Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le comte Lanza vous salue bien
2 juillet 2021

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES 4 LE SOUTIEN DE LA PROVINCE

 

 

LA COMMUNE DE 1871 : REGARDS SUR QUELQUES MYTHES

4

LE SOUTIEN DE LA PROVINCE

 

 

 

[ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ] 

 

 

 

 

DEUX FAÇONS DE RACONTER LA MÊME HISTOIRE

 

 

Paschal Grousset, délégué aux relations extérieures de la Commune (plus d’extérieur que de relations, disait de lui Rochefort, faisant allusion à l’allure élégante de Grousset), interrogé par l’enquête de la Revue blanche en 1897, pensait que la Commune avait permis de « sauver »  la République et l’expliquait ainsi :  elle avait «par son héroïque effort, donné à la France républicaine le temps de se ressaisir. Des engagements formels avaient dû être pris par Thiers avec les délégués des grandes villes frémissantes. Quand le sang de nos rues fut lavé, il se trouva que le programme de Paris était le seul pratique. »

Comme on l’a déjà indiqué, environ 25 ans après la Commune, Grousset se disait déçu par la République ploutocratique qui existait, au lieu de la République démocratique et sociale de ses rêves – ce n’était pourtant plus la république conservatrice de M. Thiers, mais celle des opportunistes, anciens gambettistes et ferrystes, désormais plus ou moins réconciliés avec les radicaux dits « intransigeants », plus à gauche qu’eux.

La phrase de Grousset est parfaitement alambiquée : pourquoi Thiers, au moment où il écrase la Commune, est-il obligé de prendre des engagements avec les grandes villes, de nature à sauver la République, comment celle-ci finit-elle par « adopter le programme de Paris » (on ne savait pas que la République bourgeoise avait adopté le programme de la Commune) ?

Tournons-nous vers une autre façon de raconter la même histoire – celle de Daniel Halévy* dans La Fin des notables (1930), un livre qui fit date mais qui est aujourd’hui un peu délaissé.

                                             * Daniel Halévy (1872-1962) fut dreyfusard, socialiste proudhonien, ami de Péguy et de Proust. Pendant l’entre-deux guerres, il exerça une forte influence intellectuelle et se droitisa, de sorte qu’il approuva (sans excès) le régime de Vichy, bien que lui-même issu d‘une famille juive convertie au catholicisme. Après la guerre il fut progressivement oublié mais les spécialistes des débuts de la 3ème République citent toujours son dyptique La fin des notables et La République des ducs.

 

Halévy écrit : « La promesse avait été donnée à mi-voix, dans le secret. (..) C’est aux Lyonnais que Thiers semble-t-il, s’engagea, à Hénon, maire de la ville et aux francs-maçons qui l’avaient accompagné (…) Ainsi fut conclue une sorte de pacte : Promettez-nous la République, dirent les provinciaux, les francs-maçons. Livrez-moi les Parisiens, répondit Thiers. Et les radicaux provinciaux, acceptant le pacte, se lavèrent les mains du sang dont ils touchaient le prix. » Daniel Halévy écrit ensuite que « fidèles au pacte, les provinciaux [il s’agit des républicains de la province] laissèrent massacrer et proscrire » les Communards (Halévy signale, sans doute à juste titre, que la franc-maçonnerie – contrairement à l’opinion courante aujourd’hui et à ce que prétendent certaines obédiences, avait officiellement désapprouvé la Commune). Thiers, « grandi par son épouvantable victoire » avait alors les mains libres pour tenir sa partie de la promesse : fonder la République et écarter les tentatives de restauration monarchique.

 

De nos jours, on ne croit plus au « pacte » entre Thiers et les grandes villes républicaines*, mais le fait qu’il n’y ait pas eu de pacte concret, entre individus concrets, n’empêche pas que les choses se soient passées à peu près comme le dit Halévy.

                                                                                                  * Voir Michel Winock, Les grandes crises françaises.

 

Alors, les villes de province, « frémissantes » - à défaut d’intervenir pour sauver la Commune, auraient imposé la République à M. Thiers en 1871.

Essayons donc d’avoir une idée du soutien des grandes villes à la Commune.

 

 

 

LE SOUTIEN À LA COMMUNE DES VILLES, MYTHE OU RÉALITÉ ?

