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Le comte Lanza vous salue bien
30 juin 2022

QUI SE SOUVIENT DE ROGER PEYREFITTE ? ROGER PEYREFITTE ET LES AMITIÉS PARTICULIÈRES

 

 

 

QUI SE SOUVIENT DE ROGER PEYREFITTE ?

ROGER PEYREFITTE ET LES AMITIÉS PARTICULIÈRES

 

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

 

 

J’ai trouvé dans une boîte à livres une vieille édition de la collection J’ai Lu du livre de Roger Peyrefitte Les Amitiés particulières.

Il s’agit (sauf erreur) de la première édition en format de poche, datant de 1958. L’illustration de couverture présente un jeune garçon à mi-corps, le torse nu, manifestement l’un des protagonistes – il s’agit du jeune Alexandre lors d’une séance de baignade décrite dans le livre.

J’avais déjà lu Les Amitiés particulières il y a fort longtemps. Ma trouvaille m’a permis de relire ce livre, qui fut très célèbre et qui, comme son auteur, est aujourd’hui plutôt oublié : il est trop éloigné de ce qui intéresse nos contemporains. Au moment de sa parution et dans les années qui suivirent, on avait prédit pour ce roman, le premier de R. Peyrefitte, un statut de futur classique, ce que répète la 4ème de couverture de l’édition J’ai Lu. Les contemporains du livre se sont-ils trompés à ce point ?

                                                                                    

 

 

 

UN PENSIONNAT RELIGIEUX, VERS 1920

 

 

Malgré l’oubli (relatif) du livre et de l’auteur, je suppose qu’on connait l’histoire racontée par Les Amitiés particulières : dans un collège religieux (Saint-Claude, situé dans une région montagneuse – probablement les Pyrénées), à une époque qui n’est pas exactement précisée (on peut la situer dans les années suivant  la première guerre mondiale), le narrateur, un jeune pensionnaire de troisième* nommé Georges de Sarre, devient amoureux successivement d’un élève de son âge, et surtout d’un élève un peu plus jeune, Alexandre.

                                                                        * Le collège religieux, comme le lycée laïque de la même époque, comprend toutes les classes de la 6ème jusqu’à la terminale.

 

L’histoire d’amour entre Georges et Alexandre – amour chaste, est-il besoin de le dire – ne pourra pas rester secrète et se terminera en drame : les ecclésiastiques responsables du collège, qui veillent à interdire ce qu’ils appellent les amitiés particulières, en mettant un obstacle décisif à l’histoire d’amour entre Georges et Alexandre, pousseront ce dernier au suicide.

Le récit présente des aspects autobiographiques : Peyrefitte qui fut pensionnaire dans un établissement religieux dans le Sud-Ouest vers 1920, a utilisé forcément ses souvenirs en ce qui concerne l’atmosphère du collège et  les amitiés qui pouvaient y prendre place. On rapporte que Peyrefitte se lia avec un garçon plus jeune que lui mais l’histoire racontée par le livre, dans son développement tragique, n’a pas de caractère autobiographique. Il semble que l’ami de Roger Peyrefitte mourut à moins de 20 ans, mais il n’est pas question de suicide.

Si l’histoire se termine de façon dramatique, tout le déroulement est plutôt placé sous le signe d’une satire souriante des établissements religieux de l’époque et plus largement, du culte catholique.

Peyrefitte,  dans son premier livre, trouve ce qui sera sa marque par la suite, un regard ironique sur les individus et les institutions, porté par un narrateur déjà sceptique et « voltairien » – ce style de narration où les événements et les choses appellent des associations d’idées plaisantes et ironiques, finira par tomber, au fil des années,  de plus en plus dans la recherche du scandale pour le scandale, au point de décevoir nombre de ses admirateurs d’autrefois

Dans l’immédiat, Peyrefitte faisait des débuts qui le plaçaient aussi bien comme un romancier psychologue décrivant finement les états d’âme d’adolescents ou de pré-adolescents, que comme un satiriste décrivant le fonctionnement d’un établissement religieux et les travers (petits et grands) de ses responsables, officiellement irréprochables (mais faut-il se fier aux apparences ?), de même que les curiosités du culte.

 Peyrefitte se situait alors exactement dans la lignée de celui qu’il considérait dans son adolescence, comme un maître admiré, Anatole France, qui avait déclaré qu’il fallait juger les hommes au moyen de l’ironie et de la pitié (dans le roman, Georges de Sarre possède d’ailleurs la photo d’Anatole France dans son portefeuille).

 

 

 

RELIGION ET CULTURE CLASSIQUE

 

 

Toute la vie du collège est évidemment rythmée par les cérémonies du culte catholique, décrites ici avec souci du détail : ces cérémonies et les particularités d’un catholicisme encore prédominant (mais plus vraiment triomphant),  nous donnent l’idée de l’évolution des temps Presque rien ne surnage aujourd’hui, pour le commun du public, des institutions et pratiques décrites dans le roman : congrégation des enfants de Marie,  indulgences, scapulaires et médailles bénites, etc. Elles ne survivent guère, probablement, que dans le milieu très restreint du catholicisme traditionaliste. Evidemment les offices religieux sont dits en latin à l'époque. La règle des couleurs liturgiques existe toujours, mais combien de fidèles - bien moins nombreux qu'autrefois -  pourraient en donner l'explication ?

Une autre considération qui révèle un abîme entre l’époque décrite et la nôtre, est la culture que possèdent les protagonistes, bien différente de celle d’un lycéen actuel. Georges de Sarre, à moins de 15 ans, a  des connaissances assez approfondies sur l’histoire littéraire : lorsque le supérieur,  qui dirige une sorte d’académie littéraire composée par les meilleurs élèves (l’appartenance à cette académie est très convoitée), choisit comme thème d’un exposé l’Hôtel de Rambouillet, Georges de Sarre n’est pas enthousiasmé mais il sait tout de suite de quoi on parle et évoque par exemple La Guirlande de Julie*.

                                                                                        * L’Hôtel de Rambouillet, une résidence aristocratique dans le quartier du Marais, était vers le milieu du 17ème siècle, le principal lieu de réunion des écrivains dits « précieux » - La Guirlande de Julie est un ouvrage collectif composé de poèmes en l’honneur d’une des « précieuses », Julie d’Angennes.

 

De même, à la fête des Rogations, il déclare qu’il ne savait de cette fête que ce qu’il avait lu dans Le Génie du Christianisme de Chateaubriand.

Les élèves décrits par Peyrefitte, appartenant certes à un milieu bourgeois, ont une culture très différente des élèves d’aujourd’hui – qui en échange, connaissent sans doute plus de choses dans des domaines qui n’existaient même pas à l’époque du roman. En outre, Georges de Sarre est plus intéressé sans doute que la moyenne par la littérature, car il se rêve grand écrivain plus tard, et se voit en membre de l’Académie française.

La culture privilégiée par les enseignants est essentiellement la culture classique (celles du 17ème siècle considérée comme l’apogée de la civilisation française). Explicitement, le supérieur, grand admirateur de Bossuet, lie ensemble la religion, le classicisme  et le patriotisme ; sur son coupe-papier, fait dans un éclat d’obus, est inscrite la devise Dieu et la France (nous sommes après la première guerre mondiale, toutefois les réminiscences patriotiques de l’époque sont rares dans le roman) et devant les élèves, il fait l’éloge de la culture classique qui aide notre pays à gagner des victoires ou à se relever de ses défaites.

