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Le comte Lanza vous salue bien
11 juillet 2019

LES MASSACRES DES FOIBE, DEUXIEME PARTIE

 

 

 

 

LES MASSACRES DES FOIBE : MÉMOIRE ET  POLÉMIQUE EN ITALIE

 DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

 

 

 

LES DÉCLARATIONS PRÉSIDENTIELLES ET DES HAUTS DIRIGEANTS

 

 

 

La célébration du Jour du Souvenir donne généralement lieu à une intervention du président de la république lors d’une cérémonie au palais du Quirinal. Des interventions d’historiens ou de représentants d’associations d’exilés ont lieu à cette occasion ; il arrive qu’un concert soit donné en clôture de la manifestation.

Des cérémonies ont lieu dans toutes les municipalités. A Rome, les officiels et les responsables politiques déposent des couronnes sur l’autel de la patrie (altare della patria) au centre du monument à Victor Emmanuel II, où se trouve la tombe du soldat inconnu.

Il y a de exposés dans les écoles, des concours scolaires, des concerts etc.

 

 

 

 

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Giorgia Meloni, présidente du parti Fratelli d'Italia (classé souvent à l'extrême-droite en France, mais qu'en Italie on classe au "centrodestro") à l'autel de la patrie pour le 10 février 2018, Jour du Souvenir. Personnalités politiques et officielles se succèdent pour l'hommage aux victimes, comme ils le font aussi pour les autres journées de célébration nationale (fête de la Libération, Jour de la Mémoire [pour les victimes de la Shoah] etc.

Site Dagospia (reportage ironique sur Giorgia Meloni avant les élections législatives de 2018 où son parti formait une coalition avec Forza Italia de Berlusconi et la Ligue de Salvini).

https://m.dagospia.com/e-la-ducetta-resto-sola-berlusconi-e-salvini-snobbano-l-iniziativa-anti-inciucio-della-meloni-167437

 

 

 

Sindaca giorno del Ricordo-2

La maire (sindaco, au masculin; la féminisation des noms  ne semble pas avoir cours en Italie !) de Rome, Virginia Raggi (Mouvement 5 Etoiles) lors du Jour du Souvenir 2019.

Roma Today

http://www.romatoday.it/politica/foibe-giorno-del-ricordo-raggi-commenti.html

 

 

Lors de la premier Jour du Souvenir (2005) le président de la république Carlo Azeglio Ciampi*, déclare : [...] La haine et le nettoyage ethnique étaient l'abominable corollaire de l'Europe tragique du XXe siècle, secoués par une lutte sans quartier entre des nationalismes exaspérés ( L'odio e la pulizia etnica sono stati l'abominevole corollario dell'Europa tragica del Novecento, squassata da una lotta senza quartiere fra nazionalismi esasperati ).

(... ) L'Italie, réconciliée au nom de la démocratie , reconstruite après les désastres de la Seconde Guerre mondiale avec l’apport d’intelligence et de travail des exilés d’Istrie, de Fiume et de la Dalmatie, a fait un choix fondamental. Elle a identifié son destin avec celui d'une Europe qui a laissé derrière elle la haine et le ressentiment, qui a décidé de bâtir son avenir sur la collaboration entre ses peuples basée sur la confiance, la liberté et la compréhension.»

                                                                                    * Carlo Azeglio Ciampi : après l’armistice de 1943, rejoint clandestinement les troupes italiennes qui ont repris le combat contre les Allemands; membre à ses débuts du Parti d’action (social-libéral), puis apolitique ; fait sa carrière à la Banque d’Italie; président du conseil en 1993-94 dans un gouvernement technique (après les scandales qui touchent la plupart des partis de gouvernement et l'opération anti-corruption de la justice Mani pulite - mains propres), ministre du trésor des gouvernements de centre-gauche Prodi et d’Alema, puis, élu en 1999 président de la république; prix Charlemagne pour son action pour l’Europe).

 

Mais l’intervention, en 2007, du nouveau président Giorgio Napolitano prend un tour moins consensuel, au moins au plan international.

Giorgio Napolitano (aujourd’hui âgé de 94 ans ) était un ancien communiste*. En 1991, il faisait partie de ceux qui votèrent pour la dissolution du PCI  et la formation du parti démocrate de la gauche (de tendance social-démocrate), devenu en 1998 les Démocrates de gauche, Democratici di sinistra, lequel, en fusionnant avec des centristes et démocrates-chrétiens de la coalition La Marguerite, allait ensuite devenir le Parti démocrate (2007) dont la personnalité la plus connue est Matteo Renzi, président du conseil en  2014-2016).

                                                                                            * Sa notice Wikipedia rappelle que dans sa jeunesse, il a « fait partie d’abord des Groupes universitaires fascistes (GUF), avant de s'engager activement au sein de la Résistance au régime de Benito Mussolini ».

 

Napolitano déclara, citant probablement l’historien Raoul Pupo, un des grands spécialistes de l’histoire des foibe et de l’exode : “Déjà, lors du déchaînement de la première vague de violence aveugle sur ces terres, à l’automne 1943, s’entremêlaient un “justicialisme sommaire et tumultueux, un paroxysme nationaliste, le revanchisme social et le désir de déraciner” la présence italienne dans ce qui était, et a cessé d’être, la Vénétie Julienne ».

 «Vi fu dunque un moto di odio e di furia sanguinaria, e un disegno annessionistico slavo, che prevalse innanzitutto nel Trattato di pace del 1947, e che assunse i sinistri contorni di una "pulizia etnica".
Quel che si può dire di certo è che si consumò - nel modo più evidente con la disumana ferocia delle foibe - una delle barbarie del secolo scorso
. » (Il y eut donc un mouvement de haine et de fureur sanguinaire et un projet d'annexion slave, qui a prévalu particulièrement dans le traité de paix de 1947; ce mouvement  a pris les sinistres contours d'un" nettoyage ethnique". Ce qu’on peut affirmer, c’est que l’une des barbaries du siècle dernier a été exercée - de la manière la plus évidente, avec la férocité inhumaine des foibe).

Le président évoquait aussi la « conjuration du silence » qui avait longtemps pesé sur ls massacres, comme venait de l’indiquer « il caro amico », le professeur Balbi (lui-même originaire des régions concernés et ancien président de l’ANVGD, Associazione Nazionale Venezia Giulia e Dalmazia):

« Cela aussi nous ne devons pas le dissimuler, en assumant la responsabilité d’avoir nié, ou préféré ignorer la vérité par préjugé idéologique et cécité politique (pregiudiziali ideologiche e cecità politica) et de l’avoir écartée pour des calculs dipolomatiques et des convenances internationales. »

Pour finir, il évoquait ls rapports amicaux avec la Slovénie et la Croatie, maintenant partenaires dans le projet européen, mais ces rapports devaient être fondés sur la reconnaissance de la vérité.

Ses paroles furent saluées par la classe politique, de Gianfranco Fini (Alliance nationale, « post-fasciste ») à  Francesco Rutelli, vice-premier ministre à l’époque, démocrate de gauche.

 

Mais la réaction fut tout autre dans ls pays voisins : le président de la Croatie, Stipe Mesić réagit publiquement en évoquant un discours «raciste, révisionniste et revanchiste».

Le ministre des affaires étrangères, le démocrate de gauche Massimo d’Alema soutint fermement le discours du président Napolitano et la polémique entraina l’intervention de l’Union européenne qui condamna l’attitude du président croate.

De son côté, sans intervenir publiquement pour ne pas alimenter de polémique, le résident de la Slovénie, Janez Drnovšek, écrivit une lettre privée au président Napolitano (rendue publique par la presse slovène après la mort de Drnovšek), dans laquelle il exprimait son inquiétude, estimant que le discours de Napolitano constituait «  une déclaration sans aucun précédent de la part des plus hautes personnalités de l'Etat italien ».

 

En 2008, le président Napolitano, prenant acte des polémiques de l’année précédente,  rappelle que l’hommage aux victimes et la reconnaissance des injustices et des douleurs vécues « ne peuvent faire abstraction d’une vision globale et non unilatérale de cette période historique tourmentée, marquée par les totalitarismes opposés » (non possono e non devono prescindere da una visione complessiva serena e non unilaterale di quel tormentato, tragico periodo storico, segnato dagli opposti totalitarismi).

La notion de «totalitarismes opposés » est destinée à un certain  succès, dans la mesure où elle renvoie dos à dos fascisme et communisme.

En 2009, il déclare :

«Nous n’oublions pas les souffrances infligées à la minorité slovène dans les années du fascisme et de la guerre. Mais certainement, nous ne pouvons oublier les souffrances, jusqu’à une mort horrible, infligées à des Italiens absolument innocents  de toute faute. »

 

Le 13 juillet 2010, les présidents italien, croate et slovène se rencontrent à Trieste « dans un geste historique de pacification »;  ils assistent à un grand concert donné par Riccardo Muti sur la place Unità d’Italia dans le cadre des « Chemins de l’amitié ». Auparavant les trois présidents ont déposé des gerbes à l’hôtel Balkan (ancien siège des associations slaves, ou Narodni Dom, incendié le 13 juillet 1920 par des nationalistes italiens) et au monument de l’exode juliano-dalmate.

