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Le comte Lanza vous salue bien
6 juillet 2013

MARSEILLE APRES LA REVOLUTION : L'EMPIRE

 

MARSEILLE APRÈS LA RÉVOLUTION : L'EMPIRE

 MARSEILLE EN REVOLUTION 8

 

 

 

Charles Delacroix, premier préfet

 

 

 

L'une des priorités du nouveau régime était le retour au calme et la fin des passions politiques.

Le choix des hommes chargés d'administrer les départements était fondamental, notamment dans un département comme les Bouches-du-Rhône qui avait été autant troublé par les événements révolutionnaires et le cycle des violences et des vengeances. 

Ainsi que le faisait remarquer le commissaire du gouvernement près du tribunal de première instance de Marseille au ministre de la Justice en décembre 1800 : " Presque tous les crimes de tous les partis et de toutes les factions sont restés impunis, l’action de la justice n’a presque jamais été dirigée par l’impartialité ..." (Stephen Clay, Les réactions du Midi, article cité).

Le premier préfet nommé dans les Bouches-du-Rhône fut Charles Delacroix (le père du peintre, au moins pour l'état-civil). Membre de la Convention, il avait voté la mort du roi ce qui le rendait suspect aux Marseillais qui faisaient partie des "honnêtes gens". Foncièrement modéré, il avait été ensuite diplomate sous le Directoire et l'un de ceux qui avaient voulu réconcilier la France républicaine avec les pays européens. 

Son premier acte en tant que préfet ne pouvait que plaire aux Marseillais. On se souvient que le chef-lieu du département était Aix. Delacroix fit inscrire Marseille comme chef-lieu et fit valider par le gouvernement ce changement. Il y avait un intérêt personnel, car le traitement des préfets dépendait de la population du chef-lieu et Marseille avait bien plus d'habitants qu'Aix !

Delacroix allait surprendre agréablement les Marseillais. Doté d'un caractère philanthropique et bon, pour Lautard, il fut       " l'ami des bons, le surveillant des méchants (sans doute les Jacobins ?) et le protecteur des pauvres".

Il améliora le fonctionement des hôpitaux, fit réparer les chaussées et les dota de trottoirs et s'efforça d'embellir Marseille par des monuments modestes mais significatifs, il fit détruire le mur qui séparait les quartiers anciens des quartiers neufs, et qui servait de dépotoir, assista assidument aux réunions du "Lycée" (l'Académie de Marseille reconstituée d'abord sous ce nom).

Surtout il était à l'écoute des Marseillais et quand on avait parlé avec lui, on le quittait "pénétré de douceur". Prenant peut-être ses rêves pour des réalités, Lautard, véritablement sous le charme, dit que par son humanité, Delacroix voulait faire oublier son vote régicide du 21 janvier 1793, qui peut-être le rongeait de remords.

La chambre de commerce de Marseille, créee sous Henri IV,  qui avait dissoute sous la Révolution, fut rétablie, preuve que le régime voulait s'appuyer sur les négociants. 

Le consulat fit procéder à une réorganisation municipale. Marseille restait divisée en trois secteurs, le Nord, le Centre et le Midi, mais chaque secteur avait maintenant un Maire. Le Conseil municipal était commun pour l'ensemble de la ville et formé de 30 personnes (dont les Maires de secteurs et leurs adjoints) et il était présidé alternativement par chaque maire de secteur.

Les trois Maires furent, à partir de 1802, Granet (Centre), Mossy (Midi) et Sarmet (Nord). Ils étaient nommés par le pouvoir central.

Omer Granet, l’ancien conventionnel, qu’on retrouve ici, ne s’habillait plus en sans-culotte depuis longtemps et on l’avait même vu au théâtre, sous le Directoire, vêtu en muscadin. Divorcé, il s’exhibait avec une jeune femme sans être remarié et les braves gens disaient : Voilà Monsieur Granet et sa femme.

Mossy, lui aussi ancien Jacobin, avait été célèbre pendant un moment comme « le premier républicain de Marseille » (il avait le premier demandé la fin de la monarchie). Il était maintenant plus connu comme l’un des hommes les plus riches du département, ayant largement profité des achats de biens nationaux. Sarmet était relativement un inconnu.

 

 

 

Remise en ordre religieuse

 

 

 

Le Consulat mit fin au conflit religieux qui avait grandement contribué aux drames de la période révolutionnaire.

Le culte théophilanthropique tomba tout seul, il fut mis fin au culte décadaire, et Bonaparte commença les négociations avec le pape pour rétablir l’église catholique romaine. Le Concordat fut signé en juillet 1801 (messidor an XI). Presque tous les anciens constitutionnels se réconcilièrent avec Rome, on redessina la carte religieuse.