 

 

 

L’AMOUR DIVIN ET L’AMOUR DES CRÉATURES

 

 

 

Au pensionnat, les élèves, soumis à la discipline à la fois scolaire et religieuse (ils assistent aux messes et à toutes les cérémonies, se confessent fréquemment et communient tout aussi fréquemment, après avoir - du moins en apparence – confessé leurs pêchés et idées malsaines) se trouvent dans une situation paradoxale :  à tout moment on leur parle de l’amour divin, souvent dans des termes proches de l’effusion sentimentale,  et on leur interdit toute relation sentimentale avec leurs camarades, ce que les religieux appellent les amitiés particulières, car comme le rappelle l’un des ecclésiastiques, citant Bourdaloue, la sensibilité se change aisément en sensualité

Or, l’âge des élèves (qui atteignent pour certains la puberté) implique forcément la découverte, sous une forme ou une autre, de la sexualité, même si elle est dérivée (chez certains) vers un attachement sentimental et plus ou moins chaste pour un partenaire. L'attraction naturelle de la sexualité va donc entrer en contradiction avec les règles imposées par les éducateurs.

Peu de temps après son arrivée au collège Saint-Claude, Georges de Sarre (qui vient d’un lycée public, ses parents ayant estimé qu’aucune éducation n’est complète sans passage par les contraintes de l’internat) est frappé par le double sens que peuvent présenter les paroles des chants religieux, comme :

« Viens, Esprit d’amour,

Descend aujourd’hui dans mon âme (…)

Elle est à toi sans retour »

qualifiées par lui de « paroles étranges ».

Le prédicateur de la retraite de rentrée utilise aussi un langage qui pour les jeunes esprits (au moins certains d’entre eux) peut présenter un double sens, spirituel ou amoureux : « … vous pouvez dire dès ici-bas le mot de l‘Imitation [L’Imitation de Jésus Christ] en vous unissant à sa divinité par l’eucharistie : « Tu es véritablement mon bien-aimé »

Si l’amour tient une grande place dans le discours religieux, la place de la beauté n’est pas moindre : « « Quelles curieuses histoires, celles du prédicateur. Toujours il y était question de la beauté, ainsi que dans l’histoire grecque ».

Au-delà de la religion, il semble au narrateur que la culture classique, en honneur dans l’établissement religieux, exalte aussi la beauté physique et l’amour fondé sur l’attirance physique pour les beaux corps.

Le jeune Georges est ému jusqu’aux larmes par l’histoire de Nisus et Euryale, dans l‘Enéide de Virgile, deux beaux jeunes gens qui se sacrifient l’un pour l’autre : « il n’aurait jamais cru avoir envie de pleurer en traduisant du latin ».

 

La cousine de Georges de Sarre qui vient occasionnellement en visite chez ses parents lors des vacances scolaires, souligne, avec un cynisme qui est bien plus « peyrefittien » que propre à une jeune fille de bonne famille, les  particularités    de la vie de collège : «  elles [les cousines] se montrèrent curieuses des mystères de son collège.

-         Tout ce que je puis vous en dire, répliqua Georges, c’est qu’ils ressemblent à ceux de Mithra (voyez dictionnaire) : les femmes en sont exclues.

-         Moins peut-être que tu ne l’avoues, répondit Liliane : les uns pensent à elles, les autres les remplacent »

 

 

 

LE CULTE DE LA BEAUTÉ

 

 

Georges de Sarre voit bien que certains de ses camarades se flattent d’amours extérieures avec des filles – mais à son âge, il semble n’avoir aucune appétence pour le sexe féminin ; sans le dire, a-t-il conscience qu’il fait déjà partie de ceux qui ne peuvent aimer que dans leur propre sexe ?

Déjà, peu de temps après la rentrée, il éprouve des sentiments pour un camarade de son âge, Lucien. Il découvre avec irritation que ce dernier a une relation (pas si chaste, mais jusqu’où va-t-elle ? Pas très loin, on peut penser) avec un certain André. Georges de Sarre, qui se flatte d’être gentilhomme (son père est marquis), va pourtant faire le contraire de ce qu’on attend d’un gentilhomme. Il dérobe un poème d'André destiné à Lucien, et le fait parvenir au supérieur du collège : en conséquence, André est exclu de l’établissement pour avoir entretenu une « amitié particulière ». Georges croit qu’il pourra alors aimer sans concurrence Lucien, mais ce dernier passe par une phase de dévotion exagérée et de pureté excessive, avant d’admettre qu’il est toujours amoureux d’André et d’espérer le revoir en-dehors du collège. Georges se contente alors d’avoir Lucien comme ami, et son attention se tourne vers un collégien plus jeune qui fait partie de la division des petits, Alexandre.

Georges est immédiatement attiré par Alexandre, « un enfant d’une extraordinaire beauté », qui évoque pour Georges l’idéal de la beauté des Grecs, auquel il est sensible (il a dans son portefeuille une photographie d’un Amour de Praxitèle).

Alexandre (un nom qui évoque la Grèce également et la beauté célèbre d’Alexandre le Grand), a 12 ans et demi, mais la différence d’âge (Georges a 14 ans et en aura 15 à la fin de l’’année scolaire - et du roman) est suffisante pour que Georges le désigne souvent comme « l’enfant » : Georges a conscience d’une transgression en aimant un enfant de la division des petits,  qui préfigure évidemment ce que sera plus tard, l’attirance de Roger Peyrefitte pour des partenaires beaucoup plus jeunes que lui ; comme son ami Henry de Montherlant, Roger Peyrefitte sera non pas un homosexuel, mais un « pédéraste », qui aime les adolescents ou pré-adolescents.

 

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Georges et Alexandre se retrouvent dans la serre du pensionnat. Les Amitiés particulières, illustration de Gaston Goor pour une édition de luxe du livre en 2 volumes, 1953, éditions Flammarion. Gaston Goor (1902-1977) est un peintre, illustrateur et sculpteur français dont l’œuvre, très orientée sur des thèmes pédérastiques ou homosexuels, est restée relativement confidentielle (Wikipédia).

Site Homo fabula - https://homofabula.blogspot.com/2017/05/front-free-endpaper-gaston-goor.html (ce site présente la totalité des illustrations de l'édition illustrée).

 

 

 

« LES CHOSES QU’IL NE FAUT PAS SAVOIR »

 

 

Après des manœuvres d’approches compliquées, Georges finit par lier connaissance avec Alexandre et à engager avec lui une amitié sentimentale partagée. La différence d’âge va jouer dans le sens que c’est le plus jeune qui va avoir la conception la plus exigeante de l’amour (puisqu’il s’agit d’amour) tout en restant chaste.

Dans cet univers rigide et codifié, les occasions de contact sont rares mais ce sont les cérémonies du culte elles-mêmes qui permettent parfois de telles occasions – souvent limitées au regard ; l’amour se construit à partir de contacts distants et rares, d’autant plus précieux.

 Pour ceux qui savent se débrouiller, il semble possible de « filer le parfait amour » avec la complicité (involontaire) des institutions. C’est la remarque que fait, au début de l’histoire, avec agacement, Georges de Sarre voyant Lucien, pour qui il a une attirance, servir la messe avec son « amoureux » en titre, André (celui que Georges fera exclure de l’établissement par une dénonciation anonyme) : « « André avait pour lui l’ordre établi et toutes les ressources du collège savamment exploitées ».

Plus tard, c’est à son tour que Georges bénéficie de ces ressources : « Il se plaisait à trouver dans la liturgie quotidienne un aliment de tendresse …  les choses divines étaient à présent humaines » ; « ... la chapelle tenait désormais la place d’honneur dans sa vie ». « Maintenant, rien ne lui était plus délectable que les cérémonies du dimanche ». En effet, c’est au cours de ces cérémonies qu’il peut se repaître de la vue de l’être aimé, le jeune Alexandre, et obtenir de lui les premiers signes que son amour est agréé.

 Car l’amour (ou l’amitié amoureuse) entre Georges et Alexandre restera « pur »  -  donc, quasiment sans aspect charnel; pourtant Georges est attiré physiquement par le jeune garçon, mais sans se permettre de céder au plaisir des sens. Son attirance pour la beauté se confond avec une affection profonde pour son ami.