 

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Le 13 juillet 2010 à Trieste, le président italien Napolitano, le président slovèneTürk  et le président croate Josipović se recueillent devant l'immeuble de l'hôtel Balkan où se trouvait le siège des associations slaves ( Narodni Dom) incendié le 13 juillet 1920 par des nationalistes italiens. Ils se sont aussi recueillis devant le monument de l'exode juliano-dalmate.

SKGZ, Unione Culturale Economica Slovena

http://www.skgz.org/it/incontro-dei-presidenti-di-italia-slovenia-e-croazia

 

  

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Concert sur la place Unità d’Italia de Trieste le 13 juillet 2010 en présence des présidents italien, croate et slovène, manifestant l'amitié renouvelée des trois pays.

Journal triestin Il Piccolo

https://ilpiccolo.gelocal.it/trieste/cronaca/2010/07/14/news/trieste-i-presidenti-di-italia-croazia-e-slovenia-al-concerto-di-muti-1.15799

 

 

En 2011, le président Napolitano rencontre à Pola (Istrie) le président croate Ivo Josipović. Les deux présidents publient une déclaration commune :

«... Questa è l'occasione per ricordare le vittime italiane della folle vendetta delle autorità postbelliche dell'ex Jugoslavia. Gli atroci crimini commessi non hanno giustificazione alcuna. (...)»

(C’est l’occasion de se souvenir des victimes italiennes de la folle vengeance des autorités d’après-guerre de l’ex-Yougoslavie. Les crimes atroces commis n’ont aucune justification. Ils ne pourront pas se répéter dans l'Europe unie, jamais plus. Nous condamnons encore une fois les idéologies totalitaires qui ont supprimé cruellement la liberté et piétiné les droits de l'individu d'être divers, par naissance ou par choix).

 

En 2014, lors de la cérémonie qui se tient au Sénat, devant le président Napolitano, qui ne s’exprime pas, un historien, Luciano Monzali, rappelle particulièrement l’accueil des réfugiés en Italie,qui ne fut pas toujours satisfaisant même si les choses finirent par s'améliorer. Il souligne l’identité propre des réfugiés, qu’ils ont dû souvent dissimuler :

“  Les exilés Juliano-Dalmates parlaient des dialectes vénitiens avec des sons exotiques pour l'Italien moyen. Beaucoup avaient des noms de famille slaves, allemands ou d'autres régions de l'ancien empire des Habsbourg,  (...) Cette italianité des frontières  (... ) a amené de nombreux réfugiés à cacher leur origine, se laissant vaguement définir comme “Triestins” (...) obligés contre leur volonté de laisser leur passé derrière eux pour survivre en paix  parmi ceux qui ne pouvaient pas les comprendre.”

De son côté, le président du Sénat, Pietro Grassi*, indique :

«  Nous ne pouvons rien oublier et supprimer, ni les souffrances infligées aux minorités pendant les années de fascisme et de guerre, ni celles infligées à des milliers et des milliers d'Italiens. (...) Cette cérémonie s'inscrit dans une continuité absolue avec les précédentes, célébrées au Quirinal par le président Napolitano, qui ont fait de cette journée non pas une commémoration rituelle, mais un moment fondamental d'expression de l'identité et de l'unité nationale. »

                                                                         * Ancien magistrat, membre du parti démocrate (centre -gauche). Aux élections de 2018 quitte le parti démocrate et fonde l’alliance de gauche Liberi e Uguali.

 

 

Giorno_del_ricordo_2014

Le président Giorgio Napolitano salue le chef d'orchestre Uto Ughi après le concert donné à l'occasion de la célébration du Jour du Souvenir en 2014, au Sénat. Aux côtés du président, probablement Pietro Grassi et Laura Boldini, à l'époque respectivement président du Sénat et présidente de la chambre des députés.

 Wikipedia. https://it.wikipedia.org/wiki/File:Giorno_del_ricordo_2014.jpg

Presidenza della Repubblica Italiana

http://presidenti.quirinale.it/elementi/Continua.aspx?tipo=Foto&key=30300

 

 

En 2015, le président Mattarella* dans un message, insiste aussi sur la construction européenne mais reprend l’idée du nettoyage ethnique, tout en s'exprimant de façon générale :

« Aujourd'hui, le foyer européen commun permet à différents peuples de se sentir membres d'un même destin de fraternité et de paix.  Un horizon d'espoir dans lequel il n'y a pas de place pour l'extrémisme nationaliste, la haine raciale et le nettoyage ethnique.”

                                                                       * Sergio Mattarella, originaire de Sicile, d’abord membre de la Démocratie-chrétienne jusqu’à sa dissolution, puis du parti populaire italien, puis membre de la coalition de centre-gauche de la Marguerite, plusieurs fois ministre puis juge constitutionnel. Après la démission de G. Napolitano qui ne désire pas aller au bout de son deuxième mandat,  S. Mattarella est élu (par les deux chambres du parlement) à la présidence de la république en 2015, avec notamment le soutien du parti démocrate et de son leader Matteo Renzi.

 

De son côté, la présidente à l’époque de la chambre des députés, Laura Boldini*, rappelant l’oubli délibéré des foibe dans l’Italie d’après-guerre, cite expressément le discours du président Napolitano de 2007, qui est devenu un modèle :

“ Sur les foibe, en particulier, un mur de silence est tombé. On a voulu cacher et on a préféré ne pas parler. L’ancien président Napolitano l’a bien expliqué, lui qui s’est tellement impliqué pour donner à la commémoration du 10 février sa valeur (....) Préjugés idéologiques et calculs diplomatiques.  C'est ce qui a empêché la discussion sur les foibe et l'exode qui ont frappé tant de familles italiennes dans ce que l'on a appelé un véritable "nettoyage ethnique", une définition également fondamentale (una definizione che è un altro macigno ) perpétré par les autorités yougoslaves.”

                                         *  Laura Boldini, juriste, a fait carrière dans les organisations non gouvernementales puis à l’ONU (haut-commissariat aux réfugiés) ; élue en 2013 député du parti Sinistra Ecologia Libertà, (Gauche, Ecologie et Liberté) puis  élue de façon inattendue à la présidence de la chambre. Réélue députée en 2018 au titre de l’alliance de gauche Liberi e Uguali (qui s’est dissoute en 2019 mais subsiste comme groupe parlementaire). Elle a été la cible de moqueries sexistes de Beppe Grillo, le fondateur du mouvement 5 Etoiles.

 

 

 

 

 

LES AFFIRMATIONS DES HISTORIENS

 

 

L’histoire des faits rassemblés sous les noms de massacres des foibe et d’exode juliano-dalmate ne fait pas l’unanimité. Il existe une historiographie dominante émanant d’historiens universitaires ou de vulgarisateurs et une historiographie contestataire, assez marquée politiquement à l’extrême-gauche. Les points de désaccord concernent d’une part le nombre de victimes et d’exilés, d’autre part l’interprétation des faits et plus globalement le principe même de la commémoration, ce qu'on appelle l'usage public de l'histoire.

Bien qu’on trouve des ouvrages sur les foibe et l’exode dès les premières années suivant la guerre, il s’agit généralement d’ouvrages militants émanant de réfugiés. Dans des années 1990-2000 se multiplient les études universitaires rédigées par des spécialistes comme Elio Apih, Raoul Pupo, Roberto Spazzali, Giampaolo Valdevit, ou des journalistes de bon niveau comme Gianni Oliva.

De nombreux sites internet en reproduisent les conclusions.

Nous en donnons ci-dessous des extraits significatifs.

 

 

 

 

 

COMBIEN DE VICTIMES DES FOIBE ?

 

 

 

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Recherches des victimes des foibe. Date non précisée.

 Gazzetta della Spezia, 7 février 2018

https://www.gazzettadellaspezia.it/politica/item/81655-foibe-e-esodo-giuliano-dalmata-per-non-dimenticare

 

 

 

 

Selon l’Encyclopédie Treccani (en ligne) :

Pour le premier épisode de l’automne 1943, concernant surtout l’Istrie : 600-700 victimes.

En 1945, plus de 10 000 personnes furent arrêtées (y compris des non-Italiens), lorsque l’épicentre de la violence concerna surtout Trieste, Fiume et Gorizia, dont plusieurs milliers disparurent.

Dans l'ensemble [“nel complesso” – donc en additionnant les chiffres des  deux périodes, sauf erreur de notre part] on obtient 4000 à 5000 victimes, un chiffre supérieur ne pouvant être atteint qu’en ajoutant les Italiens tués dans la lutte contre les partisans

L’Encyclopédie indique que le terme infoibato, jeté dans les foibe (pluriel infoibati), est utilisé pour toutes les victimes :

« Un tel usage symbolique du terme est à l’origine de nombreuses incompréhensions sur le plan interprétatif et a également offert de nombreuses possibilités de négationnisme. Il semble donc approprié, pour mieux comprendre à la fois les dimensions et le sens de la violence de masse, d’utiliser l’expression massacres yougoslaves (stragi iugoslave), qui inclut également le mode spécifique de l’infoibamento.

