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Le comte Lanza vous salue bien
9 juin 2019

JULES VERNE, LA CORSE ET LES NATIONALITES TROISIEME PARTIE

JULES VERNE, LA CORSE

ET LES NATIONALITÉS

TROISIÈME PARTIE

 

 

 

 

 [ Nous utilisons dans ce message des photos trouvées sur internet, que nous créditons. En cas de contestation, nous les supprimerons à la première demande des ayant-droit ]

 

 

 

 

 

LES NOTICES PAR DÉPARTEMENT DE JULES VERNE

 

 

 

 

Les notices par département établies par Jules Verne pour la Géographie illustrée, apportent un éclairage sur la perception de la diversité ethnique et linguistique de la France à la fin du Second empire.

 Les notices sont divisées en plusieurs rubriques : Situation. — Limites. — Aspect général, .Hydrographie, Climat., Superficie. — Population, Agriculture, Mines. — Carrières, Industrie. — Commerce, Histoire, Hommes célèbres, Divisions administratives ( dont "l'administration religieuse" et l'instruction publique), etc

J’ai pensé utile pour le lecteur de reproduire en annexe l'intégralité de la rubrique Population des départements cités dans mon étude.(sans la partie Superficie ou les éléments statistiques).

Les notices comportent  un abrégé historique, non reproduit, qu'il serait intéressant d'étudier dans le détail, notamment en ce qui concerne les indications relatives à l'intégration à la France du territoire concerné. Dans quelques cas, les indications paraissent plutôt fantaisistes ou le récit des événements exagérément condensé. 

 Nous ne reproduisons, à titre d'exemple, en annexe, que 2 notices historiques : celle relative à la Corse et elle relative au Haut-Rhin.

.

 

Géographie_illustrée_de_la_France_[___]Verne_Jules_bpt6k6567060h_JPEG (3)

 Page de titre de la Géographie illustrée, édition Hetzel, 1867-68.

Site Gallica

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

 

 

 

 

LANGUES ET ETHNIES DU SUD DE LA FRANCE

 

 Géographie_illustrée_de_la_France_[___]Verne_Jules_bpt6k6567060h_JPEG (2)

 Vue de Marseille (entrée du Vieux Port), extraite de la Géographie illustrée.

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

 

On a déjà dit que l’usage des langues régionales y est noté sans commentaire défavorable.

Au plus, Jules Verne constate que l’usage des langues est en régression, particulièrement dans les villes.

 

Ainsi dans la notice du Vaucluse :

« On parle français dans toutes les villes du département, et les campagnards ont conservé une sorte de patois expressif, vif, énergique, différent du languedocien et du provençal, et qui doit avoir une très-ancienne origine. »

 

Dans la notice sur l’Hérault :

« La langue française se popularise de plus en plus dans les campagnes, et elle finira par absorber un charmant patois qui se parle aux environs de Montpellier, et dont l'accent et la tournure sont empreints d'une grâce toute italienne.

 

Pour la Haute-Garonne :

«  La langue française est parlée dans toutes les villes du département. Le patois qui forme le fond du langage des campagnes est vif, gracieux, et suivant la région où on l'emploie, il participe de l'idiome béarnais ou de l'idiome languedocien.»

 

J. Verne ne semble pas avoir d’idée préconçue sur les « « patois » du midi et il ne semble pas lui venir à l’esprit qu’il s’agit d’une langue -ou des variantes – d’une seule langue, la langue d’oc.

Assez curieusement il est plus élogieux pour la langue parlée dans les départements de l’ancien Languedoc (actuelle région Occitanie (fusion des anciennes régions  Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées) que pour l’ancienne Provence (à l’exception du Vaucluse) et le comté de Nice (région Provence-Alpes-Côte d’Azur).

 

On a déjà cité (seconde partie) son appréciation sur le provençal  (notice sur le Var) qui souligne le caractère « mélangé » de la langue :

«  L'idiome employé dans les campagnes du département du Var est le provençal ou langue romane, qui est la langue celtique modifiée par l'apport des Romains et de tous les barbares qui occupèrent le pays, c'est-à-dire que les locutions mauresques, aragonaises, italiennes ou espagnoles y apparaissent fréquemment. »

De même que sa curieuse appréciation de la langue utilisée dans les Bouches-du-Rhône :

«  Mélange de populations les plus diverses, leur langue est celle de tous les ports de la Méditerranée ».

 

Ces appréciations sont d’autant plus surprenantes que depuis la parution de Mireille/Mirèio de Frédéric Mistral (1859) le provençal jouit dans d’une renommée plutôt favorable auprès des milieux critiques et du public (admiration de Lamartine,  éloge de Villemain, critique et académcien, ancien ministre de l'instruction publique sous Louis-Philippe, opéra de Gounod d’après le livre de Mistral en 1863, etc).

 

Pour les Alpes-Maritimes, J. Verne décrit ainsi le langage utilisé par la population :

«  Le langage est un patois mi-provençal, mi-italien ». Même si l’observation qui suit : « L'instruction est peu répandue et la superstition encore très-grande dans les campagnes » n’a pas forcément de lien logique avec le langage utilisé, la juxtaposition des deux ne donne pas un ensemble très élogieux. Ce langage qui se rapproche de l'italien est le nissard, pourtant considéré par les spécialistes comme une branche de la langue d'oc ou occitan.

 

On ne voit pas bien pourquoi ce qui est charmant dans l’Hérault (grâce toute italienne) est sèchement décrit pour les Alpes-Maritimes, acquisition récente de la France.

 

Faut-il y voir une légère touche d’opposition politique ? L’acquisition de la Savoie et de Nice en 1860 (votée par plébiscite) était mise en valeur par l’empire et ses défenseurs comme une réussite du régime. Or la Géographie illustrée est publiée par Hetzel, qui fait partie (sans virulence) de l’opposition à l’empire (il avait un moment été exilé après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte de 1851). Jules Verne semble avoir toujours été sceptique envers le Second empire (sans pour autant être un opposant farouche).

 

En ce qui concerne les Alpins, J. Verne note pour les Basses-Alpes (nos actuelles Alpes de Haute-Provence) :

« Les habitants des villes parlent français, mais le langage général est le provençal. »

 

Par contre, pour les Hautes-Alpes, la notice atteint la plus haute fantaisie :

«  La population de cette triste contrée paraît être plus particulièrement d'origine sarrasine; on y parle un patois bizarre, mélangé de celte, de grec, de latin, d'italien et de français ».

 


 De la même façon, Jules Verne ne considère pas que les habitants des départements du midi font partie d’une seule ethnie. Les habitants qui sont à gauche du Rhône (en regardant la carte) sont décrits plus favorablement que ceux qui sont à droite, en distinguant les habitants des villes et ceux des campagnes :

 

 

HÉRAULT

 

« Les habitants des villes du département sont intelligents, actifs, industrieux, francs, probes, amis des exercices du corps et des beaux-arts, de la musique particulièrement (…) Les habitants des campagnes se distinguent par une certaine rudesse, une défiance, une ignorance superstitieuse qui tend à s'effacer chaque jour; mais ils sont toujours vindicatifs, et leurs passions les entraînent souvent à de regrettables excès.»

 

GARD

 


« Les habitants du Gard sont laborieux, actifs, entreprenants, spéculateurs, avec un goût vif pour les arts, une imagination ardente, une grande aptitude pour les sciences, mais une humeur assez irascible (…)»

 

 

HAUTE-GARONNE

 
« Les caractères principaux des habitants de la Haute-Garonne sont une aptitude remarquable pour les sciences et les arts, un esprit juste, beaucoup de pénétration et de sens, une conception vive servie par cette remarquable élocution propre aux populations méridionales. Cette population est brave, ambi-tieuse et amoureuse des distinctions et des honneurs plus encore que des richesses; d'ailleurs simple dans ses goûts, pure dans ses mœurs (…) Sur la frontière française, le montagnard est tant soit peu contrebandier de sa nature, adroit, déterminé, vif, irritable et difficile à réduire; mais qui s'est fié à lui n'a jamais eu à s'en repentir. »



S’agissant des départements de la rive gauche du Rhône (en se situant dans le sens du courant, donc à droite sur la carte) formant la Provence (qui à l’époque de J. Verne ne désigne plus une division administrative en vigueur),  on a déjà cité l’appréciation favorable sur les habitants du Vaucluse :

 

VAUCLUSE

 

«  Les populations du département appartiennent à une race véritablement belle; l'agilité et la souplesse, unies à la grâce, l'animation des traits, l'expression de la physionomie, forment ses caractères distinctifs (…) il [le Vauclusien] est honnête, probe, très-sûr dans ses relations, très-ferme dans ses idées, trop passionné parfois, et il aime avec la même exagération qu'il hait. (…)

Peut-être, dans les campagnes pousse-t-il à l'excès l'économie domestique; cependant, il aime à briller et recherche le luxe… et il se fait remarquer par une grande ardeur pour les plaisirs. »

 

VAR

 

Géo toulonJPEG (2)

Vues de Hyères et  de Toulon, dans la Géographie illustrée.

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

Appréciation proche pour les Varois -dont on se demande pourquoi ils sont considérés par J. Verne comme « La transition entre les peuples du Nord et ceux du Midi », mais la violence (typiquement méridionale, selon un vieux « cliché ») paraît prédominer  :

 

«  La population du Var, comprise dans la race provençale, forme la transition entre les peuples du Nord et ceux du Midi; ses caractères généraux sont l'exagération, l'inflammabilité, l'ardeur, la finesse de l'esprit, la franchise, la bravoure, et la vivacité de l'imagination qui l'emporte parfois sur la droiture du jugement.

Dans les campagnes il faut distinguer entre l'habitant des plaines et celui des montagnes.

L'habitant des plaines et du littoral est violent, mais attaché à sa famille et à son foyer domestique, sobre, laborieux, hospitalier et charitable. Dans les montagnes, où le sol est ingrat, le pays pauvre, le paysan émigre volontiers pendant quelques mois pour chercher du travail, et il ne revient dans ses montagnes
qu'à l'époque des moissons et de l'ensemencement des terres. »

 

BOUCHES-DU- RHÔNE

 

 

Géogr marseille 2 (2)

 Marseille, basilique Notre-Dame de la Garde, dans la Géographie illustrée.

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

 

La tonalité est encore moins favorable pour les habitants des Bouches-du-Rhône, même si des qualités sont notées -dont l’imagination et l’esprit commerçant :

 

 « Les habitants des Bouches-du-Rhône sont généralement de taille moyenne et alertes de corps; leur physionomie est mobile, leur caractère inflammable ; ils sont sensuels, et cependant facilement sobres, ardents au gain, joueurs, amateurs de la danse et des exercices violents. L'imagination chez eux est la faculté dominante. Mélange de populations les plus diverses…Obligés de demander au commerce la richesse que le sol leur refuse, ils se sont faits cosmopolites.»

 

Les départements alpins ont droit à des descriptions plutôt négatives malgré quelques éloges:

 

 

BASSES-ALPES (actuellement ALPES de HAUTE-PROVENCE)

 

 « La population qui persiste [J. Verne vient de dire qu’il s’agit d‘un département pauvre dont la population a tendance à émigrer] est naturellement vigoureuse et attachée aux lieux qui l'ont vue naître.  (…). La vie pastorale est générale dans certaines parties, et le costume y a conservé ses particularités. Ainsi, les hommes sont encore vêtus d'une longue casaque, couverts d'un large chapeau et chaussés de souliers dont l'épaisse semelle, garnie de clous énormes, les aide dans leur marche pénible.  (…) Les cultivateurs des Basses-Alpes ont conservé presque partout leurs habitudes routinières … ».