 

 

Dans la mythologie de la Commune, on admet que celle-ci a contre elle la France rurale :  on laisse entendre que les masses paysannes n’ont pas compris que le message libérateur de la Commune était aussi valable pour elles, mais c’est une autre question. De toutes façons, il était difficile aux Communards d’informer les campagnes de leurs intentions (et ensuite de convaincre que celles-ci étaient bonnes) : la proclamation de la Commune Aux paysans n’a certainement pas été lue par beaucoup de paysans, si elle l’a été.

Mais au moins on peut penser que dans les grandes villes ou certaines villes moyennes, la Commune a obtenu le soutien de la population. Parfois ce soutien s’est traduit par la constitution d’une « Commune »  révolutionnaire.

Nous ne pouvons pas prendre ces Communes une par une. Regardons par exemple la Commune de Marseille.

 

 

LA COMMUNE DE MARSEILLE

 

 

41272_HR

 Allégorie de la Commune de Paris et des Communes de Marseille (à terre) et de Lyon.

Dessin de Moloch, probablement publié pendant la Commune.

 

 

 

La nouvelle de l’insurrection du 18 mars provoque l’agitation à Marseille, où la préfecture est envahie le 23 mars par une foule qui soutient les insurgés parisiens. Tandis que le préfet est prisonnier, une commission départementale provisoire s’installe à la préfecture* ; elle est dirigée par l’avocat Gaston Crémieux, un républicain de gauche, avec le soutien des internationalistes. Mais on peut se demander si la commission a compris clairement le sens de ce qui se passe à Paris.

                                                                          * A ma connaissance, jamais le mot « Commune de Marseille » n’a été employé dans les proclamations de cette commission.

 

Dans sa proclamation, elle écrit : « Marseille a été unanime à déclarer qu’elle soutiendrait le gouvernement républicain régulièrement constitué, qui siégerait dans la capitale. » Or, les intentions affichées à Paris sont de constituer une ville libre, d’abandonner sans remords le statut de capitale. L’insurrection marseillaise est donc a priori strictement républicaine et ne semble pas consciente de la portée autonomiste du mouvement communaliste parisien. Elle se focalise sur la méfiance envers le gouvernement de Versailles suspect de vouloir rétablir la monarchie – ce qui est aussi un point partagé avec le mouvement parisien, mais ce dernier ne se réduit pas (comme on veut parfois le dire) à une simple protestation républicaine.

La commission départementale, d’abord d’accord en apparence avec le conseil municipal (républicain modéré), qui est toujours en fonctions, n’arrive pas à définir une politique claire d’autant que son contrôle sur la ville est mal établi. Le journal Le Petit Marseillais écrit : « Pauvre Commission départementale, personne ne veut la prendre au sérieux, personne ne reconnaît son autorité ». Comme dans un film où on ménage le suspense, la commission s’apprête à envoyer au gouvernement un télégramme annonçant qu’elle va se dissoudre moyennant quelques assurances, lorsqu’entrent dans la salle où elle siège les envoyés de la Commune de Paris, Landeck, Amouroux et May, auxquels se joint un autre « Parisien » déjà à Marseille, le très révolutionnaire Mégy (célèbre depuis qu’il avait tué un policier venu l’arrêter dans les derniers mois du Second empire). Ces hommes vont prendre en main la commission départementale.

Les délégués de Paris donnent une orientation révolutionnaire à la commission départementale (ils menacent même, dit-on, de fusiller Crémieux) – ce qui fait perdre à celle-ci une partie de de ses soutiens marseillais, déjà vacillants. Le conseil municipal (dont la commission prononce unilatéralement la dissolution) se rapproche du pouvoir versaillais. Lorsque l’armée (dirigée par le commandant de la région militaire, le général Espivent de la Villeboinest) lance son attaque victorieuse sur la ville (le 4 avril), les défenseurs de la « Commune » marseillaise ne sont environ que 400, mais des foules présentées comme considérables essaient de s’interposer entre les soldats et les défenseurs de la Commune.

Les délégués de la Commune de Paris parviennent à s’enfuir, tandis qu’après une journée de combats, la préfecture désertée par ses défenseurs, est occupée par l’armée et les marins : il y a environ 150 victimes chez les Communards. Les jours qui suivent, le général Espivent fait procéder à de très nombreuses arrestations.

