ROBESPIERRE ET MARSEILLE
(UNE PLACE POUR ROBESPIERRE ?)
[ J'avais initialement placé cet article en appendice de mon précédent message, La Marseillaise revisitée, troisième partie.
J'ai pensé qu'il fallait en faire un message à part entière en modifiant le titre et en l'augmentant un peu (tout en conservant la première version en appendice de mon étude sur La Marseillaise) pour qu'il soit lu par des personnes qui seraient intéressées par une polémique récente sur l'existence d'une place Robespierre à Marseille.
J'y ajoute un petit sujet destiné à montrer que les admirateurs de la révolution française en viennent à déformer la réalité historique, en l'occurrence le célèbre historien Eric J. Hobsbawm qui fait un amusant contresens sur l'origine du drapeau actuel de la Russie ]
POLEMIQUE POUR UNE PLACE
Un professeur de classes préparatoires à Marseille, qui est visiblement un homme de droite, s’est indigné [ en 2013] dans son blog qu’un élu marseillais (de droite aussi) ait proposé de débaptiser une place Robespierre qui existe à Marseille (le nom de Robespierre a été rarement donné à des voies ou places de France) pour lui donner le nom d’un couple de défenseurs des traditions provençales , initiative très parlante en soi.
Il invite donc à signer les pétitions contre cette initiative, d'autant que s'il "aime bien" les félibres, (les mainteneurs de la poésie et des traditions provençales) , dit-il, c'est quand même plutôt une bande d'imbéciles heureux. Les provençalistes apprécieront et lui répondront, je l'espère.
Notre professeur, qui se proclame « républicain » dans le sens que le mot a en France, enrage qu’on veuille toucher à son idole, « l’incorruptible ».
ROBESPIERRE, L'INNOCENT DE LA TERREUR
Il est d'ailleurs en bonne compagnie (je ne sais pas s'il s'agit d'une compagnie d'imbéciles heureux). Un comité de professeurs ou de chercheurs au CNRS (certains sont clairement de gauche) grands spécialistes de la révolution, a lancé une pétition pour s'opposer à l'initiative de l'élu et défendre la mémoire de Robespierre en affirmant qu'une honteuse propagande fait de lui le responsable de la Terreur, alors que la "recherche historique" a fait justice de cette imputation. Nos professeurs veulent sans doute dire que Robespierre n'était pas le "seul" responsable de la Terreur (ce que personne n'a jamais dit) ou qu'il n'était pas à l'initiative de certaines mesures terroristes (mais il ne les a pas désapprouvées et en tant que membre du comité de salut public, il en était solidaire). On apprécie comment ces maîtres du discours arrivent à présenter les choses.
Sans entrer plus avant dans des débats historiques sur la responsabilité de Robespierre dans la Terreur, j'extrais deux passages de la Chronologie de la Révolution française (1789-1795) établie par Alfred Fierro et qui concernent les deux derniers mois de vie de l'Incorruptible :
" 10 juin (22 prairial) [1794]: rapport de Couthon à la Convention sur le Tribunal révolutionnaire, contenant en germe la loi de prairial [du même jour, instituant la Grande Terreur], accélérant la procédure et supprimant toute garantie pour les accusés. Robespierre exige le vote immédiat et unanime. La Convention s'incline mais ne pardonne pas cette attitude dictatoriale.
11 juin (23 prairial): début de la Grande Terreur. Du 6 avril 1793 au 10 juin 1794, en 480 jours, le Tribunal révolutionnaire avait prononcé 1251 condamnations à mort; du 11 juin au 27 juillet [1794], en 47 jours, il en prononcera 1376 !
(...)
11 juillet (23 messidor) [1794]: exclusion de Dubois-Crancé du club des Jacobins sur demande de Robespierre qui lui reproche sa relative clémence durant le siège de Lyon. " [ Lyon, soulevée contre la Convention, a été reprise en octobre 1793 et une féroce répression, dirigée principalement par Fouché, Couthon et Collot d'Herbois, s'en est suivie : " jusqu’en avril 1794, 1876 Lyonnais de toutes conditions sont condamnés à mort et exécutés sur la guillotine, par fusillade ou mitraillade. Les exécutions de masse ont lieu aux Brotteaux les 4 et 5 décembre par canons chargés à mitraille faisant 271 victimes" (site du musée d'histoire militaire de Lyon)].
Il semble difficile de faire passer Robespierre pour un adversaire de la Terreur.
Un historien que ne réfutent certainement pas nos professeurs, Michelet, dans l'Introduction de 1868 à son Histoire de la révolution française, décrit la toute-puissance réelle de Robespierre, sans titre officiel autre que d'être un membre parmi d'autres du comité de salut public, dans les mois qui vont de l'exécution de Danton au 9 thermidor; ces mois sont ceux de l'apogée de laTerreur. Michelet parait ainsi répondre par avance aux arguments de ses successeurs historiens de gauche qui veulent dédouaner l'Incorruptible du sang versé :
" Dès longtemps, il est vrai, Robespierre, par toute la France, avait ses Jacobins qui remplissaient les places. Mais c'est après Danton, subitement, en six semaines, qu'il prit le grand pouvoir central. Il avait sa Police (Hermann), la Police du Comité (Héron). Il avait la Justice (Dumas), le grand tribunal général, qui jugeait même pour les départements. Il avait la Commune (Payan), les quarante-huit comités des sections. Par la Commune, il avait dans la main l'armée de Paris (Henriot). Et tout cela sans titre, sans écriture ni signature. Au Comité de salut public, il ne paraissait pas, faisait signer ses actes par ses collègues, ne signait point pour eux.
Ainsi, il lui était loisible de se laver les mains de tout. Ses amis aujourd'hui peuvent nous le montrer comme un spéculatif, un philanthrope rêveur dans les bois de Montmorency ou aux Champs-Élysées, promeneur pacifique..."
Pour le reste, Robespierre est pour ces historiens un des fondateurs de la république, il a inventé la devise républicaine (ah ?*) et débaptiser la place est un indice de la volonté d'expulser la révolution de notre histoire.
* La question de l'origine de la devise républicaine est complexe. Une tradition maçonnique, à laquelle croyait encore Oswald Wirth (La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, publié en 3 volumes entre 1908 et 1922), l'attribuait à Louis-Claude de Saint-Martin, le "philosophe inconnu", un des penseurs ésotériques les plus importants. Dans cette version, la devise, adoptée d'abord par la franc-maçonnerie, aurait ensuite été répandue dans les milieux révolutionnaires. Mais cette thèse est aujourd'hui abandonnée. La devise du Grand Orient de France et d'autres obédiences est bien Liberté, Egalité, Fraternité, mais par emprunt à la devise républicaine après 1848. Inutile d'ajouter que la devise est inconnue aux obédiences se réclamant de la tradition maçonnique "régulière" (anglo-saxonne).
ROBESPIERRE, L'AMI DE MARSEILLE ?
Il y a d'ailleurs un rapport entre Robespierre et Marseille selon eux : "Ajoutons qu’il a été, dès 1790-1791, le porte-parole des patriotes marseillais en butte aux attaques des autorités aristocratiques locales, qu’il a entretenu une correspondance politique suivie avec les révolutionnaires phocéens qui l’ont remercié à plusieurs reprises en lui demandant d’être leur défenseur".
Mais je croyais qu'à partir de janvier 1790, Marseille avait une municipalité "patriote"avec le maire Etienne Martin ? Alors qui sont ces autorités locales "aristocratiques" qui sévissaient encore en 1790-91 ?
Mais puisque ce sont des historiens qui le disent !
On cite quelques lettres échangées entre Robespierre et la municipalité, sans nous préciser du tout le contexte. Même le site Révolution française, aux mains des gardiens du temple, qui reproduit ces fameuses interventions dans une communication de 2006, n'est pas capable de dire de quoi on parle exactement dans ces lettres plutôt filandreuses et où la mairie de Marseille essaye de se défendre contre des "calomnies" (de qui, à quel sujet - où sont les "autorités locales aristocratiques"?) - pourtant le chercheur au CNRS qui présente les lettres sur le site Révolution française.net est un des signataires de la pétition et un grand spécialiste de l'analyse du "langage révolutionnaire" - il écrit généralement dans le style abscons qui s'est répandu à partir des années 70 dans les sciences humaines.
