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Le comte Lanza vous salue bien
23 novembre 2014

LE ROYAUME ANGLO-CORSE TROISIEME PARTIE

 

 

 

 

 

LE ROYAUME ANGLO-CORSE, TROISIEME PARTIE

 

 

 

 

LA FIN DU REGIME

 

 

Les historiens français du 19ème siècle comme Robiquet ont semble-t-il pris leurs désirs patriotiques pour des réalités  en parlant de soulèvement général de la population contre le régime anglo-corse, d’Anglais assassinés, des soldats anglais se rembarquant dans la panique et faits prisonniers en grand nombre par les  soldats de l'armée d'Italie envoyés par Bonaparte, de façon à accréditer que les Corses désiraient être Français et à montrer que les soldats français sont invincibles.

Les événements paraissent avoir été différents.

 

 

LE RENVERSEMENT D'ALLIANCE DE L'ESPAGNE

 

 

En fait, la fin du régime va être causée par un événement de politique internationale et non un événement de politique interne à la Corse :

La France républicaine est en paix avec la Prusse depuis 1795 (traité de Bâle), puis signe des traités de paix avec Gênes et Naples.

Mais l'événement majeur est le renversement d'alliance de l'Espagne.

L’Espagne participe depuis 1793 à la coalition contre la France républicaine (coalition déjà bien écornée depuis que la Prusse a signé une paix séparée).

Le gouvernement espagnol n’a pas recueilli grand-chose de sa participation à la coalition (il est vrai qu'au départ il s'agissait de lutter contre la France révolutionnaire mais chacun espérait aussi y trouver un intérêt plus tangible) ; il décide de faire la paix et pense même à renverser son alliance. Le premier ministre espagnol (et favori de la reine d’Espagne) don Manuel Godoy envoie un rameau d’olivier (au sens propre) au général Masséna qui dirige les troupes françaises à la frontière espagnole pour indiquer son intention de négocier. La paix est signée au 2 ème traîté de Bâle. Godoy y gagnera le titre de Prince de la Paix.

Puis le 14 août 1796, la France républicaine du Directoire et l'Espagne monarchique concluent une alliance offensive et défensive au traité de San Ildefonse.

Avant même la signature de ce traité, le gouvernement britannique voit tout de suite les conséquences de cette alliance en Méditerranée : la flotte anglaise va devoir affronter les flottes réunies de l’Espagne et de la France qui représentent une importance numérique considérable. L’alliance franco-espagnole met en péril Gibraltar (on se souvient du siège par les franco-espagnols de 1779-1782).

Dans ces conditions le gouvernement britannique estime qu’il n’a plus de forces suffisantes pour défendre la Corse; il adresse d'abord à Sir Gilbert un ordre d'envoyer à Gibraltar un des régiments qui défendent la Corse, ce qui est évidemment un mauvais signe pour la suite des événements.

Après ce départ, il y a en Corse 4986 soldats britanniques, sans compter les régiments corses et les milices.

Pendant ce temps les Anglais se querellent avec la république de Gênes. Celle-ci vient d'interdire l'exportation de boeufs pour la Corse qui ont été achetés par un fournisseur aux armées. Nelson vient à Gênes (septembre1796) et menace les Génois. Ces boeufs ne sont ni nés ni élevés à Gênes, alors de quoi se mêle Gênes ?

Le même mois (19 septembre), Nelson, en coopération avec le général de Burgh et des corsaires corses, s'empare de l'ile génoise de Capraja (ou Capraia), au large du Cap corse, sans perte d'un côté ni de l'autre; l'occupation est justifiée par les actes d'hostilité de Gênes envers la flotte anglaise et envers la Corse (lettre de Sir Gilbert au commodore Nelson). On se souviendra que Paoli à l'époque de son généralat s'était aussi emparé de Capraja en 1767

Mais dès la fin août, le gouvernement britannique a pris la décision capitale, qui ne parviendra en Corse que début octobre : il donne l’ordre d’évacuation de la Corse (et plus largement de la Méditerranée) par lettre du 31 août 1796.

Le ministre (Portland) fournit des raisons supplémentaires de quitter la Corse : les troubles qui s'y sont produits montrent que les Corses ne sont pas fiables et ils devront payer le prix de leur ingratitude en perdant la protection britannique. De plus l'opinion publique n'est pas favorable au maintien de la présence britannique en Corse (assimilée à une possession, ce qui du point de vue militaire est bien le cas) : " La possession de la Corse n'est pas mieux vue du public que celle de Gibraltar et les dépenses qui en découlent ne sont pas de nature à la rendre populaire (...) pour ce qui a trait à la puissance ou même à la protection au delà de la Manche, la masse du pays est aussi incapable d'en sentir la nécessité que d'en apprécier la valeur."

Le roi dégage ses sujets corses de leur serment de fidélité (qu'ils étaient supposés avoir prêté). Il annonce que les Corses qui voudraient quitter l'île par fidélité à la Grande-Bretagne seront accueillis au Canada ou aux Bahamas (ce qui est un peu loin).

Lorsque Sir Gilbert reçoit l'ordre d'évacuation, on peut penser qu’il a suffisamment de clairvoyance pour apprécier la situation au moins intérieure de la Corse, et il écrit à son gouvernement pour manifester son désaccord :

 " On ne pouvait pas trouver pour la quitter un moment plus malheureux. La Corse fait actuellement son devoir d'une manière parfaite. Quand on compare notre situation actuelle avec celle que nous avions dans le mois de juillet, la différence est si grande que le pays ne paraît plus le même. »

 A d'autres correspondants il écrit : « On me demande d’évacuer la Corse, mais elle n’a jamais été aussi paisible. »

Il exagère peut-être un peu mais son point de comparaison est l’agitation qui a eu lieu quelques mois plus tôt et qui semble bien s’être  tassée. En tous cas il est clair que l’infiltration des républicains corses à partir de l’Italie n’a pas donné de résultats visibles.

 

 

L'EVACUATION

 

 

Néanmoins Sir Gilbert met l’ordre d’évacuation à exécution. Les préparatifs se passent d'abord dans le calme sous la direction de Nelson.

Celui-ci  conseille à Sir Gilbert de détruire les fortifications de Bastia et Sir Gilbert lui répond : nous n’avons pas le droit de détruire quoi que ce soit. Nous sommes venus ici en alliés et non en conquérants, nous avons seulement le droit de ramener ce que nous avons apporté.

Pendant ce temps, la situation des Britanniques dans la région s'aggrave : "en septembre, les Génois abandonnent leur neutralité pour se déclarer en faveur de la France. En octobre, l'avance des Français [en Italie] est telle que l'Amirauté britannique conclut que la flotte ne peut plus être approvisionnée et ordonne l'évacuation de la mer Méditerranée" (notice Wikipedia sur Nelson - mais comme on l'a vu, l'ordre d'évacuation pour la Corse date du 31 août).

 Dans toutes les villes, les Britanniques font leurs préparatifs de départ. Evidemment  il n'est plus possible de garder le secret et les Corses sont maintenant informés de l'évacuation .

Comment réagissent-ils ? Sir Gilbert prétend qu'ils sont "plongés dans l'affliction".

Pour M. Jollivet, la nouvelle de l'évacuation ne " tarda pas à se répandre, en dépit de toutes les précautions prises. Elle émut diversement la population. La consternation fut générale chez tous ceux — et ils étaient nombreux — qui étaient en possession d'emplois. Non seulement ils se voyaient à la veille d'en être exclus, mais ne risquaient-ils pas d'encourir de bien autres disgrâces" ?

Les ecclésiastiques, de leur côté, redoutent le retour des persécutions jacobines. 

Ces inquiétudes, "bruyamment exhalées", "se doublaient d'un vif sentiment d'irritation" contre le gouvernement britannique qui violait son serment de ne pas abandonner la Corse. Evidemment, pour M. Jollivet, le sentiment majoritaire était plutôt la satisfaction de voir partir les Anglais.

Les Britanniques convergent vers les ports où les navires sont prêts à les embarquer

" Pourtant, à Corte, par suite d'ordres mal donnés ou mal interprétés, la petite garnison anglaise qui occupait la citadelle n'était pas partie à temps. Un officier corse, Boverio Pietro, rassembla la milice et, marchant droit sur la citadelle, déclara à la garnison qu'elle était prisonnière. Boverio ajouta toutefois qu'en mettant bas les armes, elle pourrait prendre, sans être inquiétée, la route de Bastia, et, pour plus de sûreté, il lui adjoignit une escorte de miliciens qui la conduisit à destination saine et sauve." (Maurice Jollivet)

 Il semble que ce Pietro "Boverio" soit en fait Pietro Boerio, ancien député à l'Assemblée législative et beau-frère de Saliceti (qui avait épousé une fille Boerio) [il s'agit sans doute d'une coquille de la version en ligne du livre de M. Jollivet].

 

horatio-viscount-nelson-sir-william-beechey

 L'amiral vicomte Horatio Nelson, portrait de Sir William Beechey.

A l'époque de l'évacuation de la Corse, Nelson était seulement commodore (depuis le début 1796) et n'avait pas encore obtenu un titre de pair (Lord) du royaume (il fut titré baron Nelson en 1798, puis vicomte Nelson en 1801).

L'histoire du futur vainqueur de Trafalgar est liée à celle du royaume anglo-corse : blessé à l'oeil lors du siège de Calvi, il procéda avec efficacité à l'évacuation de la Corse par les Britanniques en octobre 1796.

Après l'évacuation de la Corse, il écrit à son ami le capitaine Locker : I have seen the first and the last of Corsica (j'ai vu le commencement et la fin de la Corse) et exprime un certain soulagement d'avoir la Corse "derrière lui"...

 fineartamerica.com

 

 

 

Nelson est chargé de diriger l'évacuation. Il écrit le 17 octobre 1796 à sa femme Fanny (Nelson écrit beaucoup malgré toutes ses occupations, non seulement des lettres pour des raisons de service, mais à des correspondants habituels) :  " We are all preparing to leave the Mediterranean, a measure wich I cannot approve....", et il parle d'ordres "so dishonourable to the dignity of England" (nous nous préparons tous à abandonner la Méditerranée, une mesure que je ne peux pas approuver ....des ordres tellement déshonorants pour la dignité de l'Angleterre).

On remarque que c'est bien toute la Méditerranée que le gouvernement anglais a donné l'ordre d'évacuer et pas seulement la Corse.

Pourtant Nelson avait peu d'illusion sur la Corse elle-même, une île dont on a outrageusement surévalué les  avantages  et qui ne produit que des rebelles ou des fonctionnaires, dit-il. Mais il voyait bien son intérêt stratégique dans le contexte de guerre européenne qui était celui de l'époque.

 

Apprenant que les Anglais ont commencé l’évacuation, Bonaparte ordonne au général Gentili de préparer une opération de débarquement en Corse.

Le général Gentili (ancien ami de Paoli, il avait refusé de le suivre lors de la  sécession et avait défendu Bastia) s'était déjà occupé d'envoyer en Corse des agents infiltrés par petits groupes, sans beaucoup de succès.

Après s'être concerté avec Saliceti, émissaire du Directoire auprès de l'armée d'Italie, il donna l'ordre au général Casalta, son compatriote, de débarquer avec une avant-garde de 200 soldats choisis parmi les Corses de l'armée d'italie.

Ceux-ci, partis de Livourne, débarquent à Macinaggio ( Macinaghju ) le 17 octobre 1796.

Pendant ce temps dans toute la Corse, des "juntes" sont formées par des notables pour assurer une sorte d'administration provisoire. Ces juntes envoient des émissaires en Italie auprès des troupes de Bonaparte  pour manifester en quelque sorte leur changement d'allégeance.

 Parvenu à Erbalunga, près de Bastia,  le petit corps de Casalta rencontra une députation de la junte de Bastia (ou comité des Trente) qui lui remit deux lettres, l'une de la junte qui lui demandait de suspendre sa marche de quelques  jours afin de laisser aux Anglais le temps d'évacuer la ville dans le but d'éviter les destructions et l'autre du vice-roi faisant la même demande (cette dernière lettre parait sujette à caution).

Casalta reprocha aux membres de la junte leur faiblesse, indigne de bons républicains, et fit mine de  continuer sa route. Affolés les membres de la junte se précipitent auprès du vice-roi pour le supplier d'embarquer sans délai s'il ne voulait pas assister à  la destruction de la cité.

 

Sir Gilbert raconte ainsi les événements :

" Nous avions l'intention de faire quitter Bastia par les troupes le 21 ou le 22 [octobre 1796].  Mais il vient de se produire un incident qui pourrait nous faire partir plus tôt et qui est de nature à nous causer des embarras. Un corps républicain dont j'ignore le nombre, débarqué au cap Corse, et quelques individus s'intitulant "l'avant garde", ont pris les devants pour venir annoncer à la municipalité l'approche du corps principal et pour demander si on allait les recevoir en amis ou en ennemis. Les membres du Comité de la ville ne savent quelle contenance tenir. Je leur ai signifié que j'étais désireux de rester jusqu'à la fin en excellents termes avec eux et que, dès le début, j'avais eu l'intention de leur laisser en bon état leurs forts et leur matériel d'artillerie, mais que si les Français s'avançaient plus loin qu' Erbalunga, et si le Comité ne pouvait nous garantir une parfaite sécurité pour l'embarquement des troupes et le départ des vaisseaux, nous serions obligés de prendre des mesures de précaution et de repousser la force par la force d'une manière telle que la ville serait ruinée et la citadelle détruite. Les trois vaisseaux de ligne qui, sous Nelson, sont en rade de la ville, nous permettent de tenir un pareil langage."

Nelson et  le général de Burgh étaient d'avis qu'il fallait plusieurs jours encore  pour toutes les opérations du départ.

Mais Sir Gilbert finit par donner l'ordre de partir le plus vite possible en cédant aux demandes répétées de la junte, probablement pour éviter des destructions dans une ville " où il laissait de nombreuses sympathies personnelles ", et faisant preuve " de sa générosité habituelle "  (M. Jollivet).

 L'embarquement sans délai fut forcément fait avec plus de précipitation que prévu;  il était terminé au soir du 19 octobre  selon Nelson lui-même. Il eut lieu sans panique et au contraire "with perfect good order" (avec un bon ordre parfait - lettre de Nelson à l'amiral Sir John Jervis le 21 octobre 1796).

Toutefois, selon le récent ouvrage (2017) de Antoine Franzini, Un siècle de révolutions corses, les troupes françaises de Casalta auraient fait prisonniers 800 Anglais et Corses dans leur encerclement de Bastia, chiffre étonnant puisque les troupes françaises auraient alors capturé un effectif sensiblement identique à leur propre effectif ...

Les versions des différents récits sont pourtant d'accord sur le fait que les Français (ou les Corses de l'armée d'Italie) n'entrèrent dans Bastia qu'après l'évacuation des Anglais :

Malgré le ton un peu désagréable donné au récit, l’Histoire de la Corse de Louis Villat et Albitreccia  montre bien que la colonne française évita tout contact :

" Nelson dut se rendre à Bastia, où  il recueillit le vice-roi avec la garnison anglaise. Il intimida à tel point par ses menaces les habitants de la ville et la petite troupe de Gentili [plutôt de Casalta], débarquée près de Rogliano, qu'il put emporter tout ce qu'il voulut. Le 20 Octobre [1796] il s'embarquait le dernier, abandonnant cette île qu'il avait contribué à conquérir et où il avait commencé cette carrière glorieuse qui devait finir à Trafalgar en 1805."

Nelson par sa fermeté, mit fin à des tentatives de certains Corses de bloquer les biens et les vaisseaux appartenant à des particuliers (privateers) britanniques, n'hésitant pas à menacer d'ouvrir le feu sur la ville si les propriétés des Britanniques sont séquestrées et si un bateau corse qui bloquait l'entrée du port ne s'en allait pas. 