Le Concordait débutait ainsi :

Convention entre le Gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII  (15 juillet 1801, 25 messidor an XI).

Le gouvernement de la république française reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des Français.

Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et attend encore, en ce moment, le plus grand bien et le plus grand éclat de l'établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu'en font les consuls de la république.

En conséquence, d'après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit (etc)

 

Marseille n’avait pas d’évêque en propre, le siège de l’archevêque était à Aix et couvrait les Bouches-du-Rhône et le Var. L’archevêque se déplaçait fréquemment à Marseille. Le premier titulaire concordataire fut un prélat d’Ancien régime, Mgr Champion de Cicé, nommé en 1802. Il avait fait partie des Etats-généraux de 1789 et avait participé aux travaux de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puis avait été ministre de Louis XVI, avant d’émigrer.

Le dernier évêque d’Ancien régime de Marseille, le très âgé Mgr de Belloy (ou Belloi), était nommé Archevêque de Paris dans la nouvelle organisation concordataire.

Dès cette époque, un fait nouveau apparut, qui aurait été impossible sous l'Ancien régime (mais celui-ci avait commencé à évoluer de ce point de vue) : les Protestants et les Catholiques nouèrent des relations, et le chef de l'église protestante  à Marseille, le pasteur Mouchon, rendit visite à Mgr Champion de Cicé en 1802 et lui déclara :

"...Nous n'avons pu apprendre, sans partager la joie de nos frères catholiques, l'arrivée de l'illustre et vénérable prélat qui vient remplir les voeux les plus touchants de leurs coeurs... nos deux communions, Monsieur l'archevêque, sont deux soeurs qui renaissent ensemble au bonheur, sentent le besoin de se rapprocher et de s'aimer" (cité par Charles Seinturier, Marseille chrétienne dans l'histoire, 1988). L'archevêque répondit par de bonnes paroles, légèrement moins enthousiastes mais quand même sympathiques, assurant que les Catholiques de la commune avaient le désir de vivre fraternellement avec les Protestants  et que la différence d'opinions religieuses entre Chrétiens ne devait pas être un motif d'éloignement  entre eux.

 

Mgr Champion de Cicé fit notamment publier des cantiques en provençal.

Prélat adroit et autoritaire, il semble avoir exercé un certain ascendant sur le préfet Thibeaudeau, le successeur de Delacroix.

 

Champion_de_Cicé

 

Recueil de cantiques en provençal édité par Mgr Champion de Cicé, archevêque d'Aix-en-Provence.

Wikipedia.

 

 

Le retour des émigrés

 

 

 

Les émigrés étaient souvent rentrés dès le Directoire ou même sous la Convention thermidorienne, mais souvent à leurs risques et périls lorsque les aléas politiques remettaient en vigueur la législation dirigée contre eux (comme au 18 fructidor).

Le Consulat raya tous ceux qui le souhaitaient des liste des émigrés.

Omer Granet, ancien député à la Convention, membre du conseil municipal sous le Directoire et maire d'un des trois secteurs de Marseille depuis 1802, semble avoir rendu service à beaucoup d'émigrés. Le farouche sans-culotte de l'époque révolutionnaire avait changé. Augustin Fabre, dans son Histoire de Marseille, considère que c'était un homme intègre et estimable.

A leur retour, certains émigrés peuvent récupérer leurs biens. Les plus chanceux sont ceux dont les biens n’ont pas été vendus et qui peuvent les récupérer tout simplement une fois radiés de la liste des émigrés comme le propriétaire Delvoux à Marseille.

Dans d’autres cas, il faut racheter les biens, si l’acquéreur le veut bien…

« Joseph-Balthazar Bosonnier, qui possédait un hôtel particulier sur la Canebière, vendu à un individu d’origine corse [sic !], Ignace Degola, parvint à le récupérer lors de sa radiation de la liste des émigrés ».

« Jean-François Rampal fils [un des commissaires civils fédéralistes] a récupéré la totalité de ses immeubles vendus comme biens nationaux en rachetant sa fabrique de savon, sa maison de la place de Lorette et sa propriété rurale au quartier de Notre-Dame du Bon secours » ( Christian Bonnet . La vente des biens nationaux dans les Bouches-du-Rhône, Histoire, économie et société. 1988, 7e année, n°1)..

Certaines personnes furent à la fois des victimes et des bénéficiaires de la vente des biens  nationaux (cas de personnes ayant acheté par exemple des biens du clergé en 1792, puis ayant ensuite perdu ceux-ci quand ils ont émigré en 1793).

