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Le comte Lanza vous salue bien
6 avril 2020

LA COMMUNE DE MARSEILLE EN 1871 SIXIEME PARTIE SUITES ET PROLONGEMENTS

 

 

 

LA COMMUNE DE MARSEILLE EN 1871

SIXIÈME PARTIE

 SUITES ET PROLONGEMENTS

 

  

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

M. THIERS ET CRÉMIEUX

 

 

Il est parfois indiqué que Thiers aurait refusé sa grâce à Gaston Crémieux, voire sur certains sites militants, que Crémieux avait été exécuté sur ordre direct de Thiers (?).

En fait, l'octroi de la grâce incombait à une commission issue de la chambre des députés. C'est elle qui refusa la grâce (comme indiqué dans la notice Wikipedia sur G. Crémieux). Mais il semble que Thiers a fait ce qu’il a pu pour sauver Crémieux.

Dans le numéro du 8 novembre 1881 du Petit Marseillais (https://www.retronews.fr/journal/le-petit-marseillais/08-novembre-1881/437/1591391/2 ) parut, sous le titre « M. Thiers et Gaston Crémieux », une lettre adressée au journal par M. Labadié, ancien député et ancien président du conseil général des Bouches-du-Rhône (et préfet éphémère en 1870).

Cette lettre est écrite au moment où il était question d’ériger une statue de Thiers sur une place de Marseille, ce que refusait la municipalité radicale du maire Brochier, alors que la municipalité précédente, républicaine modérée de Ramagni, s’était déclarée en faveur de la statue. Cette situation provoquait des polémiques où revenait la question de l’exécution de Crémieux.

Le Petit Marseillais introduit ainsi la lettre : « …s'il n'avait dépendu que de lui [Thiers], la peine de mort prononcée contre Gaston Crémieux aurait été commuée comme celle des autres condamnés à mort de Marseille. Il y a là une question historique et locale à éclaircir et une calomnie à réfuter ; c'est ce que fait avec beaucoup d'à-propos l'honorable M. Labadié dont le témoignage ne saurait être suspect ».

« Marseille, le 7 novembre 1881.

Monsieur le directeur,
Les détracteurs de M. Thiers jettent les hauts cris et protestent contre l'érection de sa statue à Marseille ; ils lui reprochent surtout de n'avoir point empêché l'exécution de Gaston Crémieux, quelques-uns l'accusent même de l'avoir assassiné.

Ces accusations sont absolument injustes et contraires à la vérité.
M. Thiers a fait tout ce qu'il était possible de faire pour sauver Gaston Crémieux. J'ai été moi-même témoin de ses efforts.
Le 26 octobre 1871, le conseil général dont j'avais l'honneur d'être le président, me délégua pour aller à Versailles solliciter de la commission des grâces une commutation de peine en faveur des quatre condamnés à mort Crémieux, Etienne, Pélissier et Roux.
On sait que l'Assemblée nationale, par la loi du 17 juin 1871, avait conféré à une commission nommée par elle le droit de faire grâce pour les faits se rattachant à la dernière insurrection à Paris et dans les départements depuis le 15 mars 1871.


Durant mon séjour à Versailles, où je fis de vaines tentatives pour être entendu par la commission, je vis M. Thiers tous les jours. Je n’eus pas de peine à le convaincre que l’exécution des quatre condamnés à mort du conseil de guerre de Marseille serait un acte odieux et impolitique.

(…). Je le trouvais entièrement disposé à la clémence. Il tenait principalement à sauver Gaston Crémieux ; il en avait fait la promesse à son vieil ami Crémieux, l’ancien ministre, et il mit en œuvre dans ce but toutes les ressources de son esprit si ingénieux et si tenace.

Dans la séance de la commission des grâces qui suivit celle où elle avait rejeté le recours en grâce de Gaston Crémieux, M. Thiers plaida sa cause pendant plus de deux heures. (…). Son but était d'établir qu’il n’y avait pas d’assimilation possible entre les condamnés de Marseille et ceux de Paris. A Marseille, en effet, il n’y avait eu ni otages fusillés ni monuments incendiés. (…) Tous ses efforts et ceux que je fis moi-même par une supplique que j'adressai à la commission furent impuissants ; elle n'accorda la commutation de peine qu’aux trois autres condamnés Etienne, Pélissier et Roux.

En rendant compte au conseil général, dans sa séance du 21 novembre 1871, de la douloureuse mission qu'il m'avait confiée, je constatai ces faits.

J'ai considéré qu'il était de mon devoir de les rapporter pour ne pas laisser ternir la mémoire de M. Thiers par une accusation de cruauté. (…)

Alexandre LABADIÉ,

Le Petit Marseillais conclut :

« Nous osons espérer que le témoignage de M. Labadié servira à faire tomber une accusation absurde et rappellera aux radicaux marseillais que, sous peine de renier tout sentiment patriotique, ils ne peuvent refuser plus longtemps, à M. Thiers, dans sa ville natale, une place pour sa statue. [signé] R. »

 

Mais déjà, à l’époque des faits, la seule responsabilité de la commission des grâces était mise en cause. On en trouve mention dans un modeste journal suisse Le Confédéré (de Fribourg) du 8 décembre 1871 (sans doute un dépouillement de la presse nationale et internationale permettrait de mieux l’établir), dans un article très favorable aux condamnés et très critique pour la commission des grâces.

Ce journal écrit : « Il est de notoriété publique que la majorité de la commission des grâces a imposé à M Thiers l‘obligation de faire exécuter Rossel et Gaston Crémieux. Il est encore de notoriété publique que M. Thiers avait fait espérer à Mme Gaston Crémieux que son mari ne serait point exécuté. Aujourd’hui ces membres voudraient pouvoir associer le nom de M. Thiers à leur sanglante besogne, mais la vérité s‘interpose entre leurs désirs et les faits. Ils restent seuls et resteront éternellement seuls à supporter ce lourd et écrasant fardeau » https://www.e-newspaperarchives.ch/?a=d&d=LCG18711208-01.2.7&e=-------de-20--1--img-txIN--------0-----

 

Le journal indique que la commission resta sourde aux très nombreuses interventions en faveur des condamnés (il ne s’agit pas forcément du seul cas de Crémieux ou Rossel), dont celle du vieux Guizot*. « Neuf députés obscurs, sur les quinze qui composaient cette commission désormais célèbre dans les annales de l‘histoire, ont osé placer leur veto au-dessus de la volonté de la France ! » (Le Confédéré, 8. décembre 1871).

                                                             * Représentant du conservatisme libéral, Guizot avait été le principal ministre de Louis-Philippe ; ayant abandonné la vie politique, il faisait figure de vieux sage. Il mourut en 1874. Protestant illustre, on peut penser qu'il était intervenu en faveur du protestant Rossel.

 

On peut aussi retenir qu’en Suisse (où s’étaient réfugiés de nombreux proscrits), l’opinion (si on admet que le journal cité reflétait l’opinion générale, ce qui est une hypothèse bien sûr), paraissait plus favorable aux condamnés qu’à ceux qui les condamnaient (à noter que le journal se présentait comme "journal des radicaux de Fribourg" - en Suisse, le PRD (parti radical-démocratique) était au pouvoir  dans  la plupart des cantons; la présidence de la Confédération fut exercée quasiment sans interruption entre 1848 et les années 1920 par le PRD ; le titre du journal Le Confédéré, reprend un mot clé de la culture politique suisse, où les citoyens sont appelés, encore de nos jours, Confédérés, membres de la Confédération).

 

 

LES MODÉRÉS ET LA COMMUNE

 

 

Au-delà du débat sur la responsabilité exacte de Thiers, on voit que le conseil général des Bouches-du-Rhône, de sensibilité modérée, avait fait ce qu’il avait pu pour sauver Crémieux et les autres condamnés marseillais – peut-être un fait à ranger dans la catégorie « solidarité marseillaise ou méridionale » ?

Le dict. Maitron indique que M. Labadié remit directement au président de la commission des grâces une pétition signée par de très nombreux hommes politiques locaux et magistrats en faveur de Crémieux.

On sait aussi que l’Ordre des avocats demanda la grâce de Crémieux.

Mais peut-on mieux cerner les attitudes des notables ? D’autant que selon les sources, des positions différentes sont parfois indiquées pour le même personnage.

Ainsi selon Les préfets de Gambetta (Vincent WRIGHT, complété par Éric Anceau et Sudhir Hazareesingh, 2007), le négociant Alexandre Labadié (comme on sait, préfet en septembre 1870 ce qui explique sa mention dans cet ouvrage) prit « résolument position contre la Commune de Marseille ».

C’est pourquoi on est très surpris que le Dictionnaire Maitron, présente Labadié comme « participant à la Commune de Marseille » (!) alors que la notice elle-même ne dit d’ailleurs rien d’une telle participation, mais seulement des démarches pour obtenir la grâce de Crémieux.

Il en est de même pour le maire Bory dans le même dictionnaire, dont la participation à la Commune est quand même présentée avec un point d’interrogation mérité ! Bien sûr, le conseil municipal délégua bien trois membres pour participer à la Commission départementale présidée par Crémieux - mais cet acte de prudence politique, vite retiré d'ailleurs, équivaut-il à une participation délibérée ? On en doute. On a déjà cité la phrase du maire Bory lors du procès des 17 accusés en juin 1871: «  il fallait ou soutenir une irrégularité ou s’attendre à l’envahissement de l’Hôtel de Ville ».

En fait, Labadié, comme d’autres républicains modérés, n’approuvait pas la Commune, mais n’approuvait pas non plus inconditionnellement les actes du gouvernement de Versailles.

Lors du conseil municipal du 23 mars 1871, où fut débattu le soutien à apporter à la manifestation du préfet Cosnier en faveur de Versailles, M. Labadié déclara : « Si je considère comme inopportune et dangereuse une manifestation en faveur du gouvernement de Versailles, je blâme de toutes mes forces ce qui se passe à Paris. Le meurtre des généraux Lecomte et Clément Thomas doit exciter l'indignation de tous les honnêtes gens. » (cité par La ville de Marseille, l'insurrection du 23 mars 1871 et la loi du 10 vendémiaire an IV, A. Rabatau, Ludovic Legré, 1874).

 

Une autre source mentionne que Labadié « condamne publiquement la répression de la Commune marseillaise* et la politique d'ordre moral » (Pierre-Paul Zalio, D'impossibles notables ? Les grandes familles de Marseille face à la politique (1860-1970), Politix,2004. https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2004_num_17_65_1611

                                                  * Remarquer qu’il s’agit de la répression de la Commune marseillaise, qu’on présentait volontiers comme « moins coupable » que la Commune de Paris.

 

Alexandre Labadié était un « négociant millionnaire, doté d’une fortune considérable » (Les préfets de Gambetta). Président du conseil général en 1871-74, il s’oppose notamment aux divers préfets des gouvernements conservateurs, notamment Jacques de Tracy. Battu en novembre 1874 aux municipales, il est poursuivi puis condamné au civil pour avoir fait arrêter, pendant qu’il était préfet, l'ancien commissaire central de Marseille (lequel s'était suicidé en prison). Elu député en 1876 (circonscription d’Aix), il fait partie des 363 parlementaires qui votent la motion de censure contre le duc de Broglie, président du conseil. Réélu en 1877, sa candidature est vivement combattue par le parti radical au renouvellement de 1881 ; il est alors battu par Camille Pelletan, républicain radical ; sa tentative de créer un parti spécifique, « les Labadiéristes », n’a pas de succès ; il se retire de la vie politique (d’après Les préfets de Gambetta de Vincent Wright, Éric Anceau et Sudhir Hazareesingh, notice Wikipedia Alexande Labadié et dict. des Parlementaires de Robert et Cougny).

 

Les républicains modérés pouvaient se méfier des tendances monarchistes de l’Assemble nationale et des gouvernements de l’ordre moral, cela n’en faisait pas pour autant des sympathisants de la Commune. Mais en tant qu’humanistes et en tant que Marseillais, les républicains modérés ont fait ce qu’ils ont pu pour sauver les condamnés.

Le souvenir de M. Labadié est encore présent à Marseille : c’est lui qui fit construire l’hôtel particulier près du Palais Longchamp à Marseille, connu comme Musée Grobet-Labadié, légué avec ses collections à la ville par sa fille, Mme Grobet.