Puis la municipalité provisoire (ou junte) essaya d'imposer des taxes sur les marchandises embarquées par les Britanniques (qui leur appartenaient). Nelson déclara que si ça continuait, il allait faire une petite visite à "ces messieurs de la municipalité" et il ne fut plus question de taxe. Après ces démonstrations de fermeté, écrit Nelson, jamais les rues de Bastia n'ont été plus calmes depuis le début de notre présence en Corse. 

 Nelson quitta Bastia le dernier à la nuit tombée; toujours irrité par les événements précédents, il ne put s'empêcher en montant dans la barque pour rejoindre son vaisseau de lancer une formule grinçante aux Bastiais qui le regardaient :

Et maintenant, John Corse, tu peux faire ce qui te plais le plus : le pillage et la vengeance ! (avait-il inventé cette expression, John Corse, en imitation de John Bull, l'Anglais typique - et pourquoi John Corse et pas John Corsican ? - beaucoup de biographies anciennes de Nelson, en anglais reproduisent la phrase (sans préciser si Nelson a parlé en italien ou en anglais).

 

Il semble que le comité ou junte de Bastia n'était pas innocent dans la tentative de séquestrer les biens des Britanniques, mais Sir Gilbert préfère dire que le comité a toujours agi "with the upmost correction" (avec la plus grande correction). D'ailleurs il comprend fort bien que les Corses ont besoin de "faire leur paix" avec "leurs futurs maîtres" (les républicains français !) s'ils veulent éviter les soupçons dans l'avenir proche. Ils sont donc obligés d'exagérer leur opposition aux Anglais en partance (opposition d'ailleurs assez modeste puisqu'il s'agit  d'accaparer les propriétés des Britanniques ou au moins de taxer leur embarquement).

 

Nelson lui-même écrit, peu de temps après l'évacuation, à son ami le duc de Clarence, que la conduite des Corses au moment de l'évacuation n'était pas dictée par l'hostilité aux Anglais mais par la peur des Français. Il raconte que les Corses qui venaient dire adieu à Sir Gilbert Elliot  avaient tous les larmes aux yeux; même ceux qui s'opposaient à lui politiquement ne pouvaient que rendre hommage à sa personnalité attachante.

Grâce à l'expérience de Nelson, la partie maritime de l'évacuation se passa sans encombre, malgré le libecciu qui soufflait en rafales.

 

Ajaccio est évacuée le 23 octobre. Les Français (ou les Corses de l'armée d'Italie) commandés par François Bonelli entrent dans la citadelle après son évacuation.

Pendant ce temps, une force plus importante de l'armée d'Italie, dirigée par Gentili, s'embarquait pour la Corse (le 28 octobre selon la Chronique de la Corse de Ours-Jean Caporossi, en ligne ). Le Directoire avait donné comme instructions de ne pas chercher à punir les Corses, "le passé est oublié"; mais Bonaparte avait donné comme instructions à Gentili d'arrêter les principaux responsables (par exemple les quatre députés qui ont « apporté la couronne » au roi George III, ainsi que Pozzo di Borgo et quelques autres) en ajoutant toutefois qu'ils étaient probablement partis avec les Britanniques.

Les troupes britanniques évacuées de Bastia, d'Ajaccio et de Calvi se regroupent à Saint-Florent qui est la dernière base occupée par les Britanniques. Celle-ci est à son tour évacuée, tandis que la colonne de Casalta, rejointe maintenant par les troupes du  général Gentili, qui viennent de débarquer, procèdent à l'encerclement de la ville (cela ne peut pas être avant le 28 octobre puisque les troupes de Gentili n'arrivent pas en Corse avant le 28 ou même compte tenu du temps de la traversée, le 29). 

Selon le livre d'Antoine Franzini précité (Un siècle de révolutions corses), la garnison anglaise de Bonifacio ne put être évacuée à temps et fut faite prisonnière.

 Un certain nombre de Corses quittent leur pays avec les Britanniques, dont Pozzo di Borgo. Avec eux se sont aussi embarqués des émigrés français qui avaient servi militairement le royaume anglo-corse et les évêques d'Aleria, Mgr de Guernes, et de Mariana, Mgr de Verclos.

A bord du navire Victory, en baie de Saint-Florent, Sir Gilbert écrit le 26 octobre 1796 au duc de Portland, pour rendre compte de l'évacuation : " La disposition et la conduite des habitants ont été bien plus satisfaisantes que bien des rapports avec eux dans le passé ne pouvaient le laisser espérer".

Quant à Nelson, il écrit : nous avons emmené tout ce que nous avions décider d'emmener et aucun homme n'est resté en Corse contre son gré (Nelson parle probablement ici des Britanniques et non des Corses qui ont choisi de s'embarquer avec eux ?).

L'affirmation de Nelson paraît en contradiction avec la capture de soldats anglais par les troupes françaises dont il été question plus haut (à Bastia et Bonifacio). Question que de futures recherches permettront peut-être de résoudre. Il est assez naturel que les récits des Britanniques indiquent que personne n'est resté en arrière et que les récits des Français fassent, au contraire, état de prisonniers, ce qui permet à chacun de se mettre en valeur. Si prisonniers il y a eu, il devrait en être trouvé trace ultérieurement.

 

Sir Gilbert  arrive à Porto Ferraio, sur l’île d’Elbe, qui est sa base de repli (puisque Livourne est aux mains des Français). C’est là qu’il reçoit le 11 novembre 1796, le contrordre d’évacuation du gouvernement britannique, par lettre du 21 octobre 

La Corse a donc été évacuée trop tôt...

 Dans ce courrier le duc de Portland indique à Sir Gilbert que la situation internationale s'est stabilisée. Les dangers sont momentanément écartés. Il est possible de continuer à assurer la sécurité de la Corse. Toutefois il ne faut pas laisser penser aux Corses que la Grande-Bretagne s'engage à rester présente après la paix générale; elle s'engage seulement à ne pas restituer l'île à la France lors des négociations.

 

 

 

 

APRES LE DEPART DES BRITANNIQUES

 

 

Sir Gilbert Elliot semble avoir éprouvé de la tristesse d'avoir à quitter la Corse et les Corses. Il écrit : malgré toutes les avanies que m'ont fait subir les Corses, je ne peux pas m'empêcher de les aimer et de leur souhaiter bonne chance.

Plus cynique, Nelson disait, à peine éloigné de la Corse (lettre au capitaine Locker) : Je suis content d'avoir la Corse derrière moi.  Sa situation était certainement très désirable pour nous [sur le plan militaire], mais les Corses sont tellement affamés de richesses et jaloux les uns des autres, que pour les satisfaire, il aurait fallu la patience de Job et la richesse de Crésus. Les Corses nous regrettent déjà !

On se souvient de la dernière phrase adressée aux Bastiais qui assistaient à son départ : maintenant, John Corse, tu peux faire ce qui te lais le plus, te venger et piller !

Nelson ne paraissait pas avoir une opinion très favorable des Corses. Une biographie de Nelson de 1813 de Robert Southey  nuance quand même cette sévérité. Il y est dit que Nelson comprenait bien que les défauts qu'il reprochait aux Corses étaient dus à l'anarchie et à la domination étrangère dont la Corse avait si longtemps souffert et que ces défauts auraient été les mêmes chez n'importe quel peuple dans les mêmes conditions.

Robert Southey, l'auteur de cette biographie, un écrivain réputé de l'époque, nommé "poète-lauréat" par le souverain britannique,  conclut que bien plus que l'ingratitude des Corses, il faut accuser la lâcheté du gouvernement britannique qui les abandonnait.

Une autre biographie anglaise de Nelson de la même époque indique que la phrase prononcée par lui n'était qu'une boutade : jamais le peuple qui a donné naissance à Sampiero, à Gaffori, à Paoli et à Bonaparte, ne sera un peuple déshonoré.

 

Pour les protagonistes, c'était l'heure de tirer des conclusions. North aura ce commentaire : Seul Paoli a réussi à diriger les Corses, et encore, avec des difficultés.

Il semble que ce soit à North qu'on doive l'expression "an ingovernable rock" (un rocher ingouvernable), pour qualifier la Corse.

 

Sir Gilbert  doit encore règler certains détails avant de se démettre de ses fonctions. Il fait la liste des Corses et des Français émigrés qui ont quitté la Corse avec lui et demande des pensions pour eux au gouvernement britannique. Pour les Corses, il vaut mieux qu'ils s'installent en Italie, pas trop loin de la Corse : ainsi ils pourront rentrer chez eux s'ils obtiennent leur pardon. Il faut donc obtenir l'autorisation des autorités des Etats italiens concernés.

Sir Gilbert doit aussi régler la situation des marins français des navires Le Censeur et le Ca ira, qui ont été emmenés. Il leur rend la liberté sous engagement de ne pas reprendre du service avant d'avoir été échangés contre des prisonniers anglais (il est probable que les prisonniers français n'ont pas été laissés sur place justement pour permettre cet arrangement avantageux).

Pourtant divers courriers montrent que les représentants des juntes corses qui sont allés à Livourne obtenir leur réconciliation avec les Français avant l'évacuation, avaient emmené avec eux 600 prisonniers français pour les rendre aux armées françaises, ce qui implique tout de même une importante organisation pour le transfert d'autant de personnes, et cela avec l'assentiment du vice-roi et avec l'obligation de ne pas reprendre le combat avant d'avoir été échangés.

Il est vrai que selon certains témoignages il y avait en Corse environ 1500 prisonniers français.

 Toujours soucieux de ne léser personne,  le vice-roi a même laissé derrière lui en Corse un agent, un certain M. Daniel,  pour recevoir les plaintes et réclamations à la suite du départ des Britanniques. On imagine ce M. Daniel attendant flegmatiquement l'arivée des républicains français que beaucoup de Britanniques voyaient encore comme les sans-culottes de l'époque de la Terreur.

Pendant ce temps les Corses, qui ont sans doute fait main basse sur ce qui restait des magasins britanniques (surtout à Bastia), s’apprêtent à redevenir Français.

En Grande-Bretagne, la "perte" de la Corse laisse l'opinion assez indifférente.  Au Parlement, le leader de l'opposition, le  whig (libéral) Charles Fox, en profite pour attaquer la politique du Premier ministre Pitt. Il lui reproche d'avoir livré les Corses "aux assassins auxquels ils avaient voulu échapper en se mettant sous notre protection". Cette attaque est amusante car Fox est connu pour son attitude compréhensive envers la France révolutionnaire. Il estimait que la paix était possible avec le gouvernement révolutionnaire français, ce qui lui valait d'être souvent caricaturé par le féroce Gillray en traître coiffé d'un bonnet phrygien.  Fox était très minoritaire car la plupart des whigs soutenaient le gouvernement plutôt conservateur de Pitt (officiellement, Pitt était aussi un whig),  en guerre contre la France.  On voit que selon les circonstances, Fox  était capable de se montrer  hostile aux Français,  qui étaient d'ailleurs bien moins révolutionnaires en 1796, sous le Directoire, qu'en 1794, à la grande époque robespierriste.

 Il semble que dans le gouvernement britannique il y avait des positions divergentes sur l'intérêt de conserver la Corse et même des projets de l'offrir à l'impératrice de Russie Catherine II, les Russes ayant toujours été intéressés par un débouché méditerranéen  (avec l'assentiment des Corses  ?).

 En 1797, revenu à Londres, Sir Gilbert écrit au duc de Portland que malgré les quelques vexations qu'il a éprouvées en Corse, il ne cessera jamais d'avoir "la plus grande et la plus affectueuse sollicitude pour ce pays".

 

Les Français reprennent donc l'ile sans véritable combat. La population dans sa majorité parait être restée indifférente à ce changement de domination : dans l'affaire, c'est quand même l'indépendance de la Corse en tant qu'état autonome qui disparait.

L’arrivée peu de temps après les militaires de Saliceti et Arena comme commissaires du gouvernement  signe le retour victorieux des bannis de 1793. .Avec eux débarque aussi, investi d'une mission officielle, Joseph Bonaparte. Mais les ordres du Directoire sont d'éviter toute vengeance et d'oublier le passé; il publie une amnistie qui englobe tous ceux qui ont servi les Anglais (même s'il est probable que les autorités françaises sur place ont toute latitude pour interpéter cette aministie, de toutes façons les plus compromis se sont enfuis).

 Saliceti, dont le Directoire craint les excès de zèle "républicain" et qui passe pour trop Jacobin, est rappelé et le Directoire nomme à sa place un homme d'apaisement, le diplomate André-François Miot (qui portera plus tard le nom de Miot de Melito, lorsqu'il recevra le titre de comte de Melito, en tant que  ministre de l'intérieur de Joseph Bonaparte, roi de  Naples). 

Miot évite de  braquer les populations et agit avec mesure.

Cela n'empêche pas des troubles de se produire dès janvier 1797 à Calenzana  lorsque le bruit court du retour de Paoli et des Anglais. Gentili est d'avis qu'il faut réprimer ces troubles.

Puis Miot est nommé ambassadeur à Turin et quitte la Corse.

Ses successeurs sont plus sectaires et à peine un an après le rétablissement de la souveraineté française,  la Corse est  de nouveau plongée dans l’agitation et même la révolte armée contre les nouveaux dirigeants républicains.

L’historien Francis  Pomponi dit  à propos du Fiumorbo/Fiumorbu que pendant le royaume anglo-corse, l’agitation avait persisté dans cette région de tout temps turbulente, mais que les habitants ne paraissent pas avoir été particulièrement contents du retour des républicains Si tant est qu’ils avaient eu des espoirs, ils ont vite déchanté et un an après, ils sont en état d’insurrection armée  contre le pouvoir républicain, criant « Vive Paoli, Vive les Anglais » (article Ni blanc ni rouge, le cas du Fiumorbo en Corse, Provence historique 1988).

 

 

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 Un témoignage parmi d'autres du retour de la Corse à l'ordre républicain  français : arrêté du Directoire exécutif, signé Paul Barras, du 27 brumaire an V (17 novembre 1796),  relatif aux patentes de corsaires accordées à des « naturels corses » par le gouvernement anglais; les titulaires de ces patentes doivent désarmer et être renvoyés en Corse à la diligence des agents civils ou militaires du gouvernement français pour être mis à disposition du commissaire du gouvernement français dans l'île. « Ceux qui au lieu de désarmer, continueraient à naviguer sous pavillon soit anglais, soit anglo-corse, seront arrêtés et traités comme pirates et forbans. »

Collection du Bulletin des lois.

https://www.google.fr/books/edition/Bulletin_des_lois_de_la_R%C3%A9publique_fran/iZ5aAAAAcAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=corsaires+anglo+corse&pg=RA13-PA11&printsec=frontcover

 

 

 

 

 

 QUELQUES CONSIDERATIONS

 

 

 

 Lorsque la Corse s'unit avec la Grande-Bretagne en 1794,  cette dernière entre dans ce qu'on peut appeler sa période classique de puissance et de  gloire. C'est à ce moment que la Grande-Bretagne devient vraiment Britannia, la déesse casquée qui règne sur les mers.

Sur un petit théâtre d'action, les Britanniques agiront avec pragmatisme, traitant les probèmes avec flegme, dans l'ordre où ils se présentent. Dans les documents officiels, l'insurrection de Boccognano alterne avec les tractations avec les puissances barbaresques et les récriminations du commissaire général Erskine qui veut faire entrer sans payer de taxes les alcools qu'il fait venir de Londres.

