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Le comte Lanza vous salue bien
21 juillet 2019

LES MASSACRES DES FOIBE : MÉMOIRE ET POLÉMIQUE EN ITALIE TROISIEME PARTIE

 

 

 

 

LES MASSACRES DES FOIBE : MÉMOIRE ET  POLÉMIQUE EN ITALIE

TROISIÈME PARTIE

 

 

 

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

 

QUINZE ANS DE POLÉMIQUES

 

 

La mémoire des foibe et de l’exode et, depuis 2004, la célébration du Jour du Souvenir, loin d’être la célébration rituelle et dépassionnée qu’on pourrait croire, offrent un point de vue remarquable sur la vie politique italienne et ses affrontements. Depuis 2004, les polémiques et les incidents n’ont pas cessé et paraissent même augmenter, chaque année procurant sa moisson de disputes.

Une lecture possible de ces polémiques est de dire qu’elles opposent la gauche à la droite; mais comme on l’a déjà dit, il serait plus exact de penser qu’elles opposent l’extrême-gauche à une sorte de front commun droite-gauche (ou centre-droit-centre-gauche ?)*. A travers la mémoire des foibe, l’extrême-gauche reproche à l’ensemble de la classe politique de réhabiliter le fascisme.

Depuis l'arrivée au pouvoir de la Ligue version Salvini, ces controverses ont encore gagné en intensité.

                                                                                                          * On a souvent fait remarquer qu'en Italie, la gauche de gouvernement (Parti démocrate notamment) préfère se faire appeler centrosinistra, centre-gauche. Mais cette volonté de mettre en avant le centre existe aussi à droite : pour les Italiens, la Ligue de Salvini, Forza Italia de Berlusconi et même Fratelli d'Italia, pourtant "post-fasciste', font partie du centrodestra...

 

 

LES FUSILLÉS DE DANE (SLOVÉNIE) ET LES EXÉCUTÉS DE PORZÛS (FRIOUL)

 

 

Il y a eu des polémiques sur des documents photographiques représentant l’exécution des victimes par les partisans ou l’armée yougoslave. En fait, il n’existe probablement aucune photo qui aurait été prise par les partisans de leurs exécutions - ce qui paraît assez compréhensible - ni par l’armée yougoslave en 1945 (de telles photos existent peut-être dans des archives que les pays succeseurs de la Yougoslavie n’ont pas envie de diffuser ?)*

Les photos qui ont circulé comme telles représentent au contraire des exécutions par des soldats italiens de résistants ou d’otages en Slovénie.

                                                                                  * De même, toutes les photos connues de récupération des corps paraissent avoir été prises soit en Istrie après octobre 1943 (fin du pouvoir partisan), soit après mai 1945 dans les territoires occupés par les Alliés occidentaux. Aucune photo similaire prise en territoire yougoslave après 1945 ne paraît exister ou n’a été révélée.

 

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 Une photo de la récupération des corps des victimes des foibe, certainement après-guerre en zone italienne ou occupée par les Alliés occidentaux. Le militaire au premier plan semble porter un calot de l'armée américaine (?).

 Gazzetta di Parme., illustration de l'article du 4 février 2019, Foibe, l'Anpi nazionale: "Iniziativa di Parma non condivisibile" perché alimenta polemiche (voir plus loin sur la polémique créée par l'initiative de la sction de Parme de l'ANPI - association nationale des partisans, antifascite).

https://www.gazzettadiparma.it/archivio/2019/02/04/news/foibe_l_anpi_nazionale_iniziativa_di_parma_non_condivisibile_perche_alimenta_polemiche-504017/

 

 

Ainsi, en 2012, lors de l'émission télévisée Porta a porta, qui aborde le sujet des massacres des foibe, le présentateur Bruno Vespa montre la photo d’un peloton d’exécution fusillant cinq hommes, décrite comme une exécution par des militaires de l'armée yougoslave.

L’historienne critique, Alessandra Kersevan, présente sur le plateau, rétablit la vérité et indique qu’il s’agit d’une exécution commise en 1942 par l’armée italienne dans le village slovène de Dane, les noms des victimes étant connus, ce qui provoque l’agacement du présentateur. Le sénateur du Peuple de la Liberté (le parti de Berlusconi à l’époque) Maurizio Gasparri, lui aussi présent, traite alors Kersevan de propagandiste soviétique, tandis que le professeur Pupo, un des spécialistes du sujet et un des historiens du courant dominant, confirme la véritable signification de la photo (mais uniquement quand Alessandra Kersevan le sollicite). Le présentateur ne s’excuse pas vraiment de son erreur.

Cf. Article Wikipedia it. sur Alessandra Kersevan, ainsi que les sites Dieci febbraio (10 février) et Giap (sites critiques).

http://www.diecifebbraio.info/2015/03/il-giorno-del-ricordo-e-i-falsi-fotografici-sulle-foibe/

https://www.wumingfoundation.com/giap/2015/03/come-si-manipola-la-storia-attraverso-le-immagini-il-giornodelricordo-e-i-falsi-fotografici-sulle-foibe/

 

Lors de cette émission, Alessandra Kersevan affirme que la mémoire des foibe est une création délibérée d’après-guerre pour discréditer le mouvement partisan, position qui lui valut ensuite de nombreuses attaques.

 

 

 

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Emission Porta a porta sur la RAI I, 2012. .Le présentateur Bruno Vespa confronté à la photo litigieuse qui ne représente pas, comme il l'a dit,  une exécution par des militaires yougoslaves, mais par l'armée italienne en Slovénie. Celui qui a mis la video sur You Tube lui a donné le titre : l'historienne démasque le révisionnisme et Vespa devient furieux.

Capture d'écran You Tube.

https://www.youtube.com/watch?v=RCXmbXUQUUc

 

 

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Emission Porta a porta sur la RAI I, 2012. Bruno Vespa avec Alessandra Kersevan et Marco Rizzo, dirigeant du parti Comunisti Sinistra Popolare (Communistes gauche populaire). Vespa, agacé, essaye de s'expliquer sur le choix de la photo.

Le parti Comunisti Sinistra Popolare est une scission d'avec les  Comunisti italiani; il a été rebaptisé Parti communiste (tout court) en janvier 2014 (à ne pas confondre avec le nouveau Parti communiste italien, fondé en 2016 par les Comunisti italiani). C'est Marco Rizzo qui lors du débat au Parlement sur l'instauration du Jour du Souvenir en 2004 (siégant alors avec le parti Comunisti italiani) qui avait dit : Oggi c'è un'aria di revisionismo (aujourd'hui, il règne un air de révisionnisme).

https://www.youtube.com/watch?v=RCXmbXUQUUc

 

 

 

Alessandra Kersevan est aussi connue pour son étude critique sur le massacre (ou la tuerie) de Porzûs (Frioul) : en février 1945: une vingtaine de résistants antifascistes (mais non communistes) de la brigade Osoppo sont exécutés par des partisans communistes, sur un soupçon controversé de trahison (ou de contacts avec les fascistes de la république de Salò); parmi les victimes se trouvait le frère de Pier Paolo Pasolini.

Kersevan a publié un livre sur le sujet en 1995, tendant à remettre en question la responsabilité des partisans communistes, qui avaient été jugés après-guerre et condamnés à des peines de prison, non exécutées car les accusés s’étaient enfuis, notamment en Yougoslavie.

En 1992, le président de la république Cossiga rendit hommage aux victimes et en 1998 le présient de la chambre des députés Luciano Violante, issu de l’ancien parti communiste, déclara dans un message à l’occasion de la célébration annuelle des victimes que la vérité sur les crimes commis par certains résistants ne devait plus être cachée.*

                                                                        * Le même Violante est aussi l’un de ceux qui reconnurent leur erreur pour avoir nié ou minimisé les massacres des foibe (cf. seconde partie).

 

Lorsque le président Napolitano vint rendre hommage aux victimes en 2012, Kersevan publia une lettre ouverte au président pour réclamer la révision du procès des accusés et une commission d’enquête. En 2008, elle déclarait que l'affaire de Porzûs avait été “l'un des mythes fondateurs de la classe politique dominante” dans le Frioul-Vénétie Julienne, et qu'à partir des années 90, elle fut exploitée au niveau national dans le cadre d'un processus de "convergence droite-gauche pour reconstruire un imaginaire anticommuniste partagé " (article Alessandra Kersevan, wikipedia it. https://it.wikipedia.org/wiki/Alessandra_Kersevan

On retrouve ici la même approche des historiens critiques et de la mouvance communiste actuelle ou d’extrême-gauche “antifasciste”qu’en ce qui concerne les foibe, dénonçant la construction d’une mémoire “révisionniste”, partagée entre la gauche institutionnelle * et la droite y compris l’extrême-droite.

