Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le comte Lanza vous salue bien
28 septembre 2013

NATION ET IDENTITE NATIONALE

 NATION ET IDENTITE NATIONALE :

A LA RECHERCHE DE L'IDENTITE NATIONALE

 

 

 

Un journaliste à Simenon : - Pourquoi n'avez-vous jamais pris la nationalité française ou américaine ?

Simenon : - Vous êtes fou ? Tout le monde n'a pas la chance de  naître Monégasque ou Liechtensteinois. Alors, Belge, c'est quand même un pis-aller.                                                                                                                              

 

 

 " Plus [la] patrie devient grande et moins on l'aime, car l'amour partagé s'affaiblit. Il est impossible d'aimer tendrement une famille trop  nombreuse qu'on connaît à peine"

Voltaire Dictionnnaire philosophique, article Patrie

 

 

 

 Argument :

Pour le lecteur pressé, l'argument de cet article est le suivant :

L'appartenance des individus à un ensemble national correspond à une tendance de l'esprit humain, car il y a des satisfactions à cette appartenance. Toutefois certaines appartenances aboutissent à l'inverse du résultat et du bénéfice escompté. C'est notamment le cas quand l'ensemble national est trop grand ou qu'il prétend être essentiellement fondé sur des principes politiques universels, ou les deux à la fois.

S'il y a des nations heureuses, au sens où le bénéfice de l'appartenance l'emporte sur les inconvénients, ce sont les petites nations.

 

 

 

 

Rien n’est plus compliqué que de définir clairement l’identité nationale.

L’idée qu’il existe une « identité nationale » n’est même pas partagée par tous ceux qui, pourtant, admettent l’idée plus objective de nation, elle-même difficile à saisir. Mais l’idée de nation sous-entend qu’il existe une identité commune à l’ensemble d’une population, qui justement la fait reconnaître comme nation.

Nous allons essayer de passer en revue les conceptions du sentiment d’appartenance nationale sans tomber dans le franco-centrisme, mais sans l’éviter non plus, car la conception de l’identité ou du sentiment national français, telle qu’elle est présentée par ceux qui y adhèrent,   permet de définir, par opposition d’autres conceptions.

D’après les idées convenues, au moins deux conceptions de l’identité nationale (ou de la nationalité car en fait, sous certains aspects, il peut s’agir de notions parentes) s’opposeraient : une conception qui fonde l’identité nationale sur la culture, souvent  attribuée à l’Allemagne, et une conception qui la fonde sur des critères strictement politiques, comme la participation à un projet politique commun, souvent associée à la France.

Ceux qui se réfèrent à la définition de la nationalité comme participation à un projet politique (la république par exemple en France) considèrent souvent comme inutile de parler d’identité nationale dans le sens où cette notion renverrait, justement, à une autre réalité que la participation à un projet politique .

Ainsi la recherche d’une réalité qu’on peut appeler sociologique (existe-t-il vraiment quelque chose qu’on peut appeler l’identité nationale ?) se trouve-t-il biaisé par des considérations idéologiques : on ne sait plus vraiment si la description de l’identité nationale ou ce qui en tient lieu est une description objective de l’existant (c’est comme ça que ça se passe) ou si c’est une définition normative destinée à imposer une vision politique particulière (c’est comme ça que ça doit se passer).

Tenir pour argent comptant la définition normative, c’est aussi ne pas tenir compte de la réalité qui peut être nuancée : même là où il est admis de définir l’identité comme participation à un projet politique, d’autres définitions peuvent co-exister. Elles sont seulement niées ou minorées, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne correspondent pas à une réalité[1].

 

 

                                                                                 [1] On doit garder présent à l’esprit que les deux visions de la Nation, présentées comme antagonistes, peuvent aussi être considérées comme de pures constructions de l’esprit qui n’ont pas de valeur objective. Selon Raphaël Cahen et Thomas Landwehrlen, Retour sur quelques conceptions savantes de la nation ( Communication présentée lors de la journée d'étude « 'Peuple' et 'Volk' : réalité de fait, postulat juridique », organisée à l'Université de Paris X-Nanterre le 10 décembre 2005, articles sur le site Sens Public : « les historiens, sociologues et anthropologues dits « modernistes » « développent depuis trois décennies des théories anti-objectivistes destinées à remettre en cause le primordialisme a-scientifique des discours du 19e siècle, en présentant notamment la nation comme une communauté imaginée et imaginaire dont l’identité est nécessairement définie de manière contingente. Leurs écrits, qui considèrent les nations comme des constructions politiques artificielles promues et légitimées par les États, sont actuellement les seules à être acceptées dans les sciences humaines en matière de réflexion sur le fait national. Les autres, et notamment les productions idéologico-politiques du 19e siècle, sont renvoyées dans la sphère de l’histoire des idées ». Selon ces auteurs, aussi bien la théorie française de la nation que la théorie dite allemande, sont des constructions idéologiques et non des descriptions de faits objectifs. A vrai dire on s’en doutait un peu, les conceptions politiques étant rarement descriptibles à l’instar de phénomènes physiques, ou n’étant descriptibles que comme des idéologies et non des faits.

 

 

Le cas français : un peuple sans identité mais rassemblé par des valeurs communes ?

 

Ceux qui en France nient qu’il existe une identité nationale, sont d’accord, généralement, pour dire qu’il existe des valeurs partagées par les Français[2], qui se résument le plus souvent dans les termes de la devise nationale (auxquels on ajoutera la laïcité).

 

                                                                                                        [2]  Même pour une conception relativement simple, les difficultés peuvent exister : les valeurs ainsi affichées sont celles de l’Etat français ou de la République et admises comme telles par ceux qui s’expriment en son nom et par les normes constitutionnelles et législatives en vigueur (là encore, en faisant souvent l’impasse sur leur contenu réel). Est-il légitime de dire que ce sont les « valeurs des Français » ?  L’affirmation postule l’identité « rassurante » mais problématique entre valeurs de l’Etat et valeurs de la population ou de l’ensemble de la population, identité fondée sur le postulat, admissible mais non sans faille, que les valeurs dominantes, en démocratie, sont acceptées par l’ensemble de la population. Cette conception des valeurs de l’Etat est d’ordre normatif  (si vous n’avez pas ces valeurs, alors vous n’êtes pas vraiment Français). Il est facile de voir qu’un « Français » peut accepter les valeurs démocratiques en leur donnant le sens, ou à peu près, que leur donneraient un Néerlandais ou un Luxembourgeois (ce qui ne veut pas dire pour autant que les règles constitutionnelles françaises sont identiques à celles des Pays-Bas, du Luxembourg ou de n’importe quelle autre démocratie). Alors où se trouve son identité spécifiquement française?  

 

Mais ils distinguent ces valeurs d’une identité nationale qui d’ailleurs pour eux, là où elle existe, est suspecte.

L’identité nationale serait ce qui distingue un peuple d’un autre, une psychologie ou personnalité collective, une culture, réservée à un nombre restreint de personnes, exclusive et particulière, alors que les valeurs, en tous cas celles de la France, sont par définition, universelles et rassembleuses.

Ce raisonnement est présent en France depuis longtemps, dans le cadre de la théorie de la nationalité : depuis que les théoriciens se sont mis à expliquer que la France post-révolutionnaire avait une conception de la nationalité fondée sur l’adhésion à des valeurs communes alors que d’autres pays ont une conception de la nationalité fondée sur la culture, par exemple l’Allemagne[3].

 

                                                                                       [3] Dans cette conception, on ne pouvait pas parler de nationalité avant la Révolution, et Racine, La Fontaine ou Mme de Sévigné, ne représenteraient rien pour l’identité nationale française actuelle, puisqu’elle est fondée sur des valeurs politiques qui n’existaient pas à l’époque.