A lire ces lettres (reproduites plus bas) on a l'impression de correspondances plutôt banales - il serait intéressant de savoir si la Mairie de Marseille a arrosé ainsi d'autres députés pour faire avancer ses affaires et surtout de quoi il s'agissait, car encore une fois, ce n'est pas dit alors que c'est le B-A BA de la recherche historique.
Dans la pétition des historiens, rien sur le fait que Marseille se soit soulevée contre la Convention en 1793 (révolte dite "fédéraliste"), donc contre Robespierre, qui était à l'époque membre influent du Comité de salut public qui gouvernait la France et qui était à la fois l'émanation de la Convention , et la contrôlait, rien sur le fait que la ville ait ensuite eu la réputation d'une ville monarchiste.
Nos historiens répondraient que cette révolte de 1793 et que les attitudes ultérieures n'étaient pas celles de tout Marseille, je suppose ? Et les relations de Robespierre avec les "révolutionnaires marseillais", à les supposer plus étendues qu'un banal échange de correspondance, sont-elles représentatives de relations avec " tout Marseille" ?
Comme si à un quelconque moment de la révolution on pouvait dégager une unanimité totale dans les opinions.
On peut citer ici, à titre de document à verser au dossier, un extrait d'une lettre de Fréron, Conventionnel en mission à Marseille et un des artisans de la répression après l'insurrection fédéraliste, décrivant l'état d'esprit de la ville au moment où il y était en mission, donc à partir d'octobre 1793 : " Mais pourquoi se dissimuler que la classe la moins riche de cette commune regrette l'ancien régime ; que les porte-faix, les marins, les ouvriers du port sont aussi aristocrates, aussi égoïstes que les négociants, les marchands, courtiers, officiers de marine ? Où donc est la classe patriote ?"
Même si on ne peut pas accorder à Fréron (qui sera un des "tombeurs" de Robespierre au 9 thermidor et retournera sa veste plusieurs fois) une confiance absolue, son jugement mérite d'être cité sur l'opinion générale à Marseille. Sauf que là où Fréron parle de "regretter l'Ancien régime", il faut sans doute comprendre: "être très mal disposé envers le nouveau régime", si celui-ci est le régime des Jacobins et Montagnards de toutes tendances.
En tous cas les Jacobins marseillais furent décimés à l'époque de la Terreur blanche, puis retrouvèrent un pouvoir limité quand le Directoire s'appuya sur les anciens Jacobins tout en les maintenant en laisse, enfin ils disparurent complètement du paysage (les anciens notables jacobins se fondant dans le personnel napoléonien, comme Granet et Mossy) .
Il serait difficile à nos historiens de le nier. Lorsque Louis XVIII revint en France, en 1814, tous les observateurs ont parlé d'une véritable unanimité des Marseillais pour applaudir ce retour. A ce compte-là; on pourrait plus valablement donner le nom de Louis XVIII à une place marseillaise que celui de Robespierre qui fut peut-être le grand homme de 20% des Marseillais de l'époque révolutionnaire (encore faudrait-il préciser à quel moment de la révolution) , ou moins encore.
Chiffre impossible à déterminer, bien évidemment mais c'est une escroquerie intellectuelle de prétendre à des liens de sympathie permanents entre Robespierre et "Marseille" en prenant la ville dans son ensemble.
LA VILLE SANS NOM - ET SANS MEMOIRE !
Au fait, Robespierre s'est-il opposé à ce que Marseille soit débaptisée au début de 1794 par les Conventionnels en mission Barras et Fréron, arrivés dans les départements méditerranéens en octobre 1793 pour y procéder à une répression plus énergique que leurs prédécesseurs, mais occupés jusque là par le siège de Toulon ? Les Conventionnels en mision lui donnèrent l'appellation "provisoire" de "Ville sans nom".
Certes la Convention lui restitua son nom, quelque temps après la décision des Conventionnels en mission de la débaptiser pour la punir. Robespierre ne semble pas être intervenu directement dans cette question, contrairement à d'autres membres du comité de salut public, alertés par les députés (montagnards) de Marseille Granet et Moïse Bayle.
Quant au rappel des Conventionnels en mission Fréron et Barras, faut-il le mettre au crédit de Robespierre ?
Il est exact que le Comité de salut public dominé à ce moment par Robespierre et ses amis, fit rappeler les Conventionnels en mission, parce qu'il se méfiait de leur sincérité et de leur probité (ils avaient peut-être détourné des fonds) et parce qu'ils s'étaient mis à dos les députés Granet et Bayle et les représentants de la municipalité, Micoulin et Lejourdan (tous Jacobins, cela va sans dire - les représentants d'autres tendances politiques ou simplement d'autres opinions étaient en fuite, morts ou en prison), par leur acharnement à prendre des mesures symboliques ou effectives contre Marseille (affaire du changement de nom, début de la destruction de l'Hôtel-de-Ville, destruction de nombreux édifices religieux, projet délirant de "combler" le Vieux-Port pour ruiner le commerce de la ville - déjà ruiné par la révolution d'ailleurs - et projet de "déporter" tous les habitants et de les remplacer par des Français du nord - pour ces derniers projets il s'agissait sans doute de rodomontades pour jouer au "plus Jacobin que moi, tu meurs" , mais significatives).
Mais le rappel des représentants en mission Barras et Fréron ne signifiait pas la fin de la politique de Terreur à Marseille voulue par le Comité de salut public.
Fréron et Barras furent remplacés à Marseille par le Conventionnel Maignet, un montagnard intransigeant, l'homme qui fit mettre le feu au village de Bédoin dans le Vaucluse et condamner à mort plus de 60 de ses habitants parce qu'on y avait coupé un arbre de la liberté (ce qui prouvait évidemment que ce village avait "mauvais esprit").
Bref pas de quoi remercier Robespierre, comme le font certains (sur les blogs d'élus marseillais de gauche) pour "avoir quasiment mis fin à la Terreur à Marseille" !
D'autant que Maignet créa la commission révolutionnaire d'Orange pour juger les suspects du Sud-Est; cette commission réussit à battre le record de la commission Brutus (mise en place par Fréron et Barras) en matière de condamnations à mort expéditives.
Maignet interdisit aussi la représentation de pièces de théâtre en provençal (ce qui devrait plaire aux adversaires actuels des langues régionales); il ne manqua pas, après le 9 thermidor, d'adresser prudemment ses félicitations à la Convention pour avoir abattu "le tyran" Robespierre, ce qui ne l'empêcha pas de risquer à son tour de graves ennuis quand les Terroristes durent rendre des comptes. Il se justifia en disant qu'il n'avait fait qu'obéir aux ordres, comme Carrier ou Fouquier-Tinville. Mais plus chanceux qu'eux, il fut sauvé par la loi d'amnistie votée par la Convention lorsque celle-ci se sépara pour laisser place aux institutions du Directoire.
Il mourut dans son lit, à 76 ans, bâtonnier de l'ordre des avocats de sa ville, sous Louis-Philippe.
On peut aussi rappeler que lors de la nuit tragique du 9 au 10 thermidor, Robespierre et ses amis, mis en accusation devant la Convention et arrêtés, sont libérés dans un premier temps par les militants jacobins de la Commune de Paris, bastion des révolutionnaires de choc, et menés à l'Hôtel de Ville pour organiser la résistance.
Là les robespierristes perdent du temps, puis signent des ordres d'arrestation contre leurs nombreux ennemis, dont les députés des Bouches-du-Rhône, les Marseillais Granet et Bayle, pourtant montagnards - or ceux-ci avaient protesté contre les mesures excessives prises à Marseille par les Conventionnels en mission et contre le changement de nom de la ville. On peut donc voir qu'en 1794, même les députés montagnards des Bouches-du-Rhône étaient parmi les ennemis de Robespierre et ne considéraient probablement pas celui-ci comme un "ami de Marseille" !
