir été un passage obligé pour un grand nombre de peintres en trois ou quatre siècles, c’est évidemment pour y apporter un traitement personnel.

A priori, tout est classique dans le tableau :  dans un décor naturel qui évoque la Grèce, associant la forêt méditerranéenne, la montagne et au fond, la mer, Pâris, impassible (ou intimidé ?) est  assis comme il convient à un juge, siégeant sur un parterre de mosaïques, ayant à ses côtés un autre homme (dans la tradition, c’est le dieu Hermès); tous deux sont complètement nus. Pâris conserve simplement une sorte de chiffon qui cache son sexe.

Face à eux, trois femmes : l’une entièrement dévêtue et les deux autres (probablement attendant leur tour de se dévoiler complètement), dévêtues mais partiellement couvertes par une draperie rouge.

C’est donc le geste de la femme (la déesse mais on finit par l’oublier) qui se présente devant Paris qui est le sujet central du tableau (et comme tel se trouve au centre de la composition) ; la femme (s’agit-il d’Aphrodite/Vénus ?) écarte les bras, les poings serrés, afin de se montrer le plus complètement possible. Cette attitude accentue l’aspect déplaisant de la scène : le sérieux de Pâris, qui ne sourit pas et reste de marbre, l’exposition complète de la femme, qui n’est pas spécialement belle – tout concourt à évoquer moins une épreuve qui devrait distinguer la déesse la plus belle (c’est ainsi que se présente le récit dans la mythologie) qu’une sélection plus brutale. Pâris apparait ici moins comme un arbitre de concours de beauté que comme un maquignon ou un trafiquant sélectionnant des femmes pour une maison close.

Mais une autre lecture est possible. Selon le commentaire de Rolf H. Johannsenu (Musée du Belvédère), « Klinger ne voyait pas les déesses comme « féminines », gracieuses ou aux formes sensuelles et luxuriantes, mais « masculines », avec des corps athlétiques et les deux pieds sur terre. – Pâris, Hermès et leurs contemporains devaient tout simplement se détourner d'une féminité aussi sûre d'elle. » (https://sammlung.belvedere.at/objects/6167/das-urteil-des-paris). Le public, à l'époque où le tableau fut exposé pour la première fois,  s'en détourna aussi, déconcerté par le peu de séduction des déesses. Mais une quinzaine d'années après, l'oeuvre fut finalement reconnue à sa juste valeur et installée dès 1903 au nouveau musée du Belvédère, dans une salle réservée à lui seul.

 : 

La taille considérable du tableau (plus de 7 mètres de long), si elle met en valeur le paysage méditerranéen, contribue aussi à renforcer l’effet dérangeant de la scène représentée. La nudité des personnages masculins (qui semble conforme à la vision idéalisée de l’Antiquité - sinon à sa réalité, même si les Grecs étaient évidemment plus dénudés que les hommes du 19ème siècle),  inverse quelque peu la scène habituelle : les femmes se dévêtent certes, mais devant des hommes qui sont déjà nus.

 

 Faut-il penser que dans le monde antique (imaginaire, puisqu’il s’agit de mythologie) décrit par Klinger, les femmes conservent un vêtement pour masquer leur sexe, et les hommes non ? Ou bien, hypothèse intéressante, qu’elles ne sont (légèrement) vêtues que pour participer au concours, comme si la nudité ne pouvait être appréciée que par opposition au vêtement, dans l’acte de dévoiler : si tout le monde est tout le temps nu, la nudité n’a plus d’intérêt.

Le tableau a reçu un encadrement extrêmement élaboré ; caractéristique du style « art nouveau »,  qui introduit des divisions dans le tableau comme s’il s’agissait d’un retable ; ce cadre fait partie intégrante de l’œuvre et rappelle l’idéal de Klinger d’oeuvre d’ art totale (Gesamtkunstwerk »).

 

 

CC_Johannsen_2021_Abb08

 Présentation ancienne du Jugement de Pâris. dans une salle du Musée du Belvédère à Vienne.