 

Cette théorie est invoquée fréquemment pour opposer le droit du sol au droit du sang dans les façons d’acquérir la nationalité française, avec beaucoup d’approximations logiques.

Mais la théorie a réellement acquis le poids d’une quasi « vérité officielle » en raison de la situation particulière de la France comme terre d’immigration, situation qui s’est accentuée depuis quelques décennies, bien qu’il soit devenu courant de dire qu’elle a « toujours » caractérisé la France[4]. Ceux qui veulent éviter de parler d’identité nationale de la France sont ceux qui pensent que cette identité pourrait servir à opposer les « anciens habitants » aux nouveaux.

 

                                                                                                            [4] Il est même devenu courant de dire que la France est un peuple d’immigrés et que la seule différence serait « la date d’arrivée ».

 

 Aussi quelque soit la définition de l’identité nationale qui pourrait être proposée, ils préfèrent dire que la France n’a pas d’autre identité que ses valeurs universelles.

En effet,  l’identité conçue comme culture serait multiple en France, ou plurielle, ou diverse. Non pas tant, selon les représentants de l’opinion dominante,  parce qu’il existe en France des bretons et des alsaciens (cette remarque semblerait presque archéologique et renvoyant à un passé disparu) mais parce que la France, « peuple d’immigrés », serait composée de populations de cultures différentes.

Certaines populations que personne en France ne se risquera à appeler « allochtones »[5] sont caractérisées par des usages – souvent de nature religieuse ou d’apparence religieuse - différents des usages des populations présentes sur le même territoire depuis plus longtemps, mais également différents entre les divers groupes installés récemment (en gros au XXème siècle et surtout dans sa seconde moitié) ou qui continuent à s’installer, constat qui n’exclut pas des modes de vie uniformisés ou tendant à l’être dans certains domaines .

 

                                                                                                                   [5]  Le terme allochtone est utilisé aux Pays-Bas (allochtoon) et en Belgique (au départ en néerlandais, mais de plus en plus également en français) pour désigner des personnes ou des groupes de personnes d'origine étrangère sur deux générations ou plus. Il peut recouvrir différentes définitions, y compris légales (Wikipedia).

En Belgique, un décret du gouvernement flamand définit comme allochtones : les personnes qui résident légalement en Belgique, qu'elles aient la nationalité belge ou non, et qui remplissent simultanément les conditions suivantes :

a) au moins un de leurs parents ou de leurs grands-parents n'est pas né en Belgique;

b) elles se trouvent dans une position défavorisée en raison de leur origine ethnique ou de leur situation socio-économique précaire.

Certains condamnent l'usage de ce terme, qui seait discriminant.

 

 

Il est donc important de dire que ces usages culturels différents sont en quelque sorte privés, et que le peuple français ne se définit pas par de tels usages, mais par des valeurs politiques.

Une définition culturelle minimale resterait possible. Nous examinerons plus tard sa pertinence.

L’opinion, répandue surtout à gauche, récuse donc l’idée d’identité nationale pour la France, au profit de celle d’un peuple partageant des valeurs communes. Au mieux, et sans se perdre en discussions byzantines, on dira que l’identité nationale française repose ou consiste en des valeurs communes.

La description de l’identité nationale sous la forme de l’adhésion à des valeurs pourrait aussi caractériser les USA. Il semble difficile d’ailleurs de ne pas faire entrer dans la description au moins un facteur non directement politique, qui est l’utilisation de la langue française.

Cette définition par les valeurs communes a quand même un inconvénient : que faire des français qui soit ne partagent pas les valeurs communes, soit ne partagent pas la façon naïve de les concevoir ? Par exemple, on peut être démocrate, ne serait-ce que parce que les autres régimes sont pires, et ne pas faire résider son sentiment national dans l’amour de la démocratie, mais dans l’amour de la culture basque.

Ainsi que le disait déjà Burke aux révolutionnaires français pourtant modérés de 1790 : « Si vous considérez que vous avez établi une nouvelle définition des Français et que sont Français ceux qui adoptent vos idées et non ceux qui habitent votre territoire, que ferez-vous de ceux qui ne les acceptent pas ? admettrez-vous qu’ils constituent un Etat à part ? « 

Personne n’a jamais répondu à cette objection. La réponse de facilité est de considérer qu’il s’agit de cas marginaux qui ne préjudicient pas à la quasi unanimité de l’ensemble…

Néanmoins, même sans s’appesantir sur ce point, les valeurs d’un pays étant souvent partagées par d’autres dans le monde (c’est le propre des valeurs universelles) on voit mal comment elles pourraient définir une identité propre aux Français, sans illogisme. Aussi cette conception est en concurrence ou en rapport d’hybridation avec une autre, qui recherche l’identité nationale dans l’histoire.

 

 

 

Une conception alternative ou complémentaire  : l’identité nationale comme résultat de l’Histoire

 

 

Dans cette conception, on ne mettra pas l’accent sur l’appartenance à une culture commune (peut-être parce qu’on sent qu’il n’y a pas de culture commune) mais sur une histoire commune (ce qu’on appelle « le roman national »)[6] supposée créer le sentiment d’appartenance à la Nation. « Avoir fait de grandes choses ensemble, être prêt à en faire de nouvelles », c’est ainsi que s’exprime E. Renan dans sa célèbre conférence Qu’est-ce qu’une nation [7].

 

                                                                                                                      [6] Cette expression aurait été inventée par l’historien Pierre Nora. Le « roman national » a ses nostalgiques qui déplorent (soi-disant) qu’on apprenne maintenant l’histoire mondiale à l’école plus que « l’histoire de France » ( l’histoire de la France semble introduire une nuance moins déférente ou conformiste). Or, le « roman national » est forcément simplificateur et même, pourrait-on dire sans polémique, falsificateur : ainsi les jeunes Alsaciens devraient apprendre que Jeanne d’Arc a combattu les Anglais au nom du sentiment national français, sans se douter, si personne ne leur apprend par ailleurs, qu’à la même époque, l’Alsace était assez indifférente à ces événements, sauf à titre de politique étrangère qui pouvait influer ou non sur ses intérêts propres de membre (à des titres divers : seigneuries,villes-états, etc) du très peu contraignant Empire germanique (empire confédéral).

L’Alsace n’apparaitra (si on en parle) dans le « roman national » que lorsqu’elle est absorbée par la France ; au passage, aucune réserve ne sera apportée sur les conditions de cette absorption. La réalité actuelle « sacralisée » entraîne une relecture du passé qui doit conduire harmonieusement à ce qui existe.

Des éléments importants de l’histoire des lieux et des hommes qui les habitent, sont effacés au profit d’une mémoire artificielle.

 

                                                                               [7] Il est caractéristique que la conférence choisisse des exemples comme celui-ci : « Qu’est ce qui fait que la Hollande est une nation, et le Hanovre et le Grand Duché de Parme n’en sont pas ? ».

Or, à la date de la conférence, ces deux derniers états avaient disparu, ce qui permettait de conclure facilement qu’ils n’étaient pas fondés sur des bases solides. Renan aurait pu réfléchir au cas d’autres états allemands, mais il ne savait sans doute pas comment interpréter leur situation. Comment classer la Bavière ou le Wurtemberg, qui, au moment où il écrivait, étaient des états fédérés de l’empire allemand, ayant toujours à leur tête leur roi et conservant leurs institutions propres, parfois même leur armée distincte de celle du Reich ?

