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Le comte Lanza vous salue bien
26 juillet 2021

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES 7 NI COMMUNARDS NI VERSAILLAIS

 

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES

7

NI COMMUNARDS NI VERSAILLAIS

 

 

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

Dans cette série de messages, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité – nous donnons des éclairages sur certains points, faits ou personnages – parfois peu connus - et nous n’évoquons pas d’autres faits ou personnages, certainement plus importants.

Notre époque se fait une idée manichéenne de l’époque de la Commune : selon cette conception, les contemporains auraient été du côté de la Commune ou du côté de Versailles, sans milieu. Et aujourd’hui, on a même tendance (ce qui n’était pas le cas il y a 50 ans) à imaginer que finalement, la plupart des contemporains étaient d’accord avec la Commune.

 

 

NI COMMUNARD NI VERSAILLAIS

 

 

Mais il existait, notamment en province mais aussi à Paris, des gens qui ne se retrouvaient pas (ou pas complètement) dans les positions de chaque camp et qui, surtout, recherchaient une issue pacifique au conflit. L’action (inutile) de ces conciliateurs semble aujourd’hui un peu négligée par l’historiographie : divers organismes comme la Ligue d’union républicaine pour les droits de Paris, appuyée par les conseils municipaux de province, l’union nationale des chambres syndicales (représentant les branches professionnelles), le congrès des élus de Lyon, tentèrent de rapprocher les points de vue.

« André Lefèvre, historien de la Ligue de l'union républicaine, écrit : « Qui n'eût souscrit alors aux paroles, aux instances patriotiques des conseils municipaux de Mâcon et du Havre ? ... La paix seule peut nous sauver ; faites la paix » (Michel Winock, La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques françaises, 1871-1968, 2009)

 

Par exemple, dans le journal modéré Le Temps, le secrétaire de la rédaction Jacques Hébrard a proposé un plan prévoyant la démission simultanée de l’Assemblée et de la Commune*, M. Thiers et Louis Blanc (un des principaux républicains de gauche de l’Assemblée) exerçant dans l’attente de nouvelles élections, une sorte de dictature, l’un pour la province, l’autre pour Paris. 

Hébrard (c'est sans doute lui l'auteur du billet du jour du numéro du 13 avril 1871), pense, de manière banale, peut-être, que l’incompréhension résulte du manque de contact entre les deux camps en présence : « …il faudrait se voir, se mêler, se coudoyer librement pendant quelques jours, pour s'expliquer, se comprendre, s'entendre peut-être.»

De Versailles, le directeur du Temps, Auguste Nefftzer, lui répond cordialement dans le même numéro, et explique en quoi son plan ne serait pas une solution. Selon lui, de nouvelles élections donneraient le même résultat que celles de février et risqueraient d’envenimer les choses. De plus, il désapprouve tout ce qui pourrait confirmer Paris comme puissance égale à la France. Nefftzer écrit : « La Commune, dont je parlerai avec la plus extrême modération, et dont je ne qualifierai pas les actes, parce que je ne suis pas sous sa main et que vous y êtes ».** (Le Temps, 13 avril 1871, Le Temps | Gallica (bnf.fr, ark:/12148/bpt6k2246228)

                                               * Cette double démission revient souvent dans les plans de conciliation. En pleine Semaine sanglante, elle est même proposée, à un moment où les événements rendent cette proposition inaudible, par le Comité central de la Garde nationale.

                                              ** Jacques Hébrard (1841-1917), journaliste puis à partir des années 1880 sénateur des Établissements français de l'Inde puis sénateur de la Corse (Gauche républicaine). Son frère Adrien était administrateur du journal Le Temps et deviendra directeur en 1876 au décès de Nefftzer ; homme d’affaires avisé, Adrien se constituera une belle fortune.

 

Il semble que Le Temps paraîtra simultanément à Versailles et à Paris sous deux rédactions différentes, celle de Paris étant favorable à la conciliation. Mais son attitude critique sera bientôt considérée comme de l'opposition par la Commune et le journal sera supprimé à Paris.