Le dialogue à un moment du récit entre Alexandre et Georges indique la volonté de ce dernier de maintenir son amour dans des régions où le désir physique n’a sinon aucune part, du moins le moins de part possible :

« Alexandre prononça lentement ces mots :

-         Georges, sais-tu les choses qu’il ne faut pas savoir ?

-         Oui, je les sais.

-         Est-ce qu’elles t’intéressent ?

(…) Du même ton grave, il répondit :

-         Non, ces choses-là ne m’intéressent pas.

Alexandre est rassuré. « J’avais beau t’aimer, je me demandais ce que tu voulais de moi ».

Pourtant les deux personnages ne sont pas de purs esprits et leur amour n’est pas l’amour divin des jeunes saints dont on leur rebat les oreilles. Mais Georges fait sienne la parole de l’Evangile : « Malheur à qui scandalise un enfant ». Georges  est conscient que son amour ne se situe pas complètement du côté de la pureté : il veut seulement qu’il se situe   « à égale distance du bien et du mal ».                 

Ils ont échangé leur sang, se considérant comme liés pour la vie : « Leur amitié était devenue une religion ». 

 

 

 

ENTRE SENTIMENTS ET SENSUALITÉ

 

 

Pour les deux protagonistes,  l’aspect physique de l’amour (hormis le culte de la beauté physique) se situe du côté du mal –  mal sans doute nécessaire et inévitable, mais mal quand même ; on peut y voir la marque d’une époque et d’un milieu (le milieu de la bourgeoisie catholique) ; on peut s’étonner que l’idée d’une relation entre jeunes gens du même sexe n’apparaisse pas (aux yeux au moins du plus âgé) comme « anormale », compte-tenu des préjugés de l’époque ; mais ce sont au contraire les relations avec le sexe opposé qui apparaissent à Georges comme un peu dégoûtantes, lorsqu’il entend certains de ses camarades se vanter. La pureté, pour lui, se trouve dans une relation entre garçons, si elle reste dans certaines limites.

 

Lorsque Lucien, plus déluré, demande à Georges s’il a déjà embrassé Alexandre, Georges répond : « Non pas de baiser. Ce n’est pas obligatoire, je suppose ». « Tu verras bien ! On commence par le sentiment et on en vient peu à peu aux sensations »,  répond Lucien, qui rappelle la sentence de Bourdaloue citée par leurs enseignants. Leur seul baiser est public, lorsqu’ils sont reçus comme enfants de Marie : « Sous le regard du père Lauzon [un de leurs enseignants, directeur de la congrégation], Georges échangea avec Alexandre impassible un  saint baiser de paix ».

 

On peut penser que leur amour (contrairement à ce qui est suggéré de l’amour entre Lucien et André – sans qu’on sache précisément jusqu’où va l’ intimité physique de ces derniers) reste pur en raison de la différence d’âge entre Alexandre et Georges – mais pourrait-il se maintenir ainsi pendant longtemps ? Peyrefitte ne répond pas à la question,  car en fait, il n’y a pas d’avenir pour cet amour comme le récit va le montrer.  Y aurait-il un avenir, il semble évident que la puberté jouerait son rôle. Dans l’immédiat, Georges, l’aîné, s’estime obligé à respecter la pureté de son compagnon plus jeune que lui.

L’obligation de  cacher leur relation irrite le jeune Alexandre  : « Parce qu’ils appellent nos plaisirs une tare, ils se croient le droit de nous en priver ». « Parce que nous sommes des enfants, aurions-nous toujours tort ? Les enfants (...) seraient-ils les seuls à n’avoir pas le droit d’aimer ? »

Mais ici, est-il vraisemblable qu’Alexandre parle de « plaisirs » pour un amour qu’il ressent comme extrêmement pur ? C'est plus Roger Peyrefitte adulte qui s'exprime ici, qu'un pré-adolescent de 12 ans.

Georges a lu dans le Cantique des cantiques que « l’amour est fort comme la mort » - mais il ne se doute pas encore qu’il y a entre l’amour et la mort des correspondances.

 

 

 

UN ECCLÉSIASTIQUE ATYPIQUE : LE PÈRE DE TRENNES

 

 

Dans le cours du récit apparait le personnage du père de Trennes.  C’est un ecclésiastique assez jeune encore, qui tranche sur les autres membres du collège par son allure soignée, toujours rasé de près et vêtu d’une soutane du grain le plus fin. Il est archéologue et pour prendre un peu de repos, il est venu au collège Saint-Claude où on échange de l’hébergement, il exerce les fonctions modestes de surveillant : c’est notamment lui qui surveille le dortoir la nuit, où bien des choses peuvent se passer. Son aptitude d’archéologue, selon lui, le met à même d’apercevoir ce qu’on souhaite lui cacher : « … j’applique ma science à la vie.  Ici, à un geste, à un coup d’œil, avec  un rien, je reconstitue et je déchiffre les secrets de chacun ». 

Dormant très peu, iI ne met pas longtemps à s’apercevoir que Lucien et Georges ont des entretiens la nuit – et il s’invite carrément dans leurs entretiens, ou bien les invite à rejoindre sa chambre où il leur offre liqueur et cigarettes.

Dans ses déclarations, il prétend agir pour leur bien, mais ses discours à double sens mettent sur leurs gardes les jeunes gens, de même que ses invitations insolites (et parfaitement hors règlement). Le père de Trennes déconcerte les  élèves par ses attitudes changeantes du tout au tout (il passe de la complicité à la sévérité). Enfin que penser de la façon dont il s’approprie les pyjamas déjà portés de Georges et Lucien sous le prétexte de leur en donner d’autres ?

Le père de Trennes exige de Lucien et surtout de Georges une franchise totale, bien persuadé qu’ils ne disent pas tout (en fait rien) à leur confesseur de ce qui les préoccupe. Il ne met pas longtemps à comprendre que Georges est secrètement amoureux d’Alexandre. Il propose - de façon indirecte – de veiller sur cet amour afin que celui-ci reste pur. Sa connaissance de la Grèce, présentée comme le pays où la beauté physique – des hommes, des paysages – s’allie à la beauté intellectuelle, exerce une attraction sur Georges, qui pourtant ne peut faire confiance à ce personnage énigmatique, capable d’espionner les élèves et de fouiller leurs affaires personnelles, qui enfin avoue à mots couverts ses attirances tout en affirmant les dominer: « Je sais rester sur ma faim et sur ma soif ».

Quand Georges voit que son amour pour Alexandre est connu du père de Trennes et qu’il est en quelque sorte prisonnier du bon -vouloir de celui-ci, il décide de se débarrasser de lui. Il a vu que le père de Trennes invitait d’autres garçons dans sa  chambre, la nuit. Une nuit, Georges quitte silencieusement le dortoir et tape à la porte du supérieur – quand ce dernier finit par ouvrir, il trouve sur le seuil un message lui demandant de venir sans tarder à la chambre du père de Trennes.

Le supérieur arrive et découvre de Trennes fumant avec un jeune élève (le frère aîné d’Alexandre). Les explications du père de Trennes ne tiennent pas et dès le lendemain, il doit quitter l’établissement. Quelque peu honteux de ce qu’il a fait, Georges se refuse à « enfoncer »  le père de Trennes par des révélations supplémentaires.

A la fin du livre, revenant mélancoliquement sur tous ces événements, Georges estimera que le père de Trennes avait du zèle pour la pureté, mais que cela n'excluait pas d'autres préoccupations. *.

                                                                                              * Le père de Trennes réapparaîtra dans d’autres livres de Roger Peyrefitte.

 

 

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Georges et Lucien, son camarade de classe et de dortoir, lui aussi adepte des amitiés particulières, servent la messe pour le père de Trennes.

Les Amitiés particulières, illustration de Gaston Goor pour une édition de luxe du livre en 2 volumes, 1953, éditions Flammarion.