.http://www.treccani.it/enciclopedia/foibe_%28Enciclopedia-Italiana%29/

 

Le Vademecum

 

Dans le Vademecum per il Giorno del ricordo, publié par l’Istituto regionale per la storia della Resistenza e dell’Età contemporanea nel Friuli Venezia Giulia ( Irsrec FVG), rédigé notamment par le professeur Raoul Pupo (2019 - mais il y a peut-être des éditions antérieures), on retrouve en gros les mêmes chiffres :

- Massacres de 1943, entre 500 à 700.

- Massacres de 1945, plusieurs milliers : « Lo stato della ricerca non consente quantificazioni precise » (l’état de la recherche ne permet pas de quantification précise). Il y eut 10 000 arrestations dans les provinces de Trieste et  Gorizia, mais la plupart des personnes furent libérées dans les années suivantes. A la fin des années 1950 l’institut de la statistique indiqua 2627 disparus, chiffre peut-être surestimé. On doit y ajouter 500 victimes à  Fiume et quelques centaines à Pola.

«  Una stima complessiva delle vittime fra le 3.000 e le 4.000 sembra perciò abbastanza ragionevole » (une estimation complète des victimes entre 3000 et 4000 parait suffisamment raisonnable). Des chiffres supérieurs comme 10000 ou plus résultent d’erreurs méthodologiques ou d’intentions de propagande

Le Vademecum reprend aussi l‘avertissement sur le terme infoibati, utilisé pour toutes les victimes après 1945 :
« L'utilisation de cette terminologie peut être source de malentendus. En fait, beaucoup de victimes n’ont pas été tuées
immédiatement après l’arrestation, mais ont été emmenées en captivité et incarcérées. Elles sont mortes dans les camps,
à cause des conditions de détention. »

 

https://www.irsml.eu/vademecum_giorno_ricordo/Vademecum_10_febbraio_IrsrecFVG_2019.pdf

 

 

Dans l’article Massacri delle foibe sur Wikipedia italien :

 

«  On estime que les victimes en Vénétie Julienne, et en Dalmatie furent environ 11 000, y compris les corps retrouvés et ceux estimés, ainsi que les morts dans les camps de concentration yougoslaves ».

-         Pour les victimes de 1943, 600 à700 personnes ;

-         Pour les victimes de 1945, entre un peu moins de 4000 et 11 000 (une fourchette large ! le dernier chiffre renvoie aux études de Guido Rumici estimant à 6000 les victimes des foibe proprement dites pour ariver à 11 000 avec les victimes des camps).

L’article ajoute que dans l’immédiate après-guerre, on évoqua des chiffres très supérieurs de 15 000 à 20 000, basés sur des calculs volumétriques de la profondeur des foibe comme celle de Basovizza

L’article précise que le nombre des personnes effectivement jetées dans les foibe (infoibati) est estimé, d’après les études les plus récentes, de l’ordre d’un millier : en effet, le teme infoibati a été utilisé pour désigner tous les morts mais la plupart des victimes furent exécutées ou moururent dans les camps de concentration yougoslaves du fait des conditions d’internement (maladies, mauvais traitements)

 

 

Lega  nazionale 

 

La Lega nazionale dont le siège est à Trieste (ne pas confondre avec la Ligue du nord,  devenue Ligue tout court avec Salvini !) est une organisation  dédiée historiquement à la reconnaissance de l'italianité de Trieste, de l'Istrie de la Dalmatie; elle se consacre notamment à la mémoire et à l’entraide des victimes des massacres et de l’exode. Son siège est à Trieste.

La Ligue nationale précise que le premier épisode de violence en 1943 eut lieu en Istrie, en observant que « les foibe sont autour de Pisino, siège du commandement yougoslave*, ce qui démontre la préméditation du masacre”)

                                                            * Il s’agit du commandement des partisans et non de l’armée régulière yougoslave.

Dans la seconde période (1945) la plus grande part des infoibamenti eut lieu autour de Trieste et Gorizia, mais aussi dans la zone allant de Tolmino au nord à Capodistria au sud (donc au nord de l‘Istrie).

La Ligue, qui semble considérer que la plupart des morts sont des cas d’infoibamento,  donne le chiffre de 10 137 victimes (on suppose que c‘est pour les deux périodes, y compris les morts en camps) mais avec l’indication que « le vittime, militari e civili, per mano slavo-comunista, non furono meno di 16.500 » (les victimes militaires et civiles, tués par les slavo-communistes, ne furent pas moins de 16.500 ).

http://www.leganazionale.it/index.php/chi-siamo/1790-foibe-esodo-i-punti-fermi-della-lega-nazionale

 

 

L’EXODE

 

 

Après la victoire des armées yougoslaves en 1945 et la fixation des zones d’occupation par la ligne Morgan, un exode des populations italienne d’Istrie, de Dalmatie et de Fiume se met en place ; les régions de Trieste et de Gorizia resteront sous contrôle des alliés occidentaux et seront plus tard restituées à l’Italie – Gorizia se trouvant alors quasiment à la frontière yougoslave. Les chiffres des populations concernées par l’exode sont aussi matière à discussion :

Article Wikipeda italien Massacri delle foibe:

 Le nombre des exilés est estimé entre 250 000 et 350 000.

 

Article Wikipeda italien Esodo giuliano dalmata

L’article indique que Enrico Miletto et certains historiens comme Flaminio Rocchi (moine franciscain qui fut extrêmement actif dans l'aide aux réfugiés - mais ce n'est pas vraiment un historien) et Ermanno Mattioli évaluent les exilés à 350.000 personnes.

Mais d’autres historiens préfèrent parler de 250.000 à 270.000 personnes, dont Raoul Pupo (“fissare le dimensioni presunte dell'esodo attorno al quarto di milione di persone")

Toutefois, le Vademecum déjà cité, rédigé notamment par Raoul Pupo, va plus loin : "Les estimations les plus actuelles indiquent un flux total de 280 000 à 300 000 personnes, dont 201 440 ont été enregistrés à l'époque par l'Oeuvre d’assistance aux réfugiés, mais on peut aller jusqu’à 301 000 en comprenant 15% de Croates et Slovènes, qui ont choisi de quitter les territoires passés sous contrôle communiste." [la phrase n'est pas vraiment claire : il semble s'agir de populations croate et slovène qui ne possédaient pas la nationalité italienne ?]

 

Enfin, dans un article de André-LouisSanguin La « communauté submergée » : les Italiens de l'Istrie croate, bulletin de l'Association des géographes français, 73e année, 1996- https://www.persee.fr/docAsPDF/bagf_0004-5322_1996_num_73_1_1882.pdf, on lit :

 «  De 1945 à 1956, combien d'Italiens quittèrent l'Istrie? 250 000 personnes selon les sources les plus fiables, 300 à 350 000 si l'on inclut les Italiens de Rijeka/Fiume et de la Dalmatie. »

Cet auteur, suivant les travaux de Christianna Colummi, distingue quatre phases dans l’exode de la population italienne

Enfin, les historiens (par ex. le Vademecum) parlent aussi d’un contre-exode lorsque environ 2500 travailleurs italiens , surtout des chantiers navals de Monfalcone, ont quitté la province de Gorizia restituée à l’Italie, pour s’établir en Yougoslavie vers 1947. Généralement de tendance communiste orthodoxe (stalinienne), ils se trouvèrent pris dans les remous de la rupture entre Tito et Staline en 1948 et beaucoup furent envoyés au terrible camp de rééducation de Goli Otok. La plupart rentrèrent en Italie, assez mal accueillis.

 

 

 

 

 

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Exilés de Pola/Pula en Istrie, attendant d'embarquer sur le paquebot Toscana, qui effectuait des rotations journalières vers l'Italie pour emmener les exilés.

"Le 20 mars 1947, le paquebot Toscana accomplit son dernier voyage, emmenant les dernières familles. Comme prévu, 28 000 des 31 000 habitants de Pola abandonnèrent leurs biens et propriétés plutôt que de devenir Yougoslaves" (commentaire de l'article Pola, sur Wikipedia italien https://it.wikipedia.org/wiki/Pola ).

Vatican news, 10 février 2018.

https://www.vaticannews.va/it/mondo/news/2018-02/giorno-del-ricordo-10-febbraio-foibe-esodo-giuliano-dalmata.html

 

 

 

 

LES EXPLICATIONS

LES MASSACRES

 

 

Vademecum

Le Vademecum déjà cité explique ainsi les premiers massacres de 1943 :

 

La prise de pouvoir par les partisans devait entraîner l’élimination immédiate des « ennemis du peuple », catégorie d'origine bolchevique et stalinienne   extrêmement flexible, allant des représentants locaux du régime fasciste (hiérarques -c-à-d. chefs de groupes fascistes, squadristi, c-à-d. militants des unités de base du parti fasciste), aux cadres des institutions (maires, secrétaires communaux), aux membres de la communauté italienne (propriétaires fonciers, commerçants et artisans). Il s’agissait d’une violence commanditée d’en haut mais réalisée dans un climat de grande confusion, avec parfois des motivations personnelles et criminelles comme dans certains cas de viols suivis de meurtres, parmi lesquels le cas très connu de Norma Cossetto.