 

Si aujourd’hui on rejette sur le seul Thiers l’échec des tentatives de conciliation, il semble que du côté communard, on fut également sourd aux arguments de la raison – alors que la situation de Paris  – de façon de plus en plus nette au fil du temps – ne permettait pas d’envisager une victoire de la Commune.

Louis Fiaux, qui est sévère pour l’intransigeance de Thiers, rappelle que la Commission exécutive de la Commune interdit une réunion en faveur de la conciliation avec la motivation suivante : « (…)

« La réaction prend tous les masques ; aujourd'hui c'est celui de la conciliation. — La conciliation avec les chouans et les mouchards qui égorgent nos généraux et frappent nos prisonniers désarmés ! — La conciliation dans de telles circonstances, c'est trahison. »

La Commission exécutive de la Commune fut désapprouvée par des membres de la Commune pour avoir reçu les délégués conciliateurs de la Ligue d’union républicaine, et le lendemain, elle « faisait dire aux délégués qu'elle n'avait aucune réponse à faire à leurs propositions ».

Quant à Sempronius, il est encore plus virulent :

« Mais ce qui, plus que tout, pèsera éternellement sur la mémoire des hommes de la Commune, c'est la résistance qu'ils opposèrent invariablement à toute idée, à toute tentative de fusion [sic] et de conciliation avec le Gouvernement de l'Assemblée nationale. Refusant de reconnaître les comités, les ligues qui essayèrent de se constituer dans ce but, et supprimant méthodiquement tous les journaux qui osèrent élever la voix dans ce sens : La guerre civile à outrance, tel fut le dernier mot de leur politique ! »

Mais la même critique peut s’adresser à Thiers qui refusait toute conciliation à moins que Paris (la Commune) mette au préalable bas les armes.

 

 

L’ATTITUDE DE LA FRANC-MAÇONNERIE

 

 

 

Pourtant, la Commune a soutenu la tentative de conciliation des francs-maçons –  mais le conseil de la Commune comportait de nombreux francs-maçons et les maçons* qui avaient pris l’initiative de la démarche de conciliation ne cachaient pas leur sympathie pour la Commune – ce qui indisposait les francs-maçons moins engagés.

                                                                                                         * Parmi les Communards francs-maçons, il est habituel de citer Jules Vallès, mais celui-ci a exprimé sur la franc-maçonnerie des opinions très critiques, regrettant son adhésion. Le dictionnaire Maitron, à l'article Thirifocq  (voir plus loin) donne une liste impressionnante de francs-maçons ayant participé à la Commune ou sympathisé avec elle (mais il n'est pas certain que tous étaient maçons à cette date : par exemple on sait que Louise Michel adhéra à la franc-maçonnnerie en 1904, au sein de la loge  La Philosophie Sociale de la Grande Loge Symbolique Ecossaise «maintenue et mixte», une petite obédience éphémère composée de deux loges dissidentes, et la seule, avec Le Droit humain, à admettre les femmes à l'époque; cf. article du blog de J-L. Turbet, Louise Michel franc-maçonne. - Le Blog des Spiritualités (jlturbet.net). 

 

Tout en étant conscient des travers du personnage, il est amusant de lire ce qu’écrit Cluseret dans ses mémoires à propos des francs-maçons :

« Cette institution, présidée par des Princes* et qui affecte de bannir la politique de son sein, dont les travaux les plus sérieux sont des travaux gastronomiques, m'inspire une confiance limitée. J'ai toujours refusé d'en faire partie, la considérant comme une véritable souricière ».

                                                                                 * La remarque vaut surtout pour la franc-maçonnerie anglaise et des pays nordiques. Mais même en France, sous les Premier et Second empires, des princes de la famille Bonaparte ou proches d’elle (le prince Murat) ont dirigé le Grand-Orient, à l’époque seule obédience réellement organisée. Quant à bannir les discussions politiques, c’est encore une constante de la franc-maçonnerie anglo-saxonne dont la franc-maçonnerie des pays « latins » va se démarquer de plus en plus au 19ème siècle.

