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Le comte Lanza vous salue bien
13 juillet 2013

MARSEILLE EN REVOLUTION REFLEXIONS POUR FINIR

MARSEILLE EN REVOLUTION : REFLEXIONS POUR FINIR

11 ème partie

 

 

 

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Blason de Marseille devant l'Hôtel-Dieu, ancien hôpital, transformé en hôtel (de luxe) tout court (août 2013). Photo de l'auteur.

 

 

 

Qui sont les vrais héros de Marseille ?

 

L’étude que nous avons faite devait au départ être courte. Elle a pris plus d’extension au fur et à mesure de l’avancement de la rédaction et nous a entraîné jusqu'à la Restauration, les événements révolutionnaires produisant des conséquences bien après la fin de la période révolutionnaire elle-même, et le comportement des protagonistes doit aussi se comprendre dans la longue durée.

Au départ, il s’agissait de redresser ce qui nous parait (c’est bien notre droit) une erreur de perspective.

En effet, lorsqu’on pense à Marseille pendant la Révolution, on évoque le bataillon du 10 août qui est parti pour Paris en chantant, justement, l’hymne qu’on appellerait la Marseillaise.

 

La « gloire » d’avoir donné son nom à l’hymne français et d’avoir participé activement à l’élan révolutionnaire est ce qu’on retient de l’histoire de Marseille à cette époque.

Bien sûr, les gens qui s’intéressent à l’histoire locale savent qu’ensuite il y a eu la révolte dite fédéraliste (et encore…) et peut-être que Marseille a été à un bref moment la « ville sans nom ».

L’insurrection de Marseille contre la Convention, la formation d’une armée « départementale » (élargie à des communes du Var et du Vaucluse) qui devait affronter l’armée républicaine, nous semble au contraire, un moment clé, le moment clé de l’histoire de Marseille à l’époque révolutionnaire.

Les vrais héros de Marseille sont ceux qui se sont levés pour défendre à la fois une conception ouverte et tolérante de la société et leur patrie natale, contre ceux qui voulaient imposer par la Terreur leur vision du monde et écraser les identités locales.

Dans un passé récent, les historiens locaux ont plutôt approuvé l'insurrection fédéraliste, et donné une description très critique de ce que le mouvement révolutionnaire - et surtout le club local des Jacobins - avait apporté à Marseille. Ils ont  considéré que la période révolutionnaire à Marseille avait représenté une période catastrophique (par exemple dans l'Encyclopédie des Bouches-du-Rhöne parue dans les premières décennies du 20 ème siècle). On rappellera ici la façon, peut-être  un peu expéditive dont l'historien Raoul Busquet, archiviste en chef de la Ville, écrivant à la fin des années trente (mais son livre ne fut publié qu'en 1945 alors que la ville avait affronté de nouvelles épreuves), résumait, pour la France et pour Marseille, les 10 ans révolutionnaires : 

"La ville souffrait tout entière, comme souffrait le pays et  toute la population aspirait à la fin d'un régime qui , en dix ans, avait ruiné et plongé dans le désordre le plus beau royaume qui fût sous le ciel"  (Histoire de Marseille, 1945, réedition 2005). 

 

 

Il faut sortir de Marseille aujourd'hui pour trouver parfois une opinion positive sur l'insurrection fédéraliste : ainsi sur le site du musée ciotadien, on peut lire dans une biographie de Jean Abeille, natif de La Ciotat et membre de l'ultime comité de salut public fédéraliste  :  "A ce titre, il négocie, le 21 août 1793, avec l’amiral anglais Hood, dont l’escadre bloquait les côtes... Ainsi, La Ciotat bénéficiera d’un court répit, à l'abri de ce gouvernement tutélaire, [le gouvernement des sections] pendant que la Terreur écrasait le reste de la France".

Les deux raisons de prendre les armes des Marseillais fédéralistes sont intimement liées.

Bien sûr, les historiens favorables à la Révolution ne manquent pas de parler d’une insurrection purement égoïste et bourgeoise, dirigée contre les intentions égalitaires des Jacobins ; ils insistent aussi sur le fait que les fédéralistes n’agissaient pas au nom de l’identité provençale ou occitane comme on le dit parfois. Dire que l’insurrection fédéraliste aurait été dictée par un patriotisme provençal ou occitan est une reconstruction de l’histoire, nous dit Robert Merle, grand spécialiste de la littérature occitane mais aussi sympathisant communiste. Lorsque cet auteur est en présence d’un texte fédéraliste écrit en provençal, ce ne peut être pour lui que du « populisme », une tentative des bourgeois de convaincre le peuple d’adhérer à leurs projets en adoptant son langage.

 

Nous laisserons les lecteurs se faire une idée sur la question de savoir si un sentiment d’identité culturelle provençale ou marseillaise (les deux se confondaient largement à l’époque) était présent dans la révolte fédéraliste.

Pour nous, c’est indéniable.

 

Une forme de patriotisme marseillais et provençal apparait clairement dans le livre de l’ancien fédéraliste Lautard, Esquisses historiques, dont le sous-titre est d’ailleurs caractéristique « par un vieux Marseillais ».

Au début de son livre, il décrit ainsi son intention :

« Un regard rétrospectif jeté du bord de la tombe sur cette terre de Provence que nous idolâtrons tous tant que nous sommes ».

 

Dans les proclamations du comité fédéraliste, il est caractéristique qu’on trouve des appels aux « hommes du Midi » (rappelons-nous qu’à l’époque, on pouvait difficilement, même chez les fédéralistes, se référer à la Provence qui avait disparu en tant que province (autonome ou pas)  de l’Ancien régime, d’où l’emploi du mot Midi comme équivalent).

 

Les adversaires des fédéralistes, même les révolutionnaires Marseillais, n’ont jamais insisté sur une spécificité ou une identité provençale. Il fallait au contraire se fondre dans l’ensemble français. L’unité était privilégiée par eux et non la spécificité. Si on parlait du Midi, du côté jacobin, c'était surtout pour exalter son rôle dans l'activisme républicain et jacobin et non sa spécificité qui aurait mérité un traitement à part : on peut penser au terme utilisé par les Jacobins au début de 1793 pour désigner Marseille, la "Montagne de la République", c'est-à-dire, dans la géographie politique française, le lieu où les Montagnards sont en force, ou sous le Directoire, au titre du journal de Peyre-Ferry, l'adversaire journalistique de Ferréol Beaugeard : l'Observateur du Midi de la Républiqueou le Midi en vedette. 

A la fin des séances du club de la rue Thubaneau, le président (selon Lautard) disait aux auditeurs : allez, et apprenez à parler français.