Il faut reconnaître que le rachat de leurs biens est quand même une perte financière même dans les cas où les biens avaient été initialement achetés par des membres de la famille ou des prête-noms pour les préserver.

Quand les anciens émigrés ne peuvent racheter leurs biens, le gouvernement leur octroie des indemnisations compensatoires parfois considérables (ces restitutions se situent généralement sous le Consulat qui souhaite rallier les anciens émigrés et qui affiche une politique de réconciliation qui passe par des compensations financières pour les pertes subies).

 

 

 

Nouvel esprit, nouveaux monuments

 

 

 

Comme le remarque A. Fabre, avec le Consulat, l’ambiance changea, le ton redevint poli et civilisé.

Les méfaits de la Révolution avaient disparu, seuls restaient ses bienfaits, ineffaçables, dit le même historien.

La ville se développait et devenait une des plus belles villes d'Europe, selon le même Augustin Fabre.

Peuplée de 90 000 habitants vers 1778, elle atteignait en 1800 102 000 habitants. Or vers 1790 on disait qu'elle avait 120 000 habitants (mais 80 000 pour la ville intra-muros). Il est probable que les troubles révolutionnaires, l'exil, l'effet de la conscription, les décès violents, avaient causé une diminution de la population dont la ville commençait à se remettre vers 1800;  la guerre permanente de la période napoléonienne allait la faire rechuter.

Le préfet Delacroix fit démolir les anciens remparts, inutiles.

En juin 1803, la Chambre de commerce décida de lancer une souscription pour offrir à l’Etat un vaisseau de 74 canons, le Ville de Marseille.

Delacroix fit édifier les Halles qui portent son nom, et des monuments commémoratifs liés à l'histoire de Marseille : la colonne de la Peste (en mémoire de la peste de 1720) fut placée d’abord sur la place Estrangin-Pastré, puis sur la place Félix-Baret (appellations actuelles); elle est aujourd’hui dans le petit jardin de la Bibliothèque (près de l’ancienne Bibliothèque, Palais Carli) et domine ainsi le boulodrome de la rue des Trois Mages ! 

Cette colonne qui provient de la crypte de Saint-Victor est surmontée du Génie de l’immortalité (par Chardigny), elle représente assez clairement l’intention de rétablir, après l’épisode révolutionnaire, la continuité de l’histoire marseillaise en rendant hommage au dévouement des dirigeants de Marseille sous l’Ancien régime.

Sur un des côtés du piédestal, on lit :

« À l'éternelle mémoire des hommes courageux dont les noms suivent » : l’évêque Belsunce, le Commandant de l’arsenal des galères Langeron, tous les échevins cités par leur nom (dont le dévouement fut incontestable même si au moins l’un d’entre eux peut être jugé responsable de la peste pour avoir fait entrer des marchandises lui appartenant sans respecter la quarantaine !), le chevalier Roze, le peintre Serre (« élève de Puget », témoin des faits par ses tableaux et acteur en tant que « commissaire de quartier »).

La deuxième face rend hommage aux 150 religieux qui moururent durant la peste et aux médecins et chirurgiens qui se sacrifièrent, les uns pour apporter les secours de la religion, les autres ceux de la médecine.

On voit bien dans cet hommage qui associe la religion et la médecine, que le Concordat a rétabli la religion en général (et notamment le catholicisme) parmi les valeurs de la société. 

La troisième face célèbre en même temps le pape Clément XII qui envoya à ce moment à Marseille un vaisseau chargé de blé et le Raïs de Tunis qui respecta « ce don fait au malheur » (les corsaires tunisiens avaient intercepté le bateau et le laissèrent repartir en apprenant qu’il portait du ravitaillement à Marseille en proie à la peste) avec ce commentaire :

Ainsi la morale universelle

rallie à la bienfaisance

les hommes vertueux que divisent

les opinions religieuses.

Le dernier côté énonce que cette colonne a été édifiée en l’an X de la République française, 1802 de l’ère vulgaire, Napoléon Bonaparte étant Premier consul, Cambacérès Second consul, Lebrun Troisième consul, Chaptal ministre de l’Intérieur, par les soins du « citoyen Charles Delacroix », préfet, organe de la reconnaissance des Marseillais.

L’association du pape et du Raïs de Tunis dans le même éloge aux hommes de bonne volonté a quelque chose qui évoque par avance l’image de Marseille en tant que modèle (idéal) de coexistence entre les différentes communautés et d’oecuménisme.

Nous verrons que sous la Restauration, Marseille aura l’occasion d’approfondir cette image de ville où les communautés vivent dans le respect mutuel, avec l’appui actif des autorités.