 

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 Le musée Grobet-Labadié à Marseille, à l'angle de la place Labadié et du haut du boulevard Longchamp. La fresque murale représente la fille d'Alexandre Labadié et son mari, M. Grobet qui ont réuni des collections d'art dans leur hôtel particulier, devenu musée par la suite.

https://www.my-travel-pass.com/acheter-billet-pas-cher/visite-musee-grobet-labadie

 

 

 

MESSAGE DE L’AU-DELÀ

 

 

Camille Flammarion, l’astronome réputé qui se passionnait pour les phénomènes paranormaux, cite dans un de ses livres, L’Inconnu et les problèmes psychiques, paru en 1900, la lettre que lui a envoyée Clovis Hugues, « le député poète bien connu, et estimé de tous pour la sincérité de ses convictions et le désintéressement de sa vie » :

«  (…) C’était en 1871.  (…) j’avais écrit un article qui m’avait valu un certain nombre d’années de prison (…). Or, j’étais à la prison Saint-Pierre, de Marseille. Là se trouvait aussi Gaston Crémieux, condamné à mort. Je l’aimais beaucoup, parce que nous avions eu les mêmes rêves et que nous étions tombés dans la même réalité. (...)  … à l’heure des promenades, il nous arrivait de traiter, au petit bonheur de la causerie, la question de Dieu et de l’âme immortelle. »

Quelques camarades de captivité s’étant proclamés athées et matérialistes, Hugues leur fait comprendre que c’est maladroit «  devant un condamné à mort qui croyait en Dieu et à l’immortalité de l’âme. Le condamné me dit en souriant : « Merci, mon ami. Quand on me fusillera, j’irai vous faire la preuve en [me] manifestant dans votre cellule. » Le matin du 30 novembre, à la pointe du jour, je fus subitement réveillé par un bruit de petits coups secs donnés dans ma table. Je me retournai, le bruit cessa, et je me rendormis. Quelques instants après, le même bruit recommença. Je sautai alors de mon lit, je me plantai, bien éveillé, devant ma table : le bruit continua. Cela se reproduisit encore une ou deux fois, toujours dans les mêmes conditions. »

Hugues explique que tous les matins, il avait l’habitude de de se rendre dans la cellule de Gaston Crémieux, pour boire avec lui son café « avec la complicité d’un bon gardien ». « Ce jour-là, comme les autres jours, je fus fidèle à notre amical rendez-vous. Hélas ! (…) je constatai, l’œil braqué sur le judas, que le prisonnier n’était plus là. J’avais à peine fait cette terrible constatation que le bon gardien se jetait dans mes bras, tout en larmes : « Ils nous l’ont fusillé ce matin, à la pointe du jour ; mais il est mort courageusement. »

Avec les autres prisonniers, Hugues partage l’émotion de l’exécution de Crémieux, mais n’ose pas parler du phénomène des bruits, de crainte d’être « blagué ». Il s’en ouvre à un seul, qui pense que le phénomène est une auto-suggestion due au chagrin, ce qui n’est pas vraisemblable pour Hugues car lorsqu’il a entendu les bruits, il ne se doutait pas de l’exécution de Crémieux qui de plus, eut loin de la prison Saint-Pierre : « J’étais dans un état normal, je ne me doutais pas de l’exécution, et j’ai parfaitement entendu cette sorte d’avertissement. Voilà la vérité nue. »

http://icemeb.com/dowloads/camille_flammarion/frances_camille_flammarion/l_inconnu_et_les_problemes_psychiques_II.pdf

 

Le témoignage de Hugues, au-delà de l’aspect paranormal, est intéressant sur deux points : d’une part, il confirme, d’après les propres mots de Hugues, qu’il était en prison pour un délit de presse, et non pour sa participation directe à la Commune de Marseille, comme on le dit souvent (la notice d’Alfred Naquet dans les Œuvres complètes de G. Crémieux, 1882, l’indiquait également).

D’autre part, il montre que les conditions de détention des Ccmmunards/Communalistes marseillais s'étaient améliorées depuis les jours qui avaient immédiatement suivi le 4 avril, où elles étaient très mauvaises  au château d’If ou dans les casemates du fort Saint Nicolas. Dans le récit de Hugues, on voit des détenus qui se promènent et discutent ensemble;  apparemment, Hugues sort librement de sa cellule tous les matins pour aller boire son café chez Crémieux. Et le « bon gardien » se jette en pleurant dans les bras de Hugues :  « Ils nous l’ont fusillé ». Ici encore, l’idée qui s’impose est celle de la solidarité entre Marseillais ou gens du Midi provençal (Clovis Hugues était de Ménerbes), « nous » contre « ils ».

 

 

LES AUTRES PROCÈS

 

 

Le procès des 17 accusés fut sans doute le plus « médiatique » puisque Crémieux était le principal accusé, mais le conseil de guerre statua à de nombreuses reprises sur les accusés de l’insurrection de mars-avril 1871, en présence des accusés ou par contumace.

On peut citer quelques-uns (seulement) des jugements, d’après les indications du Dictionnaire Maitron, dont de nombreuses notices sont de M. Roger Vignaud, spécialiste de la Commune de Marseille (voir nota en fin de ce message).

-          Condamnations par contumace :

Mégy (Léon Guillaume, dit Edmond), après avoir participé à la Commune de Paris en tant que colonel des « fédérés », fut condamné par contumace à la peine de mort par le conseil de guerre de Marseille le 22 janvier 1872 et par le 3e conseil de guerre de Paris le 2 décembre 1872. Il se réfugia à Londres, puis aux Etats-Unis.

Joseph, Étienne Maviel, un des membres de la Commission départementale, réussit à s’embarquer avec quelques compagnons dont Alerini, à destination des Îles Baléares, puis de Barcelone. Il fut condamné par contumace, le 26 janvier 1872, à la peine de mort.

Charles Alerini, lui aussi membre de la Commission, avait été très actif durant la période de la Commune de Marseille. «… le 4 avril, il est encore à la Préfecture quand les autres chefs ont depuis longtemps fui le danger ; il est allé en parlementaire près du général [Espivent] » (dict. Maitron). Il réussit à s’enfuir à l’étranger et fut condamné à mort par contumace, le 24 janvier 1872.

Landeck (Bernard), le fameux "délégué de la Commune de Paris",  était né en Prusse rhénane, d'origine polonaise. Après son passage à Marseille, il participa aux dernières semaines de la Commune de Paris. Il fut condamné le 22 janvier 1872, par contumace, par le 1er conseil de guerre de Marseille, à la peine de mort, et à la même peine par le 17e conseil de guerre de Versailles le 21 février 1873. Il se réfugia à Londres où son activité politique et maçonnique est bien documentée.

May (Albert), le délégué de la Commune de Paris, se réfugia à Londres. il fut condamné le 22 janvier 1872,  par contumace, à la déportation dans une enceinte fortifiée par le conseil de guerre de Marseille, puis à la même peine par le 3e Conseil de guerre de Paris, le 1er juin 1874.

Job (Joseph, Désiré) le célèbre « mulâtre », membre de la Commission, départementale, fut condamné à mort par contumace par le Conseil de guerre. Il s’était enfui à l’étranger.

Victor Bosc était l’un des délégués des bataillons de la Garde nationale qui furent adjoints à la Commission départementale après le retrait des délégués du club républicain de la Garde nationale et de la municipalité. Il réussit à s’enfuir en Italie et fut condamné le 30 janvier 1872, par contumace, par le Conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée.

 

Gavard, le célèbre commandant d’un bataillon de la garde civique, chargé des arrestations durant la Commune de mars-avril 71, et qui aurait aussi été aide-de-camp de Pélissier, le général des insurgés, fut jugé par contumace le 24 janvier 1872 et condamné à la peine de mort.

 

Étienne Louis Combe, ouvrier vernisseur en chaises, avait participé à Marseille à la journée du 8 août 1870, puis le 28 septembre 1870, avec André Bastelica, à la tentative d’insurrection lyonnaise dirigée par Bakounine et Cluseret. Il fut condamné par contumace par le conseil de guerre de Lyon à la déportation, puis le 12 février 1872, toujours par contumace, par le conseil de guerre de Marseille, à quatre ans de prison, mille francs d’amende et dix ans d’interdiction pour avoir participé à la Commune de Marseille et pour avoir été l’un des chefs de l’Internationale du 9 septembre 1870 au 4 avril 1871, selon le tribunal.

 

Firmin Guilhard fut l’un des membres de la Commission départementale. Il fut condamné par contumace, le 26 janvier 1872, par le conseil de guerre, à la peine de mort. Il s’était réfugié à Londres.

 

André Bastelica n'avait pas participé à la Commune de Marseille de mars-avril 71, et pour cause, il était à Paris. La Commune de Paris le chargea des fonctions de directeur des contributions indirectes.  Après la fin de la Commune, où il aurait été grièvement blessé sur les barricades, il parvint à se réfugier à Londres, puis en octobre 1871, il gagna Neuchâtel et travailla dans l’imprimerie de James Guillaume, un des fondateurs de la fédération jurassienne (internationalistes anti-autoritaires). Bastelica fut condamné par contumace à plusieurs reprises : par le conseil de guerre de Lyon en août 1871, à la déportation dans une enceinte fortifiée pour sa participation à l’insurrection de Lyon du 28 septembre 1870;  par le tribunal de 1ère instance de la Seine en mars 1872 à cinq ans de prison  pour usurpation de fonctions. Le conseil de guerre de Marseille ne l'oublia pas et le condamna à quatre ans de prison, 1 000 F d’amende et dix ans de privation des droits civiques, en février 1872, pour affiliation à l’Internationale.

 

 

 

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Un document relatif à l'activité de Bastelica comme directeur des contributions indirectes durant la Commune de Paris.

https://placard.ficedl.info/mot10352.html

 

 

-          Condamnations effectives

Pancin, « l’un des orateurs habituels de l’Eldorado » selon Léo Taxil, l’homme qui avait brandi le drapeau blanc pour demander la cessation du feu le 4 avril selon le même, « fut condamné à douze ans de détention, le 21 septembre 1871, par le conseil de guerre de Marseille. Selon l’accusation, Pancin avait été « un des moteurs de l’insurrection ». Il mourut au cours de sa détention à Nîmes, le 21 mai 1874, « ce qui n’empêcha pas, cinq ans plus tard, le 5 juin 1879, qu’on lui accorde la remise du reste de sa peine » ! (Dict. Maitron)

 

Léopold Constant, membre l’Internationale était à la préfecture le 4 avril. Pélissier lui donna l’ordre de se porter à la rencontre des troupes, mais Constant préféra se sauver. Arrêté ensuite comme suspect, on trouva sur lui des lettres hostiles au gouvernement de Versailles, dont l’une, écrite à Sorbier le 17 mai*. Bien que  Constant ait affirmé qu’il était ivre le jour où il avait écrit cette lettre, et qu’il s’était enfui sans combattre le 4 avril, les autorités pensèrent plutôt qu’il avait joué un grand rôle dans le mouvement insurrectionnel (?), et compte tenu de condamnations antérieures pour escroquerie et abus de confiance, il fut condamné le 11 septembre 1871 par le conseil de guerre à douze ans de détention. Puis en 1879, il bénéficia d’une remise de peine et finalement d’une commutation de peine en bannissement.

                              * Donc après la période de la Commune de Marseille. Le Dict. Maitron dit que Sorbier était le rédacteur en chef du journal L’Egalité, mais on sait que le rédacteur en chef de L’Egalité était Gilly La Palud - il est probable que Sorbier collaborait au journal.

 

Antoine Gay fut condamné, le 16 janvier 1872, par le 8e conseil de guerre, à la déportation dans une enceinte fortifiée en Nouvelle-Calédonie. En 1879, il bénéficia de la remise de sa peine. On le retrouvera bien olus tard (voir ci-desous) membre du parti communiste après 1920.

 

 Notons qu'il existe sur internet aucun renseignement sur Roux, commissaire spécial de police à la gare, qui avait été condamné à mort par un procès séparé de celui des 17 et dont la peine fut commuée en travaux forcés à perpétuité par la commission des grâces.

 

Enfin Amouroux, dont il est peu question, délégué de la Commune de Paris, avait rempli des missions de propagande à Lyon, Saint-Étienne, Toulousee, et  Marseille. Il fut condamné trois fois à la déportation dans une enceinte fortifiée par jugements rendus à Lyon et Riom en 1871, puis en 1872 aux  travaux forcés à perpétuité par le conseil de guerre de Versailles.

Devant la cour d’assises de Riom, il parla avec beaucoup de respect à la cour et se présenta comme un patriote respectable; il déclara être prêt à travailler pour payer l’indemnité de guerre et attendre « une éclatante revanche, qui nous rendra nos deux chères provinces. »

 

-          Nouvelles poursuites après acquittement ou non lieu

Célestin Matheron, agent d’assurances, ancien chef d’une compagnie de « civiques » du temps d’Esquiros, internationaliste, membre de la Commission départementale, avait été acquitté par le conseil de guerre (bien qu’arrêté en possession d’armes) mais ses ennuis n’étaient pas finis. En août 1874, il fut de nouveau arrêté. Le 1er Conseil de guerre le condamna, le 7 octobre 1874, à cinq ans de prison et dix ans de privation des droits civiques pour avoir procédé ou fait procéder à des arrestations illégales par sa compagnie de gardes civiques du 24 au 27 septembre 1870. Il avait été accusé par une vieille demoiselle dans une déposition très embrouillée. Malgré l’absence de témoignages probants (voire même une preuve contraire), Matheron fut condamné (indication donnée par Gustave Naquet dans son livre, Révélations sur l’état de siège à Marseille, 1875). Un an après, par décision du 3 décembre 1875, Matheron bénéficia d’une remise totale de la peine.

