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Le comte Lanza vous salue bien
24 décembre 2016

COMMUNARDS ! LA COMMUNE DE 1871, LA REPUBLIQUE ET LES MENSONGES, TROISIEME PARTIE

 

 

COMMUNARDS !

 

LA COMMUNE DE 1871, LA REPUBLIQUE ET LES MENSONGES

TROISIEME PARTIE

 

 LA NOUVELLE-CALEDONIE

 

 

 

 

 

 Avant de parler de la déportation en Nouvelle-Calédonie des Communards, disons quelques mots des opportunistes - ces républicains modérés  qu dirigeront la France à partir de 1878-79, quand les monarchistes et les conservateurs (pas forcément monarchistes) doivent céder le pouvoir à ceux qui, selon leur leader Gambetta, représentent les nouvelles couches sociales.

Entre ces opportunistes et les anciens Communards, il y a des oppositions (les opportunistes sont tout sauf des socialistes ou des communistes, mais tous les Communards n'étaient pas socialistes ou communistes) et parfois des passerelles.

Enfin, l'âge "assagit" souvent les anciens révolutionnaires, comme on le voit à toutes les époques.

C'est aux opportunistes que les Communards devront l'amnistie de 1880, au nom de l'unité républicaine.

 

 

 

 

DES COMMUNARDS CHEZ LES OPPORTUNISTES ?

 

 MAURICE ROUVIER

 

Lorsqu’on examine l’histoire de la Commune, il faut se souvenir qu’en face de la Commune il y avait le gouvernement de Thiers mais également l’Assemblée nationale élue en février 1871, siégeant à Versailles.

Cette assemblée était majoritairement conservatrice (et même monarchiste) mais il y avait aussi des élus républicains et même républicains de gauche ou de tendance socialiste.

Quelques élus ont démissionné de l'Assemblée quand elle siégeait à Bordeaux, puis Versailles,  par refus de la paix avec l'Allemagne, et ont  ensuite participé à la Commune : c'est  le cas de Rochefort (avec quelques réserves sur son degré de participation), d'Arthur Ranc (ici aussi avec réserves), de Tridon,  Félix Pyat,  Benoît Malon et  Charles Gambon.

D'autres députés de gauche, sans rompre avec l'Assemblée, ont pu marquer discrètement leur désapprobation avec les mesures prises contre la Commune et notamment l’étendue de la répression.

Jean-Baptiste Millière eut un sort tragique: député d'extrême-gauche non démissionnaire, il ne choisit pas vraiment entre l'Assemblée et la Commune et fut favorable aux tentatives de conciliation. Il se retrouva bloqué dans Paris. On dit qu'il ne participa pas aux combats de la Semaine sanglante mais fut arrêté par les troupes versaillaises chez son beau-père*.

Il fut fusillé (agenouillé !) sur les marches du Panthéon. On a évoqué pour expliquer cette exécution une vengeance de Jules Simon, ministre du gouvernement Thiers : il semble que Millière avait dévoilé dans des journaux que Jules Simon avait camouflé la bigamie de sa femme pour toucher un héritage.

                                        * Mais on a aussi dit que Millière avait ordonné peu auparavnt l'exécution de 30 jeunes recrues (probablement incorporées de force) de la Commune qui refusaient de tirer sur les soldats versaillais (voir Julien-Maurice Lambert, Sur un Dictionnaire de la Commune, Études internationales, 1972, site Erudit https://www.erudit.org/fr/revues/ei/1972-v3-n1-ei2969/700171ar.pdf)

 

 

Il y eut aussi des députés de gauche qui manifestèrent leur opposition à la Commune.

Ce fut le cas de l’ancien ouvrier Tolain, membre de l’Organisation internationale des Travailleurs, qui parla des « lupercales de la Commune » (à l’époque on aimait bien faire référence à l’Antiquité, les lupercales étaient une fête romaine marquée par le désordre et la débauche). Mais il ne s'associa pas aux excès de la répression.

Tolain devait devenir par la suite sénateur et un pilier du parti opportuniste (les républicains de gouvernement).

 En 1874, en exil à Londres, le Communard Edouard Vaillant et d'autres, s'adressant dans une lettre ouverte aux sympathisants de la Commune, les avertissaient de ne pas s'y tromper : il y avait eu des Versaillais de gauche, comme il y avait eu des Versaillais de droite : "Versaillais de gauche et Versaillais de droite doivent être égaux devant la haine du peuple".

 

 

D’autres personnages qui ont fait carrière par la suite dans la république opportuniste sont restés sur le moment fidèles à leurs amitiés avec des protagonistes de la Commune, même s’ils n’ont pas eux-mêmes été impliqués dans les événements.

Maurice Rouvier, né à Aix, ne s’était pas mêlé de la Commune de Marseille.

Bien que sa profession (il travaillait dans une banque et maison de commerce) semblait l'éloigner des milieux révolutionnaires, il avait été un proche de Gaston Crémieux et collaborant avec lui aux journaux républicains de gauche à la fin du Second empire. Avec lui, il avait participé à la première tentative de Commune marseillaise en novembre 1870. Puis il avait été intégré un moment à l’administration préfectorale, ce qui probablement l'éloigna des activistes.

Il fut ensuite élu député des Bouches-du-Rhône aux élections complémentaires de juillet 1871.

On ignore ce qu’il fit pendant le peu de jours que dura la Commune de Marseille (fin mars-début avril 1871) dirigée par son ami Crémieux, mais s’il y avait participé de près ou de loin, il est évident qu’il n’aurait pas pu se présenter aux élections de juillet 1871 (alors que tous les anciens Communards étaient traqués et passaient en conseil de guerre).

Alors qu’il avait pris ses fonctions de député, en apprenant l’exécution de Crémieux, il critiqua violemment la Commission des grâces (composée de députés) et faillit être poursuivi pour ses attaques.

En 1876 il déposa un projet d'amnistie partielle en faveur des Communards.

Son évolution vers les opportunistes et les intérêts privés est claire ensuite.

Il est ministre du commerce dans le cabinet Gambetta en 1881. Selon Wikipedia « Maurice Rouvier devient alors proche des milieux d'affaires et se lie avec Jacques de Reinach » (célèbre financier, à l’origine du scandale de Panama).

Rouvier est ensuite député des Alpes-Maritimes.

En 1884-85, il est ministre du Commerce dans le gouvernement de Jules Ferry. Son goût pour les affaires commerciales  a sans doute pris naissance  avant qu’il se lance dans la politique puisqu’il avait fait carrière dans la banque et maison de commerce marseillaise Zafiropoulos et Zarifi, spécialisée dans le commerce avec l’Orient. Selon certaines sources, Rouvier avait  conservé des intérêts commerciaux et a introduit dans ses affaires Eugène Etienne, le futur chef du groupe colonial à l'Assemblée nationale, plusieurs fois ministre, dont il a favorisé la carrière politique..

Président du conseil en 1887, puis ministre des finances  dans plusieurs gouvernements (Freycinet, Tirard, Ribot) mis en cause dans le scandale de Panama, il démissionne en 1893 mais obtient un non-lieu et redevient ministre des finances (gouvernement  Combes en 1902) sans cesser d’être élu au Parlement.

A la suite de la chute du gouvernement Combes, il devient président du conseil en 1905 et Clemenceau dit de son gouvernement : « Ce n'est pas un ministère, c'est un conseil d'administration ».

C'est sous son ministère que fut définitivement adoptée la loi la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Son ministère démissionne en 1906 et Rouvier devient sénateur ; il meurt en 1911.

Sa notice Wikipedia écrit (peut-être avec exagération): «  D'abord proche d’Esquiros, de Crémieux et de Léon Gambetta, Maurice Rouvier est caractéristique des républicains opportunistes. Son évolution vers les milieux d'affaires, en fait un libéral favorable au libre-échange. Touché par toutes les affaires de la troisième République, il est considéré comme ayant été un des républicains les plus corrompus. »

Cette formulation un peu abrupte parait opposer Gambetta aux opportunistes, mais c’est Gambetta lui-même qui est considéré comme le chef de file de l’opportunisme.

 

 

 

QUELQUES AUTRES

 

 

 

 Si on revient sur l’aventure de Crémieux, celui-ci, lors de sa première tentative de proclamer une Commune de Marseille, était accompagné de Rouvier, et de l'avocat Emile Bouchet.

Après la Commune de Marseille de mars-avril 1871, Bouchet fut accusé d'y avoir pris part, et emprisonné pendant trois mois, puis acquitté mais interdit de barreau*.

                                                                       *Ajout 2019 : nous consacrons une série de messages à la Commune de Marseille avec desindications détaillées sur les événements et les protagonistes.

 

Il est élu député dès janvier 1872 et siège au groupe de l'union républicaine de Gambetta.

En 1879, il fonde à Marseille un cabinet d'avocats avec le futur député de la Cochinchine Blancsubé et le futur député de l'Algérie Eugène Etienne (indication curieuse, prise sur le dictionnaire des députés du site de l'Assemblée nationale, car Etienne ne semble pas avoir été avocat ?). On sait qu'Etienne, ami de Rouvier, qu'il avait connu à la banque Zafiropoulos et Zafiri, fut un temps secrétaire de Gambetta; il allait ensuite être pendant trente ans le chef de file du lobby colonial, plusieurs fois ministre et président de la Société Gambetta, fondateur et président du comité de l'Asie, du comité de l'Afrique française, du comité du Maroc (comités en faveur de la colonisation).  Quant à Blancsubé, c'était un partisan convaincu de la colonisation.

 

 Toujours député,  Bouchet est poursuivi comme administrateur de la compagnie d'assurance maritime le Zodiaque pour abus de biens sociaux et condamné à 8 mois de prison en 1884. Le député varois Marius Poulet est condamné dans la même affaire. Libéré par réduction de peine, Bouchet quitte la France pour le Tonkin où il ouvre un cabinet d'avocat; on perd sa trace ensuite.. Ce sympathisant Communard était devenu un affairiste.

 

On ne peut pas dire que les anciens Communards ont tous évolué vers l’opportunisme des républicains modérés. Au contraire, de nombreux anciens Communards participeront au Boulangisme  justement par hostilité aux républicains opportunistes ou même basculeront vers la droite extrême nationaliste et antisémite comme Rochefort ou Cluseret, sans cesser de se dire socialistes et révolutionnaires.

D'autres (faut-il dire les plus nombreux ?) seront des  révolutionnaires socialistes opposés au nationalisme ou des anarchistes. Evidemment  l'évolution est mieux connue pour les Communards qui avaient occupé des postes exposés pendant la Commune ou qui ont poursuivi une carrière politique, que pour les militants de base, retournés à l'anonymat .

Mais des anciens Communards ou des hommes qui avaient un moment été proches de certains Communards ont eu une évolution qui les a amenés à l’opportunisme, voire  à l’affairisme.