Mais sans soutien populaire, (les militants des quartiers populaires parisiens ne se mobilisent pas) Robespierre et ses amis ne peuvent pas résister aux forces envoyées par la majorité de la Convention pour les capturer. Robespierre est gravement blessé à la mâchoire d'une balle lors de son arrestation, soit qu'il ait voulu se suicider, soit qu'un de ses assaillants ait tiré sur lui. Déclarés hors la loi par la Convention, ce qui permettait de se passer de jugement, Robespierre et ses amis furent exécutés le lendemain,
De plus invoquer des liens de Robespierre avec Marseille de 1790-91, c'est montrer a contrario qu'il n'y a plus de liens particuliers avec lui dans les années suivantes, alors que ce sont justement celles où Robespierre devient un homme de premier plan et incarne la révolution !.
RIEN DE POLITIQUE ...
Nos enseignants proclament qu'il n' y a rien de politique dans leur pétition, sinon l'amour de la république. Un autre enseignant qui dénonce le projet de débaptiser la place Robespierre n'hésite pas à parler de Terreur mémorielle, retournant ainsi la notion de Terreur contre les ennemis de la Terreur (procédé bien connu).
Evidemment, les militants communistes et du Front de gauche font chorus à cette intervention; parmi eux un membre du Front de gauche qui est l'auteur d'un livre : Reviens, Robespierre !
Reviens ? Mais il n'est jamais parti ! Comme si Robespierre ou la révolution (jacobine) étaient mal considérés en France (du moins dans la classe intellectuelle) où presque tout le corps enseignant fait partie de leurs laudateurs.
Peut-être voudrait-on que Robespierre, la Convention et même la Terreur (ou leurs héritiers) soient non seulement au pouvoir dans les mémoires, mais aussi dans la réalité ?
On ne s'interroge pas sur les raisons qui firent à l'époque que les Jacobins, si utiles au pays selon leurs admirateurs, furent éliminés politiquement et physiquement (de la même façon qu'ils avaient éliminé leurs adversaires). Ah, oui, c'est le complot des méchants qui a provoqué leur élimination !
Ainsi les nostalgiques de Robespierre en viennent à invoquer le même complotisme que les nostalgiques de l'Ancien régime qui prétendent que l'Ancien régime, aimé de la grande majorité des Français, s'est effondré à la suite du complot d'une minorité agissante.
On peut les renvoyer dos à dos. Car si Robespierre et ses amis ont bien été éliminés par un revirement de presque toute la Convention ( depuis les modérés jusqu'aux terroristes de tendance opposée à Robespierre) qui fut préparé à l'avance, donc par une sorte de complot, ce qui ne relève pas du complot, c'est le soulagement presque partout en France qui a suivi l'élimination de Robespierre, avec la fin de la Terreur (à nuancer, certes, il y aura encore des exécutions, et des déportations en Guyane, "la guillotine sèche", notamment de Jacobins, mais la période de la Terreur est bien finie avec le 9 thermidor).
De plus, ceux qui disent que Robespierre fut victime d'un complot, oublient que la Convention a donné son accord à ce complot. Pour des motifs sans doute différents, les Conventionnels, à la quasi unanimité des présents, ont voté la mise en accusation de Robespierre et de ses amis,Parler de complot sous-entend l'action perfide et dissimulée d'un petit groupe, à l'encontre de la majorité. Dans le contexte de l'époque, il était impossible d'agir sans avoir préparé le terrain auprès des membres de la Convention. Dans ce retournement préparé à l'avance, chacun jouait sa tête, les amis de Robespierre comme ses adversaires : si Robespierre avait pu ressaisir le pouvoir, tous les Conventionnels qui avaient voté sa mise en accusation étaient par avance condamnés.
Comme dans bien d'autres cas de dictature, l'élimination de Robespierre fut préparée par un complot (visant à le mettre en accusation le 9 thermidor) complot auquel la majorité des Conventionnels donna son adhésion, et l'élimination de Robespierre fut approuvée (pour autant qu'on puisse saisir les opinions) par la majorité des contemporains.
Comme ceux qui parlent de complot sont aussi ceux qui admirent l'action de la Convention, on peut trouver que leur logique est curieuse : malgré sa faible représentativité, la Convention, élue par 10 à 15 % des électeurs, représenterait pourtant l'intérêt national lorsqu'elle vote la mort du roi ou les mesures révolutionnaires, mais ne représenterait plus qu'une bande de comploteurs quand elle vote l'élimination de Robespierre.
Séance du 9 Thermidor (27 juillet 1794), par Raymond-Quinsac Monvoisin (1837). ;l'agitation frénétique de la séance fatale à Robesoierre, vue plus de quarante ans après.
http://1789-1799.blogspot.fr/
LE 9 THERMIDOR
Mis en minorité le 8 thermidor à la Convention, Robespierre le soir même bat le rappel au club des Jacobins et invite les militants à tenter un coup de force contre la Convention.
Les ennemis de Robespierre sont hués et exclus du club des Jacobins, certains présents au club sont expulsés avec fracas au cris de "A la guillotine". Robespierre déclare alors qu'il est prêt à se sacrifier et à "à boire la cigüe" s'il le faut (allusion à la mort de Socrate). Le peintre David, membre de la Convention, lui promet qu'il la boira avec lui. Le lendemain, à la Convention, tous les députés de la Plaine sont présents, alliés aux ennemis de Robespierre, Tallien, Fouché, Fréron, Barras, mais aussi Billaud-Varenne et Collot d'Herbois. Ces montagnards anti-robespierristes ont promis aux députés de la Plaine la fin de la Terreur s'ils appuient l'arrestation de Robespierre.
Au milieu du tumulte, Robespierre essaie vainement de prendre la parole : Pour la dernière fois, je te demande la parole, président d'assassins ! dit-il au président de séance.
Lorsqu'il veut parler de nouveau, la voix lui manque : "C'est le sang de Danton qui l'étouffe" crie un député. Robespierre répond alors : C'est Danton que vous voulez venger ? Pourquoi ne l'avez-vous pas défendu ?
Lorsque l'assemblée vote "à l'unanimité" (mais il n'y a pas eu de décompte) sa mise en accusation (ainsi que celle de Couthon, Saint-Just, Augustin Robespierre et Lebas, qui a demandé à partager le sort des quatre autres), Robespierre a alors cette phrase célèbre : La République est perdue, les brigands triomphent.
Quelques jours après l'exécution de Robespierre, David reparaît pour la première fois à la Convention (il n'était pas présent au 9 thermidor). Il est apostrophé par les ennemis de Robespierre qui lui reprochent son amitié avec "le tyran".
Pour sa défense, David, qui le 8 thermidor avait promis de "boire la cigüe" avec lui, minimise son amitié et ajoute : "J'ai cru que Robespierre était pur, j'ai été trompé comme beaucoup".
Ce retournement de veste n'empêche pas la Convention d'ordonner son arrestation. Les observateurs remarquent alors que David s'est mis à transpirer à tel point qu'une mare s'est formée sous lui. On le comprend, sa tête est en jeu.
Il s'en sortira assez vite et poursuivra une carrière qui lui permettra de dire un jour, étonné et ému d'avoir suivi les traces des grands peintres du passé : "J'aurai peint un empereur et même un pape (Napoléon et Pie VII) !".
MES ENNEMIS SONT RACISTES, FORCEMENT
Un dirigeant [en 2013] du Front de gauche (l'auteur de Reviens, Robespierre !), professeur d'histoire, rappelle sur son blog qu'on veut débaptiser la place Robespierre pour lui donner le nom de membres du félibrige, or il nous explique doctement (l'histoire politique expliquée aux ignorants) que le félibrige est un mouvement traditionaliste, clairement réactionnaire, voire même raciste, puisque Frédéric Mistral, son fondateur, parlait de "race" provençale (au sens de peuple) dans l'hymne provençal Coupo Santo; mais à ce compte-là, on parlait aussi beaucoup sous la IIIème république de "race française", par exemple Jules Ferry.