Dans une lettre adressée à un journal démocrate, le « mulâtre » Job, membre de la commission départementale, en fuite, accable les délégués de Paris et les rend responsables de la catastrophe finale : « Que sont venus faire parmi nous ces hommes inconnus à Marseille, qui au lendemain de leur arrivée, alors que les esprits calmés par la voix de la raison étaient tout disposés à entendre les paroles de conciliation, ont rendu tout arrangement impossible ? ». Il reproche à ces hommes d’avoir insufflé des sentiments de haine aux esprits faibles et d’avoir pris la fuite au premier coup de canon.

Vraie ou fausse, l’imputation montre à l’évidence que Communards (ou communalistes) marseillais et Communards parisiens ne s’étaient pas compris.

L’absence de fort soutien populaire à la Commune de Marseille est montrée par une chanson (dans le texte original, en provençal de Marseille) de 1876 environ, de Michel (Miquèu) Capoduro - qui aurait sans doute voulu que les Marseillais se fassent tuer en plus grand nombre pour la Commune, identifiée par lui à la République :

 

Républicains de taverne,

Orateurs de cabarets (…)

Vous n’êtes guerriers qu’au cabanon (…)

Regardez le quatre avril (...)

Vous dormiez bien, et tout s’explique.

Enfants de la république

Je ne vous croyais pas tant bornés  (…)

 

Les ultimes défenseurs de la Commune furent parfois plutôt désinvoltes - bien que courageux – comme  le jeune Léo Taxil (le futur écrivain anticlérical puis antimaçonnique*), qui le 4 avril, entre dans la préfecture sous les balles, pour rejoindre les défenseurs, va sur une barricade tirer  quelques coups de fusil sur les « gardes nationaux de l’ordre » (fidèles au gouvernement), puis quitte la préfecture après s’être débarrassé de sa défroque, et  en badaud, va voir les artilleurs de la marine qui tient sur la préfecture depuis Notre-Dame de la Garde… Il ne sera pas inquiété.

                                                                         * Organisateur par la suite d’un vaste canular consistant à montrer que la franc-maçonnerie rendait un culte à Lucifer. Après avoir exploité le filon avec des livres à succès entre environ 1885 et 1897, Taxil dévoila lui-même la supercherie lors d’une conférence tumultueuse.

 

Le cent-cinquantenaire de la Commune a amené quelques articles où on évoque la Commune de Marseille – avec des approximations sur lesquelles il est inutile de trop s’étendre. Pour France Inter, tous les protagonistes de la Commune de Marseille finirent fusillés dans les « fossés » du Pharo : non, seul Crémieux, qui avait pris la direction du mouvement, fut condamné à mort et exécuté* (il y eut aussi quatre peines de mort qui furent commuées, les autres protagonistes furent selon le cas condamnés à la prison ou au transfert en Nouvelle-Calédonie, ou acquittés, sans parler de ceux qui étaient en fuite).

                                                                                                                 * Pour être exact, au moins un soldat rallié à l’insurrection fut aussi exécuté au Pharo.

 

La Ville de Marseille a publié un article sur son site dans lequel on apprend que l‘insurrection fut vaincue car elle était privée de ses chefs (?!) et que les noms des protagonistes font désormais partie de notre quotidien puisqu’ils ont été donnés à des rues de Marseille - comme Crémieux … et Gambetta. Eh, oui, on apprend que Gambetta était un Communard. Sans doute un effet de la confusion entretenue entre République et Commune… A ce compte-là, l’auteur de l’article aurait pu citer aussi Jules Ferry, adversaire de la Commune et nommé par Thiers préfet de Paris immédiatement après l'écrasement de la Commune !

Ceux qui sont intéressés par la Commune de Marseille peuvent se reporter à ma série de messages sur mon blog (http://comtelanza.canalblog.com/archives/2020/03/16/38104278.html et les 5 messages suivants).

                                            

 

 

 

la-commune-600x451

Fin de la Commune de Marseille, 4 avril 1871. Les marins du gouvernement bombardent la préfecture depuis Notre-Dame-de-la-Garde (Dessin) -  Crédit : Musée d'Histoire de Marseille.

