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Le comte Lanza vous salue bien
7 avril 2017

MARSEILLE ET PARIS EN 1887 : LES SOUVENIRS DE LA COMMUNE DE 1871

 

 

 

MARSEILLE ET PARIS EN 1887 :

LES SOUVENIRS DE LA COMMUNE DE 1871

 

 

 

 

 

 

 

Dans ce message et sans doute les suivants, nous nous intéressons à des épisodes historiques ou à des aperçus biographiques qui  sont dans le prolongement de l’histoire de la Commune de 1871.

Ils montrent  comment  les anciens Communards (ou les sympathisants de la Commune) se sont insérés dans le contexte politique et social de la fin du 19ème siècle et ont évolué avec ce contexte.

Ils sont aussi l’occasion de rencontrer des opposants à la Commune et de voir comment ceux-ci ont également évolué, convergeant parfois dans une même direction avec d’anciens Communards.

Nos récits montrent aussi l’utilisation du souvenir de la Commune dans certains épisodes aujourd’hui oubliés. En 1887, à Marseille et à Paris, on reparle de la Commune. Il est intéressant de regarder le contexte et les résultats de cette résurgence qui ne débouche pas sur de nouvelles tragédies, mais plutôt sur des comédies politiques.

Contrairement à la position affirmée par certains admirateurs actuels de la Commune, les anciens Communards n’ont pas tous été des militants révolutionnaires vivant dans le souvenir de la Commune et l'espoir d'une autre révolution, des « résistants » en opposition radicale avec la société « bourgeoise » de leur temps.

Quelques uns l’ont été, à l’image de Louise Michel. Mais ont-ils été les plus nombreux ?

Un grand nombre, peut-être la plupart, des anciens Communards – et  leurs sympathisants plus jeunes-  ont évolué avec leur temps : ils ont réagi à de nouvelles situations et donné leur adhésion à des idées qu’on n’associe pas forcément à la Commune. Ils ont appartenu à milieux pluralistes et ont été en relations avec des personnes appartenant à des traditions politiques différentes.

D’autres ont abandonné la politique et se sont tournés vers des activités privées lucratives.

On les retrouve partout, participant pleinement à la vie de leur époque : c’est un ancien Communard, dirigeant prospère d'une entreprise du bâtiment, qui construit le pavillon de l‘Algérie à l’exposition universelle de 1889 et de nombreux immeubles parisiens (Claude-Marie Perret, père du célèbre architecte Auguste Perret); c’est une sympathisante de la Commune qui interviewe le pape Léon XIII et qui essaie de lui faire approuver « la guerre des races » (Séverine, qui fut la collaboratrice de Jules Vallès à la 2ème version du Cri du Peuple au début des années 1880, puis un moment directrice de ce journal) !

Des anciens Communards soutiennent le général Boulanger, mêlés à d’anciens adversaires de la Commune..

A Paris, ce sont des « néo-Communards » du conseil municipal qui font échec à l’élection de Jules Ferry à la présidence de la république – mais en y regardant de près, le chef de ces néo-Communards est aussi l’un des chefs de file du racisme scientifique.

Les anciens Communards et leurs sympathisants ont aussi partagé les idées dominantes de la fin du 19ème siècle et ont vécu, non en marge, mais au milieu de leurs contemporains.

 

 

 

 

L'HOMMAGE A LA COMMUNE DE 1871 DE LA MUNICIPALITE DE MARSEILLE ET CE QUI S'EN SUIVIT

 

 

 

 

Vers 1885, Marseille était dirigée par une municipalité composée de différentes factions républicaines, jusqu'aux socialistes, avec Emmanuel Allard comme maire. Cette municipalité s'était montrée plutôt efficace dans la gestion d'une épidémie de choléra en 1884.

Elle avait succédé à la municipalité Brochier (radicale) qui s'était surtout illustrée par des affaires scandaleuses de marchés publics - mais en bon radical, Brochier avait refusé l'édification d'un monument à Adolphe Thiers que son prédécesseur le modéré Ramagni avait envisagée.

Le manque d'homogénéité politique de la municipalité Allard devait  provquer un incident qui allait être cause de sa dissolution.

 L'historien marseillais des années 30, Raoul Busquet, dans son Histoire de Marseille, donne le récit suivant, marqué d'un esprit plutôt conservateur :

" Le 18 mars 1887, anniversaire de la Commune de Paris, le conseiller Brouard, socialiste révolutionnaire, proposa que la séance fût levée en signe d'hommage à l'insurrection. Le mal honteux des démocraties - la peur de ne point paraître assez avancé - opéra parmi les républicains diversement teintés de l'assemblée. La motion Brouard trouva une majorité, la séance fut levée. Huit jours plus tard , le gouvernement décrétait la dissolution du conseil municipal."

Le chef du gouvernement (on disait le président du conseil, équivalent du Premier ministre, mais avec des pouvoirs plus étendus pusque le président de la République n'avait pas de rôle politique direct) était à l'époque René-Marie Goblet.

Avocat de formation, nommé procureur général par le gouvernement de la défense nationale en 1870, député de gauche démocratique depuis 1871, Goblet fut proche des opportunistes, puis "il ne soutint qu'avec réserve le ministère Ferry, combattit le cabinet Gambetta, et se trouva tout désigné pour faire partie, avec le portefeuille de l'Intérieur, du ministère « libéral » que M. de Freycinet réussit à constituer le 30 janvier 1882." (dictionnaire des parlementaires de Robert et Cougny). En 1885, ministre de l'instruction publique et des cultes,  "il soutint ... le projet de désaffectation [religieuse] du Panthéon, fit rétablir au budget des cultes cent mille francs pour le clergé d'Algérie, ainsi que le crédit des chanoines, et encourut ainsi de nouveaux reproches des radicaux, bien qu'il fût connu comme un partisan théorique de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il interdit encore la représentation de Germinal, drame tiré d'un roman d'Emile Zola".

C'était donc un républicain assez typique du centre-gauche, qui évolua toutefois vers le radicalisme par la suite.

Président du conseil en 1886, en assurant en même temps le ministère de l'intérieur,  il déclara vouloir continuer la politique prudente et ferme de son prédécesseur Freycinet.

Républicain du centre-gauche, il ne pouvait tolérer l'éloge (sous forme d'hommage) de la Commune et soumit donc à la signature du président de la république Jules Grévy le décret portant dissolution du conseil municipal de Marseille, mesure qui eut l'approbation des modérés à la chambre des députés.

Un journal visibement de tendance modérée, Le Journal de Tournon, donne ainsi son opinion :

 

Journal de Tournon

Dimanche 27 Mars 1887.

" Un décret du président de la République publié au Journal officiel prononce la dissolution du conseil municipal de Marseille.

L'unique considérant du décret porte que « le conseil municipal de Marseille, en levant sa séance en l’honneur et en commémoration du 18 mars 1871, s'est livré à une manifestation contraire à la constitution et à l'ordre public. »

Nous ne pouvons qu'approuver le président du conseil, ministre de l'Intérieur, de la fermeté dont il a fait preuve en cette occasion. Les conseillers municipaux de Marseille ont montré, dans la circonstance visée par le décret, le plus profond mépris de la loi. Le conseil municipal de Paris, à qui on a trop souvent pu reprocher de mêler la politique à ses délibérations, n'avait jamais osé se livrer à une aussi étrange manifestation.

Et Dieu sait pourtant si les tentatives pour l'obtenir ont été nombreuses!

Les conseillers marseillais ont cru sans doute se mettre hors pair en faisant ce que leur collègues parisiens se sont toujours refusés à faire. Le décret du président fait justice de ces velléités ridicules.

Chose consolante, dans le public et à Marseille même, le sentiment de réprobation pour le vote émis par le conseil municipal a été général.

Aussi, espérons-nous que les électeurs marseillais, pour peu qu'ils aient du bon sens, saisiront cette occasion de doter leur ville d'un conseil municipal s'occupant de leurs affaires et non de détestable politique.