 

 Des contacts ont déjà eu lieu entre la maçonnerie etle gouvernement de Versailles : Ernest Hamel*, personnage important de la maçonnerie, à la tête d'une délégation, a été reçu par Thiers. Dans le gouvernement Thiers, le ministre de l'Instruction publique Jules Simon, franc-maçon (le seul, semble-t-il, du gouvernement) , favorise les entrevues. Mais celles-ci  n'arrivent à aucun résultat : Thiers refuse tout geste de conciliation aux maçons qui se placent « sur le terrain des franchises municipales ».  Au mieux, il promet que les combattants qui déposront les armes auront la vie sauve !

Des  francs-maçons, représentés par le frère  Thirifocq**, favorable à la Commune et proche de Vallès, envisagent alors une importante démonstration publique pour prouver leur détermination. Les loges doivent traverser Paris pour aller planter leurs bannières sur les fortifications (elles seront ainsi exposées au tir des Versaillais). Puis, une délégation ira à Versailles ;  si Versailles ne modifie pas son attitude, les maçons annoncent qu'ils combattront du côté de la Commune.  Thirifocq vient annoncer cette résolution aux membres de la Commune dont Jules Vallès, qui lui remet en souvenir, son écharpe rouge de membre du conseil de la Commune. La position de Thirifocq est combattue par l'assemblée des vénérables (à une courte majorité) et par le Conseil de l'Ordre du Grand-Orient, qui essayent en vain de contremander la manifestation.***

                                                                                   * Ernest Hamel (1826-1891), avocat et historien (notamment biographe de  personnages de la Révolution française), républicain radical proche de Gambetta. Sera par la suite sénateur.

                                                                                                      ** Eugène Thirifocq (1814 - ?), était professeur de coupe de vêtements; après la Commune, condamné par contumace; réfugié en Belgique, où il gagne bien sa vie (dict. Maitron).  Amnistié en 1879.

                                                                                                     *** Voir notamment le récit de ces événements sur un site maçonnique, L'Edifice P018-4 - La Franc-Maçonnerie Ecossaise (ledifice.net)

 

Le 29 avril 1871, jour choisi pour la manifestation qui doit accompagner les conciliateurs à la sortie de Paris, les délégués des loges sont reçus par le conseil de la Commune lors d’une cérémonie où Beslay, Pyat et Léo Melliet, membres du conseil,  prennent la parole, Beslay rappelant son appartenance à la maçonnerie*. Le drapeau rouge de la Commune est confié au représentant des francs-maçons, le frère Thirifocq, par Léo Melliet qui déclare : « Voici le drapeau rouge que la Commune de Paris offre aux députations maçonniques.
Ce drapeau doit accompagner vos bannières pacifiques. C'est le drapeau de la paix universelle, le drapeau de nos droits fédératifs, devant lequel nous devons tous nous grouper, afin d'éviter qu'à l'avenir une main, quelque puissante qu'elle soit, ne nous jette les uns sur les autres autrement que pour nous embrasser. (Applaudissements prolongés).** »

                                                                          * Melliet aussi est franc-maçon (à moins qu’il le soit devenu ultérieurement), mais il ne semble pas que ce soit le cas de Pyat ?

                                                                          ** Léo Melliet (1843-1909) – parfois son nom est écrit Meillet (de son vrai nom, Léon Meilliet), clerc de notaire, adhérent à l’Internationale. Après la Commune, parvient à se cacher et à s'enfuir à l'étranger grâce au député conservateur Turquet (voir cinquième partie) ; exilé en Grande-Bretagne, devient, selon les sources, professeur à l’Ecole normale supérieure d’Edimbourg. De retour en France, est député socialiste (ou radical-socialiste ?) du Lot-et-Garonne de 1898 à 1902. A sa mort, il était directeur d’un asile d’aliénés en Gironde.

 

 

Puis les francs-maçons, au nombre de plusieurs milliers (on dit à l’époque 10 000, mais un chiffre moindre est plus raisonnable) traversent Paris en cortège, en musique, accompagnés par 5 membres de la Commune tirés au sort.
On peut déjà trouver étrange qu’une mission dite de conciliation fasse allégeance à la Commune avant de débuter.