 Delacroix fit aussi installer la fontaine d'Homère (aujourd'hui sans eau,c'est une colonne également tirée des cryptes de Saint-Victor, surmontée du buste d'Homère), hommage au poète grec des "descendants des Phocéens" dit la plaque, la fontaine (devenue aussi simple colonne) Puget dans la rue de Rome, aménager le cours Bonaparte (cours Pierre Puget) avec un monument rendant hommage au Premier consul.

 

La délibération du Conseil municipal décidant la création du cours Bonaparte exprime clairement l'opinion des Marseillais sur les années révolutionnaires qui venaient de se terminer : "Marseille, (...) respirant pour la première fois après depuis 12 années de convulsions et de malheurs... décore ses murs d'une promenade... Le cri général et la reconnaissance ont déjà dicté le nom qu'elle doit porter".

Il est amusant de penser que les anciens Jacobins Granet et Mossy , membres du Conseil municipal, ont signé cette délibération dans laquelle la période révolutionnaire  était réduite à une période de convulsions et de malheurs.

Après la période napoléonienne, le cours Bonaparte devint le cours Bourbon, puis le cours Pierre Puget, ce dernier nom étant "admis par tous les régimes" (André Bouyala d'Arnaud, Evocation du vieux Marseille, 1959).

Sur la Place des Fainéants (aujourd'hui place des Capucines, mais que Delacroix avait rebaptisée place du Peuple, parce qu'elle ressemblait à la Piazza del Popolo à Rome), il fit placer une fontaine  du Commerce avec des bas reliefs de Chardigny représentant la pêche et la cueillette des olives et un texte avec l'invocation "Au peuple marseillais", qui évoque la vocation commerciale de Marseille, et le retour aux travaux tranquilles de la paix (à la place de la fontaine du Commerce démolie en 1814 par hostilité à Napoléon, on a déménagé à cet endroit la fontaine aux dauphins de Fossati qui était place de la Bourse).

En 1803 eut lieu un petit événement, mais important pour l'identité marseillaise : la première foire aux santons fut ouverte. On pense que les Marseillais avaient pris l'habitude de faire la crèche chez eux pendant l'époque révolutionnaire, lorsque le culte catholique fut interdit; ils conservèrent ensuite cette habitude.

Les santons deviennent au début du 19ème siècle ceux que nous connaissons maintenant, en argile peinte. Selon Fernand Benoit, dans son étude sur les traditions populaires de Provence et du Comtat Venaissin (Gallimard, 1948), la foire eut lieu d'abord au cours Saint Louis, avant de se déplacer dans la suite du 19ème siècle au cours Belsunce, puis à partir de 1882 aux Allées de Meilhan (qui seront  plus tard englobées dans la Canebière dont elles constituent la troisième partie) où elle a toujours lieu actuellement, chaque mois de décembre. 

Tous les Marseillais aimaient le préfet Delacroix, qui rendait hommage aux grands hommes de Marseille et au "peuple marseillais" et qui , déjà malade, devait mourir peu de temps après avoir quitté Marseille pour Bordeaux.

 

Marseille atteint (de nouveau après une probable baisse sous la Révolution ) 100 000 habitants. Le premier lycée ouvre (futur lycée Thiers) et le premier musée est ouvert dans l'ancienne chapelle des Bernardines (attenante au lycée Thiers).

 

 

Le préfet Thibaudeau

 

 

 

 En 1803, Delacroix quitta son poste et eut pour successeur à la préfecture Auguste-Clair Thibaudeau.

Celui-ci avait été membre de la Convention (et même le plus jeune membre) et avait voté la mort du Roi. Il avait même siégé coiffé du bonnet rouge (mais c’était semble-t-il pour se donner une image très révolutionnaire pour protéger sa famille, car son beau-père et ses beaux-frères était suspects d’être des contre-révolutionnaires). En fait Thibaudeau était plutôt un modéré. Très hostile aux Jacobins après la chute de Robespierre, il fit un discours pour déclarer qu’il serait la barre de fer sur laquelle les Jacobins se briseraient. Le surnom de barre-de-fer lui resta et définissait bien sa personnalité autoritaire et rigide. Il déclara aussi qu’il préférait la guerre civile au retour des échafauds (échafauds jacobins bien sûr). Aussi sous le Directoire, lors du coup d’état du 18 fructidor, il échappa de peu à l’inscription sur la liste des personnes trop marquées à droite à arrêter ; son ami Boulay de la Meurthe le fit rayer de la liste.

Rallié au coup d’état du 18 brumaire, il fut nommé au Conseil d’Etat par Bonaparte, puis préfet.