Site Homo fabula - https://homofabula.blogspot.com/2017/05/front-free-endpaper-gaston-goor.html 

 

 

DES COMPLICATIONS RIDICULES LORSQU’ELLES NE SONT PAS GRAVES

 

 

Les responsables du pensionnat (hormis évidemment l’ambigu père de Trennes) sont présentés par le narrateur  comme assez naïfs  en ce qui concerne les pensées profondes et quelquefois les actes de leurs élèves. Ils invitent ceux-ci à se confesser fréquemment et pensent que lors des confessions, les élèves sont sincères, ce qui n’est pas le cas – du moins c’est ce que pense Georges : mentir lors des confessions était pour les élèves, « un moyen de vive en paix, sinon avec leur conscience, du moins avec leurs maîtres ».

Les ecclésiastiques veulent contrarier les amitiés particulières qui sont toujours susceptibles d’évoluer vers l’amour physique (et donc le mal) mais aussi , même si elles restent dans le seul domaine du sentiment, sont susceptibles d’éloigner les élèves des obligations morales de la religion et du travail scolaire – peut-être aussi pensent-ils que ces amitiés risquent d’écarter les jeunes gens de la voie dite normale  (mais ce n’est pas dit) ? Aussi ont-ils tendance d’abord à les ridiculiser quand elles concernent des relations entre des élèves qui n’ont pas le même âge : les éviter « est le meilleur moyen d’éviter des complications, qui, lorsqu’elles ne sont pas des plus graves, sont au moins ridicules », dit le père Lauzon.

 

Pour les élèves qui ont pris le chemin de ces amitiés, la position des bons pères est suspecte ; ne sont-ils pas tout simplement jaloux ? « Voilà ce qu’il en coûte d’aimer quelqu’un chez les bons pères. Je crois qu’ils sont jaloux, c’est l’éternelle histoire du « renard ayant la queue coupée » (André, renvoyé pour amitié particulière, dans une lettre à son ami Lucien).

Tout pourrait aller pour le mieux pour Georges et Alexandre. La fin de l’année scolaire approche : Georges, élève brillant, a remporté un grand nombre de prix,  et se réjouit de penser que l’année suivante, Alexandre et lui  seront dans la même division, celle des grands, ce qui rendra leurs contacts plus faciles.

 

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 Le livre dans l'édition J'ai Lu, en 1958, couverture de Benvenuti.

 Vente e-bay.

 

 

 

CATASTROPHE

 

 

C’est alors que survient la catastrophe : le père Lauzon surprend dans une cabane Georges et Alexandre, allongés l’un près de l’autre – parfaitement chastes – et fumant des cigarettes. Il y avait déjà eu des alertes sur leurs relations dont Georges s’était tiré assez facilement, mais il est impossible de nier que  les deux garçons ont une « amitié particulière ». Le père Lauzon va donc tout faire pour les séparer définitivement. Finalement, Georges n’est pas exclu du pensionnat pour l’année prochaine comme il le redoutait, mais c’est Alexandre et son frère qui le sont. Georges et Alexandre devront trouver d’autres moyens pour se revoir que le pensionnat, ce qui ne semble pas compliqué.

Dès lors, Georges se félicite de son année passée à Saint-Claude, qui contrairement à ce qu’il avait pensé d’abord, fut une année de liberté et l’avait enrichi plus que ses années de lycée, en raison de « ce mélange perpétuel de sacré et de profane qui donnait aux moindres choses un reflet particulier (…) la « vie spirituelle intense » que l’on menait publiquement, alimentait une autre vie, d’autant plus intense qu’elle devait se cacher ».

 

Georges, plus souple, a confessé au père Lauzon tout ce qu’il voulait sur sa liaison avec Alexandre (y compris des turpitudes – lesquelles ?), paraissant ainsi se repentir pour endormir la confiance du prêtre. Mais Alexandre, plus jeune et convaincu de son innocence, refuse tout repentir. Le père Lauzon  force alors George à lui remettre  tous les messages reçus d’Alexandre ; le prêtre les rendra à ce dernier, geste symbolique qui signifie que leur liaison est terminée. Georges accepte, tout en prévoyant d’écrire à Alexandre pour lui dire que leur relation continue et qu’il ne faut pas se fier à son geste, qui lui a été imposé.

Alors qu’il est revenu dans sa famille – c’est  le début des vacances – Georges lit dans le journal qu’Alexandre est mort après avoir absorbé – par erreur ? – un produit toxique. Il ne doute pas qu’il se soit suicidé en apprenant leur (fausse) rupture.

 

 

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Alexandre et Georges surpris par le père Lauzon dans la cabane. Illustration de Gaston Goor pour une édition de luxe du livre en 2 volumes, 1953, éditions Flammarion.

Site Homo fabulahttps://homofabula.blogspot.com/2017/05/front-free-endpaper-gaston-goor.html 

 

 

 

 

« JE L’AIMAIS PLUS QUE VOUS »

 

 

Il reçoit alors la visite du père Lauzon qui lui raconte sa dernière entrevue avec Alexandre, juste avant son geste fatal. Le prêtre est aussi désespéré que Georges, d’autant qu’il se sent en partie responsable de ce qui est arrivé. « Je l’aimais plus que vous », dit-il à Georges. Il déclare qu'il a été dur, mais c'était pour protéger la pureté d'Alexandre (encore la pureté !) qu'il espérait un jour diriger vers la vocation religieuse.

Il remet à Georges une photographie d’Alexandre qu’il avait prise alors que l’enfant était endormi. Georges comprend alors « que cet homme avait véritablement aimé Alexandre ».  Mais quel sens faut-il donner au mot « aimer » ? Le prêtre et Georges prient ensemble dans une église avant de se séparer.

Resté seul Georges prend conscience que désormais Alexandre vivra avec lui, en lui, pour toujours.

 

Le livre terminé, le lecteur peut se poser des questions – sans trouver une réponse définitive. Qui porte la responsabilité du drame ? Les adultes ont-ils raison de vouloir empêcher les amitiés particulières, ou bien est-ce justement leur attitude qui a causé le suicide d’Alexandre ? Georges est-il coupable d’avoir fait partager une histoire d’amour à un garçon trop jeune  pour résister à un chagrin d’amour ? Georges se rend compte de ces ambivalences  lors de son entrevue avec le père Lauzon : « Les sentiments du prêtre ne pouvaient-ils, d’une certaine façon, valoir les siens ? (…)  Pour Georges, Alexandre était mort parce qu’il y avait eu ce prêtre, et pour ce prêtre, parce qu’il y avait eu Georges ».

Finalement, la mort d'Alexandre est peut-être due à une fatalité inévitable, au-dessus des responsabilités humaines  : « Ils n’avaient fait que suivre leur destin. Les décisions et les actes leur avaient échappé »

 

 

 

 

UN JEUNE DIPLOMATE IMPRUDENT

 

 

Lorsque Roger Peyrefitte publie Les Amitiés particulières, qui est-il ?

C’est un jeune bourgeois (et non un aristocrate comme son personnage Georges de Sarre), originaire du Sud-Ouest. Pendant qu’il était pensionnaire dans un établissement similaire à Saint-Claude (vers 1920 donc) il écrivit une lettre à l’auteur qu’il admirait, Anatole France. Peu importe que celui-ci, semble-t-il, ait rangé sa lettre parmi celles inintéressantes, auxquelles il était inutile de répondre.

Puis Peyrefitte vint à Paris pour ses études à l’école libre des Sciences politiques ; cet ancêtre de Sciences Po n’était pas encore le temple du progressisme qu’est devenue l’actuelle école. Les plus brillants des élèves – souvent nantis de noms à particule - se destinaient à la diplomatie qu’on appelait avec complaisance « la Carrière ». Peyrefitte passa donc le concours des affaires étrangères et se retrouva attaché d’ambassade à Athènes – le pays de son cœur, car Roger Peyrefitte était autant admirateur de l’art de la Grèce antique – qu’il réduisait peut-être exagérément au culte de la beauté physique, que sympathisant des mœurs grecques qu’il réduisait aussi, encore plus exagérément, à l’homosexualité et à l’amour des éphèbes. Car depuis ses années scolaires, Peyrefitte avait découvert que l’amour des femmes – bien qu’il y ait cédé parfois – n’était pas pour lui.