 

Citons aussi un personnage peu connu : Philippe Ceregalli, un marchand de grains, né à Tende (alors en Piémont). Déjà condamné en 1851 pour son opposition au coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, il fut compromis dans l'insurrection de mars-avril 1871;  en fuite, il fut arrêté en janvier 1872 et bénéficia d'un non-lieu en février de la même année (absence de preuves). Mais en août 1874, il fut arrêté pour avoir procédé à l'arrestation illégale d'un boucher - informateur de police -  en septembre 1870 et tenté d'arrêter un commissaire de police.  Il fut condamné en  septembre 1874 par le conseil de guerre de Marseille, à cinq ans de travaux forcés et cinq ans de surveillance. C'étaient donc des faits remontant à l'époque où les "civiques" étaient maîtres de la rue à Marseille, en septembre-octobre 1870, qui motivaient une dure sentence. Il fut rapatrié de Nouvelle-Calédonie en 1879. 

 

Gustave Naquet fut aussi poursuivi pour arrestation arbitraire effectuée lors de la période septembre-octobre 1870. Il fut arrêté à Bordeaux (alors qu'il assistait à une représentation au théâtre) sur mandat du général Espivent en 1874 (voir La Presse du 14 août 1874, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k514766v/f1. Il aurait été relâché sans explications un mois plus tard (Les préfets de Gambetta, ouv. cité).

Le journal précité indique que 80 personnes ont été arrêtées à Marseille en août 1874 pour des faits remontant à la période qui a suivi le 4 septembre 1870 et donne une liste de noms (Ceregalli fait partie des noms cités).

A la même époque, Alexandre Labadié fut poursuivi au civil par la veuve d'une victime d'arrestation qui s'était suicidée durant son incarcération; la plainte mettait aussi en cause la Mairie (voir plus loin).

 

 On a vu que Sorbier, membre de l’Internationale, avait été acquitté.

Sorbier, qui était également rédacteur au Peuple de Naquet, avait fondé La République, journal quotidien, qui cessa de paraître au moment de la chute de la Commune de Marseille, mais qui fut remplacé, malgré l’instauration de l’état de siège, par La Fraternité, toujours avec A. Sorbier comme rédacteur en chef (ce journal lui-même disparut le 12 mai 1871 ?). Selon un document des Archives nationales, Sorbier, fut condamné en juillet-août 1872 pour délit de presse dans le journal La Fraternité (apologie de la Commune, le 18 mai 1871 - date qui ne correspond pas avec celle donnée comme date limite de parution du journal ?) et pour « complicité dans l'insurrection de Marseille, avec Crémieux » (mais cette dernière inculpation se confond-elle avec celle qui aboutit à son acquittement ?). La peine n’est pas précisée.

 

 

On note aussi dans ce répertoire des Archives nationales, (ce n’est probablement qu’une petite partie des dossiers existants) :

-           la condamnation à mort (août-septembre 1871) d’un chasseur à pied du 6e bataillon pour être passé du côté des insurgés pendant une charge, le 4 avril 1871 ;

-          le recours en grâce du sous-intendant militaire Brissy, condamné à mort pour usurpation des fonctions de commandant de la subdivision et de la place, du 5 septembre au 28 novembre 1870 [soit bien avant la Commune de Marseille] ;

-          l’inculpation de Gustave Naquet pour un article intitulé " Le traité de paix", hostile au gouvernement, publié, le 17 mai 1871, dans le journal Le vrai Républicain (de Marseille) : 

-          le délit de presse commis en 1871 par le Sieur Clovis Hugues, journaliste à Marseille.

 https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_002973

 

 

L'HONNEUR DE L'AMIRAL COSNIER

 

 

Le contre-amiral Cosnier, préfet des Bouches-du-Rhône à l'époque de l'insurrection de mars 1871, avait déclaré lors du procès qu'il avait refusé de se démettre de ses fonctions malgré l'insistance de insurgés. Etait-ce si clair ? Il semble que le gouvernement de Versailles lui reprochait d'avoir fait preuve de faiblesse.  A Marseille, il avait été remplacé par le préfet Salvetat. En août 1871, le contre-amiral Cosnier se suicida à Toulouse; il n'avait probablement pas supporté les reproches qui lui étaient faits et a laissé une lettre admettant avoir signé « l’abandon de ses pouvoirs au comité insurrectionnel », mais seulement pour protéger ses compagnons de captivité.

 

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Extrait du  Journal des débats politiques et littéraires / 8 août 1871, annonçant le suicide de l'amiral Cosnier.

Site de l'Ecole navale

http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_cosnier_paul.htm

 

 

 

DU CÔTÉ DE CHEZ LÉO TAXIL – INSURRECTION CHEZ LES FOUS ET EMBRASSEZ QUI VOUS VOULEZ

 

 

L’état de siège faisait peser une chape de plomb sur Marseille. Pourtant il ne dissuadait pas les téméraires de publier - à leurs risques et périls - journaux et articles plutôt favorables aux vaincus, ou ironiques envers les vainqueurs.

On a vu que Léo Taxil avait participé, un peu en amateur (mais il ne devait pas être le seul) à la défense de la préfecture le 4 avril.

Il ne fut pas inquiété (mais on a vu que son collègue du journal L’Egalité le fut). Taxil, qui avait admiré le joyeux journal satirique de Rochefort, La Lanterne, décida d’avoir son propre journal satirique, se moquant plus ou moins finement des puissants du moment - en l’occurrence les réactionnaires. L’idée de gagner en plus un peu d’argent ne gâtait rien.

« Cependant, cinq francs par mois ne pouvaient pas suffire à mes besoins. J’avais, comme avant la guerre, pris pension chez des étrangers, et ma famille payait. Mais j’avais hâte de ne rien devoir à mes parents, dont je me séparais de plus en plus. Je résolus donc, avec sept ou huit camarades, de fonder un journal. Il parut, dès le lendemain de la Commune*, sous le titre de la Marotte et vécut deux ans. C’était une feuille satirique hebdomadaire, assaisonnée du plus gros sel, attaquant à outrance les conservateurs et spécialement le général commandant l’état de siège [Espivent]. »(Confessions d’un ex-libre-penseur

https://fr.wikisource.org/wiki/Confessions_d%E2%80%99un_ex-libre-penseur)

                                              * Le premier numéro date du 15 avril 1871, soit une dizaine de jours après la fin de la Commune marseillaise.

 

Le journal se place sous l’invocation de la devise républicaine corrigée : « Liberté des calembours, Egalité d’humeur, Fraternité des rigolades ».

Dans son premier numéro, l’insurrection de mars-avril est évoquée, mais sous forme burlesque :

« L’hospice des fous vient d’être le foyer d’une insurrection terrible » ; ce qui dénote peut-être une tendance à transformer les combats politiques en simples sujet de plaisanteries. Mais l’autorité - c’est-à-dire Espivent et les préfets du gouvernement de Versailles qui lui étaient en fait subordonnés, réagissent dès que la plaisanterie passe les bornes.

Taxil écrit : « Le journal, à tout instant saisi et suspendu, disparaissait sans cesse pour reparaître sous un autre titre La Marotte devenait successivement la Marmotte, le Sans-Culotte, le Bouffon ; mais, après chaque changement d’en-tête, c’était toujours la Marotte qui se montrait… »

S’adressant en particulier aux jeunes gens, le journal de Taxil veut établir une relation particulière et assez moderne avec son lectorat, invitant les lecteurs à faire parvenir des informations intéressantes sur les endroits où ils vivent.

Les rédacteurs manifestent aussi une forme de machisme « bon enfant » (qui ferait aujourd’hui pousser les hauts cris) :

Appel aux jeunes filles : « les demoiselles de 16 à 22 ans qui désireraient se faire embrasser par les rédacteurs de La Marotte sont priées de venir munies d’une permission de leurs parents, les lundis et vendredis de 1 à 3 heures de l’après-midi », au moment où « les 29 rédacteurs de La Marotte tiennent conseil. Celles qui portent des faux-chignons ou ont les mains en battoir peuvent se dispenser de se présenter » (numéro du 23 avril 1871).

(cité par Robert Rossi, Léo Taxil).

R. Rossi expose qu’en adhérant aux idées républicaines et anticléricales, une partie de la jeunesse, dont Taxil serait un bon représentant, adhère aussi à une existence plus libre et amusante, en rupture avec l’austérité des milieux traditionalistes ; loin d’être hostiles à la « Babylone moderne » dénoncée par certains révolutionnaires, ces jeunes gens s’y trouvent finalement à l’aise ; c’est un constat intéressant et un peu décalé.

Il ne reste plus à ces jeunes « radicaux » qu’à conquérir le pouvoir politique et l’aisance matérielle, et Taxil fera tout pour y parvenir…

 

 

UN JOURNAL FÉMININ ET LA COMMUNE

 

 

On peut dire quelques mots d’un journal féminin qui parut en 1871, Le Devoir. Ce journal a fait l’objet d’un article de D. Armogathe dans Provence historique*, dont nous extrayons ce qui suit. Le journal parut du 26 mars au 26 août 1871, soit en partie à l’époque de la Commune marseillaise (et de la Commune de Paris). Il se définissait comme une « petite feuille libérale et populaire », entièrement conçue, rédigée, exploitée par des femmes. La gérante était Armande Bessières.

Parmi les rédactrices on trouve Miss Norff, une Américaine qui travaille aussi pour le journal radical L’Egalité.

                                                       * D. Armogathe, Un journal féminin sous la Commune: Le Devoir, des femmes de Marseille, Provence historique 1996 http://provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1996-46-186_05.pdf [ à notre sens, l’expression « sous la Commune » est moins exacte que « à l’époque de la Commune »]

 

Le Devoir indique avoir « des relations privilégiées » avec L'Egalité, Le Vrai Marseillais*, Le Sémaphore, dont les articles sont qualifiés de « si clairs et si profonds ». Or L’Egalité et Le Vrai Marseillais de Hugues ont des tendances politiques opposées au Sémaphore, journal libéral modéré. Selon D. Armogathe, « le profil moyen de la lectrice du Devoir devait être celui d'une républicaine modérée, catholique ou protestante, atteinte dans son cœur et ses convictions par les malheurs du temps - qui touchent surtout les femmes ».

                                                                                              * Il s’agit d’un journal créé par Clovis Hugues.

 

Foncièrement pacifiste, le journal voudrait aussi pouvoir jouer un rôle de conciliation dans la guerre civile entre Communards et Versaillais. Il adresse une pétition à Mme Thiers, envisage en lien avec un journal de Montpelier, une marche (bien utopique) des femmes sur Paris pour s'interposer entre les Communards et les Versaillais.

Enfin, après la chute de la Commune de Paris, la gérante Armande Bessières exprime sa compassion pour « les femmes de Paris prisonnières qui passent à Marseille et à Toulon avant d'être envoyées en Calédonie ».  Pour le journal, ces femmes ont eu seulement le tort de croire à la République universelle: «Mes pauvres sœurs, qu'on nomme pétroleuses, que le monde maudit, proscrit, bénissez-les, consolez-les, mon Dieu! (...) Mes chères sœurs, vous êtes dépouillées de tout, vous êtes donc les aimées du Christ ! »

Dans L’Egalité, Miss Norff demande aussi aux femmes d’intercéder pour les vaincus : « … Femmes, pleurez pour émouvoir ». L’humanisme des collaboratrices du Devoir s’oppose à l’intransigeance du journaliste Maxime Aubray dans Le Petit Marseillais, qui voit en juin 1871 le convoi des « pétroleuses » qui arrive à Toulon pour « expier les crimes abominables dont elles se sont rendues coupables et pour coopérer à l'œuvre colonisatrice entreprise depuis quelques années par les déportés français* (... ) tout en purgeant la France de son excédent de gredins des deux sexes».

                                            * La Nouvelle-Calédonie servait déjà de colonie pénitentiaire avant l’envoi des Communards.

 

En juin 1871, Le Devoir dresse une requête à Mme de Mac Mahon duchesse de Magenta :  on y condamne la barbarie dans les deux camps, mais surtout la répression qui frappe les innocents et punit les femmes séparées de leur famille; une mention particulière est faite des femmes enceintes ; on déclare comprendre les causes de la révolte et  on remarque que « les déshérités du sort sont souvent meilleurs que les riches. »

Selon D. Armogathe, la fin du journal serait due à l’opposition de la corporation des typographes, « corporation avant-gardiste sur de nombreux points sauf sur celui de l'émancipation des femmes. Les typographes ont tout fait pour couler le projet ».