 

 

 

Géo digneEG (2)

Vues de Digne et de Sisteron dans la Géographie illustrée.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h/f71.item

 

 

 

 HAUTES-ALPES

 

 

 « L'oisiveté forcée des longs hivers de ce pays y produit des émigrations plus considérables que dans les départements voisins.  (…).
Les habitants des Hautes-Alpes sont énergiques, mais rebelles aux progrès. Les vieux usages ont encore toute leur puissance chez eux. Cette observation ne s'applique pas aux habitants des villes, dont les mœurs et le costume ne diffèrent en rien de ceux des autres parties de la France; mais dans un département où la vie pastorale domine, il ne faut pas s'étonner d'y voir persister l'ignorance.

Les costumes anciens sont encore de mise (…)

La misère est extrême dans certaines parties de ce pays (…). Leurs demeures sont des masures où la lumière pénètre à peine à travers un papier huilé. Cependant l'hospitalité y est pratiquée avec empressement. »

 

 

LES ACQUISTIONS RÉCENTES : SAVOIE ET HAUTE-SAVOIE, ALPES-MARITIMES

 

LES DEUX SAVOIE

Les deux départements formés après l’acquisition de la Savoie ne donnent lieu à aucune description linguistique (il y avait pourtant matière à signaler l’existence du franco-provençal ou arpitan). Comme pour leurs voisins des départements alpins, la description (sommaire) insiste sur l’émigration des habitants :

 

«  L'émigration enlève chaque année une partie de la population pauvre de la Savoie, qui va exercer divers métiers ambulants sur tous les points de la France. » (notice « Haute-Savoie, classée alphabétiquement à « Savoie-haute »)  et « L'émigration enlève chaque année une partie de la population pauvre de la Savoie et la disperse sur les divers points de la France ; les Savoyards exercent surtout des métiers ambulants; ils se font colporteurs, rémouleurs, ramoneurs, fumistes, domestiques quelquefois ; ils vivent sobrement, et économisent afin de revenir au pays natal qui a pour eux une irrésistible attraction. » (notice Savoie).

 

LES ALPES-MARITIMES

 

« Les habitants de ce département ont les mêmes habitudes que ceux des départements des Hautes et Basses-Alpes. Bornés dans leurs désirs et leurs besoins, ils préfèrent la vie pastorale aux efforts et aux fatigues d'un travail quelconque ; le paysan ne donne au propriétaire que l'excédant des fruits de la terre ; aussi le propriétaire est-il toujours lésé. L'annexion a déjà modifié cet état de choses en commençant à établir le loyer fixe; mais c'est une véritable révolution à introduire dans les mœurs agricoles de la contrée. »

On a vu plus haut ce que disait J. Verne du langage mi-provençal mi-italien des habitants.

Les acquisitions du Second Empire ne sont vraiment valorisées qu’en ce qui concerne les paysages :

« Là se dresse le Mont-Blanc, la plus haute montagne de l'Europe, dont on peut embrasser le magnifique aspect du sommet du Mont-Brévent, situé au-dessus du prieuré de Chamonix; mais le voyageur assez audacieux pour at- teindre la cime du géant, jouit d'un spectacle qui défie toute description. En effet, il embrasse l'immense panorama de montagnes qui constitue le département de la Haute-Savoie (…) incomparable spectacle, et l'un des plus grandioses que la nature puisse offrir aux regards de l'homme. »

 

Il en va de même, dans un autre registre, pour les paysages des Alpes-Maritimes, où la description admirative associe les sites qui se trouvent en France à ceux de la riviera italienne et à Monaco,  le long de "cette admirable Méditerranée" :

«  De Nice part une route admirable, célèbre dans le monde entier sous le nom de route de la Corniche; elle longe le littoral jusqu'à Gênes, en suivant la crête des rochers qui dominent la mer; elle est belle partout, mais la partie comprise entre Menton et Nice défie toute description ; à chaque coude de cette capricieuse voie, les aspects se modifient, les points de vue changent, les sites les plus inattendus apparaissent brusquement, tantôt des gorges d'une indicible beauté (…), tantôt des villages perchés comme Ezza [Eze] sur des rocs inaccessibles, ou de vieilles villes pittoresques comme Monaco, Vintimille, Roquebrune, puis des anses, des golfes, des ports, et cette admirable Méditerranée, dont l'azur resplendit jusqu'aux lointaines limites de l'horizon. »

 

 

 

 

 

QUALITÉS ET DÉFAUTS DES BRETONS

 

 

 

Comme on l’a dit en seconde partie, le Celte Jules Verne est généralement élogieux dans ses descriptions du caractère breton, des coutumes et de la langue bretonnes. Mais il note quelques aspects négatifs (superstition, manque d’imagination, inadaptation à l’évolution). Les qualités morales indéniables des Bretons ne s’accompagnent pas des qualités qui permettent le progrès de la civilisation ; or, il est clair que J. Verne croit au progrès.

 

Selon les départements, les défauts sont plus ou moins accentués.

 

 

 ILLE-ET-VILAINE

 

« Les habitants d'Ille-et-Vilaine ont toutes ces vertus communes aux habitants de la Bretagne, la franchise, la bravoure, la constance dans les affections, la fidélité dans les engagements, l'amour du sol natal; mais comme eux, ils n'ont ni l'esprit industriel, ni de penchant au commerce et à la spéculation ; leurs besoins sont généralement restreints, leur vie pure et tranquille (….)

Dans les campagnes, le paysan est resté superstitieux et il a gardé en partie son costume traditionnel.

Le patois du département se parle principalement sur les côtes, où il est mêlé de mots celtiques. »

 

 J. Verne note que les habitants d’Ille-et-Vilaine, bien qu’indubitablement Bretons, ne parlent pas le breton mais un  patois, mêlé sur les côtes de mots celtiques ; il ne précise pas qu’il s’agit du  gallo, dialecte (ou langue ?) roman, de la famille des langues d’oÏl, mais il est probable qu’à l’époque de J. Verne l‘expression gallo était presqu’inemployée.

  

FINISTÈRE

 

 

« Les habitants du Finistère, rudes de ton et de manières, sont pourtant bons, hospitaliers, pleins de franchise, très-sensibles aux prévenances, très-entêtés dans leurs déterminations et aussi dans leurs préjugés ; ils font d'excellents soldats, et des marins habiles et courageux. Leur race est belle, vigoureuse, solidement constituée dans les pays fertiles, sur les côtes de Léon et de Plougastel, mais plus chétive dans les montagnes et au milieu des landes arides.

 Les Bretons portent toujours la vaste culotte et les sabots…, le chapeau à larges bords et les cheveux longs tombant sur les épaules.

(…). La majorité des habitants parle le bas-breton. »

 

 Géographie finistereG (2)

 Vues de Paimpol et de Brest dans la Géographie illustrée.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

MORBIHAN

 

  

« L'habitant du Morbihan a de grandes vertus domestiques, qui sont l'extrême pureté des mœurs, la probité, la compassion pour les malheurs d'autrui, et la résignation dans ses propres infortunes, poussée jusqu'au stoïcisme; son jugement est droit, son bon sens est reconnu, mais il n'a ni esprit naturel, ni imagination vive (…)  une extrême indécision, quand il s'agit de prendre un parti dans ses propres affaires (…) dans les villes, l'ancienne originalité bretonne s'efface de jour en jour.

 (…) les campagnes ont conservé l'usage du Bas-breton, langue primitive, qui s'est encore conservée dans toute sa pureté celtique. »

 

 Géographie_morbihanEG (2)

 Vue de Vannes dans la Géographie illustrée.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h

 

 

 

 

 CÔTES DU NORD (actuellement CÔTES D'ARMOR)

 

 

« L'originalité de la race bretonne s'est surtout conservée dans les campagnes; mais dans les villes, la civilisation et l'influence française ont fait de notables progrès. Toute cette population, sans distinction de race, est affable, hospitalière, simple et pure dans ses mœurs, facile dans son existence. Les agriculteurs sont de complexion nerveuse, plus entêtés dans leurs coutumes et leurs opinions (…); ils sont querelleurs, batailleurs, quand leur colère est surexcitée, et cependant, patients, doux, prévenants dans le commerce ordinaire de la vie ; d'ailleurs très-attachés à leur pays, au foyer domestique, à la famille, à la religion de leurs pères (…). Dans les cérémonies diverses, dans les noces surtout, ils ont conservé des usages bizarres et de curieuses coutumes; ce sont des fêtes véritables qui durent plusieurs jours, et dont Brizeux a chanté les poétiques épisodes.

 Le costume des Bretons a conservé quelques détails des anciens temps, et les fait aisément reconnaître (…) par le large chapeau, les guêtres, le manteau bleu (…)

 Mais ce qui distingue essentiellement le paysan breton, et par conséquent celui des Côtes-du- Nord, c'est son langage spécial. Le bas breton, le Brezonecq qui doit être l'ancien celtique (…) il se divise en quatre dialectes principaux (…). Le bas breton est une langue très-pure, probablement une langue mère (…) pleine de tours poétiques et de circonlocutions gracieuses…»

 

 Finalement, l’image qui se détache de la Bretagne est celle d’une région enfoncée dans ses traditions et qui, malgré les belles qualités, ne progresse pas. L’image du progrès, on la trouve dans la notice de la Loire-Inférieure (aujourd’hui Loire-Atlantique), aux marges de la Bretagne (la question de savoir si ce département devait faire partie de la région Bretagne ne se posait pas à l’époque) qui a souvent été citée, car J. Verne est né à Nantes et on peut penser qu’il a dans l’esprit son milieu natal dans certaines notations :

 

 

LOIRE-INFÉRIEURE (actuellement LOIRE-ATLANTIQUE)

 

 

« La vivacité, l'ardeur et la ténacité dans les entreprises, un esprit commerçant et industriel, une loyauté et une probité universelle- ment reconnues distinguent les habitants de la Loire-Inférieure; leur intelligence est vive, mais chez eux le jugement et le bon sens l'emportent sur l'esprit et l'imagination, et ils sont moins artistes qu'amis des arts. Dans les campagnes, les mœurs ont conservé une grande pureté ; la vie est sobre et patiente, la communalité [sic] grande entre les familles, et l'hospitalité pratiquée avec beaucoup de franchise; l'ivrognerie tend à s'effacer de jour en jour, ainsi que les préjugés et les superstitions.

On parle français dans toutes les villes du département avec un accent un peu chantant qui fait aisément reconnaître l'habitant de la Loire-Inférieure; le bas-breton est principalement employé dans tout l'O. des arrondissements de Nantes et de Savenay.»

 

J. Verne note que le bas-breton est encore employé dans certaines parties du département (il a disparu presqu’entièrement aujourd’hui) et n’hésite pas à évoquer l’ivrognerie et la superstition, qui sont en régression. Les qualités des habitants de la (future) Loire-Atlantique sont celles du milieu bourgeois de J. Verne, et si on doit leur trouver un défaut, c’est d’être « moins artistes qu'amis des arts ».

 

 

 

RENAN ET L’IMAGINATION DES CELTES

 

 

On peut être surpris de voir que J. Verne n’accorde pas aux Bretons la qualité qu’on leur associe souvent, l’imagination ou en tous cas, la tendance à la rêverie (ce qui d’ailleurs n’est pas pareil). Il est probable que pour J. Verne, l’imagination ne consiste pas à se réfugier dans un monde irréel (justement dénommé l’imaginaire) ou dans le passé, les vieux chants et les traditions mais au contraire (comme il en donne la preuve lui-même) à concevoir les projets permettant d’améliorer les connaissances scientifiques et techniques et  les conditions d’existence, ce qui constitue le progrès.

 

Très différente à cet égard était l'approche d'Ernest Renan dans son article La poésie des races celtiques (1854), .

Renan considère comme qualités ou caractéristiques essentielles des Celtes (dont les Bretons font partie) l’imaginaton et le refus du  progrès et de la civilisation moderne.