Devant les difficultés, Sir Gilbert agit en conservant le sens de l'humour (s'il le perd parfois, c'est justement dans ses relations conflictuelles  avec ses compatriotes et bien sûr, avec Paoli). Lorsqu'il doit abolir les impôts, Sir Gilbert se console en disant au ministre que jamais aucun peuple n'a atteint le niveau de bonheur des Corses : pas d'impôts et une puissance protectrice qui dépense de l'argent dans le pays...

On se souvient avec un peu d'étonnement qu'après les évenements de Boccognano, Sir Gilbert avait déclaré au duc de Portland qu'il avait l'intention de démissionner - ainsi que son secrétaire d'Etat North... si Saint Clair Erskine ne partait pas. C'est dire à quel point le vice-roi était plus affecté  du mépris affiché par un de ses compatriotes à  son égard que des relations houleuses de son gouvernement avec les Corses.

En pleine guerre européenne, avec peu de moyens à consacrer au royaume créé en 1794, les Britanniques pouvaient-ils faire mieux ?

En face d'eux, la population corse a manifesté son habituel jeu de bascule, et l'échec du régime est partagé par tous les protagonistes, Britanniques et Corses, même si c'est une considération extérieure (le renversement d'alliance espagnol) qui a provoqué l'évacuation.

Pourtant, malgré les insurrections et l'agitation récurrentes, les derniers ordres de Londres, qui arriveront trop tard, étaient bien de continuer l'expérience.

 

 

 

 

 

LE DESTIN DES PROTAGONISTES

 

SIR GILBERT ELLIOT, plus tard LORD MINTO

 

 

 

En souvenir de son séjour en Corse, Sir Gilbert Elliot décida d'intégrer la tête de Maure dans son blason.

 Sir Gilbert EIliot ajouta à son nom les noms de Murray-Kynynmound en 1797; il sera à cette date élevé au titre de baron Minto (du nom de sa propriété familiale en Ecosse), puis sera titré vicomte Melgund, et enfin comte  Minto (earl Minto) en 1813.

Après avoir été ambassadeur extraordinaire auprès de l''Autriche, Lord Minto devient gouverneur-général du Bengale (titre porté à l'époque par le gouverneur de toute l'Inde britannique) en 1807 jusqu'en 1813. Il meurt assez  prématurément en 1814 en Angleterre, à peine de retour du Bengale, avant d'avoir pu rejoindre son domaine en Ecosse : il avait pris froid en assistant aux obsèques d'un parent.

Vers 1810, en tant que gouverneur-général du Bengale, il supervise l'occupation des colonies hollandaises d'Indonésie, occupées par les Britanniques en guerre avec la Hollande pro-napoléonienne.

Il se rend dans la future Indonésie pour rencontrer son subordonné, le jeune et énergique agent de la Compagnie des Indes Stamford  Raffles (le fondateur de Singapour quelques années après). Un très jeune indonésien, Abdullah bin Abdul Kadir, qui est le secrétaire de Raffles et qui sera l'un des fondateurs de la littérature indonésienne, voit arriver à la place de l'homme imposant qu'il imaginait, un vieux monsieur fragile qui parle à tout le monde gentiment. Alors, dit  Abdullah bin Abdul Kadir, je me remémorais le proverbe chinois : il n'y a que la barrique à demi pleine qui fait du bruit en roulant.

Lord Minto a un regard respectueux sur la culture indo-malaise qu'il découvre : "c'est une véritable civilisation, je ne peu pas m'exprimer autrement" écrit-il à sa femme.

On peut trouver des renseignements sur Lord Minto à l'époque où il supervisa l'occupation des possessions hollandaises dans le livre L'anthropologue mène l'enquête, de Nigel Barlay, consacré à l'existence de Raffles. Le livre de N. Barley corrobore les qualités d'humanité et le sens de l'humour de Sir Gilbert devenu Lord Minto, déjà notables lors de son séjour en Corse.

Comme pour beaucoup de gens, l'intelligence et l'humour de sir Gilbert ne le mettaient pas à l'abri des querelles de personnes. Il en eut avec Paoli, Stuart, Moore et d'autres; pour ses adversaires, ses qualités humaines n'étaient que le masque de l'ambition, de la superficialité et du snobisme, ce qui parait injuste.

 

L'un des descendants de Sir Gilbert, Gilbert John Elliot-Murray-Kynynmound, 4ème comte Minto, sera au début du 20ème siècle gouverneur général du Canada, puis vice-roi des Indes et le blason à tête de More des Minto voyagera dans l'empire britannique. Il est toujours porté aujourd'hui.

 

 

 

 

SIR CHARLES STUART ET SIR JOHN MOORE

 

 

 

 

Sir Charles Stuart, qui avait succédé comme commandant en chef à Dundas en Corse, avait été aussi indiscipliné que lui. On a vu qu'il s'était opposé à Sir Gilbert Elliot, et qu'il avait été l'ami de Paoli. De retour à Londres il resta en contact avec Paoli. Il fut chargé en 1798 de la reconquête de Minorque qui avait été une possession britannique pendant une grande partie du 18ème siècle.  Il réussit à prendre Minorque sans une perte humaine. A Minorque il participa à la création des Corsican rangers, une unité de l'armée anglaise composée d'exilés corses dont on reparlera.

Il mourut prématurément en 1801.

 

John Moore, après son départ de Corse, fut envoyé dans les Caraïbes où il combattit les Français.  

Puis il fut chargé de défendre les côtes britanniques et entreprit le programme de construction des "tours Martello", à l'imitation de la tour Mortella près de Saint-Florent (voir première partie).

Moore fut nommé général et anobli.

Il retrouvait dans ses campagnes les Royal Corsican Rangers.

Lui qui pensait que les Corses faisaient de mauvais militaires réguliers avait changé d'avis et il disait : "Quand ce sont les Corses qui montent la garde, je peux enfin fermer les deux yeux".

L'Angleterre envoya des troupes en Espagne et au Portugal en 1808 pour aider les Espagnols et les Portugais aux prises avec l'armée de Napoléon.

Les généraux qui commandaient ces troupes (dont Wellesley, futur duc de Wellington) furent rappelés en Angleterre pour rendre compte de la signature de la Convention de Cintra par laquelle ils avaient laissé partir sur des navires anglais les troupes françaises de Junot, qui occupaient le Portugal, avec tout leur matériel.

Moore fut nommé pour les remplacer. Mais Napoléon lui-même entra en Espagne avec des forces très supérieures. Les Britanniques qui ne recevaient quasiment pas d'aide de l'armée des insurgés espagnols, leur alliée théorique, manoeuvrèrent pour se rembarquer à La Corogne et à Vigo.

Moore dirigea la retraite et fut mortellement blessé à la bataille de La Corogne le 16 janvier 1809. Avant de mourir, Moore se renseigna sur l'issue de la bataille, demanda si ses officiers étaient sains et saufs. A l'un de ceux qui l'entouraient, Charles Stanhope, il dit : Stanhope, vous rappellerez mon souvenir à votre soeur.

Les Britanniques l'enterrèrent à proximité du champ de bataille avant de se rembarquer.

Les Français dirigés par le maréchal Soult lui élevèrent un monument, puis les Espagnols ornèrent ce monument avec des inscriptions à sa gloire.

Glasgow, la ville natale de Moore, lui dédia une statue..

 Le poète irlandais Charles Wolfe lui dédia un poème The Burial of Sir John Moore after Corunna, qui devint un classique de la poésie anglaise :

 

Not a drum was heard, not a funeral note,
As his corse to the rampart we hurried;
Not a soldier discharged his farewell shot
O'er the grave where our hero we buried.

 (...)

But he lay like a warrior taking his rest
With his martial cloak around him.

 (...)

Slowly and sadly we laid him down,
From the field of his fame fresh and gory;
We carved not a line, and we raised not a stone,
But we left him alone with his glory.

Aucun tambour ne s'est fait entendre, ni aucune note funèbre, 

Comme nous portions sa dépouille au rempart,

Aucun soldat n'a tiré de salve d'honneur

Sur la tombe où nous avons inhumé notre héros.

(...)

Mais il était couché comme un combattant au repos

Enveloppé dans son manteau militaire

(...)

Lentement et tristement nous l'avons allongé,

Depuis le champ de sa jeune et sanglante renommée,

Nous n'avons pas gravé une ligne ni élevé une pierre,

Mais nous l'avons laissé seul avec sa gloire.

 

(basé sur la traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat, poème cité in L'imaginaire national de Benedict Anderson, La Découverte)

 

 

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Lieutenant-General Sir John Moore (1761–1809), KB (Chevalier de l'ordre du Bain) par Thomas Lawrence

http://www.historyhome.co.uk/

 

 

 

 

FREDERIC NORTH, plus tard LORD GUILFORD

 

 

 

 Après avoir quitté la Corse, Frederic North fut nommé en 1798 gouverneur-général de Ceylan, dont les Britanniques avaient chassé les Néerlandais, alliés plus ou moins forcés de la république française depuis la constitution de la république batave. Il réussit dans sa mission en apportant beaucoup d'intérêt à la culture cinghalaise ou plutôt aux diverses cultures cinghalaises.

Un Corse exilé après la chute du royaume anglo-corse, Bertolacci, suivit North dans son séjour à Ceylan.

North avait choisi pendant un moment (par nécessité financière sans doute) une carrière d'administrateur mais son vrai goût était la cuture et l'érudition. il se constitua une grande bibiliothèque d'ouvrages rares.

 

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Frederic North, Lord Guilford, vers 1820.

Gravure de William Thomas Fry, d'après John Jackson.

en. wikipedia.org

 

Il apparait que dès 1813, Frederic North était présent dans les Iles Ioniennes, où il correspondait (en latin !) avec des érudits locaux. Son attachement pour les Iles Ioniennes parait remonter à l'époque de sa jeunesse lorqu'il visita Corfou et se convertit à la religion orthodoxe.

Il retrouva en 1814 un rôle administratif et culturel qui correspondait à ses goûts profonds. Les traités qui ont suivi la chute de Napoléon avaient constitué une république indépendante des Etats-Unis des  Iles Ioniennes sous protectorat britannique (free and independant under british protection) avec Corfou comme capitale.

L'idée d'un état "libre et indépendant" sous protectorat (on parlait de friendly protection, protection amicale) peut  paraître contradictoire mais c'était ainsi qu'on présentait le nouvel état.

Frederic North, devenu entre-temps, à la suite du décès d'un membre de sa famille, l'héritier du titre de Lord Guilford, fut nommé en quelque sorte ministre de l'éducation du nouvel état (voir notre quatrième partie sur ce protectorat méditerranéen de la Grande-Bretagne). 

Il se consacra à l'établissement d'une université à Corfou, la première université de Grèce (la Grèce en tant qu'état n'existait pas encore, la guerre d'indépendance avait commencé contre les Turcs et les Iles Ioniennes, tout en restant neutres, étaient évidemment pleines de sympathie pour les patriotes grecs.

L'université des Iles Ioniennes fut fondée en 1824 et Lord Guilford devint le premier chancelier; il décida que l'enseignement se ferait en grec moderne, à l'époque purement une langue populaire. Plus curieux aussi, il décida que le corps enseignant, dont lui-même,  serait habillé dans le style des Grecs de l'Antiquité. Cela lui donna une réputation d'excentrique, ou sans doute mieux, confirma cette réputation. On plaisantait sur lui, il était le prototype du rêveur vivant dans son monde imaginaire. C'était aussi un "islomane", comme devait le dire plus tard Lawrence Durrell, de ceux qui ne sont heureux qu'en vivant sur des îles.

Le futur général  Charles Napier, qui fut un personnage militaire important de la première moitié du 19ème siècle et était à l'époque lieutenant-gouverneur de Céphalonie (l'une des Iles Ioniennes), a laissé une image pittoresque de Lord Guilford dans les rues de Corfou :

"  He goes about dressed like Plato, with a gold band around his mad pate and flowing drapery of a purple hue" (il marche habillé comme Platon, avec un bandeau doré autour de son crâne fêlé et une draperie flottante couleur pourpre).

 Selon l'Oxford  dictionary of National Biography, " Guilford's enduring achievement was his part in the re-establishment of modern Greek as a language of scholarship and in the education of a generation of Greek-speaking lawyers, doctors, scholars, and civil servants. On this account he was revered by Greek writers, though his own family and fellow countrymen were more inclined to dismiss him as an eccentric" (Le succès le plus durable de Guilford fut sa part dans l'établissement du grec moderne comme langage d'enseignement pour une  génération d'hommes de loi, de médecins, de fonctionnaires  de langue grecque. Pour cela il fut révéré par les écrivains grecs, alors que du côté de sa propre famille et de ses compatriotes, on était plus enclin à le sous-estimer en raison de son excentricité).

 Fatigué par son travail à Corfou, Lord Guilford rentra se soigner en Angleterre en 1827 et mourut à peine arrivé, âgé de 61 ans seulement. Au moment de sa mort, il avait fait venir un prêtre orthodoxe (on se souvient qu'il s'était converti à l'orthodoxie). Il légua sa bibliothèque à l'université ionienne mais un de ses héritiers fit un procès en arguant d'une clause non respectée et récupéra la bibliothèque, au grand désespoir des érudits ioniens.

 

 

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Statue de Frederic North, Lord Guilford à Corfou, sur l'Esplanade. Une rue de Corfou porte aussi son nom.

 http://www.angelfire.com/

 

 

 

 

PASCAL PAOLI (PASQUALE PAOLI)

 

 

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 Pascal Paoli pendant son dernier exil en Angleterre, par Sir William Beechey

(ce tableau conservé en Corse semble une copie postérieure à la mort de Paoli d'un tableau que ce dernier avait lui-même commandé.

 http://terresdefemmes.blogs.com/

 

 

Pascal Paoli, après son retour en Angleterre, ne retrouva pas de rôle politique. Reçu aimablement par les hommes d'état, il était un homme du passé.

Il avait été  presque l'ami du roi George III et les deux hommes s'appréciaient, mais le roi était désormais de plus en plus sujet à des crises de maladie mentale qui allaient entraîner son incapacité de régner.

Paoli faisait partie (depuis 1800 semble-t-il) de la loge maçonnique du Prince de Galles, dont ce dernier était le président (ou vénérable) et qui réunissait des célébrités. Le Prince de Galles était l'ami de Fox et d'autres hommes politiques libéraux, adversaires du Premier ministre Pitt. C'est insuffisant pour voir dans cette appartenance une option politique de Paoli, qui s'était toujours gardé, en tant qu'exilé, de se mêler de la vie politique anglaise en prenant parti.

Il est pobable que Paoli faisait ausi partie d'un ou plusieurs clubs où les gentlemen trouvaient les commodités de la vie, pouvant déjeuner ou dîner, lire les journaux et discuter dans un décor confortable. 

Paoli, qui recevait une pension généreuse de 2000 livres par an (mais moins importante par exemple que le traitement de sir Gilbert comme vice-roi qui se montait à 8000 livres ) était invité aux réceptions de la cour. Il rencontrait parfois Sir Gilbert qui note, lors d'une réception vers 1797 ou 98, "the old Paoli was here" (le vieux Paoli était là). Comment se regardaient les deux protagonistes du royaume anglo-corse dans ces occasions ?

Paoli continuait à observer les affaires de Corse; il conservait de nombreux correspondants.

Il déconseillait aux Corses de se soulever contre la république française voyant bien que ces soulèvements n'améneraient aucun résultat et rien que des malheurs pour la population.

Lorsque Napoléon Bonaparte devint Premier consul, puis empereur, le sentiment qui domina chez Paoli parut être une sorte de fierté en tant que Corse. Un Corse était devenu l'homme le plus puissant d'Europe ou même du monde, vengeant la Corse du mépris général que les autres nations avaient eu pour elle pendant des siècles.