Leur attachement aux doctrines et au personnel intransigeants ne leur a vraiment pas porté bonheur. Après un conseil municipal que des concussionnaires ont rendu tristement célèbre, ils en ont un autre où l'on glorifie la guerre civile. Ces folies n'ont jusqu'à présent profité qu'à la réaction, qui a acquis, à Marseille, une minorité plus importante que dans aucune autre grande ville de France."

 

Toutefois, d'autres conseils municipaux étaient tentés de suivre l'exemple de Marseille.

Dans le journal catholique  La Croix du 1er avril 1887, on peut lire :

" Le conseil municipal de Paris, craignant de partager le sort de celui de Marseille, a refusé hier de prendre en considération l'ordre du jour présenté par M. de Ménorval, qui glorifiait l'insurrection du 18 mars. Pour sortir de ce mauvais pas, il a déclaré que l'amnistie ayant effacé tous les vestiges du passé, cette question n'offrait plus qu'un intérêt historique.

Les socialistes, que ce vote exaspère, l'accusent de trahison.

 (...)

Le ministre de l'intérieur a rendu compte de la séance tenue hier par le conseil municipal de Paris. Il a fait ensuite connaître la délibération du conseil municipal de Saint-Ouen, qui a été moins prudent. Un décret prononçant la dissolution de ce conseil sera proposé samedi à la signature du Président de la République."

 

Disons un mot du conseiller municipal de Paris qui avait proposé de rendre hommage à la Commune - et qui n'y avait d'ailleurs pas participé :

Eugène Lagoublaye de Ménorval était un aristocrate rallié à la gauche républicaine et directeur d'une institution d'enseignement privé (mais non religieux). Elu au conseil municipal de Paris dès 1879 il se définit comme radical "autonomiste" (c'est-à-dire partisan de l'autonomie communale de la capitale), anticlérical, partisan de la suppression du Sénat, de la séparation de l’Église et de l’État, et de la laïcisation de l’École, proche de Clemenceau, de Floquet, de Brisson et Lockroy (Wikipedia).

Il adhère ensuite au Boulangisme. Lorsque Ménorval intervient pour demander la commémoration de la Commune au conseil municipal de Paris, le Boulangisme politique n'a pas encore vraiment commencé (mais depuis 1886, le général Boulanger cristallise déjà des sympathies). A ce moment, Boulanger est encore ministre pour peu de temps. C'est son éviction du gouvernement en mai 1887 qui signe la naissance du Boulangisme d'opposition : lors d'élections partielles, 100 000 électeurs de la Seine se portent sur son nom, à la demande de Rochefort, alors que Boulanger n'est même pas candidat (et est inéligible comme militaire), et lors de sa nomination-sanction en province, en juillet 1887, une foule manifeste pour empêcher son train de partir et conspue le gouvernement.

Ménorval appartient en 1888 au Comité républicain national, véritable état-major du mouvement boulangiste (Wikipedia). Membre du comité directeur de la Ligue des Patriotes de Déroulède (dissoute en avril 1889 par le gouvernement), candidat boulangiste malheureux aux élections législatives de septembre 1889.

Après la mort du général Boulanger (30 septembre 1891), Ménorval participe avec d'autres Boulangistes de gauche à la création d'une « Ligue intransigeante socialiste » présidée par  Rochefort. De nouveau candidat "révisionniste plébiscitaire" en 1893, puis "socialiste révisionniste" en 1894 (il s'agit chaque fois de la révision des lois constitutionnelles), avec le patronnage de Rochefort, qui finalement le laisse tomber; à chaque fois il ne peut se faire élire.  Il se définit alors comme socialiste patriote, anti-internationaliste.

 

Le Journal de Tournon semble considérer l'initiative du conseil municipal de Marseille comme une façon de se distinguer - ce qui était peut-être le cas. Les Marseillais ne font jamais comme les autres.

Il rappelle que le conseil municipal de Marseille est attaché aux "doctrines et au personnel intransigeants", adjectif qui désigne à ce moment l'extrême-gauche radicale (radicaux intransigeants par opposition aux radicaux devenus opportunistes). Pour ce journal, reflet de l'opinion modérée, faire l'éloge de la Commune, c'est faire l'éloge de la guerre civile.

Comme le souhaitait l'article que nous citons, l'incident de l'hommage à la Commune allait être l’occasion de doter Marseille d’une municipalité plus efficace et moins idéologique sans doute.

Un ancien conseiller municipal de la municipalité Brochier, Félix Baret, réunissant autour de lui une large coalition républicaine plutôt modérée (comportant même des bonapartistes ralliés, comme indiqué dans Marseille pour les Nuls, de Edmond ECHINARD, Pierre ECHINARD et Médéric GASQUET- CYRUS) remporta les élections de mai 1887 contre une liste de républicains dissidents, une liste socialiste révolutionnaire et la liste du comité monarchique. Au 2ème tour, tous ses concurrents se retirèrent.

 

 

Marseille-Quai_des_Belges_vers_1900

 Marseille. Le quai de la Fraternité, plus tard quai des Belges, vers 1890 -1900.

Wikipedia

 

 

 

 

 

FELIX BARET ET UN EPISODE DE L'AGITATION REVOLUTIONNAIRE A LYON EN 1870

 

 

 

Né à Gardanne, Félix Baret fit de brillantes études à la faculté de droit d’Aix-en-Provence. Il est inscrit dès l’âge de 20 ans au barreau d’Aix-en-Provence. Fin 1868 il plaide avec Gaston Crémieux (le futur chef malheureux de la Commune de Marseille en 1871) dans l’affaire des empoisonneuses. Trois marseillaises Marie-Rose Alavena, Marie Autrand et Antoinette Joséphine Duguet sont accusées d’avoir empoisonné leur mari avec de l’arsenic et de la belladone fournis par l’herboriste Joye. Les avocats sauvent la tête des accusées ainsi que celle de l’herboriste accusé de complicité (Wikipedia).

 

Félix Baret avait, comme la plupart de ses contemporains, vécu la guerre de 1870 et avait été mêlé à un incident grave dans le contexte de l’agitation politique et sociale qui aboutit aux épisodes de la première Commune de Lyon (26-28 septembre 1870) et de la deuxième Commune (22-25 mars 1871, avec une résurgence du 30 avril au 1er mai à La Guillotière).

Pendant la guerre de 1870, Felix Baret se trouve à Lyon en tant que capitaine des gardes nationales mobiles des Bouches-du-Rhône. Il est nommé commissaire du gouvernement auprès du conseil de guerre chargé de juger les insurgés de la Croix Rousse qui avaient participé à l’assassinat du commandant Arnaud. Il fit condamner plusieurs accusés.

 

Un site lyonnais, Les rues de Lyon, présente ainsi l' affaire du commandant Arnaud :

Le 18 décembre 1870 eut lieu une bataille contre les Allemands à Nuits Saint-Georges (Côte d'Or).

Lors de la retraite des troupes françaises, les francs-tireurs et gardes nationaux furent particulièrement pourchassés par les Allemands, si bien que dans une partie de la  population lyonnaise, le bruit se répandit (à tort ou à raison) que les troupes régulières avaient abandonné, plus ou moins délibérément, les volontaires et gardes nationaux (dont beaucoup étaient originaires de la région lyonnaise)

" Au lendemain de la défaite militaire, la rumeur s'était répandue que les légions de volontaires du Rhône avaient été décimées sous le regard de la troupe qui n'avait pas bougé pour les défendre. Devant une foule en ébullition où les femmes, mères, veuves et sœurs des morts à Nuits ne sont pas les moins excitées, on crie à la trahison et des meneurs affiliés à l'Internationale tentent de récupérer la colère pour créer un mouvement insurrectionnel visant à chasser le préfet Challemel-Lacour, le conseil municipal, et installer la Commune à l'Hôtel-de-Ville. C'est dans la salle Valentino, au n° 8 de la place de la Croix-Rousse que, dans une atmosphère d'orage, s'enchainaient les discours.