On a déjà évoqué le cas d' Albert Regnard, Communard réfugié à Londres, qui, à son retour d'exil, se rapprocha des opportunistes, ce qui lui valut d'être inspecteur général des services du ministère de l'intérieur et membre du conseil des prisons !

 En 1885, le journaliste du Figaro, Charles Chincholle, dans son livre  Les Survivants de la Commune  écrit : la Commune mène à tout, même à l'opportunisme (à propos de Camille Barrère).

Nous parlerons dans notre cinquième partie de Camille Barrère, jeune journaliste pro-Communard, rallié à l'opportunisme,  qui fit une belle carrière d'ambassadeur sous la 3ème république et qui, en poste en Italie, favorisa, semble-t-il, la prise de pouvoir par Mussolini.

 

Chincholle cite également Lefèbvre-Roncier, officier d'état-major de la Commune, qui en exil à Londres ouvre un cabinet d'avocat d'affaires et, de retour en France, est proche de Rouvier (l'un des principaux représentants de l'opportunisme affairiste comme on l'a vu). Ensuite ce Lefèbvre-Roncier sera membre du conseil municipal de Paris et notamment chargé de suivre les projets de construction du métro. Il sera accusé de corruption, ce qui lui coûtera sa réélection. Avant cela, il avait pourtant bénéficié d'un non-lieu,  que ses adversaires au conseil municipal attribueront à l'influence de Rouvier.

 

 Nous parlerons aussi plus tard d'Arthur Ranc - qu'on ne sait pas bien si on doit considérer comme un "vrai" Communard; d'abord membre de la Commune, puis donnant sa démission (au moment du décret des otages, semble-t-il); il n'est pas inquiété sur le moment après la fin de la Commune, ce qui lui permet d'être par la suite élu député en tant que proche de Gambetta. Puis il est attaqué sur son passé de Communard par la droite monarchiste, et préfère quitter la France; il est condamné à mort par contumace en 1873 !

Revenu d'exil et toujours soutenu par Gambetta,  il sera dans les années 1880 un des piliers du parti opportuniste, député de Paris et directeur de journaux. Puis à la fin de sa vie, proche de Clemenceau,  il sera sénateur de la Corse (un pur et simple "parachutage"où son élection sera assurée par les réseaux clientélistes du député opportuniste Emmanuel Arène, le "roi sans couronne de Corse") et directeur de L'Aurore.

 

 

001a

 Maurice Rouvier, président du Conseil, devant la Chambre des députés en décembre 1905; son discours sur la politique française au Maroc au moment de la tension franco-allemande (la France s'en remet à une conférence internationale pour la départager de l'Allemagne) est applaudi par l'ensemble des parlementaires sauf les socialistes.

 L'Illustration, No. 3278, 23 Décembre 1905

https://www.mirrorservice.org/sites/gutenberg.org/3/6/7/8/36786/36786-h/36786-h.htm

 

 

 

 

 UN MOT SUR JULES MELINE ET PIERRE TIRARD

 

 

 

Jules Méline fut un grand nom de la III ème république. On ne s'en souvient plus beaucoup aujourd'hui. 

Surtout, qui se souvient que cet avocat d'opposition sous le Second Empire  fut élu membre de la Commune de Paris ? Il est vrai qu'il fut élu par les républicains conservateurs de son arrondissement et refusa son élection. Il serait donc très exagéré de dire qu'il a soutenu la Commune !

Et sa carrière ultérieure n'a pas démenti son antipathie pour la Commune.

Elu député des Vosges en 1872, bien que membre de la gauche républicaine, il vota avec la fraction la plus conservatrice des républicains opportunistes - il vota notamment contre l'amnistie plénière des Communards.

 En tant que député, puis ministre dans le gouvernement Ferry, Jules Méline se consacra surtout à la défense de l'agriculture française en faisant voter des mesures protectionnistes qui le rendirent célèbre (Tarif Méline). Il s'opposa au projet d'impôt sur le revenu. En 1894 il fut à l'origine de la loi créant les caisses de crédit agricole

Politiquement, Méline était partisan de l'alliance entre les républicains modérés et les conservateurs.

A la fin des années 1880, Jules Méline est un de ceux qui s'opposent au général Boulanger. Si on se souvient que plusieurs Communards soutenaient le général Boulanger, la position de Méline n'apparait pas illogique : républicain de gouvernement, il s'oppose aux aventures factieuses, celle de la Commne comme celle du boulangisme.

Président du conseil pendant deux ans en 1896  (son ministère fut le plus long de la III ème république) il eut contre lui les radicaux et les socialistes et finit par être mis en minorité.

En 1899, l'écrivain et journaliste anarchisant Octave Mirbeau dit de Méline : " M. Méline aussi est un économiste ; c’est même le roi des économistes ; (...)  Il a un idéal économique : la vie chère. Il faut, pour qu’il soit grand et fort, qu’un peuple crève de faim ".

En tant que président du conseil, puis devenu sénateur des Vosges, il prit position contre la révision du procès de Dreyfus.

Il publia des livres Le Retour à la terre et la surproduction industrielle en 1905 (1905), Le Salut par la terre (1919). Il eut une grande popularité dans les milieux agricoles (il avait d'ailleurs créé la décoration du Mérite agricole) et mourut  à 87 ans en 1925, toujours sénateur des Vosges.

 

 

Dans le même esprit que Méline, bien que certainement plus à gauche que lui, du moins au début de sa carrière,  Pierre Tirard était député de gauche républicaine à l'Assemblée nationale en 1871.

Soucieux d'éviter la rupture avec Paris, tout en restant député, il accepta d'être élu à la Commune, mais en démissionna très vite (dès la première réunion du conseil de la Commune) en invoquant l'illégalité de la Commune. Bien qu'attaqué à l'Assemblée pour sa très modeste participation aux débuts de la Commune, il n'en subit aucune conséquence fâcheuse, fut sans interruption député et sénateur jusqu'à sa mort en 1893, et à diverses reprises ministre du commerce, de l'agriculture, des colonies, ministre des finances, président du conseil.

Dans ses différentes fonctions, il favorisa notamment la politique coloniale et les intérêts des groupes financiers. En tant que président du conseil, il fut aussi , avec son ministre de l'intérieur Constans, l'artisan des mesures énergiques - et à la limite extrême de la légalité - qui brisèrent le mouvement contestataire du général Boulanger.

Le journaliste Chincholle dit de Tirard, en 1885 :   "Vienne une nouvelle Commune, il la fera mitrailler pour réparer l’erreur qu’il a commise en 1871, qui lui a été pourtant fort profitable" [ expression un peu énigmatique].

 

 

 

 

 

 

LES OPPORTUNISTES ET LA LOI D'AMNISTIE

 

 

 

Le nom d’opportuniste aurait  un rapport avec les suites de la Commune.

La gauche républicaine pressait le gouvernement de déposer un projet de loi d’amnistie des Communards et celui-ci répondait qu’il attendait l’opportunité, d’où le nom ironique qui aurait été donné par Rochefort, exilé à Londres puis en Suisse après son évasion de Nouvelle-Calédonie.

 

Il serait naïf de croire que les républicains et les Communards étaient finalement dans le même camp.

Des républicains indiscutables comme Jules Ferry ou Jules Favre avaient été farouchement opposés à la Commune et avaient applaudi la répression.

Des piliers du parti républicain (Arago, Emile Littré, Jules Grévy) désapprouvaient l’amnistie des Communards.

Les républicains de gauche et les radicaux comme Clemenceau demandaient l'amnistie.

 

 Des débats ont lieu au Parlement à partir de 1873. Au Sénat, Victor Hugo, sénateur inamovible depuis 1876, plaide pour l'amnistie dès sa prise de fonction.

En 1879, le gouvernement du républicain opportuniste  Waddington fait adopter une amnistie partielle, mais en excluant  ceux qui « se déclarent les ennemis de la société », ce qui provoque l'ironie de Clemenceau :

 

    « À quel signe, à quel critérium, on reconnaît un ennemi de la société ? M. le duc de Broglie [orléaniste, ancien président du conseil] est un ennemi de la société aux yeux de M. Baudry d'Asson [royaliste légitimiste], et moi je tiens M. Baudry d'Asson pour un ennemi de la société. Nous sommes ainsi 36 millions d'ennemis de la société qui sommes condamnés à vivre dans la même société (Nouveaux rires)

(Wikipedia)

  La loi du 3 mars 1879 ne concerne que les personnes déjà graciées ou qui obtiennent une grâce présidentielle dans les trois mois (Gacon Stéphane, L'amnistie de la Commune (1871-1880) », Lignes, 1/2003 (n° 10) http://www.cairn.info/revue-lignes1-2003-1-page-45.htm

Il faut indiquer qu'au début de 1879, le président Mac-Mahon, juste avant de céder la place au républicain Grévy,  avait gracié plus de 2000 Communards, parmi ceux qui étaient condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie, s'ajoutant à ceux graciés dans les années précédentes. L'amnistie les rétablit de plus dans leurs droits civiques.

 

En 1880, après l'amnistie partielle en 1879, l'amnistie complète fut votée (9 ans après les faits, ce qui n’est pas excessif); elle était d’ailleurs enveloppée de précautions puisque les auteurs de crimes en sont exclus – mais il semble qu’en fait cette exclusion ne visait plus personne à ce moment.

Le gouvernement Freycinet, peu convaincu de la nécessité de l’amnistie, défendait mollement le projet devant le Parlement, mais Gambetta, président de la Chambre, lui donna un soutien public fort dans un discours devant les députés.

Il est intéressant de voir comment Gambetta motivait sa position, dans la perspective de la première fête nationale du 14 juillet 1880 (que le Parlement venait d'instituer) :

" Oh ! Oui, il faut que ce jour-là, devant la patrie... (Nouveaux applaudissements), il faut qu'en face du pouvoir, en face de la nation représentée par ses mandataires fidèles, en face de cette armée, « suprême espoir et suprême pensée » comme disait un grand poète, qui, lui aussi, dans une autre enceinte, devançant tout le monde, avait plaidé la cause des vaincus... [il s'agit de Victor Hugo] (Applaudissements), il faut que vous fermiez le livre de ces dix années ; que vous mettiez la pierre tumulaire de l'oubli sur les crimes et sur les vestiges de la Commune, et que vous disiez à tous, à ceux-ci dont on déplore l'absence, et à ceux-là dont on regrette quelquefois les contradictions et les désaccords, qu'il n'y a qu'une France et qu'une République. (Acclamations et applaudissements prolongés. Un grand nombre de membres se lèvent de leur place et s'empressent autour de l'orateur pour le féliciter lorsqu'il descend de la tribune.)

(Discours de Gambetta le 21 juin 1880)

Il est donc clair que pour Gambetta l’amnistie doit en finir définitivement avec le souvenir de la Commune. Mettre la « pierre tumulaire » (du mot tumulus), c’est mettre la pierre tombale.

On amnistie les Communards, mais qu’on ne parle plus de la Commune … Sur ce point, Gambetta et ses amis se sont trompés et on n’a pas arrêté de parler de la Commune.