Lorsque une paix éphémère (la paix d'Amiens en 1802) fut signée entre la France et la Grande-Bretagne, le Premier consul proposa à Paoli de revenir en France ou dans un autre pays sous influence française (comme l'Italie), mais sans doute pas en Corse; la proposition fut faite par l'intermédiaire de l'artiste Maria Cosway (peintre elle-même et épouse d'un peintre célèbre), l'amie de coeur de Paoli,  qui était devenue une amie du cardinal Fesch, l'oncle de Napoléon, qui transmit l'offre de son neveu. On exigeait seulement que Paoli explique sa rupture avec la France et son appel à l'Angleterre par la nécessité de lutter contre la faction terroriste qui dominait la France (ce qui était en partie vrai).

Paoli refusa ("je suis trop vieux pour faire une quelconque apologie [dans le sens d'auto-justification] l'histoire me jugera") et les choses en restèrent là.

Plus tard Napoléon, à Sainte-Hélène, exposera ses regrets de ne pas s'être réconcilié avec Paoli, laissant presque comprendre que l'approbation de Paoli (qui avait été l'idole de sa jeunesse quand Napoléon était un véritable "nationaliste" corse qui rêvait d'être un nouveau Paoli rendant la liberté à sa patrie) aurait été le couronnement de sa carrière. Mais je n'ai pas eu le temps, toujours poussé par d'autres obligations, disait Napoléon.

Quant à Paoli, son éloignement de la Corse et des affaires politiques,  ainsi que sa satisfaction de voir un Corse maître de l'Europe lui faisaient faire de singuliers contresens : La Corse est libre aujourd'hui, disait-il, c'est ce qui compte et peu importe de quelle main vient cette liberté.

Quand on pense que Paoli écrivait cela au moment où la France était loin  d'être libre elle-même, vivant  sous le régime autoritaire de Napoléon, mais où surtout la Corse  vivait sous le régime d'exception militaire et policier imposé par Napoléon, on peut se rendre compte que son regard sur les choses était empreint d'irréalisme (des notables corses dévoués à l'empereur mais tout de même réticents, discutant entre eux, ironisaient : la belle chose que le régime militaire, on fusille un homme par jour).

D'ailleurs lui-même disait qu'à son âge, il devait plutôt penser à être un citoyen du ciel qu'un citoyen de cette terre.

En 1804 son ami fidèle le révérend  Burnaby publie un livre qui raconte son voyage en Corse en 1766 et ses conversations avec Paoli.

 Il se termine par un éloge sous forme de versets : 

A zealous, perhaps enthousiastic lover of his country

A loyal and dutiful subject to the King,

And

A religious

A moral

And 

A truly good and great

Man

 (Un amoureux zélé voire passionné de son pays, un fidèle et loyal sujet du roi, un homme religieux et moral, et un homme véritablement grand et bon).

A son ami Nobili Savelli, ancien Conseiller d'état du royaume de Corse (on se souvient qu'il avait été renvoyé par Sir Gilbert) qui vit en exil en Italie, Paoli écrit justement en décembre 1804, que lors de la maladie grave qu'il vient d'avoir, Burnaby et Lord Newark ont été tous les jours à son chevet.

Paoli conserve jusqu'à sa mort de nombreux amis proches, dont  Gaetano  Polidori.

Ce dernier était un Italien, qui était devenu le secrétaire du comte Alfieri, le dramaturge, lui-même ami (bien que plus lointain) de Paoli. En 1790 Alfieri s'était fixé en France, admirateur de la révolution française dont il devait ensuite devenir un des critiques les plus violents. Polidori ayant du mal à supporter les sautes d'humeur d'Alfieri, et ne se plaisant pas en France (agitée par les événements révolutionnaires), démissionna et demanda à Alfieri des lettres de recommandation pour trouver un emploi en Angleterre. Alfieri fit trois lettres, l'une pour Maria Cosway, l'autre pour le capitaine Masseria et la troisième pour Paoli.

Polidori se lia avec Paoli et resta un de ses amis les plus proches  jusqu'à la mort de ce dernier.

 L'une des filles de Polidori épousa un Italien lui-même établi en Angleterre et leur fils fut le grand peintre préraphaéliste et poète Dante Gabriel Rossetti.

Dans la notice biographique consacrée à sa famille (en 1895)*, le frère de Dante Gabriel Rossetti, William Michael Rossetti,  dit que son grand-père (qui mourut très tard en 1853) avait écrit une vie, en italien, de "son héros" Pascal Paoli, livre  qui, compte tenu des liens de proximité de  l'auteur avec Paoli,  devait être un ouvrage intéressant. Malheureusement il semble que ce livre soit resté manuscrit. Il existe peut-être encore dans des archives en Angleterre, où il attend d'être découvert.

 

                                 * Disponible ici : http://www.rossettiarchive.org/docs/pr5246.a43.rad.html

 

Signalons aussi que Gaetano Polidori fut le père du docteur Polidori, le médecin de Lord Byron, qui écrivit The Vampyr, une des premières histoires modernes de vampires, lors d'un séjour par mauvais temps dans une villa sur les bords du lac Léman en 1819. Les invités pour se désennuyer, racontaient des histoires fantastiques et c'est aussi durant ce séjour que Mary Shelley, l'épouse du poète, aidée par son mari, écrivit la première version de Frankenstein.

 

Mais nous voici un peu loin de Paoli.

Parmi ses amis on trouve aussi l'évêque Erskine (d'origine écossaise mais né en Italie), envoyé diplomatique du pape à Londres. Lorsque Erskine fut nommé cardinal en 1802, il regagna Rome et Paoli regretta le départ de ce compagnon agréable et toujours amusant.

Paoli a fait un testament par lequel il lègue une somme pour entretenir une école dans son village natal et quatre professeurs si l'université de Corte venait à rouvrir. Burnaby et Lord Newark  figurent parmi les exécuteurs testamentaires. Le legs sera accepté et entrera en vigueur dans les années 1830 sinon pour l'université, au moins pour des écoles à Corte et  Morosaglia; on ignore quand les sommes cessèrent d'être versées , en raison de l'évolution historique et de la dépréciation des monnaies.

Paoli consacrait une part de sa pension à aider ses compatriotes en difficulté et même des émigrés français.

L'historien corse Renucci raconte que vers 1825, près de 20 ans après la mort de Paoli,  le roi Charles X reçut le général Bonnemain  qui était nommé commandant militaire de la Corse. Le roi déclara à Bonnemain (qui le rapporta à Renucci) :   Vous allez commander au pays du général Paoli, homme d'un mérite élevé et d'une rare générosité. Il a secouru largement et fréquemment nos  pauvres émigrés ."

Un éloge inattendu de Paoli par Charles X, deuxième et dernier roi de la monarchie française légitime restaurée.

Pascal Paoli meurt à Londres le 5 février 1807, âgé de 82 ans.

Ses amis lui font élever un monument au cimetière Saint-Pancrace.

Puis le gouvernement anglais fait installer un monument commémoratif qui existe toujours à l'abbaye de Westminster, parmi les très nombreux monuments consacrés aux grands hommes de Grande-Bretagne, avec un buste du sculpteur Flaxman. L'inscription rappelle que Paoli lutta contre les tyrannies génoise et française.

Il  est amusant de penser qu'à peu de distance, le gouvernement britannique a aussi installé un monument pour Sir Gilbert Elliot, Lord Minto...

 En 1889, les cendres de Paoli sont ramenées en Corse à l'initiative d'un comité d'admirateurs corses et inhumées dans une pièce de sa maison natale de Morosaglia, devenue aujourd'hui un musée.

 

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 Portait de Pascal Paoli, gravure de  William Daniell, d'après un dessin de  George Dance.

Il s'agit probablement du dernier portrait de Paoli , qui le montre sombre et mélancolique.

National portrait gallery

 http://www.npg.org.uk/

 

 

 

 

 

 FILIPPO MASSERIA 

 

 

Le capitaine Filippo (Philippe) Masseria, fils d’un patriote paoliste qui était mort avec son autre fils en essayant de s’emparer de la citadelle d’Ajaccio en 1763, avait suivi Paoli en exil à Londres. Il avait servi d’agent de recrutement pour l’armée britannique avant la révolution française. Il participa en 1782 à la défense de Gibraltar dans les rangs britanniques; c'est sans doute à ce moment qu'il obtint le grade de capitaine qu'on lui voit porter par la suite même s'il n'est plus dans l'armée.

On a vu dans notre première partie qiu'en 1789, Paoli l'aurait envoyé à Paris porteur d'un message pour l'Assemblée nationale, demandant que celle-ci rende son indépendance à la Corse. Masseria serait arrivé le lendemain du décret du 30 novembre 1789 qui incorporait la Corse à la France, trop tard pour influer sur les événements.

Il revint en Corse et créa un club patriotique (pro-révolutionnaire dans le style encore modéré de l’époque) à Ajaccio. Mais ce club était peut-être une couverture pour des activités pro-anglaises et Masseria était bien connu des Ajacciens comme « anglomane ». A l’époque, il était très proche du jeune Bonaparte comme on l’a vu.

Lors de l’insurrection de 1793, il se retrouve naturellement dans le camp paoliste, contribue à repousser la tentative des républicains (dont Bonaparte) de reprendre Ajaccio. Il devient l’agent de liaison de Paoli avec les Britanniques. On le retrouve à Londres au moment de la création du royaume anglo-corse où il agit comme émissaire de Paoli. Il semble avoir été (inutilement) candidat pour le poste de Secrétaire d’Etat du royaume (poste qui sera donné à Frederic North).

 

Il devient le protégé du général Sir Charles Stuart, l’ami de Paoli et l’adversaire de Sir Gilbert Elliot.

En 1796 il écrit au duc de Portland pour réclamer le paiement  d'une pension de retraite qui lui a été attribuée en 1789 pour ses services dans l'armée anglaise.

En 1799 il s’occupe, sous l’autorité de Sir Charles Stuart, du recrutement initial des Corsican rangers (mais il n’a peut-être jamais commandé effectivement l’unité). On le retrouve en 1799 et 1801 à Paris chargé de mission secrète pour le gouvernement anglais. En 1801 il est reçu par Napoléon, Premier consul, qui lui propose (selon ce que dit Masseria) de travailler pour lui, et sur son refus, lui « remplit les poches d’or », sans doute joyeux de revoir son ancienne connaissance qui lui rappelle le bon vieux temps d’Ajaccio.

A ce moment Masseria est devenu le protégé du ministre Lord Hobart, le neveu de Sir Charles Stuart, qui vient de mourir en 1801, et il s’occupe aussi de pousser la carrière du jeune Charles Stuart, le fils de Sir Charles, qui est diplomate.

Il meurt en 1814 pensionné par le gouvernement anglais.

A Sainte-Hélène, Napoléon se souvient de lui avec plaisir et dans une conversation avec le médecin anglo-irlandais O’Meara, il appelle Masseria un « bravissimo uomo », mais un grand parleur.

 

 

 

CHARLES-ANDRE  POZZO DI BORGO

 

 

 Charles-André (Carlo Andrea ou Carl'Andrea en italien ou Carlu Andria en corse) Pozzo di Borgo quitta la Corse avec Sir Gilbert lors de l'évacuation de l'île. Il semble que Pozzo se soit d'abord établi à Rome mais devant les dangers d'une arrestation à la demande des Français, il rejoignit Sir Gilbert qui rentrait en Angleterre.

En se rendant en  Angleterre, les  deux hommes assistèrent à la bataille navale du Cap Saint-Vincent, victoire de l'amiral  Sir John Jervis  sur la flotte espagnole au large du Portugal (l'amiral Jervis y gagna le titre de vicomte Saint-Vincent). On dit parfois que Sir Gilbert et Pozzo étaient embarqués sur le navire du commodore Nelson qui se distingua dans la bataille, mais il semble plutôt qu'ils y aient assisté à distance.

En Angleterre Sir Gilbert, fidèle en amitié, s'efforçait de trouver un emploi pour Pozzo di Borgo pour lequel il avait demandé  une pension comme pour d'autres réfugiés.

Nommé ambassadeur en Autriche, Sir Gilbert emmena avec lui Pozzo et le présenta à divers cercles diplomatiques. Pozzo fut alors recruté par le service diplomatique russe.

Avec des hauts et des bas dans sa carrière, il se consacra à combattre Napoléon, son ancien compatriote d'Ajaccio devenu empereur. Napoléon de son côté essaya de lui nuire, il  exigea que Pozzo soit expulsé d'Autriche. Pendant un moment, Pozzo se retrouva sans emploi, le Tsar l'ayant licencié pour plaire à Napoléon au moment du traité de Tilsitt entre la France et la Russie.

 Rentré de nouveau au service de la Russie, Pozzo resserra les liens des alliés contre Napoléon, il fit basculer du côté des ennemis de Napoléon, le général  Bernadotte, qui avait été appelé en Suède  comme héritier du royaume. En 1814, puis en 1815, Pozzo fut l'un de ceux qui contribuèrent par son activité diplomatique aux deux défaites et abdications de Napoléon.

Il participa au congrès de Vienne et était présent à la bataille de Waterloo (bien que non combattant) où il fut légèrement blessé (18 juin 1815). Une fois Napoléon prisonnier des Britanniques, Pozzo  insista pour que l'empereur déchu  soit envoyé dans une île lointaine d'où il avait peu de chances de revenir, Sainte-Hélène.

Pozzo di Borgo fut nommé ambassadeur de Russie en France en 1821  et reçut le titre de comte. Il travailla avec le gouvernement de la Restauration pour limiter les pénalités que les Alliés avaient décidé contre la France après Waterloo. Puis il contribua dipolomatiquement à la reconnaissance du régime de Louis-Philippe,  issu de la révolution de 1830, outrepassant à ce sujet les ordres du Tsar.  Comme résultat de son désaccord avec le Tsar Nicolas, il dut quitter Paris et  fut nommé ambassadeur de Russie en Grande-Bretagne, poste qui lui plaisait moins. Il prit sa retraite et mourut en France en 1842. Il n'était jamais retourné en Corse mais il suivait ce qui s'y passait et  envoyait des secours aux nécessiteux.

 Vers  1830, Alfred de Vigny, qui voulait écrire un livre sur les Corses, un sujet qui était devenu « grand public » grâce à la carrière de Napoléon, rendit visite au Corse le plus célèbre du moment, Pozzo di Borgo, à l'ambassade de Russie.

Pozzo lui montra un portrait de Paoli en déclarant : c'est lui qui nous a pris par la main, nous les Corses, et nous a amenés pour la première fois sur  la grande scène du monde.

Vigny demanda à Pozzo : Les Corses sont-ils Français ou Italiens ? (évidemment il ne voulait pas dire du point de vue juridique et officiel, mais du point de vue sentimental et culturel).

Pozzo répondit (qui s’en étonnera ?) : Ni l’un ni l’autre, ils sont Corses.

 

 

 

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Le comte Charles-André (Carlo Andrea) Pozzo di Borgo en tenue de général russe, portrait par George Dawe, galerie militaire du palais d'Hiver à Saint-Petersbourg

 Wikipedia

 

 

 

 

LES REPUBLICAINS

 

BARTHELEMY ARENA

 

Disons aussi quelques mots des représentants corses du parti révolutionnaire.

On verra plus loin ce que deviendront  le maire de Bastia Galeazzini qui avait quitté la ville après sa reddition aux Anglais en 1794 et  le général Casabianca, défenseur de Calvi en 1794.