Renan envisage les créations poétiques des Celtes (son article est un compte-rendu de la traduction anglaise parue quelques années auparavant  du Mahinogion, poème gallois, ainsi que de la publications de textes comme un recueil des  Poèmes des Bardes bretons du sixième siècle), mais il est clair que pour lui, les qualités de l'ensemble du peuple (ou de la « race ») celtique expliquent les productions poétiques. Il n’y a pas d’écart de nature entre la poésie et ce qu’on appelait volontiers à l'époque l’âme du peuple (Renan s’inscrit ici dans la lignée du Volksgeist  de Herder, qui le premier a énoncé que chaque peuple avait un esprit ou génie particulier, d'où découlent ses productions littéraires, artistiques, son organisation politique etc).

Renan note  l'originalité de la race celtique dans un passage bien connu :

«  Si l’excellence des races devait être appréciée par la pureté de leur sang et l’inviolabilité de leur caractère, aucune, il faut l’avouer, ne pourrait le disputer en noblesse aux restes encore subsistants de la race celtique. Jamais famille humaine n’a vécu plus isolée du monde et plus pure de tout mélange étranger. Resserrée par la conquête dans des îles et des presqu’îles oubliées, elle a opposé une barrière infranchissable aux influences du dehors : elle a tout tiré d’elle-même, et n’a vécu que de son propre fonds. (...) À l’heure qu’il est, ils résistent encore à une invasion bien autrement dangereuse, celle de la civilisation moderne, si destructive des variétés locales et des types nationaux.  (…)

Renan magnifie les qualités d'imagination des Celtes, qui ont conquis le monde occidental (notamment par les romans de la Table ronde :

« Comparée à l’imagination classique [des Grecs et des Romains], l’imagination celtique est vraiment l’infini comparé au fini.»

« Les petits peuples doués d’imagination prennent d’ordinaire ainsi leur revanche de ceux qui les ont vaincus. Se sentant forts au dedans et faibles au dehors, une telle lutte les exalte, et, décuplant leurs forces, les rend capables de miracles.»

« ... ce petit peuple, resserré maintenant aux confins du monde, au milieu des rochers et des montagnes où ses ennemis n’ont pu le forcer, est en possession d’une littérature qui a exercé au moyen âge une immense influence, changé le tour de l’imagination européenne et imposé ses motifs poétiques à presque toute la chrétienté.»

«... quand ces imaginations ne seraient bonnes qu’à rendre un peu plus supportables bien des souffrances, pour lesquelles on déclare n’avoir point de remède, ce serait déjà quelque chose.»

Renan considère les Celtes sur la longue durée, tandis que J. Verne ne les considère (du moins les seuls Bretons, qui entrent dans le cadre de sa Géographie de la France) dans leur existence concrète, de son temps . Pour Renan, l’imagination des Celtes tourne le dos  au monde moderne, même s’il envisage la possibilité de changements ou de retournements futurs :

«…il est téméraire de poser une loi aux intermittences et au réveil des races, et [que] la civilisation moderne, qui semblait faite pour les absorber, ne sera peut-être que leur commun épanouissement.»

Pour J. Verne, l 'imagination ne définit pas les Bretons. Ils sont plus caractérisés par la fidélité à des usages que le monde moderne condamne progressivement à disparaître. L’imagination, conçue comme le contraire du passéisme et de la routine, comme l'instrument du progrès,  est plutôt la qualité des populations entreprenantes du midi (il est obligé de le reconnaître) :

« ils sont doués d'une vive imagination» (Hérault), « actifs, entreprenants, spéculateurs…une imagination ardente » (Gard), « la vivacité de l'imagination» (Var), «L'imagination chez eux est la faculté dominante» (Bouches-du-Rhône).

Mais J. Verne n’a pas la même conception de l’imagination que Renan.

 

 

 

 

LES BASQUES ET LES CATALANS

  

On trouve la même attention aux identités régionales dans ce que Jules Verne dit des Basques dans la notice consacrée au département des « Basses-Pyrénées » (les Pyrénées-Atlantiques d’aujourd’hui) :

 

 

BASSES-PYRÉNÉES (actuellement PYRÉNÉES-ATLANTIQUES)

 

 

«  Il faut distinguer dans le département les  Béarnais des Basques; les premiers ont beaucoup d'esprit et de finesse, de l'intelligence, mais ils sont généralement processifs. Les Basques, beaucoup plus simples et plus sobres, sont très-francs, très-hospitaliers, et ils possèdent toutes les vertus des montagnards.

 (…)

Entre la langue parlée par ces deux races, les différences sont également notables ; l'idiome béarnais est un mélange de celte, de latin et d'espagnol, tandis que le basque est une langue mère qui dérive du phénicien. »

 

 

PYRÉNÉES-ORIENTALES

 

En ce qui concerne les Catalans de France, voici la description de la population des Pyrénées Orientales :

 

« Les habitants du département des Pyrénées- Orientales, voisins de l'Espagne et toujours en relation avec ce royaume, ont conservé l'empreinte espagnole dans l'impétuosité de leur caractère, et la haute opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. (…) très-fiers, très-indépendants, le plus souvent indomptables (…) ils aiment particulièrement la danse et la pompe des cérémonies religieuses.

Le principal idiome du département est le Catalan, qui est très-ancien, et même antérieur au latin ; c'est évidemment une dérivation des langues romanes, qui furent parlées d'abord par tous les peuples de l'Occident. »

 J. Verne n’accorde pas aux Catalans, une « nationalité » propre, ils sont proches des Espagnols et ils ont les caractéristiques que son époque prête volontiers aux Espagnols (très fiers, haute opinion d’eux-mêmes, une religion démonstrative et extérieure).

 Du point de vue linguistique les observations de Jules Verne sur le catalan et le béarnais sont pour le moins curieuses (où a-t-il pris ses informations ?). L’idée que le catalan (Jules Verne met une majuscule au nom de la langue, là où l’usage actuel n’en met plus) soit antérieur au latin est surprenante (le catalan est une langue romane, donc issue du latin vulgaire comme le français, l’italien, l’occitan, le roumain, le corse etc; cf. l'article Wikipedia Langues romanes  https://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_romanes ).

Par contre il note bien la différence radicale du basque avec les langues des ethnies voisines : le basque est considéré comme n’appartenant pas la famille des langues indo-euopéennes (expression qui n’est pas utilisée par J. Verne, ou peut-être inconnue de lui)* ; ce point de vue semble toujours dominant aujourd’hui ** . Jules Verne assigne au basque le statut de « langue-mère », comme au breton.

 

                                                       * L’expression « langue indo-européenne est attribuée à l'Allemand Franz Bopp (1816) par la notice de l’université canadienne de Laval. Mais la notice Wikipedia l’attribue  à Thomas Young en 1813. Les expressions  « indo-germanique »,  «indo-celtique», « « aryen » ou encore « sanskritique »  ont aussi été utilisées dans le passé pour désigner les langues qui proviendraient d’une même langue commune hypothétique (dénommée selon les cas, « indo-européen commun, « proto-indo-européen » ou « indo-européen » tout court).

                                                       ** A l’exception, actuellement, du chercheur Eñaut Etchamendy.

 

 

 

L'EST DE LA FRANCE

 

 
 MOSELLE

 


« La franchise et la douceur sont les principaux caractères de l'habitant de la Moselle; il est entreprenant, travailleur, actif, et aux qualités de l'homme privé, à l'amour de ses foyers et de sa famille, il possède au plus haut degré de la première vertu du citoyen, le patriotisme. Les paysans des vallées fertiles sont gais et sociables, mais ceux des pays pauvres, où le sol ingrat ne paye pas la peine du travailleur, sont encore rudes de mœurs et presque sauvages.

Le français est généralement parlé dans les villes et les campagnes, même dans les portions du département qui confinent à l'Allemagne, mais il est souvent mélangé du patois messin qui est fort original.»

 

 metz (2)

Vue de Metz dans la Géographie illustrée

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h/f503.image

 

 

Géographie moselleG (2)

 

Carte de la Moselle dans la Géographie illustrée. Les territoires frontaliers avec la Moselle sont le grand duché du Luxembourg, la Bavière rhénane (possession de la Bavière en Rhénanie) et la Prusse rhénane (possession prussienne en Rhénanie). 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h/f510.item

 

 

L’ALSACE

 

 En ce qui concerne l’Alsace, la « germanité » de celle-ci  (mais J. Verne n’emploie pas le mot) ne pose pas question.

Dans les notices historiques des départements (voir en annexe celle du Haut-Rhin) J. Verne ne dissimule pas que l'annexion par la France de la Haute et Basse Alsace fut marquée par la violence. La notice comporte des indications en partie surprenantes ou des dates inexactes.

 

 

BAS-RHIN.

 

 

« Les habitants du département du Bas-Rhin, les Alsaciens, ont une réputation méritée d'esprit et de bravoure; ils aiment les plaisirs et les affaires avec une égale passion ; ils sont ennemis de l'arbitraire, et déploient en toute circonstance un grand esprit de sagesse et de justice. La musique et la danse ont toujours eu pour eux d'irrésistibles attraits, et le peuple surtout, dans les villes comme dans les campagnes, est fanatique de ces plaisirs.

On parle allemand dans la région qui confine au Rhin; le français est généralement employé dans les grands centres, et le patois lorrain est en usage dans les montagnes.»

 

Géographie strasbourg (2)

 Vue de Strasbourg dans la Géographie illustrée

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h/f583.image

 

 

HAUT-RHIN

  

 

« La population qui occupe la partie plane du département du Haut-Rhin, tend à perdre de jour en jour son originalité native, et les villes surtout ne se distinguent pas des autres villes du territoire français ; les habitants s'y montrent intelligents, ingénieux, et ont un grand sens des affaires industrielles. C'est dans l'O. du département, au milieu des montagnes des Vosges, que les montagnards ont conservé quelque caractère particulier; leur flegme est devenu proverbial; ils ont le sentiment national porté à un degré extrême, tiennent encore à leurs anciens usages, sont fort économes, et ont gardé une rude franchise d'expressions qui les rend très-originaux. Les juifs sont nombreux dans ce département, et déploient, dans les campagnes surtout, ce génie du commerce de détail qui est particulier à leur race.

Le dialecte allemand est souvent employé sur la frontière orientale du département, et le patois lorrain est plus particulièrement en usage dans les montagnes des Vosges.»

 

On note dans la description de la population du Haut-Rhin la mention du « sentiment national porté à un degré extrême », il est probable que J. Verne veut ici parler d’une forme de particularisme alsacien, bien plus que d’un véritable sentiment national. En tous cas, il serait absurde de comprendre qu’il s’agirait du sentiment national français. Enfin, la notice du Haut-Rhin est, sauf erreur, la seule où soit mentionnée la minorité juive (avec une remarque qui ne semble pas dépréciative).

 

Il est intéressant de noter que J. Verne mettra plus tard en scène un Alsacien dans une ses romans.

C’est le jeune ingénieur Marcel Bruckmann, dans Les 500 millions de la Begum (1879). Dans ce livre, postérieur à l’annexion de l’Alsace-Lorraine (cette appellation traditionnelle recouvre en fait l'Alsace et la partie germanophone de la Moselle) par l’empire allemand, Marcel Bruckmann est présenté comme un Alsacien qui a choisi de rester français.

Sans développer toute l’intrigue, Marcel Bruckmann s’oppose aux projets du savant allemand Schultze (sans doute inspiré par Krupp) , qui a créé une Cité de l’acier où on fabrique des armes d’une puissance colossale. Introduit sous une fausse identité (il se présente comme un Suisse allemand) dans la Cité de l’acier, Bruckmann,  rencontre Schultze et gagne sa confiance pour pouvoir déjouer ses plans.

Lors d’une discussion, Schultze lui reproche d’avoir un fond d’idées « un peu trop celtique ». J. Verne rapproche donc maintenant les Alsaciens des Celtes car l’opinion française de l’époque, après la défaite de 1870-71, ne peut plus admettre (comme l’admettent toutefois des gens plus réfléchis, comme Renan) que les Alsaciens, qui sont présentés comme Français de coeur, soient néanmoins de culture germanique. La nationalité et la culture doivent désormais se superposer (c’est aussi l’avis des Allemands !).