Napoléon ne l’appréciait pas vraiment (et c’était sans doute réciproque) mais comptait avec juste raison sur son autoritarisme pour faire appliquer les ordres du gouvernement dans un département indiscipliné.

Lautard dit que lorsqu’on sortait d’une entrevue chez Delacroix, on était « pénétré de douceur » alors qu’on sortait de chez son successeur Thibaudeau avec les larmes aux yeux tellement on avait l’impression de s’être heurté à un mur.

A des gens qui lors d’un dîner, interrogeaient Thibaudeau sur les raisons de son vote dans le procès de Louis XVI, il répondit : j’étais bien jeune à l’époque, bien jeune …

Thibaudeau, devenu comte lorsque Napoléon avait rétabli la noblesse,  resta préfet des Bouches-du-Rhône de 1803 à 1814 (abdication de Napoléon) avec la nette impression que l’empereur n’avait pas du tout l’intention de lui donner un poste plus prestigieux.

 

 

 

Des Marseillais au sacre de l'Empereur

 

En brumaire an XIII ( fin octobre-début novembre 1804, car on continuait à utiliser le calendrier républicain en le doublant de la date en datation courante), les trois maires de secteur de Marseille, Omer Granet, Mossy et Sarmet, ne furent sans doute pas vraiment surpris, mais flattés, en recevant, comme des milliers d’autres notables en France, une lettre ainsi conçue :

" La divine providence et les constitutions de l'Empire ayant placé la dignité impériale héréditaire dans notre famille, nous avons désigné le 11º jour du mois de frimaire prochain pour la cérémonie de notre couronnement. Nous aurions voulu pouvoir, dans cette auguste circonstance, rassembler sur un seul point l'universalité des citoyens qui composent la nation francaise. Toutefois et dans l'impossibilité de réaliser une chose qui aurait eu tant de prix pour notre coeur; désirant que ces solennités recoivent leur principal éclat de la réunion des citoyens les plus distingués et devant prêter, en leur présence, serment au peuple francais, conformément à l'art. 92 de l'acte des constitutions en date du 28 floréal an 12, nous vous faisons cette lettre pour que vous ayez à vous trouver à Paris le 7 du mois de frimaire prochain et à y faire connaître votre arrivée à notre grand-maitre des cérémonies.

Sur ce, nous prions Dieu qu'il vous aie en Sa Sainte garde. Ecrit à St.Cloud le 4 brumaire an 13". [25 oct 1804]

 

L’élévation de Napoléon au titre d’empereur avait été votée quelques mois auparavant et un Sacre avait paru nécessaire pour donner plus de poids à cette nomination.

On peut imaginer, le 2 décembre 1804, les anciens jacobins marseillais, en tenue fixée par le protocole, au milieu des milliers d’invités dans la Cathédrale Notre-Dame, regardant le Pape faire son entrée au son du motet Tu es Petrus (tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église), et assister à la cérémonie où se côtoyaient les anciens notables révolutionnaires de toutes tendances (à condition de s’être ralliés à l’Empire, comme Fouché ou Cambacérès), les modérés rescapés du 18 fructidor (Barthélémy, Portalis), les ralliés de vieille date comme Talleyrand, les nouveaux ralliés de l’ancienne noblesse comme le duc de Cossé-Brissac ou la duchesse de La Rochefoucauld qui tenait la traine de Joséphine. Beaucoup de ces personnages (au moins ceux qui jouaient un rôle dans la cérémonie) sont visibles sur le tableau de David, lui-même ancien Conventionnel régicide.

Julie Clary, devenue princesse Bonaparte, figure au premier plan, à quelques pas de son mari Joseph, mais on ne voit pas Désirée Clary qui était sûrement présente (son mari Bernadotte est bien visible, appuyé sur son sabre). Le maréchal Kellermann (futur duc de Valmy) presque invisible sur le tableau, tient la couronne dite de Charlemagne (pour se situer dans la lignée de Charlemagne, Napoléon avait inventé de faire tenir par ses dignitaires les « honneurs de Charlemagne », sa couronne, son sceptre, ses éperons, sa main de justice, plus ou moins fabriqués pour la circonstance d’ailleurs).

Mgr de Belloy ancien évêque de Marseille et archevêque de Paris est assis compte tenu de son grand âge. Contrairement à un certain nombre de préfets, Thibaudeau n'était pas présent (peut-être parce qu'il était préfet d'un département maritime et que sa présence y était requise vu l'état de guerre) mais par contre l'archevêque d'Aix Champion de Cicé y était, parmi le reste de l’assistance, invisible sur le tableau de David qui ne pouvait représenter qu'une très faible partie de l'assistance.