Après un incident scandaleux à Athènes, causé par son goût des jeunes gens, Peyrefitte rentra en France pour continuer ses fonctions à l’administration centrale du Ministère. Sa carrière diplomatique était entachée d’une aventure déplaisante mais pas compromise réellement. A Paris, avec son ami Montherlant, Peyrefitte draguait les jeunes garçons et les relations avec eux n’avaient plus rien de chaste.

Lorsque la guerre éclata, et que survint l’armistice de juin 1940,  Peyrefitte suivit son ministère à Vichy où toutes les administrations se rassemblaient. C’est là qu’un nouvel incident mit fin à la première partie de sa carrière administrative.

Des policiers le surprirent (peut-être alors qu’il draguait un garçon ?) – interrogé sans ménagement, il entendit les policiers lui dire : « c’est à cause de gens comme vous qu’on a perdu la guerre »*. On lui mit en mains le marché : ou démissionner ou être révoqué (avec peut-être des poursuites judiciaires en plus).

                                                                                         * A peu près au même moment, son ami Montherlant, arrêté à Marseille pour une affaire de moeurs semblable et malmené par les policiers, entend aussi le même langage.

 

Peyrefitte démissionne mais grâce à quelques appuis, il est réintégré vers 1943 dans la fonction publique et sert, en pleine collaboration, à l’antenne du ministère des affaires étrangères à Paris. Apparemment indifférent aux questions politiques du moment, il indispose (selon lui) certaines personnes du ministère qui ont pris parti pour la Résistance*.  A la Libération, il est révoqué, suspect de collaboration**. Mais sa carrière littéraire vient de commencer.

                                                                                                               * Notamment Suzy Borel, qui épouse par la suite Georges Bidault, un des chefs de la Résistance et futur président du conseil; selon Peyrefitte, elle lui en voulait pour des raisons politiques mais surtout personnelles. Peyrefitte, dans ses écrits, ridiculise l'action résistante de Suzy Borel et des ses amis qui consistait en peu de choses.

                                                                                          ** Il semble que pas mal d’années après, la décision de révocation prise à la Libération a été annulée par le Conseil d’Etat  pour irrégularité – Mais R. Peyrefitte a-t-il été indemnisé, faute de pouvoir être réintégré dans l'administration ?

 

 

 

  COUP D’ÉCLAT EN 1945

 

 

En 1943, il a achevé Les Amitiés particulières, qu’il fait publier (dès cette année) par l’éditeur Jean Vigneau, qui s’est établi à Marseille. En 1945, le livre est en piste pour le Prix Goncourt (au titre de l’année 1944, où le prix n’a pas été remis) ; il fait figure de favori.

Mais peut-être pour des raisons politiques, le choix de la majorité des jurés Goncourt se porte sur Le Premier accroc coûte 200 francs*, d’Elsa Triolet, la compagne d’Aragon, tous deux figures éminentes du  Parti communiste, à ce moment très influent. Le jury  - dont certains membres n’ont pas forcément été favorables à la Résistance - hésite peut-être à couronner un auteur exclu de l’administration par les épurateurs et préfère jouer la bonne carte.

                                                                                            * Recueil de nouvelles ayant comme thème la Résistance ; « Le titre fait référence à la phrase codée « Le premier accroc coûte 200 francs » qui annonçait le débarquement de Provence » (Wikipédia).

 

Le critique littéraire du Monde, l’académicien Emile Henriot, écrit : « L'académie Goncourt, cette année, avait le choix. Elle pouvait découvrir un auteur inconnu, pourvu de grandes qualités littéraires, M. Roger Peyrefitte, et le couronner pour son premier roman, Les Amitiés particulières, dont le sujet est spécieux et qui a déjà des lecteurs; elle a préféré consacrer la réputation acquise de Mme Elsa Triolet, et ce choix qu'on pouvait prévoir ne causera pas de scandale ».

Le livre de Jean-Louis Bory Mon village a l’heure allemande, reçoit  le prix 1945.

Selon ce que Peyrefitte raconte, le président de l’académie Goncourt, Lucien Descaves, était un ferme soutien de son livre et fut ulcéré par le vote en faveur d’Elsa Triolet*.

                                                                                            * Lucien Descaves (1841-1949), écrivain et journaliste, d'esprit libertaire; il  fit ses débuts dans le sillage de Zola. Auteur notamment des Sous-offs (livre qui lui valut un procès pour injures à l'armée et outrages aux bonnes mœurs en 1889), de Philémon, vieux de la vieille (enquête sur les anciens communards survivants). Il est probable que l'anticonformisme et le refus de s'aligner sur une opinion dominante rapprochait Descaves de Peyrefitte.

 

Comme consolation, Peyrefitte obtient la même année 1945 le Prix Renaudot, lui aussi décerné au titre de l’année 1944 (tandis que Henri Bosco obtient le prix 1945 pour Le Mas Théotime).

Peut-être aidé par ces polémiques, le livre de R. Peyrefitte est un succès.

 

 

 

ÉLOGE DE L’ÉDUCATION  CATHOLIQUE, PAR M. ROGER PEYREFITTE

 

 

A l’occasion de la publicité faite à son livre à ce moment,  Roger Peyrefitte est interrogé par l’hebdomadaire Clartés dans un numéro de juillet 1945 *

                                                                                          * Clartés (à ne pas confondre avec des publication successives dénommées Clarté au singulier, liées au parti communiste) se présente comme «  l'hebdomadaire de combat pour la résistance et la démocratie » ; son directeur politique est Georges Izard, un homme politique et avocat, ancien député socialiste, un des fondateurs de la revue Esprit. Il fonde après-guerre l’UDSR, un parti où on retrouve François Mitterrand, René Pleven, Edgar Faure, etc, et un mouvement en faveur des Etats-Unis d’Europe, avant de se consacrer à sa carrière d’avocat. Académicien français en 1971.

 

Le journaliste lui demande si le récit était autobiographique. Peyrefitte déclare avoir été témoin, mais non acteur d’une histoire semblable : « J’étais dans un de ces collèges quand arriva un événement bouleversant : le suicide d’un enfant en état d'amitié particulière avec un de ses aînés. Vous imaginez facilement la répercussion de cette mort dans mon esprit et le trouble où fut plongé le collège entier. (…) Le souvenir de ce drame, dont j'avais été le témoin passionné, restait au fond de moi … ».

Le journaliste écrit : «  J’en viens naturellement à demander à l’auteur si son livre doit être lu comme une condamnation formelle de l’enseignement religieux:
— Absolument pas, répond-il en s'animant. Si j’avais des enfants, je les mettrais dans un collège comme celui-là. J’aime la poésie du symbole, le mysticisme et la grande retenue qu’on y enseigne aux enfants. Mais un tel système d’éducation ne peut convenir qu’à une nature d’élite. Peyrefitte pense que « ces amitiés si combattues (…) sont aussi celles qui peuvent forger de très grands caractères. L’espèce de supériorité de cette éducation réside dans cette excitation-exaltation plus ou moins sensuelle. Au fond, c’est un enseignement hardi. Les Pères, pour entretenir une atmosphère exaltante, n’hésitent pas à provoquer des crises. Chez Trennes, on trouve l’exagération de ces méthodes ; pourtant, Trennes n’est pas un faux prêtre … »

Peyrefitte s’inquiète aussi : n’a-t-il pas fait parler ses élèves de façon trop recherchée pour leur âge ? Le journaliste le rassure : « Leur emphase vient tout naturellement de l’enseignement très littéraire qu’ils reçoivent et de la noblesse naturelle des jeunes garçons qu’on tient écartés de toute vulgarité ».