 

 Après l'amnistie de 1880, 541 hommes et 9 femmes, dont Louise Michel, recouvrent la liberté et une dizaine de milliers de Communards réfugiés à Londres, Bruxelles ou en Suisse, peuvent enfin rentrer en France  (aticle de  John Sutton, Clemenceau et la Commune http://www.commune1871.org/?Clemenceau-et-la-Commune)

 

 

 

 

 

 

LA DEPORTATION EN NOUVELLE-CALEDONIE

 

 

 

 

 

Les vaincus de la Commune de Paris condamnés par les conseils de guerre  furent en grand nombre transférés hors de France dans la colonie de Nouvelle-Calédonie où un bagne fonctionnait déjà; pour les condamnés des Communes de province, peu nombreux en comparaison des Communards parisiens, le transfert hors de la métropole semble avoir été rare (voir quelques renseignements dans la Quatrième partie, Communards et Kanaks, Face à l'insurrection ). 

Des anciens Communards furent aussi exilés en Algérie - mais sans détention semble-t-il.

Enfin il y eut huit (ou 9 ?) femmes condamnées à mort au titre de leur participation à la Commune. Leur peine fut communée en déportation en Guyane. 

 

Pour les personnes envoyées en Nouvelle-Calédonie, on distinguait : 

- les "transportés" (selon la loi du 30 mai 1854 sur les bagnes coloniaux), aussi appelés « forçats » car condamnés à des peines de travaux forcés,

- les "déportés » (selon la loi sur la déportation politique du 8 juin 1850) : condamnés politiques.

La plupart des Communards furet condamnés à la déportation, non aux travaux forcés.

 Comme le dira avec humour Charles Malato dans son livre, De la Commune à l’anarchie, publié en 1894  (on reparlera de lui)  :

" un déporté est un ennemi politique vaincu, auquel les épiciers libéraux de Nouméa condescendent à serrer la main sans trop rougir ; un transporté est un vulgaire malfaiteur, un paria."

Précisons que  le mot déportation était en usage pour désigner le transfert de condamnés dans des territoires d'outre-mer, -- l'histoire du 20ème siècle a repris le terme pour l'appliquer aux camps de concentration nazis.

 

Nous tirons les chiffres ci-dessous de l'article de Georges Pisier, Les déportés de la Commune à l'île des Pins, Nouvelle-Calédonie, 1872-1880Journal de la Société des océanistes. N°31, Tome 27, 1971. pp. 103-140.
http://www.barron.fr/textes_commune/deportes_commune_idpins.
pdf

On rappelle que si plus de 40 000 procès eurent lieu contre des personnes accusées de participation à la Commune, il y eut  10137 condamnations prononcées, soit environ 30 000 acquittements.

Les 10 137 condamnations allaient de la peine de mort  (mais 26 peines de mort furent exécutées sur 270 prononcées ) à la prison, avec plus de 4500 condamnations à la déportation en Nouvelle-Calédonie, qui se répartissaient ainsi :

-  251 condamnations aux travaux forcés, au bagne de l’île Nou, pour les Communards accusés d'incendie, pillage, exécution d'otages (Jean Allemane, Gaston Da Costa…); ils étaient soumis au même régime que les condamnés de droit commun :  rasés, tutoyés, avec un numéro matricule, vêtus en bagnards [en fait le chiffre des condamnés au bagne doit être peut-être réévalué comme on le verra] ;

- 1169 condamnations à la déportation en enceinte fortifiée, où les déportés sont  confinés dans la presqu’île de Ducos, à Nouméa. Cette peine concerne les responsables politiques ou militaires à qui on ne reproche pas de crime (Henry Bauer, Grousset, Henri Rochefort, Louise Michel et 75 autres femmes);

- 3417 condamnations à la déportation simple. Les déportés simples  étaient  ceux qui avaient pris une part secondaire à la Commune (Francis Jourde, Ballière, le docteur Rastoul, Lullier).  Ils sont débarqués dans l'île des Pins notammment.

 Le transfert en Nouvelle-Calédonie se faisait dans des conditions très dures, au moins pour les premières vagues de transportés.

Ainsi sur le navire la Danaé, qui lève l'ancre le 5 mai 1872, on a installé 4 cages de 20 mètres de long sur 3,5 mètres de large, avec des barreaux en fer de 1,90 mètre de hauteur, et pouvant contenir chacune de 60 à 80 individus.

Même organisation pour les condamnés transportés par La Guerrière, dont Grousset et Jourde : avant de partir pour la Nouvelle-Calédonie, Grousset et Jourde ont passé un an au Fort Boyard, sans écuelle ni couverts (pendant une semaine) ; sans couchage non plus (pendant un mois). En mai 1872, ils sont partis à bord de La Guerrière : un bateau avec quatre grandes cages contenant chacune 175 prisonniers. Le voyage dure entre cinq et six mois, dans des conditions déplorables et au rythme de brimades (  http://legallicanautedesnainesbrunesetnoires.over-blog.com/2016/05/les-condamnes-politiques-en-nouvelle-caledonie-recit-de-deux-evades-1876-paschal-grousset-et-fr-jourde.html )

 " Quand on a passé sur la Danaé, rien ne peut plus faire mal ensuite" écrit l'un des transportés, Bauer. Il est juste de préciser cependant que des mesures furent prises très vite pour rendre les traversées supportables, car un an après, Henri de Rochefort et Louise Michel, embarqués sur la Virginie, bénéficieront d'un confort et d'une liberté telle que ce fut presque un voyage d'agrément . Mais ce ne fut pas le cas pour la Danaé et sans doute pour la Guerrière et la Garonne qui la suivirent de près..." (article cité de Georges Pisier).

Néanmoins le relatif confort du voyage dépendait sans doute aussi de la catégorie du condamé et les déportés condamnés aux travaux forcés étaient probablement soumis aux mêmes conditions que les bagnards de droit commun.

 Les déportés "simples" à l'Ile des Pins devaient bénéficier d'un régime favorable. Georges Pisier rappelle les directives du ministre de la marine et des colonies :

 « A ceux dont l'égarement n'aurait été que passager...on ne saurait trop accorder de bienveillance et d'encouragement (...) les déportés doivent jouir de toute la liberté compatible avec l'ordre et la sécurité »

G. Pisier , dans l'article précité, prend chaque fois que c'est possible la défense du gouvernement et de l'administration. Il indique que le gouverneur fut prévenu de l'arrivée de 3000 condamnés sans avoir le temps de préparer leur arrivée, sinon en déterminant avec le roi de la tribu occupant l'Ile des Pins quel serait le territoire réservé  aux condamnés :

"On ne peut pas dire que tout est prêt pour l'arrivée des condamnés ; mais il semble que furent prises toutes les mesures compatibles avec les faibles moyens dont le Gouverneur disposait. "

 

La loi du 23 mars 1872 stipule que : «les condamnés à la déportation simple jouiront, dans l’île des Pins et dans l’île Maré, d’une liberté qui n’aura pour limite que les précautions indispensables pour empêcher les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre». L’île des Pins avait été préférée car... «les communications avec Nouméa sont aisées, et toutefois la nature de ses côtes rend l’évasion difficile. Le littoral est d’une grande fertilité et il n’est pas douteux que les déportés n’y trouvent, à l’aide du travail, une existence facile» (Cité par Georges Pisier).

Il insiste sur le caractère libéral des règles applicables aux déportés simples :

" Il est interdit aux déportés d'établir leur demeure en dehors du territoire qui leur sera assigné, de pénétrer dans le territoire militaire, d'entrer chez les indigènes ou les blancs sans leurconsentement, de tenir des réunions ou des clubs, d'avoir des armes. C'est à peu près tout et ce n'est pas bien méchant. "

 

Par contre, Bernard Brou , dans son article La Déportation et la Nouvelle-Calédonie, Revue française d'histoire d'outre-mer, année 1978 http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1978_num_65_241_2146

 se montre plus  critique :

 " Libres de quoi ? D'aller chercher du bois pour cuire une nourriture qui était distribuée crue. Dans quels récipients ? — II fallait aussi, sans avoir l'expérience séculaire des naturels, édifier des abris. Et puis tourner en rond sur la plage ou dans la forêt, recommencer le lendemain... Comment s'occuper et quoi faire, quand on manque de moyens, de produits, d'outils... et d'argent ? La peine la plus dure avec l'insuffisance de l'accueil, fut, là aussi, l'oisiveté. Quel gaspillage d'hommes, d'énergie, de technicité ! "

 

 

 

 UNE PRISON JARDIN ?

 

 

 

Bernard Brou indique qu'il y avait 23 femmes déportées ( mentionnées sur le registre des déportés retrouvé par B. Brou en Nouvelle-Calédonie ).

Une seule d'entre elles était condamnée aux travaux forcés mais elle fut autorisée à résider à la presqu'île Ducos, soit la déportation en enceinte fortifiée  (Marie Augustine Gaboriaud épouse Chiffon).]

Il signale qu'aux déportés s'ajoutèrent  "93 femmes et enfants qui étaient les épouses et les descendants de certains déportés, venus rejoindre le mari ou parent exilé ".

 

 Selon G. Pisier, le territoire attribué aux "déportés simples"  fut divisé en cinq parties, appelées (sans  doute sans intention particulière !) communes, numérotées de 1 à 5.

La cinquième était surnommée le Camp des Arabes, elle fut réservée aux Kabyles (mais il y avait aussi des Arabes semble-t-il) déportés en répression à la révolte du bachaga Mokrani en 1871.

" Ces Communes furent le cadre administratif de base de la déportation. Dans chacune d'elles neuf conseillers étaient élus au suffrage universel par leurs camarades. Trois de ces conseillers étaient choisis par le Gouverneur et formaient une sorte de Conseil Municipal. Un délégué choisi parmi eux jouait le rôle d'un maire" (G. Pisier)

G. Pisier signale que le gouvernement avait profité de la répression de la Commune pour envoyer en  Nouvelle-Calédonie les membres de la pègre qui avaint de près ou de loin participé à la Commune. Ces transportés devaient probablement être distingués des autres et avoir le régime le pus dur.

Le manque de tenues pour les déportés simples faisait que "certains traînaient en uniforme de la garde nationale"; en outre " le drapeau rouge put même flotter sur la première commune jusqu’au 15 août 1873 !" (G. Pisier)

 

 Charles Malato, avec son esprit caustique, définit ainsi l'Ile des Pins : " L’île, habitée par quelque trois mille Canaques sous l’autorité nominale de la reine Hortense [qui dirigeait la tribu des Kouniés] et sous celle, beaucoup plus effective, des missionnaires".

