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Le comte Lanza vous salue bien
10 novembre 2014

LE ROYAUME ANGLO-CORSE DEUXIEME PARTIE

 

 

 

 

LE ROYAUME  ANGLO-CORSE : DEUXIEME PARTIE

 

 

 

 

 

 

Le royaume anglo-corse ne dure que de juin 1794 à octobre 1796.

Son échec est-il imputable à l'incompréhension entre Corses et Britanniques ? On a beaucoup exagéré celle-ci -sans doute pour renforcer l'idée qu'entre Corses et Français la compréhension était incomparablement meilleure...

 Paoli fut peut-être déçu de voir le poste de vice-roi  lui échapper même s'il disait à qui voulait l'entendre qu'il n'entendait plus exercer de fonction publique et qu'il était satisfait que sa chère patrie ait échappé aux fanatiques révolutionnaires français.

Le vice-roi, Sir Gilbert Elliot, eut le tort de se méfier de Paoli et d'avoir avec lui très vite de mauvaises relations. De l'avis général, c'est la mauvaise entente avec Paoli et le départ de ce dernier, qui ont précipité la fin du régime, joint toutefois aux circonstances internationales  difficiles.

 

 

 LA NAISSANCE DU NOUVEAU ROYAUME DE CORSE

 

 

A partir du 10 juin 1794 et jusqu'au 19 juin, à Corte/Corti, les députés de la Consulta, présidée par Pascal Paoli, votèrent à l’unanimité, comme on pouvait s’y attendre, la rupture formelle de tout lien avec la France et les articles de la Constitution du nouveau Royaume de Corse.

La déclaration d’indépendance qui fut votée par la Consulta  rappelait que la Corse avait été conquise militairement (et de façon sanglante) par la France. Qu’à partir de 1789 la Corse avait espéré bénéficier d’institutions libres dans le cadre français et avait accepté la Constitution monarchique de 1791.

" Cette révolution, qui devint générale sur le continent de la France, se communiqua en Corse, sans toutefois aucun des caractères atroces qui la souillèrent en bien des lieux et en de nombreuses circonstances.  Nous reçûmes dans le calme les lois de la première assemblée constituante et jurâmes de respecter la constitution qu'elle avait établie,  et que le roi avait acceptée avec le consentement de toute la nation".

Puis la déclaration expose que cette constitution avait été attaquée et renversée par une faction extrémiste et qu’à partir de là; les Corses redevenaient juridiquement libres de leur destin (puisque le projet politique auquel ils avaient adhéré n’existait plus).

Certes, les Corses poussés par « un reste de confiance » envers la France, avaient envoyé des députés à la Convention mais avaient vite compris que le nouveau régime français était la proie des extrémistes qui cherchaient à imposer par la violence un "système général  de désorganisation de tout principe social " .

Ils déclaraient donc rompu «  tout lien politique et social [au sens d’association] avec la France ».*

                                                             * « In conseguenza l'Assemblea decreta unanimemente : essere sciolto ogni vincolo politico e sociale che per l'avanti riuniva la Corsica alla Francia. Revoca formalmente ogni potere e commissione dati per l'in-
nanzi a qualunque cittadino, di rappresentare il popolo còrso in Francia presso la Convenzione, e qualunque altra autorità passata o presente, e di qualsivoglia natura essa sia » (texte dans les Lettere di Pasquale de' Paoli, éditées par N. Tommaseo, 1846, p 496, 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65577271.texteImage).

.

Paoli exposa lui-même à la Consulta le projet d’union avec la Grande-Bretagne, puisque la Corse, dans la situation de guerre européenne où on se trouvait ne pouvait espérer être entièrement indépendante et devait s’appuyer sur un Etat respectant sa personnalité.

.La Consulta vota ensuite les articles de la Constitution du nouveau royaume de Corse.

La Constitution fut rédigée par un comité de juristes, le principel rédacteur étant probablement Charles André (ou Carlo Andrea, en italien) Pozzo di Borgo, entouré (selon l'historien Renucci) par Frediani Vidau,  Francescu Maria Preti, Giuseppe Simoni, Pasquale Bertolacci.

 

Paoli aurait préféré que la Corse soit une république indépendante (même avec le nom de royaume, qui n'était pas gênant) sous la protection britannique, en concédant à la Grande-Bretagne le port de Saint-Florent, mais il se rangea à l'idée de Sir Gilbert Elliot de faire de la Corse un royaume uni à la Grande-Bretagne.

 

Le Royaume de Corse ou Regno di Corsica nouvelle manière, avait un roi, en commun avec la Grande-Bretagne, Sa Majesté George III de Hanovre-Brunswick.

Ce jour-là, le représentant extraordinaire du Roi George III,  Sir Gilbert Elliot, prêta serment au nom du Roi :

« In his majesty’s name, I swear to maintain the liberty of the Corsican nation, according to the constitution and to the Laws » (au nom de sa majesté, je jure de maintenir la liberté de la Nation corse, selon la Constitution et les lois" (texte dans l’Annual register pour 1794 et en italien dans le Procès-verbal de la Consulta de Corte du 10 juin 1794 et des jours suivants, édité à Corte par l'Imprimerie du gouvernement).

Il est très probable que le serment, reproduit en anglais pour les lecteurs britanniques de l'Annual register, fut prêté en italien.

Les députés prêtaient à leur tour, en leur nom propre et au nom de la Nation corse, serment de fidélité au Roi et de maintenir la constitution et les lois de la Corse. Puis, dans un discours qui suivit le serment, également reproduit à l’Annual register, Sir Gilbert se félicita en termes cordiaux de ce beau jour :pour les relations d’amitié déjà longues entre la Corse et la Grande-Bretagne :

« Gentlemen, In availing myself, for the first time, in the midst of the Corsican nation, of the privilege of calling you brothers and fellow-citizens, a reflection which will naturally occur to every one, excites in me the most heart-felt satisfaction ; …our two nations have for a long period, been distinguished by a reciprocal and remarkable esteem… To-day our hands are joined, but our hearts have long been united and our motto should be Amici e non di ventura » …etc

Messieurs,  Alors que j’ai le privilège, pour la première fois, au milieu de la Nation corse [de ses représentants] de vous appeler des frères et des compatriotes, une réflexion qui viendra naturellement à l’esprit de chacun, suscite en moi une satisfaction du plus profond du cœur…nos deux nations, depuis longtemps, se sont distinguées par une estime remarquable et réciproque…

Aujourd’hui, nos mains se rejoignent, mais nos cœurs sont unis depuis longtemps et notre devise devrait être : Amici et non di ventura…  etc

La devise citée à la fin du passage devait effectivement être adoptée comme devise officielle du Royaume. Tirée de la Divine comédie de Dante (une référence qui dénotait de la part de Sir Gilbert une bonne culture) elle signifie « Amis, mais non pas amis de rencontre » ; on pourrait traduire « Amis de cœur », 

 Selon une souce auquel nous aurons fréquemment recours, le livre de Maurice Jollivet, Les Anglais en Méditerranée, 1896 (malgré son parti pris de chauvinisme français qui lui fait dénigrer fréquemment les actes des "ennemis" de la France), Sir Gilbert prononça le discours en français, n'étant sans doute pas capable de faire tout un discours en italien et ne pouvant parler Anglais, qui aurait été incompréhensible par presque tous les auditeurs, et peu diplomatique puisqu'il fallait montrer aux Corses que le régime qu'on établissait était un régime corse et non une domination étrangère.

 

La Consulta désigne quatre députés pour aller présenter la Constitution au roi de Grande Bretagne : Jean-François Galeazzi, Pierre Paul Colonna Cesari, Joseph Octave Nobili Savelli et François Marie Pietri (nous donnons les prénoms à la française).

 On se souvient que c'est à Nobili Savelli, à l'époque en exil en Toscane, que Paoli avait écrit en décembre 1789 : "L'union à la libre nation française n'est pas servitude, mais participation de droit" .

Mais depuis beaucoup de choses s'étaient passées.

 

 

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Procès-verbal de la Consulta de Corte du 10 juin 1794 et des jours suivants, contenant la constitution du royaume anglo-corse du 19 juin 1794.

http://www.modern-constitutions.de/

 

 

 

 

 

 

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Première page de la Constitution du 19 juin 1794 :

" Les représentants du peuple corse, libre et indépendant, régulièrement réunis en Assemblée générale et spécialement autorisés à former le présent acte constitutionnel, l'ont unanimement décrété sous les auspices de l'Etre Suprême, dans la forme qui suit :

Titre premier, De la nature de la constitution et des pouvoirs qui la composent

...La Constitution de la Corse est monarchique selon les lois fondamentales suivantes. "

http://www.modern-constitutions.de/

 

 

 

 

 

LES INSTITUTIONS

 

 

 

 Paoli salua la naissance du royaume anglo-corse par une formule remarquable : "Unie à la France, la Corse n'était plus qu'un département parmi les autres; unie à l'Angleterre (on disait et on dit encore volontiers Angleterre pour Grande-Bretagne), elle redevient une nation".

En effet, l'union n'était pas une fusion et la Corse conservait (ou récupérait plutôt) son existence juridique en tant que nation et état autonome, même si la situation rendait nécessaire son union avec un puissant protecteur.

Les institutions du royaume ne sont pas vraiment calquées sur celles de la Grande-Bretagne.

Paoli avait donné en exemple de ce qu’il souhaitait pour la Corse les institutions irlandaises, un exemple qui peut étonner car l’Irlande britannique n’a jamais été un modèle convaincant ni à cette époque ni ultérieurement.

Mais à l’époque, l’Irlande considérée comme état autonome (ayant le même roi que la Grande-Bretagne) avait son propre Parlement, donc des compétences législatives, mais pas de premier ministre. Ce régime d’autonomie irlandaise avait ses défenseurs, qui voulaient l’accentuer et  qui se présentaient comme des patriotes irlandais (notamment le célèbre orateur Grattan) mais en fait il ne « profitait » qu’aux protestants anglo-irlandais, seuls représentés au Parlement irlandais, les catholiques (90% de la population) n’ayant pas le droit d’être élus (ils avaient par contre obtenu le droit de vote en 1793, sous condition d’imposition comme les protestants).

Mais pour la Corse, où la question d’une double population avec des droits distinct s ne se posait pas, le modèle irlandais pouvait servir. Il allait d’ailleurs disparaître avec la fusion en 1801 des institutions irlandaises dans celles de Grande-Bretagne (acte d’union), le parlement de Londres devenant compétent pour l’Irlande (il faudra attendre 1829 pour que les catholiques, irlandais et de Grande-Bretagne, obtiennent le droit d’être élus).

La différence principale du système corse avec le système britannique est l’absence de premier ministre choisi dans la majorité parlementaire. Ce n’est donc pas vraiment un régime parlementaire. Il n’existe pas d’exécutif qui a la confiance du Parlement (gouvernement responsable), sauf un Conseil d’Etat (qui sera présidé par Pozzo di Borgo) qui peut être considéré comme une sorte de gouvernement, mais qui n’a que peu de pouvoirs, les vrais pouvoirs sont dans les mains du vice-roi qui doit s’entendre avec le Parlement.

Le parlement est élu pour deux ans par tout Corse qui est propriétaire et âgé de 25 ans (mais comme la quasi totalité des Corses ont au moins une petite propriété il y a très peu d'exclus) et les candidats doivent avoir au moins 25 ans, une fortune (considérable) de 6000 livres dans la pieve qu'ils doivent représenter, être nés d'un père corse et avoir une résidence dans la piève depuis 5 ans au moins.  Certains fonctionnaires et les curés sont inéligibles.          

Tous les emplois administratifs sont réservés aux Corses et aux naturalisés corses.

Le Parlement a le droit de demander au roi le renvoi du vice-roi qui doit transmettre la demande dans les quinze jours.

La religion catholique est religion d'état mais les autres cultes sont tolérés.

Toute personne arrêtée doit être présentée à un juge dans les 24 heures pour statuer sur son cas. Si l'arrestation est jugée "vexatoire" (abusive) il peut obtenir des dommages et intérêts. La presse et l'édition sont libres sauf à répondre des abus selon la loi. Les Corses peuvent entrer et sortir librement de leur pays avec leurs propriétés, selon les réglements de police générale prévus en tels cas. Le parlement pourra rapprocher autant que possible la législation commerciale avec celle de Grande-Bretagne, dans les limites compatibles avec la Constitution corse, pour l'intérêt commun de l'Empire et de toutes ses dépendances.

Enfin le roi (en fait le gouvernement britannique) est seul compétent pour les affaires diplomatiques et la défense. Il s'agit donc de ce point de vue d'un protectorat;

Il ne semble pas que l’échec du gouvernement anglo-britannique soit dû à une mauvaise conception des institutions ; celles-ci, si le régime avait duré, auraient sans doute évolué pour devenir proches du régime de »dominion » qui se généralisera dans certaines possessions britanniques au 19ème siècle avec un Premier ministre choisi par le Parlement local (dès les années 1830 au Canada) et de plus en plus de pouvoirs donnés au Parlement local dans un processus d’émancipation progressive (mais uniquement dans le cas des « colonies blanches »). A côté des dominions, d’autres possessions restèrent sous le régime colonial, même si au 20ème siècle il fut modifié par un certain degré d’autonomie (par exemple à Malte pour ne parler que des colonies européennes).

La Corse, état autonome dont le roi était commun avec la Grande-Bretagne, n’était pas une colonie et il serait réducteur d’envisager le lien politique avec la Grande-Bretagne comme un lien colonial.

Par rapport aux futurs dominions du 19ème siècle, la Corse avait d’ailleurs d’emblée la plénitude législative dans les affaires internes.

On peut aussi comparer le royaume anglo-corse aux "dépendances de la Couronne" que sont l'île de Man et les îles anglo-normandes : elles ne font pas partie du Royaume-Uni, s'administrent librement mais sont représentées par le Royaume-Uni dans les relations internationales (encore faut-il aujourd'hui nuancer, puisque ces territoires passent des accords notamment fiscaux avec des Etats).

Mais pour certains observateurs, comme le colonel Moore, des institutions parlementaires n’étaient pas adaptées à un peuple aussi indiscipliné que les Corses.

Le gouvernement anglo-corse devait  fonctionner  dans un contexte qui n’était pas favorable aux expérimentations puisque la guerre européenne continuait. Le gouvernement britannique considérait que puisque l’Etat corse était autonome c’était  à lui de trouver les ressources pour fonctionner, hormis les affaires de défense ; quant à la diplomatie, le gouvernement anglo-corse parait avoir eu compétence  pour négocier avec les états barbaresques et à partir d’un moment, avec le Vatican pour régler les questions de l'organisation ecclésiastique (mais le gouvernement anglo-corse pouvait aussi être considéré comme émanation du gouvernement britannique et le vice-roi demandait des instructions aux ministres britanniques).

Pour le Vatican, des contacts eurent lieu dès les projets de création du royaume en raison des liens historiques de la Corse avec les Etats de l’Eglise.

Les négociations commencèrent avec le négociateur officieux britannique à Rome (John Cox Hippisley) car à cette époque la Grande-Bretagne, puissance protestante, n’avait pas d’ambassadeur officiel à Rome. Celui-ci rencontra à diverses reprieses le cardinal Secrétaire d'Etat Zelada.