                                                                                                                    * Rappelons que le parti communiste italien (PCI) historique s’est dissout en 1991 (congrès de Bologne). La majorité de ses membres (dont le futur président Napolitano) ont formé un parti social-démocrate, les Démocrates de gauche, plus tard fusionné avec d’autres apports dont des démocrates-chrétiens, dans le Parti démocrate, fréquemment au pouvoir. La minorité formait des partis strictement communistes, généralement dans l’opposition: Rifondazione comunista et Comunisti italiani. Toutefois Rifondazione comunista a appuyé les gouvernements de coalition de centre-gauche Prodi I (1996-98) et Prodi II (2006-2008), puis a essayé de construire un front de gauche aux élections de 2018 en s'alliant avec les anciens Comunisti italiani (ces derniers ont formé, avec certains refondateurs, le nouveau Parti communiste d'Italie en 2016, devenu Parti communiste italien en 2018) et d'autres mouvements anticapitalistes, dans la coalition Potere al Popolo! qui ne remporta aucun siège, amenant la fin de la coalition.

 

L’affaire de Porzûs, longtemps laissée dans un relatif oubli, est le sujet d’amples controverses et A. Kersevan n’est qu’un des multiples auteurs à avoir abordé ce sujet - impliquant aussi l’engagement (après guerre) d’anciens de la brigde Osoppo dans le réseau anticommuniste Gladio, financé par les Américains, et dont le rôle reste très discuté (voir Wiki it. Controversie sull'eccidio di Porzûs https://it.wikipedia.org/wiki/Controversie_sull%27eccidio_di_Porz%C3%BBs).

 

 

 

PHOTOS ET AUTRES POLÉMIQUES

 

 

La photo des fusillés par l’armée italienne, qui devrait maintenant être bien connue, est encore utilisée pour illustrer les massacres commis par les partisans. Un élu du parti La Destra ( la Droite) plus tard fusionné avec le Mouvement national pour la souveraineté, Francesco Storace, ancien président de la région Latium, utilise encore la photo en 2016.

En 2018, pour le 10 février, Giorgia Meloni , la présidente du parti Fratelli d’Italia (souvent identifié comme post-fasciste) l’utilise dans un tweet pour dénoncer le maire (Parti démocrate) d’une ville qui avait offert la salle municipale pour un colloque “négationniste” sur les foibe (c’est-à-dire un colloque d’historiens critiques), bien que ce maire ait ensuite présenté des excuses et même démissionné.

Se rendant compte de sa bévue, Giorgia Meloni supprime la photo !

https://www.corriere.it/politica/18_febbraio_10/errore-giorgia-meloni-ricorda-foibe-ma-foto-mostra-plotone-italiano-che-fucila-cinque-civili-195df6b2-0e4c-11e8-8d80-f9c15900d75d.shtml

 

 

 

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Affiche du parti Fratelli d'Italia pour le Jour du Souvenir 2019, montrant la présidente du parti Giorgia Meloni.

Giorgia Meloni, née en 1977, fait ses débuts très jeune au Mouvement social italien (MSI, néo-fasciste), en charge du Front de la jeunesse. Elle suit ensuite le parti dans sa transformation, sous la direction de Gianfranco Fini, en parti libéral-conservateur sous le nom de Alleanza nazionale. Députée à 29 ans, ministre de la jeunesse à 31 ans dans le gouvernemnt Berlusconi II. En 2009 elle suit la fusion de Alleanza nazionale avec le parti de Berlusconi, Il popolo della Libertà.Ne suit pas Fini et d’autres membres du parti lorsqu’ils rompent avec Berlusconi en 2010. En 2012, avec d’autres membres issus de l’ancienne Alleanza nazionale, rompt avec Berlusconi et crée Fratelli d’Italia-centrodestra naionale, (puis Fratelli d’Italia tout court), parti souverainiste, conservateur, anti-immigration, qui reprend le logo (simbolo) d’Alleanza nazionale.

Aux diverses élections , le parti reste dans les coalitions dites de centre-droit avec Berlusconi.

 

 

 

Les critiques de la commémoration des foibe ironisent aussi sur l’utilisation fréquente d’une photo pour illustrer l’exode des populations italiennes de Vénétie-Julienne et de Dalmatie, alors qu’il s’agit d’une photo représentant des personnes fuyant l’avance allemande en France en 1940 (épisode connu en France comme “l’Exode”).

Les mêmes, notamment le groupe Bourbaki (voir notre deuxième partie) se moquent volontiers des exagérations, non pas des historiens du courant dominant, mais des politiciens ou journalistes lorsqu’il s’agit de commémorer la mémoire des foibe.

Ainsi, Maurizio Gasparri*, ministre des communications, déclare en 2004 que les victimes des foibe sont peut-être un million, chiffre évidemment impossible puisque la population totale des provinces adriatiques italiennes dépassait à peine ce chiffre.

                                                                              * D’abord député du parti néo-fasciste MSI-DN (mouvement social italien-Droite nationale), devenu ensuite Alleanza nazionale (parti conservateur-libéral), ministre des communications du gouvernement Berlusconi II, puis sénateur et chef du groupe parlementaire du Peuple de la liberté (alliance électorale de centre-droit dirigée par Berlusconi en 2008, transformée en parti en 2009), vice-président du Sénat, réélu sénateur en 2018 pour Forza Italia (nouveau nom adopté par le parti de Berlusconi en 2013, reprenant le premier nom du parti en 1994).

 

De son côté, le célèbre journaliste et directeur de journaux Paolo Mieli*, très connu en Italie, déclare dans une interview télévisée de 2018 que les victimes des foibe sont des centaines, des milliers, peut-être des centaines de milliers (il fera ensuite couper le passage contesté) https://www.wumingfoundation.com/giap/2019/02/paolo-mieli-come-gasparri/

                                                                     *  Paolo Mieli, à plusieurs reprises directeur du plus important journal italien Il Corriere della sera; brièvement directeur de la RAI (la radiotélédiffusion italienne). A ses débuts, membre du groupuscule d’extrême gauche Potere Operaio (pouvoir ouvrier). Signe en 1971 avec d’autres intellectuels (dont Umberto Eco, Alberto Moravia etc) un manifeste dénonçant comme “tortionnaire” un commisaire de police, qui serait responsable de la mort d’un jeune anarchiste. Ce commissaire est ensuite abattu par des militants d’extrême-gauche. Mieli a plus tard exprimé ses regrets pour avoir signé le manifeste, estimant avoir indirectement causé la mort du commissaire.

  

 

 

CONVERGENCE GAUCHE-DROITE

 

 

 

Les milieux critiques et antifascistes dénoncent la convergence gauche-droite sur les foibe.

Ainsi, en 2016, un conseiller régional de Toscane, Donzelli, du parti Fratelli d’Italia, prenant acte de ce que la région organisait déjà pour les élèves un voyage d’études de 5 jours à destination des camp de concentration de Birkenau et Auschwitz, sous le nom de “train de la Mémoire” proposait que l’itinéraire du train passe par la foiba de Basovizza et que le nom du voyage soit modifié en “train de la Mémoire et du Souvenir”.

 Sa proposition fut approuvée à l’unanimité par le conseil régional, pourtant dirigé par un membre du Parti démocrate (social-démocrate).

Le groupe Bourbaki ne manque pas d’ironiser :

“Train de la Mémoire et du Souvenir. Foibe et Shoah sur le même plan. Quel intitulé délicieusement bipartite, quel sommet audacieux du post-idéologique, quel doux naufrage sur la mer tranquille de “la mémoire nationale commune et partagée” (memoria nazionale comune e condivisa).  L’équivalence entre foibe et Shoah, si chère aux néo-fascistes et à leurs complices  démocrates, naît de l’affirmation que les troupes yougoslaves ont tué des personnes “en tant qu’Italiens”, comme les nazis tuaient des personnes “en tant que Juifs”. Mais c’est une ritournelle de propagande, sans valeur historiographique.”

Le groupe Bourbaki souligne que cette équivalence a été votée sans états d’âme par le gouverneur* de Toscane Enrico Rossi, représentant l’aile gauche du Parti démocrate, le “Corbyn italien”, “l’adversaire sans peur des dérives centristes et libérales du renzisme**”.

                                                                   * En Italie, on appelle souvent, “gouverneur” les présidents des régions. Cet usage, inspiré des USA, n’est pas officiel.