On somma le commandant du 12ème bataillon de la Garde nationale, un chef d'atelier du nom d'Antoine Arnaud, connu par la police impériale pour son républicanisme, libre penseur et franc-maçon, de se placer à la tête des émeutiers et de les diriger vers l'Hôtel-de-Ville. Arnaud refusa, tenta de s'enfuir par la rue du Mail où il fut saisi par les émeutiers, traîné dans la salle Valentino et condamné à mort par une assemblée surchauffée après un simulacre de jugement. On le conduisit au Clos-Jouve, escorté de femmes qui portaient des drapeaux rouges et noirs et on le fusilla. Jetant son képi en l'air, il commanda lui-même le feu, rapportèrent des témoins, en criant Vive la République.

 Grâce à sa résistance, les bataillons du Centre Ville purent réprimer les projets des émeutiers. Le conseil municipal de Lyon, "considérant que le commandant Arnaud, du 12ème bataillon, avait été lâchement assassiné en cherchant à maintenir l'ordre public menacé" décida d'adopter ses trois enfants au nom de la ville, et d'attribuer une pension viagère à sa veuve.

(...). Le 22 décembre, raconte Kleinclausz dans son Histoire de Lyon, le cercueil du commandant Arnaud, recouvert des insignes compagnonniques et maçonniques, fut conduit au cimetière de la Croix-Rousse par une foule énorme en tête de laquelle marchaient le maire Hénon, le préfet Challemel-Lacour et Gambetta, de passage à Lyon. Le Conseil de guerre prononça quatre condamnations à mort parmi les tribuns de la salle Valentino : seul le dénommé Deloche fut passé par les armes, les autres étant en fuite. On admit qu'Arnaud avait été victime d'une vengeance des internationalistes. D'autres contemporains évoquèrent une confusion possible avec un homonyme. »

 http://lesruesdelyon.hautetfort.com/archive/2009/09/20/commandant-arnaud.html

 

 

 

 

LA MUNICIPALITE BARET

 

 

 

Après l'épisode des insurgés de Lyon, il est peu probable que Félix Baret ait éprouvé la moinde sympathie pour les Communards (même ceux de Marseille), malgré son républicanisme. C’était fondamentalement un modéré, ennemi des extrémismes.

C'était un homme barbu et jovial, doté d’un certain embonpoint.

On trouve dans les œuvres d’Alphonse Daudet un portrait de Félix Baret (bien avant qu’il soit maire de Marseille). Présenté comme un ami de la famille Daudet, il apparait  comme un personnage tonitruant, avec sa barbe et son rire bruyant, mais finalement le plus aimable des hommes. Lorsqu’il arrive quelque part, il s‘écrie en riant très fort : « Ah, ah, ah ! Fan de brut ! » (Faisons du bruit, en provençal).

 Les débuts de la municipalité Baret furent marqués par un événement mondain assez révélateur :

" Le 17 juin 1887, un brillant et fructueux carrousel de charité avait fêté, au parc Borély, au profit des malheureux, l'inauguration de ses pouvoirs" (Raoul Busquet).

Félix Baret termina le mandat interrompu de la précédente municipalité et fut réélu maire lors des nouvelles élections en mai 1887.

 

Pendant ses deux mandats, il entreprit des travaux d'utilité publique : réfection des trottoirs, construction de la poste Colbert, inauguration du lycée de jeunes filles Montgrand, construction du grand abattoir.

 Félix Baret fit aussi édifier dès son arrivée à la mairie la Bourse du Travail, confiée aux syndicats  ouvriers, la deuxième construite en France après celle de Paris quelques mois avant.

La municipalité  entreprend un vaste programme de travaux d’assainissement rendus nécessaires et urgents par les fréquentes épidémies de choléra.  La ville disposait d’un réseau collectant trois bassins versants avec des exutoires dans le Vieux port, le bassin de la Joliette et le ruisseau du Jarret. Les travaux consistaient à réaliser un grand collecteur recueillant toutes les eaux usées pour les rejeter dans la calanque de Cortiou.

La pose de la première pierre fut faite le 8 octobre 1891 au Rond-point du Prado en présence du maire, de trois ministres et de Charles de Freycinet, président du conseil des ministres (d'après Wikipedia).

L'éclairage électrique, inauguré à titre expérimental dès 1882,  fut installé sur les principales artères centrales.

Le principal adjoint de Félix Baret fut Jules Charles-Roux, d’une grande famille de négociants.

 

La crise Boulangiste toucha assez peu Marseille. En mars 1888, c'est un ancien Communard, Félix Pyat, qui est élu député des Bouches-du-Rhône, que Raoul Busquet définit ainsi : "ancien membre de la Commune, et non peut-être le plus estimable".

Félix Pyat aida le "général" Cluseret, ancien Communard, à se faire élire député dans le Var.

En juillet 1889, le général Boulanger (pourtant en fuite) présente sa candidature au conseil général des Bouches-du-Rhône. il est battu par le républicain modéré Amable Chanot.

En septembre 1889, Jules Guesde, candidat socialiste, se présente à la Belle-de-Mai. Il est comme adversaire l'ancien délégué à la Justice de la Commune Protot, qui accuse Guesde d'être à la solde de l'Allemagne. Ils sont tous deux battus par un candidat opportuniste.

Marseille fut marquée par la journée du 1er mai 1890, où les syndicalistes et les socialistes manifestèrent, mais finalement sans débordements. Le député socialiste Antide Boyer prit la parole. Signalons que Antide Boyer était aussi un défenseur de la culture provençale et un partisan du fédéralisme.Il avait peut-être participé à la Commune de Marseille.

 

 

800px-Marseille_-_Palais_Lonchamps_1890-1900

 Le Palais Longchamp à Marseille vers 1890-1900

Wikipedia.

 

 

 

 

 

 

FELIX BARET ET LA CULTURE PROVENCALE

 

 

 

Félix Baret, en tant que maire, fit parfois publiquement usage du provençal.

Cette affirmation d’identité provençale n’avait pas forcément de lien avec la position politique de Baret comme républicain modéré : un socialiste comme Clovis Hugues faisait usage du provençal et était membre du Félibrige (l’association fondée Frédéric Mistral et ses amis, pour la défense de la langue et de la culture provençale), le député socialiste Antide Boyer était  un poète et écrivain en langue provençale, mais lui refusa d'adhérer au Félibrige, qu'il jugeait sans doute trop conservateur.

 

 On peut lire sur le site Leis Amics de Mesclum, qui  reprend des articles relatifs à la culture provençale/occitane publiés dans la rubrique Mesclum (Mélange) du  journal marseillais - de tendance de gauche et autrefois communiste, La Marseillaise (journal qui paraît toujours, après des difficultés financières) :

 

" Au moins en deux occasions, Fèlix Baret a fait des interventions en occitan marseillais.

La première eut lieu lors des fêtes provençales organisées les 21 et 22 mai 1887 à l'occasion de la fête des écoles laïques, qui comportaient la reconstitution des Fieloás (ou Fielosas ; Fileuses) qui n'avaient plus été célébrées depuis des années.

 Le 21 mai, une cinquantaine de jeunes filles et de jeunes gens du quartier historique de Sant Joan (Saint Jean), dans un costume reconstitué avec exactitude, se rassemblèrent devant la mairie avant d'aller faire une procession à travers la ville en chantant une chanson d'August Marin, « Lei Fieloá de Marsilha » (« Les Fileuses de Marseille »).