A la fin de l’entretien, Peyrefitte déclare : « Tant que la France existera, elle ne vaudra, dans le monde, que par sa littérature. », mots auxquels « la qualité d’ancien diplomate de Peyrefitte donne un poids particulier », selon le journaliste. On notera au passage qu’il n’est pas question de la situation administrative de Peyrefitte, épuré après la Libération. De même Peyrefitte déclare dans l’interview qu’il a eu pour son livre les conseils de Benjamin Crémieux (célèbre critique juif, résistant, mort en déportation) et d’André Gide *– il mentionne aussi une conversation avec Francis Crémieux (fils de Benjamin, journaliste et résistant communiste) : des personnalités  irréprochables politiquement, qui ne sont sans doute pas citées par hasard…

                                                                                          * Qui lui aurait dit : on lira encore Les Amitiés particulières dans 100 ans.

 

Ainsi, malgré la fin des Amitiés particulières qui semble donner un démenti à l’opinion favorable exprimée – avant le suicide d’Alexandre – par le narrateur, sur son année passée à Saint-Claude, Peyrefitte justifie l’enseignement religieux par un raisonnement paradoxal : celui-ci développe une ambiance « plus ou moins sensuelle » qui est un terrain favorable aux natures d’élite. Pour un peu, il dirait que les prêtres favorisent les amitiés particulières tout en ayant l’air de les combattre. Evidemment cette opinion n’est qu’à demi-sincère : Peyrefitte justifie les amitiés particulières par des raisons utilitaires – leur rôle supposé positif dans l’éducation - alors que sa véritable conviction  est que les enfants ont le droit de vivre leur vie amoureuse ; mais le dire choquerait l’opinion commune de l’époque.

 Dans cet entretien, Peyrefitte apparait ici tel qu’il sera dans le reste de sa carrière – littéraire ou médiatique – un esprit paradoxal pour qui la tradition n’est pas l’ennemie de l’anticonformisme et de l’individualisme

 

 

 

LE SUCCESSEUR DE VOLTAIRE OU UN AMATEUR DE SCANDALES ?

 

 

 

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Roger Peyrefitte  vers 1950.

https://www.babelio.com/auteur/Roger-Peyrefitte/3605

 

 

 

La carrière de Peyrefitte se poursuit d’abord par des ouvrages de facture classique*.

                                                                                                 * La mort d’une mère, L’Oracle (qui se déroule en Grèce), ou le récit de voyages Du Vésuve à l’Etna, qui fut récompensé en Italie et exprime l’amour de Peyrefitte pour les gens et les paysages d’Italie.

 

 

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Roger Peyrefitte chez lui. Photographie de Willy Rizzo (1961). L'intérieur de Peyrefitte, avec ses éditions rares et ses meubles anciens, qui fait penser à une boutique d'antiquaire, est illuminé dans une harmonie de rouges par la présence de mannequins du couturier Balmain, tandis que Peyrefitte en robe de chambre et chaussettes tirant sur le violet évoque un dignitaire de l'Eglise dans un décor quelque peu romain. Willy Rizzo (1928-2013) qui était  également designer, fut un des grands représentants de la photographie (de mode et d'actualité) au 20 ème siècle, à cheval sur la France et l'Italie.

Willy Rizzo, la mode pure de 1947 à nos jours - Site L'Œil de la Photographie Magazine/The Eye of Photography Magazine (photographie en accès restreint).

Une autre  photographie  dans le même décor est visible sur la Galerie d'images Instagram @therealwillyrizzo

https://www.willyrizzo.com/images-blog-willy-rizzo-1.html?lng=fr

 

 

 

Ensuite il s’oriente de plus en plus vers une forme hybride (des reportages romancés) qui décrivent  les pratiques de milieux  fermés (la diplomatie, le Vatican, les chevaliers de Malte, la franc-maçonnerie)*, puis de milieux plus larges (Les Juifs, - qui  le fait accuser sans doute à tort d'antisémitisme,  Les Américains, Des Français) ; ces livres font une grande place aux révélations sur l’activité sexuelle (surtout homosexuelle) de gens connus – au point que Peyrefitte perd sa réputation  d’auteur respectable et devient une sorte  d’amuseur de mauvais goût, amateur de potins scandaleux, habitué des plateaux télé des années 70.  

                                                                                             * Respectivement :Les Ambassades et La Fin des ambassades, Les Clés de Saint-Pierre, Chevaliers de Malte, Les Fils de la lumière.

 

Pourtant lui-même se voit comme le successeur de Voltaire, un satiriste qui se flatte d’écrire avec élégance.

Au milieu des années 70, Peyrefitte forme un couple avec un homme jeune, Alain-Philippe Malagnac (rencontré alors qu’il avait entre 12 et 13 ans sur le tournage d’une adaptation pour le cinéma des Amitiés particulières) ; il fréquente des personnalités de la jet-set (qu’on n’appelait pas encore les people), notamment Sylvie Vartan et Amanda Lear et les amis de celles-ci.

On le voit parfois à Capri, à Saint-Tropez ou dans des endroits comme Le Colony, une boîte de nuit accueillante aux homosexuels - mais ce n'est pas un habitué de la vie nocturne et il se vante d'une existence plutôt austère.

Il publie des livres qui évoquent son histoire d’amour avec Alain-Philippe Malagnac et présentent l’existence de gens appartenant à des milieux fortunés et à la mode –  assez loin de son classicisme initial.

 

 

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Une soirée au Colony (années 1970), de gauche à droite : le peintre Vincent Roux, Sylvie Vartan, Roger Peyrefitte et Jacques Chazot.

Site Sylvissima - https://www.sylvissima.com/sylvie-vartan-arrets-sur-images/tout-le-bazar

 

 

 

Son jeune ami se lança dans les affaires – notamment dans le show-business – mais éprouva des déboires :  Peyrefitte dut venir à son secours en vendant ses collections de livres rares et d'objets d'art dans le domaine de l'érotisme.

La dernière partie de sa carrière littéraire fut principalement consacrée à des ouvrages historiques ; une biographie du personnage à qui allait toute son admiration, Alexandre le Grand, en trois volumes, puis (autre personnage qu'il admirait), Voltaire, sa jeunesse et son temps  en deux volumes, suivi par Voltaire et Frédéric II (aussi en deux volumes).*

                                                                                                     * A propos de Voltaire, sa jeunesse, l'universitaire René Pomeau, grand spécialiste de Voltaire, écrit dans la Revue d’histoire littéraire de la France (1986) avec assez d’indulgence : «  Auteur de plusieurs bons romans, Roger Peyrefitte biographe s'octroie simultanément toutes les latitudes du romancier. Il raconte cette vie telle qu'il lui plaît de la recréer. » R. Pomeau conteste la présentation faite par Peyrefitte de Voltaire comme homosexuel, de même que celle de la plupart de ses contemporains dans l’élite sociale ; il répertorie toutes les erreurs, approximations et déformations du récit de Peyrefitte.

 

La célébrité de Peyrefitte finit par s’évaporer avec l’évolution des mentalités: de son vivant l’auteur entra dans une période d’oubli et mourut en 2000, âgé de 93 ans.

En 2011, l’écrivain et critique Patrick Besson écrit, à l’occasion de la parution de la première biographie de Roger Peyrefitte : « L'histoire de Roger Peyrefitte est celle d'une longue dégringolade aux yeux de la critique et du public, ce qui est presque toujours le cas pour les écrivains, qu'ils soient bons ou mauvais. Peyrefitte a vendu des millions de livres à des lecteurs qui sont morts avant lui, du coup il s'est retrouvé tout seul à se lire.(…). Et puis, un jour, quelqu'un retombe amoureux. »

 

 

 QUELQUES LIVRES À SUCCÈS AU DÉBUT DES ANNÉES 70

 

 

 

Si Les Amitiés particulières ont paru en 1943 (avec semble-t-il le millésime 1944), la grande époque de la célébrité de Roger Peyrefitte (même s’il ne fait plus figure d’auteur sérieux) est la fin des années 60 et le début des années 70 : à ce moment ses œuvres les plus connues sont déjà derrière lui et il vit largement sur sa réputation comme écrivain ; les ouvrages qu’il publie durant ces années s’adressent à un public réputé peu exigeant sur la qualité littéraire, malgré les prétentions de Peyrefitte quant au style.