 

Désormais, pour J. Verne, la culture et la personnalité allemande sont représentées négativement par des personnages comme le Dr. Schultze, qui préfigure l’image de l’Allemand indifférent aux sentiments humains (image à laquelle le 20 ème siècle donnera une consistance certaine, il faut bien le dire !) et ses deux gardes du corps, les géants barbus Arminius et Sigimer, qui paraissent sortis des légendes germaniques anciennes. Celles-ci sont devenues une source d’inspiration pour les Allemands au 19ème siècle (notamment dans les opéras de Wagner), une tendance bien perçue par J. Verne avec les personnages en question.

 

 Assez ironiquement, Jules Verne eut droit, à sa mort (1905), à plus d'égards de la part de l'Allemagne que de la France :

" L'empereur Guillaume II envoie le chargé d'affaires de l'ambassade d'Allemagne présenter ses condoléances à la famille et suivre le cortège. Ce jour-là, aucun délégué du gouvernement français n'était présent aux funérailles" (article Jules Verne, Wikipedia).

 

 

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Arminius et Sigimer, les gardes du corps du Dr. Schultze, dans Les 500 millions de la Begum. illustration de Benett.

Gravure de l'édition Hetzel.

http://images.zeno.org/Literatur/I/big/24_0104a.jpg

 

 

 

 Enfin, le Nord permet à J. Verne de citer la langue flamande, sans commentaire particulier. La description de la population est élogieuse :

 

 

NORD

 

 

« Les habitants du département du Nord ont le génie des affaires industrielles et commerciales, et une très-remarquable aptitude pour les spéculations; ils sont méthodiques, doux dans leur vie privée, sains de jugement, hospitaliers et charitables, et froidement braves jusqu'à l'héroïsme.

La langue flamande est en usage dans les arrondissements de la frontière, et la française est employée dans la plupart des villes et des villages.»

 

 

 

 

LES CULTURES RÉGIONALES VERS 1860 : SYMPATHIE ET TOLÉRANCE ?

 

 

 Les notices de J. Verne sont le plus souvent empreintes de sympathie pour les cultures et langues minoritaires et périphériques – même si son point de vue est « moderniste » et favorable au progrès, toujours souhaitable pour lui (au risque de faire disparaître les anciennes cultures).

 

Son attitude ne semble pas en rupture avec l’attitude générale de son époque. Les cultures régionales * paraissent avoir bénéficié, notamment de la part des pouvoirs publics, d’une forme de tolérance et même d’intérêt, qui a été de mise jusqu’aux années 1870 (ou un peu avant). Pour autant, il ne s’agit pas de faire de cette période un âge d‘or des cultures régionales.

 

                                                                                               * ANous citons l'observation de Mireille Meyer dans l’article Vers la notion de « cultures régionales (1789-1871), Ethnologie française 2003/3 (Vol. 33) https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2003-3-page-409.htm : «  Les mots « région », « régional » apparaissent tardivement avec le sens que nous leur donnons aujourd’hui. C’est par commodité de langage et pour la clarté de l’exposé que nous les employons, y compris pour des périodes où ils étaient inusités ».

 

Les cultures régionales avaient eu un répit avec la période du Consulat et du Premier empire : 

Dans sa thèse La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours, (thèse de doctorat en accès libre, la-pratique-du-breton.org), Fañch Broudic cite les propos de Henri Brunot, l'historien réputé de la langue française : « après Brumaire, l'histoire de la propagande en faveur du français s'arrête à peu près complètement ». « L'historien de la langue française rapporte le mot que l'on prête sur ce sujet à Napoléon : « laissez à ces braves gens leur dialecte alsacien ; ils sabrent toujours en français ». Le français n'était d'ailleurs pas sa langue maternelle. » (Fañch Broudic)

 

« …dès les débuts du Premier Empire [qu'] est effectuée, à l'initiative de Ch. Coquebert de Monbret, [directeur du bureau de la statistique au ministère de l’intérieur] la seule enquête officielle qui semble avoir été menée en France sur les parlers autres que le français. De manière générale, il semble bien que l'on soit plus ou moins revenu, en ce domaine, à la politique organiciste de l'Ancien Régime : les langues régionales existent, donc on fait avec. 

(…) En fait, ce qu'il importe de retenir, c'est que, jusqu'en 1870, aux exceptions urbaines près, le breton est la langue qu'on parle en Basse-Bretagne. On l'imprime aussi et on la lit. Elle n'est pas exclue de l'enseignement — nous le verrons. Mais c'est le français qui est la langue officielle et celle de l'administration. » (Fañch Broudic).

 

Le site très complet de l’université de Laval (Québec, Canada) consacré aux politiques linguistiques, indique de son côté : « De langue maternelle corse, une langue italienne, Napoléon Bonaparte (nom francisé du corse à partir de Napoleone Buonaparte) fit cesser tout effort de propagande en faveur du français. »

http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s8_Revolution1789.htm

 

Bonaparte prit toutefois une décision dans une matière touchant les finances publiques, qui devait faire progresser le français au détriment des langues locales :

« La question fut réglée dans un arrêté du 24 prairial An XI (le 13 juin 1803), applicable dans toute la France, y compris les pays conquis. Dans un an, à compter de la publication de cet arrêté, tous les actes authentiques (actes publics) devaient être rédigés en langue française. Les actes sous seing privé pourraient encore être écrits dans l'idiome du pays, mais en cas d'enregistrement, les parties devaient y joindre à leurs propres frais une traduction française, certifiée par un traducteur juré » ( Van Goethem Herman. La politique des langues en France, 1620-1804. In: Revue du Nord, tome 71, n°281, Avril-juin 1989, https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1989_num_71_281_4455)

 

L’explication de l'auteur est « qu’il s'agissait d'un danger pour les finances publiques », car les actes en langue locale ne permettaient pas le contrôle des inspecteurs du fisc, qui eux étaient généralement de langue française. Il en conclut que : "Sa politique linguistique [de Napoléon] ne peut donc nullement être considérée comme libérale, ce que l'historiographie a tendance à faire." (mais la remarque de l'auteur reconnait bien la tendance générale de l'historiographie; l'existence du seul arrêté du 13 juin 1803 ne parait pas suffisante pour renverser l'appréciation sur la politique linguistique plutôt "tolérante" de Napoléon).

 

Nous n'avons pas ici l'objectif de rapporter les hauts et bas des cultures régionales (ou plutôt de la position à leur égard du pouvoir central) sous les régimes qui ont succédé au Premier empire jusqu'au début du Second empire.

 

On attribue parfois (à tort) au ministre de l'instruction publique au début du règne de Louis-Philippe, M. de Montalivet, la phrase : "il faut détruire le breton".

Or,  par circulaire de 1831, le ministre avait au contraire demandé aux préfets des départements bretons leur avis sur l'utilisation du breton pour apprendre le français lorsque les élèves ne parlaient que le breton (il ne s'agissait donc que d'une utilisation limitée du breton - en première année scolaire, les enfants apprendraient les principes de la "langue celto-bretonne" selon l'un des quatre dialectes en vigueur dans leur district  (notez que le breton est une langue pour le ministre, même si elle est divisée en plusieurs dialectes) :

 

" Les préfets du Finistère et des Côtes-du-Nord se déclarent hostiles au projet, le second déclarant même au ministre qu'à son avis « il faut absolument détruire le langage breton ».

Au contraire, le préfet du Morbihan, E. Le Lorois, qui est breton, affiche, dans sa réponse, une «vive sympathie pour tout ce qui peut conserver notre nationalité. Je sais que les principes généraux des gouvernements sont de combattre l'esprit de province et d'effacer, autant que possible, les divisions résultantes des différences de langage. Mais une langue vivante est un peuple. Faire mourir une langue, c'est faire disparaître une individualité de la famille des nations ; c'est détruire un système d'entendement, un caractère national, des moeurs, une littérature. La philosophie et la morale condamnent également cette espèce de meurtre. Je vois que votre administration éclairée ne s'en rendra pas coupable (...).

(Publications de l'Institut national de recherche pédagogique   Année 1992, numéro thématique :  L'enseignement du Français à l'école 1791-1879;  la circulaire du 15 octobre 1831 aux préfets du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord, leur demandant leur avis sur un essai d'enseignement du français par le breton https://www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_1992_ant_5_1_1771 )

E. Le Lorois (certaines sources disent simplement Lorois), qui a pressenti la notion de génocide culturel, mériterait d'être mieux connu !

 

L’intérêt pour les cultures régionales  se manifeste, dans les milieux officiels, avec l’avènement du Second empire (qui ne peut pas avoir tous les défauts).

En 1852, le ministre de l’Instruction publique, Hippolyte Fortoul, lance un projet de « recueil des poésies populaires de la France », y compris celles en langues régionales. Le comité chargé de la mise en œuvre de l’enquête Fortoul se donne d’ailleurs comme référence le travail pionnier réalisé sur les chants bretons par Théodore de La Villemarqué, avec son anthologie du Barzaz-Breiz (1839).

« Le recueil prévu n’est finalement jamais publié et les envois manuscrits sont depuis conservés dans les fonds de la Bibliothèque nationale ». (Éva Guillorel, L’Enquête Fortoul (1852-1876), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119-2 | 2012, http://journals.openedition.org/abpo/2437 [article à propos de la parution de deux thèses consacrées à l’l’enquête en Haute et Basse-Bretagne]).

Il est intéressant de savoir que Fortoul était originaire de Digne et lui-même collecteur de chants populaires.

 

 Le rapport du ministre indique l’objectif de la collecte : «  Notre pays possède plus qu’aucun autre de précieux restes de ces poésies, aussi bien dans la langue nationale que dans les idiomes provinciaux qu’elle a remplacés. Malheureusement, ces richesses que le temps emporte chaque jour disparaîtront bientôt, si l’on ne s’empresse de recueillir tant de témoignages touchants de la gloire et des malheurs de notre patrie. » (cité par Mireille Meyer, Vers la notion de « cultures régionales » (1789-1871), Ethnologie française 2003/3 (Vol. 33 https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2003-3-page-409.htm).

 

Le comité constitué à cet effet compte 200 correspondants dans toute la France (une des conditions est de ne pas habiter Paris !) Un des membres du comité, le Flamand Edmond de Coussemaker, écrit qu’on devrait faire vite « car, à l’époque où nous vivons les traditions se perdent , le caractère national des provinces tend à disparaître de jour en jour. C’est le résultat de la centralisation du pouvoir et de l’administration : c’est l’effet de l’uniformisation des lois et des institutions » (…°)

 

 « ….ces travaux marquent les débuts de l’ethnologie musicale et ils sont à l’origine des nombreuses publications de chants populaires qui vont suivre. En 1862, Damase Arbaud [l’un des correspondants du comité Fortoul] publie le premier volume des Chants populaires de la Provence » (Mireille Meyer, art.cité)

 

Grâce à ces études, depuis Coquebert de Monbret  jusqu’à Fortoul, « le parler local, autrefois objet de ridicule, devient alors l'objet de recherches scientifiques et suscite l'affection » (A. Kibbee Douglas. Le patois dans l'histoire de la langue française selon le dictionnaire de Littré,  L'Information Grammaticale, N. 90, 2001. http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_2001_num_90_1_2703).

 

 

En Flandre française, les débuts du Second empire sont marqués par le « retour à la tolérance du flamand » en milieu scolaire par rapport à la période précédente (Seconde république). En fait il s’agit modestement d’enseigner le français à l’aide du flamand.

Certains responsables locaux de l’enseignement indiquent qu’en Flandre française, « il faut enseigner simultanément le français et le flamand, comme cela se pratique dans les provinces flamandes de Belgique ».

Le ministre Hippolyte Fortoul donne également son accord à la création d’un Comité flamand de France (1853) qui a pour but de promouvoir l'histoire et la littérature flamande. Mais l’action (modeste) en faveur (ou de tolérance) du flamand cesse, au moins dans l’enseignement, avec le ministère (considéré comme moderniste) de Victor Duruy en 1866.