 

En 1945, la violence s’inscrivait dans les pratiques de prise du pouvoir ; il s'agissait clairement de violence d’État, programmée d’en haut par le pouvoir politique yougoslave et réalisée par les organes d’Etat, notamment la police  politique, l’OZNA ,

Il y a eu d’abord une visée punitive à l’encontre des Italiens fascistes ou collaborateurs des Allemands. Les militaires de la république sociale italienne (mussoliniens) arrêtés furent souvent décimés sur place ou envoyés dans des camps à la mortalité effrayante comme le camp de Borovnica.

Mais les massacres ont eu également une finalité préventive à l’égard de personnes pouvant présenter un danger pour le nouvel ordre, y compris des militants ou responsables antifascistes italiens ou des autonomistes de Fiume. Enfin les massacres avaient une finalité intimidante pour la population italienne destinée à la dissuader de s’opposer à l’annexion par la Yougoslavie.

 

Encyclopédie Treccani

 

En 1943, dans un contexte de confusion générale, partout des «pouvoirs populaires» ont été établis. Ils ont fait arrêter non seulement les cadres du fascisme (squadristi, hiérarques) mais aussi les maires, secrétaires, agents municipaux, postiers, agents du fisc, carabiniers, gardes champêtres, « signe d'une volonté généralisée d'éliminer  tous ceux qui pourraient rappeler l'administration italienne » « Dans l'insurrection, cependant, les connotations ethniques et politiques sont devenues inextricablement liées aux connotations sociales », de sorte que les violences ont aussi frappé les propriétaires terriens italiens, victimes de l'antagonisme de classe avec les métayers croates, les directeurs, employés et contremaîtres de sociétés industrielles, puis toutes les personnalités représentatives des communautés italiennes (des avocats aux sages-femmes), victimes d’une poussée de fureur nationaliste qui visait « la destruction politique de la classe dirigeante italienne, considérée comme un obstacle à l'affirmation du nouveau cours politique », dès lors que le comité populaire de libération établi à Pisino avait proclamé le rattachement de l’Istrie à la Croatie (elle-même appartenant à la Yougoslavie).

 

« Les sources croates de l'époque confirment que l'une des tâches prioritaires confiées aux pouvoirs populaires d'Istrie était précisément de "nettoyer le territoire" des "ennemis du peuple": une formule qui, dans son flou, permettait d'inclure tous ceux qui ne coopéraient pas activement avec le mouvement de libération. »

 

 « Beaucoup des personnes arrêtées ont été éliminés en masse début octobre lorsque, face à l'offensive allemande, les autorités populaires ont décidé de se débarrasser de tous les prisonniers, qui pourraient se transformer en témoins dangereux. »

 

En 1945, le processus ne parait pas fondamentalement différent : la violence se situe dans le contexte « plus général de la prise de pouvoir en Yougoslavie par un mouvement révolutionnaire à direction communiste, protagoniste d'une guerre de libération qui était aussi une guerre civile visant à l'élimination physique des adversaires, dont l'écho s’est prolongé, en termes d'affrontements armés et de meurtres, jusqu'en 1946 ».

 

« La logique d'élimination des forces armées ennemies présentes sur le territoire inclut également la déportation des unités de la douane (Guardia di Finanza) et de nombreux membres de la garde civique de Trieste ». Or ces formations étaient largement infiltrées par le Comité de libération nationale italien (CLN) et avaient participé sous son commandement à la bataille finale contre les Allemands. De même furent pourchassés les antifascistes non communistes, les autonomistes de Fiume et les citoyens apolitiques mais clairement pro-Italiens, afin d’éliminer toute force susceptible de s’opposer à la prise de pouvoir yougoslave.

 

« La formule interprétative la plus proche de cette réalité, qui combinait inextricablement les objectifs de vengeance nationale et d'affirmation idéologique (…) était  celle de la «purge préventive», visant à éliminer tous les opposants, même seulement allégués (…)° à un processus à la fois national et idéologique, puisqu'il consistait à annexer la Vénétie Julienne à la Yougoslavie communiste. »

« Il n’y eut pas sur le moment de projet d’expulsion qui prit corps seulement dans les années suivantes, mais la volonté de faire comprendre de la façon la plus drastique aux Italiens  qu’ils ne pourraient survivre dans les territoires passés sous contrôle yougoslave qu’à condition d‘adhérer sans réserve au nouveau régime ».

 

 

 

 L’EXODE

 

 

L’exode fait aussi l’objet de discussions. Y a t-il eu de la part de la Yougoslavie, en 1945 et après, un projet de « nettoyage ethnique » comme les autorités politiques italiennes qui s’expriment sur le sujet, y font fréquemment référence ?

Sur les violences de 1945 et le lien avec l’exode, l’article  Wikipedia it. Massacri elle foibe indique :

« Selon de nombreux historiens (par exemple Raoul Pupo, Gianni Oliva, Roberto Spazzali, Guido Rumici) une forte impulsion à l’exode fut donnée par la politique systématique et de police ethnique organisée par les Yougoslaves pour éliminer la majorité italienne.»

Dans une interview, Raoul Pupo s’exprime ainsi :

«  La violence des foibe sema la terreur dans la population italienne. L'intimidation, les passages à tabac, les arrestations 
et les disparitions de l'après-guerre ont renforcé le climat de peur. Cependant, les raisons de l'exode sont beaucoup
plus complexes. En résumé, ce fut l'effondrement de la société italienne, provoqué par la double révolution, nationale et
sociale, mise en œuvre par les autorités yougoslaves. Cela a créé une situation générale rendant la vie impossible
(Ciò creò una situazione di invivibilità generalizzata). En conséquence, lorsque, avec des rythmes différents dans des
contextes différents, les communautés italiennes ont compris que la domination yougoslave était devenue définitive,
le mécanisme de l'exode a commencé. » (interview du 19 avril 2109, site TPI,
https://www.tpi.it/2019/02/10/foibe-giorno-del-ricordo-fascisti-comunisti/)

 

Toutefois, le Vademecum refuse de parler de nettoyage ethnique à l’origine de l’exode des Italiens, pour des raisons peut-être un peu trop subtiles pour être immédiatement comprises : le Vademecum indique que « s’il y avait eu un nettoyage ethnique, alors, paradoxalement, il y aurait 100 000 Italiens en Istrie aujourd’hui ». En effet, le groupe national italien n'avait pas un profil seulement ethnique, son identité était composite  (« Paradossalmente, si potrebbe dire che se l’esodo fosse stato soltanto un atto di «pulizia etnica», oggi in Istria ci sarebbero forse 100.000 italiani. Il punto è, che il gruppo nazionale italiano non aveva un profilo solo etnico, perché l’italianità adriatica è composita, »)

 

 Ce qui vaut dire que parmi les personnes qui sont parties, il y avait un grand nombre de Slaves, qui avaient fait le choix volontaire de la nationalité italienne (au sens culturel plus que juridique, puisqu'on admet que tous les habitants de l’Istrie étaient juridiquement italiens) et sans doute également des Slaves ayant une double culture (leur exil a pu avoir lieu malgré les obstacles mis au départ des Slaves par le gouvernement yougoslave).

 

Le terme « nettoyage ethnique » serait donc faux dans ce cas puisque l’exode n’a pas concerné que des Italiens au sens ethnique (il gruppo nazionale italiano non aveva un profilo solo etnico ). Mais cette nuance aboutit à brouiller les discours, puisque d’un côté les autorités, se réclamant des historiens, parlent souvent de « nettoyage ethnique » et de l’autre, les mêmes historiens refusent de parler de nettoyage ethnique là où il y aurait eu plutôt une politique de « nettoyage » fondée sur la nationalité ou la culture italienne (et non sur l'ethnie).

 

 

En 2000, une commission historique italo-slovène (dont les travaux n’ont pas été publiés) parla « d’un projet politique préconçu dans lequel plusieurs axes convergent: la volonté d'éliminer les sujets et les structures pouvant être liés (même au-delà des responsabilités personnelles) au fascisme, à la domination nazie, au collaborationnisme et à l'État italien, ainsi qu'un plan d’épuration préventive des opposants, vrais, potentiels ou présumés, à l'avènement du régime communiste et à l'annexion de la Vénétie Julienne au nouvel État yougoslave ».

 

Pourtant le régime yougoslave se garda bien de toute déclaration anti-italienne, déclarant seulement vouloir punir les coupables et réserver aux Italiens leur place dans le nouvel état yougoslave («  fraternité italo-yougoslave »)

Ce n’est qu’après 1991 que certains acteurs de l’époque comme Milovan Gilas, bras droit de Tito, admirent la politique de nettoyage ethnique, même si leur témoignage reste sujet à caution. Gilas déclara en 1991 que, dans le contexte de fixation définitive des frontières qui eut lieu en 1947, il fallait faire partir les opposants à l’annexion par la Yougoslavie  : «  Bisognava dunque indurli ad andare via con pressioni d'ogni genere. Così ci venne detto e così fu fatto » (il était nécessaire de les [les Italiens] faire partir avec des pressions de toutes sortes.  C'est ce qui fut dit et c'est ce qui fut fait).