 Le jeune Henry Beyle, futur Stendhal, assez modeste fonctionnaire dans les bureaux de son cousin l'administrateur Daru, ne faisait pas partie des privilégiés invités à la cérémonie. Il était présent sur le passage du cortège et nota assez aigrement ses impressions : "alliance évidente de tous les charlatans...la religion venant sacrer la tyrannie et cela au nom du bonheur des hommes". Il est vrai qu'à l'époque le jeune Henry Beyle posait volontiers au républicain, avant de devenir, malgré des restrictions, admirateur de l'Empereur.

 

 

 

 Marseille à l'époque du préfet Thibaudeau

 

 

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Porte de la façade arrière de la Mairie de Marseille avec le blason de la ville. symbole de la continuité de l'identité marseillaise au travers des épreuves du temps. Le rétablissement de la mairie unique et du poste de maire sous l'Empire représentèrent un retour à la normale pour les Marseillais. Photo de l'auteur.

 

 

En 1805, l’organisation municipale était modifiée et un maire unique était nommé à Marseille. Le choix se porta sur Antoine Anthoine (ou d’Anthoine).

Ce négociant habile et déjà prospère en 1789 avait préféré passer en Italie les années suivantes qui s’annonçaient difficiles et revenir à Marseille vers 1799. Il était marié à Rose Clary, Julie et Désirée étaient donc ses belles-sœurs et par suite des événements, il se retrouva beau-frère de Joseph Bonaparte, frère de l’Empereur.

Dans le conseil municipal, autour d’Anthoine, on trouvait Omer Granet, le régicide, Mossy et Sarmet, les anciens maires des trois municipalités, mais aussi le marquis Fortia de Pille, ancien viguier héréditaire de Marseille sous l’Ancien régime, ce qui représente un symbole clair de la nouvelle société qui s’était mise en place. 

 Après 1805, preuve du retour des anciens usages, selon A. Fabre, le conseil municipal rétablit la cérémonie du vœu de Mgr de Belsunce (le conseil municipal assistait à la messe fondée par l’évêque de Marseille pour la cessation de la peste de 1720 et offrait un cierge aux armes de la ville – cette cérémonie a toujours lieu mais c’est la Chambre de commerce qui a pris le relais de la Ville depuis la IIIème République – mais de nos jours le Maire est présent à la cérémonie, comme le préfet).

Le Conseil municipal décide aussi de rétablir les anciens noms de rues , au moins pour ceux qui ne portent pas un nom dédié au nouveau régime napoléonien. Ainsi la place de la Tour (du nom de l'intendant d'Ancien régime) qui était devenue sous la Révolution place de la Liberté, devient place Impériale (puis sous la Restauration, place Royale et ensuite place de la Bourse - nom qu'elle conserve aujourd'hui en associant le nom du Général de Gaulle).

Mais l'ancienne rue Mazade qu'on appelait aussi rue Montgrand car les Montgrand étaient seigneurs de Mazade (quand ce n'était pas rue Calas ou rue de la Poste sous l'Ancien régime, où les noms de rues fluctuaient passablement selon les utilisateurs) redevient rue Mazade, après avoir été rue de Libertat sous la Révolution (par une curieuse interprétation faisant de Pierre de Libertat, assassin à la fin du 16ème siècle, du dirigeant marseillais, le Consul Casaulx, un précurseur des révolutionnaires alors qu'il agissait pour le compte de Henri IV contre le "républicain" Casaulx qui cherchait à rendre Marseille indépendante) , une autre partie de la rue étant dénommée rue de la Préfecture car le préfet est logé à l'Hôtel Roux de Corse (futur Lycée Montgrand), dans cette rue, Ses services étaient installés dans la rue d'Armény voisine. Lors de la construction de l'actuelle préfecture, sous le Second Empire, l'ensemble de la rue deviendra rue Montgrand.

En 1807, la procession de la statue de la Vierge conservée à Notre-Dame de la Garde est rétablie; elle a lieu lors de la Fête-Dieu. La statue n'est plus évidemment celle qui existait sous l'Ancien Régime, détruite sous la Révolution, mais une nouvelle statue.

 

 

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Procession de la statue de la Vierge au Panier, le 15 août 2012. La statue sort de la Cathédrale "La Major". Le rétablissement des processions religieuses marqua la période impériale.

Photo de l'auteur.

 

 

La préoccupation des Marseillais était le retour de l’activité économique. Or, pour un port de commerce, l’activité économique nécessite (sauf circonstance exceptionnelle) la paix.

Les Marseillais pensèrent que l’heure de la paix était arrivée lorsque fut signée la paix d’Amiens en 1802 entre la Grande-Bretagne et la France.

Mais un an après, la guerre se rallumait.