Il ajoute que les membres du félibrige sont "aussi hostiles aux idées des Lumières qui considèrent que les Hommes [la majuscule est de lui !] sont des êtres libres qui ne sont pas assignés à résidence d’un territoire au nom de la tradition ancestrale et autres billevesées"; il ne se pose pas la question de savoir s'il n'existe pas aussi bien une "assignation à résidence " républicaine et française, cela passe au-dessus de ses facultés d'interrogation.
Grand seigneur (un comble pour un frontiste de gauche), il admet toutefois qu'en tant que méridional, il n'a rien contre l'idée d'agrémenter son langage de "quelques mots de patois" occitan, comme le faisait son père, ignorant (ou ne voulant pas savoir) que l'occitan est une langue aussi bien que le français !
Notre frontiste de gauche pratique même une forme de manipulation en disant que Mistral a signé une pétition de Charles Maurras pour le fédéralisme; donc Mistral était maurrassien, donc d'extrême-droite ! Or sauf erreur, Mistral, d'une part n'a pas signé cette pétition, et d'autre part, cette pétition émanait de régionalistes de toutes tendances y compris de gauche; quand Maurras en a pris l'initiative, il n'était pas encore devenu le théoricien du "nationalisme (français) intégral" et du retour à la monarchie. On accuse donc Mistral d'avoir adhéré à des idées qui ne seront celles de Maurras que plus tard et assez différentes de l'objet de sa pétition. C'est bien de la manipulation (ou de l'ignorance, mais je n'ose le croire, puisque notre frontiste est professeur d'histoire).
A ce compte-là, faisons aussi un peu de manipulation. Notre frontiste de gauche nous rappelle que le nom de la place a été donné par une municipalité de gauche en 1926.
Signalons au passage que la place a été baptisée du nom de Robespierre dans le cadre des liens entre Marseille et Arras, ville natale de Robespierre. Marseille avait décidé d'aider par une souscription à la reconstruction d'Arras détruite en grande partie pendant la guerre de 14-18, Le boulevard d'Arras à Marseille et la place de Marseille à Arras témoignent aussi de ces liens.
En 1926, le maire de Marseille était le bon docteur Siméon Flaissières, socialiste en effet. Celui-ci fut réélu maire en 1929 (sur une liste bien moins socialiste). Les amateurs d'histoire se souviendront que le docteur Flaissières, âgé (il mourut en 1931 à 80 ans), laissa tous pouvoirs à son premier adjoint Simon Sabiani, certes à l'époque encore socialiste (à sa manière) et ami des gangsters Carbone et Spirito. Sabiani garda la même prépondérance à l'époque du successeur de Flaissières, le docteur Ribot (que de médecins !). Quelques années plus tard, Sabiani allait être le chef local du parti d'extrême-droite (ou carrément fasciste) de Jacques Doriot, le parti populaire français (PPF) et au moment de l'occupation nazie, l'un des dirigeants de la collaboration à Marseille.
Nous en resterons-là : en 1926 Simon Sabiani n'était pas encore le premier adjoint du Dr. Flaissières, il ne le deviendra qu'en 1929 et pas encore fasciste - même s'il avait certainement déjà des accointances douteuses avec le milieu marseillais. Mais on voit comment il serait facile de manipuler l'histoire et de montrer que la municipalité "de gauche" de 1926 avait des "mauvaises fréquentations" (en cherchant bien, c'était peut-être le cas).
Par contre on trouverait facilement une lettre que le Dr Flaissières adressa au préfet des Bouches-du-Rhône en 1923 pour dénoncer l'arrivée des Arméniens à Marseille et qui passerait aujourd'hui, sans effort, pour raciste ou au moins très xénophobe vu les termes utilisés. L'intention du Dr Flaissières était probablement de montrer que Marseille ne pouvait pas assumer seule la charge financière d'accueillir les rescapés arméniens mais les termes choisis pour son argumentation étaient dérangeants.
Le passé ne correspond pas toujours à l'image qu'on s'en fait aujourd'hui. Nos hommes de gauche actuels auraient sans doute du mal à se reconnaître dans certaines expressions des hommes de gauche d'autrefois.
NB de 2018 : depuis, le dirigeant de l'ex-Front de gauche dont on a parlé est devenu l'un des dirigeants et des députés les plus connus de La France insoumise.
PETITE COMPTABILITE FUNEBRE
Certaines personnes qui écrivent sur le blog du frontiste de gauche vont jusqu'à dire que la Terreur a duré deux mois seulement et a fait 1500 victimes (seulement), en réduisant la Terreur à ce qu'on a appelé la grande Terreur (juin-juillet 1794) et les victimes aux guillotinés de ces deux mois et en faisant l'impasse sur la Terreur tout court - donc il conclut que la "grande Terreur" a fait bien moins de victimes que "les rois".
Quels rois ? Clovis et Charlemagne aussi ? et pourquoi ne pas compter aussi les victimes des sacrifices humains des Aztèques parmi les victimes des régimes antérieurs à la révolution ?
De plus cet intervenant (comme tous les autres) ne se pose pas la question de savoir pourquoi la Terreur (réduite frauduleusement aux deux mois de la grande Terreur ) n'a fait "que" le nombre de victimes qu'il indique, en d'autres termes pourquoi elle s'est arrêtée après deux mois. Est-ce que ce ne serait pas en raison de la chute de Robespierre, qui se trouverait dès lors justifiée ? Il est ainsi piégé par sa propre mauvaise foi.
Sur les victimes de la Terreur, on aura l'occasion d'en dire quelques mots plus bas à propos de l'historien Eric J. Hobsbawm.
La phase violente de la révolution a duré deux ans environ (faisons l'impasse sur les violences exercées depuis 1789) : en gros de la prise des Tuileries (10 août 1792) ou des massacres de septembre 1792 à la chute de Robespierre le 27 juillet 1794; si on veut considérer la période de la Terreur proprement dite, les historiens la font commencer en septembre-octobre 1793, quand les sans-culottes parisiens imposent à la Convention de prendre des mesures vraiment révolutionnaires dont la loi des suspects, et de réorganiser le tribunal révolutionnaire pour le rendre plus énergique. Si on veut comparer, ( à supposer que ce soit utile à quelque chose !) il faudrait comparer avec les deux derrnières années de l'Ancien régime et pas avec les 500 ans précédents, comme si la civilisation ne faisait pas de progrès, même sous "les rois".
Et la période républicaine depuis, disons, 1871 (soyons même gentils, ne remontons qu'à 1878, date de l'arrivée au pouvoir des "vrais" républicains) : ce monsieur peut-il nous donner le nombre de morts causées par l'Etat républicain (avec de bonnes ou de moins bonnes circonstances atténuantes) depuis cette époque ?
Pas besoin de convoquer "les rois" quand on veut démontrer que l'homme est un animal nuisible. Mais quand l'Etat y ajoute sa force de coercition, par exemple avec la conscription, le résultat est phénoménal.
- J'ai appelé Louis XVI et c'est Robespierre qui a répondu.
Dessin de Baloo, 2008.
http://www.toonpool.com/cartoons
CARRIER et ROBESPIERRE : QUI A FAIT GUILLOTINER QUI ?
Notre professeur marseillais de classes préparatoires admirateur de Robespierre est lui, clairement de droite. Il reprend pourtant en partie ce genre d'argumentation. Pour lui, loin d'être responsable de la Terreur (ouvertement, personne n'approuve vraiment la Terreur - mais on peut faire comprendre à demi-mot qu'on n'est pas vraiment contre !), Robespierre aurait au contraire contrecarré les terroristes les plus impitoyables, il aurait même fait condamner Carrier, le massacreur de Nantes, à la guillotine.
« Bouh le vilain. Même que Robespierre l’a fait guillotiner » dit notre professeur, qui se veut rigolo, après avoir sur le mode plaisant rappelé quelques exploits de Carrier qui faisait violer les suspectes avant de les faire noyer dans la Loire (en ajoutant que ces violeurs étaient souvent des soldats Noirs).