Il écrit aussi :: « Comment la Suisse, qui a trois langues, deux religions, trois ou quatre races [sic], est-elle une nation, quand la Toscane, par exemple, qui est si homogène, n'en est pas une ? ». Question rhétorique à laquelle il n’est pas apporté de réponse convaincante d’autant que le lien fédéral des cantons suisses est complètement ignoré car il n’entre pas dans sa vision des choses (un pays fédéral est-il une seule nation, ou une réunion de nations ?).

Renan aurait pu se demander également si la Pologne et l’Irlande (pays qui n’existaient plus comme Etats autonomes à la date de sa conférence, mais qui devaient ressurgir plus tard et où existaient des mouvements nationalistes parfois virulents) étaient des nations, mais il préférait ne pas se risquer sur des terrains glissants. 

 

Comme l’histoire commune (« grands hommes, grands événements ») ne serait peut-être pas suffisante pour justifier un sentiment d’appartenance, on peut y ajouter l’identification à des valeurs, toujours présentées comme des «  valeurs qui nous dépassent » et auxquelles il conviendrait de se consacrer voire si besoin de se sacrifier (surtout en paroles, aujourd’hui). Ces valeurs sont souvent celles qui consistent …à défendre la Nation. Le serpent se mord ainsi la queue.

Ainsi conçu, le sentiment d’appartenance à la nation peut s’apparenter à une religion laïque, synonyme de sacrifice exaltant à un « être » mystique.

 

Mais cette conception de la Nation peut aussi se renforcer par l’appel aux valeurs dites universelles, bien qu’il y ait quelque chose de contradictoire à se réclamer à la fois de valeurs universelles et d’une nation particulière, sauf à déclarer que la Nation a comme vocation à représenter le mieux ces valeurs, un peu comme l’URSS d’autrefois était, par excellence, la patrie du communisme. De tels amalgames autorisent toutes les contradictions

.

Ainsi on arrive à la conciliation des valeurs universelles et d’une identité fondée sur l’histoire.

Certains milieux républicains en France se font une spécialité de cette conception hybride.

 

L’importance démesurée accordée à l’histoire récente dans les discours et les fictions ( la 2ème guerre mondiale notamment avec ses combats du bien et du mal) permet de renvoyer encore mieux dans l’oubli tout souvenir qui ne se fond pas dans le cadre du roman national.

 

Il est possible de renforcer cette conception de quelques traits culturels choisis. Certains évoqueront aussi la gastronomie, la culture au sens noble (écrivains, peintres etc). Mais il s’agit d’idées auxiliaires, pas vraiment du fondement principal de l’identité française  en tant que produit de l’histoire. Nous retrouverons plus loin la psychologie collective mais a priori celle-ci semble éloignée d’une conception de la nation fondée sur l’histoire.

Cette conception du sentiment national peut déboucher sur un véritable mysticisme patriotique, expression laïcisée du sentiment religieux (et à laquelle le sentiment religieux proprement dit peut participer).

 

 

 

 

Le sentiment national comme mysticisme

 

 

 

Dans une étude sur « le sentiment national français » caractéristique d’un type de réflexion historique daté (mais pas forcément obsolète pour certains) figurant dans un volume de l’encyclopédie de la Pléiade,  la France et les Français,  paru en 1970, l’auteur, l’historien Ch. Dupront (connu notamment pour son livre  Qu’est-ce que les lumières ) explique, si on peut employer ce mot, dans un étonnant discours d’intellectuel d’il y a quarante ans, alambiqué et obscur, le sentiment national français : il est présenté presque comme un mystère de nature religieuse, que deux hommes ont bien perçu.

L’auteur, sans s’apercevoir que ce qu’il dit mériterait de s’arrêter plus longuement et de s’interroger, signale que ces deux hommes sont, de façon prévisible dit-il , issus de l’Ile-de-France (car pour Dupront, la France est « un centre qui s’est inventé une périphérie »- il ne s’étonne donc pas que le sentiment national soit plus manifeste chez des hommes qui appartiennent « au centre »). Ce sont Michelet (pour qui la France se confondait avec le messianisme révolutionnaire) et Charles Péguy, qui assimilait la France à sa vocation chrétienne (mais sans la réduire à cela, visiblement !). De Péguy, Dupront écrit sans sourciller qu’il n’avait jamais de sa vie quitté « le Parisis » qu’il avait parcouru en tous sens.

Ainsi, pour un historien sérieux, l’homme qui représente le mieux le sentiment national français est un homme qui ne connaissait que la grande région parisienne de son temps. Ce n’est pas absurde, à condition d’en tirer des conséquences que Ch. Dupront s’abstient de tirer, tout à son amour du mystère national.

Ainsi les gens qui ont eu « la plus pure » (dans le style de Ch. Dupront) conception de l’identité française (à l’époque de son essai, il disait « sentiment national » plus qu’identité – mais il semble que ces notions soient équivalentes[8]) sont des gens qui en parlant de la France, pensaient à la Beauce où à Paris.

 

                                                                                                 [8]  L’identité pourrait être conçue comme passive, mais dans le discours dominant, l’identité est présentée comme acceptée, affirmée, donc le concept d’identité est proche du sentiment national.

 

 

On a envie de demander à M. Dupront qu’est-ce qui pourrait bien pousser les habitants de l’ensemble de la France à se reconnaître, plus ou moins, dans la conception d’hommes qui « n’avaient jamais quitté le Parisis » et lui-même, historien, a accepter cette conception comme représentant par excellence le sentiment national français sans en signaler l’illogisme?

Au demeurant, on comprend bien que ni Péguy ni Michelet ne réduisaient la France à l’amour de leur terre natale beauceronne ou de leur pavé natal parisien.

Pour eux, c’est bien la notion abstraite d’un pays forgé par l’histoire, ce qui est une forme d’abstraction par rapport à l’amour du pays natal, qui était primordiale. Et comme cette abstraction devait s’incarner, ils l’incarnaient dans ce pays natal qui était le leur, dont la nature ou la culture correspondait à ce qu’ils rêvaient être la France.

L’union des deux représentations, la représentation réaliste (mais bien fantasmée) de la « terre natale » (déjà en voie de devenir une abstraction) et la représentation abstraite de la France comme produit d’une histoire, aboutissent au sentiment national présenté comme un amour absolu, jusqu’au sacrifice, de la personne France (« la France est une personne »).

Tout ceci parait tellement peu naturel, tellement intellectualisé, malgré les apparences[9], qu’on à peine à penser qu’une telle conception a été présentée à une époque comme allant de soi, et devant convaincre (convaincre de quoi au fait ? de sa réalité ? de sa justesse ?) tous les citoyens sous peine d’être un traître ou peu s’en faut .

                                                                                                  [9] Les apparences sont celles d’un constat spontané et intuitif,  « irrationaliste ». A l’époque de Péguy, d’autres penseurs, peu éloignés de lui, définissaient l’identité nationale « la terre et les morts ».  

 

L’analyse, remplie d’obscurités, de Dupront est datée en cela qu’il met bien évidence que le sentiment national français a trouvé ses meilleurs représentants dans des hommes « du centre » (au sens de la région qui a dirigé la construction de la France) et qu’il s’arrête là, trouvant tout normal que cette conception soit devenue dominante, là où d’autres y verraient une bonne raison pour qu’elle soit refusée par les habitants, notamment des régions périphériques. Dans cette conception, un niçois ou un cévenol devaient se sentir français en adoptant eux aussi la conception de la France telle que pouvait l’avoir un enfant de la Beauce…

Tout au plus, l’auteur se borne à constater, à la fin de son essai, que l’évolution historique ( la construction européenne par exemple) fait que Français s’éloignent maintenant d’une conception aussi absolue de la nation et qu’il leur faut trouver d’autres façons de faire vivre le sentiment national.