Il est amusant de regarder quels étaient les titres des livres qui lui tenaient compagnie par exemple dans la collection J’ai Lu  vers 1970 (ces livres appartenaient souvent, comme les livres de Peyrefitte, au fonds de l’éditeur Flammarion, dont J’ai Lu était une émanation)* La publication des livres de Guy des Cars sera le booster de la collection.

                                                                                     * La collection « est créée en 1958 par Frédéric Ditis à la demande d'Henri Flammarion » ; elle est d’abord diffusée dans les Prisunic (Wikipédia).

 

Ces titres d’auteurs célèbres (ou un peu moins) dans la période considérée ont une singularité qui semble bien la marque de cette époque :

Jouer à l’été, de  Christine Arnothy,

Noire est la couleur, d’Agnès Chabrier,

Cela s’appelle l’aurore, d’Emmanuel Roblès (le titre est une citation de Giraudoux, Electre),

Moyenne corniche, de Mercedes Salisachs,

Les passions indécises, de Lucie Faure (l’épouse d’Edgar Faure),

et les titres « fracassants » de Gilbert Cesbron (Ce siècle appelle au secoursIl est plus tard que tu ne pensesChiens perdus sans collier, etc).

On peut sourire de ces succès oubliés … et penser qu’un jour, nos auteurs réputés du moment seront aussi poussés vers le même oubli…

Comme je l’ai indiqué, l’édition que j’ai récemment retrouvée est parue dans la collection J’ai Lu au tout début de celle-ci (1958). Avec quelque naïveté, l’éditeur faisait la publicité de la collection : « Chaque volume est présenté sous une luxueuse couverture, tirée en six couleurs et laquée, qui reproduit une illustration du grand dessinateur Giovanni Benvenuti ». La collection  puisait dans un fonds déjà ancien (Barbusse, Courteline, Jules Renard),  avec des auteurs plus récents ; son catalogue allait s’étoffer avec le temps, sans jamais rivaliser avec le catalogue du Livre de Poche.

Le volume est donc illustré par un dessin (réaliste) de Benvenuti* représentant Alexandre sous  l’aspect d’un bel adolescent blond (qui parait plus âgé que dans le roman, où Alexandre a une douzaine d'années), lors de la scène de la baignade. Les lecteurs devaient faire preuve d’un certain courage pour acheter le livre muni d’une couverture assez suggestive, avec un titre éloquent.

                                                                                      * Benvenuti était aussi connu comme illustrateur de livres pour enfants. Par la suite, de nombreux illustrateurs seront en charge des couvertures des volumes J’ai lu ; - on citera particulièrement les couvertures de Tibor Csernus pour les livres de science-fiction dont J’ai Lu fera une de ses spécialités au début des années 70.

 

 

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 Nouvelle couverture du livre pour J'ai Lu, 1971 (?).

https://lesfestinsdepierre.files.wordpress.com/2013/04/lesamitiesparticulierescouv1972petit.jpg

 

 

 

 

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 Une des rééditions du livre dans J'ai Lu. (1973 ?)

 Wikipédia

 

 

 Dans les éditions suivantes,  la figuration des personnages en couverture devait se modifier : jeunes garçons  bon chic bon genre en cravate rouge (que dans le roman les deux protagonistes portent pour symboliser leur complicité), puis photographie tirée de l’adaptation au cinéma de 1964 (qui situait l’action dans un pensionnat des années 60), puis  jeunes collégiens aux vêtements de style british (supposés faire « école privée ») en plusieurs versions, l’une d’entre elles mieux réussie que les autres.

De son côté Le Livre de poche (qui offrait une version dite « définitive ») présentait au début des années 70 une couverture avec deux visages de garçons aux cheveux longs (dans le style « fils de Claude François ») –  passablement décalée  par rapport au à l’époque où se situe l’action du roman -  avant d’adopter une couverture vraiment hideuse où les deux personnages bouffis, hébétés et coiffés n’importe comment, semblent  le contraire exact des héros du roman.

 

 

 

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 Le livre dans l'édition du Livre de poche, 1973.

https://www.livraddict.com/biblio/livre/les-amities-particulieres.html

 

 

 

 

UN PERSONNAGE À LA MODE

 

 

 

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 Salvador Dali, probablement lors de sa réception à l'Institut (Académie des beaux-arts) en mai 1979, avec Roger Peyrefitte et Amanda Lear. L'homme au milieu est sans doute  Alain-Philippe Malagnac.

http://www.chartsinfrance.net/actualite/news-75526.html

 

 

 

Dans les années 70,  Roger Peyrefitte était un personnage à la mode, au moins dans les médias. Dans un film de 1970 avec Jean Yanne, au titre caractéristique de l’époque, Êtes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne ?, il incarne (sans cabotinage) un ministre de la Culture.

Les amateurs de littérature l’avaient généralement rayé de leurs papiers, à l’image du critique Pierre de Boisdeffre, qui consacre exceptionnellement une longue chronique à un de ses livres (fin des années 70) pour déplorer que Peyrefitte ait dilapidé ses talents et constate néanmoins qu’il lui reste encore quelques  caractéristiques  d’un vrai écrivain, noyées dans la vulgarité.

 

Mais sur les plateaux de la télé de l’époque, dans ce qu’on n’appelait peut-être pas encore des talk-shows, Roger Peyrefitte apparaissait fréquemment, les cheveux blancs et soyeux mi-longs, s’exprimant avec une certaine préciosité dans la voix et les mimiques, entouré de Jacques Chazot ou de Philippe Bouvard. Puis ce genre d’émission cessa d’être à la mode et la présence de Peyrefitte se fit plus rare.

On le vit sur le plateau d’une émission (peut-être présentée par … Dorothée !), annonçant qu’à la présidentielle de 1981, il voterait Mitterrand et sa déclaration fut illustrée en direct par un dessin ironique de Cabu – Peyrefitte votant Mitterrand, il ne manquait plus que ça, c’était à ne pas croire ! Bien que Peyrefitte ait été l’antithèse vivante des valeurs bourgeoises, il représentait le refus de tout engagement collectif, en même temps que l’admiration, même nuancée d’ironie,  pour les gens riches et les aristocraties. Sa rébellion était strictement individualiste et compatible avec  la défense de l’ordre établi. Peu importe alors qu’il ait voté ou pas Mitterrand en 1981.

En 1979, son compagnon, Alain-Philippe Malagnac, avait épousé à Las Vegas Amanda Lear* (ancienne égérie de Salvador Dali) sans cesser d’avoir pour Roger Peyrefitte qui l’avait semble-t-il adopté ( ?) une affection reconnaissante.

                                                                                                                                                     * Il semble que le mariage n'a pas été reconnu en France.

 

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 Roger Peyrefitte avec Amanda Lear lors d'une réception à Capri en 1979. Peyrefitte, par plaisanterie, a revêtu son ancien uniforme de diplomate.

Page facebook Roger Peyrefitte https://m.facebook.com/rogerpeyrefitte/photos/a.10150224109174784/10158527596544784/?type=3&_rdr

 

 

 

Atteint de la maladie d’Alzheimer dans le courant des années 90, Roger Peyrefitte vécut retiré, quasiment oublié. Il mourut en novembre 2000.  Par une coïncidence qu’on peut noter, Alain-Philippe Malagnac mourut dans l’incendie de sa propriété en Provence en décembre 2000, sans qu’on puisse conclure qu’il avait voulu mettre fin à ses jours.

 

 

 

 

 

POUSSÉ À LA SURENCHÈRE ?