                                                                    ** De Matteo Renzi, chef du Parti démocrate, qui lorsqu’il était président du conseil (2014-2016), a mis en oeuvre une politique libérale impopulaire (réforme des retraites notamment), expliquant largement l’échec du Parti démocrate aux élections de 2018)

 

Certes, dans la version définitive du texte voté à l’unanimité, il n’y a plus un seul train "de la Mémoire et du Souvenir” mais deux trains séparés, dont l'un partira tous les deux ans et amènera des élèves toscans à Trieste pour visiter la foiba de Basovizza.

Bourbaki remarque que “Même le “soi-disant” (sedicente) élu d’«extrême gauche», cédant à l’ambiance de “concorde nationale”, a voté pour (il s’agit d’un élu de Toscana a sinistra, Oui, Toscane à gauche, une formation qui appartenait à un regroupement né il y a quelques années et qui s’appelait... Une autre Europe avec Tsipras (créé au temps de la plus grande popularité du premier ministre grec qui s’opposait aux décisions libérales de l’Union européenne - cette époque est déjà loin !).

Selon le groupe Bourbaki :

“La logique de base est clairement énoncée: si on va à Auschwitz et à Birkenau, il faut aussi aller à Basovizza.

Mais pourquoi seulement là?  Rappelons qu’à Trieste se trouve également la Risiera di San Sabba, le seul camp de concentration sur le sol italien doté d’un four crématoire.  Cela ne mérite-t-il pas d'être visité?”

Le groupe Bourbaki espère que les accompagnateurs seront assez intelligents pour y penser, car il ne faudra pas compter sur ceux qui accueilleront les élèves à Trieste : à Trieste, les foibe n’égalent pas la Shoah, elles surpassent la Shoah. 

https://www.wumingfoundation.com/giap/2016/04/chi-racconta-agli-studenti-che-le-foibe-sono-come-la-shoah-cinque-domande-al-presidente-della-regione-toscana-enrico-rossi/

 

Ainsi ce qui est dénoncé à chaque fois c’est le fait que dans l’Italie actuelle, la gauche (modérée) et la droite (voire l’extrême-droite) puissent être d’accord sur certains points (ici la mémoire). La réintégration de la droite post-fasciste dans le jeu poltique normal paraît avoir comme corrolaire la condamnation rétrospective du commnisme.

Il faut signaler que la perception de certains partis est très différente selon qu’on se situe à l’extrême-guache ou non. Ainsi Fratelli d’Italia ou la Ligue (anciennement “du Nord” – le nom originel Lega Nord per l'Indipendenza della Padania n’a d’ailleurs pas été modifié dans les statuts) sont classés le plus souvent par les observateurs italiens au centrodestro (centre-droit), ce qui peut étonner en France. De façon plus précise, on classe dans la catégorie conservatorismo nazionale, Fratelli d’Italia et la Ligue (dans sa version Salvini), mais cela ne semble pas exclusif d’un rattachement au centrodestra (voir articles centrodestra et conservatorismo nazionale sur Wikipedia italien).

De la même façon, la gauche de gouvernement est souvent qualifiée de centrosinistra: actuellement, le terme de gauche (sinistra) en Italie qualifie le plus souvent les partis se réclamant du communisme et l'extrême-gauche:

« Les leaders du PD [Parti démocrate], comme Matteo Renzi, refusent d’employer le mot «gauche» à propos de leur propre parti. Ainsi, la «sinistra» italienne est confinée à un espace politique représentant électoralement moins de 10% des intentions de vote. (…) Troquant le «communisme» pour la «gauche», les leaders du PDS/DS/PD [le PDS et le DS sont les partis qui en se transformant ont abouti au Parti démocrate] n’eurent de cesse de se défaire de cette nouvelle étiquette déjà trop encombrante. »

Slate, Gaël Brustier, L’Italie, le pays où la gauche a disparu, février 2018

http://www.slate.fr/story/157501/italie-gauche-disparu

 

Pour ceux qui revendiquent toujours l'appellation "communiste"* et pour l’extrême-gauche, il s’agit en fait d’une condamnation rétrospective de l’antifascisme - identifié largement au communisme, et ce “révisionnisme” repose sur des mystifications historiques.

                                                              *Il est rappelé que les anciens communistes devenus démocrates de gauche, ont accepté et promu la version consensuelle des faits.

 

Les deux camps sont impossibles à concilier car partant d’analyses et d’interprétation des faits historiques opposées.

 

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 Image de la convergence gauche-droite (ou centre-gauche-centre-droit ?) : le président Giorgio Napolitano (à gauche), issu de l'ancien parti communiste, Gianfranco Fini, (le plus grand) ancien néo-fasciste devenu le dirigeant du parti libéral-conservateur Alleanza nazianale, qui convergea ensuite dans le parti de Berlusconi, et à droite, Berlusconi lui-même, figure centrale du centrodestra, à l'époque de la photo chef du gouvernement. Le personnage à droite du président Napolitano est le président du sénat Renato Schifani.

Photo prise lors de la commémoration des attentats du 11 septembre 2001, en 2008. A ce moment Fini était président de la chambre des députés et  son parti allait fusionner avec Il Popolo della Libertà de Berlusconi. Fini abandonna peu après le parti de Berlusconi en reprochant à ce dernier son "illibéralisme" (un terme pas encore à la mode) et de trop s'aligner sur les positions fédéralistes de la Ligue du nord de Bossi; il fonda un nouveau parti, sans grand succès. Quoiqu'il en soit, tous étaient d'accord sur la "mémoire partagée".

Presidenza della Repubblica.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alte_cariche.jpg

 

 

 

  

QUELQUES REGARDS UNIVERSITAIRES

 

ANTIFASCISME ET FÉMINISME

 

Quelques analyses universitaires accessibles sur internet s’intéressent aux”usages publics de l’histoire”. Le concept d’usage public du passé  ou de l’histoire se réfère essentiellement à l’utilisation de l’histoire à des fins civiques et/ou politiques, notamment  par le biais des commémorations, des lois mémorielles etc.

 

Le lecteur de bonne foi peut se faire un idée de la façon dont les massacres des foibe sont présentés par des intellectuels se déclarant probablement « antifascistes » dans l’article L'inquiétante étrangeté de l'histoire, Sur l'usage des "foibe" dans l'Italie contemporaine (2010) http://usagespublicsdupasse.ehess.fr/linquietante-etrangete-de-lhistoire-sur-lusage-des-foibe-dans-litalie-contemporaine/

Les auteurs sont Italiens mais l’article se trouve sur internet avec le label d’une institution universitaire française, l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

Partant du point de vue qe la thèse officielle sur les foibe et l’exode est une contre-vérité, les auteurs font l’analyse de la célébration des victimes des foibe comme une réhabilitation du fascisme.

 

Les auteurs de cet article commencent par annoncer un nombre de victimes le plus réduit possible : «  On y tua de 1500 à 2000 personnes », en présentant les victimes comme essentiellement des responsables ou militants fascistes.

« De l’analyse des listes de noms résulte que, mis à part quelques civils innocents, la plupart des personnes furent tuées en raison des violences et des abus qu’elles avaient commis au nom du fascisme ou parce qu’elles avaient collaboré avec les envahisseurs allemands (…).

Leur condamnation à mort n’était nullement liée au fait qu’elles étaient italiennes. » 

Or, cette interprétation (appuyée notamment sur les travaux de l’historien Scotti, de tendance communiste, qui très jeune encore, a choisi de s’installer en Yougoslavie vers 1948), est passablement en contradiction avec ce que les mêmes auteurs disent des victimes quelques paragraphes auparavant, où ils notent que les exécutions ont frappé une grande diversité de population.

En considérant comme démontré le faible chiffre des victimes et leur appartenance au fascisme sauf exceptions, l’article fait comme si la question était résolue par le consensus historique, ce qu’elle est loin d’être. Elle élimine tout simplement la version des historiens mainstream (bien que les références aux études de Pupo et Spazzali, par exemple, soient mentionnées, ce qui donne à croire qu’elles vont dans le sens indiqué). Cette malhonnêteté discrédite l’ensemble de la démonstration qui se voudrait scientifique (au sens limité des sciences sociales) et n’est dès lors que polémique.

L’article analyse longuement un téléfilm de la RAI en 2006 sur les foibe, Il cuore nel pozzo (le cœur dans le puits) :

« …les partisans slaves sont représentés comme une bande d’hommes dépourvus de tout scrupule, comme des ivrognes, des voleurs de terres, des assassins et des violeurs, que seule la haine contre les Italiens anime. »

« Ce qui frappe (…) est l’absence de toute référence à l’occupant allemand et à l’activité des unités fascistes aux ordres de la République sociale italienne (…) une incroyable décontextualisation historique du récit ».