Fèlix Baret se tenait sur le pas de l'hôtel de ville accompagné de plusieurs adjoints ; après un couplet dédié au conseil municipal, six fillettes parmi les fieloás, portant leur lanterne en forme de fuseau, s'avancèrent vers le maire et lui chantèrent un couplet de la chanson. Fèlix Baret fit une réponse en occitan marseillais, mentionnant tout le plaisir et la fierté qu'il ressentait de les recevoir au moment de son entrée à la Commune de Marseille, puisque son élection comme maire datait seulement du 6 mai 1887.

Cette réponse a été reproduite dès le lendemain dans le journal Le Petit Marseillais, et ensuite dans La Revue Félibréenne de 1887.

La seconde se déroula le 12 août 1891, à l'occasion du voyage des félibres de Paris en Provence et de l'inauguration du buste de Victor Gelu [poète dialectal marseillais aux préoccupations sociales] sur la place qui devait porter son nom. Fèlix Baret, entouré de ses adjoints et de l'ensemble des conseillers municipaux accueillit les félibres devant la mairie. Cette dernière intervention a été publiée dans la revue Lou Felibrige de novembre 1891 ainsi que dans la Revue Félibréenne de la même année."

(Glaudi Barsotti)

(l'article parle d'occitan marseillais. Il existe de vigoureuses querelles de spécialistes sur ce point ; d'autres parleraient de "provençal de Marseille" et pensent qu'il est logique de dire qu’en Provence, on parle (faut-il dire : on parlait ?) provençal ; sans avoir à préciser que le provençal est une branche de l’occitan. Les citations en provençal adoptent -sauf erreur -  la graphie dite classique et non mistralienne; noter l'accent sur le prénom Fèlix au lieu de Félix).

 

Ces notices du site Leis Amics de Mesclum sont généralement de spécialistes de la culture occitane/provençale comme  Glaudi Barsotti ou René Merle.

Signalons que la notice sur Félix Baret, plutôt élogieuse,  comporte la mention suivante, assez caractéristique :

"   Désigné comme commissaire du gouvernement auprès du Conseil de Guerre destiné à juger les assassins du commandant Arnaud, à Lyon, par des gardes nationaux révoltés, il obtient leur condamnation à mort, ce qui constitue une ombre à sa mémoire "

http://www.amesclum.net/Memoria%20PDF/Lettre%20B.pdf

 

 

 

FIN DE LA MUNICIPALITE BARET

 

 

 

En 1890, la ville de Marseille accueillit le président de la république Sadi Carnot et les membres du gouvernement, dont le Marseillais Maurice Rouvier ministre des finances et Léon Bourgeois, ministre de l'instruction publique;           .

En gros, le gouvernement avait à peu près la même couleur politique que la municipalité républicaine modérée de Baret.

L’accueil de la population fut dans l’ensemble sympathique.

Mais l’année suivante, la venue des membres du gouvernement (le président du conseil Freycinet, de nouveau Rouvier, le ministre de l'intérieur Constans et d'autres)  pour la pose de la première pierre du grand collecteur,  donna lieu à des manifestations hostiles des militants socialistes et syndicalistes. Constans était particulièrement visé par les manifestants.

" Constans a été l'homme le plus injurié de France" ( Marc Angenot, 1889. Un état du discours social, chapitre 30, Les hommes du jour, Médias 19 http://www.medias19.org/index.php?id=1231). La vigueur et l'irrégularité déployées par lui pour lutter contre le Boulangisme l'ont fait détester même au-delà des milieux boulangistes. On l'accusait d'escroquerie dans ses afffaires privées et même d'assassinat !

La municipalité était aussi visée à travers les membres du gouvernement.

Il y avait un glissement d’une partie de l’opinion vers la gauche.

Malgré ses réussites et une certaine popularité, Félix Baret renonça à se représenter pour un nouveau mandat.

Selon Raoul Busquet, Félix Baret, par sa lucidité et sa méthode, avait réussi une sorte d'accord de l'opinion marseillaise et "ordonné, pour un temps, le désorde municipal".

 

Son successeur devait être le Docteur Siméon Flaissières, premier maire socialiste de Marseille, lui aussi défenseur de la culture povençale (un de ses adjoints Pierre Bertas, de son vrai nom Martin-Honoré Antoine, était également un félibre de tendance fédéraliste - c'est notamment Bertas qui organisa les fêtes du 25ème centenaire de la fondation de Marseille).

Le « bon Dr. Flaissières » permet de faire un saut dans le temps car en 1930, il était toujours maire de Marseille.

Mais il n’avait pas dirigé la ville durant 40 ans ! Après avoir dirigé Marseille une dizaine d'années, non sans conflit interne à la majorité municipale, Flaissières eut pour successeur le modéré Amable Chanot, puis le modéré Emmanuel Allard (qui avait été le prédécesseur de Baret; Allard fut élu maire au bénéfice de l'âge et mourut en fonction), puis le socialiste Bernard Cadenat, de nouveau Chanot, puis en 1914, le modéré Eugène Pierre. Tous ces élus laissèrent leur nom à des rues et à un parc des beaux quartiers pour Chanot.

Puis le Dr Flaissières fut élu maire de nouveau après la guerre de 1914 et réélu en 1925 et en 1930. Une nouvelle image de Marseille apparaissait dans cette époque d’après-guerre, plus inquiétante, malgré la bonne humeur des premières pièces, puis films, de Marcel Pagnol. Le premier adjoint du Dr Flaissières en 1930 n’était-il pas Simon Sabiani, l’ami des gangsters Carbone et Spirito, le futur chef de la collaboration à Marseille pendant l'occupation allemande ?

J'ai moi-même connu des Marseillais, jeunes gens vers 1930-1940, qui se souvenaient encore des nervis (hommes de main), le foulard rouge autour du cou, entrant et sortant de la permanence de Simon Sabiani, sous le regard inquiet des passants.

Autres temps, qui sortent de notre sujet…

Félix Baret resta membre du conseil général jusqu'en 1911 et mourut à Marseille, en 1922, à 77 ans.

Le nom de Félix Baret fut donné à la place de la préfecture et permet de se souvenir d’un maire pour qui la politique était avant tout la politique municipale.

 

 

 

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 Tramways sur La Canebière, fin 19ème - début 20ème siècle. A gauche, le Café Riche, alors célèbre. Carte-postale

Wikipedia

 

 

 

 

 

 

LA COMMUNE REVIENT A PARIS ! (1887)

 

 

 

En 1887, le président de la république, l’opportuniste Jules Grévy, âgé de 80 ans, fut contraint de démissionner au cours de son deuxième septennat (2 décembre 1887).

A l’origine de sa démission, il y avait un scandale qui s’ajoutait à d’autres : le gendre de Grévy, Daniel Wilson, un homme  très riche de naissance, député de la gauche républicaine, qui avait son bureau au palais de l'Elysée, trafiquait de son influence pour l’obtention, contre paiement ou avantages, de la Légion d’honneur. Parmi les comparses de Wilson, il y avait un général et des tenancières de bordel...

 Au début du scandale, Grévy s'accrocha à sa fonction. Mais devant les critiques de la presse, de l'opinion publique et les pressions des hommes politiques (notamment Ferry et Clemenceau), il démissionna. On chantait Quel malheur d'avoir un gendre.

Wilson et ses co-inculpés, malgré les faits difficiles à contester, furent finalement acquittés en appel, et Wilson revint sièger au Parlement.

Dès le lendemain de la démission de Grévy, un nouveau président de la république devait être élu .

A l’époque le président était élu par les députés et sénateurs.

Parmi les candidats, presque tous étaient des républicains modérés : deux étaient des hommes politiques de premier plan, plusieurs fois ministre et président du conseil : Jules Ferry et Charles de Freycinet ; ce dernier avait fait sa carrière dans le sillage de Gambetta, mais il passait pour favorable au général Boulanger, qui commençait à fédérer les oppositions au pouvoir en place et dont l'ombre pesait sur les élections.

Un troisième homme Appert, avait peu de chances.