Carrier guillotiné sur ordre de Robespierre ! On croit rêver d’autant que notre enseignant dénonce ensuite l’ignorance des historiens (lesquels ? pas ceux qui se vantent que la recherche actuelle ait réévalué - à la baisse- les responsabilités de Robespierre), qui auraient tendance à charger Robespierre. Il se trompe seulement sur qui a fait guillotiner l’autre.
Il est vrai que Robespierre a probablement été à l’origine du rappel à Paris de Carrier. Il trouvait peut-être la violence forcenée de ce dernier contre-productive, mais surtout Carrier ne faisait pas partie des amis de Robespierre qui se méfiait vraiment de beaucoup de gens. Le résultat fut que Carrier participa à l’élimination de Robespierre au 9 thermidor.
Mais son activisme terroriste rattrapa vite Carrier. Mis en cause par les modérés, dénoncé pour ses crimes par plus d’une centaine de notables nantais qu’il avait fait transférer à Paris pour y être jugés et qui sont acquittés dans l’atmosphère de libération qui suit le 9 thermidor, il est arrêté à peine un mois après la chute de Robespierre.
Les autres conventionnels terroristes, craignant d’être accusés à leur tour, en font un bouc émissaire (mais le tour de certains viendra aussi). Carrier se défend en disant qu'il a obéi aux ordres de la Convention, puis il attaque ses collègues conventionnels en disant : « Tout est coupable ici, jusqu'à la sonnette du président. Vous serez tous enveloppés dans une proscription inévitable ».
Chargé par ses ex-complices du comité révolutionnaire nantais, il est guillotiné (16 décembre 1794).
Comme notre professeur n'en est pas à une inconséquence près, il met aussi à l'actif de Robespierre d'avoir soutenu les débuts de Bonaparte, mais ce dernier a-t-il jamais été plus qu'un simple nom d'officier, et encore, pour Robespierre ?
C'est plutôt son frère, Augustin Robespierre, représentant de la Convention en mission dans le sud de la France, qui soutint le jeune Bonaparte à l'époque du siège de Toulon et ensuite ; donc indirectement pour notre professeur, Robespierre aurait permis à l'Empire napoléonien d'exister !
Comme le dit une des personnes qui ont répondu sur son blog, autant penser que les Israéliens trouvent des aspects positifs à la Shoah, parce que sans elle, il n' y aurait pas eu d'Etat d'Israël !
Ce professeur un peu ignorant n’est pas professeur d’histoire, certes, mais de lettres. On peut au moins se renseigner avant d’écrire sur les aspects factuels, surtout quand on prétend que l’enseignement « actuel » fabrique des crétins…
De plus, ce professeur , qui non seulement enseigne à Marseille mais qui y est né, pourrait se rappeler que Marseille fut soumise à une répression féroce après s’être soulevée contre la Convention (nous en avons parlé plus haut).
Or, Robespierre, s'il n'est pas responsable de tout, ou seul responsable, incarne la période jacobine de la révolution, et c'est avec son accord et sa participation, en tant que membre éminent du comité de salut public, que les mesures répressives de l'époque furent adoptées ou confirmées lorsqu'elles avaient été prises au niveau des représentants en mission et plus rarement, corrigées (comme le changement de nom de Marseille). La plupart des mesures répressives qui ont frappé Marseille ont donc été approuvées par lui.
Dans son combat en faveur de l'Incorruptible, notre professeur de droite se retrouve aux côtés d'autres professeurs pétitionneurs, clairement de gauche ou de militants du Front de gauche, du parti communiste ou de socialistes, dont tout laisse à penser qu'il ne doit pas les apprécier.
Quant à nous, on nous permettra de penser que préférer Robespierre à des félibres ne parait pas être la marque d’un Marseillais conséquent.
Saint-Just, Robespierre et Couthon, dessin d'auteur inconnu (du 19ème siècle)
site La révolution française par l'image
http://1789-1799.blogspot.fr/
DERNIERES NOUVELLES
Aux dernières nouvelles [en 2014], la place Robespierre gardera son nom (jusqu'à la prochaine alerte) . Quelques dizaines de membres du Front de gauche, du Parti communiste, de la Libre-Pensée (anticléricaux à l'ancienne), parfois les mêmes multi-cartes, assistés de quelques socialistes essayant de se repeindre en rose plus vif, et même d'hommes de droite égarés au nom de la nostalgie de la "grandeur" républicaine, comme notre professeur de khâgne, ont imposé leur conception à des dizaines de milliers d'indifférents.
Voici un extrait du discours prononcé par M. Balmont pour annoncer cette bonne nouvelle et rendre hommage à ceux qui l'ont rendue possible (octobre 2014, texte reproduit sur le site http://revolution-francaise.net/editions/balmont_robespierre.pdf ) :
" En effet, il existe un lien particulier entre Robespierre et Marseille que je tiens à rappeler. En 1793 et 1794, en pleine Révolution Française, des envoyés de la Convention nationale, comme Louis Stanislas Fréron sèment la « Terreur » dans la ville en faisant fonctionner la guillotine dans la cité phocéenne.
Fréron veut se venger des marseillais, pour la plupart misérables, qui ne comprennent pas que la politique parisienne n'améliore pas plus rapidement leur sort. Contre ces marseillais désemparés à qui il fait subir la Terreur, Fréron débaptise Marseille pour la renommer « La Ville-Sans-Nom ».
Maximilien Robespierre rappelle Fréron à Paris. Il le désavoue pour ses crimes et pour la Terreur sanguinaire qu'il a instauré. Et Robespierre redonne à Marseille son nom. Il n'est pas anodin chers amis de noter que Fréron fera partie des comploteurs qui feront tomber et guillotiner Maximilien Robespierre.
C'est pour la mémoire de ces événements, et de Robespierre, sauveur de Marseille, que le Conseil Municipal de 1926 a voulu donner à cette place mazarguaise le nom de Robespierre. Les plaques qui nous entourent ne sont pas un hasard. Cette place et son nom font partie de l'Histoire de Marseille !"
Il poursuit ainsi :
" On ne joue pas avec l'Histoire de la Révolution Française qui a abolit les privilèges de la noblesse, d'autres restant encore à abolir.
On ne joue pas avec l'Histoire de Robespierre l'Incorruptible, ennemi de la guerre, de l'esclavage, de la peine de mort, et défenseur de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de l'instruction gratuite et obligatoire, du droit de vote, et défenseur de Marseille !
Grâce à votre mobilisation, nous avons pu, dans une démarche d'éducation populaire, rappeler qui était Robespierre et ce qu'il avait fait pour la France et pour Marseille, et d'une certaine façon, nous avons pu, à notre niveau, continuer au 21ème siècle l’œuvre de Robespierre. "
Robespierre est présenté comme ayant tous les attributs de la pensée de gauche actuelle - il était même adversaire de la peine de mort - à un moment, bien entendu !
Et cet "adversaire de la guerre" a approuvé la guerre totale voulue par les révolutionnaires - forcé par les événements, bien entendu !
Il était tellement ennemi de la guerre qu'il s'indigna, la veille de sa mise en accusation (discours du 8 thermidor an II) que le décret du 7 prairial an II qui prévoyait "qu'il ne serait plus fait de prisonniers anglais et hanovriens", donc que les prisonniers de ces nations seraient massacrés - n'était pas respecté par les militaires français.
L'orateur rend ensuite hommage à tous ceux qui ont agi pour empêcher de débaptiser la place (nous omettons les noms propres, sauf pour les historiens cités, et respectons l'orthographe de l'original) :
"les mazarguais et les marseillais qui ont été plus d'un millier à signer la pétition de défense de la Place Robespierre,
mais aussi, le Front de Gauche, avec toutes ses composantes, ses militants et ses élus pour leur soutien,
les militants socialistes du 9ème arrondissement de Marseille,
l'Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie, qui a signée une lettre ouverte adressée au Maire de Marseille pour soutenir notre combat, (...)
la Libre Pensée, qui a signée elle-aussi une lettre ouverte et a rencontré des élus de la Ville (...)
l'Association Rouge Vif (...),
l'Association pour une Constituante (...)
les historiens universitaires et chercheurs de renom, plus d'une quinzaine, parmi lesquels Yannick Bosc, Marc Bélissa, ou encore Michel Vovelle, spécialistes de la Révolution Française et de Robespierre, qui ont adressé au Maire une formidable tribune,
la Société des Études Robespierristes et son Président l'historien Michel Biard, qui a soutenu notre pétition,
tous les militants robespierristes de France et d'Europe qui ont signé la pétition" ,
On se demande si les cautions historiques de la pétition cautionnent aussi le récit singulièrement déformé et simpliste de l'insurrection de Marseille contre la Convention en 1793 (" Fréron veut se venger des marseillais, pour la plupart misérables, qui ne comprennent pas que la politique parisienne n'améliore pas plus rapidement leur sort. ...") et du rôle de Robespierre, chevalier blanc pour la défense de Marseille à la même époque.