 

Rédigé dans le style scientifique et passablement abscons de rigueur pour une parution de sociologie, l’article a aussi recours à des concepts de psychanalyse :

« Nos efforts ont convergé en direction de l’approfondissement d’outils d’élaboration et d’interprétation, d’où l’usage croisé de catégories analytiques, historiques et philosophiques. »

 

Les auteurs s’appuient sur des travaux de Freud dans un essai « L’inquiétante étrangeté », d’où le titre qu’ils ont choisi : « La tentative de diaboliser les événements autours des foibe (en en exagérant les données relatives aux morts), de les mystifier (en occultant l’identité des victimes et de leurs bourreaux) et de les extrapoler de leur contexte historique, en en faisant un fait en soi, révèle les mécanismes de projection qui, aujourd’hui encore, ont la fonction de renier la responsabilité collective ».

« En qualifiant de nettoyage ethnique présumé les événements dramatiques relatifs aux foibe, on opère un échange de rôles entre victimes et bourreaux, une inconsciente persécution de soi dans l’Autre. »

Pour les auteurs, la commémoration des massacres de 1943-45, présentée comme élément de pacification et de réconciliation nationale, est en fait un acquittement des coupables (fascistes)

« L’exclusion des nazi-fascistes de la scène politique italienne était due à leur conduite criminelle et c’est justement cette conduite criminelle qui est l’objet d’un acquittement. « Pacification » signifie donc réhabilitation et récupération d’anciens privilèges. »

Ils terminent leur article par une longue et surprenante attaque contre l’Eglise pour son attitude antiféministe (!) et sur la situation dominée des femmes à l’égard du pouvoir politique, dont le rattachement au sujet principal reste problématique (en tous cas pour le lecteur lambda), le tout écrit de façon peu compréhensible , sauf à ceux qui ont été formés à ce genre de rhétorique militante :

« Depuis 2000 ans …l’Église s’identifie à la Mère, et aujourd’hui encore elle prétend avoir l’hégémonie sur le maternel, imitant le pouvoir absolu et dominant des mères dans la relation toute-puissante qu’elles établissent avec l’enfant hilflos [sans défense, en allemand]… »

« Le fait de pardonner par le bais du féminin maternel, sans que les femmes n’obtiennent aucune reconnaissance de leur capacité de définition des symboles, mais en faisant, comme le fait l’Église catholique au service du pouvoir politique, de ce féminin maternel le lieu purement naturel des lois divines, sert seulement à gommer les formes d’appartenance et les droits positifs qui passent par les pères ne jouissant pas des privilèges anthropologico-culturels-religieux chrétiens. »

 

« Incapables de reconnaître dans les femmes les responsables légitimes du pouvoir maternel, les forces politiques dans leur ensemble tendent à l’exercer de nouveau pour leur propre compte. En effet, les femmes sont à nouveau et toujours perçues comme inaptes à exercer le pouvoir seules, puisqu’on les assimile de manière projective aux impuissants de toute époque, aux besogneux, aux prolétaires, aux sans papiers, tous des Hilflos [sans défense, en allemand] dans la forme primaire de dépendance. »

Cet article, publié sous le label d’une institution universitaire française, ce qui pourrait laisser penser au lecteur qu’il s’agit là (aux dérives rédactionnelles près…) d’un point de vue scientifique autorisé en la matière, n’est en fait qu’un élément de discours militant, ici antifasciste (au sens particulier du mot, c-à-d d’extrême-gauche) et féministe.

 

 

 

VU DE LAUSANNE

 

 

L’étude de Stéfanie Prezioso (université de Lausanne) Prise en otage des victimes et usages publics de l’histoire : le cas de la Résistance italienne (2006) décrit de façon bien plus compréhensible la tendance dans l’Italie contemporaine, à minimiser la valeur de l’antifascisme en mettant l’accent sur les crimes commis par certains résistants et les dérapages de l’épuration en 1944-45, ainsi que sur l’inspiration totalitaire de la résistance communiste. La mémoire des foibe et de l’exode s’inscrit dans ce tableau :

« En mars 2004, l’institution par le gouvernement Berlusconi de la « Journée du Souvenir » participe de la même opération. Elle vise à commémorer les « exilés italiens et les victimes des foibe » ; c’est-à-dire à la fois les réfugiés italiens qui quittent les territoires yougoslaves entre 1945 et 1960 et les victimes des vagues de massacres qui frappent les Italiens en Yougoslavie après l’armistice. Là aussi, le problème n’est pas tant que l’on se souvienne de ces victimes – soit 4 à 5 000 personnes massacrées et plus de 35 000 [sic] réfugiés – oubliées dans les « glaces de la guerre froide », et pour lesquelles le deuil n’a pas pu être élaboré. Le problème est que dans le discours de la droite et des révisionnistes italiens, la commémoration de ces morts-là, victimes de la « sauvagerie communiste », « contrebalance » de fait la « Journée de la mémoire » dédiée aux victimes de la Shoah.

On touche ici à l’un des traits caractéristiques du révisionnisme historiographique qui refuse d’inclure dans sa réflexion les « mécanismes et les ressorts » de la violence. En effet, comment saisir le sens de ces massacres, sans se pencher sur l’occupation proprement coloniale de l’armée italienne dans les territoires yougoslaves ?  (…) Il n’est pas inutile dans ce sens de souligner que l’occupation italienne dans les territoires yougoslaves fait environ 250 000 morts en 29 mois. »

« Targuée de « politique », par les révisionnistes, cette contextualisation est vouée aux gémonies.

Or le révisionnisme tend à mélanger dans le même chaudron toutes les victimes de la guerre, à les rendre méconnaissables, afin de légitimer la réhabilitation partielle du passé fasciste. »

« La lutte contre « l’analphabétisme de la population italienne en matière de fascisme » s’avère dans ce contexte de plus en plus difficile à mener. »

 

L’auteur arrive à une impasse dans son raisonnement. Moins militante que les auteurs du texte précédent qui considéraient toutes les victimes comme fascistes, elle estime qu’il faut commémorer ces morts – “pour lesquelles le deuil n’a pas pu être élaboré”, mais en même temps constate que la commémoration contrebalance la journée de la Mémoire [de la Shoah]. Alors comment faire ?

Elle insiste sur l’absence de contextualisation, qui pourtant ne ressort pas des déclarations publiques officielles - dont on comprend que l’objet essentiel n’est pas d’insister sur les méfaits des Italiens, mais qui y font pourtant référence - ni a fortiori des travaux historiques dominants qui sont favorables à la commémoration sans dissimuler le contexte des événements, mais à la rigueur de la vision de l’opinion moyenne, très mal informée, et de quelques politiciens ou journalistes - ce qui n’est pas vraiment précisé dans l'article.

Elle retombe sur la conclusion qu’il s’agit de réhabiliter, au moins partiellement, le passé fasciste, conclusion qui était sans doute posée par avance et incontournable, même à l’université de Lausanne !

Au passage, on note le chiffre des exilés cité par l'article, 35 000, qui est évidemment une erreur de plume de l’auteur ou une coquille de l’éditeur- mais significative. Même les « réductionnistes » admettent des chiffres de 200 à 250 000 exilés environ.

Stéfanie Prezioso, Prise en otage des victimes et usages publics de l’histoire : le cas de la Résistance italienne, Amnis 6/ 2006

https://journals.openedition.org/amnis/867

 

 

 

UNE ÉTUDE QUI GARDE L’ÉQUILIBRE

 

 

Enfin, l’article en anglais de E. Fonzo (université de Salerne), Use and Abuse of History and Memory: the Istrian Dalmatian Exodus and the Current Refugee Flows (usage et abus de l’histoire et de la mémoire : l’exode istrien-dalmate* et l’afflux actuel de réfugiés), 2017, est pour sa part une très bonne étude qui expose clairement (et sans recours aux complexités langagières en usage chez d’autres) l’évolution historique du souvenir des foibe et l’approche différenciée des familles politiques.

                                                                                     * On dit plus fréquemmment, semble-t-il, exode juliano-dalmate.

Il ne départage pas les thèses en présence (thèse de l’extrême-gauche et thèse de la droite, adoptée par la gauche de gouvernement et devenue la thèse officielle), comme si aucune vérité historique n’était atteignable (bien que le titre se présente comme un signal obligé aux thèses critiques, que dément assez le contenu).