 

Barthélémy  (Bartulumeu) Arena, député à la Législative, gros acquéreur de biens nationaux, était resté à Paris sans fonction officielle après les élections à la Convention. Il fut un des promoteurs de l'expédition de Sardaigne et fut désigné comme commissaire civil de l'expédition. On a vu qu'il considérait Paoli comme un ennemi personnel. Il accompagna en Corse les commissaires de la Convention venus remettre la Corse dans le droit chemin républicain  et se retrouva assiégé dans Calvi avec les troupes républicaines françaises. il quitta la Corse en même temps que les troupes républicaines qui avaient fait leur reddition aux Anglais.

Puis il  revint en Corse après l'évacuation britannique de 1796 et fut l'un des artisans en 1797-98 de la répression de l'insurrection de la Crocetta, faisant mettre à feu des villages. Elu au Conseil des Cinq Cents mis en place sous le Directoire, il fut l'un de ceux qui refusèrent de se rallier à Napoléon Bonaparte lors du coup d'état de Brumaire, où il s'opposa physiquement à Napoléon lors de cette journée, le bousculant.

Il préféra s'exiler plutôt que d'être arrêté.

Son frère Joseph-Marie Arena, général de brigade, fut accusé en 1800  de participation à un complot tendant à assassiner Naploléon; il fut exécuté en 1801 avec ses co-accusés, le peintre Topino-Lebrun, le sculpteur Cerrachi, et d'autres.

En 1831, toujours exilé à Livourne, Barthélémy Arena demandait de l'aide au roi Louis-Philippe en se réclamant de sa fidélité à la France et aux principes de 1789 (principes désormais au pouvoir avec la monarchie bourgeoise - Arena n'insiste pas sur son affiliation au jacobinisme !) :

" Lorsqu'en 1793 les Anglais assiégèrent Calvi, je m'y trouvais en qualité de représentant du peuple [c'est discutable, il n'était pas élu] avec le même général Casabianca. Personne n'ignore que la belle défense de cette place fut plutôt mon ouvrage que celui du général, alors malade et hors d'état de diriger les opérations (...)

 Qu'il plaise donc à Votre Majesté de m'accorder pour la fin de mes jours une pension pour mon dévouement au salut et à la gloire de mon pays, ladite pension réversible après moi sur la tète de ma fille unique, dont les sacrifices et les soins consolateurs ont contribué à alléger mes peines et à adoucir l'amertume des affreuses vicissitudes de ma vie.
J'ai l'honneur d'être, etc., etc.
Barthélémy Arena " 

En marge de la lettre, on lit : 200 francs de secours par ordre du ministre (cité par Maurice Jollivet).

 

 

 

CHRISTOPHE SALICETI

 

 

Christophe (Cristoforo) Saliceti (parfois orthographié Salicetti), avocat de formation, lui aussi gros acheteur de biens nationaux, avait lié son nom au parti jacobin.

Après la chute de Robespierre il avait éprouvé quelques difficultés; il semble avoir participé aux journées de prairial, une des dernières tentatives des Jacobins pour ressaisir le pouvoir qui se solda par l'exécution des députés qui y avaient participé.

Saliceti s'enfuit et adressa une lettre d'explications à la Convention (dominée par les Thermidoriens, les adversaires de Robespierre) suffisamment convaincante pour qu'elle passe l'éponge et le nomme  chargé de mission auprès de l'armée d'Italie de Bonaparte. Avec celui-ci, il a des désaccords sur la politique à suivre en Italie (Bonaparte est bien moins sur une ligne "révolutionnaire" que Saliceti).

Il est de nouveau suspect pour ses liens avec Buonarotti, un des acteurs de la Conspiration des Egaux de Gracchus Babeuf, qui vient d'être découverte (mai 1796).  Il est ensuite chargé du rétablissement du pouvoir républicain en Corse après le départ desAnglais (octobre 1796)  mais le Directoire qui se méfie de ses tendances jacobines le remplace par le modéré Miot (dit plus tard Miot de Mélito lorsqu'il fut créé comte de Mélito par Joseph Bonaparte, devenu roi de Naples) .

Les partisans de Saliceti ravagèrent et pillèrent la maison de Paoli au moment de la répression de la Crocetta, pour plaire à leur chef.

Lors du coup d'état du 18  Brumaire (1799) Saliceti, membre du Conseil des Cinq-Cents,  parut s'opposer à Napoléon mais c'était peut-être une comédie.

Saliceti, en raison de ses origines corses, fut ensuite assez souvent impliqué dans les affaires italiennes, ambassadeur à Lucques, puis chargé en 1805 de l'annexion à l'empire napoléonien de la république ligurienne (ci-devant république de Gênes).

Lorsque Napoléon installa son frère Joseph sur le trône de Naples, il lui donna Saliceti comme ministre de la police. Il est difficie de savoir si Napoléon faisait entièrement confiance à Saliceti. Les deux hommes s'étaient rendu des services mutuels mais ils étaient liés par l'intérêt plus que par la sympathie.

Est-ce à Saliceti, qui avait voté la mort de Louis XVI (le seul député corse sur six à avoir voté la mort)  que Napoléon aurait dit : Je veux qu'on sache que je n'ai pas assez de mépris pour les misérables qui ont voté la mort de Louis XVI ?

A Naples, Saliceti fut un très efficace et donc très redouté ministre de la police. Un tableau le représente debout en habit de cour dans son bureau à Naples, l'air impérieux, avec derrière lui une carte montrant la Corse, et une fenêtre ouverte d'où l'on voit le Vésuve, bon symbole d'une vie sous le signe de la Méditerranée.

Christophe Saliceti, le député français de l'époque révolutionnaire, était devenu (redevenu ?) un "italien", Cristoforo Saliceti, ministre du roi de Naples.

Quand Murat devint roi de Naples, il se débarrassa de Saliceti pour qui il avait peu de sympathie, mais Napoléon obligea Murat à le réintégrer, avec des attributions de ministre de la police et même de la guerre. Dans ses fonctions   Saliceti se fait beaucoup d'ennemis, et en 1808 il échappe à un attentat à l'explosif.

En 1809 il est chargé d'installer l'administration française à Rome, après l'annexion brutale des Etats du Pape par l'Empire napoléonien et l'arrestation (avec des formes, mais avec fermeté) du Pape Pie VII et son transfert en France.

Le 23 décembre 1809, au sortir d'une représentation théatrâle, Saliceti fut pris de vomissements et mourut. La rumeur prétendit qu'il avait été empoisonné par le préfet de police Maghella (un de ses nombreux ennemis), mais l'autopsie ne donna aucun résultat de ce côté.

Apprenant son décès, Napoléon dit : Saliceti, dans les moments de danger, valait à lui seul une armée de 100 000 hommes.

 D'après la conférence de Jean Pierre Poli, à l 'Accademia corsa di Nizza, décembre 1999 :

" Andrea Fazi rappelle que 71 % des biens nationaux vendus dans la province de Corte, le domaine d’Aleria et tous les étangs d’Aleria à Solenzara furent achetés par Saliceti.

Quand il meurt, il laisse à ses deux filles, l’une mariée au prince napolitain libéral Torella, l’autre mariée au marquis romain Potenziani, un héritage considérable."

On peut s'étonner qu'un homme aussi soucieux de ses intérêts matériels comme l'était Saliceti, soit longtemps resté fidèle aux idéaux jacobins. On se serait attendu à le voir rejoindre le camp des Thermidoriens après la chute de Robespierre plutôt que se compromettre avec les derniers Jacobins. Manifestation de la complexité du personnage mais probablement goût pour un idéal politique de gouvernement autoritaire bien plus qu'attachement au programme social jacobin.

Une fois ministre de la police du roi de Naples, Saliceti put assouvir son goût de l'autorité. S'il avait vécu un peu plus, il aurait certainement reçu un titre de comte ou même duc, en récompense de son actvité infatigable. En tous cas, il se débrouilla pour faire entrer ses filles dans l'aristocratie, ce qui fait qu'aujourd'hui il existe sans doute beaucoup de membres de la noblesse européenne qui descendent de lui.

  

 

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 Portrait de Christophe Saliceti, par  Jean Baptiste Wicar, vers 1800.

Wicar (élève du grand peintre David), qui devait être le peintre de la cour des souverains "napoléonides" de Naples (Joseph Bonaparte, Murat et leur famille) a peint (en Italie ?) Christophe Saliceti (ou Cristoforo comme indiqué sur la notice du Chrysler Museum), représenté comme un amateur d'art antique,  considérant une statue de Minerve, avec derrière lui un vase grec.

Chrysler Museum of Art, Norfolk (USA),

 http://collection.chrysler.org/

 

 

 

FILIPPO BUONAROTTI

 

 

Filippo (Philippe) Buonarotti  jouit d’une certaine renommée car, véritable révolutionnaire professionnel durant sa longue vie, il est considéré comme un ancêtre du communisme.

Appartenant à une famille toscane illustre (il descendait du frère de Michel-Ange), il avait été le condisciple de Saliceti lors de ses études en Toscane. Suspect pour ses idées révolutionnaires aux autorités de son pays, il était venu en Corse en septembre 1789, il avait créé à Bastia le Giornale patriottico di Corsica, tout en travaillant pour l’administration départementale qui s’était mise en place. On se souvient que lors des troubles de juin 1791 à Bastia il avait été expulsé de force vers la Toscane par les adversaires de la constitution civile du clergé (la notice Wikipedia sur Buonarotti dit curieusement qu’il fut expulsé par les Paolistes alors qu’à ce moment, Paoli, légaliste, rétablit l’ordre à Bastia contre les catholiques conservateurs, sans violence mais en se mettant quelque peu à dos la population).

Arrêté par les autorités toscanes puis remis en liberté, Buonarotti avait regagné la Corse ; il obtint quelque temps après sa naturalisation française.

Connu pour son prosélytisme révolutionnaire et son expérience locale (il avait déjà essayé d’apporter la bonne parole révolutionnaire à certaines îles rattachées à la Sardaigne) il fut nommé commissaire civil auprès de l’expédition de Sardaigne de décembre 1792 à février1793, qui se solda par un échec.

Préférant sans doute ne pas revenir en Corse,  il se fixa à Paris et dénonça la soi-disant responsabilité de Paoli dans l’échec de l’expédition et la « trahison » du chef corse au profit des ennemis de la révolution (dénonciation auto-réalisatrice puisque Paoli, dénoncé comme traître, ne pouvait que rompre avec ceux qui le considéraient comme un traître et donc justifier leur dénonciation).

Buonarotti  écrit à ce moment La conjuration de Corse ou la grande trahison de Paoly (sic) et un projet pour supprimer les différences entre les Corses et les Français. Il propose de plus de diviser la Corse en deux départements, proposition retenue par la Convention.

Après la mise hors la loi de Paoli, Buonarotti se fait nommer par le comité de salut public commissaire en Corse pour rétablir l’ordre républicain, mais il ne peut pas se rapprocher des côtes méditerranéennes compte tenu de l’insurrection du midi. Finalement il rejoint Saliceti à Toulon après la défaite des "fédéralistes" du midi et et les deux hommes continuent de là à surveiller ce qui se passe en Corse.

Buenarotti est ensuite nommé commissaire aux territoires conquis en Piémont. Il transforme la ville d'Oneglia en laboratoire d'idées révolutionnaires. Les habitants ont-ils apprécié ?

Après la chute de Robespierre, dont il était admirateur, il est suspect. Il est arrêté à Menton. Emprisonné à Paris, il rencontre le théoricien révolutionnaire Gracchus Babeuf en prison.

Une fois libérés, les deux hommes et quelques amis (Sylvain Maréchal, Darthé, Antonelle, ci-devant marquis et ancien maire jacobin d’Arles), constatant l’impossibilité d’agir légalement en raison des lois du Directoire qui interdisent toute expression politique déviante, mettent sur pied la Conspiration des Egaux qui cherche à établir un régime d’inspiration communiste par un coup d’état qui prévoit l’élimination physique des membres du Directoire. On a dit que Saliceti (camarade d’études de Buonarotti en Toscane, qui est probablement resté son ami pendant toute la période révolutionnaire) aurait été proche des conspirateurs, mais il ne fut pas inquiété.

Les membres de la conspiration sont arrêtés en mai 1796 par les autorités du Directoire, Babeuf et d’autres sont condamnés à mort en 1797 et Buonarotti est condamné à la prison. Il finit par être libéré sous le Consulat grâce à Lucien Bonaparte.

Il repart en Italie où il continue sa propagande révolutionnaire dans des sociétés secrètes et para-maçonniques, participant à la fondation de la Charbonnerie qui se donne des buts de libération de l’Italie et de libéralisme politique. Il est probable que pour Buonarotti, ces buts ne sont qu’une étape vers la révolution sociale qu’il souhaite et qu’il compte profiter de tous les foyers d’agitation pour y parvenir.

 

Puis il séjourne à Genève et à Bruxelles, chaque fois surveillé de près par la police et expulsé. Revenu en France il meurt aveugle et dans la misère sous la monarchie de Louis-Philippe, en 1837. En 1828 il avait publié le récit de la Conjuration des Egaux.

Buonarotti fait le lien avec le jacobinisme, les révolutionnaires de complot du 19ème siècle, et les partisans d’un régime communiste.

 

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 SOUS LE DRAPEAU BRITANNIQUE

 

 

 

En novembre 1798, Sir Charles Stuart, qui avait participé à l'intervention britannique en Corse, s'était emparé de Minorque, posession espagnole, L'île avait déjà été sous domination britannique pendant presque tout le 18ème siècle mais sa nouvelle période britannique allait être de plus courte durée et s'achever en 1802 par le traité d'Amiens. Dès 1799 des réfugiés de toute nationalité affluent à Minorque, dont des réfugiés corses qui ont " soit combattu dans les troupes levées par l'éphémère royaume anglo-corse, soit ont fui la sévère répression menée en Corse après son retour dans le giron de la République" (La Corse militaire, Coriscan rangers/.sites.google.com).

Sur cette répression et la situation de la Corse à l'époque du Directoire, du Consulat et de l'Empire napoléonien, voir ci-dessous "La Corse après 1796 : répression et régime policier"

Le gouvernement britannique décide de lever une compagnie de chasseurs parmi les réfugiés corses, forte de 200 à 300 hommes, organisés par le capitaine Masseria, un ami de Paoli, qui est chargé du recrutement  et peut-être du commandement en juin 1799. Puis le commandement est confié à Hudson Lowe, qui a servi en Corse et qui deviendra ensuite le célèbre gardien de Napoléon à Sainte-Hélène.

Ils seront d'abord utilisés en Egypte pour lutter contre les forces françaises qui y sont restées sous le commandement de Kléber après le retour de Bonaparte en France, puis du général Menou après l'assassinat de Kléber par un Egyptien. Les Corsican Rangers font partie du corps de réserve commandé par le général Moore et son adjoint le brigadier-général Oakes (probablement le même qui a servi en Corse et qui faisait partie des opposants à Sir Gilbert Elliot) qui est rassemblé à Gibraltar.

Les Corsican Rangers sont débarqués avec d'autre unités à Aboukir (mars 1801) où ils subissent le baptême du feu. Parmi les tués, le capitaine Panattieri (mais ce n'est probablement pas l'homme politique, proche de Paoli). En 1803, on retrouvera dans l'unité un autre capitaine Panattieri.

Les Corsican Rangers participent ensuite aux combats de la campagne. Finalement les troupes françaises sont obligées de se rendre aux forces britanniques et à leurs alliés ottomans.

Pour leur conduite lors de cette campagne, les Corsican Rangers recevront le droit de porter un sphinx sur leurs boutons d'uniforme et les ornements de leur bataillon.