On se souvient que Maignet fit supprimer les pièces de théâtre en provençal.

On dira plus loin deux mots du prétendu « fédéralisme jacobin » si intéressant pour certains.

 

Sans vouloir trancher le débat ouvert, il nous semble qu’il y a derrière la révolte fédéraliste une dimension culturelle provençale (nous n’opposons pas Marseille et la Provence, d’ailleurs bien plus confondues à l’époque qu’aujourd’hui) qui, évidemment, n’existe pas chez les adversaires du fédéralisme, même locaux.

 

A Marseille, ce « patriotisme » provençal se doublait probablement de l’image de la ville comme  antique cité libre, nostalgique de son autonomie et de son identité.

On peut penser que ce que Lautard, disait de Marseille sous la monarchie, restait (encore plus) valable à l’époque de la Révolution :

« Sans doute nos ancêtres consentaient à s’incorporer au reste du royaume, mais ils entendaient rester Marseillais. Avaient-ils si grand tort ? »

 

 

 la_major_culture

 Drapeau de Marseille, dans la cathédrale "La Major" en 2013. Au second plan, drapeau du Dauphiné 

Site vexillologie et héraldique provençale 

vexil.prov.free.fr

Les fédéralistes marseillais vus par leurs adversaires

 

 

Les adversaires du mouvement fédéraliste, même écrivant après les événements, pleins d’enthousiasme pour la « Grande Révolution », comme le lieutenant Vialla, à la veille de la  guerre de 14 (l’armée-Nation, 1910), croient voir (à tort ou à raison) dans l’attitude des fédéralistes marseillais  la persistance d’un rêve d’autonomie ou d’indépendance.

Vialla décrit  (à sa manière) l’état d’esprit qu’il prête à la bourgeoisie marseillaise (pas au peuple bien entendu, le peuple est sain, il veut être Français !) qui avait été pendant un moment révolutionnaire :

« Le parti révolutionnaire de la bourgeoisie a vu disparaître Marseille dans l'unité nationale, Marseille ville libre, Marseille indépendante. Du coup il se ressaisit et rebrousse chemin en appelant à lui toutes les forces d'antan, un instant comprimées. Il faut que dans le régime nouveau, l'antique Phocée retrouve sa place. On ne peut ainsi niveler le passé et supprimer l'histoire ; Marseille doit vivre à part comme autrefois et dominer le voisin ».

 

Cet auteur (militaire) ne nous apprend pas quel voisin Marseille voulait « dominer » ; « ne pas être dominé » serait sans doute plus juste. Mais il oppose clairement, dans son langage emphatique d’époque, la France (révolutionnaire) d’un côté :

« La situation paraissait désespérée. Elle amena un élan de dévouement et de fureur unique dans l'histoire. La France ne forma qu'un camp et la nation qu'une armée. Le coup d'Etal des 31 mai et 2 juin, qui vit le triomphe de la Montagne, vit aussi celui de la République et de la patrie elle-même. Sous l'égide du parti jacobin, la France fit les plus grands efforts qu'une nation ait jamais faits…il faut rendre justice à cette partie de la Convention qu'elle fut à la hauteur de la plus immense tâche qu'un gouvernement ait eue jamais à accomplir ».

 

Et de l’autre côté, Marseille et les cités provençales qui suivent son exemple, qui sont indifférentes au sort de la France : « Il va sans dire que la ville de Marseille n'entendait plus maintenant l'appel de la patrie ».

Aussi le châtiment fut-il mérité :

« En étudiant de près les événements survenus à Marseille dans la période qui s'étend de septembre 1792 à fin août 1793, on comprend mieux l'énergie de la Convention, la sévérité des représentants du peuple, la vigueur du Comité de Salut public. La France était l'enjeu. Il fallait la défendre. Il fallait la sauver ».

 

 

 

Justifier la Terreur

 

 

On pourrait ironiser sur les expressions de Vialla : la France ne forma qu’un camp… Quel genre de camp ? Sa vision de la France majoritairement révolutionnaire fait bon marché des régions en état d’insurrection et de celles qui manifestent un prudent attentisme.

 

Finalement, cet auteur qui n’est pas un grand historien, mais caractéristique d’une vision républicaine qui s’impose sous la IIIème république de l’histoire révolutionnaire et de plus marqué par le nationalisme qui allait précipiter la France (et l’Europe) dans l’hécatombe de 14-18, justifie les mesures terroristes à peu près comme un historien de dimension et d’idéologie bien différente, le britannique Eric Hobsbawm, proche du marxisme, dans son livre classique L’ère des révolutions : Hobsbawm dit que certains peuvent aujourd’hui condamner les mesures terroristes, mais que "le bon Français" de l’époque les approuvait certainement car elles étaient la façon de répondre aux menaces qui pesaient sur la France.

Dans cette formulation, Hobsbawm choisit de considérer comme exprimant le point de vue de référence, les Français qui acceptaient le terrorisme et non ceux qui le subissaient, soit directement, soit en faisant le gros dos en attendant que le retour à la normale. Il fait semblant d’oublier que les mesures terroristes émanaient d’une Convention élue par 10% des inscrits, dominée par les Jacobins qui représentaient un plus faible pourcentage d’électeurs encore et où la liberté d’opinion n’était qu’un mot, les débats étant sous la constante menace de l’arrestation des opposants et de la guillotine. Son affirmation est d'autant plus étonnante que pour justifier la Terreur par les menaces qui pesaient sur la France, il rappelle trois lignes plus loin que 60 départements sur 80 étaient entrés en insurrection contre la Convention (certains très mollement il est vrai et sont vite rentrés dans le rang) : les citoyens représentatifs de la majorité du pays étaient plutôt les adversaires de la Terreur, de toute évidence.

Alors pourquoi privilégier le point de ceux qui approuvaient un gouvernement qui avait confisqué le peu de démocratie qui était issu des élections très minoritaires à la Convention ? 

Hobsbawm ferait-il le même raisonnement pour l’Espagne de Franco ou le Chili de Pinochet en considérant qu’aucune dictature ne peut exister sans le consentement tacite de la majorité ? Si c’est bien son raisonnement, alors le consentement à la dictature jacobine dura un an et demi, puis ses protagonistes allèrent eux-mêmes à la guillotine, ou retournèrent leur veste, tandis que ceux qui avaient lutté contre les Jacobins reparaissaient au grand jour et parfois prenaient leur revanche.