Bien que l'objet de l'article soit l'usage de la mémoire et non le récit des faits, l'auteur tient certains points pour admis :"Formellement, l'exode des Istriens-Dalmates n'était pas une migration forcée, mais en réalité, les circonstances les forcèrent à partir".

L’auteur souligne que « même aujourd’hui, il est impossible de discuter sereinement de l’exode et des foibe et, en général, ces sujets donnent lieu à des polémiques aigües et des interprétations partisanes (one-sided interpretations).

Il note que progressivement, la gauche italienne a accepté le point de vue de la droite sur les foibe et l’exode. Notamment le Parti démocrate de gauche, issu de la dissolution du PCI, a voulu montrer qu’il se démarquait ainsi du communisme en promouvant la mémoire des foibe et de l’exil, donc une vision critique (en partie) de l’antifascisme.

Depuis les dernières années, la connaissance du sujet a progressé (inauguration d’une Maison du Souvenir à Rome, nombreuses parutions d’historiens ou de vulgarisateurs), bien que restant toujours limitée dans le grand public (43% de la population sait ce que sont les massacres des foibe, moins encore pour l’exode juliano-dalmate).

L’auteur note d’ailleurs qu’il existe une méconnaissance générale de l’histoire en Italie (a more general ignorance of history, frequently detected in Italy.)


 L’interprétation de la droite est devenue la version officielle, acceptée par le Parti démocrate. Seulement quelques groupes politiques et quelques auteurs, en général proches de l’extrême-gauche, la contestent.

L’auteur souligne que les politiciens de gauche qui ont le plus adopté le point de  vue de la droite (ce qu’il appelle the nationalist point of view) sont ceux qui sont issus de l’ancien PCI (Giorgio Napolitano, Luciano Violante, mais aussi des leaders [plus jeunes] comme Walter Veltroni*, ancien secrétaire du Parti démocrate, qui a préfacé un ouvrage défendant la thèse du nettoyage ethnique, ou Piero Fassino** qui écrivait notamment : « C’était un nettoyage ethnique contre des femmes et des hommes coupables d’être Italiens (2014).

L’auteur note que les membres du Parti démocrate provenant d’une tradition politique catholique sont plus mesurés, comme Matteo Renzi.

 

                                                                                        * Walter Veltroni fait ses débuts dans le parti communiste italien (PCI), dont il est un jeune député et membre du comité central. Lors de la dissolution du PCI, il fait partie de la majorité qui fonde le Parti démocrate de gauche (qui change 2 fois de nom avant de devenir 2007 le Parti démocrate en agrégeant des démocrates chrétiens). Ministre et vice-président du conseil du gouvernement Prodi en 1996-98, puis maire de Rome (2001-2008), secrétaire général du Parti démocrate, démissionne après l’échec de son parti à des élections en Sardaigne. Se consacre depuis à des activités culturelles (livres, documentaires) en marge de la politique. En 2017, lors d’une cérémonie pour le 10 ème anniversaire du Parti démocrate, déclare que le gouvernement Prodi de 1996 fut le meilleur de la république. Réalise en 2014 un documentaire nostalgique Quando c'era Berlinguer (Quand il y avait Berlinguer) sur la vie de Enrico Berlinguer, qui dirigea le parti communiste de 1972 à 1984.

 

                                                                            * * Ancien membre du PCI, puis secrétaire des Démocrates de gauche devenu Parti démocrate. Ministre des gouvernements Prodi, D’Allema, Amato. Maire de Turin en 2011-2016.

 

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 Livre de Jan Bernas,  Ci chiamavano fascisti, eravamo Italiani (Ils nous appelaient fascistes, nous étions des Italiens), avec une préface de Walter Veltroni, un dirigeant de la gauche de gouvernement italienne.

 

 

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Les responsables anciens et nouveaux du Parti démocrate lors de la célébration du 10 ème anniversaire du parti en 2017. De gauche à droite, Paolo Gentiloni, à l'époque président du conseil, Walter Veltroni et Matteo Renzi. A cette occasion , Veltroni déclara que le premier gouvernement présidé par Romano Prodi (1996-98) avait été le meilleur gouvernement de l'Italie républicaine.  Romano Prodi appartenait au Parti populaire italien, un petit parti du centre-gauche chrétien. La plupart des partis de gauche et du centre réunis dans ce gouvernement de coalition (alliance de l'Olivier) allaient ensuite confluer dans le Parti démocrate.

Metropolitan Magazine

https://www.metropolitanmagazine.it/buon-compleanno-pd/#prettyPhoto/0/

 

 

L’auteur précise que la version officielle est aussi partagée par le Movimento 5 stelle (mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo et Luigi Di Maio), et que le parti le plus engagée dans la mémoire des événements est Fratelli d’Italia.*

Curieusement, l'auteur ne mentionne pas la Ligue (à part une phrase de Salvini sur les migrants actuels) alors que la ligne de ce parti a nettement évolué depuis l'époque Bossi, qui était très opposé au nationalisme italien (mais qui, d'un autre côté, ne pouvait pas se désintéresser du sort d'Italiens du nord-est). La Ligue du nord faisait partie du gouvernement lors du vote de la loi sur le Jour du Souvenir et certains de ses membres lui ont apporté un soutien complet.                  

E. Fonzo indique que quiconque met en question la version officielle est accusé de négationnisme et que l’histoire des foibe et de l’exode est souvent décontextualisée, les Italiens étant, par définition, considérés comme des victimes innocentes.

Il constate enfin que l’arrivée récente de réfugiés en Italie n’est presque jamais comparée à l’arrivée des réfugiés juliano-dalmates en vue d’inciter à adopter une attitude généreuse envers les migrants actuels (d’autant que l’accueil des Juliano-Dalmates ne fut pas toujours généreux !). Fratelli d’Italia, le parti le plus engagé dans la mémoire des événements, est aussi très anti-immigration.

L’auteur cite aussi une phrase de Salvini (pas encore au pouvoir à l’époque de l’article) comparant défavorablement les migrants d’aujourd’hui (qui « volent, violent, agressent, ont des exigences »…) aux exilés juliano-dalmates. Mais l’auteur reconnaît que l’exode des Juliano-Dalmates à partir de 1945 et le présent exode des réfugiés ou migrants sont dissemblables et leurs points communs réduits au minimum.

 

Fonzo, E. (2017). Use and Abuse of History and Memory: the IstrianDalmatian Exodus and the Current Refugee Flows. Journal of Mediterranean Knowledge-JMK, 2(1),2017.

http://www.mediterraneanknowledge.org/publications/index.php/journal/issue/archive

 

 

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Illustration pour le Jour du Souvenir.

La petite exilée "julienne", comme l'indique l'affichette sur sa valise, est devenue une icône de nombreuses affiches du Jour du Souvenir. En rouge les territoires abandonnés par les exilés.

Napoli Today.

 http://www.napolitoday.it/eventi/giorno-del-ricordo-napoli-10-febbraio-2014.html

  

 

 

LES COMMÉMORATIONS 2019

 

 

La commémoration 2019 entraîna son lot de discours officiels, aussi bien au niveau national que dans les conseils régionaux et les municipalités.

En Toscane, le président de la région Rossi (aile gauche du Parti démocrate), déclara lors de la séance solennelle du conseil régional : “nous devons assumer notre responsablité d’avoir nié et diminué l’horreur contre l’humanité représentée par les foibe et la douleur de l’exode”.

En Ligurie, le président de l’assemblée régionale Alessandro Piana (Ligue) parla de “rendre justice à des épisodes historiques irréfutables, qu’aucune théorie négationiste ne peut contester”, tandis que le “gouverneur” Giovanni Toti (Forza Italia) déclarait qu’on avait le devoir de transmettre ces faits aux jeunes générations afin qu’une telle brutalité ne se reproduise plus.

 

Le Jour du Souvenir est généralement mis à profit par les antifascistes pour diverses manifestations critiques.

 

 

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Affiche pour le Jour du Souvenir vu par les antifascistes : Noi ricordiamo tutto (nous nous souvenons de tout). La photo représente une jeune partisane avec derrière elle le drapeau yougoslave

Site Rifondazine communista de Sienne..

http://www.rifondazionesiena.it/la-necessita-di-difendere-la-memoria-antifascista-dal-mito-delle-foibe-2/

 

 

A Parme, ville de tradition antifasciste, la branche locale de l’association nationale des partisans italiens (ANPI - héritière des mouvements de résistance de gauche, toujours très ancrée à gauche) organisa une conférence "Foibe et fascisme" (comme tous les ans pour le Jour du Souvenir), avec un sujet intitulé « la foiba de Basovizza, un faux historique ».