Le bataillon est licencié à Malte en 1802 mais presque immédiatement reconstitué en 1803 sous le nom de Royal Corsican Rangers (ce qui est plus prestigieux), toujours sous les ordres de Hudson Lowe. Les Corses y côtoient des engagés recrutés dans plusieurs pays méditerranéens. Des filières de recrutement existent avec la Corse, notamment par des agents corses à la solde des Britannique,  installés en Sardaigne.

Vêtus d'un unifome vert, comme leurs devanciers, les Royal Corsican Rangers "sont armés de la terrible carabine Baker à balle forcée et de son sabre-baïonnette. Arme à la puissance de feu terrifiante." (La Corse militaire, Coriscan rangers/.sites.google.com).

 L'officier commandant du bataillon (avec rang de lieutenant-colonel) sera toujours un Britannique, les autres officiers sont en majorité  Corses, mais on trouve aussi des Britanniques, parfois des Allemands ou des Italiens.

Hudson Lowe voulait privilégier le recrutement des Corses pour le bataillon mais avec le temps, les recrues d'autre origines (Siciliens, Napolitains, Sardes), devinrent plus nombreux. 

Fort d'environ 700 hommes, le bataillon participe à la bataille de Maïda en Calabre (1806) où les Français sont battus par les troupes britanniques commandées par le  général Stuart (Sir John Stuart, qui n'avait aucune parenté avec Sir Charles Stuart, le créateur des Corsican Rangers). Le bataillon ornera ses insignes du nom de Maïda en plus du sphinx.

Il n'est pas très clair de savoir si les Royal Corsican Rangers formaient un simple bataillon (mais rattaché à quel régiment en ce cas ?) ou un régiment à part entière. Leur statut a peut-être évolué dans le temps. Ils ne semblent pas avoir disposé d'un drapeau particulier (ce qui aurait été le cas s'il s'était agi d'un régiment).

Les Royal Corsican Rangers sont ensuite débarqués à Capri dont les Britanniques se sont emparés.

En Calabre, une partie des habitants s'était révoltée contre le gouvernement de Joseph Bonaparte, devenu roi de Naples, et les troupes françaises chargées de le soutenir. Les insurgés étaient encouragés par les Britanniques - qui toutefois ne purent les secourir comme ils l'avaient promis ! Les  troupes françaises se livrèrent à une violente répression (villages incendiés, exécution des hommes pris les armes à la main, parfois massacres de civils), alternant avec des mesures de conciliation.  Il est intéressant de savoir que Hudson Lowe, ayant appris cette répression,  écrivit au chef d'état-major français, César Berthier (que nous retrouverons en Corse), pour lui demander d'agir avec modération, en indiquant que lui, Hudson Lowe, avait toujours été humain avec ses ennemis. Il n'obtint aucune réponse. 

En octobre 1808 le roi de Naples Murat, (nouvellement arrivé dans son royaume où il remplace Joseph Bonaparte, nommé roi d'Espagne par son frère Napoléon), lance une opération  pour reprendre Capri. Les Royal Corsican Rangers résistent bien à l'attaque franco-napolitaine, mais leurs camarades du Royal Malta moins aguerris, lâchent pied.

Hudson Lowe décide de capituler à condition que ses troupes puissent quitter l'île sans être prisonnières; la flotte de secours britannique arrive trop tard, quelques heures après. On reprochera cette capitulation trop rapide à Hudson Lowe comme une lâcheté.

 On raconte que le capitaine Girolami qui commande le fort de la Villa Tibère (établi dans les ruines d'une des anciennes villas de l'empereur Tibère, qui avait fait de Capri sa villégiature) refuse d'amener l'Union Jack et de hisser le drapeau français.

 

 Dans les années 1900, le célèbre Docteur Axel Munthe, médecin, psychiatre et philanthrope suédois, séduit par la beauté du paysage et la gentillesse des habitants, s'installe à Capri dont il va contribuer à faire (sans en avoir l'intention) un endroit à la mode. Il y construit la Villa San Michele, dont il fait un refuge pour les animaux et où il reçoit des invités illustres (le kaiser Guillaume II, le roi et la reine de Suède - celle-ci était la patiente de Munthe et peut-être aussi sa maîtresse...).

Lorsqu'il reçoit la visite de l'ambassadeur de Grande-Bretagne lord Dufferin, celui-ci et Axel Munthe, en se promenant dans le jardin, se remémorent la prise de Capri en 1808.

L'ambassadeur ramasse un bouton rouillé au milieu des débris des marbres antiques : c'est un bouton des Corsican Rangers !

 

 

 

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Le Dr Axel Munthe (à gauche) et le roi Gustave V de Suède, probablement dans la villa San Michele de Capri.

Octogénaire et malade, quasiment aveugle, Axel Munthe devra quitter Capri et sa chère villa en 1942 en raison de la guerre et des risques de bombardements. L'écrivain Malaparte l'escortera en sécurité jusqu'en Suède, pays neutre durant la guerre, où Munthe sera l'hôte du palais royal jusqu'à sa mort en 1949.

forum.alexanderpalace.org

 

 

 

 

Après leur expulsion de Capri, les Corsican Rangers prennent leur revanche en s'emparant des îles d'Ischia et de Procida (baie de Naples) en 1809 mais les Britanniques ne peuvent s'y maintenir.

A partir de 1809, ils participent à la conquête des Iles ioniennes qui étaient occupées par les Français. L'effectif est alors de 1540 hommes environ et les officiers participent à l'instruction de régiments d'infanterie légère grecque. Ils sont stationés dans les Iles ioniennes de 1812 à 1815 mais on pense que certaines compagnies ont participé à la prise de Naples et se sont trouvées à Livourne et Gênes.

La paix revenue, le bataillon (ou le régiment) est dissous à Corfou en 1817.

Les hommes " rentrent en Corse pour la plupart, sans rien demander au gouvernement de Louis XVIII", selon le très bon site La Corse militaire, .sites.google.com/site/tirailleurscorses

 

 

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 Fusilier des Corsican Rangers, Egypte 1801.

Source : Planche G1, Emigré & Foreign Troops in British Service (1), René Chartrand - Patrice Courcelle, Men-at-Arms Serie n°328, Osprey 1999.

 sur forum http://www.lignesdebataille.org/t1317p45-expedition-d-egypte

 

 

 

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Soldats des troupes britanniques lors de la bataille de Capri en octobre 1808 : grenadier du Royal Malta, fusilier des Royal Marines, officier des Royal Corsican Rangers.

 The Napoleon Series

 

 

 

 

 

 QUELQUES DESTINS

 

 

 Disons quelques mots de quelques destins individuels :

L'avocat François Benoît (Francescu Benedettu) Panattieri, qui fit partie de la délégation corse envoyée à Paris en 1790 pour accueillir Pascal Paoli à son retour d'exil,  partisan très actif de Paoli au moment de la rupture de la Corse avec la France républicaine, puis député du royaume anglo-corse, juge au tribunal suprême et Conseiller d'Etat, c'est un membre de l'opposition paoliste  au vice-roi Elliot. Lorsque Paoli quitte la Corse, Panattieri s'embarque avec lui selon certaines sources, (ou l'accompagne un moment) mais il est ensuite de retour en Corse.

Sir Gilbert le démêt de ses fonctions et s'inquiète de ses relations avec le commissaire Erskine.

Il semble qu'il soit présent en Angleterre en juillet 1796, avant la fin du royaume anglo-corse. Résidant à Duke Street (ou simplement domicilié pour sa correspondance ?), il écrit au duc de Portland (le ministre compétent pour les affaires corses) pour se plaindre de Sir Gilbert qui non seulement lui a enlevé ses fonctions officielles et son appartement à Bastia, mais a aussi privé de leurs emplois dans l'administration et les troupes anglo-corses le père et le frère de Panattieri.

Néanmoins, selon des sources, on le retrouve de nouveau en Corse après le rétablissement de la souveraineté française, où Bonaparte (qui suit les choses depuis l'Italie)  donne l'ordre de l'arrêter :  " J’ai donné, citoyen Commissaire, l’ordre qu’on arrête le citoyen Panattieri, secrétaire de Paoli. Cet intriguant prônait en Corse le nom de Paoli, qu’il est de l’intérêt des amis de la République et de la liberté d’effacer du souvenir des Corses" ( lettre du 26 octobre 1796 de Bonaparte à Saliceti). Puis il obtient un passeport pour Prato, près de Florence. Il fait à partir de ce moment partie des corses fuorusciti, ou profughi  (réfugiés, exilés), qui en Italie ou en Sardaigne, espèrent le départ des Français. Ses activités sont surveillées par les autorités françaises, notamment le consul français à Cagliari.

On le retrouve sur l'île sarde de la Maddalena en 1799, où il rassemble des partisans, pour le compte des Anglais, dans l'attente du moment favorable de "descendre" en Corse. Le général Stuart leur fait passer des armes et par petits groupes ces fuorusciti s'inflitrent en Corse où ils vont provoquer les troubles de 1799-1800  (Francis Pomponi, La Corse sous le signe de la contre-révolution, Annales historiques de la révolution française, n° 260, 1985). 

 Dans le dictionnaire biographique des personnages corses (en ligne) de Ours-Jean Caporossi, il est dit que Panattieri est mort en 1798 en combattant dans les rangs des Corsican Rangers, ce qui ne correspond pas avec sa présence indiquée en Sardaigne en 1799 . De plus, les Corsican Rangers n'ont été fondés qu'en 1799. Mais comme nous l'avons indiqué plus haut, un capitaine Panattieri des Corsican Rangers fut tué lors du débarquement des forces britanniques à Aboukir en 1801.

Panattieri fait partie de ces personnages pour lesquels on espère que des chercheurs pourront reconstituer son existence aventureuse.

Le major Pietro Morati fait partie des fuorusciti. On le trouve sur l'île de la Maddalena en 1797, puis il  cherche à rejoindre le général Stuart et Nelson pour les convaincre de faire une descente en Corse (sans doute a-t-il préparé des relais et des partisans qui attendent le feu vert). Il suit à la trace les Anglais  en Sicile, enfin à Mahon sur l'île de Minorque.

En 1804, il est de nouveau  sur l'île sarde de La Maddalena, chargé du recrutement pour les Corsican Rangers, en liaison avec Hudson Lowe (Francis Pomponi,   Les îles du Bassin Occidental de la Méditerranée et la "redécouverte" par la France d'une politique Méditerranéenne (1769-1799),   Cahiers de la Méditerranée, 1998, Numéro   57).

 

Enfin, s'il ne sert pas sous  l'Union Jack, on peut évoquer la figure pittoresque du corsaire corse Guglielmo Lorenzi  : il a commencé sa vie d'aventures comme corsaire sous le pavillon monegasque (!) à l'époque où les corsaires de la Méditerranée chrétienne attaquent pour le profit et pour la vraie foi, les bateaux turcs ou barbaresques (les corsaires turcs et barbaresques en font autant). Puis il met son activité de corsaire au service de l'ordre de Malte (la plupart des corsaires des puissances chrétiennes, quel que soit leur drapeau de complaisance, ont d'ailleurs Malte comme port d'attache). Il réside en permanence à Malte.

En 1789 il arme une flotille pour le compte de la Russie qui le nomme lieutenant-colonel (un grade de l'armée de terre ?) puis à la fin de la guerre russo-turque, il  "prend sa retraite" à La Valette avec une pension russe et vit assez confortablement. Mais en juin 1798 Malte tombe sous le contrôle des Français (Bonaparte s'en empare sans combats sur la route de l'expédition d'Egypte).

Dès septembre, la population maltaise révoltée assiège la garnison française dans La Valette.

Lorenzi, qui à près de 65 ans, devient alors le chef d'un complot qui vise à ouvrir les portes de la cité aux insurgés maltais qui  ont reçu l'appui des puissances en guerre contre la France, dont l'Angleterre.

Mais le complot est découvert  la veille du jour convenu (des aller et venues suspectes sont repérées, des gens parlent). Même si l'administrateur en chef français parle d'un complot imbécile qui n'aurait jamais pu réussir, les Français ont eu chaud.

 Lorenzi et une quarantaine  de ses partisans sont fusillés par les Français sur la grand place de La Valette le 15 janvier 1799 (sur ce personnage, on consultera : Dans le sillage de Bonaparte : une conspiration d'un corsaire, natif du cap Corse, contre l'occupation française de Malte, Michel Fontenay, Cahiers de la Méditerranée, 1998, Numéro 57).

 

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Boutons d'uniformes de quelques unités étrangères au service de la Grande-Bretagne, de gauche à droite : Chasseurs Britanniques (émigrés français), Royal Corsican Rangers, régiment de Watteville (suisse) et régiment de Sicile.

Une version sans doute ultérieure du bouton des Corsican Rangers présente l'image du sphynx avec l'inscription Maïda. 

article Émigré and foreign troops in British Service and their Malta connection, dans The Times of Malta, Sunday, 19 mars 2017, par Denis Darmanin

https://www.timesofmalta.com/articles/view/20170319/life-features/migr-and-foreign-troops-in-British-Service-and-their-Malta-connection.642912

 

 

 

 

 

 

 

APRÉS LE ROYAUME, L'EMPIRE

 

 

 

 

 

Avoir soutenu et servi le royaume anglo-corse  n'a pas empêché certains de faire carrière dans l'empire naoléonien, ou au moins dans les pays où régnaient des membres de la famille de Napoléon. .

 

Paul-Félix Ferri-Pisani fut député à la Consulta de Corte en juin 1794 qui vota la constitution du royaume anglo-corse. Encore jeune (à 25 ans) il fut député au parlement du régime. On a vu qu'avec un collègue, il accompagna Frederic North à Rome pour négocier avec le Saint-Siège le projet de Concordat. Après la fin du régime,  il participe en 1797 à l'agitation anti-gouvernementale du camp du Stiletto.

 

Mais on le retrouve dès 1801 (sous le Consulat) comme juge au tribunal criminel installé en Corse par l'administrateur général Miot (plus tard Miot de Mélito). Peut-être en raison de sa parenté avec la famille Bonaparte, il est nommé chambellan de Joseph (l'un des frères de Napoléon) devenu roi de Naples. Puis Ferri-Pisani est nommé surintendant des postes de Naples (en quelque sorte ministre). L'un de ses collègues ministres du roi de Naples est Saliceti.

 

Joseph nomme Ferri-Pisani comte de Sant'Anastasio. Il suit Joseph, nommé roi d'Espagne par Napoléon, et devient conseiller d'Etat espagnol. A Naples et en Espagne, il retrouve Miot de Melito qui lui aussi fait partie de la haute administration de ces royaumes vassaux de l'Empire napoléonien.

 

Napoléon nomme Ferri-Pisani comte de Saint Anastase (titre français d'empire), et aux cent-Jours, il est préfet de la Vendée. Le retour des Bourbons le met sur la touche. Mais en 1830, il est nommé conseiller d'Etat français après l'arrivée au pouvoir de Louis-Philippe.  Marié à la fille du maréchal Jourdan, ses enfants et petits-enfants feront carrière dans l'armée.  Selon sa notice Wikipedia, il meurt à Padoue en 1846, âgé de 76 ans,  témoignant de la continuité, jusqu'avant dans le 19ème siècle, des liens entre la Corse et l'Italie (mais pour le Dictionnaire historique de la Corse, 2006, il meurt à Paris ?).

 

 

Autre exemple, Jean Antoine (Gio Antonio) Frediani  Vidau (également connu comme Frediani de Vidau):  cet ancien procureur du roi sous l'ancien régime, issu d'une famille provençale fixée en Corse et alliée matrimonialement aux Frediani, d'où son nom, participa aux événements contre-révolutionnaires de Bastia en 1791, puis s'exila en Italie. De retour en Corse après la rupture avec la France, il est député à la Consulta qui proclame le royaume anglo-corse. Puis il est membre du Conseil d'etat du royaume. On a de lui un mémoire  favorable au gouvernement dans l'affaire qui oppose le commissaire général Saint Clair Erskine, qui prétend n'avoir pas de taxes à payer, au gouvernement anglo-corse.