Au moins les pétitionnaires ont trouvé et peut-être inventé un lien entre Robespierre et Marseille plus présentable que les vagues rapports épistolaires jusque là invoqués, puisque Robespiere aurait "sauvé" Marseille en 1793, rien de moins !
Avec de tels enseignants, l'histoire de la révolution est sauvée !
Une leçon à méditer sur la force des minorités agissantes, pour la compréhension du passé et pour le futur.
Le professeur Vovelle est revenu à Marseille dire en janvier 2015 que "Robespierre était l'âme du peuple", dans un colloque où une sénatrice honoraire communiste et un historien acquis à l'Incorruptible lui donnaient la réplique (mais non la contradiction). Dans ce colloque, plus que jamais, l'idéal robespierriste et l'idéal de gauche se trouvaient confondus (au moins les dents de notre professeur de khâgne de droite ont dû grincer)
En avril 2015, on annonçait à Marseille un spectacle de rue, Batman Vs Robespierre (Vs, à l'américaine, versus, c'est-à-dire Batman contre Robespierre ).
Tiens, place Batman, une idée peut-être ?
DOCUMENT 1: LA CORRESPONDANCE ENTRE MARSEILLE ET ROBESPIERRE
Extrait du site Revolution française
http://revolution-francaise.net/2006/06/26/50-robespierre-defenseur-de-marseille-en-1791
Nous ne pensons pas que le site Révolution française.net et M. Jacques Guilhaumou nous reprocheront de citer ici, in extenso, les archives relatives à la correspondance entre Robespierre et les autorités municipales de Marseille en 1791, publiées sur le site en juin 2006.
Cet échange ne permet pas vraiment de comprendre quels sont les enjeux de la correspondance, qui est rédigée dans un style plutôt poli qui est encore celui de l'ancien régime. On ne voit pas bien contre quelles calomnies se défendait la ville de Marseille et demandait à Robespierre de la défendre. L'auteur de la communication fait d'ailleurs allusion au débat sur la place Robespierre qui avait été lancé au conseil municipal de Marseille dès 1999.
Pour lui, la correspondance montre que Marseille et Robespierre étaient très proches...on peut se poser des questions en lisant ces courriers filandreux et amphigouriques. A chacun de se faire une idée...
Reproduction de l'article :
Lorsque les députés de Marseille précisent, dans une lettre à la Municipalité du 18 mars 1791, que « le patriotisme des Marseillais et leur noble dévouement n’ont jamais été méconnus dans l’assemblée nationale, et leurs concitoyens membres de cette assemblée n’ont laissé aucune occasion pour montrer quels étaient leurs principes », ils espèrent que « leur conduite sera un jour mieux appréciée ». A vrai dire, la Municipalité de Marseille, fort circonspecte sur leur action, préfère s’adresser à M. Robespierre, le 18 avril 1791, dans les termes suivants : « Vous avez déjà donné, Monsieur, à l’Assemblée patriotique de Marseille, des preuves d’un honorable attachement. La ville entière dont nous sommes les organes vous invite aujourd’hui à prendre sa défense. Sa cause est digne de vous, c’est celle du patriotisme luttant contre la calomnie, et de l’honneur repoussant la tâche dont on voudrait le flétrir ». Débordé de travail, Robespierre ne répond pas immédiatement à la Municipalité, qui lui écrit de nouveau le 27 mai, alors qu’il vient de lui envoyer une lettre qui n’est pas encore arrivée à bon port.La Municipalité de Marseille précise une fois de plus son attachement à la personnalité de Robespierre : « Elle se repose avec confiance sur les sentiments qui vous animent. Elle ne sera point sans défenseur tant que vous serez dans le sein de l’Assemblée nationale pour y soutenir la cause de la justice et de la liberté ; mais daignez lui donner une marque de votre attachement ; elle n’a pas besoin d’assurance, mais elle désire posséder dans ses archives une de vos lettres, qui soit le contrat de votre amitié, et le monument le plus précieux de son patriotisme. ».
A la lettre « intermédiaire » de Robespierre du 24 mai s’ajoute alors une lettre plus tardive, du 27 juillet, en réponse au courrier de la Municipalité dont nous venons de donner un extrait.
Au regard d'une telle proximité, la place Robespierre, qui a fait l'objet d'un intéressant débat au Conseil Municipal le 31 mai 1999 , n'est donc pas usurpée.
1- A la Municipalité de Marseille, Paris, le 24 mai 1791 :
« Messieurs, Quand Marseille m’avait choisi pour son défenseur, quand je mettais ce titre au-dessus de tous les titres, pouvais-je prévoir qu’à mon insu, au moment où une indisposition causée par l’excès des travaux dont on nous accable me forçait depuis quelques jours à m’absenter de l’Assemblée, l’intéressante cause de Marseille, du département des Bouches-du-Rhône et de tous les patriotes français, serait présentée et jugée au même instant ! C’est cependant ce qui vient d’arriver….Magistrat vertueux d’un peuple digne de la liberté, une seule pensée me console et doit vous consoler aussi ; votre patriotisme, votre courage, votre vertu sont au-dessus de toutes les calomnies, au-dessus de tous les événements. Vous et moi, nous continuerons à veiller pour la liberté, pour la patrie, à les défendre de tout notre pouvoir dans ce temps de crise où leurs ennemis réunissent contre elles tous leurs efforts. Conservez-moi votre estime, votre amitié, votre confiance, enfin l’honneur de défendre la cause de la patrie en défendant la vôtre. Robespierre »
2-A Monsieur le Maire de Marseille, sans date, reçu à Marseille le 27 juillet 1791 :
« Je regrette amèrement de n’avoir pu vous exprimer plus tôt tous les sentiments d’estime, d’attachement et de reconnaissance que m’ont inspiré les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Ne doutez pas que je sois dévoué jusqu’à la mort à la cause de Marseille et à celle de la Constitution, à laquelle elle est liée. Au milieu des factions qui menacent la liberté, au sein des persécutions qu’éprouvent quelque fois ses défenseurs, il est doux de penser qu’il est des lieux, où la vertu et les lumières des bons citoyens lui assurent un triomphe immortel sur ses perfides ennemis. Je voudrai qu’il me fût permis de remettre actuellement sous vos yeux le tableau de la situation des affaires publiques, mais je dois vous prévenir qu’il existe aujourd’hui un système d’intrigues, de calomnies, dont le but est de tromper l’opinion publique par les récits les plus infidèles et quelque fois les plus imposants sur les événements les plus décisifs pour le succès de la révolution, et sur la nature des dangers et des ennemis qui la menacent. Beaucoup de citoyens paraissent croire que l’exactitude de la poste n’est pas toujours scrupuleuse, lorsqu’il est question de la correspondance des corps ou des individus connus par leur patriotisme. Je suis avec un attachement fraternel. Robespierre. »
La Municipalité de Marseille lui répond le 1er août, en précisant que « nous avons lu votre lettre avec ce sentiment que vous savez si bien inspiré à tous les hommes qui se font gloire d’être dévoués aux vrais intérêts de la patrie ». Et elle ajoute : « Il est sans doute impossible de rien ajouter au patriotisme qui vous anime et au courage que vous avez montré dans les circonstances les plus difficiles, mais la patrie vous demande encore une chose, c’est de démasquer les traîtres qui peuvent vous être connus, et qui, couverts du voile de la liberté qu’ils affectent de protéger, sont les seuls à craindre pour la constitution de la France ». Robespierre répond par retour de courrier.