(Ravier Joël. L’imposition du français dans le département du Nord : de la Monarchie de Juillet au Second Empire, Histoire de l'éducation, n° 77, 1998, http://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1998_num_77_1_2939

 

 

 

 

L'ATTITUDE DU SOUVERAIN

 

 

 

L’intérêt du régime pour les langues régionales apparaît également (de façon superficielle et peut-être politicienne, sans doute) dans certaines manifestations lors des visites de Napoléon III (dont on a dit qu’il parlait français avec un accent étranger, ayant été élevé aux Pays-Bas).

 

Ainsi, lors d’un voyage officiel à Toulouse (1852), un corps d’ouvriers toulousains chante en occitan lors du banquet offert à celui qui est encore le prince-président. Parmi les chants interprétés figure « "La Toulousaino" de M. Deffès qui dirigeait lui-même ».

Il s’agit de La Toulousaino ou La Tolosenca, aussi connue sous le tittre Ò mon país, chanson occitane écrite par Lucien Mengaud, musique de Louis Deffès, longtemps considérée comme l’hymne de Toulouse, dont le premier vers est célèbre car il a été repris dans la chanson de Claude Nougaro :

Ò mon país! Ò mon país! Ò Tolosa, Tolosa!

 

Puis un « un poète patois » demande à lire une ode au futur empereur qui accepte volontiers, bien qu’il ne soit pas « familiarisé avec la langue patoise » ( !)

(F. Laurent, Voyage de Sa Majesté Napoléon III, empereur des Français dans les départements de l’est, du centre et du midi, 1853, avec une préface du célèbre écrivain marseillais Méry, Google books https://books.google.fr/books?isbn=2346107220

 

 

En 1858, en visite dans l’Ouest, l’empereur assiste à un « banquet breton » à Rennes, auquel sont présents les personnalités de l’ensemble des départements bretons, y compris la Loire-Inférieure. L’empereur prononce une brève allocation en réponse au président du conseil général de l’Ille-et-Vilaine. Son discours, dans lequel il évoque en termes très conservateurs (pour en faire l'éloge) l’esprit catholique et monarchique du « peuple breton », fut ensuite imprimé dans une version bilingue. Mais contrairement à ce qui est parfois dit, l’empereur ne s’est pas exprimé en breton (sur ce Banquet breton, voir WikiRennes http://www.wiki-rennes.fr/Napol%C3%A9on_III_%C3%A0_Rennes ).

 

Enfin, l’intérêt pour les langues régionales peut être présent, à titre tout-à-fait personnel, chez des membres de la famille impériale comme le prince Louis-Lucien Bonaparte (1813-1891), fils de Lucien Bonaparte. D’abord député conservateur de la Corse, puis de la Seine, sénateur de l’Empire, le prince consacra essentiellement son activité à l’étude de la langue basque mais il s’intéressa aussi au breton et aux langues régionales parlées en Italie et en Grande-Bretagne.*

                                                                          * Ce qui lui vaut, notamment, d'avoir son nom dans le Dictionnaire gallois de biographie (Dictionary of Welsh Biography, en gallois Y Bywgraffiadur Cymreig, en ligne  https://biography.wales/article/s-BONA-LOU-1813 ) pour ses études sur la langue galloise.

 

Signalons aussi des observations communes avec le Dr Mattei, célèbre érudit corse, sur les rapports entre la langue basque et la langue corse. 

Avec une équipe de collaborateurs du Pays basque, Louis-Lucien Bonaparte fit progresser la classification des différents dialectes du basque (il utilise aussi le nom d'euskara) et l’élaboration de la grammaire basque.

Ruiné par la chute du Second empire, le prince qui vivait le plus souvent en Angleterre, subsista avec une pension accordée par le gouvernement britannique en récompense de ses études linguistiques. Il vivait maritalement depuis 1860 avec la fille d'un ouvrier de forges rencontrée au Pays Basque, qu'il épousa à la mort de sa première épouse en 1891, peu avant sa propre mort. 

 Sa bibliothèque de linguistique de 18 000 volumes est maintenant dans une institution de Chicago (voir, outre sa notice Wikipedia, l'article du site Bilketa http://www.bilketa.eus/fr/bildumak/gure-hautaketa/26-gure-hautaketa/406-louis-lucien-bonaparte-en-euskal-aditza-tauletan

 

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DISCOURS prononcé par Sa Majesté l'Empereur au banquet breton , le 20 août 1858 - en breton : KOMPSIOU lavaret Gand é Vajesté ann Impalaer er fest breton, ann 20 a viz est 1858.

http://www.wiki-rennes.fr/Fichier:Discours_de_napoleon_iii_a_rennes.jpeg

 

 

 

Dans le cadre de cet article, nous nous bornerons à ces quelques notations. Il n’entre pas dans nos intentions d’opposer la relative tolérance et sympathie des régimes monarchiques du 19ème siècle  pour les cultures régionales (on trouverait toutefois des faits allant en sens contraire) à la politique beaucoup plus intolérante de de la 3ème république (surtout à partir des années 1880). Cette opposition, qui demanderait sans doute à être vérifiée dans le détail, parait assez communément admise.*

                                                                                           * Fañch Broudic rappelle l’interdiction de l’usage du breton (ainsi que du flamand) à l’église par le gouvernement radical d’Emile Combes en 1902 (sous le régime du Concordat, en vigueur jusqu'à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, 1905) ; il conclut :« C’est seulement à la fin des années 1890 et surtout au tout début du xxe siècle que se cristallise l’opposition entre la droite et l’Église d’une part, la gauche républicaine d’autre part, sur la question des langues régionales » (Fañch Broudic, L’interdiction du breton en 1902 : une étape vers la Séparation, in Les Bretons et la Séparation, 1795-2005, Jean Balcou, Georges Provost et Yvon Tranvouez  (dir.), 2006 https://books.openedition.org/pur/23581?lang=fr)

 

 

 

 

 

 JULES VERNE ET LA CORSE : POURQUOI PEU DE SYMPATHIE  ?

 

 

 

 Nous avons  constaté que dès la Géographie de 1867-68, J. Verne n’a pas manifesté de sympathie ou d’intérêt pour la culture corse, à la différence de son attitude pour d'autres cultures régionales. Faut-il y voir un signe discret d’opposition au régime impérial qui finalement, avait son origine dans une famille corse ? *

                                 * On se souviendra qu’après la chute de l’Empire en 1870, le jeune député Clemenceau proposa d’abandonner la Corse à l’Italie et qu’il y eut des actes de violence contre des policiers corses (il y eut au moins un mort), preuve qu’une partie de l’opinion assimilait la Corse au régime napoléonien. Le Communard Jules Vallès écrit dans son journal Le Cri du peuple en mars 1871 que les Corses sont naturellement "mouchards et assassins"; pour lui, "la Corse n'a jamais été et ne sera jamais française. Voilà cent ans que la France traîne à son pied ce boulet."

 

 Nous faisons une autre hypothèse. Celle qu’au fil du temps, une distinction s’est introduite -ou est devenue plus perceptible - entre les cultures en quelque sorte « indigènes » à la France  (qui n’existent pas en dehors de la France) et celles qui représentaient en France des cultures étrangères, existant pour l’essentiel dans des pays étrangers, frontaliers avec la France, et constituant la culture dominante de ces pays.

 

Or la culture présente en Corse pouvait être assimilée à la culture italienne (il était sans importance de ce point de vue qu’on la considère comme une variante régionale de la culture italienne, ce qui de plus, était une affaire de spécialiste) ; quant à la culture alsacienne et dans une moindre mesure, la culture lorraine, on pouvait l’assimiler à la culture allemande (là aussi, peu de gens se préoccupaient d’y voir une variante de la culture allemande, comme la culture bavaroise, souabe etc).

 Lorsque l’Italie puis l’Allemagne se constituèrent en états-nations unifiés (bien qu’avec une forme fédérale pour l’Allemagne) respectivement en 1861 et 1871, la perception de la situation se modifia.

En effet, le nationalisme se renforça partout dans les dernières décennies du 19ème siècle et prit la forme intolérante de l’adage : « Tous les Syldaves en Syldavie, aucun non-Syldave en Syldavie ». Un territoire devait se confondre avec un peuple et un peuple devait représenter, idéalement, une seule culture. Si on tolérait les « petites patries » (probablement de moins en moins, du point de vue du pouvoir central et de ceux qui s’identifiaient à sa vision), la tolérance était encore moindre pour la présence, aux frontières, d’enclaves de cultures étrangères, dont les habitants, selon la logique nationaliste, étaient suspects de lorgner vers le rattachement à leur « mère-patrie ».

  

S’agissant de la Corse, sa culture « italienne » devint moins acceptable encore et comme J. Verne dans Mathias Sandorf, on vit la solution dans l’assimilation la plus complète que possible à la France, par la disparition de « l’italianité » de la Corse.

De ce point de vue, Jules Verne serait représentatif de l'opinion moyenne française de l'époque.

 

 

 

LE CAS DE L’ALSACE

 

 

Géographie_carte bas rhin (2)

 Carte du Bas-Rhin dans la Géographie illustrée. Les territoires frontaliers avec le Bas-Rhin sont, à l'époque, la Bavière rhénane (possession de la Bavière en Rhénanie) et le Grand duché de Bade. Après la proclamation de l'empire allemand, en 1871, la frontière sera avec l'empire mais les divers états allemands (royaumes, principautés et duchés, villes libres) continueront à exister en tant que membres de la fédération impériale.

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567060h/f590.image

 

 

 

S’agissant de l’Alsace et dans une moindre proportion la Lorraine (en fait, la Moselle), leur appartenance à une culture « étrangère » n’était pas clairement perceptible avant 1871, sauf par quelques esprits, comme Michelet dont on va parler.

Après l’annexion de 1871, les Alsaciens et les Lorrains de Moselle avaient cessé d’appartenir à la population française. On pouvait donc se les représenter, de loin, non plus comme des populations de culture germanique (ou de « race » germanique comme on disait à l’époque) mais comme de malheureux Français obligés de vivre sous le joug allemand.

Dans Les 500 millions de la Begum, Jules Verne, qui semble ici au diapason de l’opinion moyenne française, représente un Alsacien qui a choisi la France, le jeune ingénieur centralien Marcel Bruckmann : celui-ci est finalement caractérisé par son patriotisme français et peut-être un plus grand sérieux, un plus grand sens des responsabilités, que son ami « Celte », le plus léger Octave Sarrasin. Mais il n’a plus rien de spécifiquement alsacien ou germanique.

Après l'annexion, les théoriciens français s'efforcèrent d'ailleurs de montrer que l'Alsace avait eu un peuplement celtique et que l'invasion germanique des Suèves et des Alamans n'avait pas modifié en profondeur ce peuplement originel.

 

 

MICHELET, L’ALSACE ET LA CORSE

 

 

 

 

A l’époque de l’annexion de l’Alsace, Ernest Renan pour s’y opposer, avait dit que l’annexion n’était pas dans l’intérêt même de l’Allemagne, car l’Alsace avait toujours été la porte d‘entrée en France des idées allemandes, un sas entre les deux pays (même si l’Allemagne n’était pas politiquement unie avant 1871, on la voyait comme un pays possédant une unité culturelle). Or à la fin du19ème siècle, parler de l’Alsace comme de la porte d’entrée des idées allemandes aurait sans doute révolté la plupart des Français – donnant d’ailleurs raison à la prédiction de Renan.

Déjà, avant l‘annexion, un grand esprit avait exclu mentalement les Alsaciens du peuple français en raison de leur appartenance à la culture allemande. Il s’agit de Michelet.