 

La justification des mesures par les nécessités de la guerre est souvent avancée par les partisans rétrospectifs des Jacobins. Mais cette guerre qui parait à Vialla, nationaliste typique, l’ultime argument qui justifie l’extrême « sévérité », on peut aussi se demander si elle n’était pas justement nécessaire à la dictature jacobine pour imposer son pouvoir.

 

 

Les fédéralistes étaient-ils des contre-révolutionnaires ?

 

 

Faut-il considérer les fédéralistes marseillais comme des contre-révolutionnaires ?

En France, ce mot est une condamnation sans appel.

Aussi certains auteurs font des efforts pour rapprocher les positions fédéralistes de celles des « vrais » révolutionnaires.

Duchêne et Contrucci (Histoire de Marseille, 2000) écrivent ainsi que les Marseillais avaient la même conception de la République que Robespierre, une République fondée sur la liberté, l’égalité et la vertu, mais à la différence de Robespierre, ils ne pensaient pas qu’il fallait éliminer ceux qui n’étaient pas d’accord.

Les fédéralistes auraient donc été d’accord sur l’essentiel avec l’Incorruptible. Mais ils auraient été des révolutionnaires humanistes et non fanatiques.

C’est une autre forme de réécriture de l’histoire, conforme à la pensée dominante actuelle où on préfère insister plus sur les droits de l’homme que sur la Terreur. Ainsi les Marseillais fédéralistes sont acquittés de l’horrible soupçon d’avoir été des opposants à la Révolution. 

 

Nous savons qu’à l’époque révolutionnaire, peu de chose distingue les discours des fédéralistes des discours jacobins, on y trouve souvent la même phraséologie, on pourrait dire la même langue de bois. Identité profonde ou prudence quand les mots et écrits peuvent témoigner contre vous ? On se réclame des mêmes valeurs en dénonçant seulement ceux qui les trahissent. Le discours fédéraliste est plus clair lorsqu’il s’attaque aux « anarchistes », aux hommes violents qui s’en prennent aux personnes et aux propriétés.

 Si on en croit Lautard, qui fit partie de l'armée départementale fédéraliste,  le républicanisme des fédéralistes était seulement une façade. "Nous avions la cocarde tricolore à notre chapeau et les fleurs de lis au coeur".

Mais peut-il vraiment parler au nom de tous les fédéralistes ? Et si les fédéralistes marseillais et provençaux n'avaient pas de sympathie particulière pour la monarchie, même constitutionnelle, s'ensuit-il que leur conception de la République était celle qui a fini par prédominer en France ? 

Nous n’oublions pas non plus que ce prétendu fédéralisme ne se donnait pas (ou n’a pas eu le temps de parvenir à ce point de son évolution) le but de faire de la France un état fédéral, l’étiquette fédéraliste ayant été donnée par ses ennemis. 

Si le mouvement avait duré plus longtemps (si l’offensive de l’armée de la Convention avait pu être stoppée), à quoi serait-il parvenu ? Question sans réponse.

A Toulon, le fédéralisme s’est transformé en pure et simple allégeance à Louis XVII, dans une situation où le choix n’était plus possible puisque cette allégeance était demandée par les alliés pour intervenir, et on a vu que le négociateur marseillais Abeille, à bord du HMS Victory, s’était aussi engagé à faire reconnaître Louis XVII comme roi.

En Corse par contre, au même moment, dans une situation identique, l’insurrection aboutit (pour une courte période qui va en gros de janvier 1794 à octobre 1796) à la formation d’un état autonome dont le roi de Grande-Bretagne était également roi (statut proche des futurs dominions). Mais l’arrière plan était différent (la Corse avait déjà été indépendante sous le généralat de Paoli et justement, l’insurrection contre le régime révolutionnaire était dirigée par le même Paoli, qui devait d'ailleurs se disputer par la suite avec les autorités britanniques en Corse, ce qui fragilisa l'expérience.

Cet épisode peut être rapproché d'autres tentatives intéressantes plus ou moins contemporaines de protection "amicale" de la Grande-Bretagne sur des populations méditerranéennes (installation des Britanniques à Malte en 1800, suivie d'un statut de colonie en 1814, protectorat sur la République des Etats-Unis des îles Ioniennes de 1814 à 1864).

Assez stimulante pour l’esprit est la réflexion que fit le commodore et futur amiral Horatio Nelson en quittant Toulon lors de l’évacuation par les alliés : il pensait que les événements auraient pu tourner autrement et que les Provençaux auraient pu former « a separate republic under british protection » (une république séparée sous protection britannique).

Ce qui compte ici ce n’est pas la « british protection » mais la « separate republic », mais ce n’était qu’une conjecture.

 

 

Réalisme contre utopie : « Que demande le Marseillais ? » (F. Beaugeard)

 

 

D’autres approches permettent de mieux cerner la pensée politique fédéraliste.

A cet égard, le journaliste Beaugeard est un bon guide.

Nous nous appuyons ici sur un article intéressant publié en 1966 par l’historien Louis Bergeron sous le titre La révolution vue de la province, Revue Annales 1966, en compte rendu des livres de R. Cobb, Terreur et Subsistances,   et du livre de René Gérard, Un journal de province sous la révolution, le Journal de Marseille de Ferréol Beaugeard, 1781-1797 (1964).

Si on considère Beaugeard comme représentatif de son lectorat, on trouve chez lui, dès le début des événements révolutionnaires ce type d’affirmations :

« La tranquillité publique si nécessaire au bonheur particulier ».

« La religion aussi nécessaire à l’homme moral que l’air à l’homme physique »… 

Ces affirmations le mettent déjà en désaccord avec le programme jacobin, volontiers irréligieux (ou au moins déchristianisateur) et qui instaure une situation permanente d’insécurité, avant que les Jacobins soient au pouvoir, et après leur arrivée au pouvoir puisqu’ils peuvent alors appliquer leur programme extrémiste.

Nous sommes ici devant une opinion typiquement « modérée ».

Mais un autre facteur va intervenir, c’est la guerre. La nécessité de la guerre, déclarée par la France révolutionnaire à presque toute l'Europe,  est refusée par les Marseillais dont Beaugeard est le porte-parole.

De façon caractéristique, Beaugeard n’a même pas commenté la victoire de Valmy.

Selon L. Bergeron, Marseille a glissé vers l’insurrection par refus de la guerre, « cette guerre fort éloignée de Marseille comme des préoccupations des Marseillais » et qui, lorsqu’elle concernera plus directement les Marseillais (guerre navale) ruine le commerce maritime qui fait vivre Marseille.

Par la force des choses, les modérés sont devenus des réactionnaires et des contre-révolutionnaires.