La rupture de la paix d’Amiens est en partie venue du refus des Britanniques de restituer Malte, où ils s’étaient implantés en 1800 après avoir aidé la population à chasser les Français. Le traité prévoyait de restituer Malte au vieil Ordre souverain des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, plus connu comme Ordre de Malte, qui avait été expulsé par les Français lors de la prise momentanée de Malte en 1798 sur le chemin de l’expédition d’Egypte ; or, la population maltaise ne voulait pas entendre parler de cette restitution, ce qui arrangeait les Britanniques.

De son côté, Napoléon refusait d’évacuer Anvers.

La flotte britannique, maîtresse de la Méditerranée, implantée à Gibraltar, à Malte et en Sicile, empêchait tout commerce hormis le cabotage et le blocus continental décrété ensuite par Napoléon, interdisant aux pays neutres de commercer avec l’Angleterre, avait fini par plonger Marseille dans un marasme complet.

 La population était retombée à 90 000 habitants et en raison de la situation économique, 40 000 habitants, selon Thibaudeau lui-même, étaient dans l'indigence, dont 30 000 devaient être nourris par la charité publique, dans des conditions misérables puisqu'ils étaient nourris de soupe trempée dans le sang des abattoirs (Raoul Busquet, Histoire de Marseille).

Selon Lautard, l’action du gouvernement impérial ne se manifestait à Marseille que sous deux formes : les impôts qui frappaient les riches et la conscription qui frappait les pauvres (puisque les jeunes gens de la bourgeoisie se faisaient « remplacer »).

Certes l’Empire faisait régner l’ordre public, mais il ruinait économiquement Marseille.

Aussi presque tous les Marseillais avaient fini par détester l’Empire.

Lautard raconte que Thibaudeau, était parfaitement conscient de son impopularité et de celle du régime qu’il représentait : recevant une lettre du gouvernement lui demandant d’augmenter le nombre de conscrits, il déclara à ceux qui l’entouraient : le gouvernement veut donc que les Marseillais me pendent !

Il se rendait odieux en poursuivant vigoureusement les réfractaires au service militaire qui, on s’en doute, étaient nombreux.

Il réussit à convaincre certains jeunes gens de bonne famille de s’engager dans des soit-disant unités d’élite (gardes d’honneur). Le préfet les accompagna à cheval avec le pacifique général du Muy, commandant militaire, jusqu’à la Viste, où il leur fit un bref discours qui commençait par : "Enfants de la Provence" et continuait en leur promettant la gloire. Personne n’y croyait dit Lautard qui était présent pour cet adieu et les jeunes gens étaient désespérés à l’idée de quitter leur famille, peut-être pour toujours. "Pauvres enfants, on vous envoie gaiement à la boucherie " soupire Lautard.

En fait ces gardes d'honneur inexpérimentés ne furent pas engagés dans des combats. Ils revinrent chez eux sauf un petit nombre que les fatigues de la vie militaire fit mourir dans les hôpitaux..

Le maire Anthoine devait assez mal s’entendre avec Thibaudeau (et il se sentait suffisamment protégé par ses alliances familiales pour tenir tête au préfet « barre-de-fer » probablement sur des sujets mineurs). Malgré le marasme économique, Anthoine s’efforça de faire quelques embellissements, créa le Jardin des Plantes près du Jarret, aménagea la Porte d’Aix (mais l’arc de triomphe n’y figurait pas encore), restaura l’église des Chartreux, fit installer un obélisque place Castellane pour la naissance du roi de Rome, fils de Napoléon (en 1911, la fontaine offerte à la ville par Jules Cantini a remplacé l’obélisque qui a été déplacé au rond-point de Mazargues).

En 1808 Anthoine fut nommé baron de Saint-Joseph, quartier où il avait une « campagne » comme on disait. C'est sans doute à ce moment qu'il adopta aussi la particule pour son patronyme, d'Anthoine.

Il maria avantageusement ses filles, l’une au maréchal Suchet, duc d’Albufera, l’autre à l’amiral Decrès, ministre de la marine. Les Clary profitaient aussi de la proximité avec le trône impérial, l’un des frères de Julie et Désirée fut créé comte Clary.

 

Napoléon ayant rétabli les blasons familiaux et municipaux, on proposa pour Marseille de nouvelles armes où on retrouvait, en cherchant bien, la croix bleue traditionnelle, avec en plus un vaisseau antique représentant le commerce et l’origine grecque de la ville et les abeilles symbole de la dynastie napoléonienne.

Le conseil municipal délibéra à l’unanimité que Marseille reprendrait son ancien blason (blanc à croix bleue) et demanda au maire d’Anthoine de soumettre la requête à Napoléon; il semble que l’empereur refusa. Mais Marseille utilisa-t-elle réellement ce nouveau blason artificiel ?