Michelet a fait précéder le volume II de son Histoire de France d’un Tableau de la France. Dans ce texte, qui a eu plusieurs éditions, Michelet décrit les différentes provinces françaises. Or lorsqu’on vient aux provinces de l’est, il écrit :

 

« La langue française s’arrête en Lorraine, et je n’irai pas au- delà*. Je m’abstiens de franchir la montagne, de regarder l’Alsace. Le monde germanique est dangereux pour moi. Il y a là un tout-puissant lotos [somnifère] qui fait oublier la patrie. Si je vous découvrais, divine flèche de Strasbourg, si j’apercevais mon héroïque Rhin, je pourrais bien m’en aller au courant du fleuve, bercé par leurs légendes, vers la rouge cathédrale de Mayence, vers celle de Cologne, et jusqu’à l’Océan ; ou peut-être resterais-je enchanté aux limites solennelles des deux empires, aux ruines de quelque camp romain, de quelque fameuse église de pèlerinage, au monastère de cette noble religieuse qui passa trois cents ans à écouter l’oiseau de la forêt. Non, je m’arrête sur la limite des deux langues, en Lorraine. »

 (Jules Michelet, Tableau de la France, édition de 1875 ; à noter qu’après l’annexion de 1871, Michelet n’a pas remanié son tableau ; l’état définitif paraît être de 1861 https://fr.wikisource.org/wiki/Tableau_de_la_France._G%C3%A9ographie_physique,_politique_et_morale)      

 

                                                            * C'est parce que l'Alsace appartient à la même aire linguistique que l'Allemagne que Michelet considère qu'elle ne fait pas (vraiment) partie de la France. Il n'a pas cette réaction pour les autres découpages linguistiques (langue d'oc, breton, au demeurant en déclin) qui sont essentiellement compris dans le territoire français (même si, à l'égard du Midi, on connait sa fameuse formule : "la vraie France, je veux dire la France du nord")..

.

La Lorraine échappe au sort de l’Alsace en raison de son caractère mélangé, mais où la balance penche toutefois du côté français :

 « La Lorraine offrait une miniature de l’empire germanique. L’Allemagne y était partout pêle-mêle avec la France, partout se trouvait la frontière. »

 

 Pour Michelet, la germanité de l’Alsace, qui ne fait pas de doute (et qui repose principalement sur la langue), l’excluait au moins symboliquement, de son panorama de la France. Mais cette appréciation n’était pas synonyme d’aversion pour la culture germanique, bien au contraire. C’est pour éviter « d’oublier la patrie »(française) que Michelet détourne les yeux de l’Alsace, porte d‘entrée de l’Allemagne (qui lorsqu’il écrit est une patrie culturelle mais non un état unifié).

 

Toutefois, dans le dernier chapitre de son Tableau, qui sert de conclusion, Michelet reparle de l’Alsace ; il la replace alors dans l'ensemble français (le principe de réalité l'emporte !), avec une tonalité modérément élogieuse :

« Pour celui qui passe la frontière et compare la France aux pays qui l’entourent, la première impression n’est pas favorable. Il est peu de côtés où l’étranger ne semble supérieur*. (…) L’Alsace est une Allemagne, moins ce qui fait la gloire de l’Allemagne : l’omniscience, la profondeur philosophique, la naïveté poétique. Mais il ne faut pas prendre ainsi la France pièce à pièce, il faut l’embrasser dans son ensemble… ».

                                                                                                * Michelet veut dire que les provinces frontalières françaises paraissent inférieures aux pays qu’elles touchent…

 

 

 Il existe une autre absence remarquable, et cette fois non expliquée, d’une province dans le Tableau de Michelet. On a deviné qu’il s’agit de la Corse. Les raisons semblent évidentes, bien que Michelet n'en fasse pas état : pour lui, la Corse n’appartient pas à la culture française, donc à la nation française (comme l’Alsace). Il est probable que sa position géographique joue aussi dans le sentiment qu'elle est étrangère à la France. De plus, c’est le pays natal de Napoléon, pour qui Michelet n’a aucune sympathie. Il n'accorde même pas la faveur d’une citation à l'île de Beauté.

 

Nice et la Savoie* n’apparaissent pas non plus dans le Tableau, dont la dernière modification est pourtant postérieure à l’annexion de ces territoires sous Napoléon III. Son Tableau ne mentionne pas non plus les colonies, qui ne sont pas la France.

                                                                                                                * Dans le chapitre concernant le Dauphiné, les Savoyards sont cités seulement. en tant que voisins du Dauphiné.

 

 

Quelques décennies après, on peut penser que l’opinion française s’est mise à raisonner comme Michelet : l’appartenance à la nation française exclut l’appartenance à une culture non-française.

Mais à la différence de Michelet, qui doit choisir entre deux amours, entre France et Allemagne, il est probable que l’opinion moyenne n’éprouve aucune sympathie pour les cultures étrangères. Comme entretemps, l’Alsace a cessé d’appartenir à la France, la germanité de ses habitants a cessé d’être perceptible.

Après 1918, la culture spécifique des habitants redeviendra perceptible et posera alors de nouveaux problèmes à l’Etat français, qui d’ailleurs inaugurera sa reprise de possession par une épuration ethnique dont on ne parle pas souvent.

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

 

On peut donc penser que l’absence de sympathie de J. Verne pour la culture corse, qui se manifeste dès 1867-68 dans la Géographie illustrée de la France, vient du fait que dès cette époque, la culture corse était ressentie comme relevant de la culture italienne. Outre qu'il s'agissait d'une culture étrangère, on a remarqué que J. Verne n’a jamais manifesté de sympathie particulière pour la culture ou la nationalité italienne, remarquablement absente de ses livres. Pourtant, il manifeste de l'admiration pour Pascal Paoli et ses combats pour l'indépendance.

Ses préventions n'ont fait que se renforcer par la suite, probablement en phase avec les progrès d'une forme plus dure de nationalisme, à laquelle J. Verne adhère par conviction ou conformisme (ou les deux)  pour aboutir aux observations nettement défavorables qu'on trouve dans Mathias Sandorf.

 A cela, on peut ajouter - du moins c'est une hypothèse plausible - des antipathies de tempérament entre le "Celte" Jules Verne et les peuples du midi, les Latins, auxquels il est logique d'assimiler les Corses : on a vu son peu de sympathie pour les Provençaux.

Son époque était plus persuadée que la nôtre de l'existence des ethnotypes (identités collectives nationales ou régionales, particulièrement en ce qui concerne la psychologie et le comportement). Au 19ème siècle, il était fréquent d'opposer les caractéristiques des Celtes  à celles des Latins (idéalisme des premiers contre matérialisme des seconds, réserve et pudeur des premiers contre débraillé et attitudes extraverties des seconds).

Est-il besoin de dire que J. Verne reprend essentiellement des lieux communs dans ses notices : il n'avait pas voyagé dans toute la France pour se faire une idée des caractéristiques des populations et ce qu'il dit notamment des Corses provient probablement de sources livresques, plus ou moins réinterprétées à sa façon.

 

Quant à l’Alsace, on peut supposer que la vision nettement sympathique de sa culture propre, dans la Géographie de 1867-68, a été modifiée par l’annexion : cette culture propre cesse d’être perceptible et pour J. Verne comme pour l’ensemble des Français, ce qui caractérise les Alsaciens après 1871, c’est leur appartenance à la patrie française, qu’ils aient choisi la France comme un certain nombre, ou qu’ils soient restés dans les provinces annexées, comme le plus grand nombre.

Parler de leur appartenance à la culture germanique n’est plus possible ni même envisageable, sauf à donner raison à l'Allemagne qui considère les Alsaciens (et Lorrains germanophones) comme faisant naturellement partie du peuple allemand. 

 .

 

 

  

 

ANNEXE

LES NOTICES DE LA GÉOGRAPHIE DE JULES VERNE

 

Comme indiqué, nous reproduisons ici le texte complet des notices de Jules Verne en ce qui concerne la population des départements examinés (à l'exception de la Savoie et Haute-Savoie), ainsi que pour la Corse et le Haut-Rhin, la rubrique Histoire.

Sauf en ce qui concerne la Corse, nous ne reprenons pas les éléments statistiques des notices.

Les noms des départements sont ceux en vigueur en 1867-68, date de parution de la Géographie illustrée.

 

CORSE

 

Superficie. — Population. — La Corse mesure 183 kilomètres dans sa plus grande longueur et 84 kilomètres dans sa plus grande largeur. Sa superficie est de 874 745 hectares, à peu près la superficie du département de l'Aveyron ou de la Côte-d'Or; l'île fait donc partie des 6 plus grands départements de la France. Sa population compte 259 861 habitants, ce qui donne plus de 27 habitants par kilomètre carré. L'accroissement de cette population a été de 90 000 habitants à peu près depuis le commencement du siècle.

Les Corses, isolés dans leur île, et d'ailleurs peu soucieux d'en sortir, ont conservé en grande partie leurs mœurs primitives; ils sont restés superstitieux, mais sobres, hospitaliers, dédaigneux d'un confortable que la plupart d'entre eux ne soupçonnent même pas; leur pauvreté est prudente, et ils ne s'accomoderaient pas de risques à courir pour accroître le peu qu'ils possèdent. Ces particularités s'appliquent surtout à l'habitant des montagnes, qui est paresseux de nature, mais vindicatif à l'excès. On peut compter sur le dévouement, la fidélité, la générosité d'un Corse, sur sa reconnaissance, quand on l'a obligé; mais, que l'on se garde bien de l'offenser et de toucher surtout à l'honneur de sa famille, car le christianisme n'a pas encore fait germer dans son cœur cette rare et difficile vertu, l'oubli des injures. Cependant, la vendetta, si vivace autrefois, qui a causé tant de meurtres, et dont l'accomplissement se transmettait de père en fils, diminue aux frottements de la civilisation, et l'administration emploie tous ses efforts pour détruire ces sanguinaires coutumes si invétérées au cœur de ces insulaires.

 

Histoire.

Les temps historiques commencent pour la Corse dès la plus haute antiquité.

Si cette île fut d'abord habitée par des Phéniciens ou par des Toscans, c'est un point qui ne saurait être absolument établi. Il paraît hors de doute, cependant, que la ville d'Aleria citée par Hérodote, doit son origine à une colonie phénicienne, que complétèrent des Phocéens, et que ces derniers furent définitivement chassés par les Étrusques qui fondèrent la ville de Nicoa.

Vers la fin du ve siècle apparurent les Romains, Cornelius Scipion à leur tête; ils s'emparèrent d'Aleria; pendant un siècle, les habitants de la Corse luttèrent courageusement pour conserver leur indépendance, mais ils succombèrent dans la lutte, et Marius et Sylla y formèrent des colonies romaines. Sous Jules César, la Corse perdit même l'autonomie qu'elle avait conservée, mais elle eut jusqu'à 33 villes, selon Pline, et dont 27 ont été mentionnées par Strabon; puis vint le Bas- Empire et la décadence du royaume d'occident; en 457, la Corse tomba entre les mains de Genséric, et fut décimée par la barbarie des Vandales, malheureuse et sanglante période pour ses habitants, qui subirent des jougs divers, et qui, délivrés enfin des Sarrasins et des Grecs, finirent par respirer quelque peu sous la domination des Francs.

Pépin et Charlemagne firent donation à Rome et à l'Église de cette île si cruellement éprouvée jusqu'alors; mais sa tranquillité n'était pas encore assurée; Rome la céda aux Pisans, et elle fut de nouveau en proie aux troubles et aux incertitudes politiques jusqu'en 1347, époque à laquelle elle passa entre les mains des Génois. Mais les Corses, excités par la cruauté des agents de cette république, se révoltèrent et appelèrent les Français à leur secours. Henri II répondit à leur appel, et en 1547, l'île devint française. Deux ans après, il est vrai, François II retira ses troupes, et les Génois reprirent leur système de terreur.