Site de la Ville de Marseille

https://www.marseille.fr/culture/actualites/la-commune-de-marseille-150-ans-apres-retour-sur-l-insurrection-qui-changea-le

 

 

 

LE VOYAGE DE BENOÎT MALON À BORDEAUX

 

 

Gustave Lefrançais, membre du conseil de la Commune, dans ses souvenirs, évoque le point de vue de Benoit Malon que la Commune de Paris avait envoyé en mission en province, notamment à Bordeaux :

« Bientôt arrive Malon, revenant de Bordeaux, Il nous apporte ses impressions de voyage. Elles ne sont pas gaies.

Il est persuadé que, malgré le mépris qu’a déjà soulevé contre elle l’Assemblée des ruraux, la province n’appuiera pas le mouvement. La province redoute avant tout la reprise de la guerre dont elle ne veut à aucun prix. De grands malheurs sont à craindre.»

Que les remarques de Malon valent pour Bordeaux ou pour les régions traversées durant son voyage, la conclusion est que la province ne « suivait » pas, notamment par peur que la Commune ait l’intention de ranimer la guerre contre l’Allemagne - peur sans fondement semble-t-il (voir notre troisième partie), mais le constat confirme le vœu général pour la paix, aux antipodes de la présentation des Communards comme incarnant le patriotisme contre « les bourgeois capitulards ».

 

 

 

LILLE ET SA RÉGION

 

 

Comment a réagi Lille, ville ouvrière, face à la Commune ?

Selon Jessica Dos Santos (Lille, ville ouvrière et ville frontière, face à la Commune de Paris,Revue du Nord, 2006/1), « l’opinion publique a rapidement évolué au cours du conflit, et même le « petit capital de sympathie » pour la Commune qui existait en mars tend à disparaître. »

Au mieux, et « comme ailleurs », « les plus « à gauche » des républicains radicaux ont recherché d’abord un compromis honorable entre Paris et Versailles ». Ce souci est représenté par Gustave Masure* et ses amis,

                                                                                     * Directeur du  Progrès du Nord, ancien collaborateur de Gambetta au gouvernement de la Défense nationale installé à Tours durant la guerre 1870-71, puis en 1876 député de l’Uni républicaine -parti de Gambetta)

 

Les républicains lillois pensent que les seules revendications des Communards sont la proclamation de la République et les libertés communales pour toutes les villes, et ils espèrent parvenir à une conciliation entre Paris et Versailles, mais les tentatives de conciliation, en liaison avec la « Ligue d’Union républicaine des droits de Paris », fondée début avril par les anciens maires de la capitale, n’aboutissent pas, en grande partie en raison de l’hostilité de Thiers (mais la Commune refusa aussi de s’engager véritablement dans une démarche de conciliation).

« Au fur et à mesure du conflit, Le Progrès du Nord, sous la plume de Masure, durcit progressivement le ton à l’égard des insurgés (…). À la fin de l’insurrection, les républicains, radicaux comme modérés, sont donc unanimes pour condamner la Commune ; il apparaît clairement que la sympathie initiale à l’égard des « émeutiers » était surtout due à une mauvaise compréhension des événements.*»

                                                                       * L’auteur parle d’une « Incompréhension des enjeux réels de la lutte entre Paris et Versailles, due au fait que les Lillois croient chaque camp beaucoup plus modéré qu’il ne l’est réellement.»

 

L’auteur souligne la différence de perception des événements entre Lille et Paris : à Lille, la nomination de Thiers ne provoque aucune colère, ni la signature de la paix, loin de là  : « les Lillois sont loin de l’esprit « jusqu’au-boutiste » des Parisiens ; (…) dans le Nord on accueille avec soulagement une paix amplement méritée. » « …les Lillois sont très loin du sentiment de patriotisme blessé des Parisiens qui est une des causes indéniables du soulèvement du 18 mars. »

La population ouvrière lilloise ne se sépare pas du reste de la population : « … si dans la capitale, les souffrances physiques ont tendance à augmenter le bellicisme d’une partie de la population, la misère qui s’abat sur de nombreux Lillois contribue en revanche à renforcer l’aspiration à la paix. » De là « l’indifférence des ouvriers lillois » aux revendications de la Commune.