Quant au Vademecum, il déclare :

« La politique de "fraternité" [italo-yougoslave] s'est donc limitée à une minorité de la population italienne, 
tandis que la majorité n'entrait pas dans ses critères d'acceptabilité. »
De plus, cette politique, élaborée par les chefs du parti, a été gérée sur le terrain par la classe dirigeante locale
issue de la Résistance qui a appliqué les violences et brimades même à ceux des Italiens qui auraient pu entrer
dans le cadre de la fraternité socialiste (ouvriers, petits cultivateurs), les poussant ainsi à l’exode.
 
Toutefois aucun historien ne conteste, de la part des associations représentatives de la population italienne, 
d’avoir localement durci les oppositions en affichant le refus du rattachement à a Yougoslavie,
là où une telle attitude était possible (ce qui était loin d‘être le cas général).
Ainsi le journal L’Arena, de Pola titrait en 1946 : l’Italie ou l’exode, mais une telle position publique d’opposition
à l’annexion n’était possible que parce que Pola (ville d’Istrie, italienne à 90% selon Wikipedia it.
https://it.wikipedia.org/wiki/Pola) était administrée par les Alliés occidentaux jusqu’en 1947.

L’interprétation donnée par certains historiens critiques (comme Sandi Volk, voir ci-dessous) expliquant que
les responsables italiens ont voulu rendre l’exode aussi massif que possible pour essayer d‘obtenir des Alliés
une révision des frontières, outre que cette motivation n’exclut nullement les autres raisons de l’exode,
présente une généralisation abusive puisque dans la plupart des territoires administrés par la Yougoslavie,
aucune organisation de défense de la communauté italienne n’était envisageable.
 
On entre déjà dans la guerilla entre historiens où les thèses en présence sont en rapport avec les opinions 
politiques des historiens - ou du moins de certains d’entre eux
 
 
 
LE « NÉGATIONNISME »
 
 

Les débats historiques sur les massacres dits des foibe et l’exode « juliano-dalmate » sont en effet parasités, en partie,  par les appartenances politiques des intervenants. Autant que nous ayons ou en juger, ces débats n’opposent pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser (surtout en France) la gauche à la droite, mais un courant historique mainstream soutenu par la quasi totalité de la classe politique (et probablement de l’opinion italienne) et un courant minoritaire, assez clairement « à gauche de la gauche », d’autant plus virulent qu’il est minoritaire.

Les opposants à la version « officielle » sont souvent appelés « négationnistes » ou « réductionnistes » par leurs adversaires.

Dans le Vademecum déjà cité, on peut lire :1

« D'un point de vue méthodologique, le négationnisme applique une méthode hypercritique, qui, à partir de la critique habituelle des sources, aboutit à refuser toute crédibilité aux sources qui ne vont pas dans le sens de l'interprétation privilégiée. Particulièrement, le négationnisme part de la critique des erreurs ponctuelles effectivement présentes dans les témoignages pour en contester la validité globale, ou de la dénonciation d'exagérations, de déformations, de manipulations et d'instrumentalisations dans la présentation des faits, pour en venir à nier leur existence même. (…) De plus, la préoccupation de défendre le mouvement de libération contre les critiques de l’extrême-droite, conduit les négationnistes à adopter des interprétations fondées sur le même point de vue que les auteurs des massacres, rejetant sur les suspects la charge de prouver leur innocence.

En ce qui concerne l’exode, [le négationnisme] consiste à refuser de prendre en compte les raisons politiques du phénomène, en tant que réponse au comportement des autorités yougoslaves, mais à l’inverse, à motiver exclusivement l’exode par des raisons économiques (recherche de bien-être à l’Ouest) ou par les effets d’une action de propagande italienne, qui n’est jamais démontrée.»

 

 

 

LES CONTRADICTEURS DE LA VERSION DOMINANTE

 

 

Les historiens minoritaires, ou “indépendants”, souvent qualifiés de "négationnistes”, Alessandra Kersevan, Claudia Cernigoi,  Sandi Volk, ont publié des livres dans les années 1990-2000 et interviennent toujours dans les débats. Jože Pirjevec, universitaire slovène, est aussi considéré comme "négationniste".

Plus âgé, le journaliste, traducteur et essayiste Giacomo Scotti écrivit dès les années 70 des livres dénonçant l'action du fascisme en Vénétie Julienne et favorables aux partisans communistes (dont une biographie de Tito), puis en 2005 Dossier foibe.*

                                                                                   * Né en 1928, Scotti, communiste et antifsciste, choisit très jeune d'aller vivre en Istrie après l'annexion par la Yougoslavie, puis à Rijecka/Fiume. Il vit alternativement en Italie et en Croatie.

 

Ils ont été depuis rejoints par des intervenants sur internet, qui s’expriment notamment sous le pseudonyme de Nicoletta Bourbaki (groupe de recherche nommé en hommage au groupe de mathématiciens qui avait choisi le pseudonyme de Nicolas Bourbaki); ce groupe, créé en 2012, enquête par exemple sur les” manipulations néo-fascistes sur Wikipedia en langue italienne”.

 

Le groupe Nicoletta Bourbaki * a entrepris plusieurs enquêtes qu’on pourrait appeler de “déconstruction” sur les foibe, publiées sur le blog Giap (dont le nom, inspiré du célèbre général Viet-Minh, indique la sensibilité politique même si elle s’accompagne d’une certaine ironie provocatrice). Ce blog est géré par un groupe de créateurs (littérature et musique), réunis sous le nom de Wu-Ming.  https://www.wumingfoundation.com/giap/wu-ming-foundation-qui-sommes-nous/

                             * "Il faut ajouter que le collectif Nicoletta Bourbaki est un groupe de travail queer et transgenre”, précise le site Wu-Ming, précision qu’on peut juger inutile ou pas.

 

 

Les historiens et vulgarisateurs critiques sont en désaccord avec l’historiographie (au sens de littérature historique sur le sujet) dominante sur plusieurs aspects :

-         Le nombre des victimes des massacres, selon eux grossi intentionnellement ;

-         Les raisons des massacres, selon eux explicables non par une haine ethnique aveugle ou même par une haine de classe mais par les agissements des victimes au service du « nazi-fascisme », sauf rares exceptions,

-         L’absence de contextualisation des massacres (action répressive des fascistes avant et pendant la guerre),

-         Les chiffres des populations qui ont quitté les régions annexées et les raisons de l’exode.

Enfin, sur un plan plus théorique, ces historiens considèrent que l’histoire des massacres et de l’exode, telle qu’elle est rapportée par les historiens dominants et plus encore telle qu’elle est comprise et commentée par la classe politique et l’opinion générale, aboutit à réévaluer le fascisme en comparant les massacres des foibe à la Shoah, à dénigrer la Résistance, et à alimenter  les risques de nouveaux confits.

Nous n’avons pas la possibilité de reprendre ici les argumentations détaillées des contradicteurs des thèses officielles. Il est possible d’en donner une idée.

 

 

 

UN CAS EXEMPLAIRE : NORMA COSSETTO

 

 

Les historiens critiques se sont ainsi intéressés à la personnalité des victimes des foibe, notamment Norma Cossetto, cette jeune étudiante istrienne de 23 ans, torturée, violée puis exécutée lors de la prise de pouvoir éphémère par les partisans en septembre-début octobre  1943. Norma Cossetto fut précipitée, peut-être encore vivante, avec 25 autres personnes, dans la foiba de Surani, à Antignana. Elle fut honorée en 2005 par une des plus hautes distinctions de l’Etat italien*.

                                                                          * Avant cela, dès 1949, l’université de Padoue avait conféré à titre honorifique le doctorat (laurea) à Norma Cossetto avec la motivation : « morte pour la défense de la liberté ».

 

Claudia Cernigoi a tiré parti des contradictions dans les récits contemporains. On peut avoir une idée de ses méthodes par l’extrait suivant :

«  …toutes les  sources  sont contradictoires et  confuses au  sujet de la torture , à commencer par le maréchal [des pompiers = adjudant] Harzarich lui-même, qui a travaillé à la récupération du corps et en a donné deux versions complètement différentes. Nous notons ici que Harzarich écrit qu'à Antignana, Norma avait été détenue dans l'ancienne "caserne des Carabiniers", alors que le "témoin" anonyme parlait de "l'école" (…) Passons maintenant à la description de la récupération [du corps] faite par le père Rocchi … »

 

Cernigoi aboutit ainsi à l‘hypothèse que Norma Cossetto, bien qu’ayant certainement été arrêtée à un moment par les partisans communistes, a (peut-être) été tuée par les Allemands qui l’auraient trouvée « rebelle » ( ?). Cernigoi rappelle aussi que Norma Cossetto était fille d’un chef local fasciste, fasciste elle-même (du moins membre de l’association des étudiants fascistes). Son hypothèse sur les causes de la mot de Norma Cossetto ne semble pas avoir convaincu et les critiques courantes de la thèse officielle se bornent  à essayer de démonter les diverses composantes du « mythe » en soulignant l’insuffisance et les contradictions des sources. Nous en reparlerons.