Site du Musée du Belvédère, Vienne.

https://sammlung.belvedere.at/objects/6167/das-urteil-des-paris

 

 

 

Est-il exagéré de penser que Klinger a tiré le sujet vers la noirceur ? Son intention était-elle de peindre une image de l’âge d’or mythologique, quand la sensualité pouvait s’exprimer librement ? On trouvait cette image nostalgique de l’Antiquité ou de la mythologie rêvée chez plusieurs artistes de la même époque. Que Klinger ait voulu aussi rendre hommage à l’Antiquité comme Âge d’or disparu est possible, et même probable.

Mais l’inquiétude propre à l’artiste et à son époque ont alors dévoyé son intention. La joyeuseté et la liberté qui sont souvent associées à la vision (idéale, et non véridique), du monde antique, semblent loin de cette œuvre.

En tout cas elle recèle plus de noirceur (malgré l’atmosphère de clarté du tableau) que les tableaux des peintres du passé, réjouis par la liberté de représenter la beauté féminine que leur permettait le sujet du  Jugement de Pâris.

 

 

 

 

LE NU SURVIT AU 20ème SIÈCLE

 

 

 

 

Dès avant la guerre de 1914, la peinture figurative commença à subir une éclipse en Occident : les peintres des nouvelles tendances, notamment les cubistes, abandonnèrent presque entièrement la représentation de personnages ou de décors réalistes, au point que leurs peintures ne présentaient plus de sujet reconnaissable : ce fut l’apparition de l’art abstrait.

Bien entendu, il demeura des peintres académiques, un peu modernisés, qui reprenaient les vieilles recettes, ou des peintres de courants novateurs qui ne renonçaient pas à représenter la réalité, comme les expressionnistes, dont les déformations des figures réalistes traduisaient les déchirements intérieurs et l’exacerbation des sentiments.

Le courant surréaliste fut, parmi les tendances novatrices de l’art, celle qui préserva le plus une représentation fidèle de la réalité (des objets et des personnes – à condition de situer ces figures réalistes dans un contexte imaginaire ou surprenant et paradoxal.

La représentation du nu (intégralement ou partiellement nu) fut maintenue par les artistes expressionnistes (on peut penser à Egon Schiele) et surréalistes (Magritte, Dali), ainsi qu’avec des peintres issus du  courant fauviste ou du post-impressionnisme (catégorie qui récupéra une bonne part de ceux qui refusaient l’abstraction), et bien entendu par le courant réaliste : ces étiquettes sont plus un repère qu’une identification  exclusive à une tendance de l’art. Certains artistes, difficilement classables, ont réalisé des chefs d’œuvre dans le genre du nu, au point d’en faire une sorte de spécialité :  il suffit ici de citer le nom de Modigliani.

Enfin des artistes considérés comme abstraits, sont revenus à la figuration, mais en la modifiant dans le sens d’un schématisme original et d’un refus de la représentation réaliste : Picasso est emblématique de cette attitude. On peut rappeler  que son tableau considéré comme inaugurant la peinture cubiste, Les Demoiselles d’Avignon (1907), représente d’ailleurs plusieurs figures féminines nues, dont le traitement est évidemment très éloigné du réalisme.*

                                                                                     * « Les femmes représentées sont des prostituées de l'une des deux maisons closes situées Carrer d'Avinyó à Barcelone. Contrairement à une idée reçue, le nom de la rue fait référence à la commune d'Avinyó en Catalogne et non à la ville d'Avignon en France » (Wikipédia).

 

 

Au fur et à mesure qu’on avançait dans le 20 ème siècle, le nu a repris sa place comme thème important de la peinture – mais souvent il est dépourvu de tout aspect érotique ou de toute prétention à représenter la beauté des corps – au contraire, avec des peintres (qu’on peut appeler néo-expressionnistes, mais les étiquettes d’école cessent d’être vraiment pertinentes) comme Francis Bacon ou Lucian Freud, qui privilégient d’ailleurs le nu masculin, le nu devient une façon d’exprimer une vision tragique de la vie.