 

 800 seront employés à des travaux (conduite d’eau, hôpital, route) et toucheront une rétribution, 2 à 300 seront employés par un entrepreneur et vivront sur la Grande Terre. Enfin quelques une seront en résidence libre à Nouméa, tel le docteur Rastoul, qui fait venir sa compagne, Juliette Lopez, et leur enfant. (cf l'article très complet de Bernard Guinard, http://www.bernard-guinard.com/arcticles%20divers/Augustin%20Lambre/Augustin%20Lambre.html

 

Mais après l'évasion de Rochefort et de ses compagnons, la situation des déportés simples s'aggrave, ils n'ont plus le droit de travailler sur la Grande -Terre et notamment à Nouméa.

Pire, l'administration décide de renvoyer la compagne du Dr Rastoul (refoulée  en Australie); c'en est trop pour lui;  il décide de tenter l'évasion, et part avec 19 compagnons mais on ne retrouvera que des débris de leur bateau.

Pour les déportés simples, " de libérale, la déportation devint rigoureuse" (G. Pisier).

Mais dans le courant de 1874 et au début de 1875, sur l'île des Pins "les mesures furent adoucies et assouplies  ... et l'atmosphère redevint respirable". (G. Pisier)

 

Les déportés percevaient des rations alimentaires. On les encourageait néanmoins à travailler. L'adminisration leur attribua ensuite un hectare de terre pour pratiquer la culture. Ils furent cependant plus des jardiniers que de vrais cultivateurs et certains se lancèrent dans le commerce des vins et liqueurs. Beaucoup sombrèrent dans l’alcoolisme

 

Un déporté, Louis Barron, publiera plus tard  ses souvenirs sous le titre.« Sous le drapeau rouge » . Il décrit l'Ile des Pins vers 1878.
C'était un déporté parvenu tardivement en Nouvelle-Calédonie : condamné par contumace, il n'avait été arrêté qu'en 1876. il semble qu'il avait d'abord été à Ducos, puis transféré à l'Ile des Pins par commutation de peine.
De ses observations, synthétisées par G. Pisier, il résulte :

" Sauf  quelques  rares  exceptions,  les  condamnés  ne  semblent  plus  connaître  de  graves  difficultés  matérielles.  Ils  sont  nourris,  vêtus,  chaussés et  soignés  convenablement.  Chacun  s'est  ingénié  à  soigner  sa  demeure. «  Presque  tous  les  prisonniers  vivent  dans  des  habitations  isolées  entourées  de jardins  qu'ils  cultivent  eux-mêmes  » 

 Barron va jusqu'à dire que « beaucoup parmi eux sont moins indigents qu'ils ne sont en France ».

 Pour les déportés en enceinte fortifiée,  dans son article déjà cité, Bernard Brou (La Déportation et la Nouvelle-Calédonie/  Revue française d'histoire d'outre-mer / Année 1978   / http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1978_num_65_241_2146)

note que leur situation est pire, du fait même que l'enceinte fortifiée n'existait pas :

" Mais il n'y avait pas non plus d'« enceinte fortifiée », c'est-à-dire de camp-prison où les condamnés sont au moins à l'abri, nourris et vêtus, même mal".

Seul un poste militaire placé à l'extrémité de la presqu'île séparait les prisonniers de Nouméa.

 

 

Les évasions réussies sont rarissimes. La seule qu'on connait est celle de Henri Rochefort et de ses cinq compagnons (Paschal Grousset, Olivier Pain, condamnés comme Rochefort à la déportation en enceinte fortifiée et Achille Ballière,   François Jourde, Bastien Grantilhe, déportés simples), en 1874.

Rochefort rédigea ensuite avec Olivier Pain, un livre De Nouméa en Europe (publié en 1876 ?), où le récit de leurs aventures est fait dans un esprit assez boulevardier :

 " L’auberge néo-calédonienne où le gouvernement nous avait claquemurés ne cadrait en rien avec nos habitudes parisiennes : nourriture insuffisante, service défectueux, manque absolu de confortable. Devant le peu d’égard que nous témoignaient nos aubergistes et l’insuccès de nos réclamations, nous prîmes une décision énergique, celle de déménager « à la cloche de bois. »"

 

 

 

LES SOUVENIRS DE  FRANÇOIS JOURDE

 

 

 

 

 

François Jourde, comptable de profession, fut délégué aux affaires financières de la Commune; il agit avec efficacité pour assurer les dépenses de la Commune et notamment la paye des gardes nationaux. On lui a parfois reproché d'avoir respecté le pouvoir de la Banque de France.

Après avoir échappé à des exécutions sommaires lors de la reprise de Paris, il fut condamné à la déportation simple et arriva en Nouvelle-Calédonie en novembre 1872

Il raconte dans ses Souvenirs d'un membre de la Commune,  qu'il avait été autorisé à résider à Nouméa, autorisation donnée avec parcimonie à ceux qui pouvaient garantir une embauche chez un employeur. Son ami Ballière était dans le même cas.

" Ballière était devenu le comptable du seul marchand de bois du pays. De mon côté, j’étais accepté comme comptable principal de l’unique boucherie de l’île."

 

 

La situation du déporté simple admis à travailler à Nouméa  reste précaire  :

 " En arrivant à Nouméa, les déportés doivent faire une première visite au directeur de la déportation. Ils reçoivent un permis de séjour qui leur donne le droit de circuler librement dans un rayon de 25 kilomètres autour de leur résidence, ils ne peuvent en changer sans une nouvelle autorisation émanant du chef-lieu. Ils doivent, une fois par mois, se rendre au poste des surveillants militaires pour signer une feuille de présence.

 

Le déporté doit subvenir à tous ses besoins, et ne plus compter sur l’aide de l’administration. Si le travail vient à lui manquer il est purement et simplement renvoyé à l’île des Pins."

 

François Jourde fait un tableau critique de la situation de la Nouvelle-Calédonie, colonie mal administrée

" Que deviennent donc les dix millions jetés, par la métropole, dans cette colonie pénitentiaire ? Les trop nombreux fonctionnaires qu’on y emploie pourraient seuls nous renseigner. Ainsi que l’a dit M. Paul Merruau : « Il semblerait que la colonie fût faite pour les emplois et non les emplois pour la colonie. »"

" Un gouverneur peu scrupuleux peut s’assurer annuellement un revenu de deux cent mille francs au minimum : traitement de capitaine de vaisseau, indemnité de gouverneur, traitement de table, soumissions consenties et amendées en faveur du négociant sachant délicatement faire sa cour à l’épouse du gouverneur .par le cadeau, sous forme de billets de banque, d’épingles [épingles précieuses à cheveux ou à chapeau], pour lesquelles ces dames ont une véritable passion ; ajoutons à tout cela certaines expropriations, pour cause d’utilité publique, au choix du gouverneur, le travail non rémunéré de 99 forçats, un palais splendide, des terres choisies et d’une exploitation facile, que sais-je encore ? "

 

Peu après son installation à Nouméa,  il est autorisé à rendre visite aux déportés en enceinte fortifiée de la presqu'île Ducos : quelques amis souhaitaient organiser une entreprise de fabrication de briques et avaient écrit à Jourde pour qu'il les aide à obtenir un prêt bancaire.

 

"Je dois dire que ma demande fut accueillie avec bienveillance et que je reçus immédiatement l’autorisation demandée

Il ne manquait plus que les moyens de transport qui restaient à ma charge. La permission accordée était formelle à cet égard. Elle était libellée de la manière suivante : « Le déporté simple Jourde est autorisé à se rendre à la presqu’île Ducos par ses propres moyens. Il devra à son arrivée remettre la présente autorisation à M. le commandant territorial. — Nouméa, le 25 février 1874. »"

 

Jourde prend passage sur le bateau (ou la grosse barque) de Bastien Grantillhe, autre déporté simple, qui travaille pour le négociant chargé d'aprovisionner l'administration : " Grantillhe était chargé de transporter tous les jours, à la cantine de la déportation, des approvisionnements de toutes sortes : légumes, vins, liqueurs, tabac, etc. La plus grande partie de ces marchandises était destinée au camp militaire établi pour la garde des prisonniers".

 Le bateau de Grantillhe est manoeuvré par deux Kanaks.

Voici comment il décrit les conditions de vie des déportés en enceinte fortifiée :

"... j’arrivai à la case habitée par Paschal Grousset, Olivier Pain et Rochefort.

Cette habitation était construite en terre mêlée de paille et couverte en chaume. L’entrée, grand espace carré, servait de salon, de salle à manger et de cuisine. Sur le sol raboteux, au fond de cette pièce, trois grosses pierres rectangulaires, placées de champ, indiquaient le confortable foyer sur lequel, dans une marmite de campement, cuisait le repas frugal des trois déportés

Deux morceaux de bois, humides, fumaient sous la marmite. Le vent faisait rage, soufflant impétueusement à travers les nombreuses issues laissées dans cette construction des plus primitives. Au centre de la hutte, une table boiteuse ..

Je pénétrai dans une sorte de caveau sombre et sans air. C’était la chambre à coucher. Une toile de hamac tendue sur quatre piquets et un matelas de 2 centimètres d’épaisseur représentaient la literie

Sur une grande caisse en bois, une centaine de volumes d’histoire, des livres d’anglais et d’allemand, indiquaient les goûts studieux des maîtres du logis

Paschal Grousset, enveloppé d’une mince couverture, lisait un volume de l’histoire moderne de Gervinus."

 

Jourde et Grousset tombent dans les bras l'un de l'autre, puis c'est Rochefort qui arrive avec Olivier Pain. Rochefort a une canne à pêche à la main, les pantalons retroussés jusqu'au genou et le chapeau de paille sur la tête.

 

" Arrivé seulement depuis deux mois, cette vie étrange de Peau-Rouge ne paraissait pas l’affecter ; nageur et pêcheur enragé, il se livrait avec Olivier Pain aux parties de pêche et de natation les plus effrénées."

Les amis vont alors réfléchir au moyen de s'évader grâce au bateau de Grantillhe, qui les accompagnera.

Un ami allemand qui travaille dans une maison de commerce met Jourde en contact avec un capitaine d'un bateau australien qui est d'accord pour les aider à s'évader - du moment qu'il s'agit de déportés poitiques et non de forçats. Ce capitaine est franc-maçon comme Jourde, ce qui facilite les contacts :

" Un signe maçonnique rapidement échangé nous fit reconnaître."

 Mais hormis cette appartenance commune, le rôle de  la franc-maçonnerie dans l'organisation de l'évasion a été surestimé; voir Joël Dauphiné, La franc-maçonnerie et l’évasion d’Henri Rochefort, Le Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 118 | Année 2004-1, https://jso.revues.org/275 ).

Les souvenirs de Jourde permettent d'imaginer la vie des déportés simples autorisés à résider à Nouméa.

La date prévue pour l'évasion concertée avec  Rochefort et les autres déportés en enceinte forrtifiée approche :

 " Ballière et moi ne changeâmes rien à nos habitudes. J’accomplis ma tâche quotidienne. Ballière continua à montrer une grande ardeur à emballer les plans de théâtre et de maison particulière, qu’il destinait à l’Exposition qui devait s’ouvrir à Sydney, le Ier mai suivant. "

En effet Ballière est architecte et ne perd pas de vue sa profession.