Les services britanniques en vinrent à la conclusion (surprenante) que les prétentions du Pape sur la Corse étaient sérieuses, mais que si on rendait la Corse au Pape, alors la Grande-Bretagne serait forcée d’intervenir quand même pour protéger la Corse contre les prétentions de la Russie !

A ce moment (vers mai-juin 1794), l’Europe était en guerre avec la France révolutionnaire, les Jacobins étaient au pouvoir à la Convention et au comité de salut public, dominé par Robespierre, et ce que redoutait la Grande-Bretagne en Méditerranée, c’était la Russie ! (on se croirait déjà à l’époque de la guerre froide, avec le chef des services secrets, « M », et James Bond)

Un evêque écossais, Mgr Erskine (voir notre première partie, annexe : les Anglais à Rome), était venu à Londres quelques mois plus tôt pour représenter officieusement le Saint-Siège. Il fut chargé de soutenir les prétentions du Pape (qui évidemment ne pensait pas un moment reprendre l'administration de la Corse !). Mgr Erskine  était très bien reçu par les autorités britanniques , il fut même invité par le roi pour l'ouverture du Parlement et il assista à bord du yacht du roi George III à une revue de la Royal Navy. Comme nous l'avons indiqué (première partie, appendice II) Erskine fut plus tard un proche de Paoli lorsque celui-ci revint en exil en Angleterre en 1795.

  

Quant à Sir Gilbert Elliot, il jugeait que ces droits prétendus du Pape étaient une ineptie.

Discrètement, l’ambassadeur espagnol à Rome essayait de torpiller la négociation (voyant d’un mauvais œil l’installation des Britanniques en Corse, territoire qui de plus faisait partie de prétentions traditionnelles des rois d’Espagne).

Enfin, la république de Gênes ne manqua de protester contre une atteinte à ses droits de souveraineté sur la Corse, jamais abandonnés formellement.

 La  Constitution fut complétée par les textes sur l'organisation locale qui rétablissait les institutions traditionnelles de la Corse, les  pièves (déjà citées dans la Constitution), les podestats et les municipalités élues par le peuple avec "les " pères de la commune" ou " pères du commun", ayant aussi la fonction de juger les contestations entre villageois (on devine les difficultés de faire juger localement des litiges, il fallut revenir sur ces attributions judiciaires des autorités communales).

 

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Titre X et début du titre XI de la Constitution du royaume anglo-corse : De la religion et De la Couronne et de sa succession.

"La religion chrétienne, catholique, apostolique romaine, dans toute sa pureté évangélique, sera la seule (religion) nationale en Corse

(...) Tous les autres cultes sont tolérés.

Le monarque et roi de Corse est Sa Majesté George III, roi de Grande-Bretagne, et ses successeurs pareillement..."

(Notez que le roi n'apparait qu'au titre XI)

 http://www.modern-constitutions.de/

 

 

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Dernière page du procès-verbal de la Consulta de Corte du 10 juin 1794 et des jours suivants; après le texte de la Constitution, on trouve plusieurs pages comportant les noms des députés à la Consulta  ayant prêté serment à la Constitution, avec l'indication de leur commune, puis viennent les noms des membres du gouvernement provisoire. Les trois derniers noms sont ceux de  Pasquale de Paoli (graphie adoptée le plus fréquemment par celui qu'on appelle en France Pascal Paoli et en Corse Pasquale Paoli), Président de la Consulta, et de Pozzo di Borgo et Muselli, secrétaires. Seul le nom de Paoli est en lettres capitales.

 http://www.modern-constitutions.de/

 

Enfin le Parlement lorsqu'il se réunit, adopta des lois pénales assez répressives qui traduisent l'influence de la législation anglaise de l'époque.

Mais ces lois ne semblent pas s'être vraiment appliquées, ayant essentiellement un but dissuasif. Il est vrai que lors de l'arrivée des Britanniques en Corse il y avait 1400 assassinats par an (un mal endémique en Corse mais aussi dans beaucoup d'îles méditerranéennes, en partie causé par l'engrenage des vengeances familiales). Les lois du royaume anglo-corse ne paraissent pas avoir été très efficaces.

Selon Sir Gilbert, il n' y eut que deux condamnations à mort sous le régime anglo-corse, celles de soldats britanniques coupables de vol au détriment de Corses.

Quant au général Trigge, un militaire britannique qui succéda comme commandant en chef à Charles Stuart (contraint au départ par Elliot comme on verra) il ironisait sur le jury prévu par la Constitution : comment combattre les voleurs de grands chemin quand justement le jury est composé des mêmes  voleurs ?

Maurice Jollivet estimait que la Constitution du royaume était la plus libérale qu'on ait jamais vu, qu'elle l'était même trop à bien des égards. Eloge sans doute exagéré mais qui témoigne  qu'on ne peut pas se contenter de dire que le régime était contre-révolutionnaire.

 

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 L'église de la Conception (ou oratoire de la Confrérie de l'Immaculée Conception) à Bastia, premier lieu de réunion du Parlement anglo-corse. Lors des réunions du Parlement, un trône était dressé dans l'église, représentant le trône du roi de Corse (et de Grande-Bretagne), absent, et lors de l'ouverture, on jouait le God save the King (en tant qu'hymne royal).

L'oratoire de la confrérie de l'Immaculée Conception fut bâti au début du 17ème siècle, sa façade est de 1704.

" C'est le gouverneur génois Filippo da Passano qui en 1589 introduisit à Bastia l'usage ligure d'orner les églises de coûteuses soieries. Les damas rouges qui recouvrent les murs de l'oratoire ont été changés plusieurs fois au cours des siècles (la dernière réfection date de 1971)." (office du tourisme de Bastia). La confrérie de l'Immaculée Conception, qui avait existé de 1588 à 1959, s'est reconstiuée en1997.

http://www.monumentum.fr/

 

 

 

 

 

SIR GILBERT ELLIOT ET LA MISE EN PLACE DU REGIME

 

 

Après le vote de la Constitution, le gouvernement continua pendant quelques mois à être exercé par les Paolistes puisque le vice-roi n’était pas encore nommé officiellement.

Les Paolistes firent quelques tracasseries aux réfugiés toulonnais pour leur interdire de porter la cocarde blanche royaliste et de l’autre côté  tracassèrent les « républicains » corses (probablement surtout à Bastia, ville qui était restée fidèle à la France républicaine jusqu’à sa prise par les britanniques et dont les Paolistes se souvenaient qu’autrefois, elle avait aussi été « fidèle » à Gênes, une continuité intéressante malgré le changement de contexte).

Peu de temps avant la fondation du régime, Paoli avait donné autorisation aux corsaires corses de saisir les bateaux gênois et les marchandises gênoises sur les bateaux neutres. Le gouvernement du royaume dut ensuite essayer de raccomoder les relations avec Gênes.

 

En octobre 1794, Sir Gilbert Elliot, le négociateur britannique, fut nommé vice-roi.

Sir Gilbert était excédé par les lenteurs du gouvernement britannique pour lui faire connaître sa nomination, où il voyait une forme de mépris pour la Corse. Il  écrit à sa femme : La Corse s'est donnée au roi, et a-t-on entendu les ministres du roi dire seulement merci ? (il est vrai que le roi, lui , remercia les députés de la Corse lorsqu'il les reçut en audience, en présence des ministres).

Et Sir Gilbert ajoute que ce retard ne lui permet pas de procéder à des nominations à des petits emplois, alors qu'il y a des gens qui ont besoin de ces emplois pour faire vivre leur famille et qui perdent des mois de salaire. Les Corses sont dépourvus de tout, dit Sir Gilbert,  et on ne me donne pas les moyens de leur venir en aide.

 James Boswell, l'ami de Paoli, celui qui l'avait fait connaître en Grande-Bretagne lorsque Paoli dirigeait la Corse indépendante avant la conquête française  (et le célèbre biographe de son ami et mentor, le célèbre littérateur, le Docteur Samuel Johnson)  fit aussi des démarches auprès des ministres pour être désigné comme vice-roi; mais usé et malade (il devait mourir en 1795) il n'avait aucune chance.

On dit que Paoli avait écrit à Londres pour appuyer la nomination de Sir Gilbert. .Si c'est exact, on comprend mal qu'on parle de sa déception à l'annonce de la nomination de Sir Gilbert.

 Mais Paoli avait pu soutenir la candidature de Sir Gilbert tout en espérant que le gouvernement de Londres lui proposerait d’être vice-roi, même s’il prétendait ne plus vouloir de fonctions officielles, ou pour avoir  la satisfaction d'amour-propre qu'on ait pensé à lui, même s'il refusait finalement.

Pendant quelque temps les relations furent assez bonnes entre lui et Sir Gilbert mais ce dernier insistait dans ses courriers à Londres sur l’âge et les infirmités de Paoli, façon de dire qu’il était hors-jeu.

En fait Sir Gilbert  sentait bien que tant que Paoli serait là, il y aurait une sorte de double pouvoir. C’était un homme intelligent mais pas subtil au point de comprendre qu’il devait s’appuyer sur Paoli s’il voulait que le régime dure.

De plus il était isolé parmi les Britanniques eux-mêmes. En effet, comme la constitution prévoyait que tous les fonctionnaires devaient être Corses, les seuls Britanniques en poste en Corse étaient des militaires et très tôt les relations furent mauvaises entre le civil Sir Gilbert et les militaires, qui refusaient d’être placés sous ses ordres.

Le régime ayant en grande partie reposé dans les mains de Sir Gilbert, il faut donner quelques indications sur sa personnalité.

Fils d’un avocat et baronnet écossais qui était l’ami du philosophe Hume, il eut avec son frère une éducation cosmopolite puisqu’ il fut en partie élevé en France dans une pension où il avait comme camarade de classe Mirabeau, dont il resta l’ami.

Après ses études en France, Sir Gilbert voyagea en Europe du nord puis devint avocat. Elu député whig (libéral plutôt opposé au gouvernement ) ami de Burke, il se rapprocha comme Burke des positions du gouvernement de Pitt hostiles à la France révolutionnaire et fut choisi pour des missions en Italie et à Toulon lorsque la ville tomba aux mains des Anglais en 1793, puis devint le négociateur britannique avec les Paolistes.

Sir Gilbert parait avoir sincèrement apprécié la Corse qu’il définit ainsi : « l’Ecosse avec un beau climat ». Même les habitants lui parurent tout de suite sympathiques, alors que beaucoup de Britanniques ont émis des impressions peu favorables, dont la propre épouse de Sir Gilbert, qui le suivit en Corse, mais aussi le colonel John Moore (futur général Sir John Moore, le héros de la bataille de La Corogne où il devait trouver la mort) qui  juge les Corses dans leur ensemble peu amicaux et dénués de qualités physiques et morales !

Dans ses lettres et rapports, Sir Gilbert est presque toujours admiratif pour les paysages et très souvent rempli de sympathie pour la population.

Sir Gilbert parait avoir été un optimiste qui voyait généralement les choses sous leur aspect le plus favorable ; mais cela ne l’empêchait pas de tomber dans des moments passagers de dépression. Dans ses lettres à sa femme il est toujours tendre ; il fait souvent preuve d’humour et remarque les aspects comiques des choses.

Sir Gilbert lui-même a été jugé sévèrement par certains Britanniques: pour le colonel Moore, pour le major-général Stuart, c’est un  mondain vaniteux, bien moins habile qu’il ne croit et qui s’y connait surtout pour valoriser de façon exagérée son importance vis-à-vis du gouvernement de Londres.

Sir Gilbert  fut désillusionné quand il apprit que des Corses qu’il avait trouvés sympathiques étaient parfaitement capables d’intrigues et de bassesses (ou du moins  c’est ainsi qu’il percevait leur comportement) : par exemple les quatre « gentilshommes » corses  envoyés à Londres pour rendre hommage au roi.

Sir Gilbert est presque un démocrate lorsqu’il dit que rien ne peut dépasser la bassesse des gentilshommes corses.

Mais finalement c’est le peuple corse dans son entier qu’il critique dans ses mauvais moments : «  Dans tous les pays, la classe des gentilshommes est vaniteuse et égoïste,  mais en Corse, c’est toute la population qui est dans ce cas ».

Pourtant la démocratie ne plaisait pas à Sir Gilbert (il faut dire qu’à l’époque le mot se confondait avec l’exemple de la France révolutionnaire et jacobine) et il faisait le reproche  à Paoli (dans ses rapports au Home Secretary, le ministre britannique de l'intérieur qui avait compétence pour la Corse), d’être trop démocrate, d’admirer toujours les idéaux de la révolution française, d’utiliser  volontiers le mot de « citoyen » ; mais Sir Gilbert aussi l’avait utilisé en s’adressant aux députés de la Consulta de Corte comme des « fellow citizens » - de plus utilisé par Paoli, probablement sous la forme italienne (cittadino, concittadino) le mot avait peut-être des connotations différentes de l’usage français.

Les relations avec Paoli se refroidirent aussi parce que Sir Gilbert faisait toute confiance à Carl'Andrea (Charles-André) Pozzo di Borgo,

C'est  pourtant Paoli qui avait conseillé aux Britanniques de donner un poste important à Pozzo, avec la curieuse formule suivante : c'est un homme complet, aussi capable d'écrire une loi que de débusquer un ennemi à coup de fusil ou de garder les chèvres dans la montagne.

Le vice-roi, séduit par l'intelligence et les belles manières de Pozzo (et sans s'arrêter sur son prétendu talent de garder des chèvres, peut-être une perfidie malicieuse de Paoli), l'avait nommé Président du Conseil d’Etat du royaume (un conseil qui entourait le vice-roi et l'aidait à prendre ses décisions plus qu'un vrai gouvernement).

Lady Anna Maria Elliot, la femme de Sir Gilbert, qui allait bientôt rejoindre son mari en Corse, devait aussi trouver que Pozzo était l’homme le plus distingué de Corse !

Mais insensiblement, Paoli et Pozzo s’étaient brouillés (ou Paoli avait pris ombrage de la faveur de son jeune poulain, ce dernier étant de son côté soucieux de ne plus être toujours sous la tutelle du vieux chef)..

 

Sir Gilbert reprochait à Paoli, soi disant retiré de la vie politique près de son village natal de Morosaglia, au couvent de Rostino/Rostinu (où il avait pris un logement permanent), de tenir un vrai bureau de récriminations où affluaient tous les mécontents.

Parmi ces mécontents il y avait des Britanniques qui étaient en désaccord avec Sir Gilbert, et qui au contraire s’entendaient bien avec Paoli comme le major-général Charles Stuart, commandant en chef des troupes terrestres  (un Ecossais de bonne famille, fils du comte de Bute) et le colonel John Moore (lui aussi Ecossais, fils d’un médecin), tous deux à divers moments de leur vie, membres du Parlement britannique, comme Sir Gilbert.  Il semble qu’une bonne part du personnel  britannique du royaume anglo-corse était Ecossais, ce qui n’empêchait pas les désaccords.

Ces officiers britanniques "paolistes" se rangeaient auprès du vieux chef et partageaient ses antipathies : le colonel Moore trouvait Pozzo di Borgo "perfectly disgusting" (parfaitement écoeurant) pour son attitude envers Paoli.

.Déçu par les notables corses, ayant de mauvaises relations avec les militaires britanniques, on comprend que Sir Gilbert, soit passé par une phase de dépression d’autant qu’au début de ses fonctions, il était seul, sa femme ne l’ayant rejoint que plus tard. Il lui écrit : « Je suis aussi seul que Robinson Crusoë ».