Ainsi donc, si Marseille prend les armes contre la Convention, c’est pour un ensemble de raisons : la détestation du désordre et de la violence représentée par les pendeurs et la dictature du club, le désaccord avec une conception de la société où les buts collectifs (imposés d’en haut) écrasent la vie privée (« le bonheur particulier » dont parle Beaugeard), le constat que la politique révolutionnaire ruine la ville notamment par une guerre absurde (transformée par la Convention en guerre idéologique totale) ; en un mot, les Marseillais défendent leurs intérêts vitaux et leur conception de la société. Et peut-être, de façon diffuse, le sentiment d’une identité particulière à défendre joue-t-il son rôle.

 

Sous le Directoire, Beaugeard, qui a repris son journal, exprime de nouveau cet ensemble de raisons :

« Que demande le Marseillais ? Une liberté sage qui ne soit pas le manteau de la licence, ni le masque des factions, la faculté d’adorer le Dieu de ses pères d’après les inspirations de sa conscience ; la fin de l’anarchie et de la révolution ; un gouvernement qui assure sa vie et ses propriétés ; une paix honorable au-dehors qui lui permette de se livrer à ses industrieuses activités ; une paix durable au-dedans qui lui permette de dormir tranquille » (journal du 19 novembre 1796).

 

On notera que Beaugeard parle de ce que souhaite « le Marseillais » et non le Français (certes c’est une façon de parler, mais elle est caractéristique).

Ailleurs il écrit un programme qu’on peut appeler conservateur si on veut (à condition de bien s’entendre sur les termes) : « La paix, la gendarmerie, les mœurs, on y rêverait mille ans qu’il faudrait toujours en revenir là » (journal du 19 décembre 1796).

 

On revoit sans surprise la paix au premier rang de ses préoccupations (ce qui veut dire que le refus d’une guerre idéologique qui ne sert les intérêts que des seuls révolutionnaires extrémistes).

25 ans après, c’est encore « Vive la paix » que crieront sous les Cent jours les membres de la Garde nationale marseillaise, favorable à la monarchie des Bourbons, devenue synonyme de paix, tandis qu'en face d'eux, les bonapartistes crient « Vive l’empereur ».

A sa manière, le modeste dessinateur Marchand, tranquille promeneur solitaire, exprime aussi ce refus que l’individu soit laminé par la collectivité (ou plutôt par une minorité parlant au nom de la collectivité et la dirigeant).

La réflexion de Beaugeard, « on y rêverait mille ans », exprime une sorte de bon sens qui se réfère aux recettes éprouvées de la vie en société et son refus des utopies tendant à « changer la vie ».

Lautard fait une réflexion intéressante qui rejoint ce « réalisme »: à Marseille, les protestants, contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, furent plutôt contre la révolution, parce que c’étaient des gens réalistes.

Alors que les jansénistes furent pour, en gens chimériques.

On a ainsi une autre opposition (inattendue) pour expliquer le refus ou l’adhésion à la révolution : les réalistes contre les utopistes.

Bien sûr cela ne signifie pas que les réalistes n’admettaient pas certaines avancées révolutionnaires comme l’égalité des droits. Mais ils ne souhaitaient pas rompre le modèle social existant.

 

 L’idéal des marseillais n’était pas la république de Robespierre sans la guillotine, comme disent Duchêne et Contrucci (alors que la République de Robespierre a justement besoin de la guillotine pour instaurer la vertu, nouvelle façon de vivre au service d’un idéal collectif). C’est une république commerçante (ou une monarchie constitutionnelle) fondée sur les intérêts particuliers, le « bonheur individuel », «  libérale » pourrait-on dire, peut-être à l’anglo-saxonne, mais respectueuse des traditions et des mœurs, comme dit Beaugeard (sans doute au sens bien méditerranéen et latin de « mos majorum », la façon de vivre de nos ancêtre, de nos pères).

On peut penser à la remarque de l'orateur parlementaire anglais Burke, grand ennemi de la révolution française, qui définit ainsi la république révolutionnaire : "nous avons vu s'établir à quelques encablures de nos côtes, une république non pas de commerçants et de pêcheurs, mais d'assassins et de voleurs".

La comparaison de Burke est implicite avec les Etats-Unis. Certes, la république jacobine ne se définissait pas elle-même comme république d'assassins et de voleurs et pouvait dénoncer cette étiquette comme une calomnie de ses ennemis (comme bien d'autres régimes totalitaires à venir refuseront de se reconnaître dans l'image donnée d'eux par leurs ennemis) mais elle aurait parfaitement admis que son objectif était bien autre chose que de créer une république commerçante. Pour les Marseillais, on peut dire que la république de commerçants et de pêcheurs était bien suffisante...               

Bergeron note que Beaugeard a applaudi à la Révolution en tant qu’elle met fin à la société de caste de l’Ancien régime, crée l’égalité de droits. Mais Beaugeard et ses lecteurs ne veulent pas aller plus loin. Bergeron a beau jeu d’insister sur la dimension « bourgeoise » de l’attitude contre-révolutionnaire de Beaugeard.

Il faut seulement se demander si le point de vue de Beaugeard n’est pas bien plus large que la bourgeoisie et concerne tous ceux qui refusent une dictature idéologique se donnant pour but de changer les bases de la société, de créer un homme nouveau se sacrifiant pour des objectifs déterminés par la minorité dirigeante, au lieu de vivre sa vie en tant qu’individu.

 Michel Vovelle, historien peu suspect de complaisance pour les ennemis du Jacobinisme et adepte d'une lecture des événements en termes de lutte des classes (c'est lui qui dit par exemple que dans le Vaucluse, le Jacobin Mourreau "tenait un front de classe très dur") reconnait que le fédéralisme était "un mouvement bourgeois à base de masse non négligeable", curieuse expression qui concède quand même l'importante composante populaire du mouvement.

En définitive, l’idéal de la République française s’est exprimé à l’époque par des chants, dont le Chant du départ :

La République nous appelle, un Français doit vivre pour elle, pour elle un Français doit mourir

 

Cette république mortifère, qui s’est mis à dos l’Europe, qui demande de tuer et de mourir pour elle, qui a décrété l’abolition du passé (jusque dans l’abolition du calendrier grégorien), n’était en rien l’idéal marseillais, sauf chez les clubistes locaux. 

 

 

 A propos du soit-disant fédéralisme jacobin

 

 

 

Nous avons promis de dire quelques mots de ce concept qui a un certain succès chez des historiens.

Rappelons le contexte :

Le congrès des sociétés populaires qui se tient en octobre 1793 est finalement interdit par les représentants en mission qui y voient un danger pour la Convention, et accusent même ses participants de « fédéralisme ».