Sadi Carnot, autre candidat républicain modéré, bien que plusieurs fois ministre (dont ministre des finances) était moins connu. Il y avait un candidat conservateur, le général  Saussier et un candidat républicain plus à gauche, Henri Brisson.    .

 D'autres intrigues ont lieu : le général Boulanger  est approché par les monarchistes mais finalement son rôle reste dans la coulisse. Il semble que les monarchistes ont seulement laissé entendre qu'ils appuieraient tout candidat qui s'engagerait à reprendre Boulanger comme ministre de la guerre, mais les discussions ont peut-être porté sur un éventuel coup de force.

La candidature de Ferry suscita la colère dans une partie de l’opinion. Des manifestations ont lieu et des articles virulents contre lui paraissent, émanant de Clemenceau et de Rochefort, principal soutien journalistique de Boulanger.

Ferry était très impopulaire surtout à Paris, on le surnommait Ferry-Famine à cause de la façon calamiteuse dont il avait assuré le ravitaillement de Paris pendant le siège par les Allemands en 1870-71.

Son attitude très hostile à la Commune par la suite achevait de le faire détester dans les milieux ouvriers.

On le surnommait aussi Ferry-Tonkin à cause de sa campagne coloniale au Tonkin qui avait tourné au fiasco – et là c’étaient surtout les nationalistes qui ne l’aimaient pas car il avait failli mener la France à la défaite contre une armée  chinoise (c’était un peu exagéré, mais l’échec de Lang-Son l’avait contraint à démissionner de son poste de président du conseil). Les radicaux eux ne l’aimaient pas parce que, en général, ils étaient contre les campagnes coloniales et en désaccord avec l'ensemble de sa politique, trop conservatrice à leurs yeux.

 " On ne peut s'imaginer l'intensité de haine dont « Ferry‑Tonkin », « Ferry‑la‑Honte » a fait l'objet, haine entretenue par la droite, les boulangistes et aussi par les radicaux, ses alliés qui méprisent le « grand prêtre de l'opportunisme » [et] les socialistes révolutionnaires "  (Marc Angenot, 1889. Un état du discours social, chapitre 30 Les hommes du jour, Médias 19 [En ligne] http://www.medias19.org/index.php?id=12312).

Cet article cite quelques unes des amabilités réservées à Ferry, notamment par la presse socialiste :

" C'est la plus grande crapule qui existe en France », « Ignoble scélérat à face de traître », « mauvais génie », « homme néfaste », « cadavre récalcitrant », « l'imbécile Ferry dont la scélératesse a dégénéré en gâtisme »... Le mot d'impopularité est faible pour l'homme à qui on attribue la défaite de Lang‑Son en 1885. Le Pilori, semaine après semaine, voue aux gémonies « le Tonkinois Ferry, l'homme le plus méprisé, le plus haï de France» ".

 

On est quand même un peu surpris de lire, dans l’article Wilkipedia sur l’élection présidentielle de décembre 1887 :         .

 " De plus, le Conseil municipal de Paris installe « en plein Hôtel de Ville un bureau révolutionnaire décidé à proclamer la Commune si M. Jules Ferry est élu président de la République »."

La Commune risquait donc de revenir si Jules Ferry était élu président ?

 

 Selon le Dictionnaire des Parlementaires français, de Robert et Cougny (1889), sa candidature  fut "vivement attaquée par le parti radical, notamment par le conseil municipal de Paris et par les boulangistes, qui menaçaient de prendre les armes si elle réussissait".

Les journaux contemporains donnent des détails sur les préparatifs de cette nouvelle Commune :

"La rue déclarait hautement par ses organes les plus impérieux qu'elle ferait des barricades plutôt que d'accepter M. Jules Ferry. Son élection serait le signal de la guerre civile. Le sang coulerait. Les fusils partiraient d'eux mêmes. Et de son côté l' Hôtel de Ville, sans prendre la peine de se gêner, préparait ouvertement la proclamation de la Commune. Le bureau du conseil municipal siégeait en permanence; il avait installé le général Eudes, arraché au bras de M. Déroulède, dans une salle de l'édifice; il s'était mis en rapport avec les comités révolutionnaires établis dans chaque quartier; il.se préparait à enlever le préfet de la Seine au premier bruit de l'élection Ferry et il rebouchait de son mieux les souterrains que ce fonctionnaire avait eu l'audace de faire déblayer pour livrer passage aux troupes en cas de besoin." (Le Correspondant)

 

On note la collusion entre le général Eudes, ancien commandant militaire de la Commune, devenu l'un des dirigeants socialistes révolutionnaires, et le nationaliste Déroulède. Le Figaro du 27 novembre 1887 raconte ainsi l'accord intervenu entre les deux hommes. Dans les couloirs de la Chambre des députés, Déroulède faisait campagne contre la candidature Ferry :

"- Du moment qu'on attaque ainsi M. Ferry et que vous me menacez d'une émeute, s'écrie M. Emmanuel Arène [député républicain opportuniste de la Corse], je considère comme un devoir de voter pour lui.

C'est absolument votre droit, répond M. Déroulède, mais peut-être tous les députés ne penseront-ils pas comme vous.

– Vous avez raison, monsieur Déroulède, s'écrie M. Susini, également député de la Corse, tous les députés ne pensent pas  comme M. Arène.

Mais vous n'avez pas d'armes, objecte-t-on au président de la Ligue [des Patriotes]. C'est possible, répond-il, mais nous ferons notre devoir quand même, et nous considérons comme notre devoir de protester, par la force, contre l'élection, à la première magistrature du pays, d'un homme qui, pour nous, est la négation absolue de la patrie reconstituée dans son intégralité.

Pendant ce colloque, M. Basly, entouré du citoyen Eudes, l'ex-général de la Commune; de MM. Goullé, Grange et quelques autres blanquistes avérés, discutait vivement. Bientôt, on vit les blanquistes et les amis de M. Déroulède causer entre eux..

Eh bien, disait M. Déroulède au général Eudes c'est entendu, vous pouvez compter sur nous, comme nous comptons sur vous; mais -seulement dans le cas où M. Ferry serait nommé Président. Il est bien convenu que dans tout autre cas nous ne marcherons pas.

Soit, répondit le général Eudes, et, si les circonstances changent, nous restons adversaires.

MM. Déroulède et Eudes se serrèrent la main pour sceller ce pacte d'alliance, et M. Eudes et ses amis quittèrent la Chambre, où M. Déroulède est resté jusqu'à près de six heures, continuant à taire la plus active propagande contre la candidature Ferry."

Le jour du vote, "... quelques milliers de personnes sous la direction de M. Déroulède et du général Eudes, le grand meneur des révolutionnaires blanquistes, étaient dans l'après-midi réunies sur la place de la Concorde pour protester contre toute candidature de M. Jules Ferry et essayer d intimider les membres du Parlement disposés à voter pour "le Tonkinois, l'Allemand, le dernier des lâches, l'assassin" etc. Il fallait prouver à ces traîtres (...) que l'élection de M. Jules Ferry serait une odieuse provocation au patriotisme et à l'opinion républicaine et qu'elle aurait pour suite immédiate un soulèvement du peuple de Paris". (L'année politique 1887, 1888).

" L'intimidation a réussi. Le Congrés a obéi aux injonctions de la rue et les partisans de M.Jules Ferry notoirement inquiets n'ont pas déployé pour le soutenir la ténacité dont se vante volontiers leur patron." (Le Correspondant)

Finalement Ferry se retira au 2ème tour, et ce fut Sadi Carnot qui fut élu avec  plus de 74% des voix, le 3 décembre 1887, le général Saussier faisant 22%.

On prête à Clemenceau cette formule (sous des formes variables) : Votons pour Carnot. C'est le plus bête, mais il porte un nom républicain.