A Londres, on était sans doute un peu lassé par les récriminations de Sir Gilbert et ses désillusions à la hauteur de ses illusions du début et le ministre de l'intérieur, le duc de Portland, se bornait à lui faire remarquer qu’il  n’était pas étonnant de trouver en Corse les attitudes d’un pays de second ordre ( « second rate ») ce qui semble peu flatteur, mais cela veut dire que la Corse était juste au niveau des petits états italiens ou allemands, et non d’états de première importance ; vu ainsi, c’était peu contestable.

 

 

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Gilbert Elliot, premier comte Minto

gravure de Charles Turner, d'après un portrait de George Chinnery
(circa 1811-1812).

George Chinnery peintre anglais installé aux Indes, peignit ce portrait de Gilbert Elliot, devenu baron puis comte Minto, quand celui-ci était gouverneur-général du Bengale. Le peintre George Chinnery est mentionné dans le livre de  William Dalrymple, Le moghol blanc, qui raconte l'histoire d'un officier britannique, James Kirkpatrick qui épousa une indienne au début du 19ème siècle. Les enfants de James Kirkpatrick furent peints par G. Chinnery. 

National Portrait Gallery, Londres

 http://www.npg.org.uk/

 

 

 

 LE REGARD DES BRITANNIQUES SUR LA CORSE

 

 

 

Nous sommes renseignés sur le regard des Britanniques sur la Corse par l'ouvrage de Francis Beretti, Pascal Paoli et l'image de la Corse au 18ème siècle, le témoignage des voyageurs britanniques, The Voltaire Foundation, 1988. Après avoir examiné le témoignage des voyageurs à l'époque du généralat de Paoli, l'auteur examine le témoignage des Britanniques à l'époque anglo-corse.;

Ils semblent avoir été unanimes à apprécier la beauté des paysages. Le futur commodore et futur amiral Nelson parle de la Corse dans ses lettres à sa femme Fanny (il n'a pas encore rencontré Lady Hamilton, l'épouse de l'ambassadeur anglais à Naples, qui deviendra sa compagne et la mère de sa fille) ou à d'autres correspondants, comme de "peut-être la plus belle île du monde", "wonderfully fine" (magnifiquement belle).

Le colonel John Moore et Sir Gilbert Elliot (pour une fois d'accord) apprécient particulièrement Ajaccio, la beauté de son golfe et de son urbanisme. Sir Gilbert vante l'agrément de sa brise de mer. Moore trouve le paysage de la Corse intérieure "romantic", "magnificent". Sir Gilbert admire la beauté du maquis et reconnait les diverses essences.(myrte, arbousiers, bruyères). Il apprécie les fromages et décrit même le brocciu.

Il fait souvent la comparaison avec les paysages d'Ecosse et prétend qu'il peut rivaliser avec les meilleurs marcheurs corses, exercé comme il l'est par les promenades depuis son enfance dans la propriété familiale de Minto  Les paysages tourmentés lui plaisent aussi bien que les paysages riants.

Sa femme qui le rejoint un peu plus tard, sera moins séduite.  La Corse est un peu trop sauvage à son goût et elle n'a pas comme son mari des origines écossaises pour faire des comparaisons favorables (Lady Elliot descend d'un huguenot français réfugié en Angleterre après la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV).

 Et les habitants ?

Le ton est moins élogieux. Certes pour Sir Gilbert, les Corses sont physiquement  "a handsome people... perfectly well-made" (un peuple beau... parfaitement bien fait), certains Corses ont même ""the finest classical features I ever saw" (les plus beaux traits classiques que j'ai jamais vus - " classique" renvoie à la statuaire de l'Antiquité gréco-romaine).

Moore parlera au contraire de gens, hommes et femmes, petits et laids. Préjugés ou description fondée sur des populations différentes ?

Même Sir Gilbert admet que les jolies femmes son rares. Moore trouve qu'à Ajaccio les femmes sont plus belles et mieux élevées qu'ailleurs. On doit remarquer que les administrateurs ou officiers britanniques sont de bonne famille et que leur point de vue est celui de leur classe. Sir Gilbert manifeste à cet égard une ouverture d'esprit rare.

On ne connait pas les réactions des simples soldats ou sous-officiers britanniques sur la population corse.

Psychologiquement, la description des Corses est assez peu flatteuse ou elle le devient avec le temps quand la mauvaise entente s'installe  Pour beaucoup de témoins (Moore, Nelson), les Corses cherchent à extorquer le plus d'argent possible aux Anglais (cela n'a rien d'étonnant de la part d'un peuple pauvre), ils sont "âpres au gain", "jaloux les uns des autres", passent leur temps à essayer de venger les offenses faites par les uns aux autres.

Ils sont indisciplinés, orgueilleux sans bon motif (donc vaniteux) et peu civilisés. Pour le général Trigge (le succcesseur de Charles Stuart comme commandant en chef), un Corse serait déshonoré s'il n'assassinait pas l'homme qui l'a insulté ou a insulté sa famille ou s'il devait porter un fardeau au lieu de le faire porter par sa femme (probablement une image assez véridique du comportement masculin en Corse - cinquante ans après, le voyageur allemand Gregorovius, pourtant plein de sympathie pour les Corses, le remarquera encore). De plus ils sont incapables de faire des soldats réguliers, même s'ils sont très efficaces dans la guerilla. Sir Gilbert notera avec intelligence qu'il est très difficile de demander aux soldats corses d'être disciplinés puisque les officiers et les soldats sont  parents et que les rapports familiaux priment sur tout autre chose.

Enfin, s'ajoute avec le temps  le reproche d'ingratitude ou de versatilité. A peine échappés, grâce aux Britanniques, aux menaces des révolutionnaires français, les Corses se montrent ingrats envers leurs libérateurs.

L'état de pauvreté de la Corse est-il imputable à ses habitants ? Quelques réflexions sont faites à ce sujet, mais l'image du Corse paresseux ne s'est pas encore imposée et la Corse se distingue peu des autres pays méditerranéens, moins favorisés que l'Europe du nord en ce qui concerne les possibilités de développement.

Le colonel Moore remarque que, si les Corses  s'en donnaient la peine, la Corse pourrait être plus prospère ( la Balagne, plus prospère que le reste de la Corse, démontre que c'est possible); mais les Corses préfèrent vivre de peu et porter le fusil (après tout, c'est moins une critique qu'une constatation). Moore juge néanmoins les Corses "peu sympathiques" (unamiable). Cela ne l'empêche pas de sympathiser avec Paoli, qu'il estime être un homme vraiment supérieur.

Notons qu'un certain nombre des défauts attribués aux Corses étaient aussi reprochés par les Anglais aux Ecossais. Mais les Ecossais présents en Corse (très nombreux apparemment) ne faisaient pas ce genre de rapprochement, ou peut-être implicitement : on a vu que Moore, Ecossais, constatant que les Corses préfèrent mener une vie pauvre mais martiale, ne les critique pas spécialement. Est-ce parce qu'en tant qu'Ecossais, il n'est pas loin de préférer ce genre de vie ? 

Quant à Lady Elliot (qui bien que mariée à un Ecossais, descend d'un huguenot français réfugié en Angleterre après la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV), ses lettres sont un répertoire de critiques sur les Corses, qu'il s'agisse des gens du peuple (des demi-sauvages) ou des gens de bonne famille (qui ne sont pas du tout  à la hauteur de leurs prétentions et ne sont pas fiables). Elle ne se sent pas en sécurité dans un pays ou tous les habitants portent un couteau, un pistolet et un fusil.

Comme d'habitude, vérités et préjugés font bon ménage dans ces remarques. Est-il besoin de dire que certains reproches, loin de traduire une incompréhension spéciale entre Britanniques et Corses,  sont toujours faits aux Corses par leurs compatriotes français continentaux d'aujourd'hui et que d'autres s'y sont ajoutés  ?

Parlant des relations entre les Britanniques et les habitants des Iles Ioniennes (qui seront une vingtaine d'années après l'épisode du royaume anglo-corse, un protectorat britannique pendant une cinquantaine d'années, l'historien Ernle Bradford dit : "Anglo-saxon and Levantine natures, though they had their points in commun, did not sit happily together", Mediterranean, portrait of a sea, 1971 ( les natures anglo-saxonne et levantine, bien qu'ayant leurs points communs, ne faisaient pas trop bon ménage). On pourrait en dire autant des natures anglo-saxonne (ou mieux, britannique, car au sens strict, les Ecossais, nombreux en Corse ou dans les Iles ioniennes, ne sont pas des Anglo-saxons) et corse, sans exagérer démesurément ces divergences psychologiques inévitables.

Sir Gilbert semble avoir voulu comprendre les raisons de certains traits culturels, en particulier l'absence d'activité économique de l'île, que Sir Gilbert prend comme une donnée structurelle, qui oblige les Corses  à ne trouver de débouché que dans le service public. Il  vante en tous cas leur hospitalité et leur contact direct et familier, ce qui pour d'autres, est seulement un manque de bonnes manières.

 

 

 

 LES IDEES DE SIR  GILBERT

 

 

En juin et juillet 1794, avant même d'être officiellement nommé vice-roi, Sir Gilbert fait un tour de Corse pour connaître le pays qui vient de s'unir avec la Grande-Bretagne. Il ne doute pas d'avoir un rôle futur à y jouer et manifeste ses intentions par une lettre à sa femme, depuis Bonifacio, le 4 juillet 1794, où il parle ainsi de la Corse :

"a coutry which is my business to know and my real wish to improve" (un pays que j'ai le devoir de connaître et que j'ai l"intention réelle d'améliorer).

Lorsqu'il est nommé vice-roi en octobre 1794 Sir Gilbert eut droit aux acclamations de la population : "La ville de Bastia, qui tenait sans doute à se faire pardonner l'actif et patriotique concours qu'elle avait donné aux autorités françaises lors du siège, se montra particulièrement empressée à féliciter le vice- roi. Le clergé célébra des Te Deum dans toutes les églises et chapelles ...La municipalité fit, au théâtre,les frais d'un bal superbe où parut le vice-roi, escorté son état-major, à travers les acclamations de cette même foule" qui avait applaudi le général Gentili et les soldats de la garnison française à leur départ de Bastia (Maurice Jollivet, Les Anglais en Méditerranée, 1896). Jollivet admet d'ailleurs qu'au commencement du régime, il avait pour lui la sympathie de l'ensemble de la population.

 Sir Gilbert n'oubliait pas ses intérêts : il plaidait pour que son traitement de vice-roi soit supérieur à celui des ambassadeurs, mais il semble que le gouvernement ne l'ait pas écouté, soucieux de modérer les dépenses occasionnées par le nouveau royaume qui risquaient d'être mal comprises du Parlement et de l'opinion britannique.

Sir Gilbert recevait quand même une somme de 8000 livres par an, ce qui parait considérable, somme prise en charge par le budget britannique et non le budget corse.

Il est vrai que Sir Gilbert pour justifier ses prétentions, faisait valoir que Bastia, où le royaume installe sa capitale, est la ville la plus chère d'Europe. 

Sir Gilbert avait du mal à affirmer son autorité sur les militaires. Il plaidait pour que l'armée soit réellement anglo-corse et bien entendu, qu'en tant que vice-roi, il en soit le chef.

Même s'il c'est surtout dans ce but qu'il écrit à ses interlocuteurs ministériels à Londres (le duc de Portland, ministre de l'intérieur, ou Wyndham au ministère de la guerre) cela lui donne l'occasion d'exprimer sa conception du royaume anglo-corse et son idée de l'union entre la Corse et la Grande-Bretagne : 

" Cette île s'est érigée en royaume séparé et indépendant sous un souverain commun. Elle n'a jamais entendu être ni une colonie, ni une province, ni, quel que soit le nom qu'on lui donne, une partie quelconque du royaume de la Grande-Bretagne. Le roi de la Grande-Bretagne est son roi, mais comme roi de Corse, et toute l'autorité qu'il exerce sur elle doit avoir ce caractère de rester conforme au projet de gouvernement établi par l'Union. Une armée qui n'aurait aucun lien avec le gouvernement corse de Sa Majesté serait ici aussi étrangère que pourrait l'être en Angleterre un corps de troupes hanovriennes ou corses, et ne tarderait pas à devenir, par la force même des circonstances, l'objet d'une extrême méfiance."

 (l'allusion aux troupes hanovriennes s'explique du fait qu'à l'époque, le Hanovre, possession héréditaire de la famille royale britannique, se trouvait aussi dans un lien d'union dynastique avec la Grande-Bretagne).

 

Le contact avec la réalité corse  réduira fortement  l'optimisme de Sir Gilbert, mais sans vraiment abandonner son idée que l'Union était une bonne chose pour les deux contractants.

Il sera déçu du comportement des Corses (des notables qui selon lui passent leur temps à intriguer) et du peuple (qui refuse les impôts).

On doit à Sir Gilbert des formules sur la Corse qui ont fait date :

"Les Corses sont une énigme dont personne n' est assuré d'avoir la clé".

En fait Sir Gilbert était surpris par la versatilité des Corses, capables de vous accueillir très amicalement, puis d'intriguer contre vous ou même de passer à la révolte ouverte, sans qu'on comprenne bien pourquoi (ou pour des raisons qui dépassaient sa compréhension).

L'une de ses formules a fait date : "La vie politique en Corse est caractérisée par l'esprit de clan".

Sir Gilbert connaissait bien un autre pays de clans - cette fois institutionnels - , c'était son pays natal, l'Ecosse. Il savait très bien que les clans écossais avaient passé leur temps à se combattre et à s'opposer (jusqu'à ce que l'Angleterre exerce une influence dominante et supprime pratiquement le système des clans après la Grande rébellion de 1746).

Les clans corses, informels et non institutionnels, se comportaient comme jadis les clans écossais : il suffisait que le clan A soit partisan des Français pour que le clan B qui était son vieil ennemi, soit l'ennemi des Français et ainsi de suite. Toute la vie politique ou l'insertion de la Corse dans les relations internationales, se traduisait par des oppositions de clans. C'était du moins son impression, pas fausse mais insuffisante sans doute (il omettait le rôle des clivages sociaux, les oppositions entre citadins et ruraux).

 Il en concluait que les Corses n'avaient pas le sens de l'intérêt général, que seul comptait pour eux ce qui les avantageait  personnellement ou avantageait leur clan, ou même ce qui désavantageait le clan adverse : les Corses étaient des gens prêts à sacrifier  leur propre intérêt pour nuire au clan adverse.

On ne s'étonnera pas que Sir Gilbert exprimait ainsi sa vision de la vie politique en Corse :

" La Corse est un pays où la politique est mesquine" ("a country of shabby politics").

 

 

 

 

 

"LA TYRANNIE DU TRAÎTRE PAOLI ET DES ANGLAIS"

 

 

 

Pendant ce temps, la France révolutionnaire, malgré toutes ses convulsions, n'oublie pas la Corse.

 Il est intéressant de reproduire le décret de la Convention du 16 vendémiaire an III (7 octbre 1794), quelques mois après la chute de Robespierre.

 

 

Décret qui charge le comité de salut public de présenter de nouveau la rédaction du décret du 4 fructidor, qui a été égaré et qui fixoit des secours pour les patriotes Corses réfugiés.