On trouve ici le texte de Cernigoi,http://www.diecifebbraio.info/2012/01/il-caso-norma-cossetto/ (ce site est également orienté vers la critique des thèses dominantes et de la commémoratiion)

 

De façon générale, pour Cernigoi, «il n'y a pas eu de massacres aveugles », les victimes étaient « des collaborateurs du nazi-fascisme » Elle a affirmé : "compte tenu des rôles joués par la plupart des" infoibati ", nous refusons personnellement de les honorer.  Vous pouvez ressentir de la pitié humaine envers les morts, mais pour ce qui est d’honorer ceux qui ont trahi, espionné, torturé, tué, il y a un fossé "(cité par Wikipedia it., Massacri delle foibe).

Ces propos (tenus d’ailleurs avant l’instauration du Jour du Souvenir) ont indigné les tenants des thèses en faveur des victimes. Un auteur (Giorgio Rustia) a voulu montrer les failles des méthodes critiques de Cernigoi. Les historiens mainstream Pupo et Spazzali ont classé Claudia Cernigoi parmi les négationnistes, une attaque qui l’a fait réagir violemment, s’indignant de l’emploi d’un terme forcément péjoratif puisqu’il est appliqué aux négateurs de la Shoah ; elle se demandait (en 2007) si en Italie on n’était pas « déjà parvenu au fascisme complet».

D’autres historiens refusent le terme de négationnistes en le prenant au pied de la lettre, comme s’il s’agissait de nier l’existence même des massacres : je n’ai jamais rencontré personne qui nie l’existence des foibe (Eric Gobetti).

 

 

 

FOIBE ET EXODE SELON LES HISTORIENS CRITIQUES

 

 

 

Les historiens critiques s’attachent à montrer que la plupart des victimes des foibe en 1943 et des épurations violentes de 1945 ont subi une punition pour leurs actes passés. Ils dénoncent l’attribution de décorations et de diplômes prévus par la loi de 2005 à d’anciens fascistes, comme l’ancien préfet de Zara Serrentino, fusillé en 1947 en Yougoslavie comme criminel de guerre.

 

Dans une série d’articles sur les foibe et l’exode (republiés  sur divers sites (https://www.internazionale.it/notizie/nicoletta-bourbaki/2017/02/10/foibe) le collectif Bourbaki avec le concours des historiens critiques Piero Purini, Eric Gobetti, Jože Pirjevec, Sandi Volk et d’autres, a voulu  faire une synthèse de ces objections à la version devenue officielle (mais laquelle au fait ?) des massacres et de l’exode :

«  Soyons clairs: nous ne nous soucions absolument pas de défendre l'Armée populaire de libération de la Yougoslavie ni le "soi-disant" (plus ou moins selon votre point de vue), socialisme yougoslave. Ce que nous voulons faire, c'est rétablir un ordre de grandeur simple: 5 000 morts ne sont pas 6 millions et tuer ses ennemis, dans de nombreux cas des personnes qui vous ont tiré dessus la veille (et peut-être même incendié votre maison ou violé votre femme), ce n’est pas la même chose que de mettre des hommes, des femmes et des enfants dans les chambres à gaz. »

 Parmi les objections principales à la version officielle, il y a l’oubli des violences fascistes qui ont engendré le cycle des contre-violences :

«Les crimes commis par les autorités italiennes pendant la guerre dans les Balkans - massacres, déportations, internements dans des camps dispersés également dans notre péninsule - sont un énorme non-dit. Cette omission nourrit la fausse croyance dans les "bons Italiens" (Italiani brava gente) tout en délégitimant et diffamant la résistance dans les Balkans et le mouvement partisan italien lui-même. »

 

Les articles  soulignent que des Italiens ont fait le choix des partisans yougoslaves et même de vivre dans la Yougoslavie d’après-guerre, ce qui démontre l’absence d’opposition ethnique entre les Slaves et Italiens :

« …pour ceux qui feront le choix partisan après l’armistice [de septembre 1943], la Yougoslavie représentera toujours un modèle à imiter, un exemple incroyable d’efficacité militaire, de cohérence politique et de soutien populaire. »

Des Italiens ont vécu heureux dans la Yougoslavie communiste, comme Silvano Cosolo :

« Il a écrit un livre intitulé Amare Sarajevo dans lequel il décrit un monde qui se sent plus libre, parle de liberté religieuse et sexuelle, d'un monde qui n'avait rien à voir avec la rigidité des coutumes dans l'Italie des années cinquante. Tout cela ne signifie pas nier Goli Otok » [le camp de rééducation en Yougoslavie où furent enfermés notamment les communistes partisans de l’URSS après la rupture de Tito avec Staline].

« Dans les territoires appelés aujourd'hui Frioul-Vénétie Julienne [en Italie], République de Slovénie et République de Croatie, l'opposition armée au nazi-fascisme était multiethnique et irréductible à toute hagiographie nationale ».

 

Dans cette optique, les victimes des massacres, dont le nombre est revu à la baisse, étaient (généralement) des fascistes :De plus, comme si l'excuse était suffisante, on indique que les massacres ont eu lieu le plus souvent dans les premiers jours d'octobe 1943, au moment de l'arrivée des troupes allemandes. Les partisans ont donc exécuté leurs prisonniers qu'ils ne pouvaient pas laisser vivants sous peine d'être dénoncés par eux aux Allemands (même si les partisans prenaient le maquis, .les Allemands pouvaient s'en prendre à leurs familles).

 

« Jože Pirjevec. Quant aux morts en Istrie après le 8 septembre 1943, leur nombre était souvent gonflé. Je pense que nous pouvons tout au plus parler de 400 à 500 victimes.

Après le 1er mai 1945 (…), environ trois mille cinq cents personnes, dont les deux tiers environ sont de nationalité italienne, pour la plupart des soldats de formations qui, à différents niveaux, ont collaboré avec les occupants allemands.

Nicoletta Bourbaki : La foiba de Basovizza a été proclamée monument national parce que les corps de centaines, voire de milliers de personnes y ont été jetés. Sur quelle base est-ce établi ?

JP. Sur aucune, autant que je sache. J'ai vu des documents américains et britanniques sur Basovizza. Dès qu'elles ont pris le contrôle de Trieste, après le 12 juin 1945, les forces politiques italiennes ont exhorté les alliés à mener une exploration de la foiba (…).. Dans le gouffre, on a retrouvé les restes de 150 personnes, tous des soldats allemands et un civil, ainsi que des cadavres de chevaux Il semble que même les fascistes et les nazis y aient jeté les corps de leurs adversaires pour s'en débarrasser. »

 

Les historiens critiques voient les conséquences de ce qui pour eux est une réécriture de l’histoire :

 

« Dernièrement, une tendance historiographique remet en question la relation de cause à effet dans l’histoire. Les faits historiques ont certes une évolution plus complexe que les procédés chimiques ou mécaniques, mais le fascisme et la guerre ont déterminé les événements de la frontière orientale à un point tel qu'il est impossible de penser qu'ils n'auraient eu aucune conséquence en 1945… »

 

L’exode fut largement volontaire selon ces historiens critiques,et sans comparaison avec le sort d’autres populations à la fin de la seconde guerre :

« Les Allemands ont été expulsés de Tchécoslovaquie avec les dispositions du président Edvard Beneš bien avant le coup d'État communiste de 1948, tandis qu'aucune mesure d'expulsion ne concernait la minorité italienne en Yougoslavie.

Les "expulsés" allemands varient, selon les médias, de cinq à vingt millions, avec une hypothèse sur le nombre de victimes [morts] fixée à environ deux millions et demi (…) Dans le cas italien, le nombre d'exilés varie de deux cent mille à 350 000, chiffre cité dans la plupart des cas, alors que les estimations des "infoibati" varient selon les cas de quelques centaines (…) à plusieurs milliers »

« Nicoletta Bourbaki. Nous parlons de l'exode des territoires cédés par l'Italie vers la Yougoslavie à la fin de la seconde guerre mondiale. Le nombre de réfugiés est nébuleux et la clarté n'est pas complète, même sur la périodisation. Pourquoi?

Sandi Volk. Parce que les chiffres ont servi à l'État italien lors de la conférence de paix, comme preuve de l'attachement de la population à l'Italie, ce sont des chiffres peu fiables (…)

[S. Volk fait un décompte à partir de diverses sources] Le résultat est 152 694 personnes.(...)

Au contraire, comme le montre ce qui se passait en Italie, l’arrivée des anglo-américains aurait garanti à l’élite italienne d’Istrie le maintien de son rôle social et politique.

Même les démocrates-chrétiens de Trieste se sont engagés à installer le plus grand nombre possible de réfugiés d'Istrie à Trieste, afin de renforcer le nombre des partisans du retour de la ville à l’Italie. »

 

Sur les brimades pour obliger les Italiens à partir :

« …les autorités fédérales yougoslaves étaient résolument contre de telles pratiques et sont intervenues à plusieurs reprises ».