 

 

 

Le sentiment national et sa dérive nationaliste

 

 

 

L’identité nationale comme produit de l’histoire peut déboucher sur le nationalisme et tel a été le cas au XIXème et au XXème siècles.

 

La conception de l’amour de la nation comme dévouement absolu à un idéal, jusqu’au sacrifice de soi, ne peut que conforter le nationalisme : celui qui veut se sacrifier recherche ou favorise les épreuves plus qu’il ne cherche à les éviter : c’est une banalité de constater que la guerre de 1914 a été provoquée par des événements que les diplomates d’une autre époque auraient pu contenir dans des limites raisonnables. Mais entre temps, une conception du sentiment national comme dévouement à la patrie jusqu’au sacrifice suprême avait fini par s’imposer (il n’est pas si facile de savoir pourquoi certaines conceptions apparaissent et s’imposent dans le paysage mental des pays). Toutes les personnes qui vivaient en 1914, en France, en Allemagne, en Russie, en Grande-Bretagne, ne partageaient peut-être pas cette conception sacrificielle de la Nation, mais celle-ci avait pris l’aspect d’une idéologie dominante. Dès lors, les adeptes du sacrifice ne pouvaient que pencher du côté qui leur permettrait de mettre leur vision du monde en action.

 

Dans le nationalisme, le sentiment d’appartenance à une nation s’exprime sur un mode agressif, qui considère les autres nations comme des ennemis et qui veut imposer la supériorité de sa nation sur les autres.

On trouve aujourd’hui cette conception dans des pays en proie à divers problèmes structurels, où le nationalisme (ici compris comme affirmation de la supériorité d’une nation sur les autres) est présenté comme la solution aux problèmes (ou plutôt ce qui permet de les oublier ou de les reléguer au second plan).

La Russie actuelle en serait un bon exemple. Cette conception correspond assez bien à la remarque d’Anatole France : « il est plus facile de mobiliser les hommes pour aller casser des carreaux chez quelqu’un que pour aller les remplacer ». Ce nationalisme a besoin d’ennemis, extérieurs ou intérieurs ; le racisme peut facilement se greffer sur cette conception et la renforcer. Ce nationalisme est compatible avec l’idée que les peuples qu’on déteste doivent rester soumis au peuple dominant dans un même ensemble national, par exemple les peules caucasiens  membres de la Fédération de Russie sont méprisés par les nationalistes russes mais ceux-ci veulent que ces peuples restent dans la fédération, parce que c’est la Russie proprement dite qui la dirige. .

Ce nationalisme est compatible avec une base identitaire culturelle dévoyée (les mœurs russes contre les mœurs caucasiennes).

 

A l’époque révolutionnaire ou en 1914, le sentiment national mystique représenté par Michelet ou Péguy, ont pris la forme du nationalisme de combat qui soit présente les ennemis soit comme des peuples qui croupissent dans l’obscurité et à qui on apporte la lumière, par la force au besoin, soit comme des barbares ennemis de la civilisation ou tout simplement des concurrents dans une lutte perpétuelle pour la survie des nations, où le vaincu est éliminé. Dans la conception qui dominait en 1914 et pas qu’en France, la lutte vitale était inséparable de l’idée de nation

 

 

 

L’identité des Etats-nations

 

 

 

 

La conception de l’identité nationale comme produit de l’histoire s’est développée dans les grands pays qui se sont construits en éliminant les identités politiques des régions incorporées dans des ensembles plus vastes, et non en les fédérant.

Un état-nation est un état qui coïncide avec une seule nation, par opposition aux empires multinationaux d’autrefois, c’est du moins l’opposition généralement admise.

Il est facile de voir que les états ainsi baptisés ne correspondent pas souvent à cette définition, où n’y correspondent qu’en prétendant que les divers peuples présents sur le territoire avant l’avénement de l’état-nation se sont plus ou moins harmonieusement fondus en une seule nation.

Ainsi l’Espagne est un état-nation, à condition de faire l’impasse sur l’existence des nations basques et catalanes pour ne citer que les identités les plus hostiles à l’assimilation à la nation espagnole (mais on pourrait évoquer la situation des identités galicienne, andalouse ou baléare, voire castillane, mais cette dernière étant celle qui a pris la tête de l’unification tend à se voir comme « espagnole » par excellence).

 

Parler d’identité nationale espagnole ou du sentiment d’appartenance nationale des espagnols n’est valable, pour l’Espagne comme pour tous les pays où existent des identités qu’on pourra appeler minoritaires (question d’étiquette : additionnées, ces identités ne sont pas forcément minoritaires), qu’en se plaçant « du point de vue espagnol » et en faisant abstraction des autres identités. On peut ici évoquer la phrase du nationaliste historique catalan Jordi Pujol, premier président de la Generalitat de Catalunya après le franquisme : « Nous faisons partie de l’Etat espagnol, mais nous ne faisons pas partie de la nation espagnole ».

 

612373-president-catalan-artur-mas

 Le Président indépendantiste de la Generalitat de Catalunya, Artur Mas, avait souhaité l'organisation d'un referendum sur l'indépendance de la Catalogne, jugé anti-constitutionnel par le gouvernement central espagnol.. Son successeur Carlos Puigdemont a organisé ce referendum, occasionnant une crise majeure.

lapresse.ca

 

[ NB ce sujet a été posté quand Artur Mas était président de la Generalitat -  il n'a pas été réélu à ce poste en 2016, même si les élections de septembre 2015 ont donné une majorité en sièges aux indépendantistes, qui ont désigné Carlos Puigdemont comme nouveau président;.

Cet article est antérieur à tous les développements de la crise catalane en 2017-2018 ]

 

 

 

 

L’identité nationale comme culture

 

 

 

Il existe une autre conception de l’identité nationale qui se réfère à des usages, des comportements, un mode de vie, ou encore des traditions, à une culture pour dire court, à condition de pouvoir affirmer qu’ils sont représentatifs d’un peuple dans son ensemble.

On a vu qu’en ce qui concerne la théorie de la nationalité, la conception française s’oppose (artificiellement peut-être) à la conception allemande de l’identité fondée sur la culture.

C’est à une telle conception que se réfère par exemple, le penseur libéral Friedrich Hayek (né Von Hayek, mais il abandonna la particule Von en devenant britannique), lorsque, pour définir sa position vis-à-vis du nationalisme, qu’il estime incompatible avec le libéralisme :

« Ai-je à dire que l’aversion pour le nationalisme est pleinement compatible avec le patriotisme entendu comme l’attachement profond aux traditions de son propre pays ? Mais le fait que je préfère certaines traditions de mon pays, et que j’éprouve du respect pour elles, ne saurait être la cause d’une quelconque hostilité envers ce qui est étranger et différent. »[10]

 

                                                                                             [10] F. A. Hayek,  Pourquoi je ne suis pas un conservateur (1960),  texte publié en annexe de La Constitution de la Liberté.

 

Cette conception suppose qu’on puisse justement trouver des traditions caractéristiques d’un pays et le distinguant des autres : le fait que sur un même pays soient représentées toutes les traditions du monde ne répond pas à ce critère[11].

                                                                                               [11] Il est curieux que Hayek parle de « traditions » et n’évoque pas, par exemple, l’amour du pays natal. Mais Autrichien de naissance, naturalisé Britannique, il était sans doute mal à l’aise avec les concepts de patrie ou de nation. Néanmoins, sans utiliser le mot de « culture » c’est bien , en bon Germanique, à une conception culturelle de la nation qu’il se réfère. Un Américain d’adoption aurait pu, lui, invoquer l’adhésion à des valeurs politiques. Mais les valeurs d'un Britannique d'adoption sont probablement des valeurs relevant de la tradition britannique.