 

 

 Du 16 vendémiaire an III (7 octobre 1794)

 

La Convention nationale décrète ce qui suit :

 

Art. I. Le comité de salut public lui présentera de nouveau, et dans le plus bref délai, la rédaction du décret du 4 fructidor, qui a été égarée, et qui ordonnoit qu'il seroit accordé à chaque patriote réfugié Corse, venant de Calvi, Saint-Florent, Bastia, de l'intérieur de l'isle, ou qui pourroit arriver dans la suite, une somme journalière et égale, jusqu'à ce que le département de Corse soit rendu à la France, et d'en fixer la somme.

 

II. Les comités de salut public et d'instruction publique examineront s'il ne seroit pas expédient de disperser dans les différens établissemens d'instruction publique les enfans des patriotes réfugiés Corses, au-dessous de 18 ans, pour propager plus facilement l'usage de la langue française dans le département

 

III. Le comité de salut public examinera si l'arrêté portant peine de mort contre tous les individus corses pris sous pavillon paoliste, corse ou anglois, peut être modifié de manière que les vrais patriotes qui s'y embarqueroient uniquement pour fuir la tyrannie du traître Paoli, ou des Anglois, ne puissent être confondus avec les contre-révolutionnaires.

 

Collection Baudouin des décrets des assemblées révolutionnaires

http://artflsrv02.uchicago.edu/cgi-bin/philologic/getobject.pl?p.52:121.baudouin0314

 

Le décret fait allusion à un arrêté antérieur (de quelle date ?) portant que tout Corse pris sur un bateau sous pavillon anglais, corse ou paoliste (ce distinguo a dû être inventé par la Convention qui n'était pas certaine du pavillon utilisé par les rebelles?) était passible de la peine de mort sauf à prouver que justement il s'était embarqué (sans doute en cachant ses intentions) pour fuir la "tyrannie" de Paoli ou des Anglais.

 

Texte destiné à faire peur et à rester lettre morte ? Pas vraiment.

En 1796, sept marins corses sont capturés par la marine française sur un bateau battant pavillon à tête de Maure. Transférés à Toulon, ils sont fusillés pour trahison. Comme on le verra, de l'autre côté, on était plus civilisé.

 

 

 

 

LE FONCTIONNEMENT DU REGIME

 

 

 

Une fois le royaume anglo-corse installé, les négociations avec le Vatican continuèrent pour aboutir à un accord sur l’organisation religieuse. Frederic North, dont on va parler, débuta ses fonctions de bras droit de Sir Gilbert en négociant à Rome, en compagnie de deux Corses, Negroni et Pisani-Ferri.

Comme on l'a vu, le catholicisme était religion d’état, Les évêques siégeaient de droit au Parlement.

Un accord (ou Concordat) en 22 points fut soumis au Saint-Siège, qui passait par le rétablissement d’un impôt religieux (qui semble avoir été modéré) même si Sir Gilbert était personnellement opposé à l'impôt religieux.  

Après la prise en main par les Britanniques, les anciens évêques comme Mgr de Guernes et Mgr du Verclos, réfugiés en Italie,  étaient revenus en Corse réoccuper leurs évêchés tandis que l'évêque constitutionnel de l'époque révolutionnaire française, Mgr Guasco, se rétractait de son serment  à la constitution civile du clergé avant de décéder en décembre 1794, recevant les derniers sacrements d'un prêtre très actif qui avait refusé le serment constitutionnel,  le curé Bajetta de Bastia. 

A Rome , les trois négociateurs  eurent des entrtetiens avec le cardinal Zelada, secrétaire d'Etat et furent reçus par le Pape Pie VI.

Mais le Saint-Siège accepta seulement 4 articles de l'accord et les autres étaient encore en discussion quand le royaume anglo-corse prit fin. Sir Gilbert était agacé par la comportement du Saint-Siège et ses objections à admettre un accord que lui jugeait très équilibré.

Pragmatique, il affirmait que "notre règle en matière de religion sera de ne pas en avoir". Il disait aussi qu'on ne pouvait pas accuser le gouvernement anglo-corse de manquer d'égards envers la religion catholique, mais qu'il n'était pas prêt à tout accorder à une puissance religieuse envers qui il n'avait qu'une sympathie limitée (cité par l'abbé François-J.Casta, Le diocèse d'Ajaccio, 1974)..

 Parmi les points litigieux, il y avait la réduction à 3 du nombre d'évêchés, nombre que le gouvernement ango-corse trouvait "suffisant pour un pays pauvre".

A Rome, l'ambassadeur d'Espagne s'employait consciencieusement à torpiller l'accord,  parce que tout ce qui allait dans le sens d'un établissement durable en Corse des intérêts britanniques gênait les intérêts espagnols. L'ambassadeur  faisait remarquer au Saint-Siège qu'il n'était pas convenable pour le Pape de négocier un accord avec les Britanniques sur la Corse alors que la Corse appartenait en droit à la monarchie française. Cet argument n'était pas forcément convaincant, car le Saint-Siège avait toujours (même si c'était discrètement)  soutenu la cause de l'autonomie de la Corse, compatible avec l'idée d'une suzeraineté plus ou moins théorique du Saint-Siège sur la Corse, que selon le Vatican, "Paoli avait toujours reconnue". 

Le gouvernement anglo-corse se préoccupa des questions d’éducation, prévoyant l’ouverture d’une université (Sir Gilbert se fit envoyer des modèles de statuts par Oxford et Cambridge)  et l’organisation d’une éducation primaire et secondaire, mais en achoppant sur le financement, laissé aux collectivités locales.

Mais le financement de toutes les actions de l’état était problématique puisque les impôts ne rentraient pas ou très mal. Habitués à ne plus payer d’impôts depuis le début des événements révolutionnaires en 1789, les Corses n’avaient pas l’intention de changer leurs habitudes.

Le gouvernement mit sur pied des régiments anglo-corses, offrant des places d’officiers qui furent très demandées, et pour les moins bien lotis des engagements comme sous-officier et soldat, mais avec des soldes intéressantes. Une certaine « course aux places » se mit en place, encouragée par le gouvernement qui y voyait le moyen de fidéliser les Corses.

Le site La Corse militaire, auquel nous renvoyons (https://sites.google.com/site/tirailleurscorses) indique les unités levées lors du royaume anglo-corse ou un peu avant par les Britanniques :

- Le régiment de l'Union, ou Smith's The union regiment of foot, est levé en 1795 par le capitaine George Smith du 25ème Régiment d’infanterie ( 25th Rgt of Foot); il comptera 20 officiers, et 654 hommes, dont plus de 600 sont Corses, mais l’on dénombre également des Français, des Italiens et des Allemands;

- .Les dragons légers corses ou The corsican light dragoons : seule unité de cavalerie levée en Corse sous les ordres de Sir Charles Stuart; Sir Gilbert Elliot décidera sa dissolution et elle sera fondue dans le régiment de l'Union  (ce n'est pas étonnant quand on connait l'hostilité entre Sir Gilbert et Sir Charles Stuart) ;

 - La gendarmerie royale anglo-corse, (je pense qu'elle fut probablement levée à partir de la gendarmerie de l'époque française qui s'était ralliée à Paoli lors de la sécession de 1793 et réorganisée); le commandement est confié par le vice-roi au lieutenant-colonel Colonna Leca (ou Colonna de Leca); Chargée de missions de répression et donc impopulaire, elle est mêlée à une rixe avec les habitants de Bocognano, qui nécessite l'intervention de l'armée. Deux officiers sont tués (on en parlera plus loin).

 - Compagnies franches corses : levées en août 1796 pour la défense des côtes;

 - Bataillons royaux anglo-corses ou Corsican corps : 3 bataillons (puis 4) de 500 hommes levés par Sir Charles Stuart à partir des troupes de Paoli en 1794. Le drapeau porte la tête de Maure et les armes de la Grande-Bretagne. En octobre 1796, quelques officiers sous les ordres du Lt-Colonel Giampetri suivent les Britanniques qui évacuent la Corse. 

 - Les chasseurs de Mac Lean ou Chasseurs français : composés de monarchistes français ayant fui Toulon, ils servent en Corse mais apparemment aucun Corse n'y est incorporé.

Sir Gilbert remarqua : "J'ai confiance dans ce mélange d'officiers et de sous- officiers corses et anglais. J'ai lieu, en effet, d'avoir bon espoir dans les excellents résultats obtenus par le major Smith dans son régiment de l'Union et que les Corses peuvent faire de très bons soldats, même dans leur propre pays."

 Les troupes corses étaient moins bien payées que les troupes britanniques (mais les premières étaient chez elles) et étaient largement mieux payées que les soldats français de la même époque selon Maurice Jollivet.

 Ces unités locales furent  levées progressivement, pour pallier le faible effectif des troupes britanniques après l'expulsion des Français, qui à la suite d'une désastreuse épidémie, était tombé à 700 hommes (l'épidémie aurait fait 1200 morts ou plus ?).

Le régime avait conscience que des effectifs insuffisants le mettaient en mauvaise position contre un retour offensif des Français. C'était d'ailleurs le sujet des critiques de Paoli qui pensait que la Grande-Bretagne ne voulait pas mettre les moyens nécessaires pour protéger la Corse.

A ces unités corses s'ajoutent ensuite des renforts  de l'armée britannique composées d'Anglais, d'Ecossais ou d'Irlandais ou bien de soldats d'autres origines : on voit en Corse le régiment suisse du baron de Roll au service de la Grande-Bretagne, le régiment mercenaire irlandais de Dillon et le gouvernement essaie de recruter des troupes dans les Etats pontificaux.

Au début, il avait même eu espoir de recruter des Maltais et avait envoyé à Malte, encore dirigée par l'Ordre des chevaliers de Saint-Jean, un Français membre de l'Ordre, le chevalier de Sade (sans doute un émigré parent du marquis du même nom), mais sans succès car le Grand Maître de l'Ordre, le chevalier de Rohan, demandait très cher pour lever quelques bataillons.

Maurice Jollivet parle de cette mission mais il semble qu'il y en eut une autre, en 1795, confiée au chevalier de Corn et au capitaine Stewart, avec les mêmes résultats décevants. Le Grand Maître de l'Ordre de Malte tenait à rester neutre mais fit savoir qu'on pouvait engager des Maltais à titre indivduel comme marins.

 Les emplois offerts par le régime étaient pour Sir Gilbert une façon de consolider celui-ci.

Pourtant Sir Gilbert voyait les limites du système : « dans un pays qui n’a ni industrie ni commerce, les places offertes par le gouvernement sont le seul débouché possible, mais comme nous ne pouvons pas salarier un peuple entier, nous faisons dix mécontents à chaque place que nous donnons. »

 téléchargement (1)

Document judiciaire de l'époque du royaume anglo-corse : ordonnance du président du tribunal criminel de Corte, Gian Francesco Nicolaï, de prise de corps contre les frères Stefani Antonio dit Chirino et Filippino, habitants de Piedipartino, accusés du meurtre de Camillo Bruschini, 2 août 1794.

Noter le blason à tête de Maure, et l'inscription "A nome della nazione corsa" (au nom de la nation corse). La formule a été ultérieurement remplacée par la formule "A nome di Sua Maestà Giorgio III Re della  Gran Bretagna e di Corsica".

Document vendu aux enchères par Osenat, Paris-Fontainebleau, notamment spécialisé dans les souvenirs de l'époque napoléonienne. 

http://www.osenat.fr/

 

 

 

 

 Sir Gilbert entreprit une autre tournée en Corse en juin-juillet 1795 où il fut toujours reçu, si on le croit avec un enthousiasme bon enfant :

"Nous sommes, en outre, continuellement accompagnés des cavalcades des pays [villages - Sir Gilbert traduit naturellement le terme corse paese] voisins qui, après nous avoir salué de discours bien sentis, font résonner l'air de vivats et de décharges de mousqueterie...

les corps des milices viennent à notre rencontre, tirent sur nous, me font prisonnier et me conduisent sous différents arcs de triomphe construits en bois de myrte, décorés de divers compliments en latin et en italien. Puis viennent les discours, et je suis porté en procession à travers la ville, précédé et suivi de nombreuses personnes, toutes dans leurs plus beaux atours, déchargeant leurs armes et poussant des cris. . ." (Sir Gilbert ne peut pas s'empêcher de raconter les choses de façon plaisante, avec les milices qui "tirent sur nous et le font prisonnier").

Il visite Cargèse, " la colonie grecque- qui est le pays [la localité] le plus intéressant que j'aie jamais vu"; il assiste à une danse grecque, note que la danse et la mélodie des danseurs qui se tiennent par la main est d'abord très lente puis devient de plus en plus rapide pour arriver à un paroxysme, puis de nouveau revient au rythme lent; Sir Gilbert a probablement vu une danse du type sirtaki. Il note que malheureusement parmi les jeunes filles il y avait peu d'Hélènes (Hélène de Troie, à la beauté proverbiale) sauf une jeune fille très jolie (Sir Gilbert avait toujours l'oeil pour ce genre de chose, semble-t-il).

 

 Le régime n'est pas à l'abri des tentatives françaises de reprendre la Corse : une expédition est arrêtée par la Royal navy lors d'un combat naval des 12 et 14 mars 1795 (connu sous le nom de bataille de Gênes).

A cette occasion, deux navires français, le Ça-Ira et le Censeur  sont capturés, notamment grâce à l'intervention décisive de Nelson à bord du HMS Agamemnon, qui le 12 mars avait déjà provoqué des dommages au Ça-Ira, et s'en empare le 14 mars, ainsi que du Censeur qui avait pris en remorque le .Ça-Ira. Les vaisseaux capturés sont emmenés en Corse.

Les responsables du régime donnent une idée (peut-être biaisée) des prisonniers républicains français : " Si vous voyiez ces prisonniers, vous seriez stupéfaits de la nudité et de la misère où ils sont. Ils se trouvent heureux d'avoir du pain et chacun se lamente d'avoir été forcé [à servir]".

Le vice-roi et sa femme, Lady Elliot, invitent à dîner les officiers français . il font ainsi la connaissance des officiers républicains :

"... j'ai invité à dîner  cinq des principaux officiers. Le capitaine du Ça-Ira est un homme intelligent, que ses manières et son langage font ressembler quelque peu à un gentleman, bien que, à cet égard, il n'y ait rien de trop" (cet officier deviendra comte de l'Empire et amiral sous la Restauration, mais cela à l'époque, personne ne pouvait le prévoir).

Les autres officiers ont l'air bien plus vulgaire : "horiblement laids, des têtes de bandits ou de bourreaux comme on n'en voit qu'en France". Mais ils se sont battus comme des lions, ce qui nous oblige au respect, dit Sir Gilbert.

" Ils étaient étonnés d'être traités avec tant de civilité. Aussi essayaient-ils d'être polis à leur tour, en disant : Monsieur, Madame et Votre Excellence. "

Lady Elliot est bien plus réservée que son mari et confesse qu'elle est restée silencieuse car ces farouches républicains aux mauvaises manières lui faisaient peur, mais elle admet que ce sont des hommes courageux.

 

 

 

mw199491

Anna Maria Kynynmound (née Amyand), Lady Elliott (l'orthographe Elliot est plus courante), plus tard comtesse Minto;

gravure de James Scott, d'après un tableau de Sir Joshua Reynolds de 1787.

National Portrait Gallery, Londres

http://www.npg.org.uk/

 

 

 

 

 

 

 

 

LE DEPART DE PAOLI

 

 

 

Sir Gilbert pensait que ses difficultés provenaient de la présence d’opposants et que tout marcherait mieux s’il arrivait à les faire partir.