Armande Bessières estimait possible d’avoir une action commune avec l’Association internationale des travailleurs. En 1879, bien après la fin du journal, elle salue les participants du Ille congrès du Parti ouvrier réuni à Marseille, en 1880 elle publie une Marseillaise des femmes :

Femmes des villes, des campagnes,
Nous sommes mères des soldats,
Plus de guerre et plus de combats,
(…)

Faisons valoir nos droits, élevons nos enfants,
Humains (bis) libres, instruits, vertueux, beaux et grands

 

Le Devoir illustre l’existence d’une sorte de tiers-parti entre d’un côté les Versaillais et les soutiens de la répression (comme Le Petit Marseillais) et de l’autre, les Communards. Sans approuver ceux-ci (serait-ce d’ailleurs possible ?) on leur trouve des circonstances atténuantes et on plaide pour l’indulgence, au nom des valeurs chrétiennes, La sensibilité chrétienne aux déshérités oriente ensuite la gérante, à partir d’un idéal de conciliation, vers une sympathie déclarée pour le socialisme « légal ». Mais la Commune de Marseille proprement dite semble absente des articles (?). Ceux-ci peuvent paraître sans difficulté de censure (autant que nous sachions) malgré l’état de siège du général Espivent (effectif à partir du 5 avril). Enfin, paradoxalement, l’arrêt du journal ne résulte pas de la censure, mais sans doute de l’opposition des ouvriers typographes, dont D. Armogathe suppose qu’ils étaient plus des proudhoniens que des internationalistes, lesquels étaient plus ouverts au féminisme…

 

 

MISTRAL ET LA COMMUNE

 

 

On peut se demander quel a été l’avis des défenseurs de la culture provençale sur les événements de Marseille. Comme on l’a indiqué, dans les événements de mars-avril 1871 il n’y a pas de signe d’une préoccupation particulariste ou provençaliste. Au contraire, peut-on dire, le mouvement se fait au cri de Vive Paris, qui n’est pas le genre de cri capable d’émouvoir le chef de file des félibres, Frédéric Mistral, habitué à se méfier de Paris, autant comme capitale d’un Etat qui a écrasé les identités régionales que comme ville qui prétend imposer ses façons de voir aux provinces.

Pendant la Commune de Paris, Paul Arène, autre félibre provençal, écrit à Mistral, (depuis Sisteron ou depuis Paris?), que la Commune "défend les libertés de Paris" et que les Communards sont aussi respectables que le seraient les Provençaux s'ils défendaient les libertés [comprendre l'autonomie] provençales. Mais Mistral reste probablement indifférent à ce raisonnement (Arène prend au mot les Communards - ou plutôt la partie des Communards - qui situent leur action dans le seul cadre local et répudient le cadre national, préconisant l’abolition de l’Etat et son remplacement par une fédération de communes autonomes).

Pourtant, Mistral avait été enthousiasmé quelques années plus tôt par les  conceptions fédéralistes de Proudhon qui lui paraissaient une solution pour permettre à la Provence de redevenir une nation sans rompre avec la France. Mais probablement,  dans la Commune telle qu'elle se présentait, Mistral ne retrouvait pas vraiment les conceptions qu'il préférait ou les trouvait noyées dans d'autres conceptions*.

                                                                                    * Sur Mistral et Proudhon, voir les études de Philippe Martel : Les félibres du XIX ème siècle étaient-ils des nationalistes occitans ?, in Un temps pour tout, Études sur les mutations de l'autorité de l'Antiquité au XXI ième siècle, 2019 https://books.openedition.org/pulm/4178?lang=fr et  De la difficulté d’être régionaliste en France (fin XIXe-début XXe siècle) in Contre l’Etat totalitaire, Fondation Emile Chanoux, https://www.fondchanoux.org/wp-content/uploads/2018/10/publications-contreetattotalitaire.pdf. [Emile Chanoux est un fédéraliste du Val d'Aoste, résistant pendant la seconde guerre mondiale, mort après avoir été torturé par les fascistes italiens].

 

La Commune de Marseille n’inspire pas un vrai jugement politique à Mistral mais seulement une appréciation désinvolte, dans l’Almanach provençal pour 1872 (Armana prouvençau pèr l’an de Diéu 1872); dans les événements, il voit l’effet d’une fâcheuse passion politique révolutionnaire, une sorte de maladie qui n’aboutit qu’à des résultats désastreux.

Nous empruntons l'extrait du texte complet de Mistral au très intéressant blog de M. René Merle, à la fois spécialiste de la  littérature de langue d'oc et militant politique (ce qui l'amène, et c'est son droit, à porter un jugement négatif sur la position du bourgeois conservateur que Mistral était devenu) :

« Voulès un eisèmple ? prenen Marsiho… Aqui, despièi dous an, fan eleicioun sus eleicioun. Lou pople, mèstre assoulu, a pres sus lou mouloun e chausi à la tasto li mai presentiéu, li mai aluma, li mai proumetèire e li mai renaire. Eh ! bèn, qu’es avengu ? Ai ! tóuti lou sabès : jamai la vilo de Marsiho èro estado matrassado coumo despièi dous an : sènso parla dóu rèsto, li balo, li boulet, lis aubuso, la mitraio, an plóugu dins si carriero coume grelo d’infèr ; aquelo prefeturo novo que nous coustavo lis iue de la tèsto, es estado crebado à grand cop de canoun ; lou sang de ciéutadin a regoula sus li calado ; li fort, lou Castèu d’I, an regounfla de presouniè… Em’aco, finalamen, es arriba lou sadoulige, e i dariéris eleicioun pèr lou Counsèu generau, sus li 70,000 eleitour marsihés, n’i’en a 40,000 que se soun astengu… »
 

Vous voulez un exemple ? Prenons Marseille… Ici, depuis deux ans, on fait élection sur élection. Le peuple, maître absolu, a pris sur le tas et choisi à l’essai ceux qui se présentent le mieux (les plus avenants), les plus excités, ceux qui promettent le plus, et les plus râleurs. Eh bien, qu’en est-il advenu ? Aïe, vous le savez tous : jamais la ville de Marseille n’a été maltraitée comme elle l’a été depuis deux ans : sans parler du reste, les balles, les boulets, les obus, la mitraille, ont plu dans ses rues comme une grêle d’enfer ; cette préfecture neuve qui nous coûtait les yeux de la tête a été éventrée à grands coups de canon ; le sang des citadins a coulé sur les pavés ; les forts, le château d’If, ont regorgé de prisonniers. Et avec cela, en définitive, est arrivée la satiété, et aux dernières élections pour le Conseil général, sur les 70 000 électeurs marseillais, 40 000 se sont abstenus ...  

(traduction littérale de René Merle)

Blog de René Merle, Points de vue et documents http://renemerle.com/

Mistral et la Commune

http://renemerle.com/spip.php?article1223

 

 

 

LÉO TAXIL, LES REQUINS ET LE GÉNÉRAL ESPIVENT

 

 

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  Quai de la Fraternité (Vieux-Port, Marseille) par Alphonse Moutte, 1876.

Site Les EMIG-BOUISSON à Marseille et sa région - Famille Bouisson

http://emig.free.fr/GENEALOGIE/Fig-Masson_Bouisson/Bouisson-Moutte.html

 

 

 

 

L’état de siège continuait à Marseille, qui avait repris le cours de sa vie habituelle, parfois rythmée par quelques facéties, où on trouve l’inévitable Léo Taxil.

En 1897, celui-ci dévoila, au cours d’une séance orageuse à la Société de Géographie, la supercherie dans l’affaire du Palladisme et de Sarah Vaughan. Il est presque impossible de résumer ici cette affaire complexe, montée durant 12 ans : Léo Taxil fit croire à une partie du public (surtout catholique) que la franc-maçonnerie était en fait une organisation dédiée au culte de Satan,  la franc-maçonnerie « grand public » ayant, selon lui, au-dessus d’elle une franc-maçonnerie réellement secrète et luciférienne, le Palladisme. Jusqu’en 1897, Taxil publia des révélations de plus en plus « énormes ». Lorsque la mystification fut sur le point d’exploser, Léo Taxil prit les devants et révéla que c’était « pour rire » en quelque sorte, provoquant le charivari et presque l’émeute chez les auditeurs des deux bords, catholiques et anticléricaux venus l’écouter.

Dans son intervention devant le public, Léo Taxil retraça quelques-uns de ses exploits antérieurs en matière de fumisterie, talent qu’il attribuait à sa naissance au pays de la galéjade

« D’abord, dans ma ville natale. Personne n’a oublié, à Marseille, la fameuse histoire de la dévastation de la rade par une bande de requins. »

Des lettres de pêcheurs avaient signalé la présence de requins. « La panique se mit parmi les baigneurs, et les établissements de bains de mer, depuis les Catalans jusqu’à la plage du Prado, furent désertés pendant plusieurs semaines ».

Le conseil municipal demanda au général Espivent l’intervention de l’armée. « Le brave général, ne demandant qu’à être agréable aux administrateurs qu’il avait lui-même choisis pour la chère et bonne ville où je reçus le jour », accorda cent hommes armés de chassepots, embarqués sur un remorqueur. « Le navire libérateur quitta le port, salué par les bravos du maire et de ses adjoints ». Mais il revint bredouille, « pas plus de requins qu’il n’y en a ici ! ». Une enquête démontra que les lettres des pêcheurs étaient des faux. « L’auteur de la mystification ne fut pas découvert. Vous le voyez devant vous. C’était en 1873 ; j’avais alors dix-neuf ans.

J’espère que le général Espivent me pardonnera d’avoir, par un bateau, compromis un moment son prestige aux yeux de la population. Il avait supprimé la Marotte, journal des fous. L’affaire des requins fut, n’est-ce pas? Une très inoffensive vengeance. »

Site ATHIRSATA, L’Affaire Diana Vaughan - Léo Taxil au scanner

http://sourcesretrouvees.free.fr/taxil.htm#_Toc138326870

 

 

C’était donc pour se venger d’Espivent, qui avait une fois de plus supprimé (ou au moins suspendu) son journal, que Taxil avait monté ce « bateau »…

A la même époque, à défaut de La Marotte, il publiait La lanterne d’un suspendu, (Marseille, en vente chez tous les libraires et dans les kiosques, 9 Juillet 1873), dans laquelle on pouvait lire par exemple le programme de la semaine d’un préfet de l’ordre moral :

« LUNDI. — Tous les ateliers seront fermés jusqu’à dix heures du matin, la population étant tenue ce jour-là de se rendre en pèlerinage à N. D. de la Garde.

MERCREDI. — Interdiction de tous les journaux qui ne donneront pas le saint et l’évangile du jour, ainsi que le rituel et la couleur de la chasuble revêtue par le prêtre à l’autel.

JEUDI. — Les mariages faits ailleurs qu’à l’église sont déclarés nuls, et les enfants qui en sont nés, naturalisés esquimaux.

DIMANCHE. — Arrestation de toutes les personnes trouvées en possession d’un mouchoir à carreaux rouge et déportation immédiate en Patagonie.

 

Les Marseillais, s’ils n’étaient pas trop exigeants, pouvaient rire. Mais il semble qu’au même moment, Léo Taxil servait d’informateur au général Espivent sur les républicains extrémistes (R . Rossi, Léo Taxil, ouv. cité), en échange sans doute d’une relative mansuétude pour ses publications ou pour arrondir ses fins de mois.

 

 

QUELQUES ANNÉES PASSENT

 

 

 

 

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L'Hôtel de Ville de Marseille (en février 2020).

On remarque les drapeaux rouge et or de la Provence (qui semblent avoir été récemment ajoutés ?) - les drapeaux blanc à croix bleue de Marseille (il y en a un de chaque côté du balcon, peu visibles sur la photo) sont encadrés à chaque fois par deux drapeaux français -  un symbole ?

Photo de l'auteur.

 

 

Nous n’avons pas l’intention de décrire l’évolution de Marseille dans les années 1870-1880. Donnons simplement quelques indications.

Comme on y a déjà fait allusion, la municipalité avait été obligée, par décisions de justice du premier et second degrés, d’indemniser les victimes (non combattantes) des dommages physiques et matériels du 4 avril 1871, en application de la loi du 10 vendémiaire an IV sur la responsabilité des communes. La Ville contestait l’obligation mise à sa charge et s’en défendit par une brochure La ville de Marseille, l'insurrection du 23 mars 1871 et la loi du 10 vendémiaire an IV, due au maire du moment, M. Rabatau et à Ludovic Legré, avocat (1874) :

« Le succès des premières demandes en a fait surgir d'autres ; elles vont se multipliant, et il n'est  presque pas de jour qui n'en voie éclore de nouvelles.
La ville s'est pourvue en cassation contre toutes les décisions qui l'ont condamnée en dernier ressort. C'est maintenant à l'autorité décisive de la Cour suprême qu'il appartient de dire si la  loi de vendémiaire an IV a été, en cette circonstance, à bon droit appliquée. » (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54570631.texteImage)

La ville obtint-elle satisfaction ? En tous cas, son mémoire exposait le point de vue officiel sur l’anarchie qu’avait connue Marseille à l’époque d’Esquiros, puis de la première commune de novembre 1870, enfin en mars 1871.

Parallèlement, d’autres contestations judiciaires avaient lieu pour des faits plus anciens. En 1874, Labadié fut poursuivi devant le tribunal civil, conjointement avec la ville de Marseille, par la veuve Gaillardon, qui demandait 200 000 francs de dommages et intérêts en réparation du préjudice pour la mort de son mari, ancien commissaire central de Marseille sous l’Empire, qui s'était suicidé à la prison de Saint-Pierre après le 4 septembre. Labadié, qui en tant que préfet, avait ordonné l'arrestation de Gaillardon, fut condamné à 20 000 francs de dommages et intérêts.