 

 

Le soir de l'évasion projetée,  Jourde et Ballière donnent  le change :

" A huit heures, la nuit arriva avec sa rapidité foudroyante sous cette latitude. Nous nous dirigeâmes, Ballière et moi, vers le quai où Grantillhe, blotti dans la barque, nous attendait.

En descendant la rue de l’Alma, nous entrâmes au café Arduser, et nous fîmes servir un half and half, boisson composée d’un mélange de porter et d’ale. C’était notre débauche des grands jours, les deux bouteilles de bière coûtant 5 francs, dans cette ville du bon marché [ironie : tout est cher à Nouméa]. Après avoir absorbé un verre de bière, nous priâmes le garçon de nous réserver les deux bouteilles entamées ; nous reviendrions sans doute le soir même ou le lendemain, achever notre ruineuse consommation.

J’avais toutes les allures d’un paisible déporté qui, chaque soir, se dirige vers le rivage, pour y respirer l’air frais et vivifiant de la mer, sa journée accomplie.

Pour garantie de mes intentions pacifiques, j’étais porteur d’un superbe parapluie que j’avais acheté quelque temps auparavant... "

 Remarquons au pasage l'expression "paisible déporté"...(qui n'a rien d'ironique : les déportés comme Jourde menaient une existence plutôt paisible. D'autres avaient moins de chance).

Jourde, Ballière et Grantillhe gagnent en barque l’ilôt Knauri - que Rochefort, Grousset et Pain ont rejoint à la nage depuis la presqu'île Ducos. Ensuite ils rejoignent le bateau australien qui les attend dans la rade de Nouméa, non sans quelques difficultés en raison du mauvais temps.

 Comme on sait, ils parviennent à s'évader.

Voir François Jourde, Souvenirs d'un membre de la Commune https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_d%E2%80%99un_membre_de_la_Commune/L%E2%80%99%C3%A9vasion

 

 Fixé un moment en Alsace allemande, où il monta une coopérative avec d'autres Communards (on prétend que le gouvernement français intervint auprès du gouvernement allemand pour faire cesser ses activités) Jourde rentra en France après l'amnistie. Il reprit son activité de comptable et abandonna, semble-t-il, la politique. Il mourut prématurément à 50 ans à Nice.

 

Souvenirs_d'un_membre_de_la_Commune,_page_7

Une case de déportés à l'Ile des Pins.

Noter les deux Kanaks, peu visibles,  accroupis devant la case.

Photo extraite du livre de François Jourde, Souvenirs d'un membre de la Commune, Librairie contemporaine de Henri Kistemaeckers, 60 Boulevard du Nord, Bruxelles, 1877

Wikisource

 

 

 

 

 

LE VERITABLE BAGNE

 

 

 

En se rendant à la presqu'île Ducos, Jourde a aperçu l'ïle Nou où sont détenus les Communards soumis au régime du bagne :

" A notre gauche nous apercevons distinctement les établissements de l’île Nou, sur lesquels trois cents condamnés de la Commune subissent les plus épouvantables tortures."

https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_d%E2%80%99un_membre_de_la_Commune/L%E2%80%99%C3%A9vasion

 

 

Il ressort du registre des déportés retouvé par B. Brou que 323 communards  (et non 251) furent soumis au même régime du bagne que les droits communs, ce qui recoupe le chifre de Jourde.

Parmi ces bagnards, Allemane, Da Costa, le colonel Lisbonne, ancien chef des Turcos de la Commune, Louis Trinquet , Jean Roques de Fillol, maire de Puteaux qui avait pris le parti de la Commune.

 

 François Jourde décrit - sans expérience personnelle, puisqu'il n'était pas sur  l'île Nou,  les souffrances des bagnards :

" Pour indiscipline, pour refus de travail, pour avoir déplu à un surveillant, pour paresse ou mauvaise volonté apparente dans la tâche à accomplir, le forçat est condamné à recevoir cinquante coups de fouet. La division à laquelle le condamné appartient est assemblée ; elle forme le carré dans l’une des cours du bagne. Derrière, sur deux rangs, une compagnie d’infanterie de marine, chassepot chargé. Au centre du carré, les surveillants militaires, le fusil en bandoulière, le revolver au poing.

Le patient est amené, on le boucle sur un banc rougi par le sang des suppliciés, mordu par leur agonie. Le bourreau, un forçat, sort des rangs. Le fouet à quatre lanières siffle et s’abat sur la chair nue du malheureux. Au trois ou quatrième coup, un atroce cri de douleur, un rugissement se fait entendre ; les vaisseaux sanguins éclatent broyés, la chair déchirée vole autour de l’exécuteur, le sang irrité jaillit avec une violence inouïe. Le médecin s’approche ; le patient a perdu connaissance. Au 20e ou au 25e coup, selon sa constitution, le supplicié, sanglant, meurtri, est envoyé à l’infirmerie.

Au bout de quelques semaines, les plaies se sont cicatrisées. Mais la comptabilité immuable est là qui veille, il reste encore, que sais-je ? quinze, dix-huit, vingt coups à recevoir. La balance doit être faite. La cérémonie recommence, avec le même appareil. Quelquefois le forçat meurt sous cette deuxième épreuve, mais qu’importe. Le forçat n’a pas de nom, c’est un numéro. Le cadavre est jeté à la mer ! La justice et la comptabilité sont satisfaites ! "

 

 

 

 

 

MORTALITE

 

 

 Bernard Brou note un taux de mortalité de 9% pour les déportés simples et en enceinte fortifiée, et de 16% pour les déportés au bagne.

Parmi ces morts, cinq sont tués lors de la révolte des Canaques de 1878 dont on va parler.

 

B. Brou indique pour les déportés de l'Ile des Pins : "La plupart des déportés moururent de phtisie, de dysenterie, de scorbut, et des suites des privations qu'ils endurèrent avant leur embarquement et pendant les traversées."

Il note que la plupart des tombes encore présentes et identifiables à l'époque de son étude, concernent des hommes très jeunes : "  Car en fait, ce sont les « jeunes » qui moururent d'ennui et de chagrin ! Les hommes mûrs résistèrent mieux. Mais pour les adolescents condamnés à finir leurs jours en « Robinsons de l'exil », ce fut affreux : les tombes de l'île des Pins témoignent de leur désespoir".

Mais en fait, la mortalité doit aussi tenir compte  de la durée de vie de ceux qui rentrèrent. Or si certains atteignirent des âges avancés (92 ans pour Allemane, pourtant condamné au bagne) d'autres moururent au cours de la décennie de leur retour.

 

 

 

 

f274-160

 

Les déportés dans la presqu'île Ducos, dans: Retour de la Nouvelle-Calédonie. De Nouméa en Europe (Paris 
s.a.). - p. 9 Call number: F 274/160.
Image sur le site International Institute of Social History (IISH)

http://www.iisg.nl/collections/new-caledonia/f274-160-fr.php

 

 

 

 

 

 

UN EXIL DUR OU SUPPORTABLE ?

 

 

 

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 L'île des PIns, aujourd'hui haut lieu du tourisme.

Les Communards ne l'ont sans doute pas vue comme un paradis. Ce n'était pas un enfer non plus - plutôt un purgatoire au soleil... n'oublions pas, contrairement à ce que croient certains, que les Communards étaient libres sur l'île des Pins et non pas soumis au régime du bagne.

http://stepbystep2015.com/lile-des-pins-une-certaine-idee-du-paradis/

 

 

Coment les déportés réagissaient-ils à leur situation ?

Evidemment il aut distinguer les condamnés au bagne (les transportés) des autres condamnés.

 

Un site  dédié aux Communards, Commune 1871, Amies et amis de la Commune de Paris, évoque la situation des déportés en Nouvelle-Calédonie comme si tous avaient été condamnés aux travaux forcés,  ce qui dénote une information biaisée :

http://www.commune1871.org/NOUVELLE-CALEDONIELA-BARBARIE-DU-BAGNE-POUR-LES-COMMUNAR

 

 

 S'agissant des déportés à l'île des Pins, il ne faut pas forcément en juger par la réputation actuelle de l'île, où se trouvent des résidences hôtelières  de luxe, surnommée "l’ile la plus proche du paradis".

Mais le déporté  Barron, avant d'y arriver, raconte  que les surveillants disaient aux déportés : vous allez à Ducos, c'est le jardin de la Nouvelle-Calédonie.

Vous allez à l'île des Pins, c'est le paradis de la Nouvelle-Calédonie.

Les ruines actuelles du "bagne" de l'ïle aux Pins sontcertainement  postérieures au séjour des Communards - l'île a ensuite accueilli  un bagne rigoureux avec des cellules, dont aucun témoignage des Communards ne parle, puisque ceux-ci logeaient dans des paillottes et paraissent avoir été propriétaires de concessions.

Il y avait toutefois une prison, pour les déportés punis pour actes de délinquance et Jourde rapporte (probablement en 1873) l'exécution par fusillade de quatre déportés qui avaient un peu malmené un de leurs camarades chargé de l'approvisionnement .

 

 Il est à noter qu'après l'amniste, un des déportés, Mourot, resté en Nouvelle-Calédonie comme journaliste, se battra inutilement (semble-t-il) pour obtenir le restitution des concessions possédées par les déportés à l'île des Pins, en vertu de la loi du 25 mars 1873, qui ont été saisies par l'Administration pénitentiaire pour y mettre des relégués ( cf . Georges Coquilhat sur son site Ma Nouvelle-Calédonie  https://gnc.jimdo.com/biographies/mourot-e/ ).

Certains déportés ont d'abord été "bon public", selon Charles Malato, ils disaient : " On nous a refusé la Commune à Paris, pour nous la donner ici."

Il raconte le désespoir d'un déporté dont la peine a été commuée en 5 ans d'emprisonnement en France :

" Nom de Dieu de nom de Dieu ! gémissait l’infortuné, en voilà une grâce que je ne leur demandais pas ! Je ne retrouverai jamais un patelin comme celui-ci ; quel chic pays ! on se lève avec le soleil qui vous chauffe : on va au bois couper des fagots ou des baguettes et, sa journée finie, on a quarante sous dans la poche : on était si heureux ! »

 (De la Commune à l’anarchie, 1894).

L'ennui semble avoir été le principal ennemi des déportés.

De l'île des Pins, Barron dit ; "c'est une île verdoyante, du plus souriant aspect, adorablement trompeuse."

Mais il note (exagère-t-il ?) que tous les déportés sont apathiques, amaigris, se déplaçant difficilement.

 

Rochefort, qui était à la presqu'île Ducos, dira qu'il était incapable d'écrire, car par une température de 40 degés, on n'a pas la force de créer.

Par contre il apprécie les couchers de soleil : "J'en ai vu d'une splendeur à faire pousser des cris".