A ce stade ses difficultés n'étaient pas avec la population, mais avec des individus dont il pensait qu'ils faisaient arriver leurs critiques jusqu'aux ministres à Londres et sapaient ainsi son autorité pour provoquer son remplacement.

Le premier de ces opposants était Paoli et au fur et à mesure que le temps pass les relations deviennent très mauvaises entre le vice-roi et Paoli. Celui-ci est décrit par Sir Gilbert avec des mots très durs, old rascal, old devil. Sir Gilbert analyse le comportement de Paoli comme de la paranoia  (Francis Beretti, Pascal Paoli et l'image de la Corse au 18ème siècle, le témoignage  des voyageurs britanniques, 1988): Paoli imagine des choses qui n'existent pas, comme l'intention du gouvernement britannique d'abandonner plus ou moins vite la Corse, ou la préférence donnée à des administrateurs non -patriotes (il faut comprendre  non -Paolistes). Il base son opposition sur ces pseudo-réalités et déforme tous les faits d'après ces présupposés. Pour Sir Gilbert, il est devenu sénile.

Dans l'armée ses opposants étaient le major-général l'Honorable Charles Stuart, plus tard Sir Charles Stuart,  et le colonel John Moore, plus tard Sir John Moore. Tous deux étaient devenus amis avec Paoli, ce qui persuadait Sir Gilbert qu'il avait en face de lui une opposition structurée et même des comploteurs qui pouvaient passer à l'action.

 Sir Gilbert était excédé  d'avoir appris que les députés corses auprès de la cour d'Angleterre intriguaient contre lui (il s'agit des députés qui avaient porté en Corse l'acceptation de la constitution,  et qui prolongeaient leur séjour).

"J'ai vu vos Corses; ils sont unanimes dans leurs récriminations contre vous", écrit le ministre Portland à Sir Gilbert. Les députés corses sachant qu'on allait nommer un secrétaire d'Etat, proposaient la nomination de Philippe (Filippo) Masseria, un des proches de Paoli, que le gouvernement anglais n'avait aucune envie d'agréer.

Derrière tout cela Sir Gilbert voyait la main de Paoli. de plus, les anciens émigrés royalistes comme Gaffory ou Buttafoco étaient revenus en Corse; or Paoli les considérait comme des ennemis personnels tandis que Sir Gilbert appelait à la réconciliation de tous les Corses. .

En février 1795 le Parlement se réunit pour la première fois à l'église de la Conception, à Bastia. C'était une autre cause de mécontentement de Paoli qui désapprouvait que Bastia, ville jadis fidèle à Gênes puis aux Français, soit choisie comme siège du Parlement. Paoli aurait préféré Corte, ville emblématique des luttes patriotiques corses. Quant à Sir Gilbert il appréciait le séjour de Bastia.  

Le 9 février 1795, Elliot refuse que Paoli soit élu président du Parlement, y voyant un acte d’opposition au roi. De toutes façons, Paoli était inéligible puisqu'il percevait une pension du roi et qu'un  pensionné ne pouvait être élu député. Le vieux chef lui-même refusa d'être nomné président du Parlement en raison de son état de santé.

Le 19 février 1795, le vice-roi adresse une lettre au ministre de l'intérieur Portland, où il dénonce de façon virulente le comportement de Paoli et demande son rappel en Grande-Bretagne.

Au même moment il obtient le départ du major-général Stuart pour l'Angleterre.

Un magistrat puis député corse, M. Tartaroli, déclare avoir rencontré à plusieurs reprises le général Stuart  et lui avoir fait part de ses difficultés, coincé entre Paoli d'une part et Sir Gilbert et Pozzo de l'autre. Stuart lui aurait conseillé de toujours suivre Paoli.

Plusieurs témoignages montrent que Moore, de son côté, avait des réunions avec des notables corses pour mettre sur pied un parti d'opposition au Parlement (ce qui restait dans le cadre légal - bien qu'officier, Moore estimait avoir sa liberté d'action en tant qu'individu, comme il l'indiquera lors d'une entrevue orageuse avec Sir Gilbert).

En mai 1795, Paoli vient à Bastia et il a une entrevue avec Sir Gilbert et Pozzo di Borgo; le vice-roi reproche à Paoli (en y mettant les formes) son opposition, tandis que Paoli fait retomber la cause des difficultés sur ses interlocuteurs. Il reproche au gouvernement son manque de moyens pour la protection de la Corse; pour lui c'est le signe que le gouvernement cherche à abandonner la Corse, et fera le minimum pour la défendre en cas d'attaque française.

Des incidents médiocres augmentent l'animosité : le roi George III adresse à Paoli , en témoignage d'amitié, un portrait enrichi de pierreries. Mais lorsque le messager porteur du portait arrive en Corse, le portrait ne se trouve pas dans le coffre. A Londres, les députés corses auprès du roi, insinuent que Sir Gilbert a pris le portrait pour éviter d'avoir à le donner à Paoli. L'un d'entre eux, Pietri, a une entrevue à ce sujet avec le duc de Portland qui raconte la conversation dans une lettre à Sir Gilbert. Portland répondit à Pietri  "que si les Corses pouvaient avoir une pareille opinion de nous, il était préférable de mettre un terme à notre union et de les abandonner à ceux qui auraient plus de titres à leur confiance... Ainsi se termina notre conversation".

Le 3 juillet, lors d’un bal à l’Hôtel de Ville d’Ajaccio en l'honneur de la visite de Sir Gilbert, un buste de Paoli est légèrement endommagé (une partie du nez est enlevée); on rend responsable Colonna, un aide de camp corse du vice-roi , et un proche de Pozzo di Borgo. Cet incident est exploité par les Paolistes.

Sir Gilbert, surpris du bruit fait autour de cet incident négligeable, parlera plaisamment de "l'assassinat du buste". Des pétitions contre Pozzo di Borgo et Colonna sont organisées, surtout en Castaniccia et s’accompagnent du refus de payer l’impôt. On parle de complot pour renverser le vice-roi et le remplacer par une autre personnage. 

L’impopularité de Pozzo tient en partie au fait qu’il est en position d’accorder des places – or on le soupçonne, à tort ou à raison,  de favoritisme, au profit de ses connaissances et plus largement des gens de sa région (Ajaccio) et du sud de l’ile ; de toutes façons les demandeurs déçus s’en prennent à lui.  Enfin, bras droit du vice-roi, il est rendu responsable des impôts et notamment de la taxe sur le sel, établie du fait que  les impôts directs ont du  mal à rentrer.

A La Mezzana, en août 1795, un bataillon corse est désarmé par les habitants.

Paoli, loin de souhaiter l’effondrement du régime qu’il a contribué à créer, appelle au calme.

Ce n'est évidemment pas suffisant pour Sir Gilbert qui suspecte Paoli d'un double langage et dans ses lettres aux ministres anglais, parle de "ce vieux serpent radoteur de Paoli".

Sir Gilbert craint aussi d'être noirci auprès du gouvernement anglais par Charles Stuart. Mais de quoi parlez-vous donc, lui répond le ministre Portland, ahuri de tant d'inquiétudes imaginaires.

Pour Sir Gilbert la situation parut s’éclaircir lorsque arriva en Corse à l’été 1795 pour le seconder comme Secrétaire d’Etat, le jeune Frederic North.

Frederic North avait trente ans et c’était le fils d’un ancien Premier ministre. Député au Parlement britannique, c’était un esprit remarquablement cultivé. Il connaissait six langues anciennes ou modernes et il avait beaucoup voyagé en Méditerranée. Chose curieuse, il s’était converti à la confession orthodoxe lors d’un séjour à  Corfou en 1791 ou 1792, mais gardait le secret  pour ne pas choquer sa famille.

Lui et Sir Gilbert devaient très bien s’entendre.

La présence d’un britannique au 2ème poste de l’Etat pouvait apparaître comme contradictoire avec la règle que tous les postes de fonctionnaires devaient être occupés par des Corses. Mais Sir Gilbert avait fait valoir que le Secrétaire d'Etat ne pouvait être qu'un Britannique.

 

Sir Gilbert réussit à se débarrasser de ses opposants. Il oblige d'abord Nobili Savelli, l'ami de Paoli, à quitter le Conseil d'Etat.

Puis il fait faire une enquête et les témoignages semblent montrer que les insurgés de la Mezzana étaient en contact avec des officiers britanniques comme Moore et que leur but était de remplacer le vice-roi par Stuart qui serait revenu d'Angleterre pour prendre le poste (un complot difficile à croire de la part d'officiers britanniques).    

Sir Gilbert eut avec John Moore une longue et pénible entrevue devant témoins (North et Trigge, le successeur de Stuart comme commandant en chef) où il demanda à Moore d’arrêter de "  critiquer le gouvernement " (anglo-corse, en fait le vice-roi) ce à quoi Moore répondit qu'un "gouvernement qui exigeait une admiration continuelle ne méritait aucun respect" et qu'aucun gentleman ne pouvait accepter la demande de Sir Gilbert.

Mais le vice-roi obtint du gouvernement à Londres que Moore reçoive l'ordre de quitter la Corse dans les 48  heures. Sir Gilbert n'avait pas hésité à écrire aux  ministres qu'il leur laissait le soin d'apprécier si Moore devait passer en cour martiale !

Il restait à faire partir Paoli en qui Sir Gilbert voyait la principale cause de ses difficultés, l’homme qui soutenait l’opposition au Parlement et les mouvements de contestation légale (Paoli ayant toujours situé son opposition dans le cadre des institutions).

 

Presqu'au même moment que l'ordre de départ de Moore,  Elliot obtint  le rappel de Paoli en Grande-Bretagne. Le roi George III adressa un courrier à Paoli pour lui demander de quitter la Corse ; la demande est présentée avec courtoisie  :

" Votre présence [en Corse] inquiète vos ennemis et donne trop d'audace à vos partisans. Venez à Londres où nous saurons récompenser votre fidélité, en vous assignant une place au sein de notre propre famille".

Le secrétaire d’Etat Frederic North est chargé de communiquer à Paoli la lettre du roi et de le convaincre de partir.

L’entrevue a lieu le 5 octobre 1795 dans une auberge  près de Ponte Novu, auberge dans laquelle est aussi descendu au même moment le colonel Moore qui doit quitter la Corse.

Paoli d’abord exaspéré dit qu’il ne partira pas et énumère ses griefs contre le gouvernent  anglo-corse.

Il prétend que le gouvernement veut abandonner la Corse. North répond que ce n'est pas l'intention du roi, mais que si le peuple corse se conduit de façon indisciplinée, il faudra bien en tirer les conséquences.

 Paoli désapprouve les choix de personnes faits par le vice-roi, ce qui pour North constitue plus une querelle de personnes que de principe. .

Les mesures administratives que Paoli propose sont quant à elles des mesures de détail : Paoli conteste que les podestats (podestàs) des pieves reçoivent un traitement de 20 livres, que le Conseil d'Etat ait le droit de juger de la régularité des élections municipales et que le gouvernement nomme des assesseurs auprès des tribunaux; sur le dernier point North répond que les juges prennent si souvent des congés qu'on voit mal comment on pourrait faire fonctionner la justice sans assesseurs.

Paoli déclare que son devoir est de rester "pour la préservation de la Couronne et pour ne pas laisser le peuple dans un tel état de crainte et de méfiance à l'égard du gouvernement" (lettre de Frederic North à Sir Gilbert du 5 àctobre 1795, rendant compte de l'entrevue).

North est incertain du résultat de l'entrevue qui a duré six heures. Le vice-roi envisage de prendre une mesure autoritaire pour obliger Paoli à partir. Mais Paoli écrit dès le 5 octobre à North qu’il partira dès que possible. Il a appris le départ de Moore et juge sans doute qu'il est trop  isolé pour affronter Sir Gilbert.

Le 6 octobre Paoli écrit au roi qu'il espère avoir l'opportunité "di farle conoscere il vero statu di questo suo Leale Populo" (de lui faire connaître la vraie situation de son loyal peuple [corse]).

Moore quitte la Corse le 9 octobre (il semble avoir reçu l'ordre de partir au moment même où North communiquait à Paoli la demande du roi de venir à Londres);  il est probable que les deux hommes, descendus dans la même auberge, ont du se concerter sur cette attaque simultanée qui provenait de Sir Gilbert. Moore écrit  à Paoli avant son départ (sa lettre est au British museum) pour rejeter les accusations de déloyauté de Sir Gilbert..

Paoli à son tour part le 14 octobre 1795 sur le Dolphin (il allait gagner la Grande-Bretagne par la route d’Allemagne – la guerre européenne continuait pendant ce temps). Il est acompagné dans son voyage par Ciavaldini, Panattieri et Galeazzi.

Sir Gilbert et North l'accompagnèrent au bateau et les canons tirèrent les salves réglementaires en l’honneur du général Paoli qui fit un petit discours devant ses compatriotes en larmes.

« Monsieur, je vous laisse la Corse, tâchez d’en prendre soin » déclara Paoli à Sir Gilbert avec l’amertume qu’on comprend.

Paoli espérait pouvoir informer le roi et les ministres sur la situation de la Corse et la mauvaise administration de Sir Gilbert , qui de son côté, avait peur que tous ses ennemis rassemblés à Londres (Stuart, Moore et maintenant Paoli) ne finissent par lui nuire auprès des dirigeants.

Paoli, âgé et qui se plaignait souvent de sa santé, fit donc le voyage fatiguant de Corse à Londres en automne, en passant par l'Allemagne, revoyant au passage son ami le dramaturge italien Alfieri : Alfieri avait admiré les débuts de la révolution française, puis avait été horrifié par son évolution; il était devenu très contre-révolutionnaire et en même temps anti-français. il avait écrit un livre Il Misogallo (l'Anti-français) où il dépeignait les Français révolutionnaires (mais pour lui ils étaient presque tous comme ça) comme des singes sanguinaires. Les deux amis durent parler de la révolution, de la France et de la malchance qui conduisait de nouveau Paoli en exil.

Puis Paoli arriva à Londres où il fut reçu aimablement par le roi et les les ministres mais il était visible que personne ne désavouerait Sir Gilbert.

 

Quant au colonel Moore, selon un article biographique de  1894,  " He was well received by Pitt and the duke of York, who assured him that his military character was in no wise affected. His reception appears to have caused Elliot much annoyance" (Moore fut bien reçu par Pitt (le Premier ministre) et le duc d'York (le chef de l'armée) qui lui assurèrent que sa réputation militaire n'était en rien affectée par son rappel. Cette réception semble avoir beaucoup chagriné Sir Gilbert Elliot).

Les agitations paraissent se calmer au point que Sir Gilbert se félicite avec son humour habituel : " On a peine à concevoir le changement opéré dans notre situation depuis le départ de Paoli. Cette petite mer orageuse est devenue tout d'un coup le plus tranquille des étangs. Je ne me promets pas un calme plat étemel, mais j'espère à l'avenir n'avoir plus de tempêtes".

 D'ailleurs il ajoute que c'est le départ de Moore qui a mis l'émoi à son comble (peut-être chez les Anglais ?) mais que tout s'est calmé ensuite.

 Mais à terme, le départ de Paoli n’aura pas les effets escomptés par Elliot, au contraire. 

 

 

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Portrait de Pascal Paoli par Thomas Lawrence (anobli en 1815 et devenu Sir Thomas Lawrence). Ce portrait fut exposé à la Royal Academy en 1799 après le retour de Paoli en Angleterre. Il semble que Paoli l'ait peu apprécié.