Pendant le régime de l’état de siège, le général Espivent et les préfets de l’ordre moral exercent une tutelle étroite sur le conseil municipal, qui est parfois remplacé par une commission nommée par le préfet. Par contre, le conseil général présidé par Labadié constitue la principale force d’opposition au gouvernement du moment et à ses représentants.

 

En 1876, le 4 avril, l’état de siège prit fin. D’anciens journaux purent refaire surface comme L’Egalité*, supprimé en 1874, ou se créer comme La Jeune république (voir ci-dessous).

                                        * Toujours dirigé par Gilly La Palud, originaire de Digne; on le surnommait la bibliothèque vivante en raison de ses connaissances étendues (il avait même étudié le sanscrit). Gilly La Palud avait publié en 1875 une étude sur la constitution de 1875 qui venait d'être votée (en fait, lois constitutionnelles plus que constitution formelle). En 1876, malgré les relations assez médiocres existant entre eux, Gilly La Palud publiera dans L'Egalité chaque jour un poème de Clovis Hugues.

 

Le 22 mai 1876 eurent lieu les obsèques civiles d’Esquiros à Marseille. Rappelait-il de bons souvenirs ? En tous cas, il évoquait la république pour une population de plus en plus « à gauche » : selon Raoul Busquet (Histoire de Marseille), 20 000 personnes formèrent le cortège, devant une assistance de 100 000 personnes, dans une ambiance recueillie et pacifique.

Pour autant, la Ville continue à être régie par les républicains modérés, jusqu’à l’élection d’une municipalité radicale en 1881 avec Brochier.

En 1879 Marseille accueille le congrès ouvrier socialiste de France qui débouche notamment sur la fondation du Parti ouvrier français de J. Guesde.

En 1876, Clovis Hugues, libéré de prison depuis 1875, devient rédacteur en chef du nouveau quotidien radical La Jeune république, lancé par le  brasseur Velten* et le jeune radical Jean-Baptiste-Amable Chanot** (le journal sera racheté par Emile de Girardin et deviendra en 1880 Le Petit Provençal, concurrent de gauche ou centre-gauche du Petit Marseillais***).

                                     * Geoffroy Velten, riche brasseur appartenant à une famille alsacienne protestante installée à Marseille. Républicain convaincu ; après 1870, soutient la préparation à la « Revanche ».  En 1880, il fonde Les Pionniers de l'avenir, une organisation de jeunesse à visée patriotique et militaire. Conseiller municipal de Marseille en 1874-75, membre du conseil général, puis sénateur des Bouches-du-Rhône de 1885 à 1912 pour le parti radical ; un boulevard de Marseille porte son nom.

                                   ** Jean-Baptiste-Amable Chanot, président du conseil général à la fin du siècle,  deviendra le principal concurrent du Dr Flaissières (maire socialiste de Marseille); il sera à son tour maire (en pratique, de centre-droit) avec l'appui des milieux d'affaires en 1902. Le parc Chanot porte son nom.

                               *** Le journal devient Le Provençal en 1944 (avec Gaston Defferre comme dirigeant), puis en 1997 La Provence.

 

En 1881 Clovis Hugues est élu député des Bouches-du-Rhône sur une liste radicale*. Il choisit ensuite de se séparer des radicaux (qui formaient à la chambre des députés le groupe dit d’extrême-gauche) et pendant la législature 1881-1885, il est le seul député considéré comme socialiste, bien qu’à un moment, il reprenne sa place avec les radicaux.

                                     * Il fut élu à Marseille dans la 2ème circonscription du département, quartier populaire de la Belle-de-Mai; une rue du quartier porte aujourd’hui son nom.

 

La vie politique et la vie privée de Clovis Hugues sont indissociables : il tue en duel un journaliste bonapartiste qui avait mal parlé de sa femme (la fille du républicain Royannez). Quelque temps après, c’est sa femme qui tue d’un coup de revolver un homme qui la calomniait : elle sera acquittée.

Lors des élections législatives de 1885, plusieurs socialistes sont élus, le plus souvent sur des listes radicales, dont Antide Boyer, élu député des Bouches-du-Rhône sur la même liste que Clovis Hugues. À l'initiative d'Antide Boyer, ces socialistes, avec quelques radicaux-socialistes, décident de former un groupe parlementaire distinct de celui de l'Extrême-Gauche (radical), le groupe ouvrier socialiste, à partir de janvier 1886 (plusieurs de ses membres se rallieront un moment au général Boulanger dans les années suivantes).

 Les socialistes provençaux de l’époque associaient souvent socialisme, félibrige et fédéralisme. Comme Clovis Hugues, Antide Boyer fut un poète de langue provençale. Un autre socialiste, Pierre Bertas (de son vrai nom Henri-Honoré Antoine), adjoint au maire de Marseille vers 1900, dédia ainsi à Antide Boyer une étude sur la nationalité provençale et le félibrige : « Au Troubaire-Deputa Antido Boyer que Iou bèu promié esparpaié en Prouvenço l'idéio federalisto » (au trouvère-député Antide Boyer, qui le tout premier répandit en Provence l’idée fédéraliste)(A. Olivesi, La carrière politique de Pierre Bertas, Provence historique, 1965).

 

 

QUE SONT- ILS DEVENUS ?

 

 

On trouvera ici quelques indications sur ce que sont devenus les personnes impliquées dans la Commune de Marseille, notamment d'après les notices du Dictionnaire Maitron (beaucoup d'entre elles sont dues à M. Roger Vignaud), complétées par quelques informations d'autres sources.

Les condamnés qui avaient été déportés en Nouvelle-Calédonie revinrent après avoir obtenu leur grâce pour certains, ou après l’amnistie votée en 1880.

On trouve dans le journal Le Messager du Midi, n° 202 du 25 juillet 1882, un article qui évoque le retour de Chachuat (ce dernier avait été condamné lors du procès des 17 malgré ses affirmations qu'il était venu à la préfecture voir ce qui s'y passait par curiosité le 3 avril et s'y était retrouvé bloqué - le fait d'avoir été arrêté dans la rue le 4 avril en possession d'armes n'avait pas plaidé en sa faveur, ni son passé d'activiste) :

« Quand Chachuat est revenu de la Nouvelle-Calédonie, il a été quelque peu surpris de voir que M. Bouchet jouissait toujours de la faveur populaire. Il le croyait mis au banc du parti républicain.
Chachuat prétend, en effet, que M. Bouchet l'a dénoncé au conseil de guerre, et non seulement il le dit, mais encore il l'écrit dans une brochure que l'on s'arrache à Marseille, et qui est reproduite en feuilleton par un journal démocratique intitulé la Tribune. L'accusation de M. Chachuat est-elle fondée? Il faudrait avoir vécu dans l'intimité des communards marseillais pour le savoir, et je n'ai pas eu cet honneur. »

https://gw.geneanet.org/jlchachuat?lang=fr&n=chachuat&oc=1&p=henri

 

Emile Bouchet, justement, malgré son acquittement par le conseil de guerre en 1871, ne put obtenir a réintégration dans l’Ordre des avocats. Le conseil de l’Ordre de Marseille estima qu’il y avait « en dehors de toute acception politique, un obstacle absolu à l’admission demandée ». « L’Ordre n’a aucunement l’intention de réintégrer Bouchet, le considérant comme entaché d’indignité définitive après sa participation à la Commune. Cette attitude est d’ailleurs fort révélatrice du jugement que les instances dirigeantes du Barreau marseillais portent sur la Commune et le gouvernement insurrectionnel (...). C’est un jugement négatif et radical » (Ugo Bellagamba, Les avocats à Marseille : praticiens du droit et acteurs politiques, XVIIIème et XIXème siècles, 2001).  La Cour d’appel d’Aix en Provence, saisie par Bouchet, confirma par arrêt du 17 août 1872 la délibération du conseil de l’Ordre des Avocats. 

 Selon un article de Charles-Samuel Cohen, le conseil de l’Ordre laissa même comprendre que lors du procès des principaux accusés, Bouchet, par un mémoire adressé au conseil de guerre, avait chargé « une autre personne », lui donnant « un rôle d’initiative des plus graves », ce qui a eu « des conséquences extrêmes qu’il est inutile de rappeler davantage ». S'agit-il de Crémieux comme le pense l'auteur de l'article ?  https://acjp.fr/uploads/articles/d23aba84716aa83720ebf0b05e62b1f6.pdf

 Comme on l’a dit, Bouchet fut député radical des Basses-Alpes jusqu’au moment où une condamnation dans une affaire financière mit fin à sa carrière politique en 1884 (le député du Var Marius Poulet fut impliqué dans la même affaire). Bouchet s’embarqua ensuite pour l’Indochine.

 

Ebérard, qui avait été le secrétaire de la Commission, avait été condamné à dix ans de détention. Il effectua sa peine à Nîmes, d'abord dans les conditions très dures des détenus de droit commun, puis grâce à une action collective, les "politiques" obtinrent de meilleures conditions de vie (pas d'obligation de travailler, droit de voir sa famille tous les jours, port de vêtements civils, distractions). Le 15 août 1876, il bénéficia de la remise du reste de sa peine. Pendant sa détention, il écrivit quelques petites œuvres, dont un hommage à Crémieux, mais aussi des  textes où il mettait sa confiance en Thiers et Gambetta pour fonder solidement la république, et désapprouvait toute insurrection ! (Philippe Vigier, Répression et prison politiques en France et en Europe au XIXe siècle, 1990).

 

Pélissier, le général éphémère des insurgés, fut déporté en Nouvelle-Calédonie,  puis ensuite interné à Belle-Ile, enfin vraisemblablement amnistié en 1879 ou 1880.
Dans ses papiers, on trouve une chanson « Ma Paillote », jointe à une lettre à son frère. Que devint-il après son retour ?

 

Etienne

En 1878, Étienne, qui avait refusé de former un recours en grâce, vivait en Nouvelle-Calédonie avec sa femme et ses enfants. Il gagnait sa vie comme boulanger. Il était réputé peu soumis.

On sait qu’Etienne appartenait à la corporation des portefaix (ancêtres des dockers). Il est intéressant de citer un article de Victor Nguyen, qui mentionne qu’Etienne fut le seul portefaix condamné : « D'autres portefaix participèrent au mouvement révolutionnaire marseillais, mais en comparses essentiellement, et de loin. Ils furent tous soit acquittés, soit l'objet d'un non-lieu.

Les difficultés économiques et sociales les avaient attirés d'une manière définitive dans le camp de la république, voire dans celui de la révolution. Mais, même extrémistes, ils ne se départirent jamais de cette humanité profonde, héritage (…) de tout un passé de modération politique et de conservatisme social*. » (V. Nguyen, Les portefaix marseillais, Provence historique, 1962 

http://provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1962-12-050_03.pdf )

                                           * A Marseille, la corporation des portefaix avait longtemps été un bastion des monarchistes. Le lien fait par l’auteur entre « humanité profonde » et conservatisme politique peut agacer. Victor Nguyen était un maurrassien atypique.

 

Comme on l'a indiqué, nous n'avons rouvé aucune indication sur Roux, un des quatre condamnés à mort de la Commune de Marseille, dont la peine avait été commuée. Il est probable qu'il fut déporté en Nouvelle-Calédonie et soumis au régime du bagne (la peine la plus sévère). Il ne semble pas y avoir de notice du Maitron le concernant.

 

Les condamnés par contumace s'étaient réfugiés à l'étranger. Certains revinent, d'autres pas.

Gavard, le commandant des « civiques », se serait réfugié à Barcelone (Espagne), mais on ignore ce qu'il devint ensuite.

 

Job , « le mulâtre », condamné à mort par contumace, est signalé par Mégy, dans une lettre non datée (vers 1872 ?) au dirigeant communard Eudes, en exil à Londres, comme un élément moteur de l'insurrection marseillaise : « Tu me demandes des renseignements sur les hommes de Marseille, je me rappelle bien peu de noms pour le moment, mais plus tard, je t'en donnerai ; Job, le mulâtre-cuisinier, ex-condamné à Belle-Isle, très intelligent, brave, sûr, mais depuis qu'il a un enfant il a perdu du nerf. C'est lui qui a apprêté et mené tout le mouvement marseillais, il n'attendait que mon assentiment le 23 mars, pour enlever la préfecture. (...). Ils sont, ou étaient encore il y a quelque temps à Gênes, avec le reste de la bande marseillaise » (Bulletin de l'Institut français d'histoire sociale, 1954 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56192377/texteBrut)

Il semble que Job se trouvait en Argentine en 1873. Il était membre de la section francophone de l’AIT de Buenos Aires et participa à une tentative de prise de contrôle de la section par les blanquistes, conformément à une stratégie identifiée ailleurs à la même époque. Sa trace se perd ensuite.

 

 

Landeck

Réfugié à Londres, il fut en août 1871 parmi les membres fondateurs de la « section fédéraliste française »*, qui ne fut jamais reconnue comme section de l’Internationale, puis fondateur avec le Communard Vésinier** en 1872 de la loge maçonnique révolutionnaire « la Fédération » et l’un des principaux rédacteurs du journal de Vésinier, aussi nommé La Fédération.