 

 

Il s’agit bien de traditions autochtones. Et si un pays présente plusieurs populations autochtones ayant chacune leurs traditions, la logique voudrait qu’on ne parle pas de l’identité du pays, puisque de toute évidence il y en a plusieurs, mais des identités au pluriel (l’identité andalouse n’est pas l’identité catalane  et personne en Espagne ne se risquerait à parler d’identité espagnole sans polémiques)[12].

 

                                                            [12] Une des répliques de ses opposants serait sans doute que ce qu’on appelle identité espagnole se confond avec l’identité castillane.

 

Une conception de la Nation est donc celle qui consiste à poser une identité nationale, fondée sur les caractéristiques culturelles du peuple (et d’un seul peuple).

L’usage d’une langue particulière qui serait propre au peuple en question est évidemment un marqueur identitaire. Mais on ne peut pas considérer pour autant que toutes les personnes qui parlent une seule et même langue devraient former un seul et même peuple, surtout s’il s’agit d’une langue très répandue. C’est pourtant la conception qui a servi à l’unité allemande, dont les théoriciens considéraient que l’Allemagne unifiée devrait correspondre à l’aire d’extension de la langue allemande[13]. Enfin des populations de même langue, issues au départ d’un ensemble unique, mais réparties sur des territoires distincts, peuvent par l’évolution de l’histoire, se séparer comme ça été le cas des américains, des australiens, des canadiens anglophones etc, par rapport aux anglais. [14]

 

                                                                                                 [13] L’hymne allemand Deutschlandlied (Chant d'Allemagne) ou Das Lied der Deutschen (Le Chant des Allemands) de Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1841)est un chant dont aujourd’hui, seul le troisième couplet est reconnu hymne national de la République fédérale d'Allemagne. Le premier couplet, qui n’est pas interdit, mais considéré comme nostalgique du nationalisme allemand et donc jamais chanté officiellement, commençait par les mots  « Deutschland, Deutschland über alles » qui avait fini par désigner le chant entier. Ce couplet, écrit avant l’unité allemande, décrivait ensuite les frontières idéales de l’Allemagne qui étaient aussi celles de la langue allemande :

Von der Maas bis an die Memel,
von der Etsch bis an den Belt,

De la Meuse jusqu'au Niémen,
de l'Adige jusqu'au Détroit (de la Baltique).

On ne chante plus non plus le second couplet, qui  exprime la conception romantique de la culture allemande :

Deutsche Frauen, Deutsche Treue,
Deutscher Wein und Deutscher Sang
sollen in der Welt behalten
ihren alten schönen Klang,
uns zu edler Tat begeistern
unser ganzes Leben lang.
Deutsche Frauen, Deutsche Treue,
Deutscher Wein und Deutscher Sang!

Femmes allemandes, foi allemande [au sens de loyauté allemande]),
Vin allemand et chant allemand
doivent continuer dans le monde
de résonner avec leur ancienne beauté,
de nous porter à agir avec noblesse,
tout au long de notre vie.
Femmes allemandes, foi allemande,
Vin allemand et chant allemand !

 

                                                                     [14] C’est par commodité qu’on utilise l’expression « se séparer des Anglais » car en fait les américains et les autres peuples anglophones se sont séparés (par sécession ou à l’amiable) d’un  peuple composite (britannique) avec une fraction dominante, la fraction anglaise. Les nouveaux peuples issus de cette séparation étaient donc, au départ, constitués de la même façon composite (avec ensuite des apports issus d’autres provenances). C’est pourquoi il y a au Canada, en Australie, aux USA, en Nouvelle-Zélande, des Américains, des Canadiens, des Australiens, des Néo-zélandais, qui se réclament de l’identité écossaise, irlandaise ou en moindre proportion galloise. Certes les Irlandais des USA sont venus dans leur immense majorité après l'indépendance des USA pour fuir la misère et la domination britannique, mais les Ecosssais d'Australie ou du Canada ont peuplé ces pays alors qu'ils étaient encore des colonies de la Couronne. On ne s'étonnera donc pas de trouver dans l'armée canadienne des régiments "écossais" et des joueurs de cornemuse dans la police de Melbourne ou de Sidney...

 

 

 

 

 

 

On peut toujours contester qu’avec la mondialisation les caractéristiques culturelles qui caractérisent l’identité d’une nation soient toujours aussi perceptibles, ni les traditions dont parlait Hayek (vers 1960) toujours présentes. On peut même avancer que cette culture ou ces traditions, deviennent des éléments identitaires plus par un souvenir entretenu que par un usage courant.

Si on veut un exemple infranational [15], on se demandera ce qu’est l’identité provençale. Est-ce que c’est aller faire ses courses dans les mêmes hypermarchés que dans le reste de la France (et une partie de l’Europe), s’informer avec des médias nationaux ou locaux mais calqués sur les médias nationaux, se distraire avec des films, des chansons, des activités qui existent partout en France et en grande partie dans le monde, parler la langue qu’on parle ailleurs en France (même avec quelques expressions régionales), recevoir une éducation scolaire dont les cadres sont fixés à Paris ?  

 

                                                                                       [15] En laissant de côté la question, purement juridique –ou politique- de l’absence de reconnaissance « nationale » de la Provence. On pourrait choisir des « nations ayant une reconnaissance plus avancée (Québecois, Flamands et Walllons, Ecossais…) mais continuant à faire partie d’un état « englobant ».

 

Evidemment non. Une personne qui se définira comme provençale pourra mettre en avant ce qui la distingue des autres français, son goût des traditions provençales, de la langue provençale, c’est- à-dire de manifestations qui ne font plus partie de la vie quotidienne, qui sont exceptionnelles, qui sont passées de la catégorie « culture populaire » à la catégorie « folklore ».

Seul peut être regardé comme inséparable de la vie quotidienne le fait de vivre dans un environnement donné, un cadre de vie, des paysages, avec, dans le meilleur des cas, un habitat particulier, un style « local ». On y ajoutera peut-être une psychologie particulière, en partie liée au souvenir des modes de vie passés et au climat (mais sans doute insuffisante pour se définir comme Provençal ?).

Le Provençal, surtout s’il est issu de nombreuses générations provençales, prétendra avoir reçu en héritage une culture propre, même si elle est assez peu présente dans sa vie quotidienne.

Certes le fait qu’on parle ici d’identité infranationale explique que ses manifestations tendent à se raréfier faute de soutien public à grande échelle[16]. Si la Provence redevenait une nation dotée d’un Etat (ce qui n’est pas à l’ordre du jour), elle ferait certainement en sorte de rendre sa culture plus présente.

Pour prendre un exemple plus plausible, l’identité nationale écossaise ne pourra que se renforcer si l’Ecosse devient un état indépendant.

Enfin, le sentiment d’appartenance culturelle est souvent associé à l’amour du pays natal.

 

                                                                                                                      [16] Quelle est l’incidence réelle du soutien affiché par le conseil régional de la région PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur) à l’apprentissage de la langue provençale ? Proche de zéro probablement.

 

 

pix

L'identité provençale peine à survivre et se garde prudemment de revendiquer un état provençal.

Affichette du collectif "Prouvènço"avec l'effigie de Frédéric Mistral.

 laguinguette.com

 

 

la-clameur-a-ete-tres-claire-a-estime-artur-mas_163531_516x343

Bien loin des difficultés du provençalisme, l'identité catalane est sur le chemin de la construction d'un Etat.