La raison de cette accusation : une résolution du congrès qui tend à organiser une participation permanente des sociétés populaires aux débats de la Convention.

Selon l'article Wikipedia consacré à Isoard, voici quel était le projet des Jacobins méridionaux:

Il demandait qu'il soit organisé chaque année, deux mois après la convocation de chaque législature, une assemblée où chaque section patriotique enverrait un représentant. Ces assemblées non permanentes qui devaient se tenir à tour de rôle dans les principales villes de la République serviraient d'instances intermédiaires entre l'exécutif parisien et les comités de surveillance permanents des sociétés populaires et des municipalités. Des commissaires élus par les comités de surveillance et formés à l'échelle régionale par ces assemblées circuleraient sans cesse pour impulser l'application des lois produites par la volonté générale, la participation des citoyens à la discussion préparatoire à l'établissement des lois étant désormais assurée (on voit mal comment d'ailleurs...)

C'est ce projet qui est appelé sans rire du fédéralisme, non seulement par les Conventionnels à l'époque (ce qui peut se comprendre dans un but de discréditer des militants qu'ils pensaient dangereux) mais aussi par quelques historiens visiblement peu au courant de ce qu'est le véritable fédéralisme.

Le Congrès est dissout par la Convention.

Le secrétaire du club de Marseille, Isoard, s’enfuit de nouveau à Paris tandis que des militants sont arrêtés et la municipalité est cassée par Fréron, la ville déclarée (de nouveau ?) en état de siège, mais il est probable que l’interdiction de ce Congrès sert surtout de prétexte pour prendre des mesures qui renforcent la mise en tutelle de Marseille trois mois après la fin de l’épisode du fédéralisme « bourgeois ».

Lautard donne de ces événements une version qui est bien loin de l’importance apportée à ce Congrès par certains historiens. Le Congrès aurait voulu adresser une pétition à la Convention rédigée après le départ de la séance des membres du Département, donc prise sans leur assentiment. Le Département en aurait pris ombrage et on aurait voulu montrer aux sociétés populaires « qu’elles n’étaient pas des corps délibérants » et n’avaient pas à correspondre avec la Convention, du moins au-dessus de la tête des autorités administratives.

Ricord qui aurait été à l 'origine de la pétition aurait du quitter ses fonctions tandis que les représentants en mission "verrouillaient" le Club en ne lui laissaient plus d'initiative.

 

L’accusation de fédéralisme, déjà tendancieuse pour l’insurrection anti-Jacobine du printemps 1793, mais à la rigueur compréhensible, est ici de pure langue de bois. Il s’agit de discréditer l’adversaire dans le cadre de conflits internes au « parti » jacobin, parti qui se confond avec le club des Jacobins de Paris et les clubs de province affiliés, en appliquant une étiquette « contre-révolutionnaire » aux militants locaux qui ne sont pas « dans la ligne ».

 

De plus, les Conventionnels jacobins sont alors engagés dans un combat idéologique avec leur gauche, les Cordeliers, les « enragés », partisans de l’égalité sociale et d’une véritable dictature du prolétariat (si on accepte cette simplification passablement anachronique mais pas fausse pour autant) sauf que e prolétariat est ici remplacé par les sans-culottes qui sont plutôt des travailleurs indépendants ou des petits patrons.

Ce groupe cordelier est tout-puissant à la Commune de Paris avec Chaumette, Hébert, qui ont recueilli la succession de Marat et sont les porte-parole des revendications des sans-culottes. Cette lutte se terminera sur l’échafaud pour les Cordeliers. Dans cette lutte, les Jacobins du Comité de salut public s’appuient à la Convention sur la Plaine (ou le Marais), encore plus hostiles que les Jacobins aux revendications sociales des Cordeliers et à leur violence politique qui pousse à l’élimination des « contre-révolutionnaires », catégorie qui peut s’élargir indéfiniment jusqu’à menacer tout ce qui n’accepte pas le programme cordelier.

 

Il est probable que dans le Congrès de Marseille, les Jacobins de gouvernement (installés au Comité de salut public, avec en tête Robespierre) voient quelque chose qui essaye de les déborder sur leur gauche et de soumettre la Convention au contrôle permanent des sociétés populaires. Parler à ce propos de fédéralisme, même jacobin, est aussi ridicule que de parler de fédéralisme pour la Commune de Paris en 1793-94 ou le club des Cordeliers aux mains des héritiers de Marat. Le danger est pour les Jacobins de gouvernement, que des sociétés populaires locales, affiliées au club des Jacobins, deviennent finalement le relais de la tendance des révolutionnaires extrémistes représentée à Paris par les Cordeliers et arrivent à contrôler la Convention.

 

Ces conflits entre révolutionnaires, qui débouchent sur des épurations, ressemblent aux purges à l’intérieur du parti communiste dans les années qui suivent la révolution russe. Les clubistes marseillais étaient bien loin de tout fédéralisme, défini comme un partage du pouvoir législatif entre l’état fédéral (improprement appelé parfois central – il n’y a pas d’état central en régime fédéral) et les territoires fédérés, qui sont généralement des territoires historiques préexistant à la création de la fédération.

Rien de cela n’était prévu par le Congrès de Marseille qui voulait plutôt, en apparence, une participation permanente des clubistes de toute la France aux travaux des députés à la Convention, en dehors de toute idée (honnie bien entendu) de pouvoir particulier accordé à un territoire.

La conception jacobine répudiait entièrement l’idée que la France était composée de territoires historiques et à plus forte raison de cultures particulières. Seules les nouvelles divisions administratives de la République existaient et il n’était pas question de leur reconnaître une existence politique autre que d’envoyer des députés à la Convention et de gérer les affaires locales en appliquant les décisions prises à Paris, « centre de l’unité » comme on disait.

 

D'ailleurs, comme nous l'avons rappelé dans la cinquième partie de cette étude, dans un article paru dans la revue Provence historique (n° 203, tome 51 de 2001) Un lieu de mémoire, le 25 de la rue Thubaneau à Marseille, consacré il est vrai plus à l'histoire du lieu qu'à l'histoire politique, les auteurs Régis Bertrand et Georges Raynaud, rappellent qu'après la reprise de Marseille par les troupes de la Convention, le club n'est plus rien d'autre qu'un membre quasi-officiel de l'administration et une courroie de transmission du comité de salut public (jusqu'à son "épuration" et bientôt sa fermeture après  la chute de Robespierre) et ne font même pas allusion à cet épisode ce qui montre son insignifiance historique. 