Les francs-maçons plantent leurs bannières sur les fortifications tandis que trois délégués (dont les frères Thirifocq et Fabreguette), franchissent les lignes comme parlementaires : un général versaillais lui-même franc-maçon les reçoit* et échange avec les délégués les signes de reconnaissance ; il les fait conduire à Versailles. Un cessez-le-feu momentané est respecté.

                                                                        * Il est clair que le gouvernement de Versailles était prévenu de la démarche, et avait pris ses dispositions.

 

Thirifocq et Fabreguette sont reçus par Thiers, très brièvement (il a déjà reçu d'autres conciliateurs peu auparavant); selon Maxime du  Camp, Thiers éconduit les francs-maçons en disant :  « Que Paris mette bas les armes et j’écouterai ses propositions. Sinon, non.»

Après l’échec de leur mission auprès du gouvernement de Versailles, un certain nombre de francs-maçons (la majorité ?) déclarent que leur devoir est de combattre avec la Commune. un appel en ce sens est lancé par plusieurs maçons, qui s'adressent aussi aux sociétés de compagnonnage.

Mais d’autres expriment leur désaccord : un franc-maçon important écrit à un journal une lettre de protestation : le rôle de la franc-maçonnerie est de chercher à réconcilier les adversaires, or « Plusieurs des manifestants en ont jugé autrement, oubliant que, dans le camp de ceux qu'ils traitent d'ennemis, il se trouve grand nombre de francs-maçons; ils ont (…) transformé nos bannières de paix en étendards de guerre civile — et voulu engager toute la maçonnerie dans un conflit monstrueux ».

Tout en exprimant des idées plus proches de certaines revendications de la Commune, Ernest Hamel, qui a rencontré Thiers lors de précédentes tentatives de conciliation, désapprouve aussi tout engagement partisan :

« Que, comme citoyen, chacun de ses membres adopte tel parti qu'il lui conviendra d'adopter, c'est son droit; mais, comme corporation, la franc-maçonnerie ne saurait, sans être infidèle à sa loi primordiale, quitter le terrain de la conciliation basée sur la reconnaissance de nos franchises municipales ». Il rappelle que la franc-maçonnerie « a des adeptes dans les deux camps » ; et refuse de s’engager dans une voie autre que la conciliation, estimant qu’en agissant ainsi, il est fidèle à la république démocratique.**                                                                                        

                                                                         ** Citations dans le livre Les francs-macons et la Commune de Paris, (par un franc-maçon anonyme),1871. Consultable sur Gallica.

 

 8 avril franc-maconnerie

 Affiche émanant de membres du conseil de l'Ordre (du Grand-Orient) et de vénérables (présidents) de loges, du 8 avril 1871, demandant d'arrêter l'effusion de sang au nom de l'humanité, de la fraternité et de la patrie désolée. Cette affiche exprime une position strictement humanitaire et refuse de prendre parti : on peut penser que ses auteurs désapprouveront ensuite l'attitude des maçons qui prendront parti pour la Commune. De nombreuses loges de province adhéreronbt à ce manifeste.

Site La Commune de Paris 1871, Amies et amis de la Commune. Commune 1871 : éphéméride 21 avril - La dernière tentative de conciliation des Francs-maçons - Tulle

 

 

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 La manifestation maçonnique du 29 avril 1871. Apparemment sous la pluie (?), les francs-maçons, après avoir traversé Paris en cortège,  viennent planter les bannières des loges sur les fortifications tandis qu'une délégation se rend à Versailles pour rencontrer Thiers. Gravure extraite du journal Le Monde illustré.

Wikipédia.

 

 

 

L’ORDRE MAÇONNIQUE EST RESTÉ ÉTRANGER À LA CRIMINELLE SÉDITION …

 

 

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 Allégorie de Moloch: la franc-maçonnerie solidaire de la Commne.

Une présentation qui n'est pas fidèle à la réalité car une partie (dans quelle proportion ?) des francs-maçons parisiens refusa de prendre parti pour la Commune, tandis que les loges de province étaient (en très grande partie, probablement) hostiles à la Commune.