Un million et demi de personnes ont manifesté en faveur de l'indépendance lors de la fête nationale de la Catalogne (diada nacional) le 11 septembre 2013. La diada nacional est inscrite dans le statut d'autonomie de la Catalogne et est célébrée officiellement par le gouvernement autonome tous les 11 septembre. Le statut d'autonomie reconnait aussi le drapeau catalan et l'hymne catalan, Els Segadors.

L'indépendant.

 

 Ajout 2018.

Un mouvement dénommé Prouvènço Nacioun est récemment apparu.

Sa devise :

 La Provence est une nation, nous en ferons un Etat.

Quel sera le succès de ce mouvement, actuellement confidentiel ? La Provence fera-t-elle, dans un avenir plus ou moins proche, partie des régiions où un mouvement autonomiste/nationaliste fort se manifeste ?

https://prouvenconacioun.wordpress.com/

 

 

 

 

L’identité nationale comme culture commune à toute la population existe-t-elle en France ?

 

 

 

Au niveau national, la conception de l’appartenance à la nation comme étant fondée sur une culture propre parait reposer principalement sur un contresens.

En effet, si par identité nationale on veut dire une identité fondée sur une culture populaire [17] propre, cette conception se heurte à la difficulté, pratique et logique, de définir l’identité ainsi conçue : il y a en France une vingtaine d’identités préexistantes à l’identité française, sans compter les cultures allogènes, et le peu de coutumes, de traditions ou de culture qui soient communes à toute la France sont plutôt superficielles et récentes (et maintenant en cours de mutation du fait la mondialisation). De plus, appeler « tradition » le fait de fêter le 14 juillet renvoie plutôt à la conception, non pas culturelle de la Nation, mais à la conception fondée sur des valeurs ou sur l’histoire.[18]

 

                                                                                                                  [17]  Il y a évidemment  une culture savante « française » qui s’est imposée au fil des siècles. Mais qui peut vraiment soutenir que l’identité française consiste à lire (et plus encore à aimer) Proust par exemple (ou même Molière, plus classique – ou Camus et Prévert ) ? Cette culture laisse en dehors les gens peu cultivés ou peu intéressés par la culture savante. De plus la culture savante n’a pas vraiment de frontières et l’homme vraiment cultivé sera autant amateur de l’allemand Beethoven que du français Berlioz (qui d’ailleurs n’aimait guère ses compatriotes), et probablement, de Shakespeare et de Dante plus que de Prévert...

 

                                                                                                                 [18]  C’est ainsi que Baudelaire écrivait que les mœurs sont la vraie constitution des Etats : si l’Angleterre devenait une république, elle ne cesserait pas pour autant d’être l’Angleterre (c’est-à-dire qu’elle continuerait à avoir les mêmes caractéristiques culturelles que l’Angleterre monarchique). Ce point de vue peut être contesté, mais nous entrainerait trop loin (de nombreuses révolutions ont changé sinon l’ensemble des mœurs d’un pays, du moins une grande partie, mais on constate aussi des retours aux traditions anciennes, comme si certains changements décrétés par la politique étaient finalement impuissants à lutter contre la culture traditionnelle- pensons à la Chine, où la tradition notamment confucéenne n'a pas disparu, contrairement  ce que voulaient les promoteurs des révolutions dans ce pays et leurs admirateurs occidentaux).

 

 

Ne nions pas qu’il existe des amateurs quasi exclusifs de littérature française, des amoureux de la langue française, voire de la grammaire française,  ils font assez de bruit pour qu’on le sache (et généralement vomissent les langues régionales comme un fameux chroniqueur) mais leur goût littéraire n’est pas une qualité extensible à l’ensemble de la population.

Une définition minimale resterait possible : la France (comme chaque pays) est aussi caractérisée par une langue officielle, et par des traits de civilisation qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays. Mais ces éléments semblent trop peu déterminants pour qu’on parle à leur propos d’identité nationale.

On parle souvent des identitaires, classés à l’extrême-droite : il est vrai que chez ces identitaires, le sentiment d’appartenance régionale est mis en avant, sans intention séparatiste ou nationaliste minoritaire.

Ainsi, un mouvement comme « Nissa rebela » défend l’identité niçoise et conçoit la France comme composée d’identités emboitées (mais d’identités rigoureusement autochtones) dans un esprit xénophobe. Nissa rebela qui dénonce particulièrement l’immigration et la présence de l’Islam, a célébré en octobre 2011 l’anniversaire de la bataille de Lépante en rappelant qu’un contingent niçois y participait [19].

 

                                                                     [19] Au titre de la participation du duc de Savoie à la coalition des puissances chrétiennes, comme des marins corses étaient présents à Lépante au titre de la participation de la République de Gênes (d’autres servaient sur la flotte vénitienne).

 

Toute l’histoire de la France récente contredit cette conception de l’identité française comme faite d’identités multiples autochtones, qui est donc une tentative de reconstruction ab initio : comment les identitaires niçois peuvent-ils, en même temps, célébrer l’appartenance française, et évoquer le combat des « barbets », ces maquisards nissards qui luttaient contre les troupes de la France révolutionnaire ?.

 La conception de l’identité nationale de l’extrême-droite repose plutôt sur le « roman national » (donc sur l’histoire de la construction de la France et ses confrontations avec les autres pays) comme celle de ses adversaires « républicains », avec seulement des préférences autres que celles de la gauche ou même de la droite républicaine (la gloire des rois plutôt que la prise de la Bastille, la construction de l’empire colonial plutôt que la Résistance ou le Front populaire, Jeanne d’arc plutôt que Jaurès ou Jules Ferry).

 

Mais d’autres pensent qu’il est inutile de convoquer la culture noble pour incarner l’identité nationale. Une personnalité collective pourrait se dégager des comportements quotidiens.

 

 

 

L’identité nationale se confond-elle avec une psychologie collective ?

 

 

 

 

Il est fréquent d’entendre des journalistes évoquer ce qui serait une identité française, notamment à l’occasion d’événements sportifs mais pas seulement. Les Français seraient individualistes et indisciplinés, mais également « chauvins » et adeptes du « bien-vivre ». L’image d’Astérix se profile derrière ce tableau. Les journalistes en ont autant pour les autres pays : les Italiens seraient comme ça, les « Anglais » comme ça etc.

 

Il n’est pas très difficile de montrer que cette psychologie collective est plutôt artificielle, en tous cas lorsqu’on prétend juger d’autres pays pour l'ensemble de leur population : les siciliens sont par exemple des gens réservés (voire méfiants, c’est bien le moins qu’on puisse dire) et les turinois ont la réputation d’être également réservés. Pourtant, vu d’Italie, ils paraitront appartenir à des planètes différentes et  leur culture puise à des héritages bien différents.

Leur caractère est aussi dissemblable du stéréotype de l’italien exubérant et fantaisiste. Ce dernier serait peut-être romain ? On trouvera certes des points communs à toute l’Italie - mais est-ce suffisant pour parler d’une seule personnalité collective ?

 

Et les « Anglais » ? Doit-on mettre sous ce même vocable, et considérer comme ayant la même psychologie collective, les catholiques plutôt républicains d’Ulster, les Ecossais qui votent à 50% pour l’indépendance de l’Ecosse, les Anglais d’Angleterre et les Gallois (sans parler des Cornouaillais, dont certains souhaitent l'obention être reconnus comme une nation,  ou des habitants des îles anglo-normandes et de Man ?).

Parler plutôt des « Britanniques », c’est déjà  reconnaître des différences majeures entre ces populations comme le fait justement l’usage officiel [20].