 

Parmi les artistes de la première moitié du 20 ème siècle (même si sa longévité lui a permis de vivre jusqu'en 1968), Kees Van Dongen est un des rares à avoir peint, parmi de nombreux nus, une femme nue - portant seulement des bas avec jarretières et des chaussures dont le talon et l'empeigne ont des couleurs inversées pour chaque pied -  qui danse avec un personnage habillé en tenue de soirée; la toile est titrée Le Tango de l'Archange. Car le personnage habillé est bien un ange ou archange, comme le montrent les grandes ailes dans son dos.

Comme un ange n'a pas de sexe, le personnage, bien qu'ayant une apparence masculine (habit de soirée, cheveux courts, allure générale) porte aussi des chaussures à talons hauts qui font penser à une femme - il est probable que même les danseurs mondains (les gigolos comme on disait) n'en portaient pas de si hauts. Et si le personnage n'était ni vraiment homme ni vraiment femme -  comme l'indique d'ailleurs son identification à un archange ? Le tableau joue donc sur l'ambigüité des sexes et exprime  l'atmosphère de liberté sexuelle des « Années folles ».

Du point de vue métaphorique, le tableau exprime aussi que des danses comme le tango s'apparentent à un simulacre d'acte sexuel (ce que suggère dans le tableau le jeu des jambes entrecroisées) : la danseuse, dans le monde véritable, peut s'imaginer dansant quasiment nue; elle se pâme dans les bras d'un gigolo (ou d'une gigolette ?) qui pour quelques instants, devient un personnage surnaturel qui l'entraîne loin du monde réel...

 Van Dongen est un peintre qui a d'abord adopté le fauvisme et qui a aussi eu des liens avec l'expressionnisme allemand, avant de développer une manière personnelle qui lui vaudra un grand succès public, notamment chez les gens riches, et le fera classer comme un peintre mondain qui utilise les techniques de l'art moderne : cette dernière étiquette le desservira de son vivant même, et il s'ensuivra après sa mort une période de purgatoire dont il semble sortir.

Une toile comme Le Tango de l'archange montre aussi que Van Dongen pouvait recourir à des mises en scène picturales pas éloignées de celles de certains surréalistes.

 

 

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 Kees Van Donen (1877-1968), Le Tango de l'Archange, huile sur toile (années 20). Musée national de Monaco.

Van Dongen passait une partie de sa vie dans des lieux de villégiature mondaine comme Deauville ou Monaco; il vécut dans la principauté entre 1949 et sa disparition en 1968. Le Musée de Monaco a acquis de nombreuses toiles du peintre dans les années suivant sa mort.

 

Les courants apparus dans la seconde moitié du 20 ème siècle (hyperréalisme, pop-art) représenteront souvent le nu féminin (Tom Wesselmann) – ou même le « nu habillé », si on peut dire, avec des représentations de femmes en maillots de bain (Martial Raysse) ou en lingerie (John Kacere, dont les gros plans quasiment photographiques restreignent le nu à une partie du corps féminin, du bas-ventre  au haut des cuisses). 

De son côté le peintre (travaillant à partir de photos) allemand Gerhart Richter présentera une image mémorable de sa femme nue descendant un escalier (Emma, 1966).

 

 

 

LE DÉJEUNER AU BORD DE LA PISCINE

 

 

Si le nu reste un thème majeur de l’art contemporain (du 20 ème siècle) les occurrences de trouver des figures féminines nues avec des hommes habillés sont rares. Les figures nues sont le plus souvent représentées isolées.

A moins que l’artiste ait voulu faire un pastiche d’une œuvre célèbre. C’est le cas avec le peintre  Alain Jacquet (1939-2008) Jacquet appartient à ses débuts à la tendance de la « nouvelle figuration ».  En 1964, il réalise un hommage à Manet qui reprend, dans des costumes contemporains (pour les hommes !), la scène du Déjeuner sur l'herbe, avec le même titre ; l’artiste a fait poser des amis au bord d’une piscine en banlieue parisienne (on a plutôt l’impression qu’il s’agit d’un bassin de parc public avec son rebord) : le  critique Pierre Restany, l’épouse de celui-ci, la galeriste Jeannine de Goldschmidt et le peintre Mario Schifano, avec en arrière-plan, la sœur de Jeannine de Goldschmidt.