L’auteur parle même d’un fossé entre Lille et Paris. S’agissant de la gauche lilloise, l'auteur conclut que « le sentiment dominant (…) face à la Commune de Paris n’a donc pas été l’indifférence, ni pour autant la sympathie, quoi qu’en disent certains contemporains ; ce qui domine, c’est avant tout l’incompréhension ». (Jessica Dos Santos Lille, ville ouvrière et ville frontière, face à la Commune de Paris, Revue du Nord, 2006/1, https://www.cairn.info/revue-du-nord-2006-1-page-111.htm).

 

 

ROUEN ET LE HAVRE

 

 

Comment se présentent les choses à Rouen, vile « de plus de 100.000 habitants, parmi lesquels 30.000 ouvriers sans pain »*, et au Havre, villes occupées par les Allemands ?  

                                                    * Les citations sont tirées de l'ouvrage de Marcel Boivin, Le mouvement ouvrier dans la région de Rouen, 1851-1876, (1989).

 

La paix est acceptée par l’ensemble de la population, même chez les radicaux du Havre, très à gauche.

Certains républicains de Rouen et du Havre sont séduits par les idées de la Commune – sous leur aspect fédéraliste et proudhonien, aujourd’hui le plus délaissé : « La Commune proclame énergiquement le principe fédératif qui, seul, est capable de construire l’ordre vrai et de nous débarrasser des utopistes autoritaires de toute école » (Aubry, lettre au directeur du Nouvelliste de Rouen)*.

                                            * Emile Aubry (1829-1900), ouvrier typographe, socialiste proudhonien indépendant, responsable de la section de l'Internationale à Rouen. Participe à la Commune de Paris où il travaille à l'administration des Postes comme chef de bureau. Arrêté après la fin de la Commune, puis relâché, s'enfuit en Belgique alors qu'il est de nouveau recherché et condamné par contumace. En Belgique, devient un artisan photograveur réputé. Se rapproche un moment du bonapartisme social, puis devient partisan du mouvement boulangiste; en 1892, prononce un discours à la suite de Rochefort sur la tombe de Boulanger à Ixelles. Semble être resté en Belgique l'essentiel de sa vie, mais meurt en France (d'après le Dict. Maitron).

 

Mais après avoir espéré un compromis entre Paris et Versailles, les républicains du Journal de Rouen, informés notamment des arrestations auxquelles procèdent les Communards, parlent alors de « tyrannie criminelle ». « Espérons que la Commune sera promptement brisée... La Commune s’est livrée à de tels excès qu’il n’y a plus que des fous ou des criminels qui puissent la soutenir ». Pour le journal, l’issue désastreuse du conflit est prévisible : si la Commune refuse d’entendre raison et de se soumettre : on verra « ce désastreux spectacle d’une armée française noyant Paris dans le sang ». Le journal publie une lettre de Carnot, président de la gauche républicaine, condamnant sans réserves la Commune.

Lors des élections municipales de fin avril-début mai 1871, Le Nouvelliste de Rouen, plus à droite que son confrère, souhaite l’union nationale étendue aux monarchistes : « Les électeurs n’affirmeront qu’une chose, c’est qu’ils sont les partisans de l’ordre et qu’ils répudient les fatales doctrines au nom desquelles le sang français est répandu à Paris... Nous vivons des temps où il est désirable à tous égards que républicains sincères et monarchistes convaincus n’hésitent pas à se réunir sur le terrain des véritables principes sociaux... ».

« Après la semaine sanglante, le Journal de Rouen reconnut que la victoire des troupes de Versailles avait été accueillie avec satisfaction », mais qu’il fallait tenir compte qu’il y avait parmi les combattants de la Commune des hommes « de bonne foi [qui] croyaient la République en péril », et qui avaient été égarés  « par quelques énergumènes et quelques misérables » : la répression ne peut confondre indistinctement tous les participants. Le Journal de Rouen s’oppose alors au Nouvelliste, partisan de la répression sans nuance :  « Qu’on ne parle pas à notre confrère de justice dans la répression... C’est paraît-il se rendre criminel ».