Les conférenciers, présents ou en video, étaient les « mousquetaires » habituels des thèses critiques, Sandi Volk, Claudia Cernigoi, Alessandra Kersevan.

 

 

 

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L’affiche de l’ANPI de Parme (avec la maintenant célèbre photo des fusillés de Dane, comme l’indique la légende), annonçant la conférence « Foibe et fascisme » avec les thèmes traités : Sandi Volk : « Les morts des foibe reconnus par la loi 394 : 354, presque tous des forces armées de l’Italie fasciste » ; en vidéo : Alessandra Kersevan : « La foiba de Basovizza, un faux historique » et  Claudia Cernigoi « Norma Cossetto, un cas pas clair du tout ». La conférence est co-organisée par l’ANPI et par le comité antifasciste anti-impérialiste et pour la mémoire historique.

Parma Today

 http://www.parmatoday.it/politica/foibe-salvini-contro-l-anpi-di-parma-rivedere-i-contributi-a-queste-associazioni.html

 

 

 Or Basovizza est la foiba* la plus connue, toujours en territoire italien (près de Trieste, en Frioul-Vénétie Julienne), la première devant laquelle un président de la république italien (Francesco Cossiga) vint se recueillir en 1991, puis déclarée monument national en 1992 par le président Scalfaro.

                              * En fait il ne s’agit pas d’une foiba naturelle mais d’un puits de mine, autrefois exploité par la société Skoda. D’où l’ironie (assez mal venue) du groupe Bourbaki qui la qualifie toujours de « foibe-non-foibe » (foibe qui en est pas une, foibe pas vraiment foibe).

 

L'initiative de l'ANPI de Parme fit scandale dans la classe politique conservatrice et modérée, ainsi que dans les associations d'exilés.

Le vice-président du conseil italien et ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, intervint par un tweet dans son style habituel.

                       

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Le message de Salvini, reprenant l’affiche de l’ANPI :

« Les Foibe « un faux historique ». Dément.

Ça me dégoûte qu’on puisse nier encore aujourd’hui l’extermination de milliers d’Italiens par les communistes. Dimanche 10 février, je serai à la foiba de Basovizza, près de Trieste : l’histoire ne s’oublie pas, honneur à nos morts. »

Source non retrouvée.  

 

 

Salvini,  rejoint par plusieurs députés et responsables régionaux, menaça de supprimer les subventions publiques à l'ANPI et à tous ceux qui diffuseraient les thèses "négationnistes".  La présidente de l’ANPI contesta recevoir des subventions. Tout en prenant ses distances avec son groupe de Parme, elle accusa le gouvernement d’instrumentaliser les foibe, dont l’histoire devait être « contextualisée ».

https://www.gazzettadiparma.it/archivio/2019/02/04/news/foibe_l_anpi_nazionale_iniziativa_di_parma_non_condivisibile_perche_alimenta_polemiche-504017/

 De leur côté, Claudia Cernigoi et Sandi Volk réagirent par des lettres ouvertes.

Claudia Cernigoi rappela qu'elle était une antifasciste depuis son adolescence et critiqua la position prudente de la présidente de l'ANPI, dont on aurait pu attendre plus de solidarité antifasciste.

Sandi Volk s'adressa dans la même lettre au ministre Salvini, au président de la région autonome Frioul-Vénétie Julienne, Massimiliano Fedriga (Ligue) qui avait reproché à l'ANPI de raviver les blessures du passé, et à la présidente de l'ANPI.

A la présidente de l'ANPI, Sandi Volk déclara : ou bien on est avec les antifascistes, partout où ils s'expriment, ou bien on est avec les amis de Casa Pound (mouvement néo-fasciste), rappelant que des responsables du Parti démocrate n'hésitent pas à aller débattre amicalement au siège de Casa Pound à Rome.

Quant aux invectives de Salvini, "me ne frego" (je m'en tape) disait Sandi Volk, annonçant que les "négationnistes" (terme qu'il réfute, car ceux qui sont ainsi appelés sont justement les seuls historiens à faire des recherches sérieuses sur le sujet) sont de plus en plus nombreux et que leur travail a de plus en plus d'audience.

http://www.diecifebbraio.info/2019/02/lanpi-nella-trappola-del-giorno-del-ricordo-lettera-aperta-di-sandi-volk/

 

 

SALVINI ET TAJANI À BASOVIZZA, FÉVRIER 2019

 

 

Puis, Matteo Salvini, lors des cérémonies à Basovizza, déclara  qu’un enfant mort dans les foibe était égal à un enfant mort à Auschwitz et que ceux qui niaient les crimes tuaient les victimes un seconde fois. : « Chi nega uccide due volte »

Ces déclarations provoquèrent aussi leur lot de polémique sur la comparaison avec la Shoah ; on ironisa chez les critiques sur l’inexistence d’enfants morts dans les foibe, tandis que les historiens mainstream s’efforçaient de justifier la remarque du ministre.

Mais son discours déplut aussi aux responsables croates et slovènes. Le président slovène Borut Prahor écrivit au président italien Mattarella en parlant de déclarations inacceptables qui « donnent l’impression que les événements des foibe étaient une forme de nettoyage ethnique ».

Enfin pour ajouter à la polémique, le président du Parlement européen, Antonio Tajani (du parti Forza Italia), présent lors des commémorations, déclara : « Viva Trieste, viva l’Istria italiana, viva la Dalmazia italiana, viva gli esuli italiani, viva gli eredi degli esuli italiani” (Vive Trieste, vive l’Istrie italienne, vive la Dalmatie italienne, vivent les exilés italiens et leurs descendants).

 

Ces déclarations suscitèrent aussi les réactions du gouvernement slovène (qui rappela que le fascisme avait pour but de détruire le peuple slovène) et du gouvernement croate, et Tajani dut fournir des explications et s’excuser si ses propos avaient été mal interprétés, indiquant qu’il avait voulu seulement parler des communautés d’exilés et non pas émettre des revendications territoriales.

http://www.ansa.it/english/news/2019/02/11/slovenian-president-protests-to-mattarella-over-foibe_bd883bb5-aec8-4f9d-9d49-ad13340436f2.html

 

 Vu de France, les rares à s'intéresser au sujet ironisèrent; un journal pourtant de droite (Causeur) publia un article "Et Salvini inventa une Shoah italienne" (sans avoir connaissance que la comparaison - mutatis mutandis d'ailleurs -  avec la Shoah n'est pas propre à Salvini et n'a pas été inventée par lui). 

 

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 Matteo Salvini à la Foiba de Basovizza, 10 février 2019. A côté de lui, partiellement caché, Antonio Tajani, à l'époque président du Parlement européen.

Source non retrouvée.

 

 

 

 

LE DISCOURS DU PRÉSIDENT MATTARELLA

 

 

 

De son côté, le président Mattarella fit un discours solennel au Quirinal. Il nota que le destin de la Vénétie Julienne et de la Dalmatie avit été doublement marqué par la cruauté puisqu’on trouvait sur le même territoire deux symboles d’horreur : les foibe et le camp de concentration (nazi) de Risiera di San Sabba.

Il rappela que la plupart des morts des foibe n’avaient rien à voir avec le fascisme comme le prétendaient les négationnistes, ils étaient morts en tant qu’Italiens ("Non si trattò – come qualche storico negazionista o riduzionista ha voluto insinuare – di una ritorsione contro i torti del fascismo"). Le simple fait d’être Italien, de défendre sa culture, sa langue, sa religion, devenait un motif de persécution qui poussa les habitants à l’exode, qui se prolongea durant 10 ans. Alors disparurent une culture, une langue, des dialectes millénaires.

Dans la mère patrie, les 250 000 exilés qui avaient tout perdu ne trouvèrent pas toujours l’accueil et la compréhension voulues. Une “cortina di silenzio” (rideau de silence) tomba sur les événements, en raison de circonstances internes et externes. Mais l’Italie a fini par rendre l’hommage dû à ces “vittime innocenti di una tragedia nazionale, per troppo tempo accantonata” (victimes innocentes d’une tragédie nationale trop longtemps négligée).

 

 

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Le président Mattarella au Quirinal lors du discours pour le Jour du Souvenir 2019.