 

" Je lis les trois-quart du temps, mais je trouve tous les livres bêtes ...j'ai commencé à dessiner", écrit Henri  Messager à sa mère en 1874 (cité par Bernard Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ?: Politique et représentations, 2004  https://books.google.fr/books?id=rSaQAQAAQBAJ&pg=PT178&lpg=PT178&dq=culture+canaque+et+communards&source=bl&ots=8El-h-b6U-&sig=niuRLYHrU60JEVyXHC16wpjSbSE&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiesrXizpLRAhVFbBoKHWMdBB44ChDoAQgxMAM                           ).

 

Il est difficile de se faire une idée exacte sur l'état d'esprit des déportés (les bagnards étant exclus du raisonnement) entre l'image presque souriante qu'en donne G. Pisier et l'image dépressive qu'en donnent Bernard Brou , dans son article La Déportation et la Nouvelle-Calédonie  ou  Bernard Tillier dans son livre  La Commune de Paris, révolution sans images ?.

Charles Malato parait en donner une image équilibrée, mais chaque individu est différent et perçoit différemment une même réalité.

 Les déportés simples avaient créé une imprimerie et purent publier des journaux, avec l'approbation de l'administration, cela va sans dire.

Sur ces journaux, voir la série d'articles de Georges Coquilhat sur son site Ma Nouvelle-Calédonie https://gnc.jimdo.com/journaux-de-l-ile-des-pins/

 

 

 Une commission d'enquête parlementaire sur le fonctionnement de la déportation fut créée à la suite des plaintes de certains déportés évadés qui publièrent des récits accusateurs (Jourde, Ballière). Elle enquêta de 1879 à 1881 (soit pour la dernière date, après l'amnistie) et conclut :

 « II paraît certain que jusqu'aux premières évasions qui ont eu lieu en mars 1874, les déportés de la Commune n'ont pas eu à se plaindre du régime auquel ils ont été soumis. (...) A part certaines réclamations sur l'insuffisance des préparatifs faits pour les recevoir et les établir dans la colonie, sur la mauvaise qualité de la nourriture et l'irrégularité de la distribution des vêtements, presque tous les témoins reconnaissent qu'ils ont été convenablement traités... »

cité par G. Pisier, Les déportés de la Commune à l'île des Pins, NouvelleCalédonie, 1872-1880, Journal de la Société des océanistes. N°31, Tome 27, 1971. pp. 103-140

http://www.barron.fr/textes_commune/deportes_commune_idpins

 

Selon G. Pisier :

" A la fin 1876 on comptait déjà 67 femmes et 81 enfants sur place, en plus des 108 femmes et des 134 enfants qui avaient rejoint les résidents libres de la Grande Terre. Il y avait même trois instituteurs bénévoles qui faisaient l'école à ces jeunes enfants."

Selon lui, à la fin de la période, les Communes de l'Ile des Pins resemblent à un village français avec sa mairie et même son église - malgré l'anticléricalisme des Communards , l'administration a imposé une église. Certains déportés exécutent d'ailleurs des travaux  pour le prêtre, en étant rémunérés. Une partie des déportés travaille pour l'adminstration, les autres ont créé des petites entreprises (voir la liste chez G. Pisier).

 Un petit théâtre fonctionnait

 Evidemment ces conclusions ne valent pas pour le bagne...

 

 La vision de la vie des déportés - au moins sur l'île des Pins, de Charles Malato, est assez souriante.

Charles Malato était le fils d'un Communard. Il avait accompagné son père, ainsi que sa mère, en Nouvelle-Calédonie.  Le père de Charles Malato était un aristocrate italien ( Malato de Corné ) devenu révolutionnaire - mais plutôt pacifique. Son implication dans la Commune avait été faible, et il avait été condamné à être expulsé de France, plus en raison de ses anciennes activités révolutionnaires que pour sa participation à la Commune. Mais il était resté à Paris "où l’attachaient ses affaires commerciales, florissantes alors", dit son fils - ce qui est un peu inattendu pour un Comunard ou considéré comme tel !

Sa condamnation avait été révisée et transformée en peine de déportation simple à la suite de l'arrivée au pouvoir des conservateurs qui ont succédé aux républicains modérés après la nomination de Mac Mahon comme président de la république. Le père de Charles  Malato avait pu se soustraire à l'arrestation, mais  pour faire pression sur lui, sa femme fut arrêtée et ses biens mis sous séquestre : " Mon père, menacé d’être traité, non en adversaire politique, mais en banqueroutier", fut forcé de se constituer prisonnier.

 

En Nouvelle-Calédonie, Charles Malato fut employé au télégraphe. 

Charles Malato écrivit de nombreux ouvrages, dont De la Commune à l'anarchie, 1894, où il raconte les souvenirs de son séjour en Nouvelle-Calédonie (https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_Commune_%C3%A0_l%E2%80%99anarchie )

 Devenu un militant anarchiste. Malato n'a  aucune raison d'épargner les autorités responables de la déportation et sa critique englobe aussi bien les républicains de l'ordre moral (bien peu républicains) au pouvoir jusqu'en 1878 que les républicains opportunistes.

Sa présentation de la vie sur l'île des Pins, qu'il a toutefois connue peu de temps, est plutôt souriante; il note les bonnes relations avec les Arabes (ou Kabyles ?) qui viennent manger chez sa mère.

A peine la petite famille arrivée sur l'île des Pins, le père de Charles Malato apprend que, sans l'avoir demandé, il est autorisé à séjourner sur la Grande Terre, à Nouméa.

 

" Un mois et demi environ s’était écoulé depuis notre arrivée à l’île des Pins. Des poules picoraient derrière notre cuisine, le jardin promettait beaucoup, mon père se tuait à arroser ses choux ; j’alternais, avec la lecture de mes vieux classiques, les excursions dans la forêt, d’où je rapportais de grands papillons aux ailes d’azur, lorsque, un soir, arriva de la presqu’île Kuto l’ordre de nous préparer à partir, le lendemain, pour Nouméa.

Nous nous regardâmes tous trois stupéfaits, n’ayant jamais rien demandé de semblable. Comment ! à peine avions-nous eu le temps de savourer les douceurs du propriétarisme rural et déjà il fallait nous y arracher ! "

Le premier mouvement du père est de refuser. Les autres déportés l'en dissuadent :

— « Ah ça, nous dirent amicalement ceux-ci, vous êtes donc les derniers des crétins ! Comment vous bénéficiez d’une mesure que d’autres ont sollicitée depuis deux ans et que vous n’aurez même pas eu la peine de demander, et vous iriez bêtement la refuser, préférant vous enterrer ici, loin de toute activité, de tous débouchés. Il n’est pas permis d’être stupides à ce point-là ! »

Ces conseils persuasifs firent leur effet. Parler à mon père d’activité, de mouvement, d’affaires, c’était faire vibrer en lui une corde sensible. Le lendemain, ayant chargé un ami de réaliser en temps opportun notre paillotte, notre jardin, nos poules, nous quittions l’île des Pins pour Nouméa à bord du vapeur « La Dépêche. »".

 

 

 

 

 

L'AMNISTIE

 

 

 

 

En 1877 et en 1878 , le maréchal de Mac-Mahon, président de la république, accorde de nombreuses commutations de peine et même plusieurs centaines de remises totales. Les effectifs présents à l'Ile des Pins ne cessent de fondre.

 

Enfin, le maréchal,  avant  de  céder  ses fonctions à  Jules  Grévy,  signa  le  décret  du  15  janvier  1879 qui prononça  d'un  seul  coup  2245  grâces  individuelles  en  faveur  des  déportés de  la  Commune,  dont  1164  en  faveur  des  déportés  simples (G. Pisier). 

 Puis la loi d'amnistie du 3 mars 1879 rétablit dans leurs droits civiques les personnes graciées par le président de la république ou qui viendraient à l'être dans le délai de 3 mois.

 

 Selon Charles Malato, les perspectives d'amnistie avaient un peu modifié les relations entre les déportés et le reste de la population française de la colonie :

" Une détente, très sensible se produisit alors : non seulement les commerçants, mais même les fonctionnaires regardaient les déportés d’un œil tout différent. Les seconds, se dépouillant de leur morgue passée, recherchaient les occasions de se montrer aimables envers leurs anciennes victimes, susceptibles de se transformer en maîtres "

 

  En août 1880, l'annonce de l'amnistie totale parvint aux Communards. Un prêtre missionnaire décrit ainsi la réaction des Communards, le 28 août :

« ils ont rangé en trophée les drapeaux tricolores aux branches du grand banian de la route de Kuto au milieu desquels ils ont suspendu une immense clef symbolique : la clef des champs. »

 

 La plupart des déportés sont rapatriés à bord du Navarin.

 

 Charles Malato, qui n'est pas déporté, hésite à revenir; il pourrait rester dans le service télégraphique, mais son père s'ennuie en Nouvelle-Calédonie. Pourtant autre chose pourrait les retenir : la tombe de la mère de Charles Malato, morte un peu auparavant, peut-être par contrecoup des angoisses subies lors de la révolte des Kanaks.

 Finalement le père et le fils rentrent en février 1881 sur le bateau La Loire, en compagnie d'autres déportés retardataires (" vingt-neuf, le gros des déportés étant parti par les transports précédents").

 

Voici sa description, un peu ironique, de l'état d'esprit des déportés en apprenant l'amnistie :

" L'amnistie ! La colonie en tressaillit depuis la baie du Sud jusqu’à la pointe de Paâba. Six mille communards et leurs familles se levèrent pour acclamer le triomphe de la république une et indivisible.

En toute impartialité, je dois avouer que les marchands de vin firent de bonnes affaires ce jour-là… et les jours suivants."

 

Malato parle de 6000 déportés (avec leur famille) mais ce chiffre est manifestement erroné : les déportés, au départ,  étaient environ 4500, auxquels il faut ajouter pour certains (mais assez rares semble-t-il)  les épouses et enfants, ce qui ne doit pas atteindre le total de 6000 personnes - de plus, en 1880 le nombre avait déjà diminué du fait des remises de peine antérieures et notamment des 2245 personnes graciées en 1879.

Selon un article de John Sutton sur le site des Amis et amies de la Commune :

 " Après l'amnistie de 1880, 541 hommes et 9 femmes, dont Louise Michel, recouvrent la liberté et une dizaine de milliers de Communards réfugiés à Londres, Bruxelles ou en Suisse, peuvent enfin rentrer en France  (article de  John Sutton, Clemenceau et la Commune http://www.commune1871.org/?Clemenceau-et-la-Commune).

Le chifre de 541 parait au contraire, faible si on admet un effectif de départ de 4500 (auquel on doit ajouter disons 500 femmes et enfants - ce qui semble un maximum ?) moins environ 2500 grâciés (en 1879 et avant cette date) et les décès (si on reprend les chiffres cités plus hauts, 15% des bagnards soit environ 45 morts et 9% des déportés simples  soit environ 40 morts), on devrait arriver à  2000 - 2500  personnes (déportés et familles) encores présentes en Nouvelle-Calédonie en 1880? A approfondir.