                                 * Parmi les autres fondateurs on trouvait Avrial, qui avait en 1870, dans une proclamation signée notamment par Landeck, souhaité la formation des Etats-Unis d’Europe. Durant la Commune de Paris, Avrial avait été le 15 mai 1871, le signataire de la déclaration de la minorité refusant l’instauration du comité de salut public : « La Commune de Paris a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature à laquelle elle a donné le nom de Salut public. » On trouvait aussi dans cette loge le Communard (de Paris) et poète de langue provençale Lucien Geofroy, plus tard membre du Félibrige (voir l'article qui lui est consacré sur le blog Remembrança de René Merle https://renemerle.com/remembranca/spip.php?article117.

                                    ** Pierre Vésinier était un cheminot qui avait aussi des prétentions littéraires. Il avait été dans sa jeunesse le secrétaire d'Eugène Sue. Il avait été élu au Conseil de la Commune et avait été chargé de la publication du Journal Officiel de la Commune.

 

Landeck participa aux polémiques internes aux proscrits (notamment il prit parti contre Eudes); lui, Vésinier et leurs amis finirent par être mis à l’écart des autres réfugiés. Ils tentèrent de constituer un « contre-conseil » général de l’AIT (dénommé Conseil fédéraliste universel)*, s’opposant à la fois aux « Jurassiens » (tendance anti-autoritaire des internationalistes, en fait anti-marxiste, avec notamment James Guillaume) et au conseil général régulier de New York, sans grand succès. Ils furent fréquemment dénoncés comme des mouchards à la solde de la police.

                                            * Voir annexe II, quelques indications sur le programme de ce Conseil, par le penseur libéral Molinari.

 

En 1884, Landeck publie un texte pour défendre son action durant la Commune : Un calomnié de la Commune à M. Clovis Hughes.

En 1893, Landeck travaillait comme sertisseur à Cascaïs (Portugal). Il y vivait toujours en 1899.

 

Guilhard, membre de la Commission, condamné à mort par contumace, réussit à gagner Londres. Il y fut affilié à la loge maçonnique révolutionnaire « la Fédération » fondée par Vésinier et Landeck en mai 1872.

 

Maviel, membre de la Commission de mars 1871, réussit à s’embarquer avec quelques compagnons dont Alerini à destination des Îles Baléares, puis de Barcelone. Gracié le 17 mai 1879, il revint à Marseille, se maria, monta une petite fabrique de chaussures, éleva trois enfants, et fut élu président de l’association des fabricants. Il prit part à une campagne contre le général Boulanger, (que soutenaient à l’inverse d’autres anciens Communards) mais se tint le plus souvent à l’écart de la vie politique.

 

Alerini

Alerini passa en Espagne et poursuivit son militantisme très actif, notamment à Barcelone. Il fut emprisonné à Cadix où il avait été arrêté lors d’une tournée de propagande. En septembre 1875, à la demande de Bakounine, Errico Malatesta* alla à Cadix pour organiser son évasion. Mais au moment où tout était préparé pour son embarquement, Alerini refusa finalement de partir. Selon Malatesta, « Alerini avait peut-être une petite amie locale ou était peu enclin à réintégrer la vie révolutionnaire » (Dict. Maitron). Une fois gracié, Alerini revint en France où il devint chef de cabinet de Périclès Grimanelli, l’avocat marseillais qui avait géré son dossier judiciaire, qui était devenu préfet. Alerini espéra un moment devenir sous-préfet puis eut le choix entre deux postes : percepteur ou un poste en Indochine. Il choisit ce poste, mieux payé (il avait une famille à sa charge) – le séjour colonial altéra sa santé et il mourut à 59 ans en 1901.

                                         * Errico Malatesta (1853 -1932), théoricien et activiste anarchiste, proche d'abord de Bakounine et du courant internationaliste anti-autoritaire, puis créateur avec Kropotkine du courant du communisme libertaire. Participe à de nombreuses actions en Italie et ailleurs dans le monde. S'oppose à la participation à la guerre en 14-18, au rebours de plusieurs anarchistes. Exerce une certaine influence sur Gabriele d'Annunzio à l'époque de l'Etat autonome de Fiume.  Revenu vivre en Italie, pendant ses dernières années, il sera étroitement surveillé par les fascistes au pouvoir.

 

 

Charles_Alerini_entre_1893_et_1894

Charles Alerini en uniforme de cérémonie de fonctionnaire colonial, vers 1893-1894.

Numérisation Charles OzanamArchives de la famille Ozanam

article Charles Alerini, Wikipedia.

 

 

 

 André Bastelica se rapprocha à un moment des Bonapartistes, avec ses amis les internationalistes lyonnais Albert Richard et Gaspard Blanc (ceux-ci furent reçus par Napoléon III en exil). Cette évolution le brouilla avec la plupart de ses relations politiques, dont James Guillaume, qui de plus le jugeait sévèrement (« pauvre cervelle de blagueur marseillais »). En 1876, Bastelica publia à Genève un Appel aux Français, lettre d'un proscrit. Après un séjour à Strasbourg (d'où il fut expulsé), il revint à Genève, il semble qu'il prit la direction d'une imprimerie  et fonda le journal Le progrès du Léman. Gracié en 1879, Bastelica revint à Marseille en 1881 où il tenta de se faire désigner comme candidat du comité républicain aux élections. Il mourut au moment de l'épidémie de choléra en 1884. Il n'était pas oublié: 1500 personnes furent présentes à ses obsèques et Le Petit Marseillais (de droite) comme Le Petit Provençal (de gauche) publièrent des nécrologies sympathiques.

 

 

Mégy

 Ayant réussi à s’échapper, Mégy gagna d’abord Genève, puis les États-Unis, où un de ses oncles était installé.

 Il fut mêlé aux disputes intestines entre révolutionnaires réfugiés aux USA (allant jusqu’à échanger des coups avec l'ancien Communard Gustave May). Bien qu'internationaliste à ses débuts, il appartenait au groupe blanquiste qui méprisait l'Internationale (Dict. Maitron). Mégy écrit à l'époque (dans une lettre à Eudes, non datée mais vers 1872), à propos des membres de l'Internationale : « c'est une bande de crétins qui n'entendent pas un mot à la révolution, à part quelques hommes, mais en bloc, cela ne vaut pas un clou. (…) ce n'est pas aux révolutionnaires à se mêler à l'internationale et faire la révolution au nom de ce ramassis d'imbéciles ou de mouchards ».

Mégy avait autant de mépris pour les Américains en général : « Le pays est tellement ignoble et la population tellement crétine qu’il n’y a rien d’intéressant pour nous à en tirer (...) tous les étrangers qui y viennent n’ont qu’un but (…) jeter (…) le peu d’honneur qui peut leur rester, et, par tous les moyens possibles, ramasser de l’argent (…) Quant à moi je ne vis que pour ma haine ». Sa devise était : « Tuons toujours nos ennemis, c’est toujours autant de moins. »

Il quitta les Etats-Unis pour l'Angleterre, ne s'y plut pas et revint aux Etats-Unis.

Les années qui lui restaient à vivre se passèrent en polémiques internes aux groupes révolutionnaires, en recherches d’un emploi rémunérateur et aussi à mener une vie sentimentale agitée. Mégy mourut le 28 décembre 1884 à l’hôpital de Colon (Panama), où il avait été admis à la suite d’un accident cardiaque, laissant sa femme et ses enfants à New-York.

 

 Megy_Web

 Mégy (Léon Guillaume, dit Edmond)

Dictionnaire Maitron.

https://maitron.fr/spip.php?article6573

 

 

 En annexe, on trouvera quelques indications supplémentaires sur d’autres personnages évoqués dans cette série de messages.

 

 

 

DE LA DROITE MONARCHISTE À LA GAUCHE RÉVOLUTIONNAIRE, EN PASSANT PAR LES BLAGUEURS

 

 

Le général Espivent de la Villeboisnet mourut à 95 ans en 1908. Après sa retraite de l’armée, il avait été pendant vingt ans sénateur monarchiste de la Loire-Atlantique. A ce titre, par exemple, il vota contre le rétablissement du divorce en 1884 et contre les crédits pour l’expédition du Tonkin décidée par Jules Ferry  – les monarchistes désapprouvaient les entreprises coloniales des républicains. Le Pape lui avait attribué le titre de comte (on disait « comte romain »).      

 

 

Léo_Taxil_(Melandri)

Léo Taxil vers 1880. Photo Achille Melandri.

Wikipedia.

 

 

Vers 1875, Léo Taxil dirigeait le journal marseillais Le Frondeur. Ses publications outrancières lui attiraient des procès, y compris pour offenses à des particuliers. Menacé de condamnations à des amendes considérables (et à la contrainte par corps s’il ne payait pas), il s’enfuit en Suisse avec sa femme et ses enfants en 1876. Là il vécut chichement, fréquentant peu ou pas les proscrits révolutionnaires (mais c’est ce qu’il dit dans ses Confessions d’un ex-libre penseur (1887), écrites après sa soi-disant conversion). Malgré tout, il présente avec sympathie au moins un de ces proscrits, le général Cluseret, qui vivait du côté de Genève.

Taxil ne se vante pas non plus auprès de ses lecteurs bien-pensants d’une activité qui lui permettait de tenir le coup en Suisse, la vente de pilules aphrodisiaques dénommées avec à-propos « les pilules du sérail ». Il passe aussi sous silence une mystification à laquelle il ne put s’empêcher de se livrer, faisant croire à la découverte des restes d’une ville « sous-lacustre » au bord du lac Léman.

Rentré en France au bénéfice d’une amnistie, Taxil, après un passage à Montpellier, monta à Paris. Avec ses publications et la Ligue anticléricale qu’il avait créée, il devint une figure de l’extrême-gauche (ce mot à l’époque désignait les radicaux), spécialisé dans la lutte anticléricale la moins distinguée.

Son chemin croise parfois celui d'anciens Communards. Il raconte une blague qu'il fait au journal de Lissagaray La Bataille : se faisant passer pour un membre de l'évêché qui veut dénoncer anonymement des turpitudes du clergé, il envoie à Lissagaray des histoires invraisemblables qui sont publiées comme véridiques par ce dernier, réalisant ainsi une double mystification. Il s'apprête à publier une histoire de Jeanne d'Arc en la présentant comme une patriote victime de l'Eglise, sur le conseil du Communard Vésinier - c'est en se documentant  sur Jeanne d'Arc que Taxil aurait amorcé sa (pseudo) conversion.

On suppose que ses activités sur le créneau idéologique mais surtout, pour lui, commercial, de l'anticléricalisme étaient à ce moment en perte de vitesse. De plus, son exclusion de la franc-maçonnerie à la suite d’une indélicatesse, et d’autres incidents, l’avaient aigri contre son propre camp, où on ne lui faisait pas de cadeaux. ll imagina alors sa pseudo-conversion au catholicisme et édifia la grandiose mystification du Palladisme dont on ne reparlera pas ici. Discrédité dans les deux camps après l’aveu de la supercherie en 1897, Taxil vécut obscurément avant de mourir en 1907 à 53 ans. Parmi ses derniers livres sous le pseudonyme de Jeanne Savarin :  La bonne cuisine dans la famille  et L'Art de bien acheter, guide de la ménagère (1904)

 

 

Cluseret

Cluseret, après avoir commandé les troupes de la Commune de Paris (son action a été controversée), se réfugia en Belgique, puis en Suisse. Il prit des leçons de peinture auprès de Courbet, autre réfugié (qui fit son portrait, assez bâclé). Il voyagea ensuite en Orient, peut-être comme conseiller militaire, mais aussi en produisant d’intéressants tableaux orientalistes. Rentré en France après l’amnistie, il fut élu député du Var en 1888 sous l’étiquette socialiste et continuellement réélu jusqu’à sa mort en 1900.

Cluseret, sans cesser de se dire révolutionnaire, fut aussi nationaliste, xénophobe et antisémite. Lors de l'affaire Dreyfus, il prit parti pour l'armée et entra dans la Ligue des patriotes. (Dict des parlementaires de Jean Jolly). Il collabora au journal antisémite de Drumont, La Libre parole. En 1887, il avait publié des Mémoires où il réglait ses comptes avec certains dirigeants de la Commune, accusant les « jacobins », adeptes de « Saint Robespierre » d’être responsables de l’échec de la Commune.*

                              * Cluseret y évoque aussi élogieusement l’Américain George Train (voir nos deuxième et troisième parties) : « Comme les athlètes antiques, j’ai vu Train s’y préparer [à intervenir en public] en se déshabillant et s’immergeant dans l’eau glacée en plein hiver. Il se rendait alors au meeting, comme au combat. Train, parlant un français impossible, a remué le peuple de Marseille comme pas un orateur français ne l’eût fait. »

 

Clovis Hugues appartenait  à la franc-maçonnerie. Mais il fut aussi tenté par une forme de socialisme nationaliste à tendance xénophobe. Il se rapprocha un moment du Boulangisme, ce qui explique peut-être qu'il abandonna ensuite sa circonscription marseillaise.  Il prit position contre l'immigration étrangère. Il collabora au journal de Maurice Barrès La Cocarde (qui, il est vrai, avait une rédaction très bigarrée où on trouvait aussi bien les jeunes Maurras* et Léon Daudet que le radical Camille Pelletan, le socialiste Fernand Pelloutier, l'ancien Communard fédéraliste Pierre Denis), mais aussi à la Libre Parole de l'antisémite Drumont. Elu député à Paris en 1893 (après un échec à Lyon), Clovis Hugues fut aussi antidreyfusard. Mais il fut ensuite convaincu de l’innocence de Dreyfus et revint à des conceptions plus humanistes.