 

                                                                                                        [20] Les diverses composantes de la Grande-Bretagne sont appelées les « home nations ». Dans un roman récent, Mother England, l’auteur met à un moment en scène, dans un court passage,  Tony Blair, qui a organisé un référendum. Il n’a pas la majorité en voix sur tout le territoire mais il pense qu’il peut quand même dire qu’il a gagné car il a la majorité si on regarde les résultats des home nations : il a trois nations sur quatre en sa faveur …

Mais ni Man,  ni les Iles anglo-normandes, ne font partie des home nations, ni à proprement parler du Royaume-Uni.

 

 

 

 

 

_76991871_76991870

 Cornouaillais (Corniques) de Grande-Bretagne avec le drapeau noir à croix blanche de Cornouaille (Cornwall ou Kernow en celtique). Le parti Mebyon Kernow (les enfants de Cornouailles) veut que la Cornouaille soit reconnue comme une nation autonome. II existe aussi des groupuscules nationalistes clandestins qui ont  commis des actions violentes depuis les années 80. A la différence des nationalistes écossais les nationalistes de Cornouaille peinent à émerger. En 2014, les Corniques ont été reconnus "minorité nationale" par le gouvernement britannique.

BBC News, août 2014

https://www.bbc.co.uk/news/uk-28766002

 

 

 

 

On voit bien que ces identités nationales décrites par les journalistes sont superficielles (surtout quand elles concernent d’autres pays que le sien) ; pourtant le Français type qui s’en dégage finit par être un modèle auquel on s’identifie d’autant plus qu’il y en a pour tous les goûts : râleur et indiscipliné mais responsable quand il faut l’être (pour défendre les droits de l’homme et aujourd’hui l’environnement), ami des plaisirs de la vie mais dur à l’effort et entreprenant, individualiste mais solidaire !  Ce portrait semble inventé avant tout pour faire pièce à des stéréotypes d’autres pays, ainsi les américains ou les allemands « se tueraient au travail » mais seraient finalement moins efficaces que les français, etc.

 

Pour ces journalistes, qui souvent sont à l’œuvre dans le domaine sportif, les français seraient « chauvins » (à moins que ce ne soient les journalistes eux-mêmes qui le soient ?).

Ce chauvinisme s’exprimerait notamment par des symboles comme l’hymne national ou le drapeau tricolore qui sont d’usage courant spécialement lors de manifestations sportives        .

Or interrogés sur « l’identité française » certaines personnes la font résider dans justement, la référence à l’hymne national et au drapeau. Ce sont donc les symboles qui deviennent le contenu de la notion d’identité nationale.

Ces journalistes font ainsi le portrait d’un français qui utilise volontiers les signes d’appartenance à la France, qui est volontiers frondeur ( plus en imagination qu’en réalité), qui est adepte du bien-vivre et de la fête. Les habitants du Sud-Ouest seraient sans doute les meilleurs représentants de cette image idéale du français qui est moins présente dans d’autres stéréotypes régionaux (on aurait du mal à penser que le français idéal soit marseillais, niçois, breton, alsacien ou nordiste : si on reconnait à certains des qualités, il entre aussi des images négatives dans leurs représentations, et que dire des corses ? ).

Cette image suffit peut-être pour donner une idée superficielle des français et pour créer un stéréotype auquel ensuite certains comportements  donneront prise : le modèle crée l’imitation qui renforce le modèle [21]

Il ne faudrait pas pour autant confondre cette personnalité collective, si elle était fondée, avec un « sentiment national » : reconnaître qu’il existe des traits de personnalité communs à un peuple peut être sans incidence aucune sur le sentiment d’appartenance national, a fortiori quand il s’agit d’une image qui emprunte ses traits à une petite partie d’une population.

 

                                                                                                        [21] A propos de comportements typiques : autrefois, le français (ou certains français..) était supposé poli et galant. Dans une bande dessinée américaine des années 1900, un capitaine de bateau américain recueille des naufragés français. Ceux-ci l’excèdent tellement avec leur politesse pour monter à bord (après vous, je vous en prie, non je n’en ferai rien) qu’il finit par les renvoyer à l’eau à coups de pied…Stéréotype certes mais qui devait bien être fondé sur une forme de réalité . Qu’en reste-t-il ? Sans doute rien.

 

Par ailleurs, le sentiment national est supposé reposer sur des valeurs ou des traditions (ou les deux) plus que sur un comportement. Si tous les habitants de la Bordurie sont des ivrognes et des goinfres et les Syldaves d’épouvantables radins et jaloux, est-ce suffisant pour définir l’identité nationale des uns et des autres ? Il est plus probable que les uns et les autres se définiront par leurs danses typiques, leurs chants populaires, leurs souvenirs historiques, la forme des toits de leurs maisons ou de leurs clochers etc…

 

 

 

 

L’amour du pays natal

 

 

 

 

L’amour du pays natal semble difficile à concevoir dans un pays de vaste étendue. On fait souvent semblant d’oublier que la France a été longtemps (avant l’unité de l’Allemagne) le pays le plus étendu d’Europe occidentale et y parler d’amour pour le pays n’a pas grand-chose à voir avec l’amour du pays natal. Cet amour de « la personne France » ne peut être qu’une image, une métaphore. On a vu d’ailleurs qu’avec Péguy, l’amour du pays entier pouvait être compatible avec une ignorance totale de la plus grande partie du pays (qui peut imaginer Péguy s’intéressant de près ou de loin aux coutumes niçoises ou corses et, horreur, aux langues de ces régions, qui devaient pour lui être un patois à éliminer ?).

L’amour du pays natal ne dépasse pas (c’est une constatation pragmatique et non idéologique) certaines limites qu’on appellera naturelles. Concrètement, quel natif de Sanary ou de Grasse considérera comme « son pays natal » les dunes du côté de Dunkerque, ou les forêts de la Sologne (et inversement) ? Il aura déjà du mal à considérer Marseille ou Hyères comme faisant vraiment partie de son pays natal, mais pourra trouver des raisons de l’admettre…

Pour les partisans de la conception mystique de la France, l’amour du pays natal est évidemment insuffisant pour déboucher sur l’amour du pays abstrait. Ils voient bien que ce type d’amour ne dépasse pas les espaces réduits de la première éducation, un peu élargis aux dimensions d’une région.

Pourtant, autrefois, si on avait dû définir le sentiment national, c’était ce qui serait venu à l’idée en premier.

Dans le Contrat social, Rousseau rappelle que l’amour de la patrie est généralement considéré comme l’amour du pays natal, mais que lui préférerait que ce soit l’amour des habitants et que la patrie qu’il voudrait habiter est celle où on pourrait connaitre et aimer tous les habitants. On voit que Rousseau ne plaide pas ici pour un amour abstrait des habitants (à la manière de la fraternité des révolutionnaires français) mais un amour fondé sur un connaissance réelle. C’est donc bien qu’il se situe dans le cadre de très petits états où on pourrait connaitre sinon tous les habitants, du moins beaucoup d’entre eux.

Evidemment il ne faut pas attendre que Rousseau décrive une société qui puisse réellement exister. La société dont il rêve a bien des chances d’être chimérique si elle doit être peuplée d’êtres selon son cœur qu’il pourrait aimer.

Il n’en reste pas moins qu’en parlant d’amour du pays natal, Rousseau n’envisage que des petits ensembles, inspirés par ce qu’il avait connu dans sa jeunesse, la République de Genève.

 

Logo_Genf

 

Blason actuel de la République et canton de Genève. Wikipedia.

Genève servait d'exemple pour les réflexions de Rousseau.

La République de Genève existe toujours, mais à la différence de ce qui existait à l'époque de Rousseau, elle fait partie de la Suisse depuis 1815.