 

 

 

 

Cluseret était sans illusions sur l’engagement des francs-maçons: « Cette manifestation, dont la mise en scène ne manquait pas de grandiose, fut une des plus imposantes duperies que l'imagination peut rêver. La prendre au sérieux (…), alors que la majorité des francs-maçons était bourgeoise et, par conséquent, avec Versailles, c'était dépasser les bornes d'une naïveté ordinaire ». La manifestation des francs-maçons fut pour Cluseret, un « pur enfantillage, matière à pérorer et parader, matière à écharpes et à oriflammes, en un mot, qu'on me passe l'expression, une immense plaisanterie qui, d'abord, me fit hausser les épaules, puis me fâcha fort. »

De son côté le journaliste Pierre Denis (qui est également franc-maçon) écrit, dans Le Cri du peuple, que la province en apprenant que les francs-maçons, presque tous des bourgeois , hommes d’ordre et de bonnes mœurs, ont voulu rapprocher Paris et Versailles, doit comprendre que Paris n’est pas aux mains d’une bande de gredins, mais réclame seulement le respect de son autonomie, ses libertés communales, son self-government, qu’il qualifie d’idée « toute positive d’ordre et d’économie », qui doit rendre au pays la gloire et la prospérité (numéro du 2 mai 1871).

Ainsi il existait des Communards qui, loin de vitupérer les bourgeois, cherchaient à se les concilier.

 

Dès le 29 mai 1871, après la reprise complète de Paris par les forces gouvernementales, le conseil de l’Ordre du Grand-Orient, dans une lettre aux loges, déplore que certains francs-maçons (d’ailleurs pour la plupart étrangers au Grand-Orient !) aient participé aux « criminels et douloureux événements dont Paris vient d'être le théâtre »; dont « la conscience publique a déjà fait justice ». Les agissements de ces maçons infidèles à leur devoir ne peuvent pas engager l’institution.

Puis le Grand-Maître du Grand Orient, Babaud-Laribière (futur préfet du gouvernement Thiers), écrit  dans une circulaire aux loges : « La franc-maçonnerie est restée parfaitement étrangère à la criminelle sédition qui a épouvanté l'univers en couvrant Paris de sang et de ruines, et si quelques hommes indignes du nom de maçons ont pu tenter de transformer notre bannière pacifique en drapeau de guerre civile, le Grand Orient les répudie comme ayant manqué à leurs devoirs les plus sacrés. »

Dans un livre paru peu après la Commune, Les francs-macons et la Commune de Paris, Du rôle qu'a joué la franc-maçonnerie pendant la guerre civile, 1871, l’auteur anonyme (mais franc-maçon) désapprouve les maçons qui ont participé à la Commune : « Nous sommes une société secrète pour faire le bien et non pour pousser au mal. (…) A d'autres la guerre, l’égorgement, la destruction , à nous la paix, le travail et la fraternité.

Ainsi donc : A chacun selon ses oeuvres. »

L’auteur ne semble pas réfléchir que son raisonnement s’applique aussi aux maçons qui ont activement soutenu Versailles - mais la perception de l’époque était que la responsabilité première des violences incombait aux Communards.

Cela n’empêche pas aujourd’hui diverses obédiences dont le Grand Orient de France (la plus politisée) de célébrer la participation de la franc-maçonnerie à la Commune et de participer (depuis quelques décennies) à l'hommage qui se tient  au mur des Fédérés tous les ans.

 

 En 2021, pour le 150 ème anniversaire de la Commune, le Grand- Maître du Grand Orient publia une tribune dans Le Monde où il reprochait au gouvernement d’avoir refusé de commémorer officiellement la Commune et évoquait "le spectre (?) de l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite". Il attribuait à la Commune des réformes emblématiques de la République - mais comme toujours, une grande partie des réformes citées ne fut jamais prise par la Commune... 

 

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Tribune du Grand-Maître du Grand-Orient de France (juin 2021) dans le journal Le Monde, affirmant  que la Commune est un moment fondateur de la République qui doit être commémoré.

Blog maçonnique Hiram.

 

 

 

NI COMMUNARD NI VERSAILLAIS II : L’EXÉCUTION DE CHAUDEY ET LES MÉSAVENTURES DE CERNUSCHI ET DURET

 

 

On peut continuer à développer le sujet des personnes qui ne furent ni exactement pour la Commune, ni exactement pour Versailles – évidemment elles sont généralement considérées comme dénuées d’intérêt par les admirateurs de la Commune.