Sadi Carnot était un républicain irréprochable, polytechnicien, issu d’une grande lignée républicaine et scientifique : son grand-père était le révolutionnaire et général du génie Lazare Carnot, son père Hippolyte Carnot, son oncle Sadi Carnot, tous deux scientifiques de renom et grands hommes du parti républicain. (précisons que Sadi était le prénom donné aux fils aînés chez les Carnot depuis que Lazare Canot avait prénommé son fils Sadi en hommage au poète persan Saadi qu’il appréciait beaucoup).

 

Nous ne savons pas ce que Sadi Carnot, le futur président, avait pensé de la Commune (il était déjà préfet en 1871) ; sans doute pas grand bien. Son père Hippolyte Carnot  fut longtemps opposé à l’amnistie complète des Communards.

 

L’élection de Sadi Carnot rassura probablement le conseil municipal de Paris qui remisa ses menaces de proclamer une nouvelle Commune !

Son élection comme président de la république ne devait d’ailleurs  pas  porter chance à Sadi Carnot.

Il fut assassiné en 1894 à Lyon, où il était en déplacement officiel, par un anarchiste, l’Italien Caserio (qui fut guillotiné).

On était alors en pleine période des attentats anarchistes. Le gouvernement avait adopté  les " lois scélérates", dénoncées par l'extrême-gauche, pour combattre la vague d'attentats anarchistes qui se présentaient comme "la propagande par le fait" : les attentats, par leur caractère spectaculaire, devaient frapper l'opinion et préparer les consciences à la révolte contre l'ordre social injuste.

 

 

1024px-Panorama_Gervex_Stevens_(fragment)

STEVENS Alfred ; GERVEX Henri , Le Président Sadi Carnot entouré de personnalités de la IIIème République, devant l'Opéra (9ème arrondissement) -  détail des personnalités.

 Selon le site Joconde du ministère de la culture, on reconnaît ...  le général Brugère, Elie Le Royer, René Goblet, Goujon, Charles Floquet, Madier de Montjau, Ernest Constans, Armand Fallières, Sadi Carnot, Eugène Poubelle, le général Saussier, Gustave Larroumet, Henri Lozé, Yves Guyot, Jules Méline, Thévenet, Tirard, Maurice Rouvier. Au fond, la partie gauche de la façade de l'Opéra (non visible sur le détail)..

Le présient Carnot est au milieu avec le grand cordon de la Légion d'honneur, le général Saussier derrière lui en uniforme.

Le site Joconde  indique que les personnages sont repérables de gauche à droite, ce qui semble étonnant pour certains. A gauche de Sadi Carnot, nous pensons reconnaître Constans, barbiche grise, et Floquet, sans barbe mais avec favoris. A la droite de Carnot, probablement René-Marie Goblet, le président du conseil qui prit la décision de dissoudre le conseil municipal de Marseille (avec les favoris) et  Pierre Tirard ( barbe blanche), qui en tant que président du conseil en 1889, devait poursuivre en justice les chefs du Boulangisme.

Cette toile est un fragment du "Panorama du siècle", oeuvre exposée dans une rotonde aux jardins des Tuileries pendant l'exposition universelle de 1889. Gervex y appliquait l'idée  ... d'un panorama dédié à toutes les gloires du siècle. L'exposition de 1889 célébrait le centenaire de la Révolution française, manifeste de la légitimité républicaine. Dans un parcours chronologique didactique où les personnages (plus de 640) s'inscrivaient sur deux niveaux, dans une architecture imaginaire, Gervex et Stevens représentèrent un siècle d'histoire à travers ses figures marquantes et symboliques.

http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=REF&VALUE_98=11040000407

 Le panorama fut ensuite découpé en plusieurs fragments, dont certains sont sans doute perdus. Gervex et Stevens étaient deux peintres très connus de l'époque. Stevens était  Belge. On est un peu étonné que Jules Ferry et Freycinet (à l'époque ce dernier était un personnage de premier plan) ne figurent pas parmi les personnalités politiques représentées, alors que certains noms sont aujourd'hui oubliés. Peut-être ces deux personnages étaient-ils représentés ailleurs, probablement en compagnie de Léon Gambetta (qui en 1889 était mort depuis 7 ans)..

Wikipedia pour la photo.

 

 

 

 

MOI CONSERVATEUR, JE VOTERAI POUR FERRY (JULES VERNE)

 

 

 

 Après l'élection présidentielle de 1887, " M. Jules Ferry prêta son appui aux cabinets Rouvier et Tirard ainsi qu'à la lutte contre le général Boulanger, qu'il appela « un César de café-concert » ; cette expression lui valut de la part du général un envoi de témoins auquel il refusa de donner suite" (Dictionnaire des Parlementaires français, de Robert et Cougny, 1889, site de l'Assemblée nationale).

Jules Ferry fut victime, dans les locaux de l'Assemblée, d'un attentat le 10 décembre 1887, autre preuve de son impopularité. Un déséquilibré  tira deux balles sur lui, le blessant assez  sérieusement. Clemenceau, présent sur les lieux et médecin, donna les premiers soins. Le tireur prétendit qu'il avait agi par patriotisme en accusant Ferry d'être payé par Bismarck ! Il fut interné à Sainte-Anne.

Ferry avait précédemment été victime d'au moins un autre attentat.

Aux élections de septembre 1889, où les partisans de Boulanger subirent un échec (le général, condamné pour complot et  attentat pour changer la forme du gouvernement, étant lui-même en fuite) Ferry fut battu dans son fief de Saint-Dié (Vosges) par un candidat "soutenu par les monarchistes, les radicaux, les socialistes et les boulangistes", par 162 voix d'écart.

En 1890, Ferry publie Le Tonkin et la mère-patrie, où il justifie la colonisation du Tonkn.

Elu sénateur en 1891 et président des commissions des douanes et de l'Algérie, Ferry se rendit en Algérie pour une mission d'études. Dans son rapport, il écrit :

" Les musulmans... ont au plus haut degré l'instinct, l'idéal, le besoin du pouvoir fort et du pouvoir juste. A leurs yeux, la France est la force ; il faut surtout, désormais, qu'elle soit la justice." (cité par le Dictionnaire des Parlementaires français, Jean Jolly, site du Sénat)

" Comme, d'autre part, sa politique scolaire et sa politique coloniale étaient maintenant, en raison de leur succès, approuvées par presque tout le monde, Ferry fut le candidat tout désigné des républicains à la présidence du Sénat."(Jean Jolly)

" La presse boulangiste, conservatrice, bonapartiste, révolutionnaire ou anarchiste essaya, comme en 1887, d'en appeler au peuple de Paris. Mais la rue resta calme et, le 24 février {1893], au cours d'une séance présidée par le vice-président Agénor Bardoux, Jules Ferry était élu président du Sénat, au premier tour, par 148 voix sur 249 votants et 229 suffrages exprimés, contre 39 voix à Audren de Kerdrel, 26 voix à Magnin et 16 voix à divers autres sénateurs. Cette élection fut saluée par les applaudissements de la gauche." (Dictionnaire des Parlementaires français, Jean Jolly)

 

Jules Ferry mourut moins d'un mois après, à 61 ans, d'une crise cardiaque  (sa mort a probablement été précipitée par les  séquelles du dernier attentat dont il avait été victime).

La journaliste Séverine écrivit qu’en mourant, Jules Ferry venait de faire un beau cadeau aux habitants des faubourgs (les faubourgs, c’étaient les quartiers ouvriers de Paris – l’équivalent pour le Paris du 19ème siècle de nos "quartiers" ou "banlieues populaires" d’aujourd’hui…).

 

 Sa famille refuse d'abord des obsèques nationales, car elle accuse le gouvernement et Clemenceau (qui n'en fait pas partie) d'avoir montré de l'hostilité à Jules Ferry.