Pour les quelques partisans locaux de la Commune (notamment Ernest Vaughan*), hormis Aubry qui se rendit à Paris pour participer aux événements, « l’adhésion à la Commune se limita à une approbation de principe, toute action était écartée dans l’immédiat », d’autant que la Normandie était toujours sous occupation des forces allemandes. Les pro-Communards furent arrêtés par la police après une réunion, certains s’enfuirent. Finalement les détenus furent jugés et acquittés.

                                   * Sur Vaughan qui fera une longue carrière de journaliste et directeur de journaux, voir notre troisième partie.

 

Source: Marcel Boivin, Le mouvement ouvrier dans la région de Rouen, 1851-1876, (Chapitre III. L’occupation de Rouen et la Commune de Paris), 1989,  https://books.openedition.org/purh/8299?lang=fr

                                        

 

 

NARBONNNE ET LE SUD-OUEST

 

 

Parmi les villes où une Commune révolutionnaire fut proclamée, on trouve Narbonne,16000 habitants, « la plus petite ville qui ait connu une Commune » (Marc César, La Commune de Narbonne (mars 1871), 1996, . https://books.openedition.org/pupvd/3865.

« Il faut éviter de chercher à la Commune de Narbonne des explications dans un prétendu malaise économique. C’est exactement l’inverse qui se produit : l’augmentation du niveau de vie permet à chacun d’avoir des occupations autres que purement matérielles et de survie. » (M. César ouv. cité – les citation suivantes entre guillemets sont extraites du même ouvrage )

Narbonne, où les républicains dominent, est isolée dans un département qui a voté conservateur en février 1871 : « Mais, il ne faut pas pour autant caricaturer, et parler de ruraux conservateurs autour de Narbonne : ils ont surtout voté pour la paix ».

Selon l’auteur, les républicains de Narbonne, qui veulent la République démocratique et sociale, se sentent trahis par la République conservatrice : la Commune de Narbonne est un « phénomène à la fois révolutionnaire et républicain, ces deux termes étant complémentaires, et non antithétiques ».

Néanmoins, on n’est pas vraiment convaincu par l’auteur qui qui évoque le souhait chez eux « un projet influencé par le fédéralisme proudhonien », même si les idées de Digeon*, le chef de l’insurrection (mais peut-être de lui seul), allaient dans ce sens. 

Paradoxalement, il me semble que le "communalisme" dans le Sud de la France (Sud-ouest et Sud-est) est de tonalité moins fédéraliste que celui qui s'exprime au Nord (on parle ici des théoriciens et selon les individus, bien entendu). Ce serait un sujet à approfondir.

                                                        * Emile Digeon (1822-1894), fils d'un républicain proscrit au 2 décembre 1851, avait passé une partie de sa vie à Palma de Majorque, où il avait créé une raffinerie de sucre et une exploitation agricole, et fait un riche mariage (ce qui lui permit de gérer la banque dont sa femme était propriétaire). Retourné à Palma après la Commune, il élabora pour la France un projet de constitution communo-fédérative. Revenu en France, il se consacra au militantisme et noua d’étroites relations avec Louise Michel ainsi qu'avec Jules Guesde. Il fut sans succès candidat dans la circonscription de Narbonne "successivement sous les étiquettes radical, socialiste et enfin, cas unique dans l’histoire politique, anarchiste". Progressivement converti à l'anarchisme, la dégradation de son état de santé (il devint pratiquement aveugle) l'obligea à abandonner ses activités politiques. Abandonné par sa riche épouse, il vécut la fin de sa vie dans la gêne, finalement recueilli par un cousin (d'après le Dict. Maitron).

                                                           

                                                                                     

 

 A Narbonne, une partie de la population demande au conseil municipal de soutenir la Commune de Paris - sur le refus de celui-ci, la mairie est envahie et la Commune est proclamée le 24 mars 1871 sous la direction d'Emile Digeon, en présence de 2000 personnes dont de nombreuses femmes, très actives dans le soulèvement. Ses partisans armés (250 à 300 gardes nationaux et 250 soldats de l’armée régulière ralliés à la Commune) se retranchent dans l’Hôtel de Ville lorsque les autorités décident de reprendre la ville. Les partisans de la Commune sont donc une partie importante de la population – mais sont-ils en majorité, l’auteur ne se pose pas la question.

Après des combats qui font trois morts, les défenseurs de la Commune de Narbonne doivent se rendre le 30 mars.