Disons quelques mots des mésaventures de Henri Cernuschi et Théodore Duret (voir plus bas les notices les concernant), qui sont liées au sort de Gustave Chaudey. Ce dernier, avocat et journaliste proudhonien (et ami de Proudhon ; il avait été l’un de ses exécuteurs testamentaires), devenu directeur du journal Le Siècle, avait exercé les fonctions de maire-adjoint de Paris et on l’accusait d’avoir fait tirer sur des manifestants (pour les uns, foule en armes, pour les autres manifestants pacifiques avec femmes et enfants – sans doute les deux à la fois) qui réclamaient la Commune (et semble-t-il la sortie en masse contre les Prussiens, ) le 22 janvier 1871. Depuis il était considéré comme homme à abattre surtout par les Blanquistes.

« Le Siècle, avec MM. Cernuschi et Chaudey, est favorable à l'idée d'autonomie communale : cette sorte de concours ne sauvera pas Chaudey. Le 13 avril, Rigault le fait arrêter dans les bureaux du journal. » (Louis Fiaux, Histoire de la guerre civile de 1871). On a mis en cause le rôle de Delescluze dans son arrestation ; celle-ci faisait suite à une dénonciation parue dans le journal Le Père Duchêne ; Vermorel, membre de la Commune « minoritaire » tentera de le faire remettre Chaudey en liberté.

Depuis l’arrestation de Chaudey, le journal Le Siècle était devenu un opposant déclaré à la Commune. Lissagaray dans son Histoire de la Commune de 1871, laisse entendre que le journal n’avait pas beaucoup de lecteurs* - mais se garde bien d’indiquer que la Commune finit par supprimer le journal qui, après quelques jours, reparut à Corbeil, hors d’atteinte de la Commune. 

                                                                          * « … le Siècle devenu très hostile depuis l’arrestation de Chaudey, la Vérité du yankee Portalis [un journal dont le directeur était admirateur des Etats-Unis] s’empilent [chez les vendeurs de journaux], mélancoliques et intacts. »

 

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Exécution (assassinat, dans la légende) de Gustave Chaudey par les Communards, prison Sainte-Pélagie, 23 mai 1871. Chaudey est en robe de chambre. Photomontage d'Ernest Appert. Les frères Eugène et Ernest Appert ont réalisé (après la Commune, évidemment) plusieurs photomontages des " Crimes de la Commune", ainsi que de la répression du gouvernement de Versailles, et de nombreux portraits photographiques des Communards détenus. 

Wikipédia.

 

 

 

 

Comme on sait, pendant la Semaine sanglante, Chaudey fut exécuté sur ordre de Rigault, le 23 mai.

La veille, son ami le banquier Henri Cernuschi* (administrateur et journaliste du Siècle) était venu le voir avec difficultés : il « avait failli être fusillé par quelques fédérés, à la mairie St-Sulpice, puis à la barricade de la rue Sainte-Pélagie, comme rédacteur du Siècle, dont les attaques avaient été vivement senties à l'Hôtel de Ville [siège de la Commune]. » (Louis Fiaux)

 

Sans nouvelle de Chaudey, Cernuschi et le critique d’art Théodore Duret** (aussi collaborateur du journal), se présentèrent à la prison de Sainte-Pélagie le 25 mai : ils apprirent son exécution – Cernuschi s’évanouit;  mais la prison venait de tomber aux mains des troupes versaillaises. Les visiteurs furent arrêtés comme suspects et le général de Lacretelle, apprenant que l’un d’entre eux était Cernuschi, connu comme républicain et fermement opposant au Second empire, ordonna plus ou moins clairement de les faire exécuter. Ils furent mis dans un fiacre. Arrivés dans un lieu où on exécutait, Duret protesta vigoureusement, il rappela qu’il connaissait le vice-président du conseil de Thiers, Dufaure (selon Fiaux), se battant presque avec un officier. Un autre officier l’écouta et les deux amis furent remis en liberté. Un autre récit fait mention d’un député monarchiste qui accompagnait les militaires et serait intervenu pour les deux hommes (?).