 

Comme on sait, le champ des études historiques révolutionnaires est tout sauf un lieu dépassionné où des historiens travailleraient sur des sujets sans lien avec les débats permanents de la société française ou plus largement sur l’évolution du monde.

 

Certains historiens se classent à gauche et ne s’en cachent pas (ce n’est donc pas un procès d’intention de le dire, comme d’autres se classent clairement à droite). Les historiens de gauche estiment légitime de proclamer leur filiation politique avec les révolutionnaires, en même temps que leur sérieux d’historiens universitaires ; pour eux (il suffit de regarder les sites internet qu’ils animent), le manque d’objectivité et l’absence de sérieux sont (souvent) l’apanage du camp d’en face, surtout lorsqu’il est dépourvu du label universitaire.

Les historiens de gauche ne manqueront pas de rejeter l’idée qu’ils auraient une sorte de monopole du domaine concerné et citeront l’influence opposée et reconnue de l’école de François Furet, classée un peu abusivement dans le camp « contre-révolutionnaire » ou au moins « libéral », au sens presque de conservateur.

 

Il existe des historiens universitaires de cette tendance « républicaine de gauche », marxiste ou non, qui du fait de la localisation géographique de leur poste d’enseignement, sont centrés sur l’histoire locale. Ceux-ci ont soin de donner de l’importance au Congrès d’octobre 1793. Ce souci tient à plusieurs raisons. D’abord donner de l’importance à des débats internes à la tendance jacobine  peut se comprendre comme une volonté de montrer que celle-ci n’était pas monolithique (donc éviter le reproche de déficit démocratique – la démocratie étant ici limitée à un seul « parti ») ; valoriser comme sujet d’études les nuances locales du jacobinisme renforce de plus le poids du jacobinisme dans l’historiographie révolutionnaire, sa « centralité » pour parler comme ces historiens.

 Ces historiens n'hésitent pas à parler de 1793 comme de "l'année des fédéralismes" à Marseille, comme s'il était raisonnable de comparer un soulèvement armé contre le pouvoir central et un épisode minuscule trahissant au mieux une divergence de vues entre partisans de la même tendance polirique.

On aboutit à minimiser voire à escamoter le fédéralisme modéré (celui des sectionnaires) au profit d’un fédéralisme de gauche et à faire croire que ce fut la seule opposition locale au pouvoir de la Convention et du Comité de salut public ou au moins une opposition de même ampleur (ce qui renforce l'importance de l'adhésion au jacobinisme dans la région marseillaise). Ainsi est donnée l’illusion d’une région marseillaise acquise entièrement à la révolution dans sa conception montagnarde et, finalement, persécutée par la Convention et surtout par les Conventionnels en mission (dont on soulignera volontiers l’intégrité douteuse comme le montrera le ralliement ultérieur de Fréron et Barras à l’anti-jacobinisme) alors que les idées défendues par le club local auraient été en fait, les « vraies » idées jacobines.

 

De cette façon est évitée toute idée de fracture historique véritable entre la région marseillaise et la « grande révolution »…Puisque ces historiens se réclament ouvertement de l’héritage républicain, et ridiculisent ceux qui pensent en dehors de cet héritage (pauvres « historiens du dimanche », voire suppôts de l’extrême-droite !) il est important pour eux de consolider ce qui est présenté comme une vérité historique incontestable : l’assentiment général de la France, y compris ses régions périphériques, aux orientations révolutionnaires dans leur version jacobine, dont l’héritage est assumé par la gauche et l’extrême-gauche (et aussi à droite, surtout par fascination pour une période qui n’avait pas honte d’affirmer la toute-puissance de l’état !).

 

De là à dire que les Jacobins locaux et les Jacobins de la Convention et du club parisien partageaient complètement les mêmes idées mais que les Conventionnels en mission ont noirci le tableau et créé une division factice, il n’y aurait qu’un pas…mais où serait alors le fédéralisme ?

Il est curieux de voir justement ces historiens accepter sans discuter l’étiquette « fédéraliste » alors qu’elle parait bien avoir été donnée par les Jacobins de gouvernement au Congrès pour le discréditer, et non sérieusement.

Ils prouvent surtout leur ignorance de ce qu'est le fédéralisme réel et on les renvoie à étudier les institutions des länder allemands, des cantons suisses, des états américains, des régions belges, des provinces canadiennes, etc, plutôt que de tenir des discours amphigouriques sur ce qu'ils ignorent.

 

 

 

Jacobinisme et occitanisme, un mariage improbable

  

Plus curieux est l’importance accordée à ce fameux congrès (qui n’eut pourtant aucune incidence sur la suite des événements) et à son étiquette « fédéraliste », par des historiens (généralement en dehors de l’université) et des militants qui se réclament de l’appartenance culturelle et politique à la mouvance occitane. Comme cette mouvance se classe le plus souvent nettement à gauche (au contraire des « provençalistes » plus à droite, qui refusent toute « annexion » de la Provence à la culture occitane qui pour eux est seulement la culture du Languedoc et non une culture commune) il est nécessaire pour les occitanistes de surévaluer cette opposition locale « de gauche » à la conception nationale (et parisienne) du pouvoir.

Ils veulent montrer ainsi que le Club marseillais et les clubs participant au Congrès d’octobre 1793 (venaient-ils vraiment de tout le Midi ou majoritairement sinon exclusivement des Bouches-du-Rhône ?) ont tenté de s’opposer au pouvoir parisien, ce qui permet là encore de supplanter dans la mémoire des événements, l’insurrection fédéraliste « bourgeoise », et par conséquent de montrer que ce mouvement anti-centralisateur, mais de gauche (puisque se réclamant des masses populaires) en s’opposant à la Convention jacobine et robespierriste, s’en prenait en fait à la domination bourgeoise, forcément centralisatrice, dont la Convention n’était que le masque.

Mais cette présentation ne tient pas : les clubistes méridionaux n’avaient pas l’intention de « s’en prendre » à la Convention en tant qu’assemblée centralisatrice, mais de réclamer un droit de regard sur son action politique, de façon à s’assurer qu’elle restait bien dans la ligne voulue par les clubs, de la même façon que les clubs (dont celui de Marseille) avaient jadis dénoncé les Girondins et provoqué l’épuration de la Convention.

L’idée était que la base (les clubs) devaient en permanence assister (et en fait, surveiller) la Convention. Si la Convention devait partager son pouvoir, ce n’était pas avec les villes ou les régions, mais avec les clubs, à l’intérieur d’une seule tendance politique autorisée. On n’est pas loin de l’idée de parti unique, des discussions sur le centralisme démocratique et de la question de savoir quel est le rôle de la base dans le parti unique. Où est le fédéralisme ?