« La plupart des villes et villages voisins de Narbonne ne l’ont pas suivie dans l’insurrection. Pourtant, les sympathies envers la Commune étaient nombreuses. »

A Perpignan, après une brève agitation, les autorités gouvernementales, appuyées par les turcos (tirailleurs algériens), dispersent les pro-Communards « comme de vulgaires manifestants ». « … le soulèvement perpignanais, désorganisé, n’avait pu menacer réellement le pouvoir, bien protégé par ses « turcos ». Quelques arrestations furent opérées ».

A Béziers et à Sète (Cette, dans l’orthographe de l’époque), le soutien qui se manifeste pour la Commune « reste symbolique » et aboutit « finalement à une position de conciliation entre Versailles et Paris ».

« L’apathie de Carcassonne, Béziers ou Cette, sans parler de celle de Montpellier ou de Foix, ni des échecs de Perpignan et Toulouse, fut très préjudiciable à l’avenir immédiat de la Commune de Narbonne. » 

Lors du procès des participants de la Commune (soldats raliés et civils) le maire de Carcassone, Théophile Marcou (futur député), qui n'a pas soutenu la Commune de Narbonne, soutient les accusés dans son journal, de même que le journal Les Droits de l'Homme de Montpellier, dirigé par Ballue et le jeune Jules Guesde*.

                                                                       * Guesde qui a aussi écrit des articles favorables à la Commune de Paris sera obligé de s'enfuir à l'étranger avant d'être condamné à 5 ans de prison par contumace. On sait qu'il sera par la suite un des dirgeants les plus importants du socialisme français.

 

18 militaires ralliés à la Commune sont condamnés  à mort par la cour martiale, mais finalement grâciés (mais condamnés à la prison militaire) à la suite de l’intervention de notables aussi bien républicains que conservateurs.

Quant aux acteurs civils, ils sont jugés en novembre 1871 devant la Cour d’assises* de Rodez : le principal chef de la Commune de Narbonne, Digeon, reçoit de ses adversaires des témoignages favorables : « À mes yeux, quel que soit le verdict, je considérerai monsieur Digeon comme un honnête homme ». déclara le chef de bataillon du régiment dont une partie des hommes avait fait défection en faveur de la Commune. Il ajouta aussi : « Je ne veux pas apprécier la conduite des soldats qui sont passés aux insurgés ; il y a beaucoup de circonstances qui pourraient les excuser ».

 

                                                       * Dans les départements qui n’étaient pas sous le régime de l’état de siège (depuis la guerre de 1870), le jugement des accusés relevait des juridictions civiles. Dans les départements en état de siège, il relevait des cours martiales composées de militaires (généralement plus sévères et expéditives). Le jugement des militaires compromis incombait dans tous les cas aux cours martiales.

 

La Cour acquitte les accusés. « Digeon, accompagné de sa femme et de tous les autres communards sortait libre du palais de justice de Rodez. La foule les acclama aux cris de « Vive la République ».

Mais au moins deux autres acteurs, d’abord jugés par contumace, seront condamnés en 1872 à des peines de prison lorsqu’ils se présenteront pour être jugés.

L’auteur résume ainsi la position des républicains du Sud-Ouest envers les Communards de Narbonne : « On n’avait pas voulu les suivre, mais on les considérait avec respect comme de « vrais républicains », héroïques, qu’il fallait soutenir maintenant qu’ils avaient été battus. »

Il est à noter que la Commune de Narbonne fut vaincue militairement grâce à l’intervention de régiments de l’armée régulière, dont un bataillon de tirailleurs algériens. Leur commandant, pour briser la résistance des Communards, donna carte blanche à ses hommes : ceux-ci « lâchés dans la ville, pillaient trois cafés, terrorisant la population ». Ils pillèrent aussi l’Hôtel-de-Ville.*

                                                                       * « …les autorités militaires n’ont rien fait pour empêcher les turcos de se livrer à ces pillages, au contraire, elles les y ont encouragés, exploitant ce comportement pour terroriser les Narbonnais .» (M. César, ouv. cité).