Ses amitiés  multiples lui permettent de jouer un rôle de conciliateur lors des soulèvements qui troublent le royaume anglo-corse. Au rétablissement de la république, il quitte la Corse et en 1800 il fait partie des fuorusciti (exilés) paolistes et royalistes qui essaient de soulever le Fiumorbo.

 

Puis il trouve le moyen de se faire créer comte par le pape. Quelques années après il est conseiller d'Etat d'Elisa, soeur de Napoléon, princesse de Lucques et Piombino puis grande-duchesse de Toscane, où il est chargé de réformer la justice. En 1814, comme on le verra, il rentre en Corse pour devenir le chef principal du comité provisoire de gouvernement  qui essaie de replacer la Corse sous la protection britannique. Il est enfin maire de Bastia de 1821 à 1827, ami du juriste et écrivain bastiais Salvator Viale, qui fut l'un des derniers représentants de la culture italienne en Corse.

 

 

 

 

 

LA CORSE APRES 1796 : REPRESSION ET REGIME POLICIER

  

 

 

 On peut trouver un peu dur ou même partial, notre sous-titre. Alors après la fin du royaume anglo-corse et le rétablissement en Corse de l'autorité française républicaine (puis impériale) il n' y aurait eu que répression et oppression ?

Chacun peut interpréter les événements à sa guise à condition de ne pas les déformer.

On a vu qu'à l'époque du royaume anglo-corse il n'y avait eu que deux exécutions capitales en Corse, celle de deux soldats anglais.

Dans la période qui a suivi, sous le Directoire puis le Consulat, il y eut les exécutions sommaires pour réprimer l'insurrection de la Crocetta et celle qui a suivi en 1799-1800, ayant pour base du Fiumorbo (Fiumorbu), et puis à partir de 1803 l'établissement d'un régime d'exception qui a multiplié les exécutions et les condamnations à l'emprisonnement.

En "échange" de cela, aucune contrepartie en matière de développement ou de progrès économique. Quelques Corses firent carrière dans l'armée française, un type d'avantage qui est toujours mis en avant par les naïfs, comme si quelques généraux (pas tant que ça d'ailleurs) ou quelques administrateurs remplaçaient avantageusement l'autonomie, la liberté ou la prospérité.

Comparées aux émeutes qui eurent lieu sous le régime anglo-corse, les troubles qui eurent lieu dans les années ayant immédiatement suivi le rétablissement de l'autorité française furent plus graves et leur répression bien plus sévère. 

Les révoltes ont été matées avec une dureté qui a permis à la république de se maintenir en Corse.

 

 

 

 

DU DIRECTOIRE AU CONSULAT

 

 

 

En effet après le retour de la Corse à sa récente  "mère patrie" française, en 1796, les troubles ont vite recommencé.

Ce sont d'abord en 1797 des troubles à Calenzana où on manifeste en faisant courir le bruit que les Anglais et Paoli vont revenir (janvier) puis en février à Boccognano et Tavera (les mêmes villages qui s'étaient insurgés en 1796 contre le régime anglo-corse) ainsi que dans d'autres communes. A Tavera la population refuse d'obéir aux ordres du général Raphaël de Casabianca (le défenseur de Calvi en 1794) lui aussi revenu en Corse avec les républicains.

Pendant ce temps Bonaparte donne de "bons conseils" pour garder la Corse dans la république ; ne nommer aucun Corse à un emploi important en Corse, envoyer cinquante enfants (par an ?)  pour être élevés sur le continent. Pour le reste, laissez leur leurs cloches et leurs curés pourvu qu'ils soient bons républicains et aiment les Français (à l'époque en France, les sonneries de  cloches étaient interdites). Bref à la fois tolérance aux usages locaux mais francisation imposée. Il conseille de maintenir la division en deux départements, source de rivalité qu'il est de bonne politique de conserver.

Des troubles ont lieu à Porto-Vecchio et Ajaccio. Le mécontement augmente, accru par une épidémie qui touche certains cantons et décime la population.

En septembre un  rassemblement de mécontents du département du Liamone (sud), sous le nom de "catholiques républicains", se réunit au col de Saint-Georges puis au camp de Stiletto/Stilettu aux portes d'Ajaccio (ici encore , on retrouve le même "camp" de Stiletto qu'à l'époque anglo-corse) qui publie une proclamation.

Les autorités proclament l'état de siège mais agissent  sans brutalité; le commandant militaire le général Elie Lafont, évite l'affrontement direct; les responsables qu'on peut arrêter sont condamnés à des peines légères.

 Mais dans le département du Golo (nord) une réaction bien plus violente a lieu.

Le favoritisme qui est de règle dans l'administration, la fiscalité, les mesures anti-religieuses (plus modérée que pendant la Terreur, certes, mais on se souvient que justement les Corses, qui n'ont pas connu la Terreur, ne peuvent pas faire de comparaison), l'incompétence des autorités, le retour des profiteurs de la révolution, qui reprennent les acquisitions de biens nationaux au détriment des communautés rurales, exaspèrent la population. Des envoyés de plusieurs villages dont Orezza, Moriani, Casaconi, des régions de l'Ampugnani et Casinca se réunissent au couvent de Saint-Antoine (San Antoniu) de Casabianca, haut-lieu des révoltes corses, sous la présidence du curé Carlu Petru de Casalta.

Le 22 décembre les mécontents se dotent d'une direction, le comité de Saint-Antoine, placé sous la présidence du vieux général (de l'armée napolitaine) en retraite Augustin Giafferi (fils d'un des chefs  nationaux de la Corse en révolte contre Gênes dans les années 1730) et décident de passer à l'action. Leur signe de reconnaissance est une petite croix blanche cousue sur leurs chapeaux ou vêtements, a crucetta, qui donne son nom au mouvement.

 Ils attaquent une colonne militaire à Casamozza, font des tués et des prisonniers, obligent les troupes à s'enfermer dans leurs garnisons.

Au début de 1798 le mouvement s'étend, dans le Golo. Seules les régions du Cap-Corse et du Nebbio/Nebbiu ne suivent pas, ainsi que le Fiumorbo/Fiumorbu qui est isolé par une épidémie (de peste semble-t-il). 

 Lucien Bonaparte qui se trouve en Corse désigne le général de Casalta (qui se fait sans doute appeler Casalta tout court à l'époque, où il ne fait pas bon afficher des patronymes à consonance nobiliaire et d'ailleurs calqués sur le modèle français, car en Corse la particule n'a aucun sens aristocratique), partisan de la manière forte, contre le général Vaubois (lui aussi d'extraction noble et qui a aussi supprimé la particule), plus conciliant, pour briser la révolte, de concert avec Barthélémy Arena. Ce dernier est d'abord repoussé et doit se réfugier à Calvi, d'où il  fait brûler en Balagne les maisons des meneurs locaux de l'insurrection, tandis que le général Casalta fait prisonnier le général Giafferi et s'installe au village de La Porta pour "pacifier" l'Ampugnani  .

Casalta brise militairement les insugés à U Borgu et à Muratu. Les principaux chefs sont arrêtés ou en fuite, le curé Carlu Petru de Casalta (sans doute parent du général qui dirige la répression !) est tué. La répression est menée contre les villages qui ont participé à l'insurrection.

Le général Giafferi est condamné à mort et exécuté sur la place Saint-Nicolas à Bastia le 21 février 1798. Après avoir refusé l'assistance d'un prêtre du clergé constitutionnel et refusé qu'on lui bande les yeux, il meurt  en criant " Vive la Nation (corse) ! Vive Paoli ! ".

Le général Vaubois déclara à propos de l'exécution du général Giafferi : " Ce n'était plus qu'une vieille carcasse, mais il a eu le courage de défier la république et la mort" (ce général Vaubois, chargé par la suite du commandement de Malte occupée par les Français, fut obligé de capituler devant les Maltais insurgés, aidés par les Anglais; plus tard il fut sénateur et comte de l'Empire, puis membre de la Chambre des pairs de la Restauration).

Ces troubles ont été les plus graves que ce que la Corse avait connu jusqu'alors, dit l'historien F. Pomponi (La Corse sous le signe de la contre-révolution, Annales historiques de la révolution française).

Mais la république française a pris pour mater la révolte (qui se poursuivra jusqu'en 1800 avec d'autres épisodes)  des mesures plus radicales que l'état anglo-corse devant ses révoltes fiscales.

Villages incendiés et exécutions sommaires permettent de "rétablir l'ordre" .

Le rétablissement de l'ordre va de pair avec l'application de la conscription qui se généralise en France en 1798; mais les Corses ont de la ressource pour échapper à cette nouvelle obligation.

A certains moments, les conscrits corses, requis pour les guerres de la république et bientôt de l'Empire napoléonien,  sont 50% à ne pas rejoindre leur affectation et à prendre le maquis, selon les rapports officiels.

Des centaines de Corses émigrent. Beaucoup s'engagent comme on l'a vu,  dans une unité de l'armée britannique, les Royal Corsican Rangers, qui sont présents lors de la campagne d'Egypte, en Italie du sud et dans les Iles grecques. 

Quelques mois après l'épisode de la Crucetta, Lucien Bonaparte et Barthélémy Arena sont élus membres du Conseil des Cinq Cents, une des deux assemblées du Directoire.

La famille Bonaparte obtient en 1798 de l'Etat français une indemnisation de près de 100 000 francs pour les pertes causées à ses biens lors du royaume anglo-corse. Les autres proscrits républicains obtiennent aussi des indemnisations, sans doute moindres (en proportion de leur influence)

 En 1799, les troubles continuent ponctuellement dans une dizaine de régions, tandis que Saliceti et d'autres responsables républicains arrivent à Bastia et Ajaccio pour mettre sur pied une nouvelle intervention en Sardaigne, qui sera finalement abandonnée.

Un comité insurrectionnel est créé, dirigé par Roch (Roccu) Colonna de Cesari Rocca (le fils de Pierre Paul, ancien commandant de la garde nationale et de la gendarmerie en Corse à l'époque révolutionnaire, ensuite rallié à Paoli et au royaume anglo-corse, conseiller d'Etat du royaume puis exilé en Toscane et actif dans les complots anti-républicains);  autour de lui on retrouve d'anciens partisans du régime anglo-corse ou de Paoli. Ils obtiennent l'aide des Russes par l'intermédiaire du consul russe à Livourne.

Des "fuorusciti", des proscrits corses, Paolistes ou monarchistes, s'infitrent en Corse, débarquent à Aleria, reçoivent l'appui des habitants du Fiumorbu et commencent des opérations de guérilla.

 Le général Lafont déclare le Liamone en état de siège. A Bastia le général Ambert fait fusiller des suspects.

 Porto-Vecchio/Portu-Vecchiu est soumise à une amende très forte qu'elle ne peut payer, en représailles de son agitation anti-républicaine.

En avril 1800, les proscrits entrés clandestinement en Corse et les habitants qui les ont rejoints,  affrontent militairement les républicains. Ceux-ci, sous les ordres de Saliceti et du général Ambert, dévastent les pièves de Tavagna et Moriani, procèdent à des pendaisons.

Les insurgés attaquent Belgodère et à leur tour font des dévastations chez les partisans de la république ou ceux qui ne veulent pas se rallier à eux. Puis les insurgés se retirent.

Mais en mai 1800 c'est le sud qui s'embrase. De nombreux cantons (anciennes pièves) sont en révolte, excédés par les brutalités commises depuis Ajaccio par les républicains. Les forces anti-républicaines de Roch  Colonna de Cesari Rocca et Bernardin Poli peuvent compter sur le soulèvement des habitants de La Rocca, de Porto-Vecchio, de l'Ornano, du Talavo et encore d'autres cantons.

Devant l'ampleur du soulèvement, Bonaparte annule l'expédition de Sardaigne projetée.

Les insurgés marchent sur Sartène/Sartè qui est assiégée et à la veille de se rendre. Mais le 16 octobre les insurgés abandonnent le siège et se retirent sans qu'on puisse comprendre vraiment leurs raisons (ils attendent peut-être des renforts); il est probable que ceux qui venaient d'Italie continentale se rembarquent, tandis que les insurgés locaux essaient de se fondre dans le paysage. Entretemps les Russes paraissent avoir cessé de les soutenir. 

La paix revient. Depuis Londres, Paoli a désapprouvé ces tentatives qui ne font qu'ajouter du malheur à la situation de la Corse.

(la chronologie des événements est reconstituée à partir de la Cronica di a Corsica, de Ours-Jean Capirossi,  en ligne).

 En 1805 Napoléon, faisant alterner répression et conciliation, permettra à Pierre-Paul (Petru Paulu) Colonna Cesari de revenir en Corse et lui offrira même le grade de général, que celui-ci refusera. Son fils Roch (Roccu) deviendra, lui,officier de la Grande armée de Napoléon.

 

 

 

 

DU CONSULAT A L'EMPIRE

 

 

 

 En novembre 1800, Bonaparte Premier consul ordonne pour faire des économies en Corse, de baisser le nombre des employés et de réduire  de moitié  leur salaire  et pour cela, d'employer de préférence des Corses (donc moins payés que des continentaux ?).  Il ordonne aussi de baisser les  frais d'enregistrement.

Les progrès de la carrière du général Bonaparte ne semblent pas enthousiasmer plus que cela les Corses, y compris dans sa ville natale.

L'administrateur Miot, de nouveau nommé en Corse par le Premier consul Bonaparte,  se trouvait à Ajaccio au moment où Bonaparte fut nommé Consul à vie. Il parle des "dispositions envieuses de la population" qui, à cette nouvelle, ne se livra "à aucune démonstration de joie ou de sympathie" (extrait du Souvenir de Napoléon à Ajaccio de Jean-Baptiste Marcaggi).

Il est facile d'incriminer "l'envie" des concitoyens de Bonaparte, qui n'avaient pas forcément de bonnes raisons de se souvenir de lui, mais on peut penser que dans le reste de la Corse on était dans les mêmes opinions.

 

Napoléon, Premier consul de la république puis Empereur à partir de mai 1804 (sacré le 2 décembre 1804), ne semble s'être soucié de sa terre natale que pour y "faire marcher" la conscription, pour y construire quelques casernes ou pour y envoyer des détenus :

d'abord ce furent des combattants noirs et mulâtres  de Haïti, prisonniers après la défaite de Toussaint Louverture, puis des bagnards napolitains (sans doute des opposants à la mainmise napoléonienne sur le royaume de Naples); pour ces derniers Napoléon ajoutait  qu'ils faisaient trop de dégâts en France métropolitaine. 

Sous le Consulat, la Corse fut d'abord placée "en dehors de la Constitution" et dirigée par un administrateur général.  Napoléon nomma à ce poste  Miot qui avait déjà administré quelques mois la Corse entre 1796 et 1797. 

A sa nomination, Napoléon lui avait ordonné en tout premier lieu de constituer un tribunal extraordinaire et de faire exécuter (il ne dit même pas juger) tous ceux qui sont en prison en Corse pour vol, assassinat et incitation à la rébellion.

Miot  prit toutefois quelques mesures utiles pour l'économie de la Corse (les célèbres arrêtés fiscaux qui portent son nom). Il dut aussi s'opposer aux deux préfets qui renaclaient à accepter son autorité, de même que le commandant militaire, le général Morand, qu'on retrouvera.

En quittant la Corse, en octobre 1802, Miot constata qu'elle était presque comme lorsqu'il y était arrivé pour la première fois fin 1796 : " la civilisation n'y a fait aucun  progrès sensible". Il est vrai qu'il ajoutait " le même esprit de haine et de vengeance privées persiste".