 

 

 

On a regardé avec sévérité le goût du scandale de Roger Peyrefitte dans la dernière partie de sa carrière littéraire ; il polémiqua avec l’Eglise catholique après avoir nommément fait état de l’homosexualité (prétendue) de personnalités religieuses, dont des papes du 20 ème siècle, PIe XII, Jean XXIII, Paul VI. Paul VI réfuta publiquement ces allégations (sans citer le nom de R. Peyrefitte) dans une allocution.

Dans le milieu littéraire, les critiques et écrivains sérieux le méprisaient depuis une polémique violente qui l'avait opposé à François Mauriac, dont il avait dévoilé  l'homosexualité supposée*. Pour le directeur du Figaro, lui appliquant une phrase de Saint-Simon, Peyrefitte était  tombé tellement bas qu'on se salissait en l'insultant. Au début des années 80, sur le plateau de l'émission Apostrophes, Jean d'Ormesson lui exprima, de façon inopinée (en répondant à une pique de Peyrefitte) son mépris.         

                                                                                     * Peyrefitte avait répondu par une lettre ouverte à Mauriac qui avait exprimé dans un article du Figaro son « horreur » après avoir vu à la télévision un reportage sur le tournage de l'adaptation des Amitiés particulières. Mauriac parlait par exemple de « personnage immonde » pour le père de Trennes, et accusait Peyrefitte d'être un Tartuffe lorsqu'il déclarait que le film pouvait être utile à de jeunes gens. Peyrefitte lui renvoya l'accusation de tartufferie, en citant certaines particularité relatives à Mauriac, provoquant des polémiques en cascade entre partisans de l'un et de l'autre. (voir l'article du site  Connaissance ouvertehttps://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.com/2009/10/querelle-de-lart-et-de-la-morale.html).

 

                  

Mais comme certains le remarquèrent, le goût du scandale était aussi la réponse de Peyrefitte à la violence des attaques qu’il avait supportées alors que lui-même usait d’un ton modéré dans ses premiers livres. Roger Peyrefitte fut donc entraîné dans  une escalade dans la polémique qui permettait à ses détracteurs de dénoncer à bon compte sa vulgarité et son excès.

«  … il écrivait en 1989, dans L'Innominato, parlant de la «Lettre aux évêques de l'Eglise catholique sur la pastorale à l'égard des personnes homosexuelles» qu'avait signée Jean Paul II : « L'Eglise ne veut pas nous laisser dormir en paix. Je me demande si cette obsession ne vient pas du fait que les papes se rendent compte que l'enseignement religieux est le séminaire de la pédérastie.» (article lors de la mort de R. Peyrefitte paru dans Le Soir (Bruxelles) le 7 novembre 2000 sous le titre Le mérite du courage, que l’auteur reconnaissait à R. Peyrefitte)*

                                                                                                                                * La presse étrangère semble avoir été plus sympathique pour Peyrefitte à sa mort que la presse française : sur les réactions de celle-ci, voir notamment l’article de P. Lançon dans Libération, Mort d’un perfide. 

 

 

 

PRÉCURSEUR DE LA RECONNAISSANCE DE l’HOMOSEXUALITÉ OU INFRÉQUENTABLE ?

 

 

Roger Peyrefitte est un homme qui a défendu la liberté pour chacun de vivre sa sexualité librement. On pourrait donc penser que notre époque, où la loi protège la diversité des « orientations sexuelles », devrait le considérer comme un précurseur. Il n’en est rien. D’abord parce que Peyrefitte n’est pas vraiment  représentatif de la revendication en faveur des homosexuels. Certes, il a longuement exposé dans ses livres les comportements homosexuels de certains personnages, afin d’en finir, selon lui, avec l’hypocrisie qui obligeait les homosexuels à la clandestinité, mais on y a principalement vu le goût malsain  pour le scandale et les ragots.

Mais surtout ses tendances en matière d’attirance sexuelle le portaient vers des adolescents et des pré-adolescents. Il déclarait : « je préfère l'agneau au mouton », Ce qu’il appelait « pédérastie » peut être assimilé à la pédophilie, et notre époque n’a aucune tolérance envers la pédophilie.

On rappelle qu’à l’époque de Roger Peyrefitte, les relations homosexuelles étaient assimilées à une agression sexuelle lorsqu’un des partenaires était mineur (de moins de 21 ans, puis de moins de 18 ans à partir de 1974)*.

                                                                                                   * Ce n’étaient pas les seules sanctions pénales applicables aux homosexuels. La propagande en faveur de l’homosexualité pouvait tomber sous le coup des lois sur la pornographie, sur la corruption de la jeunesse etc. Les comportements des homosexuels dans l’espace public  pouvaient être réprimés comme outrages publics à la pudeur. Ces pénalisations ne visaient pas spécifiquement les homosexuels mais leur étaient (peut-être, sinon probablement) appliquées avec plus de sévérité que lorsqu’il s’agissait de comportements hétérosexuels. En 1960, un amendement voté par l’Assemblée nationale avait défini  l’homosexualité comme un  fléau social -  il en résulta le doublement des peines minimales encourues pour  outrage public à la pudeur, lorsqu’il s’agissait d’actes « contre nature avec un individu de même sexe » (Wikipédia, article Amendement Mirguet).

 

En 1982, la modification de la loi (sur l’initiative du gouvernement de gauche, avec Robert Badinter comme ministre de la justice) aligna les relations homosexuelles sur les relations hétérosexuelles : les relations entre un adulte et un mineur âgé d’au moins 15 ans sont licites (quel que soit le sexe), sauf cas des  personnes ayant autorité,  et évidemment en l’absence de contrainte.  Cette modification de la loi est parfois présentée, de façon erronée, comme une légalisation de l’homosexualité ou comme la fin de la pénalisation de celle-ci.

Or, Roger Peyrefitte n’a jamais limité son attirance aux seuls adolescents de plus de 15 ans. Enfin, notre époque est assez souvent choquée par les relations entre un adulte et un mineur, même dans le cas où elles sont licites. Il en résulte que l’évolution des mentalités ne s’est pas rapprochée d’une plus grande tolérance pour les relations amoureuses et sexuelles que défendait et illustrait Roger Peyrefitte.

 

 

 

PAS DE STATUE POUR ROGER PEYREFITTE 

 

 

De plus Roger Peyrefitte n’avait aucun goût pour le militantisme (sauf à considérer que ses révélations sur le comportement de certains contemporains étaient du militantisme favorable à l’acceptation de l’homosexualité, comme il le déclarait volontiers). Il ne pouvait donc susciter aucune sympathie chez ceux qui liaient (et lient encore) la défense de l’identité homosexuelle aux autres combats en faveur de l’égalité (raciale, sociale, des sexes). Trop individualiste, aux antipodes de l’esprit de groupe et d’association*, différent par ses attirances sexuelles du milieu homosexuel strictement défini, très peu favorable (c’est le moins qu’on puisse dire) à toute révolution (réelle ou des mentalités, sauf en ce qui concerne l'acceptation des sexualités hétérodoxes) ou tout combat « intersectionnel » comme on dirait aujourd’hui, admirateur et laudateur de la tradition culturelle occidentale et du classicisme (qu'il soit grec ancien ou français), Roger Peyrefitte n’a rien pour attirer la sympathie des progressistes (même modérés)  et personne ne proposera de sitôt de lui élever une statue ! 

                                                                                             * Bien qu’il ait donné son appui à Arcadie, une association et une revue créées dès les années 50 par Alain Baudry, tendant à faire mieux accepter l’homosexualité, dont l'activité se poursuivra jusqu'aux années 80, mais qui restera très prudente par crainte des poursuites judiciaires toujours possibles à l'époque (son animateur avait été condamné pour sa revue (?) pour atteinte aux bonnes moeurs). L'activité d'Arcadie était très éloignée du militantisme associatif tel qu'on le connait aujourd'hui.

 

En cela, Roger Peyrefitte reste après sa mort ce qu’il a toujours voulu être, un esprit complètement indépendant et un franc-tireur…

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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