 

L’auteur note que les turcos suscitaient le rejet dans les populations civiles et répondaient à ce rejet par des attitudes et des actes hostiles. Les officiers utilisaient cet antagonisme pour les besoins du maintien de l’ordre. L’auteur écrit : « l’anticolonialisme n’était pas encore né, et l’antiracisme, qui l’a suivi, était loin d’être devenu une des valeurs principales de la gauche. Digeon lui-même considérait les tirailleurs comme de « vrais sauvages ». Digeon pensa utiliser le pétrole contre les turcos, en disant lors de son procès : « je ne l’aurais pas employé contre des soldats français »…

 

 

 

EN RÉSUMÉ

 

 

Qu’avons-nous recuelli dans ce rapide examen qui n’est évidemment pas exhaustif *? Lorsqu’il y a eu une Commune dans une ville de province, peut-on conclure qu’elle avait lesoutien de la majorité de la population?  Il semble difficle de l’affirmer. Et quand on parle de villes favorables à la Commune, en fait, il s’agit plutôt de villes dont les représentants souhaitent une conciliation entre Paris et Versailles.

                                                                                   * Il aurait fallu parler de la Commune de Lyon (23-25 mars 1871), qui se réduit à deux jours d’agitation avec occupation de l'Hôtel-de-Ville - mais le maire Hénon, bien servi par l'arrivée de troupes composées de militaires originaires du Lyonnais, qui n'appuient pas l'insurrection, reste maître de la situation : seul le faubourg de la Guillotière reste plus longtemps aux mains des Communards locaux, avant d’être repris par les forces de  l’ordre dirigées par le préfet et le procureur de la république Andrieux (un républicain passé presque directement des prisons du Second empire à la magistrature, qui sera ensuite préfet de police, puis député). La reprise du quartier de la Guillotière fait une trentaine de morts.

                                                                                      

S’agissant de la sympathie pour les Communards vaincus, on doit observer que lorsqu’il y a eu une Commune locale, fréquemment les républicains même modérés se prononcent pour la clémence : par exemple à Marseille, le conseil général mandate son président, le modéré Labadié, un homme fortuné, pour plaider à Versailles la cause des condamnés à mort. Peut-on y voir une manifestation de solidarité régionale plus qu’une manifestation de proximité politique ?

De plus, l’idée que les républicains radicaux, sans avoir suivi les Communards, les considèrent comme des républicains “modèles”, devrait être nuancée : c’est peut-être exact dans le cas des Communards de Narbonne, bien moins lorsqu’on envisage le cas des Communards parisiens : on a vu que les républicains rouennnais veulent seulement distinguer, dans la répression, entre les Communards parisiens, de bonne foi, qui ont cru défendre la République, et leurs meneurs, qualifiés d’énergumènes et de misérables (il est vrai qu’exprimer publiquement une sympathie politique pour les vaincus est impossible).

Enfin il est très peu probable que les républicains unitaires aient jamais pu considérer comme des modèles les Communards partisans de l’autonomie communale complète ...  Si un rapprochement politique est possible, c’est seulement entre gens que ne séparent pas des questions importantes d’organisation du pays, donc entre les républicains radicaux et les Communards les moins fédéralistes.

Ces quelques réflexions indiquent la diffculté d’apporter une réponse  à la question du soutien (ou de l’absence de soutien) des villes (grandes ou  moyennes) à la Commune, ainsi que de la compréhension, par les républicains de province, des objectifs de la Commune.

 

 

 

walter cane

Allégorie de la Commune. Gravure d'après le dessin de l'artiste anglais Walter Crane, In Memory of the Paris Commune (1896 ?).

L'image symbolique de la Commune donnée par Walter Crane, socialiste, proche des libertaires, mais aussi illustrateur de contes de fées et de récits du cycle de la Table ronde, marqué par le pré-raphaélisme, semble assez loin de l'imagerie volontiers retenue en France. Il y a là aussi un sujet pour les historiens hors des sentiers battus: la représentation symbolique de la Commune selon les époques et les cultures.

Image figurant dans le recueil Dayot (L'Invasion, le siège, la Commune, album iconographique publié par Armand Dayot, inspecteur des Beaux-arts, sans date, mais probablement 1901).

Gallica.

 

 

AKG76208

 

La même allégorie dans une version allemande, à la mémoire (dem angedenken) de la Commune de Paris (fin du 19ème siècle, début 20ème).

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
Publicité
Archives
Publicité