Ce portrait (ou une copie de l'original?) est exposé au musée de Morosaglia (Haute-Corse), dans la maison natale de Paoli.

http://musee.louvre.fr/bases/doutremanche

 

 

 

 

TRAVAUX ET PLAISIRS DU REGIME

 

 

 

Sir Gilbert peut compter dans son administration sur l'appui des anciens émigrés royalistes comme Buttafoco et Gaffory mais le vice-roi ne veut pas leur donner un rôle trop important :

" Tout en nous servant des royalistes, nous devons éviter d'épouser leurs querelles et de donner aini à qui que ce soit une influence reconnue par nous en Corse. J'ai absolument refusé de les reconnaître comme chefs de parti...je leur ai donné à entendre que le gouvernement actuel avait été surtout utile à la Corse en mettant un terme aux divisions des anciens partis et en ne permettant plus à aucun d'eux d'aspirer à la domination et au commandement de l'île ; que le roi d'ailleurs était bien décidé à ne jamais remettre son autorité entre les mains d'aucun de ses sujets et à les protéger tous indistinctement.  Je ferai donc appel à eux, à leurs amis, aux membres de leurs familles, non pas comme à des chefs de parti, mais comme à de bons Corses, à de fidèles sujets " (le vice-roi à Portland, 17 novembre 1795).

On voit donc une constante de la politique d'Elliot, Dans l'intérêt même de la Corse, il faut éviter qu'elle soit dirigée par un Corse qui inévitablement se servirait de son pouvoir pour opprimer les autres clans, ses ennemis.

 Pendant ce temps Lady Elliot s'efforce de prendre son séjour en Corse par les bons côtés qu'il peut présenter. Elle décrit ainsi sa résidence bastiaise à sa soeur, la marquise de Malmesbury (notons au passage que les descendantes de l'immigré huguenot avaient fait leur chemin dans la société britannique) :  

" Notre jardin est un petit cap s'avançant dans la mer qui l'entoure à moitié. Il est à 40 pieds environ au-dessus du niveau des eaux. On y a une belle vue de la côte; il est rempli d'orangers, de citronniers, de rosiers et de haies de myrtes. Dans un pareil endroit, mon bannissement n'est pas aussi lourd pour moi qu'il l'était pour le cœur de Sénèque (Sénéque, vous le savez, avait été exilé en Corse). Les musiques militaires jouent dans le jardin pendant nos réceptions, et mes invités se promènent et dansent sur la terrasse qui le domine et qui est baignée par les flots. La nuit dernière, le spectacle était féerique. Au moment où la lune a surgi de la mer, justement en face de la grande porte vitrée qui conduit du salon sur la terrasse, jamais je n'ai rien vu de plus beau" (cité par M. Jollivet).

Dans un autre occasion, elle note :

" Notre dernier bal a été splendide et a très bien réussi (25 décembre 1795). Les salles étaient décorées avec myrtes, orangers et arbousiers. Il y avait un long pavage qui était un jardin parfait, très gentil et entouré d'une haie de myrtes. On a beaucoup dansé..."

Moore, quand il était encore là, ironisait sur les réceptions du vice-roi, qui lui paraissaient marquées par une certaine lésinerie (mais lui et Elliot étaient Ecossais, après tout) : on boit de la limonade et on joue aux cartes, c'est tout... 

Mais depuis que Lady Elliot avait rejoint son mari, le niveau des réceptions avait du remonter.

Lady Elliot se ménageait aussi des escapades en dehors de Corse notamment pour aller prendre les eaux à Lucques. En fait elle n'était pas à son aise en Corse et devait plus tard dire que les deux ans (moins en fait) qu'elle y avait passé avaient été des années de peur, probablement peur d'une population violente et imprévisible. Sir Gilbert au contraire a parfois exprimé à l'égard des Corses du mécontentement et de l'agacement,mais jamais de la peur et semble avoir eu un bon contact avec eux, jusqu'aux derniers jours de sa présence en Corse, inclusivement, comme on le verra.

 

Placés à peu de distance de la Corse, les diplomates britanniques dans les Etats italiens (Gênes, la Toscane, voire plus loin Turin, Naples et même Venise) écrivaient aux ministres à Londres tout ce qui présentait un intérêt  pour le régime anglo-corse et correspondaient aussi avec le vice-roi.
C'est l'occasion de recueillir quelques faits caractéristiques; ainsi un rapport envoyé de Gênes (décembre 1794) note que l'un des fils du général Abbatucci (ce dernier, opposant à Paoli, avait choisi le camp français) a été autorisé à rejoindre son père en France grâce à la protection du général Stuart.

L'ambassadeur Francis Drake note que le député corse Chiappe, fidèle à la république française (ce qui se comprenait, se trouvant en France lors de la rupture de la Corse avec la France) entretient une correspondance avec Paoli (cela se passe avant le départ de celui-ci de Corse) par l'intermédiaire d'un moine défroqué. Mais Elliot écrit au ministre Portland qu'il ne croit pas que Paoli veut le retour des Français. Il espère seulement convaincre Chiappe de rentrer en Corse.

 De  la même manière, il est question du désir de l'ancien maire de Bastia, Galeazzini de rentrer en Corse avec sa famille. Certes c'est un républcain, mais un ennemi de Paoli. Les diplomates anglais pensent qu'il pourrait se rallier à Sir Gilbert. Vérité ou rumeur ?

 

 

 

 

LA CORSE ET LES ETATS BARBARESQUES

 

 

 

Le régime devait aussi aplanir des différends avec les Etats dits barbaresques de Tunis et d'Alger. Des marins et pêcheurs corses de corail avaient été capturés par les barbaresques (qui avaient à se plaindre aussi des agissements de corsaires corses) et réduits en esclavage.

La capture des Corses par les Algériens faisait suite à un engagement naval impliquant des navires français en août 1794 : une flotille ajaccienne d'une vingtaine de bateaux, escortés par un brick britannique, avait rencontré deux frégates françaises. Après un combat, le brick britannique avait été capturé par les navires français tandis que les bateaux de pêche ajacciens tombaient aux mains des   Algériens. Les équipages sont transportés à Bône et réduits en esclavage.

"On avait saisi à bord d'une des embarcations, entre autres objets, une lettre de mer de Sir Elliot [une autorisation d'agir en corsaire semble-t-il], une copie d'une série de signaux portant la signature Robinson (c'était le capitaine qui commandait le brick fait prisonnier) et deux pavillons corses." (M. Jollivet)

A peu près au même moment des vaisseaux du bey de Tunis s'emparent d'embarcations corses,fort loin des côtes tunisiennes d'ailleurs,  puisque la capture est faite à l'embouchure du Tibre.

Les consuls britanniques à Alger et Tunis essayaient de convaincre les autorités de ces Etats de libérer les captifs du moment qu'ils étaient désormais sous protection britannique.

Le consul britannique est incapable d'aplanir le litige avec le dey d'Alger qui lui dit :

"Les Algériens ont toujours été en guerre avec le pavillon corse à tête de Maure et les bateaux portant ce pavillon. Ils viennent ici pêcher sans mon autorisation. Ils nous volent notre corail, bien différents des autres peuples qui m'ont toujours payé un tribut, les Français notamment qui nous versaient 1000 mabubs (environ 300 livres sterling) par mois, sans compter, chaque année, quatre caisses de corail et des présents" (lettre du consul Mace au duc de Portland, janvier 1795).

Le gouvernement britannique et son homologue anglo-corse proposent  au dey d'Alger de payer une rançon et  offrent des facilités  (ainsi les corsaires algériens pourraient passer sans encombre  le détroit de Gibraltar pour attaquer les navires américains, une de leurs revendications) mais sans déboucher sur la libération des captifs.

Finalement le secrétaire d'Etat North fit le voyage à Alger et plus d'un an après la capture des marins corses, trouva une solution :

 Lettre de F. North au duc de Portland :

" Baie d'Alger, 3 janvier 1796. — Le dey a conclu la paix avec la Corse, et il mettra dorénavant ce pays et ses habitants sur le même pied que les autres possessions de Sa Majesté. Quant aux cent-quatre-vingt-quinze esclaves réduits en captivité, il nous les a rendus sans exiger de rançon. Il s'est contenté d'un simple présent de 31 000 livres sterling, sans compter les dons que j'ai cru devoir faire pour m'assurer le concours des personnages les plus importants — 15 000 couronnes environ".

Il faut sans doute voir de l'humour dans la formulation de North sur l'absence de versement d'une rançon.

North poursuit : " Vers la fin de la première audience, qui avait cependant été un peu vive, le dey devint tout à fait aimable, et pour me prouver, me dit-il, combien il était heureux de mettre des prisonniers en liberté toutes les fois que sa dignité le lui permettrait, il appela un jeune captif corse qui faisait partie de sa maison et me le donna de la manière la plus charmante... J'ai été témoin, de la misère des malheureux corses. J'ai assisté à leurs transports de joie, à l'annonce de leur délivrance. "

"En dehors des captifs du gouvernement [du dey d'Alger]  il y avait quatre Corses, esclaves de particuliers. J'ai obtenu leur libération à raison de 1000 couronnes pour chacun d'eux — somme inférieure de moitié au prix généralement demandé".

North note que tous les esclaves, après une petite cérémonie de libération au cours de laquelle l'argent fut amené au dey, furent embarqués,sur un vaisseau espagnol : "Aujourd'hui ... ils voguent vers leur pays natal sous la protection du Southampton"

North profita aussi de l'occasion pour demander à visiter le harem du dey  et il semble que celui-ci aurait accepté en disant à ses serviteurs : "Laid comme il est, il n'y a rien à craindre".

Le gouvernement s'efforça ensuite de résoudre les litiges similaires avec le bey de Tunis.

Sir Gilbert note en janvier 1796 qu'un navire tunisien arrivé à Bastia a été reçu amicalement, ce qui ne concorde pas avec les procédés du bey deTunis envers les armateurs corses.

Le gouvernement répond aux actes du bey deTunis par une politique offensive :

 

"J'ai...donné pour instructions à tous les corsaires [corses] de capturer tous les navires de Tunis et de saisir à bord  des vaisseaux neutres toutes les cargaisons appartenant à des Tunisiens" (Frederic North).

 

Le vice-amiral Waldegrave arrive devant Tunis avec quatre navires pour obtenir du bey la liberté de la pêche au corail et le libération des captifs corses. Le bey affirme qu'il est en guerre contre la Corse et qu'il ne la reconnait pas comme faisant partie de l'Empire britannique. Puis il exige une somme consdérable (10 000 £ ) pour libérer 25 captifs corses. Il exige enfin d'obtenir les mêmes avantages que la Grande-Bretagne a reconnus au dey d'Alger.

Waldegrave rend compte à Elliot de l'échec des négociations. Pour lui, le bey veut également, outre les conditions  publiques pour arriver à un accord,  obtenir le même "cadeau" (on dirait aujourd'hui une "commission") qu'a obtenu le dey d'Alger.

Il est probable que le gouvernement anglo-corse céda sur les points demandés, car finalement une trêve de six mois fut conclue entre le gouvernement  et le bey, le 6 mai 1796; elle devait être renouvelée pour le même temps à son expiration (mais à ce moment le régime anglo-corse n'existait plus). La convention est revêtue des signatures d'ElIiot et de Mohamed Hodga, ambassadeur de Tunis (Maurice Jollivet).

 

 

 

UN REGIME CONSERVATEUR  ?

 

 

La politique économique et sociale du régime anglo-corse, pour cerains historiens (notamment des historiens actuels corses marqués à gauche)  est favorable aux riches. Le régime est certes d'inspiration conservatrice à beaucoup de points, le vice-roi n'a aucune sympathie pour la révolution française : il est lui-même un député whig, un libéral, rallié comme la majorité du parti , à la politique du premier ministre Pitt ( à l'exception du petit groupe de whigs autour de Fox et Sheridan, qui désapprouve la guerre et pense qu'il est possible d'aboutir à une "coexistence pacifique" avec les Français); on peut donc le considérer comme un conservateur.

Mais les historiens qui parlent de politique contre-révolutionnaire  oublient de dire que les ventes de biens nationaux, qui en Corse n'ont profité qu'aux riches, sont suspendues pendant le régime anglo-corse, et recommenceront après le "retour" de la Corse à la république - et le retour en Corse des familles républicaines influentes, les Bonaparte, les Arena, les Saliceti, les Casabianca et autres Galeazzini. 

Ils oublient aussi de dire que par des décisions signées au nom de Georges III, le régime anglo-corse  rend aux communautés d'habitants des terres communales qui avaient été vendues comme bien nationaux (exemples cités chez Jean Defranceschi).

 

 

 

 

 VERS L'APAISEMENT ?

 

 

 

Sir Gilbert n'en a pas fini avec les oppositions des militaires britanniques; il est en mauvais termes avec l'adjudant-général Sir  James Saint-Clair Erskine, plus tard comte Rosselyn (on a déjà rencontré ce personnage, voir notre première partie, annexe : les Anglais à Rome); celui-ci, qui exerce les fonctions de commissaire de l'armée, refuse de payer des droits de douane sur l'alcool qu'il fait venir d'Angleterre !

Profitant de ses fonctions, il fait enlever de force par ses soldats les marchandises bloquées à la douane corse, provoquant une cascade de plaintes et récriminations : Sir Gilbert porte plaine contre lui, lui contre Sir Gilbert, qui le démet de ses fonctions, ce que Erskine refuse d'accepter, chacun se tournant vers Londres pour faire reconnaître son bon droit. 

Erskine n'hésite pas à accuser le gouvernement du vice-roi de bafouer les droits de tous les Britanniques vivant en Corse, hommes, femmes et enfants (y en avait-il beaucoup ?).

"La présence d'Erskine, ses continuels défis, ses insultes à mon adresse sont de véritables causes de scandale" écrit le vice--roi. Il se plaint des relations d'Erskine avec des membres de l'opposition Paoliste, comme Panattieri, ancien Conseiller d'etat que Sir Gilbert a démis de ses fonctions.

Sir Gilbert n'est pas en meilleurs termes avec un autre officiers Oakes, quartier-maître général   :

" Oakes a toujours tâché de me faire tort. Les attributions du quartier-maître général l'obligent à avoir de continuels rapports avec les habitants dans toutes les parties de l'île, ce qui est dangereux quand le titulaire est mon ennemi personnel".

Enfin, le commandant en chef des troupes britanniques dans l'île, le général Trigge, qui a succédé à Stuart, n'est pas plus fiable comme il le découvrira ensuite.

Erskine, qui en tant que Britannique, estime qu'il n'a pas à payer les impôts corses, a tout de l'aristocrate imbu de sa personne.   Il finit par partir, sur sa demande et pour occuper un poste flatteur (aide de camp du roi George III), ce qui agace Sir Gilbert qui aurait préféré qu'il soit rappelé en Angleterre à titre de sanction.

Sir Gilbert écrivit  à Portland qu'il était décidé à démissionner - et North aussi - si Erskine ne partait pas - mais il s'en va. Néanmoins les tracas du vice-roi avec le commissaire général ont duré longtemps puisque ce n'est que fin juin 1796 que celui quitte la Corse.