Agenzia Dire.

 https://www.dire.it/09-02-2019/294449-foibe-quirinale-giorno-del-ricordo/

 

Le président termina avec un éloge de l’Europe qui a remplacé les vieilles frontières par une communauté de peuples amis et frères, qui interdit la guerre. Il mentionna les dangers qui menacent le monde, dont le terrorismo fondamentalista di matrice islamista. Il remercia de leur présence les ambassadeurs de Slovénie, de Croatie, du Monténégro, ainsi que le vice-président du parlement croate, élu de la communauté nationale italienne de Croatie et le représentant de la communauté nationale italienne de Slovénie à l’assemble nationale slovène.*

                                                                                                      * C’est une indication de la reconnaissance par la Slovénie et la Croatie de communautés nationales minoritaires. Nous en dirons quelques mots à l'occasion.

Discours sur le site de CISLscuola http://www.cislscuola.it/index.php?id=2872&tx_ttnews%5Btt_news%5D=30352&cHash=9149d0d15907ddf3c37cfe834440b8aa

(je ne l’ai pas trouvé sur le site du Quirinal - présidence de la  république)

 

 

 

 

LA DÉCORATION DU MARÉCHAL TITO ET DES DRAPEAUX PALESTINIENS POUR LA CÉLÉBRATION DE LA LIBÉRATION DE L'ITALIE

 

 

Enfin, une nouvelle préoccupation s’est manifestée chez les défenseurs attitrés de la mémoire des foibe et de l’exode : demander que la décoration de Grand croix de l’ordre du mérite de la république italienne (Cavaliere di Gran Croce Ordine al Merito della Repubblica Italiana), attribuée en 1969 au maréchal Tito, lui soit enlevée, ainsi que les décorations attribuées à d’autres responsables du régime yougoslave.

Le conseil régional du Frioul Vénétie Julienne, celui de Vénétie, puis en juin 2019, celui de Ligurie*, ont voté des motions en ce sens. Comme la loi ne permet pas d’enlever à titre posthume une décoration, il est demandé que la loi soit modifiée. Une proposition de loi a déjà été déposée en ce sens. De nombreuses villes dont ont émis des votes semblables.

                                                                               * En Ligurie, le Parti démocrate et le groupe local Rete a sinistra-Liberamente Liguria (réseau de gauche-Librement Ligurie) ont voté contre. A Florence, les conseillers du parti démocrate ont  renvoyé la motion jusqu’à plus ample informé.

https://www.genova24.it/2019/06/foibe-il-consiglio-regionale-chiede-la-revoca-delle-onorificenze-al-maresciallo-tito-219292/

 

Enfin, les discours opposés sur la mémoire s'affrontent aussi dans d'autres occasions, comme la commémoration de la Libération de l'Italie, le 25 avril (date choisie en référence à la libération des villes du nord, Milan et Turin). Lors de la commémoration 2019, les antifascistes se sont particulièrement mobilisés contre Salvini (qui a boudé les commémorations, préférant aller inaugurer un commissariat de police en Sicile) et contre les dirigeants de droite.

Par exemple,  le président de la région autonome Frioul-Vénétie Julienne, Massimiliano Fedriga (Ligue) était présent à la cérémonie à la Risiera di San Sabba, près de Trieste, seul camp de concentration sur le territoire italien. Lui  et le maire de Trieste (Roberto Dipiazza, Forza Italia) furent hués par les antifascistes à la sortie des lieux. Fedriga fit le commentaire :

«La memoria è di tutti, non solo di chi ha le bandiere rosse».

(La mémoire appartient à tous, pas seulement à celui qui a des drapeaux rouges).

 Dans la petite foule de manifestants antifascistes, on voyait aussi des drapeaux palestiniens et des drapeaux italiens avec au centre l'étoile rouge.

 

 

 

 

REMOUS CHEZ LES HISTORIENS MAINSTREAM

 

 

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Le président Napolitano et l’historien Raoul Pupo à l’occasion du Jour du Souvenir 2012

Presidenza della Repubblica. Wikipedia it., art. Giorno del Ricordo.

https://it.wikipedia.org/w/index.php?curid=5446157

 

 

Les remous atteignent aussi ls historiens mainstream. En 2016, Roberto Spazzali co-auteur de Foibe avec Roberto Pupo, dut quitter son poste de directeur de l’Institut régional pour l’histoire de la Résistance et de l’Ere contemporaine en Frioul-Vénétie Julienne (IRSREC FVG), pour des propos maladroits : lors d’une conférence, répondant à une question, il avait déclaré que l’exode des Juliano-Dalmates n’avait aucun rapport avec les actuels réfugiés qui arrivaient en Italie, ces derniers étant des hommes qui abandonnaient leur familles sans rien faire pour défendre leur pays, à la différence des exilés juliano-dalmates qui étaient partis par familles complètes, quand il n’existait plus d’autre solution. Critiqué pour avoir tenu des propos « dignes de Salvini », Spazzali démissionna.

 

Puis en mars 2019, le conseil régional du Frioul-Vénétie Julienne a  voté une motion présentée par deux conseillers (l’un Forza Italia et l’autre de la Ligue) demandant de ne plus subventionner les associations qui contribuent au négationnisme sur l’histoire des foibe, en mettant en cause non seulement l’ANPI (voir plus haut) mais aussi l’IRSREC FVG, pour avoir publié le Vademecum pour le Jour du Souvenir, dans lequel (on en a parlé) les auteurs (dont notamment Raoul Pupo*) estiment, au terme d’un raisonnement tortueux, qu’il n’y a pas eu de nettoyage ethnique en Vénétie Julienne-Dalmatie.

                                                     * Professeur à l’université de Trieste. A été un moment responsable local de la démocratie chrétienne.

 

Le groupe « critique » Bourbaki boit du petit lait car ce furent Pupo et Spazzali qui ont « inventé » la catégorie du négationnisme pour les foibe et celle, « imprécise et très discutable », de « réductionnisme ». Voilà Pupo « tombé dans son propre piège, comme tous ceux qui ont laissé de l’espace aux fascistes » (Pupo è caduto nella sua stessa trappola, come accade a tutti quelli che concedono spazio ai fascisti ).

Ailleurs le groupe reprend la comparaison du boomerang qui revient dans la figure de l’envoyeur.

Pour le groupe Bourbaki, c’est le point d’arrivée de la ligne Violante-Napolitano-Pupo et de tous ceux qui ont voulu construire la mémoire partagée avec la droite extrême.

Le titre de l’article est « On perd toujours en jouant avec les noirs » (par jeu de mots sur la couleur noire aux échecs et les « noirs » en politique, l’extrême-droite (https://medium.com/@nicolettabourbaki/a-giocare-con-il-nero-perdi-sempre-1c8d700ff09a).

 

Dans une lettre ouverte et dans plusieurs interviews (notamment

https://www.rtvslo.si/capodistria/radio-capodistria/notizie/friuli-venezia-giulia/riduzionismo-la-replica-di-raoul-pupo/484274)

le prof. Pupo répond qu’il n’appartient pas à une assemblée politique de décider quelle est la vérité historique. Au demeurant c’est trop tôt pour savoir si la mesure du Conseil régional s’appliquera à l’IRSREC FVG. Il discernait dans l'opération « la tentative de réduire le Jour du Souvenir à une manifestation de nationalisme ainsi qu’à une occasion de se répartir de l’argent entre amis des amis », et des manœuvres politiques en vue des prochaines élections.

Il rappelait que ces dernières années le Jour du Souvenir avait permis des réflexions très sérieuses sur les évènements de la frontière orientale, mais que cette année, au contraire, en raison sans doute du climat politique changé ( causa immagino il mutato clima politico) il y avait une radicalisation en réaction au phénomène négationniste, qui est pourtant marginal, et la tendance à en revenir à des conceptions historiques dépassées depuis 30 ans.

 

De son côté, le président du conseil régional*, Piero Mauro Zanin (Forza Italia) a apporté son soutien à Pupo, tout en condamnant les négationnistes (http://www.ilfriuli.it/articolo/politica/foibe,-zanin--quote-difende-quote--raoul-pupo/3/196512 )

                                                                      * Rappelons qu'à la différence de la France (sauf pour la Collectivité de Corse), les régions italiennes ont un président du conseil régional (de l'assemblée) et un président de la région, élu par l'assemblée régionale,  qui est l'exécutif régional ("il governatore" en langage courant).