Jacquet utilise pour réaliser son « tableau » la technique de la sérigraphie ce qui lui permet de tirer 95 exemplaires de l’œuvre.

Son travail Illustre la remarque de Walter Benjamin : « la notion même d’œuvre d’art est remise en question, par sa nature reproductible ».

Avec la sérigraphie, Jacquet utilise la trame comme moyen artistique, une recherche qui le rapproche de ce que fait au même moment Roy Lichtenstein aux USA. Plus tard, Jacquet, expatrié aux USA depuis 1992, travaillera sur ordinateur pour créer des œuvres répondant au même critère de reproductibilité. Mais étranger par ses orientations aux tendances françaises, il sera également étranger aux nouvelles tendances américaines, ce qui explique sans doute qu’il soit resté relativement ignoré jusqu’à son décès en 2008.

 

 

 

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Alain Jacquet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1964.
Quadrichromie sérigraphiée et vernis cellulosique sur papier marouflé sur toile (diptyque), 175 x 194 cm.
© Adagp, Paris 2011.
Photo © André Morain. MAC VAL https://www.macval.fr/Le-Dejeuner-sur-l-herbe

 

 

 AJOUT NOVEMBRE 2023

 

J'ajoute ici un tableau présentant des hommes habillés et des femmes déshabillées,  qui est assez clairement inspiré par le Déjeuner sur l'herbe de Manet, mais aussi par le Concert champêtre (attribué d'abord à Giorgione puis au Titien) pour l'évocation de la musique. 

Il s'agit du tableau d'Adrien Thévenot (1898-1982), Musique sur l'herbe, 1920.

Adrien Thévenot est un peintre de facture classique qui a abordé plusieurs genres dont le nu et les natures-mortes, ainsi que des scènes de fantaisie qui évoquent Monticelli. .On se reportera à l'article qui lui est consacré sur le site Galerie des Beaux-Arts.

 

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Adrien Thévenot (1898-1982), Musique sur l'herbe, 1920.

Site Galerie des Beaux-Arts

https://galeriedesbeauxarts.blogspot.com/2017/09/adrien-thevenot.html

 

 

Le présent tableau est reproduit dans l'article Parties Carrées  de Jean-P.aul Brighelli sur son site/blog Bonnet d'Ane, qui reproduit aussi une oeuvre clairement pornographique du 19 ème siècle de  Peter Fendi (1796-1842) montrant deux femmes déshabillées et deux hommes habillés - ces derniers suffisamment déshabillés toutefois pour pouvoir copuler avec leurs compagnes, chacune d'entre elles se partageant  auprès des deux hommes à la fois...

https://blog.causeur.fr/bonnetdane/parties-carrees-4703

 

 

MAGRITTE : L’ASSASSIN EST BEL HOMME

 

 

 

Comme on l’a vu, les surréalistes restent fidèles au principe de figuration. Cela leur permet de représenter, à l’occasion,  des nus féminins, mais aussi (rarement) des scènes où une femme nue apparait avec des hommes habillés, entrant pleinement dans le thème de notre étude.

 

L'Assassin menacé de René Magritte (1898-1967) est un tableau peint en 1927 : un homme jeune, bien habillé, est représenté dans une pièce où gît le corps nu d’une femme – apparemment égorgée - sur un sofa. L’homme écoute tranquillement  la musique d’un gramophone, tandis que deux hommes en manteau et chapeau melon, de part et d’autre de l’entrée de la pièce, ont pris position et s’apprêtent probablement à la maîtriser. Par la fenêtre, qui découvre un paysage de montagne, trois visages apparaissent et regardent ce qui se passe dans la pièce.

 

 

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 René Magritte, L'Assassin menacé, 1927. The Museum of Modern Art,  New York. Dimensions 150.4 x 195.2 cm.

 Site René Magritte (en anglais).

https://www.renemagritte.org/the-menaced-assassin.jsp

 

 

 

On sait que Magritte s’est inspiré, ou mieux à réalisé, le programme d’un poème en prose de son ami Paul Nougé*, faisant partie de ses “Images peintes” :

                                                                                  * Peu connu et ayant peu publié, Paul Nougé (1895-1967) était pourtant, selon Francis Ponge « non seulement la tête la plus forte (longtemps couplée avec Magritte) du surréalisme en Belgique, mais l’une des plus fortes de ce temps ».