Erskine, qui héritera de son oncle le titre écossais de comte Rosselyn,  fera par la suite une longue carrière politique (plusieurs fois ministre, il mourra en 1837) et deviendra un moment Grand maître par délégation de la Grande loge d'Ecosse (le Grand maître en titre étant le Prince de Galles, futur Prince Régent, dont on se rappellera qu'il présidait aussi une loge maçonnique londonienne à son nom,  dont fera partie Pascal Paoli après son retour en Angleterre). 

Mais les difficultés pour le vice-roi viennent surtout des Corses.

" Les Corses s'étaient peut-être persuadés que l'Angleterre prendrait à son compte la plus grande part des dépenses de l'administration, et qu'ils se trouveraient désormais à peu près garantis contre tout appel du fisc" (Maurice Jollivet).

Peu avant la réunion du Parlement à Corte en novembre 1795, la pieve de Boziu (ou un village de cette piève) avait refusé de payer ses impôts (en 1729 c'est dans cette même pieve que le village de Bustanico, en chassant les collecteurs de taxes génois avait lancé la révolte antigénoise pour les quarante années suivantes).

 Le vice-roi avait envoyé des troupes avec le colonel Pringle pour procéder au recouvrement et il estimait que l'incident était clos :

" Cette affaire s'est terminée sans la plus légère effusion de sang et n'a pas coûté 20 livres au gouvemement." écrit Elliot à Portland;

 

Lors de la nouvelle session du Parlement, qui se réunit en novembre 1795, cette fois à Corte, tout le monde est aimable et se congratule, M. Leoni, le neveu de Paoli, ("le neveu du buste" dit plaisamment Sir Gilbert), et Colonna "le destructeur du buste", sont présents et il n'y a pas de scandale ; mais il semble que beaucoup de députés soient absents. Mgr de Guernes, évêque d'Aleria, est élu président du Parlement (dont les évêques sont membres de droit).

 

Néanmoins l'affaire de Boziu sert de leçon et le vice-roi fait voter par le Parlement docile, des mesures exceptionnelles : interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes avec peine de mort en cas de récidive, suspension du jury, création d’une cour martiale.

La question du jury était controversée en Corse : comment obtenir des jugements équitables quand les jurés sont forcément parents des accusés ou des victimes, avait remarqué Sir Gilbert  (Le jury ne sera pas rétabli lorsque la Corse redeviendra française et ne sera  réintroduit que quarante ans après, sous Louis-Philippe).

" La fin de l'année 1795, comparée à ses débuts et à son milieu, marquait, pour le gouvernement, une évidente amélioration." ( Maurice Jollivet).

Le parlement termina sa session le 22 décembre 1795 et fut ajourné au 5 avril. 

Seuls quelques opposants se tiennent à l'écart comme le député Panattieri (qui ne semble pas avoir été très fiable dans ses amitiés). Selon certaines sources, il avait accompagné Paoli en Angleterre en octobre 1795, mais en ce cas, pouvait-il être déjà de retour quelques mois après,  en un temps de voyages longs et incertains ? peut-être avait-il accompagné Paoli seulement jusqu'à la côte italienne -voire simplement jusqu'au bateau ?

Après une cérémonie pour l'anniversaire du roi, le 24 janvier 1796, Panattieri écrit à l'adjudant-général Erskine ; "j'ai vu à cette cérémonie Pozzo, Colonna et Peraldi qui ensemble font un seul zéro et trois jeans-foutres". Il est caractéristique que cet opposant exprime son opposition plus à des personnes qu'à des politiques - et qu'il les exprime auprès d'un militaire Anglais (ou plus exactement Ecossais), lui-même opposant à Sir Gilbert.

 

Pendant ce temps, la république française ne paraît toujours pas en mesure de lancer une opération contre la Corse: la flotte est désorganisée  et le représentant de la Convention écrit au comité de salut public, peu avant la mise en place du Directoire : "Les désertions font des progrès effrayants. Peu de matelots ont rejoint la flotte".

 

 

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 Charles André Pozzo di Borgo (ou Carlo Andrea) probablement quelques années après l'épisode du royaume anglo-corse.

"L'homme le plus distingué de Corse" pour Lady Elliot; "perfectly disgusting" (parfaitement dégoûtant) pour le colonel Moore, parlant de son attitude par rapport à Paoli.

 napoleonbonaparte.files.wordpress.com

 

 

 

LES DIFFICULTES DU REGIME

 

 

 

Mais en mars 1796, des mouvements de protestation ont lieu à Bocognano et dans le Cortenais.  

A Bocognano (village où il existe une opposition pro-française regroupée autour du célèbre Zampaglinu, dévoué aux Bonaparte), la population assiège les détachements de la gendarmerie venus pour accompagner les collecteurs d'impôts; si ces derniers ne sont pas inquiétés, les habitants demandent aux gendarmes de déguerpir puis sur leur refus, les assiègent dans la mairie où les gendarmes se sont réfugiés

Un envoyé du gouvernement obtient leur libération mais deux officiers, le capitaine Casablanca et un autre officier du nom de Vittini, sont tués en sortant de la mairie, victimes d'une vieille vendetta


Elliot ordonne alors au général Trigge de marcher sur Bocognano, ce que Trigge refuse, ulcérant le vice-roi :

" Le général Trigge n'a pas voulu commander les troupes contre Bocognano ! Le mobile? Je le cherche...S'il persiste donc, je ne pourrai le contraindre à obéir, mais il supportera seul la responsabilité de sa conduite".

Les habitants de Montenebbio unis à ceux de Bocognano campent à Stiletto et coupent les communications d'Ajaccio pendant trois semaines. Dans ces conflits on retrouve la vieille hostilité citadins/ruraux. Les paesani, les ruraux, profitent de l'occasion pour dévaster les propriétés des Ajacciens.

  Sir Gilbert attend l'arrivée de nouvelles troupes venant d'Italie (le régiment suisse de Roll et le régiment irlandais de Dillon), puis il se porte lui-même à Boccognano avec le colonel Willettes où il arrive le 20 mai 1796.

Après une escarmouche, à la grande surprise des insurgés, il offre un pardon général, comprenant même les meurtriers de Casablanca et de Vittini,  et faisant remise des impositions.

D’autres troubles ont lieu au même moment à Bistuglio (aujourd'hui dépendant de la commune de Tralonca) où Sir Gilbert se porte  aussi ; là encore, après une escarmouche il reçoit les envoyés des insurgés et leur accorde toutes leurs demandes : renvoi des membres du gouvernement et exemption fiscale.

Le pourquoi de cette attitude est étonnant et est raconté ainsi par l'historien F. O. Renucci (auteur d'une Storia di Corsica en 1833-34, publiée à Bastia en italien): Sir Gilbert n'avait pas de nouvelles de sa femme restée à Bastia et de ses filles, malades. Or on lui apprit que des lettres de sa femme avaient été interceptées par les insurgés.

 Un notable bastiais, Frediani Vidau (le même qui a participé aux événements de Bastia en 1791  - voir notre première partie), auquel il fait part de ses inquiétudes, proposa d'aller à Bistuglio, pour récupérer les lettres en profitant de ses liens de parenté avec un des meneurs de la révolte. Vidau revint avec le podestat (maire) d'Omessa, qui amenait les lettres non décachetées et le vice-roi fut tellement content et touché de ce bon procédé qu'il accorda aux insurgés ce qu'ils demandaient.


Elliot supprime donc l'impôt direct, la taxe sur le sel et renvoie les conseillers critiqués par les mécontents, dont Peraldi, Bertolacci, Stefanopoli, Colonna et surtout Pozzo di Borgo.

" Le « camp » [de Bistuglio]  se dispersa au milieu des protestations générales de loyauté envers le gouvernement, d'affection personnelle à mon égard et d'aversion pour la France (lettre d'Elliot à Wyndham, ministre de la guerre). Faut-il croire Elliot ? Pourquoi pas ?

Enfin pour les habitants de Montenebbio qui ravageaient un certain nombre de terres près d'Ajaccio (probablement suite à des inimitiés personnelles) North reçut des instructions d'Elliot pour supprimer la taxe du sel et promettre aux chefs "l'assurance qu'on ne les oublierait pas dans la distribution des prochaines faveurs et que les premiers emplois vacants leur seraient réservés" (Jollivet).

A cette occasion, North put mesurer que le régime avait encore des soutiens : 5000 volontaires répondirent à son appel pour constituer une force de défense.

 

Tirant les leçons de ces événements, Sir Gilbert écrivit au duc de Portland que l'incident de Boccognano était dû à la conjonction de trois oppositions : les Paolistes, les républicains et les royalistes (partisans de la France monarchique); il ajoutait que le chef des royalistes, Buttafoco avait causé les plus grandes difficultés au gouvernement.

Buttafoco, mis ainsi en cause, écrivit de son côté au duc de Portland, pour expliquer les événements (sans pour autant excuser les rebelles) et en rendre responsable plus ou moins directement, le gouvernement de Sir Gilbert.

 Panattieri, qu'on pouvait considérer comme Paoliste,  de son côté, donnait sa version des événement au duc de Portland. On peut supposer que ce dernier devait commencer à en avoir assez des difficultés corses.

 Après les derniers soulèvements, le duc de Portland écrivit à Sir Gilbert que le roi (d'Angleterre) ne pouvait pas continuer à protéger la Corse si les habitants ne contribuaient pas à sa défense par leurs impôts.

Sir Gilbert écrivit à l'amiral Jervis que les Corses dans leur très grande majorité, étaient en faveur du gouvernement et redoutaient le retour des Français et que parmi les opposants, il y avait très peu de véritables  républicains. 

Pozzo di Borgo, destitué malgré l'amitié que sir Gilbert avait pour lui, rentra dans la vie privée et revint chez lui à Ajaccio.

Si on croit ce que dit l'abbé Rossi (cité par M. Jollivet) il prenait les choses avec détachement :

" Quoiqu'il n'y fût guère populaire [à Ajaccio], on ne put s'empêcher de le plaindre. Il venait de tomber de si haut! Il affecta vis-à-vis de tous un grand ton d'indifférence au sujet de ce qui venait de lui arriver, et quand on le rencontrait sur les places publiques, c'était l'homme le plus facile d'accès et le plus aimable." 

Elliot n'avait peut-être pas agi comme on s'attendrait de voir agir un dirigeant en face d'une insurrection surtout fiscale.

Il écrit à Portland (que devait penser celui-ci ?) :

" Le peuple, sans aucun doute, se trouve pour le moment satisfait. Au point de vue des charges publiques, il n'a jamais eu une aussi belle situation sous n'importe quel gouvernement régulier et ne pourra jamais en avoir une pareille. Nous n'avons plus à réclamer un penny aux habitants de l'intérieur. Ceux-ci n'ont plus de motifs pour nous chercher querelle. Ils ne connaîtront le gouvernement que par l'argent qui circule parmi eux et par l'administration de la justice à laquelle généralement ils ne sont pas hostiles, bien que chaque individu, aussi bien que chaque famille, n'en veuille pas dans le cas qui lui est propre."

On notera la formule à la fois ironique mais dépourvue de méchanceté avec laquelle Sir Gilbert note que les Corses aiment la justice, sauf quand elle s'exerce contre eux.

Sir Gilbert sollicite aussi des dédommagements financiers pour Pozzo di Borgo et donne de sa situation une idée bien modeste pour un représentant des meilleures familles d'Ajaccio :

" M. Pozzo est très pauvre. Il a à peine 40 livres de fortune. Ses talents pourront être employés utilement en Angleterre. Je demande pour lui, tant qu'on ne lui aura pas trouvé une autre situation, une pension annuelle de 300 livres que je considérerai à la fois et comme une mesure bienséante et comme une faveur personnelle pour moi."

Les relations n'étaient pas toujours bonnes entre Corses et Britanniques.

Il serait exagéré d'y voir une hostilité irrémédiable.

Un journal paraissait en Corse, la Gazetta corsa . Celle-ci publie par exemple l'article suivant :

" Nous avons encore le regret de relater une nouvelle querelle entre quelques soldats du bataillon corse et des soldats anglais, près de la Fontana - Nova. Les uns et les autres prétendaient à la priorité pour prendre de l'eau."


Parfois les différences religieuses entraînaient une forme d'hostilité qui pouvait se manifester dans des circonstances curieuses.

C'est ainsi qu'un soldat anglais accusé de vol au détriment d'une église de Bastia est condamné à mort malgré que des notables de la ville aient demandé sa grâce. Il est probable qu'il couvrait le vrai auteur du larcin :
En montant à l'échafaud, on l'entendit " très distinctement répondre au magistrat corse qui insistait encore pour lui arracher l'aveu qui devait le sauver : « J'aime mille fois mieux être pendu que de dénoncer un Anglais voleur à un papiste" (21 mai 1796) . Dans cette anecdote citée par Maurice Jollivet, on notera l'intervention bienveillante des notables bastiais et celle du magistrat corse (pourtant il est peu probable que des magistrats corses aient été concernés par un délit commis par un militaire anglais et relevant de la justice militaire ?).



Sir Gilbert dira plus tard que les deux seules exécutions capitales qui aient eu lieu en Corse étaient celles de soldats qui avaient volé des Corses et qui furent jugés en application du code de justice militaire.

Déjà, à l'époque où il était encore en Corse, le colonel John Moore et sans doute d'autres officiers avaient critiqué le vice-roi pour ne pas avoir usé de son droit de grâce pour le premier de ces condamnés, en considérant que Sir Gilbert avait voulu faire plaisir aux Corses en montrant que les soldats anglais n'avaient pas droit à un traitement de faveur. 

 

 

136

Proclamation du vice-roi Elliot du 3 juin 1796 après les événements de Bocognano. Joints au document : la pétition au représentant du roi du "camp de pétitionnaires" réuni à Bistuglio, la réponse du vice-roi et l'adresse de remerciements du camp de pétitionnaires.

Comme on le voit, le vice-roi ne manquait pas de répondre aux pétitionnaires de Bistuglia et ces derniers ne manquaient pas de remercier le vice-roi.

Elliot, Gilberto vice-re di Corsica. - Bastia, li 3 giugno 1796. (signé par le secrétaire Odoardo Hardman, sur ordre de S. E. au sujet de la rébellion de Bocognano et de la nécessité d’y mettre un terme. Suivi de : Il campo de’ petitionarj riuniti in Bistuglio al rappresentante del Re, suivi de : Risposta di S. Eccelenza le Vice re alle petizioni, suivi de : Indirizzo di ringraziamento del campo dei petizionarj…[notice du site de vente aux enchères]

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UNE TRANQUILLITE RELATIVE ?

 

 

 

Le général Trigge qui avait refusé d'intervenir contre les insurgés de Boccognano quitte la Corse sans blâme particulier semble-t-il. Il est nommé lieutenant-gouverneur de Gibraltar, c'est-à-dire faisant fonction de gouverneur.

Il semble que son successeur, le général de Burgh (un Anglo-irlandais qui s'était fait une réputation de joueur de cricket et devait un peu plus tard devenir, par héritage, 13ème comte de Clanricarde), arrive seulement après son départ. Une fois de plus, on remarque que les officiers  britanniques font preuve d'un grand esprit d'indépendance et que le ministère ne s'alarme pas de voir un commandant en chef partir avant l'arrivée de son successeur. Sans doute le gouvernement anglais jugeait-il que la présence de Trigge était plus utile à Gibraltar  qu'en Corse.