                                                            * La Cocarde défendait des idées plutôt fédéralistes. Notamment, Maurras, critique envers la république existante mais pas encore monarchiste, y préconisait la transformation de la France en fédération de provinces, celles-ci étant elles-mêmes des fédérations de communes (Stéphane Giocanti, Charles Maurras, le chaos et l'ordre, 2006).  Il y a des points de rapprochement avec les idées de certains Communards.

 

Clovis Hugues continua son oeuvre de poète de langue provençale et fut élu un des principaux dignitaires (majoral) du félibrige. Il avait abandonné la vie politique quelque temps avant sa mort. Il mourut en 1907; il est enterré à Embrun (Alpes de Haute-Provence), où se trouve un monument à sa mémoire, oeuvre de sa femme qui était sculptrice (elle a aussi réalisé le monument à Ménerbes, le village natal de Hugues, ainsi que dans le jardin des félibres à Sceaux - celui-ci fut inauguré par Maurice Barrès).

 

 

1887 : MARSEILLE SE SOUVIENT DE LA COMMUNE …DE PARIS

 

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La Canebière ("rue Cannebière") au débouché du Quai de la Fraternité (Quai des Belges). Sur la gauche, on voit l'immeuble de la Bourse. Carte postale vers 1900.

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En 1887, Marseille était dirigée par une municipalité composée de différents groupes républicains, jusqu'aux socialistes, avec Emmanuel Allard comme maire. Cette municipalité s'était montrée plutôt efficace dans la gestion d'une épidémie de choléra en 1884.

Elle avait succédé à la municipalité Brochier (radicale) qui s'était surtout illustrée par des affaires scandaleuses de marchés publics - mais en bon radical, Brochier avait refusé l'édification d'un monument à Adolphe Thiers que son prédécesseur, le modéré Ramagni, avait envisagée.

Le 18 mars 1887, jour anniversaire du début de la Commune de Paris, le conseiller municipal Brouard, « socialiste révolutionnaire », proposa de lever la séance en hommage à l'insurrection parisienne. Même si les conseillers n’étaient pas unanimes, il se forma une majorité pour voter la motion et la séance fut levée.

Cet hommage public à la Commune par une grande municipalité était un geste encore trop scandaleux dans la France, même républicaine, des années 1880.

Huit jours plus tard, le président de la république Jules Grévy signait, sur proposition du président du conseil René Goblet, le décret portant dissolution du conseil municipal de Marseille.

Le résultat fut l’organisation de nouvelles élections qui furent remportées par Felix Baret, un ancien conseiller municipal de la municipalité Brochier (dont il avait démissionné, en désaccord avec Brochier) ; réunissant autour de lui une large coalition républicaine plutôt modérée, il arriva en tête au premier tour de mai 1887 contre une liste de républicains dissidents, une liste socialiste révolutionnaire et la liste du comité monarchique. Au 2ème tour, il semble que tous ses concurrents se retirèrent.

La municipalité Baret fut marquée par de grands travaux - dont le grand égoût-collecteur de Marseille - rejetant les eaux usées dans les calanques, mais à l’époque cela ne choquait personne.

Félix Baret, un peu félibre lui-même, ami de la famille Daudet, était avocat. Associé un moment de Crémieux, ils avaient défendu ensemble les « empoisonneuses de Marseille » à la fin du Second empire.

Pendant la guerre de 70, Félix Baret, mobilisé comme capitaine de mobiles, fut commissaire du gouvernement devant le conseil de guerre de Lyon dans l’affaire des « assassins d’Arnaud », un commandant de bataillon de la Garde nationale du quartier de la Croix-Rousse à Lyon, exécuté par ses hommes en décembre 1870 parce qu’il refusait de donner l’ordre de marcher sur l’Hôtel de Ville pour y installer un pouvoir « populaire », réclamé pour prendre des mesures contre l’avance des Prussiens. Baret requit la peine de mort contre les accusés (il semble qu’un seul des accusés fut exécuté, les autres étant en fuite).

                                            * Arnaud fut considéré comme un martyr de la république : Gambetta assista à ses obsèques solennelles.

 

Après la municipalité Baret, généralement considérée comme bénéfique pour Marseille, le maire suivant (Baret ne se représentait pas) fut un médecin républicain de gauche, élu en 1892 avec le soutien des socialistes, le Dr Siméon Flaissières, qui devait par la suite adhérer au socialisme. Flaissières resta maire pendant 10 ans ; il fut ensuite élu sénateur et devait être à nouveau maire après la Première guerre, de 1919 à sa mort en 1931.

A l'initiative d'une association d'anciens combattants, une souscription fut lancée pour édifier un monument en hommage aux mobiles du département pendant la guerre de 70. La municipalité Baret, le département, l'Etat et l'Eglise s'y associèrent. C’est sous la première municipalité Flaissières, en 1894, que le monument fut inauguré, au haut de la Canebière, qu’on appelait encore allées de Meilhan, dans un climat d’unité autour des valeurs patriotiques. Le Petit Provençal, concurrent de centre-gauche du Petit Marseillais, écrit le 26 mars 1894 : «Les fêtes de ce genre sont un exutoire pour notre patriotisme. La campagne si désastreuse de 1870-1871 […] a aussi admirablement mis en lumière les qualités maîtresses de notre race, le courage indomptable des petits soldats de la France » (cité par R. Dalisson, Mémoire de guerre et nouvelles pratiques culturelles sous la IIIe République : l’exemple du monument aux morts de 1870 à Marseille. https://journals.openedition.org/cdlm/6891?lang=en

Le monument, dû à l'architecte Allar et aux sculpteurs Roux et Turcan (tous provençaux), présente sur le pourtour de la colonne un  groupe de mobiles (l'un piétine même un Prussien!) tandis qu'une statue  de la France, armée d'un glaive et tenant le drapeau, est dressée sur la colonne. Les inscriptions placées sur le piédestal rendent hommage aux mobiles et francs-tireurs du département et évoquent les combats auxquels ils ont participé, dont la répression de l'insurrection kabyle.

 Le monument fut érigé à la place d’un petit fortin qui avait été construit pendant l’état de siège du général Espivent pour surveiller le quartier (mais détruit bien avant la construction du monument, semble-t-il).

 

 

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 Le monument des Mobiles en haut de la Canebière et l'église des Réformés. Carte postale vers 1900.

 Vente eBay https://www.ebay.fr/itm/13-MARSEILLE-L-EGLISE-DES-REFORMES-ET-MONUMENT-DES-MOBILES-/184010695411

 

 

 

REGARDS SUR LA COMMUNE DE MARSEILLE 

 

 

Nous donnons ici quelques « jugements » ou regards sur la Commune de Marseille.

Maxime Aubray et Sylla Michelesi, dans la préface de leur Histoire des événements de Marseille du 4 septembre 1870 au 4 avril 1871 (qui nous a très fréquemment servi de guide), se défendent d’avoir voulu faire de la polémique, ils ont seulement voulu « faire le compte rendu impartial et complet - autant que possible - de cette grande pièce si mouvementée qui s’est jouée à Marseille pendant sept mois, qui a emprunté ses scènes à tous les genres, en passant par le sublime et le grotesque, pour se terminer par un des épisodes les plus douloureux inscrits dans les annales de notre ville ».

 

Pour Antoine Olivesi, l’historien universitaire, auteur de La Commune de 1871 à Marseille (1ère édition 1950) :

« Depuis des siècles, la vieille cité, dont la fierté était d’avoir connu une jalouse indépendance, dormait du sommeil de la province. En 1870, en 1871, avant de retomber dans la perpétuité d’une centralisation politique et administrative, Marseille, comme par un souvenir de son libre passé, s’est un instant mise en lumière, dans la lumière de l’action autonome et de l’idéal révolutionnaire. »

Raoul Busquet, directeur des archives départementales, auteur de L’Histoire de Marseille, 1ère édition 1945, présente, sur un ton moralisateur, le point de vue conservateur-modéré sur l’épisode, un point de vue sans doute dominant pendant une longue période; après avoir indiqué que la population marseillaise était restée étrangère à l'insurrection (ce qui est discutable, mais on a vu que lors de l'épreuve de force, les combattants du coté de la Commune étaient peu nombreux), ii termine son chapitre par l’évocation de Crémieux :

« Il avait été entraîné par ses propres déclamations à l’insurrection armée. Lui-même n’était violent qu’en paroles. Son exécution (…) fut un exemple beaucoup plus que le châtiment d’un coupable. Tout de même, il avait inutilement prolongé les désordres de Marseille ; il avait contribué à ajouter une page – et la plus absurde - aux malheurs de sa ville et de sa patrie ».

 

Olivier Boura, dans son stimulant petit livre Marseille, ou la mauvaise réputation, 2001, ne parle quasiment pas de la Commune de Marseille, mais s’interroge : pourquoi M. Thiers, le Marseillais, a-t-il raté la gloire ?

« On s’accorde aujourd’hui à le considérer comme un monstre mais il n’en allait pas de même dans les années 1870. Seul,* il s’oppose à la déclaration de guerre. Plus tard, chef du gouvernement provisoire, contraint par Bismarck de signer le très rude traité de Francfort, il fait du moins en sorte que les troupes allemandes évacuent au plus vite le territoire national. Ce qui lui valut le surnom - assez pompeux- de « libérateur du territoire ». Mais entretemps, Monsieur Thiers avait liquidé la Commune. Par là, il devint pour toujours l’incarnation de la bêtise et de la méchanceté bourgeoises.

(…)

Les communards, faut-il le rappeler, n’étaient guère populaires, au fond. Mais cet acharnement inutile et cruel, on ne le lui pardonna pas. Les insurgés entrèrent dans la légende d’avoir été vaincus par un adversaire si peu généreux. »

                                   *[ « Seul », c’est sans doute exagéré, mais les opposants à la guerre à furent peu nombreux à s’exprimer.] 

 

Chez O. Boura, il n’est pas question de la Commune de Marseille, mais du fait que les « grands hommes de Marseille » ratent obstinément la gloire, rangés pour la plupart parmi « les salauds et les traîtres ». O. Boura va jusqu’à imaginer que Thiers (inconsciemment sans doute), s’est vengé sur Paris des humiliations qu’il avait subies, lui le petit avocat de province « monté à Paris », court sur pattes et dont on avait moqué l’accent !

 

 cpa-marseille-la-cathedrale-en-couleurs-annees-1900

 La cathédrale "La Major" de Marseille. Carte postale vers 1900.

 http://www.antiqu-arts.com/fr/bouches-du-rhone-13/4188-cpa-marseille-la-cathedrale-en-couleurs-annees-1900.html

 

 

 

CONCLUSION

 

 

La Commune de Marseille commença (et finit) aux cris de « Vive Paris »*. C’est une sorte de paradoxe. On fait valoir que ce cri manifestait la solidarité du peuple de Marseille pour celui de Paris, unis dans les mêmes aspirations. Mais on admettra que pour ceux qui veulent voir dans la Commune de Marseille une aspiration particulariste, l’expression de l’identité marseillaise, le constat est frustrant.

 

                                                        * M. Robert Rossi, l'auteur de la biographie de Léo Taxil, a publié début 2020 un roman sur la Commune de Marseille, intitulé justement : Quand Marseille criait "Vive Paris !". Son héros est un jeune homme en rupture de ban avec son milieu monarchiste et petit-bourgeois. Est-il inspiré par Taxil ?

 

D’autant plus que Paris révolutionnaire, s’il ne se présentait plus comme « capitale de l’Etat », prétendait toujours à l’exemplarité, au rôle dominant, au moins pour la base militante* : « La première œuvre de la Commune est donc de « parisianiser » la révolution, d’œuvrer en faveur d’un réinvestissement mythique de la capitale… » (Martine Lavaud, Envers du décor et contre-mythes : la « vie parisienne » pendant la Commune https://serd.hypotheses.org/files/2018/08/Lavaud.pdf

                                         * Il est probable que la masse des partisans de la Commune ignorait totalement les théoriciens disciples de Proudhon ou Bakouninistes, qui préconisaient que Paris ne devait être qu’une commune autonome parmi d’autres, laissant aux autres communes le soin de se déterminer à leur façon.