" Des obsèques nationales ont cependant lieu le 22 mars dans la cour d'honneur du Palais du Luxembourg, puis un immense cortège conduit la dépouille de Ferry jusqu'à la gare de l'Est d'où un train spécial l’emmène vers les Vosges. Ferry y est inhumé le lendemain dans le caveau familial à Saint-Dié, selon son testament « en face de cette ligne bleue des Vosges d'où monte jusqu'à mon cœur fidèle la plainte touchante des vaincus" (Wikipedia)

 

 Ses obsèques à Paris sont aussi marquées par quelques manifestations d'opposants, notamment anarchistes, auxquels participent certains militants qui évolueront ensuite vers l'extrême-droite comme Jules Guérin, plus tard fondateur de la Ligue antisémite.

 

 

Si Ferry était détesté par les milieux ouvriers et populaires, contrairement à ce qu’on pense aujourd’hui, il était plutôt apprécié chez les conservateurs, malgré son étiquette de républicain de gauche.

C’est ainsi que lors d’une élection législative, Jules Verne écrit à un correspondant : moi, conservateur, je voterai pour Ferry (cela ne veut pas dire que Jules Verne vient de se convertir au progressisme, cela veut dire qu’il trouve le programme de Ferry compatible avec son conservatisme).

 

 

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Frédéric Regamey, Jules Ferry et les délégués des colonies, 1892.

Le tableau représente la réunion du Conseil supérieur des colonies, avec les représentants des colonies. Jules Ferry (assis, reconnaissable à ses favoris) siège pour l'Annam et le Tonkin.

Musée d'Orsay.

http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/frederic-regamey_les-delegues-des-colonies_huile-sur-toile

 

 

 

 

 

ABEL HOVELACQUE, PROGRESSISTE ET RACISTE

 

 

 

Au moment des élections présidentielles de 1887, le conseil municipal de Paris était composé en majorité de radicaux et même de socialistes, plus à gauche que le gouvernement et la majorité de l’assemblée.

 

En décembre 1887, le président du conseil municipal de Paris était Abel Hovelacque.

Il est probable que la menace de provoquer une nouvelle Commune avait son accord (même s’il ne fallait pas la prendre au pied de la lettre) ou même émanait de lui.

 

Libre-penseur, matérialiste et franc-maçon (comme Jules Ferry en ce qui concerne l’appartenance maçonnique), Hovelacque était un radical socialisant, sans doute assez proche de Clemenceau. Il avait aussi été proche de l’inévitable Rochefort mais avait rompu avec lui lorsque Rochefort était  devenu le soutien de Boulanger.

Sa présence à la présidence du conseil municipal de Paris indique qu’en majorité, à ce moment, la ville votait pour la fraction la plus à gauche des républicains, opposée aux opportunistes. Le moment allait venir où la ville voterait plus à  droite et notamment pour les nationalistes. Déjà dans certains quartiers populaires, les socialistes révolutionnaires faisaient cause commune avec les Boulangistes et cette évolution allait s’accentuer.

 

Mais un point est intéressant à signaler chez Abel Hovelacque, qui même si une rue de Paris porte son nom, n’a pas fait une grande carrière politique (il fut ensuite élu député, mais malade, il mourut prématurément en 1896).

Hovelacque était un scientifique de haut niveau à la fois anthropologue et linguiste. Il avait fait ses débuts  comme élève du célèbre Broca.

 

" Contrairement à Broca qui se limitait à l’étude de l’anthropologie physiologique, Hovelacque plaide en faveur d’une anthropologie au sens large et se propose d’étudier l’homme sous tous ses aspects. Un tel changement d’orientation figure d’ailleurs également au centre du programme que propose le mouvement du matérialisme scientifique, qui se développe surtout à partir des années 1870 au sein de la Société d’anthropologie.

 

Titulaire de la chaire d’anthropologie linguistique à l’École d’anthropologie de Paris et co-fondateur de la Revue de linguistique et de philologie comparée, c’est l’un des rédacteurs de la revue L’Homme (1884-1887), qui peut être considérée comme l’organe du matérialisme scientifique."

(Piet Desmet, Abel Hovelacque et l’école de linguistique naturaliste: l’inégalité des langues permet-elle de conclure à l’inégalité des races ? Histoire Épistémologie Langage 29/ II (2007)

 

 

 

Hovelacque était l’un des principaux représentants du racisme scientifique. Il a publié de nombreux livres, brochures et articles où il défendait non seulement l’existence de races distinctes (ce que personne ne contestait à l’époque) mais aussi leur inégalité.

Hovelacque était principalement préoccupé par la place des races dans la théorie de l’évolution.

Il estimait que les différentes branches humaines provenaient d’origines différentes (ce qu'on appelle polygénésie ; en gros l’homme est apparu simultanément dans plusieurs régions du monde, sans qu’il y ait une origine commune) et ces origines différentes étaient l’explication des différences raciales.

Il accorde une grande importance à la linguistique pour classer les groupes humains :

 

" Hovelacque, pour sa part, conclut lui aussi [comme le linguiste Chavée] de la pluralité des langues à la pluralité des races et affirme que la diversité originelle des systèmes linguistiques est un indice de l’existence de plusieurs races humaines originellement distinctes"  (....)  Il considère le degré de complexité morphologique d’une langue comme un indice du développement intellectuel et culturel des locuteurs et considère donc les races qui se servent d’une langue isolante ou agglutinante [dans la classification lingusitique, les langues les plus simples] comme inférieures par rapport aux Indo-Européens." (Piet Desmet, Abel Hovelacque et l’école de linguistique naturaliste, art. cité).

 

 Toutefois, il ne réduit pas la race à la seule langue, qui se modifie selon des facteurs historiques et politiques (par exemple, une invasion peut imposer une langue à une race qui parlait originellement une autre langue) :

" Si on se place au niveau de la naissance de la langue, Hovelacque (1872, p. 109) est convaincu qu’une différence de langue correspond nécessairement à une différence de race :

"Pour en revenir au prétendu aphorisme [de Chavée] « Telle langue, telle race », s’il faut, d’une part rejeter cette maxime fallacieuse au point de vue historique, il convient, d’autre part, de reconnaître combien cette même maxime est fondée au point de vue de la naissance même des divers systèmes linguistiques."

(article de Piet Desmet, les citations de Hovelacque sont en italiques).

 

 

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Une des études d'anthropologie élargie d' Abel Hovelacque (linguistique et histoire des religions) : L'Avesta, Zoroastre et le Mazdéisme, 1880.

Site Gallica

 

 

Il considérait que les différentes races n’avaient pas toutes atteint le même point d’évolution, certaines étant restées bloquées à un stade primitif voire proche de l’animal :

 " Les races primitives occupent une position intermédiaire entre l’homme et le singe et sont parfois même plus rapprochées du précurseur simien que de l’homme. Dans une perspective typiquement européocentriste, la race blanche occidentale est représentée chaque fois comme le modèle parfait de l’homme" (Piet Desmet, art. cité)

 

 

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 Les Races humaines, Abel Hovelacque, 1882.

Site Gallica

 

 

Dans son étude sur Les nègres de l’Afrique sus-équatoriale qui se termine par une analyse critique des missions chrétiennes dans ces régions, Hovelacque (1889, p. 454) est formel :

" Le noir africain est un grand enfant sur lequel il n’y a point d’espérances à fonder, et (...) l’on s’abuserait étrangement en pensant le pouvoir modifier d’une façon profonde (...). En somme, il s’éternise dans son immutabilité ; et la civilisation européenne n’est adaptée ni à ses besoins ni à son caractère."

(Piet Desmet, art. cité)

 

 

 

 

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 Les Nègres de l’Afrique sus-équatoriale, Sénégambie, Guinée, Soudan, Haut-Nil, Abel Hovelacque, 1889.

Site Gallica

 

 

 

Du point de vue de l'inégalité des races, Hovelacque était d’accord avec Jules Ferry qui parlait de races supérieures et de races inférieurs (dans son célèbre discours à la chambre des députés de 1885).