 

De plus, le Club local était assez loin de véhiculer un point de vue qui aurait été à la fois révolutionnaire et particulariste ; même si, par force, ses membres parlaient sans doute plus le provençal que le français, Comme nous l'avons rappelé plus haut, après la reprise de la ville par la Convention, le président du Club local des Jacobins disait à la fin des séances  : allez, citoyens et citoyennes, et tâchez d’apprendre le français !

 

Par ailleurs l’idée que la Convention centralisatrice jacobine aurait été un masque de la bourgeoisie est à prendre avec beaucoup de recul. Quelle étrange bourgeoisie que celle qui fait passer ses meilleurs représentants, les négociants, les banquiers, à la guillotine…

Autant se demander (ce n’est qu’une comparaison) si Lénine était capitaliste et pro-bourgeois en réprimant les marins de Kronstadt, si Staline était un agent de Wall Street en pourchassant les trotskistes… 

Enfin, il convient seulement d'ajouter que dans l'opinion occitaniste courante, loin d'essayer de trouver un imaginaire "occitanisme jacobin", la répression du fédéralisme 'sudiste" se présente souvent comme une réédition de la Croisade des Albigeois : "Une dernière fois, le Nord conquiert le Sud..."

 

 

 

Marseille a-t-elle perdu ou gagné dans la Révolution française ?

 

 

Les historiens ont depuis longtemps répondu à la question sur le plan économique : la Révolution fut une ruine pour Marseille (comme d’ailleurs la période impériale qui suivit).

 

S’agissant des événements eux-mêmes, ils laissèrent le souvenir d’une époque de violences en crescendo, de désordres et d’insécurité qui, chez les Marseillais (probablement la majorité d’entre eux), se tourna pendant longtemps en détestation de la Révolution et en affectation de royalisme.

Les partisans excessifs de la Révolution (les jacobins) furent jugés responsables des violences (en grande partie inutiles à partir d’un certain moment, si le but avait seulement été de faire disparaître les défauts de l’Ancien régime).

Certes il y avait eu deux partis farouchement opposés à Marseille (et plus largement en Provence), ce qui expliquait la violence des événements et la constitution de haines durables :

 

« On ne pouvait plus reconnaître ce caractère marseillais, jadis ouvert aux joies honnêtes, aux pures affections ; la violence des tempêtes politiques l’avait jeté hors de ses voies et les passions délirantes le remplissaient tellement qu’il n’y avait plus de place pour les sentiments de la nature et de l’humanité » (Augustin Fabre, Histoire de Marseille).

 

Appréciation à laquelle un historien contemporain fait écho :

« Le Midi se posa comme l’une des régions les plus troublées de la France révolutionnaire, marqué par un conflit politique d’une rare durée et intensité. Chaque phase de la Révolution – ainsi que les douloureux clivages créés par la révolte fédéraliste et la période de la Terreur – intensifia l’héritage de la haine » (Stephen Clay, Les réactions du Midi : conflits, continuités et violences, in Annales historiques de la Révolution française, n°345, 2006).

 

Mais au fil du temps, l’un de ces partis (le parti jacobin) s’était complètement effacé (ses partisans se fondant dans le personnel bonapartiste et pour certains dans la police officielle ou officieuse de l’Empire) et on peut dire que seul le parti (au sens large et non au sens d’un parti moderne) anti-jacobin (représentant une alliance des monarchistes et des révolutionnaires modérés parfaitement capables d’accepter une monarchie constitutionnelle, et même l’Empire s’il avait apporté la paix) restait en place pour porter un jugement presqu’entièrement négatif sur la période.

 

Evidemment il est difficile de traiter Marseille à part du pays et un historien comme Augustin Fabre, libéral à la mode du 19ème siècle, reconnait que Marseille (pas plus ou pas moins que le reste de la France) bénéficia des « bienfaits » de la Révolution (l’égalité des droits, un régime parlementaire et représentatif qui ne fut d’ailleurs mis en place de façon stable que sous la Restauration) : bienfaits qui avaient d’ailleurs peu à voir avec les aspirations des Jacobins à régénérer la France et à créer un homme nouveau.

 

A l’opposé, Marseille avait beaucoup souffert dans la tourmente révolutionnaire du fait des violences, des spoliations, de la Terreur institutionnelle de 1793-94, des cycles de réactions et de répression, et elle y avait perdu ce qui restait de ses anciennes « libertés » de ville autonome.

On comprend qu’Augustin Fabre dise que Marseille avait acheté très cher les « bienfaits » de la Révolution :

« Et dans ce nivellement général, dans ce naufrage de tous les privilèges locaux, elle perdra les derniers restes de son caractère individuel. Cité sans caractère distinctif, elle aura terminé son rôle et pour elle, tout sera dit… ».

Pour Fabre, ce constat équivaut pour Marseille à une « fin de l’histoire » :

 

En somme, Fabre n’a pas l’air de penser que Marseille a beaucoup gagné à la Révolution.

La fin de l’autonomie marseillaise (même si sous l’Ancien régime elle était plus une fiction juridique qu’une réalité) a eu lieu en même temps que le déclin de l’identité provençale.

Fabre note que la langue française avait fait à Marseille des progrès considérables durant la période ouverte depuis le début de la Révolution, notamment du fait du brassage des populations et du rôle de la conscription.

Il constate une évolution inévitable, mais sans manifester aucun enthousiasme pour cette évolution. Il pense qu’« il faudra bien du temps pour anéantir l’usage de la langue nationale des Provençaux », car la langue survit à la disparition d’un pays, c’est le dernier signe de nationalité à disparaître, comme « un débris précieux qui surnage après le naufrage ».

 

Il est clair que pour lui, l’intégration de la Provence et de Marseille à la France, c’est la disparition d’une nationalité et la comparaison avec un naufrage montre bien qu’il a une vision négative de la marche de l’histoire même s’il faut « faire avec ».

C’est sans surprise que dans la conclusion de son Histoire de Marseille, Fabre écrit que rien ne pourra rendre à la ville son statut particulier, « son caractère individuel ».

Ne nous berçons pas d’illusions, dit-il. Même si la centralisation est forcément amenée à diminuer (il était optimiste !) elle ne disparaîtra pas et Marseille est devenue une ville « comme les autres » (il veut dire du point de vue institutionnel, pour le reste, que chacun soit juge).