3-A la Municipalité de Marseille, Paris, le 10 août 1791 :
« J’ai reconnu dans votre dernière lettre tout le patriotisme généreux, l’attachement inaltérable aux principes de la Constitution et à la liberté qui vous a mérité la reconnaissance de tous les Français, et qui vous assure pour jamais les sentiments profonds d’estime et de fraternité que je vous ai voüé. Je ne connais aucune manière de les exprimer qui soit digne de vous que l’hommage d’un écrit que je consacre à la patrie et à la liberté, que je recommande à tous les amis de l’une et de l’autre. Robespierre »
Je reprends la parole pour noter que lorsque Robespierre écrit, en 1791, que la cause de Marseille et celle de la "constitution" sont liées et qu'il les défendra toutes deux, la constitution en vigueur est la constitution monarchique de 1791, que Robespierre et ses amis feront tout pour abattre.
DOCUMENT 2: EXTRAIT DE L'ARRETE du 17 NIVÔSE AN II (6 janvier 1794)
Contexte
Les Conventionnels en mission Fréron, Saliceti, Barras et Jean-François Ricord (à ne pas confondre avec Alexandre Ricord, journaliste marseillais et membre important du club des Jacobins de Marseille, lui aussi présent lors de la reprise de Toulon) accompagnent les troupes du général Dugommier qui ont repris Toulon, le 19 décembre 1793,
Toulon s'était livrée aux Anglais et à leurs alliés en août 1793 et avait reconnu comme roi Louis XVII (le fils prisonnier de Louis XVI).
Avant l'entrée des troupes de la Convention, environ 15 000 Toulonnais se réfugient sur les navires britanniques et sont débarqués à La Valette (Malte) ou en Corse (qui s'est également soulevée contre la Convention et a formé un gouvernement autonome dirigé par Pascal Paoli) ou amenés en Angleterre.
Dans une ville réduite à 7 000 habitants, la répression, dirigée par les Conventionnels en mission, commence. 7 à 800 personnes, arrêtées sur les indications des prisonniers républicains libérés, sont fusillées sommairement, sur le champ de Mars, jusqu'au 31 décembre. Par la suite, la commission révolutionnaire prononce 290 autres condamnations à mort.
Le 24 décembre 1793, la Convention vote décret disposant que : " Le nom infâme de Toulon est supprimé. Cette commune portera désormais le nom de Port-la-Montagne."
Fréron et Barras ont remplacé comme représentants de la Convention dans le Sud-Est les députés Albitte et Escudier (tandis que Saliceti et Ricord qui faisaient déjà partie de la précédente équipe, restent en place).
Ils décident également de punir plus durement Marseille, qui avait été reprise par les troupes de la Convention le 25 août 1793 (les débris de l'armée "fédéraliste" marseillaise s'étaient d'ailleurs réfugiés à Toulon au moment où Toulon se livrait aux forces anglaises, espagnoles et napolitaines). La répression mise en place par leurs prédécesseurs (Albitte et Escudier) leur paraissait encore trop indulgente malgré les condamnations à mort des responsables fédéralistes qui n'ont pas eu le temps de fuir ou ont été rattrapés.
Les Conventionnels nomment à la place du tribunal révolutionnaire, trop lent et trop peu efficace, une commission militaire dite commission Brutus (en raison du surnom de son président) pour juger expéditivement les suspects.
Cette commission enverra à la guillotine les plus grands négociants marseillais et une foule de gens de tous milieux y compris de milieux populaires.
Les Conventionnels en mission feront abattre un grand nombre d'édifices qui ont servi de lieux de réunion aux adversaires de la Convention (dont le cloître Saint-Victor) et même si ce n'était peut-être pas un projet sérieux, parleront de combler le Vieux-Port avec la colline de Notre-Dame de la Garde pour ruiner définitivement le commerce de Marseille; enfin ils parleront de "déporter" l'ensemble de la population pour la remplacer par des Français du Nord, "bons révolutionnaires"...
Une de leurs mesures symboliques est de débaptiser Marseille par l'arrêté du 17 nivôse an II dont voici un extrait (orthographe modernisée):
LIBERTE, EGALITE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Les représentants du peuple près les armées et les départements du Midi
Considérant que la commune de Marseille a la première sonné le tocsin de la rébellion dans le Midi...
Considérant que cette commune a attenté à la souveraineté nationale en arrêtant des députés envoyés dans les départements Méridionaux par la Convention; que ses nombreux bataillons ont marché, enseignes déployées, contre les armées nationales, leur ont livré des batailles, ont assiégé, pris et saccagé des villes qui étaient restées fidèles à la République.
(...)
Considérant que par l'examen des papiers trouvés dans les greffes [les bureaux] de l'infâme Toulon, on voit que Marseille et Toulon n'avaient qu'un même esprit, qu'une même pensée, qu'une même intention, un même but ; que des commissaires communs ont été envoyés aux flottes ennemies; que l'arrivée seule des soldats de la République dans les murs de Marseille a empêché les Anglais d'entrer dans ses ports ; que cette intimité, cette coalition est démontrée par la stupeur dans laquelle la réduction [la prise] de sa fidèle alliée l'a plongée et la retient au milieu des chants d'allégresse qui retentissent dans toutes les communes des départements environnants;
ARRETENT :
1° Le nom de Marseille que porte encore cette commune criminelle sera changé. La Convention nationale sera invitée de lui en donner un autre. Provisoirement, elle reste sans nom et portera cette dénomination
2° Les repaires où se tenaient les assemblées des sections et du Comité général, seront rasés, et un poteau qui rappellera leur révolte, sera dressé sur le terrain qu'ils occupaient;
(...)
5°:Le commandant militaire de la commune de Sans-Nom est chargé, sous sa responsabilité, de l’exécution du présent arrêté.
Fait au Port de la Montagne [Toulon] le 17 nivôse, l'an II de la République,
signé : FRERON, PAUL BARRAS, SALICETI [orthographié SALLICETY], RICORD
Suit l'ordre du général de division Lapoype, commandant militaire de la place de Sans Nom, en état de siège, d'exécuter l'arrêté et de le faire publier, afficher et proclamer dans la commune de Sans Nom, sur son territoire [le terroir marseillais] et dans les départements méridionaux.
LA TERREUR : QUESTION DE CHIFFRES
La même dévotion aux idéaux révolutionnaires que chez beaucoup d'enseignants et historiens français, anime l’illustre professeur anglais Eric J. Hobsbawm, historien de tendance marxiste, décédé à 95 ans en 2012 (ici on a affaire à un historien d'une autre envergure que nos pétitionnaires).
Dans son livre classique, L' Ere des révolutions (1961, éd. française 1962, 1969, réédition Hachette Pluriel, 2011), Eric Hobsbawm dit que selon "l'opinion unanime", la révolution française (dont la phase jacobine est pour lui le moment essentiel) ne peut être jugée d'après les "critères de l'humanité ordinaire".
D'ailleurs on a beaucoup exagéré les pertes humaines de la Terreur, dit-il, qui sont "relativement modérées" par rapport à d'autres périodes historiques :17 000 "exécutions officielles en quatorze mois" (il se retranche derrière le chiffre fourni en 1935 par un historien américain, D. Greer).
Or ce chiffre est certainement celui des condamnations à mort après jugement ("exécutions officielles"), et ne tient pas compte des lynchages, des exécutions massives par fusillade ou noyade (Lyon, Toulon, Nantes), des morts en prison dans des conditions de captivité épouvantables (à Nantes notamment) et surtout des victimes de la Vendée (au combat - ce qui peut encore se justifier, mais surtout dans les massacres).
Ainsi dans un livre d'audience internationale, un professeur réputé escamote littéralement l'essentiel des victimes de la Terreur sans que sa réputation en souffre.
Il est évidemment difficile de donner un chiffre des victimes de la Terreur au-delà des exécutions "officielles" mais 100 000 victimes est un chiffre souvent donné, qui comprend les victimes des massacres en Vendée (ce dernier chiffre étant contesté et on trouve des estimations jusqu'à 400 000 victimes).