 Mais à la différence de Ferry, Hovelacque n’était pas persuadé des bienfaits de la colonisation, au moins  pour civiliser les races dites inférieures (argument avancé par Jules Ferry mais pas comme on le dit souvent, en tant qu’ argument principal pour justifier la colonisation, comme argument subsidiaire – l’argument principal étant bien l’intérêt des peuples colonisateurs) .

En effet Hovelacque estimait que la plupart des races inférieures était incapables d’accéder à la civilisation.  La teinture de civilisation qu’on donnait aux « indigènes »  – et faire mieux était selon lui impossible – rendait ceux-ci seulement mauvais…

Il en était de même pour lui du métissage.

 Il en profite au passage pour égratigner les missions chrétiennes:

" Ce que l’on peut assurer avec expérience acquise, c’est que prétendre imposer à un peuple noir la civilisation européenne est une aberration pure. Un noir a dit un jour à des voyageurs blancs que la civilisation blanche était bonne pour les blancs, mauvaise pour les noirs. Aucune parole n’est plus sensée. Il est impossible de le nier, là où ont pénétré les missions chrétiennes, aussi bien les missions protestantes que les catholiques, elles n’ont fait que porter l’hypocrisie et un raffinement de dépravation. Est-ce dire que la destinée du noir africain doive nous laisser indifférents, et que nous ne devions pas songer à le faire bénéficier de nos progrès? En aucune façon..." (Abel Hovelacque, Les Nègres de l’Afrique sus-équatoriale, Sénégambie, Guinée, Soudan, Haut-Nil, 1889).

 Mais Hovelacque n'est vraiment pas précis sur la façon dont les sociétés occidentales doivent faire bénéficier les Noirs africains des progrès de la civilisation.

On remarque que contrairement à la conception dominante à notre époque, Hovelacque est en désaccord avec l'universalisme (qui énonce que certaines  valeurs sont valables universellement  et, corrélativement, ce qui est plus contestable, que seules ces valeurs présentent de l'intérêt); il se se rapproche d'une conception "différencialiste" (chaque race ou groupe humain doit avoir ses propres valeurs), ce qui n'aboutit pas à une égalité des valeurs pour autant.

 

Ce qui est intéressant, c’est non pas que Hovelaque ait été raciste (probablement 99% des savants de son époque l’étaient). c’est que son racisme se fondait en partie sur ses opinions philosophiques rationalistes et  politiques  de gauche.

C'est explicable si on se souvient que  dans la conception  religieuse du monde, Dieu a créé l’homme et tous les hommes ont donc une origine commune, ils sont créés à l’image de Dieu.

Les rationalistes athées réfutaient cette vision des choses et la méthode scientifique, selon eux, démontrait l'existence de groupes humains différents et leur inégalité. Ces groupes n'étaient pas seulement placés  à des stades différents de l'évolution, mais ils étaient aussi plus ou moins perfectibles ou améliorables.

Cette position n'était pas particulière à Hovelacque, mais concernait la plupart des scientifiques de la Société d'anthropologie, fondée par Broca, notamment ceux du groupe des matérialistes scientifiques. Dans les année 1880 ce groupe devint majoritaire dans la Société d'anthropologie, reflétant également des oppositions politiques (partisans ou adversaires de Ferry), mais la conviction de l'inégalité des races était commune à tous les  membres quelle que soit leur option politique :

" Plusieurs considérations opposaient les deux groupes [à la Société d'anthropologie]. Au plan politique tout d’abord, Paul Topinard ne cachait pas son soutien à Jules Ferry. Symétriquement, la majorité des anthropologues étaient de sensibilité farouchement radicale, de manière « intransigeante » même selon le mot de Paul Topinard. Nous avons déjà souligné les responsabilités politiques d’Abel Hovelacque et d’Henri Thulié (...) ou de Gabriel de Mortillet (1821-1898) – président de l’Association pour l’enseignement des sciences anthropologiques – maire de St-Germain-en-Laye et député de Seine-et-Oise" (Jean-Marc Bernardini, Le darwinisme social en France (1859-1918), Fascination et rejet d’une idéologie, publications du CNRS)

Le président de la Société d' anthropologie de Paris, Letourneau, est proche du socialisme, ce qui ne l'empêche pas  de considérer que « le type humain le plus parfait [est], celui de l’Indo-Européen » (Jean-Claude WartelleLa Société d'Anthropologie de Paris de 1859 à 1920,  Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 1/2004 (no 10), p. 125-171.
URL : http://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2004-1-page-125.htm ).

 

" On l'a noté parfois, ce sont les anthropologues les plus à gauche, comme Abel Hovelacque, grand libre penseur et doctrinaire radical socialiste, qui se montrent en matière de discrimination raciale, de thèses de la polygénèse, de l’imperfectibilité des races noires, etc., les plus extrêmes et les plus intransigeants (voir l'ouvrage d'Hovelacque, Les Nègres de l'Afrique sus équatoriale) et ce sont les anthropologues catholiques comme A. de Quatrefages de Bréau (Introduction à l'étude des races humaines) qui se présentent comme les plus prudents et les plus modérés."

(Marc Angenot, 1889. Un état du discours social, Chapitre 14,  La civilisation et les races (cet ouvrage très copieux sur la société et l'opinion en 1889 est publié intégralement sur  le site Médias 19, http://www.medias19.org/index.php?id=12292)

 

Selon Carole Reynaud-Paligot,  La République raciale (1860-1930): Paradigme social et idéologie (2015, nouvelle éd.) "Les raciologues sont également pour la plupart de militants actifs de la franc-maçonnerie".

Il apparait que Hovelacque fut membre de  la loge maçonnique Les amis de laTolérance, puis contribua à la création de la loge La Fédération maçonnique. Il est probable qu'il appartenait aussi à la loge intitulée Le matérialisme scientifique, qui comme son nom l'indique, regroupait probablement des scientifiques de même tendance que lui.

 

 A côté de scientifiques qui considéraient que la science donnait raison aux thèses de l 'inégalité des races, il y avait aussi des penseurs qui faisaient de ces thèses une doctrine idéologique plus que scientifique (bien que prétendant aussi s'appuyer sur des constats scientifiques) . Tel était le cas de Vacher de Lapouge, l'un des principaux continuateurs des idées de Gobineau (idées plus nuancées que la présentation qui en est souvent faite). 

Or Vacher de Lapouge fut membre du parti socialiste ouvrier de Jules Guesde, candidat socialiste aux élections législatives et son militantisme politique entrava sa carrière universitaire. 

Au début du 20 ème siècle, toutefois, les idées de Vacher de Lapouge furent disqualifiées dans le milieu scientifique français - non sur la hiérarchie des races, avec laquelle la communauté scientifique était d'accord, mais sur l'existence d'une hiérarchie interne à la race blanche, puisque Vacher de Lapouge plaçait au plus haut niveau des races la race nordique (Pierre-AndréTaguieff, Sélectionnisme et socialisme dans une perspective aryaniste : théories, visions et prévisions de Georges Vacher de Lapouge (1854-1936),in revue Mil neuf cent, n°18, 2000. Eugénisme et socialisme. pp. 7-51 ; http://www.persee.fr/doc/mcm_1146-1225_2000_num_18_1_1219)

De façon générale, tout en repoussant les conceptions marginales d'un Vacher de Lapouge, la doctrine officielle de la 3ème république restera celle de la hiérarchie des races et l'appliquera dans l'administration coloniale.

 

 En 1892 le pape Léon XIII, interviewé par la journaliste Séverine  qui lui avait posé la question des relations raciales, avait répondu :  "Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence" (nous en reparlerons dans un autre message).

 

L’exemple de Hovelacque et de bien d’autres penseurs de son époque montre qu’en ce temps –là, l’anti-racisme était plutôt représenté par le chef d’une Eglise catholique encore traditionaliste (et qui était lui même issu d’une famille aristocratique) et le racisme était souvent représenté par des penseurs et des scientifiques qui se classaient à gauche.

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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