 

 Il est probable que Charles Malato, qui  vivait séparé des autres déportés (ceux qui résidaient à la presqu'île Ducos ou à l'Ile des Pins, sans parler de ceux du bagne), n'avait pas une idée exacte du nombre de déportés encore présents en 1880. Beaucoup de déportés vivaient d'ailleurs de façon isolée sur la Grande Terre, comme ce Baudin avec qui Malato  sympathise, qui est employé à surveiller, armé d'un fusil, un lopin de terre acheté par un autre déporté, l'affairiste Mourot.  

 

Charles Malato est plutôt ironique sur l'état d'esprit des Communards à leur retour :

 

" Après de longues années d’exil, nos compagnons s’imaginaient revoir la France telle qu’ils l’avaient quittée. Quelques-uns ne se défendaient pas de croire que les populations allaient former la haie sur leur passage, prêtes à leur glisser sous le bras des portefeuilles de ministre. Comment la république pourrait-elle se passer de leur concours ? Ces jacobins, pour la plupart courageux et sincères mais infatués de leur personne, ne se rendaient pas compte que, pendant leur absence, le monde avait marché.

Une trentaine de droits communs, libérés qu’on rapatriait, étaient parqués dans un compartiment de la batterie, contigu au nôtre [sur le bateau]. On avait d’abord voulu les mêler à nous ; les communards protestèrent vivement, sentiment qui ne laissa pas de me choquer comme peu égalitaire."

 On notera, sans développer le sujet, que Malato, l'anarchiste, appelle les Communards des Jacobins.

Lorsqu'on arrive en vue des côtes de France, un déporté entonne la Marseillaise. Personne ne fait écho.

 

A l'arrivée, son père (Italien et bien peu dangereux), avant même de débarquer, apprend qu'il doit être expulsé de France et les gendarmes le conduisent en forteresse en attendant !

 

" ... mon père, expulsé du territoire avant même d’y avoir remis les pieds. C’est ainsi que le gouvernement républicain entendait l’amnistie."

 

 

 

 QUELQUES DESTINS DE DEPORTES

 

 ACHILLE BALLIERE

 

Si Rochefort ou Grousset sont bien connus, sans parler de Louise Michel, disons quelques mots de déportés moins illustres.

 

Achille Ballière, déporté simple, fut autorisé à travailler à Nouméa dès le mois d'octobre 1873, soit cinq mois après son arrivée. Selon son camarade Jourde il était comptable, mais il semble avoir exercé aussi sa profession d'architecte. Il conçut un projet de théâtre pour Nouméa.

Il s'évada avec Rochefort, Grousset, Pain, Grantillhe et Jourde.

De façon surprenante, Wikipedia précise :

" Ayant atteint l'Australie il laisse partir ses compagnons préférant attendre l'exposition intercoloniale de Sydney où son projet de théâtre pour Nouméa doit être présenté. Il rejoint alors Melbourne où il attend de pouvoir rejoindre l'Angleterre qu'il atteint le 30 juillet."

La situation d'un évadé qui attend une exposition "intercoloniale" (il y en avait donc) pour présenter un projet architectural ne manque pas de sel...

Le blog très bien informé  Ma nouvelle-Calédonie de Georges Coquilhat présente un peu différemment la même circonstance :

" Il demeure quelques temps à Sydney où il expose un projet de théâtre pour la grande cité australienne [et donc pas pour Nouméa, ou bien il a présenté deux projets ?] puis, de  retour en Europe, il séjourne à Londres, Bruxelles, d'où il est expulsé par décret royal à la fin de 1874, puis Strasbourg (ville allemande) où il demeure comme professeur d'architecture jusqu'à l'amnistie de 1879.

Rentré en France, il bâtit presque en entier la station balnéaire de Royat."

https://gnc.jimdo.com/biographies/balliere-achille/

 

Ce blog ne mentionne pas l'activité politique de Ballière, pourtant très intéressante par son orientation.

Après un échec aux élections législatives de 1889 en tant que candidat boulangiste contre Clemenceau à Draguignan, il revient en Nouvelle-Calédonie, pour des activités de presse où il s'en prend aux capitalistes locaux, puis retourne  à Clermont-Ferrand (sa ville natale), puis à Paris où il meurt en 1905.

Dans la dernière période de sa vie, il est proche du nationaliste Déroulède (il est accusé avec de nombreux membres de la Ligue des Patriotes d'avoir préparé un coup d'état sous la direction de Déroulède en 1899, puis il est acquitté après un procès collectif); il est membre de la Ligue antisémite et il est même exclu de sa loge maçonnique pour antisémitisme. Il siège au conseil municipal de Paris comme élu nationaliste.

 

 

 

HENRY BAUËR

 

 Henry Bauër était arrivé très jeune en Nouvelle-Calédonie (embarqué en 1872, il avait 21 ans).

Il avait été officier dans la Garde nationale de la Commune et collaborateur de Vallès au Cri du Peuple.

L'ironie de sa situation venait de ce qu'il était le fils naturel d'Alexandre Dumas fils, qui pendant la Commune avait été un des plus acharnés à attaquer les Communards.

Pendant son séjour en Nouvelle-Calédonie, il fut proche de Louise Michel.

 

Sa mère vint le rejoindre mais fut plus tard expulsée. Elle s'activa en vue de sa libération et Henry Bauër fut amnistié en 1879 grâce à l'intervention de Victor Hugo et des hommes politiques Jules Favre et Lockroy, que sa mère avait sollicités.

A son retour en France, Bauër devint un critique littéraire reconnu, notamment à l'Echo de Paris.

Il favorisa les nouvelles formes théâtrales (Ibsen, Strindberg, le théâtre libre d'Antoine, Alfred Jarry, Maurice Maeterlinck), les romanciers naturalistes (Zola, Mirbeau). Admirateur de Wagner, il eut aussi une liaison avec Sarah Bernhardt.

" Sa parole avait force de loi, en particulier chez les artistes". (Wikipedia)

 

Les débuts de Bauër comme critique théâtral furent encouragés par Alphonse Daudet -  alors que Daudet  avait été anti-Communard et ne pouvait pas ignorer que Bauër avait été partisan de la Commune.

Au moment de l'affaire Dreyfus, Bauër, partisan de Dreyfus,  dut quitter l'Echo de Paris, journal antidreyfusard, et son autorité comme critique s'en ressentit.

Il mourut  en 1915.

 

 

 

EUGENE MOUROT

 

 

 Eugène Mourot, ancien secrétaire de Rochefort (ou simplement secrétaire au journal de Rochefort, comme dit Malato, qui ne l'aimait pas ?), déporté à l'île des Pins, reste à Nouméa après l'amnistie pour y créer, de 1881 à 1885, un hebdomadaire républicain, radical et anticlérical : Le Progrès de la Nouvelle-Calédonie, avec comme devise  "Tout pour la République et la Nouvelle-Calédonie" . Il est à Nouméa le créateur du radicalisme laïc et s'attaque violemment à la Société Le Nickel. Il semble avoir fait souche sur place, bien qu'il soit par la suite rentré en France où il poursuivit ses activités de journaliste.

 La présentation qu'en fait Charles Malato est rien moins qu'élogieuse et rappelle que Mourot tenait un des débits de boisson de l'île des Pins :

" Eugène Mourot était arrivé à l’île des Pins dans le plus grand dénûment. Ses camarades ouvriers, flattés de voir un homme de plume parmi eux, lui donnèrent qui des souliers, qui un pantalon, qui une chemise. Ainsi réquipé, il se présenta comme comptable chez le mercanti Pinjon, fut agréé et, à force d’esprit retors, s’implanta associé. Dès ce jour, le vin, très mauvais, devint exécrable. Mourot, non content d’empoisonner les déportés, spéculait sur eux de toutes manières."

 

 

 

GASTON DA COSTA

 

 

Parmi les déportés soumis au régime le plus dur (bagne) il y a Gaston Da Costa, à qui on reprochait en tant qu'adjoint de Rigaud, chef de la police de la Commune, une responsabilité dans les exécutions d'otages. Il semble que Da Costa était jardinier en Nouvelle-Calédonie.

" Après l’amnistie de 1880, il poursuit une carrière d’enseignant et de pédagogue, tout en continuant à militer dans le parti blanquiste, le Comité révolutionnaire central. 

Lors de la scission du parti en 1889, il suit la majorité boulangiste au Comité central socialiste révolutionnaire de Roche et Granger, collabore à l’Intransigeant de Rochefort, dont il reste proche, et prend lui aussi la voie de l’antidreyfusisme. Pendant toutes ces années il travaille également à une histoire de la Commune, en rassemblant ses souvenirs, des témoignages inédits et une documentation large. Publiée en trois tomes de 1903 à 1905 sous le titre La Commune vécue ".

 (Timothée Trouwborst, Relire le XIXe siècle politiqueCahiers Jaurès, 4/2010 (N° 198), p. 131-152. URL : http://www.cairn.info/revue-cahiers-jaures-2010-4-page-131.htm

 En 1895, il est candidat aux municipales à Grenelle, sous une étiquette "socialiste anticlérical et anti-internationaliste", puis en 1896, comme candidat "socialiste nationaliste". 

 

 

 

JEAN ALLEMANE

 

 

Déporté lui aussi au bagne, Jean Allemane reprend son activité syndicale et politique après 1880, de façon très active. 

Il participe à la création de la Confédération générale du travail (CGT) en 1895. En 1905, il est l’un des fondateurs de la SFIO, avec Jaurès, Guesde, Vaillant, etc. En 1901, il avait été élu député du parti socialiste ouvrier révolutionnaire dans le quartier de la Folie-Méricourt dans le XIe arrondissement. Il est réélu en 1906, sous l’étiquette SFIO. Mais, battu en 1910, il redevient simple militant.

En 1919, il semble qu'il adhère au parti socialiste national de France de Gustave Hervé, ancien pacifiste anarchisant devenu nationaliste,  formation qui évoluera vers le fascisme.

Allemane s'en est-il ensuite désolidarisé ?

Il était aussi un franc-maçon actif.

Héritier de la mémoire de la Commune et d’un long passé de luttes ouvrières, Allemane meurt en 1935, à l’âge de 92 ans, à Herblay (dans l’actuel Val d’Oise) où il s’était retiré.

http://www.commune1871.org/?Jean-Allemane-1843-1935

La notice sur le site des Amies et amis de la Commune, qui fournit l'essentiel des renseignements ci-dessus,  passe sous silence le rapprochement de Allemane avec les socialistes nationalistes.

 

 

 

LOUIS TRINQUET

 

 

Louis Trinquet, condamné aux travaux forcés, tenta de s’évader en 1876 et repris, il fut condamné à trois ans de double chaîne. Alors qu'il était toujours détenu, il fut élu en 1880 conseiller municipal du XXème arrondissement et même député dans le contexte de la campagne pour l'amnistie des Communards, battant le candidat du parti de Gambetta (mais son élection fut certainement invalidée). Il rentra par le Navarin après cette élection. Il travailla ensuite comme inspecteur du matériel à la Ville de Paris et mourut très peu de temps après son retour en 1882. 