« Il y a dans la chambre, au milieu d’un minime désordre de linge, une femme presque nue, un cadavre d’une rare perversité.
N’était cette morte, rien ne viendrait troubler un intérieur aussi paisible. Tout s’y trouve d’une netteté reposante (…) Tournant le dos à la morte, un jeune homme d’une très discrète élégance et d’une grande beauté, un peu penché, légèrement penché sur ce pavillon de phonographie, écoute.
Sur ses lèvres, peut-être un sourire.
(…) Dans le couloir, de part et d’autre de la porte large ouverte, deux hommes s’avancent qui ne peuvent encore découvrir le spectacle.
(…) L’un déploie un vaste filet, l’autre brandit une sorte de matraque.
Tout cela s’appellera : l’Assassin menacé. » (Paul Nougé)

 

On sait aussi que  Magritte a repris la  mise en place des personnages d’un film de la série Fantômas de Louis Feuillade (en 1913)Le Mort qui tue, dans lequel ce sont des malfrats qui prennent position de part et d’autre de la porte. Ici, ce sont de toute évidence des policiers en civil, bien que leurs armes soient peu réglementaires : un filet et une matraque primitive. Quel dommage qu’à l’époque du tableau, Hergé n’ait pas encore commencé ses aventures de Tintin : on peut rêver que Magritte aurait donné à ses policiers en chapeau melon la physionomie de Dupont et Dupond…*

                                                                                                               * L’homme en costume sombre et en chapeau melon réapparait souvent dans les œuvres de Magritte ; il représente l’homme de la rue, un personnage lambda – mais aussi Magritte lui-même, qui dans les années 20-30, arborait ce costume, alors assez courant : Magritte se décrit donc en homme ordinaire.

 

L’assassin menacé crée un univers proche du film d’aventures fantastiques en en modifiant les codes : au lieu de se situer dans une ambiance et un décor oppressants, l’action se déroule dans un espace calme et bien éclairé. Qui sont les personnages qu’on voit par la fenêtre ? Des voisins, des voyeurs, ou plutôt les représentants de l’opinion publique, alarmés par le crime ? Et l’assassin lui-même, qui est-il ? Un sadique qui tue pour satisfaire ses impulsions, un amoureux qui a tué par passion – son attitude décontractée au moment où il devrait chercher à fuir est une énigme de plus. L’infortunée victime passe – c’est le cas de le dire – au second plan du tableau.

« Nougé a livré à son ami peintre un scénario détaillé qui s’intègre à l’univers psychique que ce dernier a déjà développé : un goût prononcé pour les arcanes du crime, une fascination pour la mécanique inconsciente de la sexualité qui lie le corps nu ensanglanté au paysage mental, une jubilation pour l’étrange » « A l’instar des hommes et des femmes qui fixent l’écran de cinéma, les trois figures tenues à distance derrière la balustrade, vivent des émotions fortes et populaires qui donnent à l’œuvre sa modernité. Celle-ci se construit sur le potentiel de “surprise” de l’image cinématographique. Magritte introduit le suspens en peinture. » (https://www.rtbf.be/culture/arts/detail_l-assassin-menace-invite-au-musee-magritte?id=7762953)

 

Avec L’Assassin menacé, Magritte a conçu un tableau qui constitue une séquence d’une histoire énigmatique (à reconstituer) – mais il ne reprendra plus ce procédé et  s’orientera vers des représentations décalées ou transformées de la réalité et des « images mentales ».

 

 

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René Magritte (1898-1967) saluant avec son  chapeau melon emblématique.

Photo de Duane Michals, Magritte Tipping Hat,  1965.