L’exode représentait d’ailleurs une continuité, un mouvement explicable par des raisons économiques :

« Le géographe Gianfranco Battisti a décrit l’exode comme l’intensification d’un processus déjà en cours de déplacement des Italiens (…°) de la frontière orientale vers l’intérieur de l’Italie, vers le "triangle industriel".

Mais évidemment nous préférons tout réduire à un "départ des Italiens pour rester Italien". C’est une explication politique qui n’explique rien, qui est symétrique à celle donnée par la Yougoslave selon laquelle ceux qui sont partis étaient tous fascistes ou des "exploiteurs du peuple".

NB. L'anthropologue Pamela Ballinger compare les exilés d'Istrie à ceux de Cuba, sur le plan idéologique, sur l'utilisation politique des réfugiés à Miami ...

SV. Je pense que la comparaison peut être plausible, même si je les vois personnellement plus semblables aux pieds noirs, les colons français qui ont émigré après l’indépendance algérienne. Les dirigeants et les organisations des anciens colons français ont souvent utilisé des arguments racistes contre les Algériens, (…) arguments similaires à ceux utilisés par les organisations en exil contre les "Slaves". »

 

Les articles soulignent (avec le langage adéquat de la réflexion intellectuelle) le danger de poser une équivalence entre la Shoah et les massacres des foibe :

« Au-delà de l'orientation politique différente des deux gouvernements [à l‘origine des deux lois commémoratives de 2000 sur la Shoah et 2004 sur les massacres des foibe et l’exode], il existe d'autres éléments indiquant une sorte de complémentarité entre les deux dates, tendance qui semble s’accorder avec la condamnation de l'Union européenne* des totalitarismes opposés, facteur que certains auteurs indiquent être à la base de la crise du paradigme antifasciste au niveau continental. »

 

                                                          * Doit faire allusion à la Journée européenne du souvenir : « La Journée européenne du souvenir, appelée auparavant Journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme et aussi connue sous le nom de jour du Ruban noir ou un autre nom dans quelques pays, désigne la journée du 23 août que le Parlement européen a proclamée en 2009 pour conserver le souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires. Elle est célébrée par les organes de l'Union européenne depuis 2009 » (Wikipedia, art. Journée européenne du souvenir). On notera que cette journée, célébrée notamment dans l’Europe de l’est, dans les pays baltes, ne constitue pas un jour de célébration particulière en France.

 

 

Dans un autre texte du groupe Bourbaki, par questions- réponses, celui -ci interroge un auteur de Trieste, Lorenzo Filipaz. Voici quelques extraits :

-         Mais, l’exode fut une fuite pour échapper aux foibe ?.

-         Non, l’exode fut un phénomène d’après-guerre, un écoulement qui dura plus de dix ans et pas une fuite désordonnée. Les seuls à fuir d’Istrie en temps de guerre par peur de finir infoibati furent les facistes et les personnes compromises avec l’appareil d’état fasciste.

 

-         (sur le nombre de victimes) La question du nombre est-elle tellement importante ?

-         Estimer les victimes en dizaines de milliers sert à soutenir le faux historique du « nettoyage ethnique ».

 

-         Mais le régime yougoslave ne voulait-il pas se débarrasser des Italiens ? même Gilas (le bras-droit de Tito) l’a admis.

-         L’argument de Gilas est un canular (bufala) (...) Il est démontré que Gilas n’était pas en Istrie à l’époque. Kardelj [autre responsable yougoslave] y fut en effet envoyé, mais avec un but diamétralement opposé : convaincre les Italiens de rester.

 

Le même auteur insiste sur l’interpénétration des cultures en Istrie:

“ Pour donner quelques exemples, le héros de la résistance croate, Joakim Rakovac, tué par les Nazis en 45 et considéré comme infoibatore [responsable de massacres par les foibe] par la vulgate néo-irredentiste [il donne ce nom aux mouvements d’exilés, nostalgiques des anciens territoires italiens en Adriatique] était enregistré à l’état-civil italien  comme Gioacchino Racozzi. Certains auteurs attribuent la responsabilité des foibe, parmi d’autres, à Giusto Massarotto et Benito Turcinovich, clairement Italiens. Par contre, le “père” des exilés, Flaminio Rocchi*, avait comme nom de naissance Anton Sokolic. Ce qui fait comprendre comment la nationalité, dans ces territoires, fut fréquemment  le résultat d’un choix, dans beaucoup de cas politique.”

https://www.wumingfoundation.com/giap/2015/02/foibe-o-esodo-frequently-asked-questions-per-il-giornodelricordo/

                                                                                                                          * Le père franciscain Flaminio Rocchi combattit les Allemands notamment en Corse avec les Alliés et les partisans. Il se dévoua par la suite aux exilés juliano-dalmates et recueillit un grand nombre de témoignages sur les foibe. Auteur d'un livre qui évoquait, dans son titre même, le nombre de 350 000 réfugiés. Mort en 2003.

 

 

 

LES POINTS D’OPPOSITION AVEC LE DISCOURS DOMINANT

 

 

On peut constater que sur beaucoup de points, les historiens critiques sont d‘accord avec les historiens mainstream ou même avec le discours officiel : identité complexe des populations  dans les provinces adriatiques, contexte d’oppression et de violence du régime fasciste à l’égard des autres communautés présentes. Le nombre des victimes des massacres ou de l’exode n’est pas fondamentalement différent (sauf exception).

D’ailleurs, certains historiens critiques sont par exemple, cités dans la bibliographie du Vademecum, exprssion du courant historique dominant : Jože Pirjevec, Sandi Volk (mais pas Alessandra Kersevan ou  Claudia Cernigoi).

 

Alors où est la différence ?

 

Sur les chiffres, les historiens critiques paraissent attribuer à leurs adversaires, selon un procédé bien connu, des positions maximalistes invraisemblables pour pouvoir les dénoncer (des chiffres invraisemblables sont parfois cités, mais par des politiciens et non par des historiens du courant dominant).

 

La différence est aussi dans l’explication des violences. Pour les historiens mainstream, les victimes étaient, généralement, des personnes innocentes (postiers, employés municipaux etc), souvent visés comme « Italiens ». Pour les historiens critiques, les victimes, généralement, étaient des acteurs de la répression « nazi-fasciste ».

Elle réside aussi dans explication de l’exode : effet de la politique délibérée de brimade et de violence yougoslave pour les uns, alors que les autres nient cette politique et y voient une multiplicité de facteurs imputables au choix des seuls exilés (refus idéologique du socialisme, recherche du bien-être à l’ouest, refus des classes privilégiées de perdre leur position).

Par ailleurs, l’attitude des historiens critiques semble sophistique lorsqu’ils s’indignent que l’Etat italien, en instituant une Journée du souvenir des Italiens massacrés ou obligés de quitter leurs foyers, paraisse ignorer les souffrances des autres populations (alors que celles-ci sont rappelées notamment dans diverses interventions des officiels et dans les travaux des historiens). Un pays cherche généralement à honorer le souvenir de ses propres ressortissants.

Les historiens critiques se saisissent de toutes les obscurités ou contradictions des sources historiques pour créer le doute ou carrément rejeter la version admise par les historiens officiels, qui est alors assimilée à une falsification historique.

Nous revenons ici sur la figure devenue emblématique de Norma Cossetto, longuement examinée par le groupe Bourbaki.

 

 Red_Land_(Rosso_Istria)

Le film Red Land (Rosso Istria), dirigé, scénarisé et produit par Maximiliano Hernando Bruno, 2018, relate les derniers jours de Norma Cossetto en septembre-octobre 1943. Ici, Norma Cossetto (jouée par Selene Gandini) est emmenée par les partisans avec d'autres prisonniers.

Wikipedia.

 

 

 

VIOL ET POLITIQUE

 

 

Selon la version officielle ou canonique, Norma Cossetto fut torturée et violée avant d’être jetée dans la foiba de Surani, à Antignana. Des détails horribles sont également mentionnés.

Dans une série d’articles intitulés Gli incontrollati fantasy su Norma Cossetto (les fantaisies non vérifiées sur Norma Cossetto) le groupe Bourbaki, à la suite de Claudia Cernigoi, doute du viol pour des raisons presque théoriques:

« Même le viol, dont on veut démontrer l’évidence par des détails toujours plus explicites, présente une signification particulière.

En fait, sur toutes les femmes (ou le peu de femmes) retrouvées dans les foibe, y compris les deux exhumées à Surani [comme Norma Cossetto] Ada Riosa et Maria Valenti – la violence sexuelle fut systématiquement présumée, comme s’il s’agissait là d’un détail plus grave pour une femme que la mort elle-même.

Il ne faut pas oublier que le nationalisme est essentiellement un discours masculin / patriarcal, dans lequel les femmes sont une propriété de la patrie et leur rôle principal est la reproduction de la lignée.  La violation de cette fonction "sacrée" représente le degré maximum de défiguration (deturpamento) de l'ennemi dans le symbolisme revanchiste*.  Nous avons traité de cet usage politique du viol par le pouvoir patriarcal ici [le texte renvoie à un autre article du groupe Bourbaki] »

.                                 * On suppose que "revanchiste" désigne le fascisme, vaincu en 1945, qui cherche sa revanche. Tout ce développement typique de la phraséologie et de la pensée propre à l'extrême-gauche mériterait une analyse serrée.