Mais ce tour de passe-passe est insuffisant. Eric Hobsbawm en appelle à l'opinion commune : les mesures prises par le gouvernement révolutionnaire peuvent heurter les âmes sensibles, dit-il, ou à peu près, mais "le bon Français moyen" de l'époque ne les voyait pas comme quelque chose "d'apocalyptique ou de pathologique" (comme les voient les ennemis de la Terreur) mais comme "la seule façon efficace de protéger le pays": "C'est ce que fit la république des Jacobins et son oeuvre fut surhumaine".
Et tout de suite après, pour justifier ces mesures "surhumaines", Hobsbawm nous dit qu'en juin 1793, 60 des 80 départements français étaient en insurrection contre la Convention.
Il manque donc un qualificatif à son témoin imaginaire, le "bon Français moyen" : c'est en fait le "bon Français moyen jacobin" qui trouvait nécessaires les mesures de la Convention, puisque les autres "bons Français moyens" si on en croit Hobsbawm, et même la majorité d'entre eux (60 départements sur 80), étaient "de l'autre côté".
Alors pourquoi privilégier le point de vue jacobin en le faisant passer pour le point de vue objectif et non politisé qu'il faut avoir sur l'époque ?
Pourquoi l'opinion des citoyens soulevés contre la république jacobine serait-elle moins valable ?
Que penserait-on de l'historien qui travaillant sur d'autres périodes historiques, prendrait le point de vue des seuls partisans d'un régime totalitaire ou de terreur pour juger du bien-fondé des mesures de ce régime ?
Ce parti-pris révolutionnaire à la fois naïf et manipulateur (naïf dans le fond de la pensée, manipulateur dans la présentation) se retrouve même dans des sujets a priori plus éloignés de la politique révolutionnaire dans son contexte d'époque, mais dans la trace de la révolution dans la "longue durée", pour être un peu braudélien.
Dans son livre traduit sous le titre Aux armes, historiens (2007, La Découverte), Eric Hobsbawm s’indigne contre ces historiens récents qui prétendent que la révolution n’a servi à rien, qu’on serait parvenu au même résultat sans elle (surtout si ce résultat est la société de marché démocratique et libérale !).
Il critique également ceux qui voudraient distinguer dans la révolution des périodes louables et d'autres qui le sont moins (la Terreur par exemple- mais il ne la cite pas explicitement) :
" Face à une crise sans pareille, peut-on faire le difficile, isoler les périodes dignes d'éloges de celles qui ne sont pas ? " dit-il . La formule mérite qu'on s'y arrête.
En effet le début de la phrase parle de crise, donc de moment historique (que l'historien doit raconter, puis expliquer), alors que la suite de la phrase parle de choisir, donc en quelque sorte de préférences politiques. La phrase, de façon caractéristique confond le travail de l'historien (expliquer les crises) et ses préférences politiques (choisir un moment plus qu'un autre parce que ce moment serait conforme à sa préférence d'individu). Sans compter que ceux qui choissent "font les difficiles" (petites natures qui reculent devant la Terreur).
On pourrait s'attarder longtemps sur cette phrase ambigüe, parmi tant d'autres du même genre.
Mais il est vrai que M. Hobsbawm ajoute, que "le point de départ de l'histoire du XIXème siècle [il reprend une formule de l'historien Holland Rose, mais pour Hobsbawn il faut comprendre "de toute l'histoire qui suit" et pas seulement du XIXème siècle, comme le montre clairement le reste de la démonstration de l'auteur], ne se situe pas dans telle ou telle séquence entre 1789 et 1815, mais dans toutes à la fois", revenant ainsi à une interprétation historique (de compréhension des événements) et non politique (c'est-à-dire de préférence individuelle), même si probablement ce n'est pas ce que M. Hobsbawm a en tête : il n'aurait probablement pas été d'accord pour estimer que la période jacobine n'était pas plus - ou pas moins - importante "historiquement" que la tentative napoléonienne de réconcilier l'Ancien régime et la révolution...
Sa définition de la révolution comme une séquence allant de 1789 à 1815 (donc incluant l'empire napoléonien) nous fait penser à une phrase qui prétend donner le sens de toute la période (et donc de l'histoire qui a suivi, dans le même esprit que Hobsbawm) . Nous ne savons pas ce que M. Hobsbawn aurait pensé de cette phrase, qui est de Nietzsche :
"La seule justification de la révolution française est d'avoir donné naissance à Napoléon, la seule objection qu'on puisse faire à Napoléon est d'avoir donné naissance au nationalisme"
Il n'aurait sans doute pas été d'accord...
Dans tous les cas, pour M. Hobsbawm, la révolution a été un moment capital de l’histoire (ce n’est pas un débat que nous allons tenir ici), et continue d’inspirer les peuples : la preuve, le nombre de drapeaux inspirés du drapeau français et écrit-il, tout récemment (en 1991) le drapeau de la fédération de Russie.
QUAND ON CONFOND LE DRAPEAU TRICOLORE FRANCAIS ET LE DRAPEAU DES PAYS-BAS
M. Hobsbawm est bien pardonnable de ne pas être spécialiste en étude des drapeaux (vexillologie) : le drapeau choisi par la fédération de Russie avec les trois bandes horizontales blanche, bleue et rouge, est l’ancien drapeau de la Russie des tsars (avec des éclipses) et ne doit rien au drapeau français révolutionnaire bien sûr (qui n'a pas immédiatement adopté la disposition en trois bandes verticales), mais beaucoup au drapeau des Pays-Bas.
En effet le tsar Pierre le Grand, désireux de moderniser la Russie, visita vers 1700 les pays européens les plus avancés, dont les Pays-Bas (ou Provinces-Unies à l’époque) et adopta pour la marine marchande russe un drapeau conçu par l'ingénieur nautique néerlandais David Butler et inspiré du drapeau des Pays-Bas, en modifiant l'ordre des couleurs et en changeant l'orange caractéristique de la maison d'Orange pour le rouge ( le drapeau des Provinces-Unies était à l'époque formé de trois bandes horizontales orange, blanche et bleue, puis l'orange fut remplacé par le rouge en 1795 lors de la formation de la république batave, république soeur de la république française - ce qui nous ramène aux événements post-révolutionnaires qui modifièrent la géopolitique de l'Europe).
Quant à dire qu'il suffit d'un drapeau inspiré du modèle français pour prétendre s'inspirer aussi de la révolution française, cela semble un peu court, mais ce n'est pas notre débat...
Notre professeur marseillais admirateur de Robespierre et le professeur anglais Hobsbawm (celui-ci connu internationalement) ont certainement peu en commun: le premier est un républicain de droite, le second un intellectuel marxiste et communiste (lors de ses obsèques, sur la demande qu'il avait exprimée, on joua Mozart - qui lui n'était pas spécialemnt révolutionnaire - et l'Internationale) mais tous deux représentent l'attitude fréquente des nostalgiques de la révolution ; quasiment sans s'en rendre compte, ils déforment la vérité pour la faire coller à leurs idéaux.
Tableau de Reinier Nooms, "Avant la bataille des Dunes" (vers 1639). ce tableau représente des navires de guerre des Provinces-Unies (Pays-Bas) dont l'Amelia, navire amiral de Maarten Tromp, avec le pavillon aux trois couleurs horizontales qui a inspiré le pavillon marchand russe puis le drapeau actuel de la Fédération de Russie, qui n'a rien à voir avec le drapeau français comme le croyait l'illustre historien Eric Hobsbawm.
(Wikipedia)
[ Si vous êtes intéressé, vous pouvez lire mes autres messages sur la période révolutionnaire à Marseille. En une une dizaine de messages, je me suis efforcé de couvrir l'ensemble de la période de 1789 à la Restauration, la compréhension des événements étant plus claire sur la longue durée. Dans le dernier message, de réflexion, j'essaye de tirer les conclusions sur la façon de regarder cette période dramatique.
Vous ne serez peut-être pas d'accord avec ma vision des choses, mais je ne pense pas que vous trouverez des inexactitudes ! ]