 

Et le coup de chapeau à la France qui suit parait plus résigné que convaincu :

 

Etre une cité française, appartenir au premier pays du monde, ce n’est pas rien, il y a là de quoi satisfaire l’orgueil le plus exigeant…

 

 

RSCN3662

Blason de Marseille, figurant sur l'inscription apposée au nymphée du Palais Longchamp en l'honneur de l'arrivée à Marseille des eaux de la Durance en 1847 et de la construction du Palais Longchamp en 1869.

Photo  de l'auteur.

 

 

 

 

Dans la mémoire des Marseillais

 

 

 

 

Dans la préface de son Histoire de la Révolution dans les Bouches-du-Rhône  depuis 1789 au Consulat, Lourde, qui ne dissimule pas sa sympathie pour les révolutionnaires y compris Jacobins (tout en s’abstenant d’applaudir aux mesures terroristes, un peu comme Michelet) regrette qu’à la date où il écrit (1839) Marseille ait repris les oripeaux royalistes et soit même indifférente au retour des idéaux de liberté après la Révolution de 1830 (qui a porté au pouvoir l’assez modérément révolutionnaire régime de Louis-Philippe dont on ne sait pas ce que pensait Lourde, mais il est peu probable que ce nostalgique de Robespierre était vraiment un admirateur de la monarchie bourgeoise et libérale).

Il est vrai que Lourde a une explication au fait que Marseille ait cessé, au moment où il écrit, d’être la grande cité révolutionnaire : c’est selon lui qu’il y a à Marseille beaucoup d’étrangers, sinon une majorité d’étrangers, qui viennent y faire du commerce, et Marseille ne vit plus que pour son nouveau dieu, le commerce…

L’explication laisse un peu sceptique, d’autant que la vocation de Marseille a toujours été commerciale, ce qu’apprécie sans doute modérément Lourde, et on notera que la xénophobie peut aussi se conjuguer avec les opinions révolutionnaires aussi bien que contre-révolutionnaires.

L’affirmation de Lourde montre en tous cas que près de 50 ans après les événements révolutionnaires, Marseille restait marquée dans sa mémoire par les positions contre-révolutionnaires qu’elle avait prises en 1793, même si le royalisme de combat avait recouvert une rebellion qui n'était pas forcément royaliste au départ, mais d'un républicanisme modéré nullement contradictoire avec un ralliement au monarchisme constitutionnel.

25 ans après la Révolution, il ne restait rien du Jacobinisme à Marseille et même un libéral comme A. Fabre notera non pas la prédominance du royalisme à Marseille, en 1815, mais l'unanimité de la ville pour cette option.

Au contraire, les Marseillais d’aujourd’hui ne se souviennent plus que du rôle joué par les Marseillais dans et pour la Révolution, par exemple avec le bataillon du 10 août. 

Comment expliquer cette contradiction ?

Sur le mode interrogatif, Michel Vovelle le grand historien de la Révolution, indiquait, en préface au catalogue de l’exposition, Marseille en révolution, en 1989 :

"Quel est le vrai visage de Marseille en révolution ? Versatilité d'un milieu hier à la pointe du Jacobinisme, demain, et pour longtemps [c'est nous qui soulignons] , ville contre-révolutionnaire, capitale de la Provence blanche...Voire, forçant encore le trait et retrouvant le vieux discours de l'historiographie conservatrice du siècle dernier, retour à sa vraie nature d'une cité un temps abandonnée aux turbulences (au délire) de la Révolution ?"

Vovelle ne pose pas la question en terme de poids respectif des options en présence dans la ville. Mais s'il évoque, même sur le mode interrogatif, une "vraie nature" modérée sinon conservatrice de la ville, c'est que l'importance des révolutionnaires extrémistes aurait été surévaluée. 

Ainsi l’activisme révolutionnaire des Marseillais, surtout à partir du moment où il prend une couleur jacobine en 1792, aurait été un phénomène minoritaire, finalement étranger à la vraie nature de la ville. « La grande cité révolutionnaire » dont parlait Lourde aurait en fait été une cité modérée, dominée provisoirement par une minorité agissante.

L’évolution historique de la France depuis le 19ème siècle fait que l’attitude révolutionnaire est perçue bien plus favorablement. Charitablement, on dira qu’on oublie les erreurs et les crimes des révolutionnaires (c'est presque du révisionnisme tant la violence est au coeur de l'attitude révolutionnaire) pour ne se souvenir que de leurs bonnes intentions, sur lesquelles on se méprend parfois, sans trop approfondir le sujet. 

Les Marseillais d’aujourd’hui s’alignent (enfin ! diront certains) sur l’opinion majoritaire en France. On attendrait que fidèles à leur réputation, ils s’en démarquent, mais non. L'inauguration il y a peu d'années d'un Mémorial de la Marseillaise, rue Thubaneau, vise à privilégier cette image de Marseille fer de lance de la Révolution et des "valeurs républicaines" y compris dans leur version actuelle.

Pourtant ceux qui ont soutenu l’identité marseillaise à l’époque furent les fédéralistes et non les Jacobins. Leur tort est peut-être d’avoir été « contre » quelque chose, l’histoire retient plutôt ceux qui ont été « pour ».

Il serait temps de rendre hommage aux combattants fédéralistes, malgré leur malchance, et aux victimes marseillaises de la Terreur. Les vrais fils de Marseille et de la Provence, ce furent eux.

 

On pourrait leur appliquer ces vers du poème de Constantin Cavafy, le poète grec d’Alexandrie au début du  20ème siècle, A ceux qui combattirent pour la ligue achéenne, consacré aux citoyens des cités grecques du 2ème siècle avant J.C. qui prirent les armes contre les conquérants romains et dont les chefs ne furent pas toujours à la hauteur :

 

 "A ceux qui combattirent pour la ligue achéenne, ...vous êtes au-dessus du reproche, quelles que soient les erreurs commises par Diéos et Critolaüs..."

 

 

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Vue du chenal d'entrée au Vieux port de Marseille prise depuis les jardins du Pharo, en regardant vers les bassins de la Joliette. On voit de droite à gauche la tour saint-Jean, la Cathédrale "la Major", le MUCEM en construction à l'époque (2012) et la tour de la compagnie CGM.

Photo de l'auteur.

 

 

 

 

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Commentaires
G
Merci pour ce blog <br /> <br /> Je fais la généalogie de ma famille et j'ai des ancêtres "fuyards" puis guillotinés à Orange chef d'accusation : sectionnaires fédéralistes , j'ai pu apprendre et comprendre grâce à votre blog tout ce que cela voulait dire.<br /> <br /> Mais ils avaient un gros défaut(sic) c'étaient des notables bourgeois donc on devait les tuer !
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Le comte Lanza vous salue bien
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