 

 

 

 

L’amour du pays natal étroitement conçu devint une réalité objective et quasiment médicale lorsqu’à la fin du XVIII éme siècle, des observateurs remarquèrent que les soldats ou les travailleurs venus de telle région (notamment venus de Suisse), transportés loin de chez eux, dépérissaient et même se laissaient mourir.

La question de savoir si l’amour du pays natal (l’amour de la région où on a grandi et vécu [22] plus que pays natal proprement dit – pays où on est né- , même si c’est souvent la même chose) peut amener par gradation au sentiment national pour le pays qui englobe sa région « natale » [23] a donné lieu à des affirmations qui paraissent mal convaincantes.

 

 

                                                                                      [22] Une des meilleures expressions de ce sentiment est la phrase de l’écrivain italien Malaparte : « Je suis né à Prato [près de Florence], et si je n’étais pas né à Prato, je préférerais encore ne pas être né ». Elle doit irriter ceux qui parlent « des imbéciles qui sont nés quelque part"... 

                                                                                        [23] La question ne se pose évidemment pas pour les territoires petits ou très petits : les habitants de Singapour ou de Monaco n’ont pas besoin de se demander si l’amour du pays natal est compatible avec l’amour d’un ensemble plus grand…

 

 

Si nous reprenons l’exemple de notre Provençal, nous voyons que très peu de personnes qui se disent provençales affichent des idées séparatistes. Bien au contraire, l’identité provençale est affirmée comme parfaitement compatible avec l’identité française : c’est même un lieu commun des querelles de chapelle des provençalistes qui dénoncent les occitanistes (ceux qui considèrent en gros que la langue provençale n’est qu’une variante de l’occitan) comme ayant des visées séparatistes tendant à créer une grande Occitanie indépendante qui engloberait la Provence.

Mais il est difficile de savoir si l’attitude des Provençaux même les plus engagés dans la défense de leur culture (ce qu’on appelle les provençalistes) correspond à un vrai sentiment national français, ou s’il s’agit seulement d’adhésion au statu quo par conformisme (ou par détestation de l’occitanisme !).

Le fait en France de contester l’appartenance nationale étant incontestablement mal vu, peu de personnes sont prêtes à une confrontation inutile avec l’opinion dominante, dès lors qu’elles peuvent tranquillement « cultiver leur jardin » régionaliste. 

Juger l’amour du pays natal compatible avec une appartenance nationale plus vaste ne revient pas nécessairement à exprimer pour ce grand pays un amour débordant.

On évoquera dans ce cas de figure la « petite patrie » et la « grande patrie ».

C’est ainsi que Frédéric Mistral participait à une réunion publique où le préfet le félicita d’avoir montré que l’amour de la petite patrie n’empêchait pas l’amour de la grande patrie.

Mistral déclara alors qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre la petite patrie et la grande patrie et que lorsqu’un soldat mourait au combat, il mourait toujours en pensant au lieu de sa naissance. Donc « mourir pour la patrie, c’était mourir pour sa petite patrie ». On admettra que son raisonnement était tortueux et peut-être, en l’analysant de plus près, pas vraiment de nature à plaire au préfet représentant la grande patrie. Mais au résultat, le compte y était et Mistral confirmait publiquement, avec plus ou moins de conviction personnelle, que l’appartenance à la petite patrie était compatible avec l’appartenance à la grande.

 

 

328

Statue de Frédéric Mistral, Palais Longchamp, Marseille. Photo de l'auteur.

 

 

 

L’idée que l’amour de la petite patrie permet de s’élever à l’amour de la grande patrie a été présentée au début du XIXème siècle par Benjamin Constant, qui déplore que dans certains pays (il est clair qu’il pense à la France) on a voulu faire disparaître l’amour de la petite patrie, qui est naturel, et qui est indispensable pour arriver à l’amour de la grande patrie.

L’idée qu’il existe une sorte de gradation, telle que la conçoit B. Constant, parait plus une vue de l’esprit qu’une réalité. Si l’amour de la petite patrie se concilie avec l’appartenance à la grande, c’est plutôt l’acceptation d’un principe de réalité qu’un véritable amour, surtout lorsque la grande patrie s’est construite comme une négation de l’existence des petites patries.

Il existe une différence fondamentale entre une forme fédérale de l’Etat, qu’on peut considérer comme le garant de l’existence des petites patries, et une forme unitaire, où les petites patries ont une existence non reconnue, entre négation pure et simple et tolérance privée. 

Sur la possibilité d’aimer « à la fois » la petite et la grande patrie, lorsque les circonstances ne s’y opposent pas brutalement, on peut rappeler ce que disait  l’homme politique wallon Jules Destrée, qui fut ministre du gouvernement belge dans la première moitié du XXème siècle et qui écrivait : « Ma patrie est la Wallonie et j’aime ma patrie. La Wallonie fait partie d’un pays plus grand qui s’appelle la Belgique et j’aime aussi la Belgique. Et j’aime également la culture des grands pays qui nous entourent, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne. Mais la vérité me force à dire que cet amour n’est ardent qu’au centre et se refroidit au fur et à mesure qu’il s’éloigne du centre » [24].

 

                                                                                        [24]  Il s’agit sans doute de propos assez consensuels tenus à la fin de sa vie. A ses débuts, J. Destrée disait : « A chaque manifestation du nationalisme belge, nous opposerons une manifestation du nationalisme wallon ». Après avoir été, au grand scandale de quelques un de ses amis nationalistes wallons, ministre du gouvernement belge pendant la guerre de 1914 et ensuite, J. Destrée fut un des dirigeants de la branche culturelle de la société des Nations et devint l’ami d’Einstein et de Paul Valéry, parmi d’autres. C’est lui qui publia en 1911 la célèbre lettre ouverte au Roi, qui commençait par : « Sire, il existe une Belgique mais il n’existe pas de Belges. Il existe des Wallons et des Flamands. » J. Destrée y proposait une solution fédérale qui finit par être adoptée, cinquante ans après sa mort. 

 

 

 

 

 

 

Les bénéfices psychologiques du sentiment d’appartenance nationale

 

 

 

Beaucoup, en Europe ou ailleurs, voient dans l’appartenance à la nation, une sorte de rempart contre les inquiétudes de notre époque (inhérentes à la condition humaine plus qu’à une époque sans doute) : l’appartenance à la nation dépasse notre sort d’individu, elle nous fait accéder à une réalité sinon éternelle, du moins plus durable que nous, elle nous engage dans des liens de solidarité.

On peut être d’accord sur cette vision  – encore qu’il soit raisonnable de ne pas grossir exagérément les bienfaits de l’appartenance nationale ; mais les conditions concrètes de l’appartenance nationale doivent aussi être prises en compte. Il serait erroné de considérer de façon abstraite (ou universelle) le sentiment d’appartenance nationale.

Les personnes qui estiment que le sentiment d’appartenance à une nation est partout le même, en quelque sorte, se trompent : elles ne voient pas que l’adhésion prend des formes très différentes, qu’elle est plus ou moins convaincante, et plus ou moins spontanée selon le contexte propre à chaque pays, donc plus ou moins satisfaisante en termes de bénéfice psychologique. Le patriotisme chinois ne représente pas la même chose que la patriotisme luxembourgeois et sa construction ne met pas en jeu les mêmes ressorts psychologiques ou anthropologiques.

Il est facile de s’identifier à une petite communauté parce qu’elle est votre communauté de naissance, voire celle de tous vos ancêtres. Rien n’empêche cette communauté de s’associer à communautés similaires, et de former un ensemble plus vaste où l’identité de chacune des composantes est respectée et protégée juridiquement.

Mais chacun reste, avant tout, et si bien sûr cela lui convient, membre de sa communauté restreinte d’origine.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
Publicité
Archives
Publicité