 

On peut donc voir comment est construite l’argumentation du groupe Bourbaki : lorsqu’il est question de viol, il est renvoyé non à un fait plus ou moins démontré, mais à un discours, présenté comme caractéristique du nationalisme “patriarcal”. Les faits n’existent ici qu’à travers des constructions langagières, du moins c’est ce que le groupe Bourbaki veut démontrer.

On pourrait s’étonner que le groupe Bourbaki, apparemment féministe, semble écarter a priori toute accusation de viol, considérée d’emblée comme suspecte.

 

Pour comprendre, peut-être faut-il se reporter à son article de 2017 (qui est justement cité en référence de Gli incontrollati fantasy su Norma Cossetto). Cet article s’intitule Storia di una foto (e di un video). Forza e limiti dell’antifascismo di fronte alla cultura dello stupro (Histoire d’une photo et d’une vidéo ; force et limites de l’antifascisme face à la culture du viol) https://www.wumingfoundation.com/giap/2017/12/cultura-dello-stupro/ ]

Dans cet article, le groupe examine les attitudes des fascistes et antifascistes en face du viol, dans l’histoire et actuellement. La culture du viol est évidemment fasciste, ce qui n’empêche pas les « fascistes » actuels de se servir de l’accusation de viol vis-à-vis des populations immigrées.

A l’opposé, les partisans (antifascistes) durant la guerre et les militants révolutionnaires en tout temps ont (généralement) une attitude exemplaire, conforme à leur éthique; ils ne violent pas et ne torturent pas. Tout au plus et quand il le faut, ils punissent les coupables.

Que la réalité puisse différer de la théorie qui fait de tout combattant « prolétarien » un militant hautement conscient et moral n’effleure pas le groupe Bourbaki, qui réserve son esprit critique à ses adversaires.

 

Le groupe distingue les prétendus viols des autres et précise : « Nous employons les mots "prétendu viol", non pas de la manière pseudo-précautionneuse méprisable qui impose aux femmes victimes de violences sexuelles le fardeau de la preuve », mais lorsqu’on est en présence, non d’une femme qui dénonce le viol qu’elle a subi, mais d’hommes qui utilisent les récits de viols pour inciter à la haine et manipuler l’histoire individuelle et collective.

 

Selon Bourbaki, pour les médias (italiens) le viol n’est vraiment intéressant que s’il permet de faire apparaître comme ingrédients « l’immigration incontrôlée », « le danger islamiste » ou « l’attitude radicale chic des buonisti » (buonisti = ce qu’on appelle en France le camp du bien, ou les bobos). L’article évoque une histoire qui a fait les gros titres il y a quelques années : une jeune fille de Parme, Claudia, fut violée par des jeunes gens de la mouvance antifasciste qu’elle fréquentait ; ils ont filmé l’agression avec un telefonino (portable). Ensuite, la victime a été harcelée par des antifascistes lui reprochant d’avoir dénoncé ses violeurs (ce qu’elle n’a pas fait spontanément, mais plus tard, à la suite d’une enquête de police sur une autre affaire*). L’affaire a abouti à la condamnation des coupables (et à la fermeture du local antifasciste, où semble avoir eu lieu le viol).

                                                                                                         * Cette affaire concernait une bombe placée devant le local du mouvement néo-fasciste Casa Pound, pour laquelle les antifascistes étaient suspectés.

 

Ce fait-divers a permis aux ennemis de l’antifascisme de dénoncer l’hypocrisie du camp du bien.

Le groupe Bourbaki affiche ici une position vertueuse sans concession, mais un peu facile :

 «  Si le mot antifascisme a un sens - et pour nous il l’a -, personne dans cette histoire [du viol de Claudia] n’a jamais été antifasciste: les condamnés ne sont pas des antifascistes , et ne sont pas des antifascistes ceux qui les ont couverts ou ont voulu ignorer les faits, en laissant Claudia seule. »

Dans son message, Bourbaki reproduit aussi un tract anarchiste: “Uno stupro è sempre e comunque un atto fascista, anche se chi lo commette si dichiara antifascista (...)“ (un viol est toujours et partout un acte fasciste même si celui qui le commet se déclare antifasciste. Quiconque viole est fasciste et nous le combattons comme fasciste et comme violeur).

 

Nous pouvons donc revenir, après ce détour, au cas de Norma Cossetto et comprendre la position défendue par Bourbaki : le viol de Norma Cossetto répond au “paradigme” (mot savant pour concept, modèle, comme on aime à le dire dans certains milieux intellectuels) d’une invention fasciste destinée à “défigurer”, à salir l’ennemi politique

Nous caricaturons à peine une position, qui comme souvent avec certains milieux d’extrême-gauche, est complètement hermétique à tout ce qui ne colle pas avec sa vision du monde.

Le groupe Bourbaki ajoute qu’il n’existe aucun témoin, même anonyme, des actes sadiques - outre le viol - qui auraient été commis sur Norma Cossetto. D’ailleurs là encore il s’agit selon lui non de faits, mais de lieux communs, d’éléments de langage : ces “ dettagli truculenti erano comuni nelle dicerie dell’epoca” (ces détails sanguinolents [truculenti - faut-il traduire par croustillants ?] étaient communs dans les récits de l’époque).

Il cite comme un exemple de récit sanguinolent, comme si cela suffisait à démontrer la fausseté des faits (qu’on peut certes questionner mais pas écarter par principe), le cas d’une autre victime des foibe de 1943, le prêtre don Angelo Tarticchio, “del quale si diceva fosse stato evirato e i genitali gli fossero stati inseriti in bocca” (est-ce utile de traduire ?).

 

Par contre, à notre connaissance, le groupe Bourbaki ne fait pas mention des trois soeurs Radecchi, autres victimes célèbres des massacres de 1943 (âgées de 17, 19 et 21 ans). C’étaient  des ouvrières à qui on ne pouvait guère reprocher que de discuter, après leur travail, avec des militaires italiens casernés à proximité - qui étaient pour elles des compatriotes et pas forcément fascistes. Elles furent arrêtées par les partisans. On dit qu’elles ont été violées. Ce qui est certain, c’est qu’elles furent jetées avec 23 autres personnes, toutes de condition modeste (dont un antifasciste connu qui aurait été victime d’une vengeance), dans une foiba (à Terli, Istrie). Les corps furent extraits à partir d’octobre 1943 par la brigade des pompiers de Pola dirigée par Arnoldo Harzerich.

Il existe à Rome une rue des soeurs Radecchi. Le nom de Norma Cossetto a été donné à des rues, notamment à Gorizia, Narni, Bolzano depuis plusieurs annés. En février 2019 la même décision fut prise à Padoue (sur décision du conseil municipal de centre-gauche)  et à Florence par vote unanime du conseil municipal (il y avait déjà une rue mais une artère plus centrale portera le nom de Norma Cossetto).  La ville de Venise a aussi décidé de donner son nom à une rue ou une place de Mestre (qui dépend de la municipalité de Venise - on suppose qu’à Venise même il n’est pas envisagé de modifier les noms historiques des rues) en même temps qu'à sept autres femmes dont Marie Curie et Edith Stein (juive convertie au catholicisme,  morte à Auschwitz).

  

Le groupe Bourbaki a réservé aussi ses critiques au film Rosso Istria* (ou Red Land) sorti en 2018, qui raconte l’histoire de Norma Cossetto (Gli incontrollati fantasy su Norma Cossetto, 1a parte Una kolossale foiba nell’acqua: il film Rosso Istria

https://www.wumingfoundation.com/giap/2019/01/fantasy-norma-cossetto-1-red-land/).

                                                                           * Istrie rouge (en raison de la présence de bauxite, mais le titre a aussi une “coloration” politique. On a dit que Istria Rossa était le titre que Norma Cossetto voulait donner à la thèse qu’elle préparait, mais ce point a été contesté – notamment par les historiens critiques.

 

Le film est qualifié de film de série B sinon de navet par le groupe Bourbaki qui  ajoute que c’est le premier film italien depuis 1942 dans lequel les troupes nazies arrivent pour sauver la situation et faire justice : en effet, historiquement, les massacres des foibe de septembre-début octobre 1943 furent arrêtés par l’occupation allemande de l’Istrie, et plusieurs personnes coupables ou soi-disant coupables des massacres furent fusillées par les Allemands (notamment des personnes accusées du meurtre de Norma Cossetto)*. L’occupation des Allemands fut marquée par de nombreuses violences y compris contre la population italienne – mais les crimes des uns n’excusent pas ceux des autres.

                                     * Dans un récit mélodramatique, il est dit que 6 accusés furent obligés par les Allemands de passer la nuit précédant leur exécution enfermés dans la chapelle où se trouvait le corps de Norma Cossetto en attente de son enterrement, et qu'au matin,  trois des hommes étaient devenus fous.

                          

 

D’autres polémiques, notamment sur la célébration du Jour du Souvenir 2019, seront abordées dans la troisième partie, ainsi que, malgré tout, quelques ouvertures encourageantes.

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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