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns - Art Photography

https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/duane-michals-magritte-tipping-hat

 

 

 

Magritte exposera (dans une galerie de Bruxelles en 1927) L’Assassin menacé, avec une toile de même dimension, formant en quelque sorte un dyptique Le Joueur secret , qui  représente deux joueurs de base-ball au pied de quilles géantes et sous une tortue luth noire flottant dans l'air. Sauf le plaisir de déconcerter les spectateurs, il n’y a pas vraiment de relation entre la première toile et la seconde (bien qu’une femme masquée ou baillonnée, figure dans cette dernière, à droite du tableau, installée dans une sorte d’armoire, mais libre de ses mouvements) – et c’est bien L’Assassin menacé qui a gagné la célébrité et qui continue à fasciner le public.

En 2010 L’Assassin menacé a été prêté par le MOMA (The Museum of Modern Art) de New York. au Musée Magritte de Bruxelles pour quelques mois, durant lesquels il a été exposé  avec son pendant Le Joueur Secret.

 

 

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 L'Assassin menacé exposé au Museum of Modern Art de New York.

https://www.lecho.be/culture/marche-de-l-art/tous-les-ados-americains-ont-un-magritte-dans-leur-chambre/9401109.html

 

 

 

LE PEINTRE  ET  LE MODÈLE, L'HOMME ET LA GÉANTE

 

 

 Magritte a utilisé le thème de l'homme habillé et de la femme nue dans un tableau très adroit de 1928 intitulé La Tentative de l'impossible  : l'homme habillé est le peintre lui-même représenté en train de peindre non sur une toile mais dans la réalité, dans l'atmosphère en quelque sorte, et la femme nue, où il reste un bras à peindre,  représentée comme une créature partageant la même réalité ou atmosphère que le peintre, est sa femme Georgette.

On retrouve dans ce tableau le jeu qui deviendra habituel chez Magritte entre la réalité véritable (le modèle réel) et la peinture de la réalité, le modèle peint (Ceci n'est pas une pipe - puisque c'est l'image d'une pipe), en même temps qu'une réurgence du mythe de Pygmalion (la statue du sculpteur Pygmalion représentant une nymphe devient une personne réelle).. .

 

 

 

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 Magritte, La Tentative de l'impossibe (1928)..

Localisation de la toile ?

https://www.renemagritte.org/attempting-the-impossible.jsp

Courtesy of www.ReneMagritte.org

 

 

Une autre toile (assez peu connue) de Magritte, datant de 1929-31, montre une gigantesque femme nue par opposition à un tout petit homme habillé. La toile est justement titrée La Géante. La femme est en proportion de la pièce, banalement meublée, où elle se trouve (même si l'effet de perspective donne l'impression qu'elle est plus haute que la porte). Le spectateur hésite à conclure : la femme est-elle vraiment une géante, dans un environnement à sa taille, ou est-ce une projection psychologique de l'homme, qui la voit ainsi ?

Le tableau est divisé en deux parties : à gauche la partie proprement picturale, à droite sur fond noir, le texte du poème de Baudelaire qui a soit inspiré le tableau, soit en fournit un  commentaire, intitulé justement La Géante : 

 

« (...)

J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,
Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.

(…)

Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s'étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins

(…) »

 

On peut  prendre le tableau comme une métaphore d'un état psychologique, voire d'un complexe : l'homme, angoissé par la sexualité, voit la jeune femme comme une géante qui le domine,  et se sent comme un lilliputien... On remarquera que la nudité de la femme est soulignée par la représentation de la toison pubienne.

Le visage de la femme est peu avenant. Est-ce une façon de souligner que le désir sexuel est indépendant de la beauté  et qu'il suffit, pour le susciter, de la présence des caractères sexuels naturels, dépourvus de toute justification esthétique ? Au moins, le corps de la femme est représenté comme séduisant par sa sveltesse. 

 

 

 

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 René Magritte,  La Géante ("De Reuzin") (1929-1931), Ludwig Museum Köln (Cologne, Allemagne)

https://www.flickr.com/photos/hans_olofsson/7548328364

 

 

 

 

Mais le peintre qui va mêler sur ses toiles des  femmes nues et des hommes en costume noir et chapeau melon au point que cette association va devenir une caractéristique immédiatement reconnaissable de sa peinture, c’ est Paul Delvaux, autre grand artiste belge. Il en sera question dans notre prochain message.

 

 

 

 

 

 

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