Le gouvernement avait renoncé à percevoir la quasi totalité des impôts. Par contre il décida de recruter des soldats avec l'assurance de ne servir qu'en Corse. Ce recrutement eut un grand succès et fut très coûteux pour le gouvernement, il semble même avoir suscité des escroqueries, des intermédiaires se faisant payer plusieurs fois pour les mêmes recrues inexistantes; deux conseillers d'État, Frediani (sans doute Frediani Vidau) et Colonna Cesari, avaient été chargés du recrutement.

Le vice-roi admettait dans sa correspondance que pour conserver la tranquillité, il avait été obligé de recourir à des  "stimulants pécuniaires" (pecuniary inducements) et il ajoutait ; "et Dieu sait si ceux-ci produisent de l'effet dans l'île."

Sir Gilbert note dans une lettre de juin 1796 au ministre (duc de Portland) que maintenat que la menace française se précise en raison de la campagne d'Italie (dirigée par le général Bonaparte), les Paolistes, surtout dans le nord, se rallient au gouvernement. anglo-corse.

Pourtant les rumeurs du retour de Paoli dans l'île courent et inquiètent un peu Sir Gilbert. Il estime toutefois que l'opposition au régime est inconsistante. "La Corse est tranquille" écrit-il au ministre en août 1796. Il voit quatre partis d'opposition : les républicains, les royalistes de Buttafocco, le parti de Cesare Colonna (probablement Colonna Cesari, ancien commandant de la garde nationale et conseiller d'Etat), sans doute Paoliste et qui est " l'homme le plus incapable et le plus méprisé de Corse" et enfin les gens déçus de ne pas avoir obtenu une place de fonctionnaire  !

Il ajoute à ces mécontents les déserteurs des troupes anglo-corses, assez nombreux. (sans doute engagés uniquement pour toucher la prime).

 Au mois d'août 1796  quelques rassemblements hostiles au régime ont lieu - mais ils sont dispersés sans difficultés. Un contre -Parlement se réunit à Orezza (Histoire de la Corse et des Corses, Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, 2008); mais M. Jollivet est muet sur ces troubles.

Sir Gilbert écrit que les mécontents du camp d'Orezza lui ont envoyé une pétition  qu'il juge futile et à quoi il a répondu.

La pétition  demande que le Parlement soit de nouveau réuni et qu'aucune levée de troupes n'ait lieu sans l'approbation du Parlement.

Dans une proclamation qui est sans doute la réponse aux revendications d'Orezza,  Sir Gilbert annonce la suspension des impôts (encore ?) et en appelle au patriotisme corse.

 

 

 

L'OMBRE DE BONAPARTE

 

 

Pendant ce temps, la campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte se poursuit.

Celui-ci décide de reprendre la Corse « sans envoyer un soldat » : En fait il veut dire sans attaque militaire ouverte. Il compte envoyer en Corse 800  hommes pris parmi les militaires corses de l’armée d’Italie, qui s’infiltreront clandestinement et en tant que compatriotes pourront agir sur la population et l’amener à se soulever.

Mais malgré l’arrivée progressive d’un certain nombre d’agents infiltrés, aucun soulèvement d’ampleur n’apparait. Le vice-roi est informé de ces infiltrations et les bataillons anglo-corse sont en état d’alerte et procèdent à des arrestations Les troupes anglo-corses restent fidèles au régime.

Gentili, général corse de l'armée de Bonaparte (et on s'en souvient défenseur de Bastia et ancien ami de Paoli avant la pupture de ce dernier avec la France révolutionnaire ) qui est chargé de l'envoi de ces infiltrés, reconnait d'ailleurs le peu de succès de l'opération et l'attribue au manque de moyens financiers.

Il y a parfois des escarmouches  entre les troupes gouvernementales et  les soldats français d’origine corse inflitrés et les républicains locaux.

Parmi ces derniers on trouve  le célèbre Angelo Matteo (ou Ange-Mathieu) Bonelli dit Zampaglinu (petite jambe, probablement du fait de sa petite taille), de Bocognano.

Zampaglinu  avait lutté contre les Français lors de la conquête de 1768-69, il participa à la bataille de Ponte Novu où il fut blessé, Puis il a fait partie des insurgés du Niolu en 1774. Il a ensuite rejoint Paoli à Londres. Peut-être s’est-il brouillé avec lui pour une question de surnom (Paoli l’appelait « mon dogue », ce qui déplaisait à Bonelli). De retour en Corse après avoir vécu en Sardaigne et enToscane, il devient à partir de 1790 un fidèle du jeune Bonaparte (dont il est le parent lointain) et lui rend service comme agent électoral et homme de main au besoin. Il  sert avec lui lors de l’opération de Sardaigne et reçoit le grade de lieutenbant-colonel. Il fait partie des défenseurs de Calvi en 1794 contre les Britanniques,  mais reste en Corse par la suite, tandis que ses fils servent dans l'armée française.

Il participe aux troubles de Bocognano. Il est tué (probablement après la fin de l'insurrection, quand seuls quelques républicains convaincus continuent le combat dans le maquis) en se battant contre les forces anglo-corses au fort de Vizzavona dont il essaie de s’emparer.

 Ses deux fils, Ange-Toussaint et François, font partie des militaires français envoyés en Corse par Bonaparte pour préparer la reprise de l'ile. Leur présence est connue et le gouvernement reproche au maire de Bocognano de ne rien faire pour les arrêter et même de refuser une garnison du régiment de Roll.

(Notons que l’un des fils Bonelli, François, s’emparera de la citadelle d’Ajaccio en octobre 1796, mais sans trop de risque : les Anglais venaient de l'évacuer.  Ange-Toussaint et François feront ensuite de belles carrières dans l’armée de l’Empereur ou du roi de Naples quand Joseph Bonaparte et Murat seront rois de Naples. Ange-Toussaint procéda à l'arrestation du célèbre  bandit napolitain  - mais aussi résistant anti-français - Fra Diavolo, ce qui lui valut le grade de lieutenant-colonel puis colonel.  

Le nom de François Bonelli est mêlé à un des épisodes les moins glorieux de la période napoléonienne en Corse : après avoir dans le royaume de Naples, il revint en Corse. En tant que chef de bataillon, il fut chargé en 1808 de l'arrestation, sur ordre du général Morand, sur de faux motifs, d'environ 150 habitants d'Isolaccio di Fiumorbo (pratiquement toute la population masculine sauf les enfants), accusés de rebellion contre le pouvoir. Une dizaine de soi-disant rebelles fut exécutés après avoir été jugés à Bastia par une juridiction d'exception et la plupart des autres envoyés au bagne sur le continent : aucun des condamnés ne revit la Corse).

 

Les diplomates britanniques dans les Etats italiens suivent les événements et signalent les déplacements intéressants, ainsi la présence de Saliceti auprès de l'armée française d'Italie.

Les informations et les désinformations vont bon train.

L'ambassadeur Trevor a entendu parler de mesures prises par Sir Gilbert, qu'il juge inutiles et impopulaires (été 1796). Est-ce vrai ou s'agit-il d'une rumeur propagée par les républicains pour discréditer le régime ? Il va écrire à Sir Gilbert pour le mettre en garde (on ne sait pas trop s'il s'agit de mesures prises en Corse même ou plutôt, de mesures contre les navires génois, en rétorsion à la politique trop favorable aux Français de la république de Gênes; ces mesures, réelles ou supposées, excitent le mécontentement des Génois).

 

Les diplomates britanniques donnent les premières impressions sur Bonaparte. Pour Drake, c'est un militaire d'un courage et d'une capacité hors du commun.

Pour Trevor, il est profond et éloquent, et il s'expime avec courtoisie en utilisant "des tournures d'autrefois", même s'il agit souvent comme un flibustier.

D'autres ne retiennent que le mauvais comportement : il est féroce et sans scrupules pour Wyndham, envoyé extraordinaire britannique auprès de la Toscane, qui en donne un exemple : lors de l'entrée des Français à Livourne, Bonaparte a mal traité le gouverneur au service du grand-duc de Toscane, le qualifiant de "scélérat napolitain" et de "mangeur de macaroni", pour avoir voulu protéger les intérêts anglais malgré la neutralité de la Toscane et il a prescrit qu'il passe en jugement  (pour ces citations, Dorothy Carrington, Sources de l'Histoire de la Corse au Public record Office de Londres, 1983 (exploitation des archives nationales britanniques). Il est probable que le pauvre gouverneur en sera quitte pour la peur, comme un an après, quand Bonaparte, ayant obligé la république de Venise à se rendre aux Français, exigera l'arrestation des trois inquisiteurs d'Etat et du commandant d'un fort accusé d'avoir fait tirer sur un navire français : tous seront relâchés sans poursuite quelques jours après.

 

L'entrée à Livourne des Français provoque l'évacuation par la marine anglaise des négociants anglais présents dans ce port, qui sont débarqués à Saint-Florent.

 

Pourtant, l'impact de la campagne victorieuse de Bonaparte en Italie, qui démontre aux Corses que l'un des leurs est devenu un grand homme de la France républicaine, n'a pas l'effet qu'on en attendrait.

Même dans les régions troublées précédemment, le calme parait revenir et le délégué du gouvernement pour l'Au-delà des Monts (le sud), Belgodere, écrit en septembre 1796 que Bocognano est à la fois paisible et loyale.

Le vice-roi suit les événements qui se passent au même moment en Sardaigne où un mouvement révolutionnaire se développe. La Grande-Bretagne pourrait organiser une expédition à partir de la Corse pour s'emparer de la Sardaigne, qui constituerait avec la Corse  un empire méditerranéen intéressant. Le gouvernement ne donne pas suite à cette idée qu dépasse un peu les forces disponibles, sans parler des chances de réussite

 Les Anglais s'emparent préventivement de l'île d'Elbe en juillet 1796 : « Notre envahissement d'une partie du territoire du grand-duc [de Toscane] ne sera pas, je l'espère, considéré comme une violation du droit des neutres. Puisque les Français sont en Toscane, le grand-duc ne saurait à bon droit se plaindre de voir les Anglais occuper l'île d'Elbe" dit avec ironie Sir Gilbert.

L'expédition est commandée par le commodore Nelson et comprend, en plus des vaisseaux britaniques, un corsaire corse.

 Lors de cette expédition, un navire qui transportait des troupes fait naufrage causant la mort d'une compagnie de Suisses du régiment de Roll.

Il est intéressant de lire à ce sujet les Observations historiques de l'abbé Rossi, citées par M. Jollivet :

" Les Corses n'en voulaient aucunement aux Suisses. Beaucoup d'entre eux ... avaient passé de longues années en Corse [ il s'agissait peut-être d'anciens du régiment de Salis-Grisons, stationné en Corse sous l'Ancien régime, qui avaient pris du service chez leurs compatriotes du régiment de Roll ? ]. Ils étaient engagés pour vingt-cinq ans par les Anglais. Aussi la nouvelle du sinistre excita- t-elle une très vive émotion à Ajaccio, où la municipalité fit célébrer un service solennel à l'intention des malheureux naufragés." 

 

 

 

 

 [ ouvrages ou sites consultés :

Francis Beretti, Pascal Paoli et l'image de la Corse au 18ème siècle, le témoignage des voyageurs britanniques, The Voltaire Foundation, 1988;

Maurice Jollivet, Les Anglais dans la Méditerranée, un royaume anglo-corse, 1896 (édition consultable sur internet);

Dorothy Carrington, Sources de l'Histoire de la Corse au Public record Office de Londres, 1983 (exploitation des archives nationales britanniques),

Cronica di a Corsica, chronologie de  Ours-Jean Caporossi, http://cronicadiacorsica.pagesperso-orange;fr/

La constitution du royaume anglo-corse peut être lue en fac-simile des textes d'époque (en italien et en anglais) sur le site www.modern-constitutions.de (site consacré aux constitutions du 18ème siècle et du début du 19ème siècle - la constitution du royaume anglo-corse est indexée curieusement avec les constitutions françaises);

Il n'existe pas d'ouvrage récent sur le royaume anglo-corse en français. Je n'ai pas pu consulter l'étude (souvent citée, mais déjà ancienne), de Pierre Tomi, Le Royaume anglo-corse, Etudes Corses, 1956-57;

ni, hormis quelques extraits,  le seul ouvrage récent en anglais sur le sujet : Desmond Gregory, The Ungovernable rock, 1985.

 

 Ajout 2019 : quelques parutions récentes en anglais:

 

Tandori Mária, The British rule and the English constitution in Corsica,1794-1796, 2015

http://publicatio.bibl.u-szeged.hu/14001/1/12-TandoriMaria.pdf

 Meeks J.,  The Anglo-Corsican Kingdom, 1794–1796. In: France, Britain, and the Struggle for the Revolutionary Western Mediterranean. War, Culture and Society, 1750-1850. Palgrave Macmillan, Cham, 2017 ]

abstract seulement : https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-319-44078-1

 

En italien :

Fabrizio Dal Passo, "Amici e no di ventura", 2016

https://www.lettere.uniroma1.it/sites/default/files/868/AMICI%20E%20NON%20DI%20VENTURA%20I-II-III.pdf




Ajout 2020:

L'étude de P. Tomi sur le royaume anglo-corse est maintenant disponible sur Gallica, dans la revue Etudes corses,  n° 9, 1er trimestre 1956, et numéros suivants:

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327707901/date

 

 

 

 

 

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Commentaires
O
Merci pour votre travail, et j'ajoute simplement, pour plus de précisions:<br /> <br /> <br /> <br /> François Bonelli, déjà Capitaine dans l'armée, et Ange-Mathieu (dont la notoriété était alors immense) contribuèrent tous deux à la promotion du futur empereur, François étant déjà proche de Napoléon. En effet, les deux familles entretenaient des liens solides, et "François, que rien ne pouvait amollir ni abattre, deviendra plus tard pour Napoléon sa principale force en Corse" (Notice biographique du Comte Alexandre Arman). Les Bonelli père et fils rendirent par la suite maints services à Napoléon, et dans la lutte contre les paolistes du printemps 1792, François et ses hommes l'aidèrent même à s'échapper alors qu'il avait été fait prisonnier et purent le conduire à Paris, lui sauvant ainsi la vie.<br /> <br /> <br /> <br /> François (qui deviendra Lieutenant-Colonel et Chef de bataillon) peut donc lui aussi être cité, et Ange-Toussaint (Lui fut Capitaine, Colonel de gendarmerie et Écuyer de la reine Carolina de Naples) tout autant, les deux frères ayant agi souvent ensemble et pour l'Empereur tout au long de leur carrière (Ils reprirent ensemble notamment la citadelle d'Ajaccio au moment de la capitulation des troupes Anglo-paolistes).<br /> <br /> <br /> <br /> Merci encore pour votre intérêt et vos pages très intéressantes de notre Histoire!<br /> <br /> Bonnes continuations
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O
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Zampaglinu était le père d'Ange-Toussaint et de François, tous deux militaires gradés et proches de Napoléon. Celui qu'on surnommait "Court sur pattes" ou "Petite jambe" était proche de Pascal Paoli, ce depuis leur jeune âge, et son nom était Angelo Matteo (ou Ange-Mathieu) Ceci dit, il fut aussi, outre ses combats pour l'unité de la Corse, artisan de la consécration de Napoléon (Leurs familles étaient aussi apparentées) en le faisant nommer Lieutenant Colonel de la Garde Nationale à l'époque. Merci de rectifier votre texte. Cordialement, un descendant des Bonelli de Bucugnà.
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Le comte Lanza vous salue bien
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