 

Dans une réponse virulente à une critique d’Eugenio Di Rienzo, professeur à l’université de La Sapienza de Rome, parue sur le Corriere della sera en juin 2019, Raoul Pupo précisait son point de vue, mal compris, sur le « nettoyage ethnique » :

« Mais alors, si le groupe national italien [présent en Vénétie Julienne, notamment en Istrie] dans son ensemble n'était pas un groupe ethnique, comment parler de "nettoyage ethnique"? (…) 

Parler de l'exode en tant que nettoyage ethnique est un acte de réductionnisme. L’exode était bien pire, car il concernait tous les Italiens, même non ethniques, pour qui l’italianité était une question de choix.  S'il ne s'agissait «que» d'un nettoyage ethnique, aujourd'hui en Istrie, les Italiens restants seraient au nombre de cent mille et non de quelques dizaines de milliers. »

http://lanostrastoria.corriere.it/2019/06/17/foibe-ed-esodo-raoul-pupo-risponde-a-eugenio-di-rienzo/

Pupo n’hésita pas à brocarder son contradicteur (ou il ne connaît rien au sujet et ne sait pas lire les documents historiques, ou il est de parti-pris) ; en réponse, Di Rienzo lui conseilla de lire un livre récemment paru sur la nation ou au moins l’article etnia du dictionnaire Treccani et d’éviter les attaques personnelles.

Manifestement il s’agit d’un dialogue de sourds car Pupo prend le mot ethnie dans un sens strict, biologique et héréditaire, et son contradicteur dans le sens de groupe national défini par une langue et une culture commune.

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Ces péripéties très récentes terminent mon présent message.

Les thèses en présence sur les foibe et l’exode dépendent largement des opinions politiques de leurs auteurs. Convaincus que la commémoration des victimes sert à réhabiliter le fascisme et à dénigrer l’antifascisme historique (assimilé essentiellement à l’option communiste, en oubliant ses autres courants, notamment démocrate-chrétien), l’extrême-gauche a besoin de démontrer que les victimes des massacres étaient surtout des fascistes et collaborateurs du « nazifascisme », qu’elles ont été finalement peu nombreuses, que l’exode des populations italiennes a été volontaire et sans « nettoyage ethnique », donc qu’il n’y a rien à commémorer.

A l’opposé, la version officielle, résultant du consensus gauche-droite sur la « mémoire partagée », décrit les événements comme une tragédie nationale ayant frappé des Italiens en majorité innocents et ayant conduit des populations entières à quitter, contraintes et forcées, des territoires où elles vivaient depuis des siècles, ce qui ne peut être contesté. Les mêmes faits sont invoqués par les uns et les autres à l’appui de leur raisonnement selon le principe du verre à moitié vide ou à moitié plein.

Mais les efforts de critique extrême (et pas toujours de bonne foi) des antifascistes actuels (le plus souvent d’extrême-gauche) ne servent qu’à augmenter l’hostilité des courants majoritaires des medias et de la classe politique envers les « négationnistes » et à favoriser une version officielle des faits simplificatrice et sans nuance, comme le montrent les déboires du professeur Pupo.

Pour autant, à lire les rappels des faits dans les journaux à l’occasion du Jour du Souvenir  (où divers historiens sont souvent interrogés) on ne peut pas conclure à une entreprise de désinformation officielle sur les foibe et l’exode. On peut lire par exemple l'interview de l'historien Guido Franzinetti sur le site du journal Il Fatto Quoitdiano en 2016 :

Giorno del ricordo, “nelle foibe migliaia di vittime. E almeno 200 mila deportati. Ma gli italiani preferiscono dimenticare” (Jour du souvenir, "dans les foibe des milliers de victimes. Et au moins 200 000 déportés [réfugiés]. Mais les Italiens ont préféré oublier" https://www.ilfattoquotidiano.it/2016/02/09/giorno-del-ricordo-nelle-foibe-migliaia-di-vittime-e-almeno-200mila-deportati-ma-gli-italiani-preferiscono-dimenticare/2446075/ )

 

Ou celle de Raoul Pupo en avril  2019 sur le site TPI, Foibe, fascisti e comunisti: vi spiego il Giorno del ricordo”: parla lo storico Raoul Pupo  (Foibe, fascistes et communistes, l'historien Raoul Pupo vous explique le Jour du Souvenir)

https://www.tpi.it/2019/02/10/foibe-giorno-del-ricordo-fascisti-comunisti/ 

Le même Raoul Pupo, spécialiste médiatique du sujet, est interrogé par La Repubblica, journal de gauche (ou centre-gauche):   Foibe, gli storici e la polemica di Salvini: "Queste contrapposizioni non aiutano la ricerca della verità

https://www.repubblica.it/politica/2019/02/05/news/foibe_polemica_storico_intervista_salvini_anpi-218337228/

 

Dans La Stampa de Turin, journal classé au centre-droit, Giovanni De Luna garde la tête froide et écrit :

« Dans le débat sur les foibe, les historiens viennent au second plan (…) Ce ne sont pas des thèses qui se confrontent à partir de sources et de documents, mais des arguments qui deviennent des bâtons noueux brandis contre les adversaires. Et les événements du passé sont rabaissés à de purs prétextes » (https://www.lastampa.it/2019/02/10/cultura/foibe-la-storia-utilizzata-come-un-randello-nel-confronto-politico-9b3gjgl5qrypos5aof1cpi/pagina.html

 

 

Je souhaitais faire une brève présentation de l’Adriatique actuelle. Elle rendrait trop long ce message, je la remets donc à plus tard.

 

 

 

 

monumento-2

De nombreuses villes ont donné des noms évoquant les massacres des foibe et l'exode à des rues, des places (ou des ronds-points !) avec parfois un monument. Ici le  monument de Marghera (agglomération qui dépend de Venise), place des Martyrs des foibe, tagué la veille du Jour du Souvenir 2014 par des opposants  qui affichent leurs convictions politiques (faucille et marteau, étoile rouge).

 Venezia Today, article Vandali monumento istriani foibe a Marghera 9 febbraio 2014SFREGIO ALLA MEMORIA. Vandali imbrattano monumento delle Foibe

http://www.veneziatoday.it/cronaca/vandali-monumento-istriani-foibe-marghera-9-febbraio-2014.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
F
"Les auteurs s’appuient sur des travaux de Freud dans un essai « L’inquiétante étrangeté », d’où le titre qu’ils ont choisi : « La tentative de diaboliser les événements autours des foibe (en en exagérant les données relatives aux morts), de les mystifier (en occultant l’identité des victimes et de leurs bourreaux) et de les extrapoler de leur contexte historique, en en faisant un fait en soi, révèle les mécanismes de projection qui, aujourd’hui encore, ont la fonction de renier la responsabilité collective ».<br /> <br /> <br /> <br /> « En qualifiant de nettoyage ethnique présumé les événements dramatiques relatifs aux foibe, on opère un échange de rôles entre victimes et bourreaux, une inconsciente persécution de soi dans l’Autre. »"<br /> <br /> <br /> <br /> Alors ce genre de psychanalytisation, cela commence à devenir vraiment problématique. Vraiment.<br /> <br /> <br /> <br /> Ils ne se rendent pas compte que dénoncer l'échange de rôles entre victimes et bourreaux, si on se plante, c'est justement pratiquer l'échange de rôles entre victimes et bourreaux.<br /> <br /> <br /> <br /> Et entre l'accusation de "renier la responsabilité collective" et celle qu'on pourrait leur faire d'instrumentaliser la mémoire des morts, franchement, le débat de philosophie morale pourrait s'avérer passionnant. Si on laisse tomber Freud, Lacan et les fadaises...<br /> <br /> <br /> <br /> "« Depuis 2000 ans …l’Église s’identifie à la Mère, et aujourd’hui encore elle prétend avoir l’hégémonie sur le maternel, imitant le pouvoir absolu et dominant des mères dans la relation toute-puissante qu’elles établissent avec l’enfant hilflos [sans défense, en allemand]… »<br /> <br /> <br /> <br /> « Le fait de pardonner par le bais du féminin maternel, sans que les femmes n’obtiennent aucune reconnaissance de leur capacité de définition des symboles, mais en faisant, comme le fait l’Église catholique au service du pouvoir politique, de ce féminin maternel le lieu purement naturel des lois divines, sert seulement à gommer les formes d’appartenance et les droits positifs qui passent par les pères ne jouissant pas des privilèges anthropologico-culturels-religieux chrétiens. »"<br /> <br /> <br /> <br /> Là faut arrêter le délire. Je ne peux personnellement pas piffrer l'Eglise, mais les auteurs méritent vraiment un entonnoir sur la tête.<br /> <br /> <br /> <br /> Il faut discuter des faits bruts avant de se lancer dans ce type de considérations. Et lâcher la psychanalyse à deux balles pour avoir des dialogues cohérents et rationnels.
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Le comte Lanza vous salue bien
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