Ainsi, à quelques jours d’intervalle, Cernuschi faillit être fusillé par les Communards et plus sérieusement, par les Versaillais.

 

Pour Lissagaray (Histoire de la Commune de 1871), lors de la répression versaillaise, tous les républicains étaient suspects et couraient des risques : « Pour les officiers, la plupart bonapartistes, les républicains étaient des victimes de choix. (…) Les républicains de la Gauche [il veut parler de la gauche parlementaire] dont la haine contre la Commune était le mieux démontrée n’osèrent pas mettre le pied à Paris de peur d’être compris dans l’égorgement. » Lissagaray consacre un appendice de son Histoire à l'épisode Cernuschi-Duret. Mais il se garde bien (sauf erreur de lecture) d'expliquer les raisons qui faisaient que Cernuschi et Duret se trouvaient à la prison Sainte-Pélagie,  attitude militante typique qui n'a (malheureusement) pas disparu. 

         

 

 Cernuschi, sous le coup du chagrin causé par la mort de son ami Chaudey, décida de partir en compagnie de Duret pour un long voyage en Extrême-Orient via les Etats-Unis. Ils voyagèrent notamment au Japon, encore peu ouvert aux Occidentaux. Là, Cernuschi eut l’occasion d’acheter des oeuvres d’art asiatiques (dont le grand Bouddha du temple de Meguro) qui constituèrent le début de sa collection, qui allait devenir avec le temps le Musée Cernuschi.*** 

La présence à Paris de cette collection est donc une consèquence indirecte de la Commune...

 De façon amusante, le site du musée Cernuschi de la Ville de Paris rappelle les faits qui précèdent (avec une image de l’exécution de Chaudey) – sans mentionner que les faits se déroulent pendant la Commune, si bien que tout est noyé dans le flou. Faut-il y voir une manifestation du politiquement correct actuel qui fait que de la Commune, on ne dise pas de mal ?

 

 

                                                                                                         * Henri Cernuschi (1821-1896), participe aux événements révolutionnaires en Italie en 1848-49, puis s’installe en France, fait carrière dans la banque. Opposant au Second empire, naturalisé français en 1871 par le gouvernement de la Défense nationale pour son action pour le ravitaillement de Paris. Favorable à la conciliation entre Versailles et la Commune (qu’il approuve à ses débuts en raison de ses options fédéralistes - Wikipédia). En 1872, participe à la fondation de la banque de Paris et des Pays-Bas dont il deviendra président. Se consacre passionnément à la constitution de ses collections d’art asiatique qu’il lègue, avec son hôtel particulier, avenue Vélasquez, à la Ville de Paris.

                                                                                                        ** Théodore Duret (1838-1927), écrivain, critique d’art, collectionneur. Ami des impressionnistes et de Whistler. En 1870, maire-adjoint du 9ème arrondissement (républicain modéré), chassé par la Commune. Manet fit son portrait, puis Whistler fit de lui un célèbre portrait dans les années 1880, titré Harmonie en noir et rose. Publia en 1874 son Voyage en Asie : le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l'Inde. Auteur également d’une Histoire de la Commune. On a déjà mentionné son interview en 1897 par la Revue blanche pour son numéro sur la Commune, où, curieusement, Duret n'évoque aucun souvenir personnel.

                                                                                                    *** Sur le voyage de Cernuschi et Duret, voir Inaga Shigemi. Théodore Duret et Henri Cernuschi : journalisme politique, voyage en Asie et collection japonaise. in Ebisu, n°19, 1998, actes de colloque à Tokyo, www.persee.fr/doc/ebisu_1340-3656_1998_hos_19_1_1612).

 

 

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 Bouddha Amida (Amitābha) du Musée Cernuschi.

Cette statue fut achetée par Henri Cernuschi lors de son voyage avec Théodore Duret au Japon : elle se trouvait en plein air, après l' incendie du Banryūji (un petit temple du quartier de Meguro à Tōkyō), et Cernuschi la paya 500 pièces d'or (d'après la notice du Musée Cernuschi). 

Buddha Amida (Amitābha) | Musée Cernuschi (paris.fr)

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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