 

En 1802 la Corse (ou plutôt les deux départements corses) furent de nouveau placés sous le régime constitutionnel . En fait la situation empira, car quelque mois après, par arrêté du 12 janvier 1803 (ou 22 nivôse an XI, car le calendrier républicain était toujours officiellement en vigueur, de plus en plus redoublé par la date en calendrier grégorien) Napoléon les plaça sous le régime de " haute police " confié au gouverneur militaire, le général de division Morand, ce qui donnait à ce dernier quasiment tous pouvoirs  avec autorité sur les deux préfets.

 Le général Morand a laissé un triste souvenir, avant tout occupé d'appliquer avec la plus grande sévérité ses pouvoirs de haute police, de museler tout mouvement d'opposition, de punir sans pitié les insoumis de toute nature, que leur culpabilité soit avérée ou pas, d'envoyer à l'armée  le plus grand nombre de conscrits possible et de plaire ainsi à l'Empereur.

 

 

UN EXEMPLE DE LA TERREUR D'ETAT  EN CORSE : L'AFFAIRE D'ISOLACCIO DI FIUMORBO

 

 

Entre autres actes d'oppression,  Morand  fit  fusiller une dizaine d'habitants d'Isolaccio di Fiumorbo (Isolacciu di Fiumorbu), dont le maire, et envoya mourir dans des prisons du continent 150 personnes du même village âgés de 15 à 80 ans (apparemment toute la population masculine du village,  sauf les adolescents de moins de 15 ans). Très peu de survivants, voire aucun, parvinrent à revoir leur terre natale.

On peut imaginer les conséquences sur l'existence du village et de ce qui restait de la population de cette mesure, décidée pour punir une attaque sur des gendarmes qui n'avait fait, semble-t-il,  aucune victime et dont les vrais auteurs étaient en fuite

L'historien Renucci, écrivant une trentaine d'années après les faits, parle d'une chose digne d'une plainte éternelle et d'une éternelle abomination.

Lors de cet épisode, les troupes qui capturèrent sans grand risque les villageois étaient dirigées, sous les ordres de Morand, par le chef de bataillon François Bonelli, un des protagonistes de la "reconquête" française de la Corse en 1796, l'un des fils du célèbre Zampaglinu (voir deuxième partie).

 

Voici comment Arthur Chuquet, l'auteur de La Jeunesse de Bonaparte, présente la participation de Bonelli à ce haut-fait :

"  Morand voyait en lui [Bonelli] le meilleur officier qu'on pût trouver pour commander en Corse une colonne mobile ou un corps de partisans. Ce fut Bonelli qui, au mois de juin 1808, réprima la révolte du Fiumorbo : en six jours, il sut rejeter les bandits [sic] sur Isolaccio, les refoula dans l'église et les captura tous, au nombre de cent quarante-huit."

Chuquet omet de dire que les personnes arrêtées étaient non pas les membres d'une bande qui se seraient réfugiés dans l'église au cours d'un combat, mais l'ensemble de la population masculine du village, attirée exprès dans l'église par un stratagème.

Quand on sait que Bonelli convoqua la population masculine d'Isolaccio, y compris les adolescents et les vieillards, dans l'église du village soi-disant pour procéder à un appel nominal et les fit arrêter au fur et à mesure qu'ils ressortaient un par un de l'église, on voit qu'il y a loin entre la vérité et les récits colportés par certains auteurs, tout à leur admiration de l'oeuvre française en Corse.

Les Corses du personnel impérial commentaient cette situation, sans y pouvoir grand chose. Ainsi le général Cervoni écrit (ironiquement) à Saliceti, l'ancien Conventionnel devenu ministre du roi de Naples : " Quelle belle chose que la "haute police"! Morand fait le bonheur de la Corse, on y fusille un homme par jour ! " (si ce compte est exact, cela représenterait pendant les 10 ans de la présence de Morand, environ 3650 condamnations à mort !)

La division en deux départements perdure jusqu'au rétablissement du département unique en 1811 (principalement pour des raisons d'économies dans l'administration).

Morand, devenu baron en 1810, finit par être discrédité par son comportement violent (mais après quand même dix ans de présence) et ridiculisé par sa répression d'un pseudo-complot pour livrer Ajaccio aux Anglais (il avait eu le tort de s'en prendre à des notables qui arrivèrent à transmettre leurs plaintes auprès de l'empereur). Il fut remplacé par le  général comte César Berthier (frère du maréchal), moins violent mais aussi obéissant et prompt à réprimer toute manifestation d'opposition.

 Morand, rendu au service opérationnel, fut mortellement blessé par un boulet lors d'une bataille en Allemagne en 1813.

 Les historiens français du 19ème siècle minimisèrent évidemment l'aspect négatif de l'action de Morand, tout en étant forcés d'y faire allusion, comme Robiquet ( Recherches historiques et statistiques sur la Corse, 1835), qui après avoir rappelé que Morand fut revêtu de "ces pouvoirs assez mal définis qu'on nomme haute police", ajoute :  " Le général Morand, qui commandait alors dans l'ile, abusa quelquefois de ces pouvoirs; mais le plus souvent il en fit un bon usage".

Robiquet évoque l'affaire d'Isolaccio/Isolacciu, qu'il présente comme un  "coup d'autorité" de Morand, et admet que l'attitude du général fut condamnable - sans plus s'étendr sur l'épisode..

 

 

 

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Affiche bilingue du général Morand du 8 floréal an XIII (1805) relative à la répression des assasinats commis dans le Liamone.

Vente sur e-bay (2015).

 

 

 

EPISODE SANS LENDEMAIN EN 1814

 

 

Le 11 avril 1814,  le jour même où Napoléon abdique à  Fontainebleau, la ville de Bastia s'insurge contre le pouvoir napoléonien dont il faut bien dire qu'il n'a rien apporté à la Corse.

Le représentant à Bastia du gouverneur militaire doit se rendre aux insurgés  le 11 avril 1814.

Les Bastiais sont aidés dans leur révolte par des conscrits  italiens et croates de l'armée napoléonienne, casernés à Bastia, qui ont leurs propres raisons de vouloir en finir avec le régime napoléonien .

Le lendemain était constitué une sorte de  gouvernement provisoire du royaume de Corse (Comitato superiore della città di Bastia, capitale dello regno di Corsica) qui appelait la flotte anglaise à son aide, rétablissait l'italien comme langue officielle de l'administration (l'italien était la langue écrite depuis toujours en Corse et le resta jusqu'au milieu du  19ème siècle) et hissait sur les édifices et sur les bateaux le drapeau à tête de Maure.

Les chefs de ce gouvernement provisoire étaient Frediani Vidau et Negroni, qui avaient été des soutiens du royaume anglo-corse. Le jeune avocat et futur écrivain corse de langue italienne Salvator Viale faisait aussi partie du comité. 

Frediani Vidau (d'une famille provençale qui avait fait souche en Corse), qu'on a déjà rencontré, malgré son passé de partisan du régime anglo-corse, avait été par la suite conseiller d'Etat d’Elisa, soeur de Napoléon, quand celle-ci avait été nommée par son frère  princesse de Lucques et Piombino, puis grande-duchesse de Toscane. Dès l'annonce des toubles à Bastia, il semble être revenu pour organiser et discipliner le mouvement. Il fut plus tard maire de Bastia de 1821 à 1827.

 

 

A Ajaccio aussi, les Ajacciens se sont révoltés contre Napoléon (ils ont jeté son buste à la mer) mais c'est pour reconnaître comme souverain légitime Louis XVIII.

Le représentant anglais en Italie, Lord Bentinck, qui coordonne la lutte contre Napoléon, promet imprudemment à tout le monde (les Siciliens, les Génois... ) que l'Angleterre les aidera à être indépendants. Il se déclare prêt à aider les Corses à "secouer le joug de la France".

Selon M. Jollivet, il semble que le comité insurrectionnel de Bastia, prudent, ait aussi approché Murat, toujours roi de Naples (il ne perda son trône qu'en 1815, pour avoir soutenu Napoléon au moment des Cent-Jours  et finira fusillé après une tentative de retour à Naples) , pour obtenir sa protection au cas ou les Anglais refuseraient la leur.

Le général anglais Henry Montresor (qui avait servi à l'époque du royaume anglo-corse) débarque des troupes et pendant quelques semaines on a pu penser que le temps du royaume anglo-corse était de retour. Le drapeau britannique est hissé sur les forteresses.

Le gouverneur militaire César Berthier remet ses pouvoirs au général Montresor.

Plus tard, l'écrivain italien Tommaseo, partisan du Risorgimento, qui passa quelques années d'exil en Corse et  édita un choix de lettres de Pascal Paoli, écrivit : on ne savait pas quel serait le destin de la Corse, "on espérait de l'Angleterre, comme en 1794, statut et lois et langue propre [Tommaseo veut dire la langue utilisée en Corse, c'est-à-dire le couple linguistique italien-corse et non évidemment l'anglais]; on espérait ce que jusqu'alors la France n'avait pas pu assurer aux Corses" .

Tout le monde ne se rallie pas aux Anglais et la Cour d'appel d'Ajaccio, invitée à rendre la justice au nom du roi George III, déclare qu'elle continuera à rendre la justice au nom  du souverain légitime de la France, Louis XVIII (il n'est évidemment plus question de Napoléon).

Montresor organise une cour d'appel à Bastia composée des soutiens du parti anglo-corse (parfois désignés comme d'"anciens paolistes").

Environ 7000 Bastiais et d'autres Corses se préparent à marcher sur Ajaccio  pour l'obliger à adhérer au parti pro-britannique.

Cet épisode ne dure pas, à la fin mai 1814 le général Montresor annonce que les puissances se sont  mises d'accord et que la Corse doit revenir à  la France.

Le général Montresor fait afficher des proclamations en italien, d'un style savoureux.

Elles s'ouvrent par la mention :

PROCLAMA IL GENERAL ENRICO T. MONTRESOR

qui évoque plutôt les pronunciamentos d'Amérique du sud qui seront tellement fréquents au 19ème siècle (d'autant que le nom de Montresor ne sonne vraiment pas britannique)

et elles continuent par l'apostrophe de règle :

BRAVI CORSI (Braves Corses), rappel obligatoire de la bravoure des Corses.

 

Pourtant,  Montresor  continue à organiser son autorité (espère-t-il un changement d'attitude des puissances alliées ?) et des troubles ont lieu entre Corses partisans de l'Angleterre et Corses partisans de la France; on en profite pour s'attaquer aux grandes propriétés; les vieux clivages se réactivent, dont la rivalité entre Bastia et Ajaccio.

Enfin les Anglais évacuent la Corse tandis  que les  nouvelles autorités nommées par Louis XVIII arrivent en Corse. 

Lord Bentinck qui avait pris des engagements d'aider divers territoires dominés à se rendre indépendants est clairement désavoué par son gouvernement et rentre en Angleterre.

Les dirigeants du comité anglo-corse, Negroni et Frediani Vidau, se rendent à Paris pour s'expliquer et se justifier. Ils font antichambre mais finalement ils reçoivent le pardon de Louis XVIII  (exprimé par une lettre du ministre de l'Intérieur) qui juge que leurs intentions étaient bonnes : 

"  Sa Majesté  ne fait aucune démarcation [distinction] entre les habitants de la Corse...  "; si  le roi regrettait qu'ils n'aient pas choisi les moyens appropriés pour exprimer  " votre zèle et votre dévouement ", il concluait aimablement " les sentiments qui vous animent n'en sont pas moins appréciés".

Au même moment, d'autres  délégations de Corses étaient reçues avec plus d'empressement. Mandatées par les villes, par le conseil général, elles venaient à Paris  pour exprimer à Louis XVIII " l'hommage de la fidélité des Corses ".

Parmi les membres de ces délégations, on trouvait aussi bien Roch (Roccu) Colonna de Cesari Rocca, le chef des insurgés anti-républicains de 1799-1800, et son père Pierre-Paul, le vieil ami de Paoli, que le baron Galeazzini, ancien maire de Bastia en 1793 (avant de l'être à nouveau en 1830), et le général  comte Casabianca, défenseur de Calvi en 1793; ces deux anciens républicains avaient combattu les Paolistes au nom de la république, puis s'étaient ralliés à l'Empire napoléonien et  en avaient été récompensés par la noblesse d'Empire.

Ils trouvaient maintenant  tout naturel de se rallier à la monarchie restaurée et d'exprimer au roi une fidélité qui ne s'était pas beaucoup exprimée auparavant. On peut parier que si on les avait interrogés, ils auraient déclaré qu'ils étaient avant tout fidèles à l'Etat français.

 

 

 

 

 

 

 

 

 [ ouvrages ou sites consultés

Francis Beretti, Pascal Paoli et l'image de la Corse au 18ème siècle, le regard des voyageurs britanniques, The Voltaire Foundation, 1988;

Maurice Jollivet, Les Anglais dans la Méditerranée, un royaume anglo-corse, 1896 (édition consultable sur internet);

Dorothy Carrington, Sources de l'Histoire de la Corse au Public record Office de Londres, 1983 (exploitation des archives nationales britanniques, anciennement Public record Office, devenu depuis The National Archives),

Cronica di a Corsica, chronologie de  Ours-Jean Caporossi, http://cronicadiacorsica.pagesperso-orange;fr

La Corse militaire, sites.google.com/site/tirailleurscorses,

Francis Pomponi, Ni blanc ni rouge, le cas du Fiumorbo en Corse, Provence historique 1988,

Francis Pomponi, La Corse sous le signe de la contre-révolution, Annales historiques de la révolution française, n° 260, 1985.

Il n'existe pas d'ouvrage récent sur le royaume anglo-corse en français.

Je n'ai pas pu consulter l'étude (souvent citée, mais déjà ancienne), de Pierre Tomi, Le Royaume anglo-corse, Etudes Corses, 1956-57;

ni, hormis quelques extraits, le seul ouvrage récent en anglais sur le sujet : Desmond Gregory, The Ungovernable rock, 1985. ]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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B
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour cette belle recherche.<br /> <br /> J'écris un livre sur Dante Gabriel Rossetti et ses ascendants (dont Gaetano Polidori).<br /> <br /> Je voulais vous signaler une petite erreur : William Michael Rossetti n'est pas le fils de Dante Gabriel Rossetti, mais son plus jeune frère. Mais c'est un détail qui n'enlève rien à votre travail. Cordialement.
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C
Je vous informe que l'adresse de mon site Cronica di a Corsica, chronologie de Ours-Jean Caporossi, n'est plus: http://oursjeancaporossi.perso.neuf.fr/<br /> <br /> mais:<br /> <br /> http://cronicadiacorsica.pagesperso-orange;fr<br /> <br /> Je vous remercie
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R
Une merveille cette recherche d'un moment de notre pays, en essayant de réunir les papiers de mon arrière arrière grand oncle 1754- 1823, président du tribunal de l’île Rousse avant et après le royaume Anglo corse, émigré en 1799 en Angleterre, au service de Pascal Paoli, logé par Pozzo di Borgo, ennemi des Arena, et enfin décoré du Lys, Catholique et conservateur comme ce n'est possible.<br /> <br /> Un homme assez special, dont j'aimerais écrire sa vie pour mes descendants.<br /> <br /> Ensuite il y a son neveux mon arrière grand père qui a écrit "Souvenirs historiques de la Légion corse, dans le royaume de Naples" ayant vécu l'éphémère royaume de Murat à Naples et la prison d'Arad de 1815 à 1816.<br /> <br /> Donc merci pour votre vision de ce moment d'histoire.
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Le comte Lanza vous salue bien
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