Nouvelles luttes qui firent couler des flots de sang, après bien des alternatives, pendant lesquelles la France, sous Louis XV, fut appelée à jouer le rôle de médiatrice entre les deux parties, et envoya des troupes dans l'île; malheureusement, elle se prononça pour les Génois; les Corses attaquèrent les Français, les vainquirent momentanément, furent vaincus et soumis à leur tour, et la Corse subit la domination française jusqu'en 1741 ; à cette époque, Louis XV rappela ses soldats, et l'île retomba encore une fois sous la domination génoise, aussi entêtée qu'injuste.

 Alors apparut un homme héroïque, un Corse, Pascal Paoli, qui résolut de consacrer sa vie entière à son pays; il organisa le gouvernement de l'île, et, détail à noter, il eut pour secrétaire Charles Bonaparte qui épousa Lætitia Ramolino et fut le père de Napoléon.

Paoli lutta longuement, courageusement. L'Europe entière fit des vœux pour ce grand citoyen qui travaillait à la délivrance de sa patrie. Gênes se sentit abandonnée peu à peu; se voyant près de succomber et sur le point d'être attaquée elle-même, en 1768, elle céda ses droits à la France qui soumit encore une fois le pays tout entier. Paoli, après de vains efforts et une sanglante résistance dut abandonner son île et se réfugier en Angleterre. Là, profitant de la Terreur, il, entraîna les Anglais à la conquête de l'île, mais ceux-ci en furent chassés par les armées de la république victorieuses en Italie, et depuis cette époque, la Corse compte au nombre des départements Français.

 

 

 

 

BOUCHES-DU-RHÔNE

 

Les habitants des Bouches-du-Rhône sont généralement de taille moyenne et alertes de corps; leur physionomie est mobile, leur caractère inflammable ; ils sont sensuels, et cependant facilement sobres, ardents au gain, joueurs, amateurs de la danse et des exercices violents. L'imagination chez eux est la faculté dominante. Mélange de populations les plus diverses, leur langue est celle de tous les ports de la Méditerranée. Obligés de demander au commerce la richesse que le sol leur refuse, ils se sont faits cosmopolites ; s'ils sont Français, ils sont encore plus Provençaux, et ce n'est que sous l'action incessante du gouvernement central que Marseille consent aujourd'hui à reconnaître dans Paris la capitale d'une patrie commune. Le peuple proprement dit a conservé les variétés de costumes que dépeignent les anciens voyageurs; celui des femmes se compose toujours d'un jupon simple et court, tombant à moitié sur la jambe, de souliers sans talons ornés de grandes boucles, d'un corsage blanc ou noir laissant le bras presque nu, de dentelles dans les cheveux, et d'un chapeau noir sans rubans, à fond étroit et à larges bords.

 

ALPES-MARITIMES



Les habitants de ce département ont les mêmes habitudes que ceux des départements des Hautes et Basses-Alpes. Bornés dans leurs désirs et leurs besoins, ils préfèrent la vie pastorale aux efforts et aux fatigues d'un travail quelconque ; le paysan ne donne au propriétaire que l'excédant des fruits de la terre ;
aussi le propriétaire est-il toujours lésé. L'annexion a déjà modifié cet état de choses en commençant à établir le loyer fixe; mais c'est une véritable révolution à introduire dans les mœurs agricoles de la contrée.

Le langage est un patois mi-provençal, mi-italien. L'instruction est peu répandue et la superstition encore très-grande dans les campagnes.

 

VAR


La population du Var, comprise dans la race provençale, forme la transition entre les peuples du Nord et ceux du Midi; ses caractères généraux sont l'exagération, l'inflammabilité, l'ardeur, la finesse de l'esprit, la franchise, la bravoure, et la vivacité de l'imagination qui l'emporte parfois sur la droiture du jugement.

Dans les campagnes il faut distinguer entre l'habitant des plaines et celui des montagnes.

L'habitant des plaines et du littoral est violent, mais attaché à sa famille et à son foyer domestique, sobre, laborieux, hospitalier et charitable. Dans les montagnes, où le sol est ingrat, le pays pauvre, le paysan émigre volontiers pendant quelques mois pour chercher du travail, et il ne revient dans ses montagnes
qu'à l'époque des moissons et de l'ensemencement des terres.

L'idiome employé dans les campagnes du département du Var est le provençal ou langue romane, qui est la langue celtique modifiée par l'apport des Romains et de tous les barbares qui occupèrent le pays, c'est-à-dire que les locutions mauresques, aragonaises, italiennes ou espagnoles y apparaissent fréquemment.

 

VAUCLUSE

 

 

 
Les populations du département appartiennent à une race véritablement belle; l'agilité et la souplesse, unies à la grâce, l'animation des traits, l'expression de la physionomie, forment ses caractères distinctifs. Si l'habitant de Vaucluse n'a pas toute la gaieté du Provençal, il n'en a pas non plus toute la vanité; il est honnête, probe, très-sûr dans ses relations, très-ferme dans ses idées, trop passionné parfois, et il aime avec la même exagération qu'il hait.

Peut-être, dans les campagnes pousse-t-il à l'excès l'économie domestique; cependant, il aime à briller et recherche le luxe; il pos-sède, en général, à un degré inférieur, les qualités des Provençaux, des Dauphinois et des habitants du Rhône, et il se fait remarquer par une grande ardeur pour les plaisirs.

On parle français dans toutes les villes du département, et les campagnards ont conservé une sorte de patois expressif, vif, énergique, différent du languedocien et du provençal, et qui doit avoir une très-ancienne origine.

 

BASSES-ALPES

 

 (…) L'émigration est un fait permanent dans les Basses-Alpes; elle est due principalement à la rigueur de la température, aux dangers des avalanches et des ouragans qui détruisent en quelques instants le fruit d'un pénible labeur, enfin au déboisement qui a livré le sol aux dévastations des torrents et frappé de stérilité presque tout le pays.

La population qui persiste est naturellement vigoureuse et attachée aux lieux qui l'ont vue naître. On y compte peu de personnes sans profession, 3700 au plus, tandis que le nombre des agriculteurs est de près de 120 000 contre 2 000 industriels ou commerçants.

La vie pastorale est générale dans certaines parties, et le costume y a conservé ses particularités. Ainsi, les hommes sont encore vêtus d'une longue casaque, couverts d'un large chapeau et chaussés de souliers dont l'épaisse semelle, garnie de clous énormes, les aide dans leur marche pénible. Les femmes sont vêtues d'étoffes de laine éclatantes; leur coiffure est un bonnet garni de dentelles sur lequel elles posent le plus souvent un large chapeau de feutre ou de paille. Les habitants des villes parlent français, mais le langage général est le provençal.
Les cultivateurs des Basses-Alpes ont conservé presque partout leurs habitudes routinières, et c'est dans le but de leur ouvrir la voie des améliorations par l'exemple, que l'administration a créé une ferme-école à Paillerols, canton de Mées, près de la Durance. Cependant la valeur totale de la production agricole ne dépasse pas annuellement 26 millions de francs.

 

HAUTES-ALPES


L'oisiveté forcée des longs hivers de ce pays y produit des émigrations plus considérables que dans les départements voisins. On compte en moyenne une population flottante de 6000 émigrants qui rentrent dans leurs foyers, après quelques années d'absence, avec un modeste pécule laborieusement amassé.

Les habitants des Hautes-Alpes sont énergiques, mais rebelles aux progrès. Les vieux usages ont encore toute leur puissance chez eux. Cette observation ne s'applique pas aux habitants des villes, dont les mœurs et le costume ne diffèrent en rien de ceux des autres parties de la France; mais dans un département où la vie pastorale domine, il ne faut pas s'étonner d'y voir persister l'ignorance.

Les costumes anciens sont encore de mise; les hommes portent la culotte recouverte aux genoux par les bas, le long gilet et la veste carrée et large : de grands chapeaux abritent leur chevelure longue et flottante. Les femmes ont un justaucorps et un jupon adaptés ensemble, et un mouchoir cache habituellement leur bonnet.

La misère est extrême dans certaines parties de ce pays : ainsi, les habitants du Dévoluy, n'ont pour se nourrir qu'un pain grossier de farine de seigle non blutée ; lorsque l'année a été mauvaise, ils n'ont à leur disposition que des herbes, des racines ou des escargots. Leurs demeures sont des masures où la lumière pénètre à peine à travers un papier huilé. Cependant l'hospitalité y est pratiquée avec empressement. La population de cette triste contrée paraît être plus particulièrement d'origine sarrasine; on y parle un patois bizarre, mélangé de celte, de grec, de latin, d'italien et de français.

  
 

HÉRAULT

  

Les habitants des villes du département sont intelligents, actifs, industrieux, francs, probes, amis des exercices du corps et des beaux-arts, de la musique particulièrement, pour laquelle ils ont une grande aptitude, et ils sont doués d'une vive imagination. Les habitants des campagnes se distinguent par une certaine rudesse, une défiance, une ignorance superstitieuse qui tend à s'effacer chaque jour; mais ils sont toujours vindicatifs, et leurs passions les entraînent souvent à de regrettables excès.

 La langue française se popularise de plus en plus dans les campagnes, et elle finira par absorber un charmant patois qui se parle aux environs de Montpellier, et dont l'accent et la tournure sont empreints d'une grâce toute italienne.

 

 

GARD

 

 

 

  Les habitants du Gard sont laborieux, actifs, entreprenants, spéculateurs, avec un goût vif pour les arts, une imagination ardente, une grande aptitude pour les sciences, mais une humeur assez irascible, que les guerres civiles ou religieuses ont souvent changée en un fanatisme cruel. Ils font de bons soldats et embrassent volontiers le métier des armes.
Leur taille est moyenne, mais ils sont bien constitués.

 

 

 

 HAUTE-GARONNE

 

 

  Les caractères principaux des habitants de la Haute-Garonne sont une aptitude remarquable pour les sciences et les arts, un esprit juste, beaucoup de pénétration et de sens, une conception vive servie par cette remarquable élocution propre aux populations méridionales. Cette population est brave, ambi-tieuse et amoureuse des distinctions et des honneurs plus encore que des richesses; d'ailleurs simple dans ses goûts, pure dans ses mœurs, peu économe peut-être, mais ennemie des spéculations hasardeuses. Sur la frontière française, le montagnard est tant soit peu contrebandier de sa nature, adroit, déterminé, vif, irritable et difficile à réduire; mais qui s'est fié à lui n'a jamais eu à s'en repentir.
Le costume des hommes qui se coiffent soit de hauts chapeaux, soit de berrets plats, est fait d'étoffes sombres, et contraste avec celui des femmes, très-amies des couleurs écla- tantes, des parures coquettes et surtout des coiffures originales.
La langue française est parlée dans toutes les villes du département. Le patois qui forme le fond du langage des campagnes est vif, gracieux, et suivant la région où on l'emploie, il participe de l'idiome béarnais ou de l'idiome languedocien.

 

 

 

 BASSES-PYRÉNÉES 

 

«  Il faut distinguer dans le département les  Béarnais des Basques; les premiers ont beaucoup d'esprit et de finesse, de l'intelligence, mais ils sont généralement processifs. Les Basques, beaucoup plus simples et plus sobres, sont très-francs, très-hospitaliers, et ils possèdent toutes les vertus des montagnards.

 Béarnais et Basques fournissent un large contingent à l'émigration, principalement pour l'Amérique du Sud.

Entre la langue parlée par ces deux races, les différences sont également notables ; l'idiome béarnais est un mélange de celte, de latin et d'espagnol, tandis que le basque est une langue mère qui dérive du phénicien. »

 

PYRÉNÉES-ORIENTALES

 

« Les habitants du département des Pyrénées- orientales, voisins de l'Espagne et toujours en relation avec ce royaume, ont conservé l'empreinte espagnole dans l'impétuosité de leur caractère, et la haute opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. (…) très-fiers, très-indépendants, le plus souvent indomptables (…) ils aiment particulièrement la danse et la pompe des cérémonies religieuses.