Le discours de Gambetta à la Chambre des députés du 21 juin 1880  en faveur de l'amnistie, répondait aussi à une interpellation du député bonapartiste Granier de Cassagnac, outré que le "galérien" Trinquet puisse être élu député.

 

 

CHARLES AMOUROUX

 

 

 Nous aurons l'occasion de parler plus loin de Charles Amouroux qui participa activement à la répression de la révolte kanake de 1878.

 

 

 ALPHONSE HUMBERT

 

 

Journaliste au journal communard Le père Duchesne. Condamné aux travaux forcés à perpétuité en Nouvelle-Calédonie. Amnistié en 1879.

Ensuite, journaliste à succès au Petit Parisien, décrit avec amitié par le journaliste du Figaro Chincholle dans son livre Les survivants de la Commune (1885), il devient président du conseil municipal de Paris et député radical-socialiste en 1893.

Pendant l'affaire Dreyfus, devient l'un des principaux antidreyfusards. Sera exclu de la franc-maçonnerie en tant qu'antisémite.

 

 

 

DEPORTES RESTES EN NOUVELLE-CALEDONIE

 

 

Entre 50 et 60 déportés restent en Nouvelle-Calédonie; certains y font souche et ont encore aujourd'hui des descendants.


 L'un de ces déportés, Claude Petitjean, deviendra un des plus gros colons de la côte ouest

(Saussol Alain, compte-rendu de : Baronnet (Jean) et Chalou (Jean) : Communards en Nouvelle-Calédonie. Histoire de la déportation . In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 76, n°284-285, 3e et 4e trimestres 1989 ;
http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1989_num_76_284_4793_t1_0353_0000_2)

 

 

 

 

OLIVIER PAIN

 

 

 Disons enfin quelques mots  d'Olivier Pain, compagnon d'évasion de Rochefort et Grousset, qui eut certainement le destin le plus curieux (et tragique).

Après son évasion,  il continua sa carrière de journaliste. En tant que condamné évadé, il ne pouvait pas rentrer en France, du moins pas avant l'amnistie - il semble qu'il vivait en Suisse tout en collaborant à des journaux français.

Pour le journal La Lanterne (sans doute le journal d'Emile Meyer qui avait repris le titre créé par Rochefort) et pour un journal lyonnais (Le Bien public), iI couvrit la guerre russo-turque de 1877 du côté des Turcs et fut fait prisonnier par les Russes lors du siège de Plevna. Grâce à Rochefort, qui convainquit les autorités suisses d'intervenir auprès de la Russie, il fut libéré.

Après l'amnistie, de retour en France, il obtint grâce à l'intervention de Rochefort (bien que momentanément brouillé avec celui-ci ?) d'être engagé, semble-t-il  par le Figaro, pour couvrir la révolte du Mahdi au Soudan en 1884

Il partit pour l'Egypte avec l'un des fils de Rochefort qui se sépara de lui  à  un moment car le fils Rochefort devait rejoindre l'Algérie pour y accomplir son service militaire. 

Selon le journaliste du Figaro, Charles Chincholle, dans son livre  Les Survivants de la Commune (1885), Olivier Pain avait déclaré en partant que son intention était d'approcher le Mahdi pour le convaincre d'adoucir les conditions de détention des Européens et des missionnaires qui étaient captifs des insurgés.   

Olivier Pain allait disparaître dans des conditions obscures.

 

Le Mahdi, Mohamed Ahmed, un paysan soudanais, qui se disait envoyé par Dieu, avait entrepris de chasser du Soudan les "mauvais"  Musulmans et en particulier les Egyptiens qui gouvernaient le Soudan; il prétendait qu'il irait bientôt prier dans les mosquées du Caire et d'Istambul (donc qu'il renverserait les régimes "mécréants" de ces pays, en voie d'occidentalisation). Les Britanniques, protecteurs de l'Egypte, ne voulurent pas intervenir directement et envoyèrent le célèbre général Charles Gordon pour évacuer la capitale du Soudan, Khartoum.

Gordon, militaire aventurier, avait déjà gouverné le Soudan au nom du gouvernement égyptien une dizaine d'années auparavant.

Nommé pacha par le gouvernement égyptien, Gordon refusa de laisser Khartoum tomber aux mains des Mahdistes - il se laissa enfermer dans Khartoum, espérant obliger le gouvernement britannique à intervenir, ce qui fut le cas; mais l'expédition de secours britannique se mit en marche trop tard.

On sait qu'en janvier 1885 les Mahdistes (ou derviches) s'emparèrent de Khartoum, et lors de la prise de la ville, Gordon fut tué; la population fut massacrée ou réduite en esclavage.

Quant à Olivier Pain, il ne donna plus de nouvelles. On ne  savait pas s'il était mort ou vivant.  On disait qu'il était captif du Mahdi, on émit même  l'hypothèse optimiste qu' il est devenu ministre du Mahdi. Des journaux anglais ou français publièrent des portraits d'Olivier Pain, ministre ou conseiller du Mahdi.

Mais dès 1885, le bruit de sa mort courait - un aventurier juif lithuanien, un moment interprète au service des Britanniques, prétendit qu'il avait été fusillé sur ordre des Britanniques. Cette version fut reprise par Rochefort dans son journal : poussé par le même chauvinisme que Pain, il fit tout déclencher un scandale et quasiment un incident diplomatique, avant que le gouvernemnt français y mette bon ordre. 

La version la plus vraisemblable la mort d'Olivier Pain captif du Mahdi est accréditée par un témoin, un aventurier autrichien au service de l'Egypte, lui-même prisonnier du Mahdi et traité (selon les moments) avec une bienveillance relative, car il avait déclaré s'être converti à l'Islam, Rudolf Slatin (dans son livre Fer et feu au Soudan)*.

 

                                                                              *  Slatin, qui devait  réussir à s'échapper et à rejoindre les Britanniques en 1895 seulement, a publié son livre en 1896 (ce fut un grand succès d'édition et une traduction française parut en 1898).Avant même la parution du récit de Slatin, des informations sur la mort d'Olivier Pain avaient été données par des missionnaires prisonniers du Mahdi qui avaient pu s'échapper. Elles rejoignent le récit de Slatin.

 

Selon lui, Olivier Pain n'était pas exactement prisonnier, mais "en observation"  car le Mahdi voulait être sûr de sa sincérité.

Olivier Pain  s'était présenté au Mahdi comme ennemi de l'Angleterre, venu pour cette raison le soutenir. Il  s'était vanté de pouvoir convaincre la France d'apporter un soutien officiel au Mahdi.

Slatin avait donné à Pain le conseil de se présenter plutôt comme un converti.

Selon le récit de Slatin :

" Olivier Pain recommença la même histoire qu’il avait racontée déjà au calife |le premier ministre du Mahdi] . Le Mahdi m’invita à parler [c'est Slatin qui fait le traducteur] aussi fort que possible afin que la foule curieuse qui nous écoutait put tout entendre et comprendre. Lorsque nous eûmes fini, le Mahdi dit à haute voix:

 «J’ai entendu et compris tes intentions; je ne me fonde pas sur le soutien des hommes, mais je n’ai confiance qu’en Dieu et en son Prophète; ton peuple est un peuple d’infidèles et jamais je ne m’allierai avec lui; mais je punirai et j’anéantirai mes ennemis avec l’aide de Dieu, de mes Ansar [partisans] et des troupes d’anges que m’enverra le Prophète.»

 Les cris poussés par des milliers de poitrines annoncèrent la satisfaction générale causée par les paroles du maître. Lorsque le calme se fut rétabli, le Mahdi se tourna vers Olivier Pain:

 «Tu affirmes aimer notre religion, la seule et la vraie; es-tu mahométan?»

 «Certainement, répondit Olivier, et il prononça à haute voix la profession de foi musulmane: «La ilaha ill Allah, ou Mohammed rasoul Allah». Alors le Mahdi lui tendit sa main à baiser sans toutefois exiger de lui le serment de fidélité. "

Slatin, bien que sans aucune sympathie pour les buts d'Olivier Pain, déclare qu'il fera tout pour assurer sa sécurité. Les deux Européens, dans un milieu hostile, doivent oublier ce qui les sépare.

Bientôt, Olivier Pain tombe malade. Il regrettait la folie qui l'avait fait venir au Soudan et pensait à sa famille :

" J’ai commis bien des sottises dans ma vie, me dit-il un jour; mais mon voyage en ce pays est la plus grosse de toutes; je n’envisage le résultat qu’avec appréhension. Il eut été préférable que les Anglais eussent réellement accompli leur dessein, de me faire prisonnier.»

Je le consolai et le suppliai de ne pas perdre courage.

Mais il se détourna, en secouant tristement la tête."

(Fer et feu au Soudan, par Slatin Pacha (Rudolf Slatin), traduction française de 1898  http://gutenberg.readingroo.ms/5/2/3/3/52332/52332-h/52332-h.htm  )

 

A bout de forces, Olivier Pain mourut après une chute de chameau alors qu'il suivait l'armée du Mahdi. 

Assez curieusement, le roman de Paschal Grousset Les Exilés de la Terre (1888), signé sous le pseudonyme d'André Laurie, se situe pendant l'insurrection mahdiste et entremêle la science-fiction et la situation géopolitique du moment. Grousset avait forcément suivi les dernières nouvelles de son ancien camarade, mais en 1888 on ignorait probablement son destin exact, même s'il apparaissait certain qu'il était mort. 

Slatin, après son évasion du camp du Mahdi, poursuivit sa carrière dans l'armée coloniale britannique et reçut par la suite le titre de chevalier. L'Autriche, sa patrie, ne pouvait faire moins que de l'anoblir également (dans son pays il prit le nom de Von Slatin). L'Egypte, de son côté, le nomma Pacha .

Le Soudan resta aux mains des Mahdistes jusqu'en 1898, date  à laquelle ils furent battus par les troupes anglo-égyptiennes du général Kitchener lors de la bataille d'Omdurman - à laquelle participa un jeune cavalier de l'armée britannique, nommé Winston Churchill.

 

 

 

 

 

SLATIN(1896)_p385_BRINGING_GORDON'S_HEAD_TO_SLATIN

 

La tête du général Gordon est montrée à Rudolf  Slatin, prisonnier des Mahdistes, enchaîné après avoir perdu la confiance du Mahdi . Image extraite de la page 385 de Fire and Sword in the Sudan. A personal narrative of fighting and serving the Dervishes. 1879-1895, par SLATIN, Rudolf Carl - Sir, K.C.M.G. , British Library.

Wikipedia

 

 

 

 

D'UN COLONIALISME A L'AUTRE

 

 

 

 Il reste maintenant à examiner les relations des Communards déportés avec les populations kanakes, notamment au moment de la grande révolte kanake de 1878.

 

 

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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