 

L’adhésion marseillaise (disons d’une partie de la population) à la Commune de Paris, se présentait dans le cadre du républicanisme le plus classique : Marseille voulait que le gouvernement de la république retourne à Paris et répudie toute tentation monarchique (ce sont les raisons « officielles » du soulèvement du 23 mars). Et après quelques jours, comme si elle avait pris conscience que ces raisons étaient finalement trop faibles pour justifier un mouvement aux conséquences risquées, la Commission était prête à se dissoudre et à se rallier au gouvernement de Thiers, pourvu que le gouvernement envoie un préfet « sincèrement républicain » (dernière exigence pour ne pas perdre la face et sans doute facilement réalisable - il ne manquait pas de "vrais" républicains ralliés à Thiers pour satisfaire cette modeste exigence). Alors peut-être, la Commune de Marseille de mars 1871 aurait fini comme celle de novembre 1870, chacun rentrant tranquillement chez soi…

C’est alors qu’arrivèrent les délégués de la Commune de Paris. A ce moment on pourrait penser que « Marseille » (en fait la Commission et ses soutiens dans la population) rétablit sa communion d’idées avec Paris insurgé.

Mais ici encore, les faits disent le contraire ; entraînés plus avant dans l’insurrection, les chefs de la Commune marseillaise accableront (par la suite, il est vrai) les « Parisiens », qui seraient venus les détourner du bon sens et du chemin de la conciliation. Et même avec les Parisiens présents pour le surveiller, Crémieux proposera à la municipalité modérée de reprendre le contrôle de la ville,  puis à nouveau proposera de dissoudre la Commission insurrectionnelle en échange de l'amnistie et de  l'envoi d'un préfet republicain, en avouant à l'intermédiaire Giraud-Cabasse : « nous sommes débordés ».

Lors du procès, les responsables, loin de revendiquer leurs actes, se réfugieront dans les excuses de plus ou moins bonne foi, en essayant de dégager leur responsabilité et de rejeter la faute sur les « Parisiens », utiles boucs émissaires, malheureusement sans grand résultat sur le verdict.

A la même époque, tous ceux qui plaideront pour l’indulgence feront valoir que la Commune de Marseille devait bien être distinguée de la Commune de Paris, qu’elle n’avait (presque) rien de commun avec cette dernière.

La Commune de Marseille reste aujourd’hui une référence politique chez les militants locaux (comme, a fortiori, la Commune de Paris), bien plus qu’un « objet » historique qu’on pourrait examiner de façon dépassionnée. Et bien entendu, il n’est plus question de chercher à la distinguer de la Commune de Paris.

Comme l’ont observé depuis longtemps les historiens, la Commune est devenue un mythe (et un mythe quasiment consensuel).

L’histoire de la Commune est souvent racontée en termes manichéens, le soutien de la population à la Commune (en France comme à Marseille) est exagéré*, les acteurs sont présentés comme des héros et non comme des hommes ordinaires.

                                                            * On rappelle ici le jugement de l’historien Jean-Marie Mayeur : « La Commune vaincue ne suscite qu’hostilité et répulsion et ses partisans se terrent. La faveur de l’opinion ira à ceux qui sauront, en s’affirmant républicains, prendre leurs distances vis-à-vis de l’insurrection (Les débuts de la IIIe République 1871-1898).

 

S’agissant de la Commune de Marseille, qui s’insère dans l’ensemble plus grand de l’histoire de la Commune, ceux qui préfèrent le militantisme à l’histoire se font une image sans nuance de l’épisode, qui fut bien plus décousu, contradictoire et décevant que son récit mythifié.

Finalement, est-ce si étonnant qu’un mouvement populaire marseillais qui se faisait au cri de Vive Paris se soit terminé de façon décevante et même catastrophique pour Marseille ?

 

 

NOTA :

Pour cette série de messages, j’ai utilisé principalement des sources accessibles sur internet. J’espère qu’on ne m’en tiendra pas rigueur, s’agissant d’un travail qui n’a pas de prétention académique. Je pense toutefois n’avoir rien omis d’essentiel.

Je n’ai donc malheureusement pas lu l’ouvrage de référence d’Antoine Olivesi ni les récents ouvrages de Roger Vignaud (Gaston Crémieux: la Commune de Marseille, un rêve inachevé, et La Commune de Marseille, dictionnaire), mais on trouve de nombreuses notices du Maitron (en ligne) dues à M. Vignaud. M. Vignaud est avocat et il a joué le rôle de Crémieux lors d’une reconstitution du procès de celui-ci en 2011, se terminant cette fois par son acquittement, devant un public militant tout acquis à la cause de Crémieux – mais justement, quelle cause ?

 

 

 

ANNEXE 1

QUE SONT-ILS DEVENUS ? (SUITE)

 

Ces indications proviennent du Dictionnaire Maitron.

 

Victor Bosc, membre de la Commission au titre de délégué des bataillons de la Garde nationale, réussit à s’enfuir en Italie. En 1874 il fut condamné, à Milan, à trois ans de prison pour abus de confiance. Après avoir purgé cette peine, il se réfugia à Genève, retourna en Italie en 1878, expulsé pour défaut de papiers d’identité en règle, il repartit en Suisse et s’établit à Nyon (canton de Vaud) où il se trouvait encore en 1879.

Brissy

Le 25 octobre 1871, par décision présidentielle, la peine de mort prononcée contre lui pour usurpation de fonctions militaires fut commuée en dix ans de détention, puis le 13 février 1872, en dix ans de bannissement. Brissy se fixa à San-Remo (Italie).

Il est à noter que Le Petit Journal du 13 octobre 1871 indique : « Lundi, à trois heures, est arrivé à Paris à la maison de santé du docteur Duval,  le sous-intendant Brissy, condamné à la peine de mort par le conseil de guerre de Marseille.» https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k591248g.r=Un+jour,+tu+comprendras+Lauren+Brooke.langFR.textePage.

En 1879, le journal La Presse d'Emile de Girardin rappelle que Brissy n'avait fait que son devoir au 4 septembre 1870 en prenant le commandement militaire de Marseille (ce qui lui valut plus tard l'accusation d'usurpation de fonctions), que Thiers avait désapprouvé la décision du conseil de guerre le condamnant à mort et commué sa peine en détention, puis presqu'aussitôt, en bannissement. Le journal souhaite que la Légion d'honneur lui soit rendue - question qui se pose aussi pour tous les décorés impliqués dans la Commune (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5431126/texteBrut ). Le journal remarque  que « Beaucoup des amnistiés sont certainement moins intéressants que M. Brissy »,  incriminé pour un vice de forme alors qu'il « avait rendu à. la cause de l'ordre et à celle de la défense nationale un véritable service en acceptant, à la demande du préfet des Bouches-du-Rhône, les fonctions de commandant de la division de Marseille » (le journal ne mentionne pas que Brissy aurait par la suite appuyé la Commune de Marseille de mars-avril 1871).

 

Curieusement, le nom de Brissy n'est jamais cité parmi les condamnés à mort de Marseille (grâciés sauf Crémieux); son cas a probablement été traité à part, du fait de son grade militaire et que le motif de son inculpation était antérieur à la période de la Commune.

 

Breton, le pharmacien président du Cercle républicain du Midi, avait été condamné à la « déportation simple » (sans détention en enceinte fortifiée). Sa peine fut commuée, le 17 janvier 1872, à dix ans de bannissement. Breton émigra à Alexandrie (Égypte).

 

Bauche, qui avait arrêté des magistrats, avait été condamné à cinq ans de travaux forcés en Nouvelle-Calédonie. Amnistié en 1879, il fut rapatrié seulement en 1883, et la même année, il demanda à retourner en Nouvelle-Calédonie.

 

Antoine Gay, condamné (sévèrement) pour sa participation à la Commune à la déportation en enceinte fortifiée en Nouvelle-calédonie, revint à Marseille après la remise de sa peine en 1879, et fréquenta les milieux anarchistes. Il adhéra après 1920 au parti communiste. En 1927, il partit en URSS afin de résider dans une maison de repos créée à Moscou pour les anciens Communards.  Le 8 juin 1930, l’Humanité signalait sa mort en URSS. Il était fréquemment désigné par erreur comme ayant participé à la Commune de Paris.

 

Novi, qui  avait participé à l’arrestation de magistrats, avait été fut déporté à l’île Nou pour effectuer 10 ans de travaux forcés. Le 15 janvier 1879, il bénéficia d’une remise de peine.

 

Duclos, le seul chef de bataillon de la Garde nationale à avoir pris parti pour la Commission jusqu’au bout, condamné à la déportation en enceinte fortifiée, eut sa peine commuée en déportation simple puis en dix années d’emprisonnement avec dégradation civique. Il bénéficia de la remise du reste de sa peine le 15 août 1876.

 

Nastorg dit Saint-Simon, dont le rôle pendant la Commune avait paru inconsistant, ce qui n'avait pas empêché sa condamnation, effectua sur l’île des Pins une peine de déportation simple, réduite à dix ans de bannissement en 1878. Rapatrié en France en 1879, il vécut ensuite en Espagne avant d’être amnistié en 1880.

 

 Albert May, l'un des trois délégués de Paris auprès de la Commisssion insurrectionnelle de Marseille, s'était réfugié à Londres après l'échec de la Commune de Paris. Puis il passa en Belgique où il continuait à propager les doctrines socialistes; on le trouve à Liège en 1879; gracié en 1879. C'était un franc-maçon actif.

 

Enfin Amouroux, condamné aux travaux forcés en Nouvelle-Calédonie, participa à la répression de l’insurrection des Kanaks en 1878, présentant à l’autorité une pétition ainsi rédigée : « Les condamnés dont les noms suivent sollicitent la faveur de marcher à l’ennemi. »

Cela lui valut une remise de peine. Rentré en France, il fut élu conseiller municipal de Paris puis député radical de la Loire en 1885. Mais sa santé était dégradée, il mourut de phtisie peu après ; il avait eu le temps de voter une proposition de loi d’amnistie présentée par Clovis Hugues. Comme May, c'était un franc-maçon actif.

 

 

ANNEXE II

 

Le Conseil fédéraliste universel  de Landeck et Vésinier (1872)

 

Dans Le Journal des Débats du 24 septembre 1872 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k458406q/texteBrut) le penseur libéral G. de Molinari (qui était peut-être présent) raconte la séance de fondation du Conseil fédéraliste universel créé à Londres par Landeck et Vésinier. Il explique ainsi le programme de la nouvelle organisation :

« En voici les principaux articles : Abolition de toutes les monarchies et établissement de républiques démocratiques et sociales, basées sur le principe fédératif; abolition de tous les titres et priviléges héréditaires; législation et gouvernement directs du peuple substitués au régime représentatif, nationalisation de la terre, etc. Est-il bien nécessaire d'ajouter que les moyens révolutionnaires seront mis au service de ce programme révolutionnaire? Le citoyen Landeck a particulièrement insisté sur ce point, tandis que son collègue, le citoyen Vésinier, développait la théorie économique du programme, théorie qui n'est autre, on l'a deviné, que celle du communisme le plus pur. (…) Hier Karl Marx expulsait Bakounine et Guillaume; aujourd'hui Landeck et Vésinier expulsent Karl Marx, demain Vésinier expulsera Landeck ou Landeck expulsera Vésinier. Et voici comment on enseigne au monde la pratique de l'association et on prépare l’avénement de la fraternité universelle. »

 

Ce conseil dit universel ne fit pas beaucoup parler de lui et disparut dans l'indifférence générale.

On a vu qu'on perd la trace de Landeck après 1899. Quant à Vésinier, on peut en dire quelques mots (bien qu'il n'ait pas de rapport direct avec la Commune de Marseille): de retour en France, il participe à des activités de presse et à des organisations politiques, toujours à l'extrême-gauche (ainsi il est condamné en 1881 à 3 mois de prison et à une amende pour avoir fait l'éloge dans son journal des assassins du tsar Alexandre II), sans jamais obtenir une notoriété importante (et il est mal vu par certains qui le considèrent comme un personnage trouble). On a vu ses relations avec Léo Taxil à l'époque où ce dernier était encore un  des représentants virulents de l'anticléricalisme. Auteur d'une Histoire de la Commune publiée durant son exil à Londres,  il fit également paraître un ouvrage en 1892 Comment a péri la Commune, qui contenait des attaques contre certains Communards, ce qui lui valut d’être assigné devant les tribunaux par l'un d'entre eux (notice du Dictionnaire Maitron). Il meurt en 1902. Il touchait une pension du gouvernement comme victime du coup d'Etat de décembre 1851.

 

 

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Commentaires
E
Votre exposé relate qu'Arnaud Gaillardon (le commissaire de police de Marseille sous le Second Empire) s'est suicidé, mais tout indique qu'il a été assassiné. Son meurtre aurait été maquillé en suicide. Elisabeth de Lachaise, son épouse, l'avait rencontré la veille de son assassinat et il ne montrait alors aucun signe de dépression et ceci d'autant plus que les dernières nouvelles laissaient espérer une libération prochaine. Rien ne le menaçait, ni chef d'inculpation, ni violences physiques ou morales. En fait il en savait certainement trop sur les activités politiques ou privées de quelques hommes publics du moment, d'où sa détention injustifiée et la saisie de documents à son domicile. A la veille de sa libération il était donc tentant de le faire disparaitre.
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Le comte Lanza vous salue bien
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