Le principal idiome du département est le Catalan, qui est très-ancien, et même antérieur au latin ; c'est évidemment une dérivation des langues romanes, qui furent parlées d'abord
par tous les peuples de l'Occident. »

 

 

ILLE-ET-VILAINE

 

Les habitants d'Ille-et-Vilaine ont toutes ces vertus communes aux habitants de la Bretagne, la franchise, la bravoure, la constance dans les affections, la fidélité dans les engagements, l'amour du sol natal; mais comme eux, ils n'ont ni l'esprit industriel, ni de penchant au commerce et à la spéculation ; leurs besoins sont généralement restreints, leur vie pure et tranquille, et ils ont une tendance à résister à ce mouvement qui entraîne le monde moderne vers le tourbillon des affaires.

 

Dans les campagnes, le paysan est resté superstitieux et il a gardé en partie son costume traditionnel.

Le patois du département se parle principalement sur les côtes, où il est mêlé de mots celtiques.

 

FINISTÈRE

 

Les habitants du Finistère, rudes de ton et de manières, sont pourtant bons, hospitaliers, pleins de franchise, très-sensibles aux prévenances, très-entêtés dans leurs déterminations et aussi dans leurs préjugés ; ils font d'excellents soldats, et des marins habiles et courageux. Leur race est belle, vigoureuse, solidement constituée dans les pays fertiles, sur les côtes de Léon et de Plougastel, mais plus chétive dans les montagnes et au milieu des landes arides.

 

Les Bretons portent toujours la vaste culotte et les sabots, le gilet court, la casaque de toile à capuchon, le chapeau à larges bords et les cheveux longs tombant sur les épaules.

 

Leurs femmes se distinguent surtout par leur coiffure ronde qui varie suivant la région qu'elles habitent. La majorité des habitants parle le bas-breton.

 

 

MORBIHAN

 

L'habitant du Morbihan a de grandes vertus domestiques, qui sont l'extrême pureté des mœurs, la probité, la compassion pour les malheurs d'autrui, et la résignation dans ses propres infortunes, poussée jusqu'au stoïcisme; son jugement est droit, son bon sens est reconnu, mais il n'a ni esprit naturel, ni imagination vive, et il montre une extrême indécision, quand il s'agit de prendre un parti dans ses propres affaires, et peu de confiance dans les conseils d'autrui. Ces diverses observations s'appliquent surtout aux habitants des campagnes, car, dans les villes, l'ancienne originalité bretonne s'efface de jour en jour.

 

La langue française est généralement employée dans les grands centres du département; mais les campagnes ont conservé l'usage du Bas-breton, langue primitive, qui s'est encore conservée dans toute sa pureté celtique.

 

 

 CÔTES DU NORD

 

L'originalité de la race bretonne s'est surtout conservée dans les campagnes; mais dans les villes, la civilisation et l'influence française ont fait de notables progrès. Toute cette population, sans distinction de race, est affable, hospitalière, simple et pure dans ses mœurs, facile dans son existence. Les agriculteurs sont de complexion nerveuse, plus entêtés dans leurs coutumes et leurs opinions, plus violents dans leurs passions que les habitants des villes; ils sont querelleurs, batailleurs, quand leur colère est surexcitée, et cependant, patients, doux, prévenants dans le commerce ordinaire de la vie ; d'ailleurs très-attachés à leur pays, au foyer domestique, à la famille, à la religion de leurs pères, à leurs curés, dont l'influence est dominante. Dans les cérémonies diverses, dans les noces surtout, ils ont conservé des usages bizarres et de cu- rieuses coutumes; ce sont des fêtes véritables qui durent plusieurs jours, et dont Brizeux a chanté les poétiques épisodes.

 

Le costume des Bretons a conservé quelques détails des anciens temps, et les fait aisément reconnaître par le large chapeau, les guêtres, le manteau bleu, tandis que les femmes portent encore, dans quelques campagnes, le joubelineu, c'est-à-dire le capuchon.

 

Mais ce qui distingue essentiellement le paysan breton, et par conséquent celui des Côtes-du- Nord, c'est son langage spécial. Le bas breton, le Brezonecq, qui doit être l'ancien celtique, ressemble au gaël d'Irlande et à l'erse de l'Écosse ; il est surtout parlé dans les arrondissements de Guingamp et de Lannion, et dans une portion de ceux de Loudéac et de Saint-Brieuc ; il se divise en quatre dialectes principaux, dont les mots diffèrent surtout par leur prononciation, mais assez cependant pour qu'un natif de Tréguier ne puisse comprendre un habitant du Cornouailles. Le bas breton est une langue très-pure, probablement une langue mère, dont les adjectifs sont invariables et qui n'a qu'un seul genre, mais pleine de tours poétiques et de circonlocutions gracieuses; il a produit plusieurs ballades historiques, des chansons chères au cœur de tout Armoricain, et quelques poëmes fort appréciés des philo- logues.

 

 

LOIRE-INFÉRIEURE

 

La vivacité, l'ardeur et la ténacité dans les entreprises, un esprit commerçant et industriel, une loyauté et une probité universelle- ment reconnues distinguent les habitants de la Loire-Inférieure; leur intelligence est vive, mais chez eux le jugement et le bon sens l'emportent sur l'esprit et l'imagination, et ils sont moins artistes qu'amis des arts. Dans les campagnes, les mœurs ont conservé une grande pureté ; la vie est sobre et patiente, la communalité [sic] grande entre les familles, et l'hospitalité pratiquée avec beaucoup de franchise; l'ivrognerie tend à s'effacer de jour en jour, ainsi que les préjugés et les superstitions.

On parle français dans toutes les villes du département avec un accent un peu chantant qui fait aisément reconnaître l'habitant de la Loire-Inférieure; le bas-breton est principalement employé dans tout l'O. des arrondissements de Nantes et de Savenay.

 

 

 MOSELLE

 

La franchise et la douceur sont les principaux caractères de l'habitant de la Moselle; il est entreprenant, travailleur, actif, et aux qualités de l'homme privé, à l'amour de ses foyers et de sa famille, il possède au plus haut degré de la première vertu du citoyen, le patriotisme. Les paysans des vallées fertiles sont gais et sociables, mais ceux des pays pauvres, où le sol ingrat ne paye pas la peine du travailleur, sont encore rudes de mœurs et presque sauvages.
Le français est généralement parlé dans les villes et les campagnes, même dans les portions du département qui confinent à l'Allemagne, mais il est souvent mélangé du patois messin qui est fort original.

 

 

 

BAS-RHIN.

  

Les habitants du département du Bas-Rhin, les Alsaciens, ont une réputation méritée d'esprit et de bravoure; ils aiment les plaisirs et les affaires avec une égale passion ; ils sont ennemis de l'arbitraire, et déploient en toute circonstance un grand esprit de sagesse et de justice. La musique et la danse ont toujours eu pour eux d'irrésistibles attraits, et le peuple surtout, dans les villes comme dans les campagnes, est fanatique de ces plaisirs.

 

On parle allemand dans la région qui confine au Rhin; le français est généralement employé dans les grands centres, et le patois lorrain est en usage dans les montagnes.

 

 

 

HAUT-RHIN

 

 

La population qui occupe la partie plane du département du Haut-Rhin, tend à perdre de jour en jour son originalité native, et les villes surtout ne se distinguent pas des autres villes du territoire français ; les habitants s'y montrent intelligents, ingénieux, et ont un grand sens des affaires industrielles. C'est dans l'O. du département, au milieu des montagnes des Vosges, que les montagnards ont conservé quelque caractère particulier; leur flegme est devenu proverbial; ils ont le sentiment national porté à un degré extrême, tiennent encore à leurs anciens usages, sont fort économes, et ont gardé une rude franchise d'expressions qui les rend très-originaux. Les juifs sont nombreux dans ce département, et déploient, dans les campagnes surtout, ce génie du commerce de détail qui est particulier à leur race.

 

Le dialecte allemand est souvent employé sur la frontière orientale du département, et le patois lorrain est plus particulièrement en usage dans les montagnes des Vosges.

 

 Notice historique

Histoire. — Avant l'invasion romaine, le territoire occupé par le département du Haut- Rhin était habité par plusieurs peuplades celtiques, Séquaniens, Rauraques, Triboques, etc. Ces peuplades opposèrent une longue résistance à l'envahissement, et il fallut de sanglants combats pour les réduire ; aussi des forts s'élevèrent-ils sur les bords du Rhin pour contenir ces tribus à peine soumises ; cependant, avec leur habileté politique, les Romains, défrichant les forêts de la province, traçant des routes, créant des villes, rendirent cette contrée très- prospère pendant un laps de deux siècles; elle fut alors comprise dans cette province nommée Maxima Sequanorum, dont Besançon formait la métropole.

Ce fut sous le règne de Constantin, que saint Materne apporta dans la Haute-Alsace les premiers éléments du christianisme ; mais alors la puissance des empereurs commença à décliner, le grand empire romain se désorganisa peu à peu, et vers le IVe siècle, pendant le règne du faible Honorius, son lieutenant Stilicon ayant été obligé de retirer ses troupes, les barbares du Nord se précipitèrent sur cette contrée trans-rhénane qu'ils convoitaient depuis longtemps. Ce furent d'abord les Alains et les Vandales, puis les Allemands, et enfin la terrible invasion d'Attila et des Huns, en 451.

En 496, après la victoire de Tolbiac, la domination franque s'établit sur la rive gauche du Rhin.

Après la mort de Clovis, les deux Alsaces, réunies en duché, furent comprises dans le royaume d'Austrasie jusqu'à la mort de Childebert, en 843; à cette époque, le traité de Verdun détacha ce duché de la monarchie franque et le joignit au royaume de Lorraine, échu à Lothaire, fils aîné de Louis-le-Débonnaire, mais vingt-six ans plus tard, il se trouva rattaché à l'empire d'Allemagne.

Cette province fut alors administrée par des ducs de Souabe et d'Alsace qui dépendaient de  l'empereur ; ils appartenaient aux premières familles d'Allemagne, et le dernier de ces ducs fut ce jeune Conradin, décapité à Naples, qui disputa à Charles d'Anjou la conquête de la Sicile. L'Alsace releva alors plus directement de l'empire; en 1268, elle fut divisée en deux landgraviats, et le landgraviat supérieur comprit la Haute-Alsace, qui forme le département actuel du Haut Rhin.

Jusqu'au xve siècle, cette province fut exposée à des troubles de toutes sortes; les invasions des Normands et des Anglais [?], la rivalité des maisons de France et de Bourgogne, les prétentions des évêques, la lutte des paysans contre la noblesse, connue sous le nom de guerre des Rustauds, ne lui laissèrent aucun repos. Luther et Calvin apparurent alors, puis les anabaptistes, et, en 1548, une église réformée fut fondée à Strasbourg.

Cependant, la Haute-Alsace avait passé par succession dans la maison des Hapsbourg [sic], puis dans la maison d'Autriche; en 1648, le traité de Munster céda à la France tous les droits de l'empereur sur les deux landgraviats, sous réserve des franchises concédées aux villes impériales; Louis XIV occupa violemment ces villes sans se préoccuper de cette clause du traité ; de là des révoltes que Turenne et Condé durent comprimer; le roi prit Strasbourg en 1681, et le traité de Riswick, en 1697, lui assura la rive gauche du Rhin. Au premier appel de la Révolution, toute l'Alsace se leva avec enthousiasme, et ses enfants se battirent héroïquement aux frontières.

En 1790, lorsque l'Assemblée nationale décréta la division de la France par départements, le Haut-Rhin fut formé de la Haute-Alsace et de la petite république de Mulhausen.

 

NORD

 

 

Les habitants du département du Nord ont le génie des affaires industrielles et commerciales, et une très-remarquable aptitude pour les spéculations; ils sont méthodiques, doux dans leur vie privée, sains de jugement, hospitaliers et charitables, et froidement braves jusqu'à l'héroïsme.

La langue flamande est en usage dans les arrondissements de la frontière, et la française est employée dans la plupart des villes et des villages.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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