Sous l'Empire, les loges maçonniques connurent un grand essor. il est vrai qu'elles étaient très dévouées au régime qui avait placé à la tête de la maçonnerie des hommes comme Cambacérès ou Lucien Bonaparte.

L'appartenance maçonnique pouvait se concilier de façon apparemment surprenante avec l'appartenance à des confréries de pénitents, qui réapparaissaient discrètement (le ministre des Cultes Portalis, franc-maçon et pénitent, avait obtenu de Napoléon le rétablissement des confréries).  parmi ceux qui avaient cette double appartenance, on trouvait l'avocat Balthazar Jullien dit de Madon, qui fut un ami et une précieuse source d'inspiration sur la période pour Lautard (cf. l'article de R. Bertrand et G. Reynaud, De la révolution au romantisme, quatre auteurs en quête de biographie, Provence historique, fasc. 164, 1991).  Jullien de Madon avait été juge du tribunal populaire fédéraliste de 1793, avait été considéré comme émigré lors de la reprise de Marseille par la Convention (sans doute s'était-il caché seulement). Sous l'Empire, il était un des piliers de la Loge mère écossaise de Marseille où il retrouvait d'Anthoine, Thibaudeau mais aussi Granet. La franc-maçonnerie réconciliait (une fois les événements passés, il est vrai) l'ancien Jacobin et l'ancien fédéraliste.

En 1808, ceux des Marseillais qui passaient par là, purent voir, selon Lautard, un curieux spectacle. Un corbillard descendait le boulevard Dugommier, avec pour seul accompagnement deux agents de police.

C'était le très modeste cortège funèbre de l'ancien maire Mourraille, bien oublié depuis la période révolutionnaire.

La description donnée par Lautard est parlante : Mourraille, sans famille, sans amis, est mort solitaire, peut-être sans les secours de la religion, parfait symbole du discrédit des hommes qui avaient incarné le moment révolutionnaire à Marseille. 

 

 

 

Un roi à Marseille 

 

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Les tours de la résidence du Roy d'Espagne vues depuis la mer.

La résidence tire son nom de la propriété où le roi d'Espagne Charles IV, en exil, s'était installé à partir de 1808.

marseilleforum.com 

 

En attendant la prospérité qui ne venait pas, Marseille avait de quoi se distraire. Napoléon avait placé son frère Joseph sur le trône d’Espagne et la famille royale espagnole en exil vint habiter Marseille : le roi Charles VI, la reine, les princes infants, l’ancien premier ministre et toujours favori du couple royal Don Manuel Godoy, prince de la Paix, furent logés d’abord dans la maison de campagne du maire, à Saint-Joseph, puis au centre ville, dans l’hôtel particulier des frères Bacri, rue Mazade (future rue Montgrand) qu’on relia aux maisons voisines. Une suite nombreuse les accompagnait.

 Puis le roi souhaita avoir une résidence en dehors de la ville et on lui loua la propriété de M. Bastide, située au pied du massif de Marseilleveyre, à cheval sur les quartiers de Mazargues et de Montredon.

Prenant goût à cette propriété, le roi d'Espagne l'acheta en 1811..

Le roi d’Espagne fut très populaire chez les Marseillais, aussi bien à la campagne qu’au centre-ville ; il se promenait tous les jours à pied avec Godoy, habillé sans aucun apparat, discutant familièrement avec tout le monde, ne ratant aucune procession et donnant généreusement pour les pauvres.

La petite cour du roi en exil s'accrut d'un parent richissime de Godoy, le marquis de Branciforte, qui revenait du Mexique où il avait été vice-roi.

Un incident mystérieux mais sans importance marqua aussi le séjour du roi d’Espagne : un jeune officier espagnol de son entourage, nommé Ballesteros, fut arrêté et emprisonné au château d’If. Il semble qu’il y ait eu un lien avec la vie sentimentale de la reine d’Espagne, dont le favori vieillissant était toujours le prince de la Paix, Don Manuel Godoy.

Le roi dut partir de Marseille à la suite d’une histoire rocambolesque.

Quelques Marseillais (d’origine ou résidents), tous opposants à l’Empire malgré des opinions politiques diverses (royalistes, républicains) avaient projeté d’enlever le Roi d’Espagne et de s’en servir contre Napoléon pour révolutionner (pas tout à fait au sens robespierriste) le Sud de l’Italie.  

Ces conspirateurs étaient le général Guidal et son fils, l'adjudant-général Bergier, Charabot père et fils, l'aocat Jaume, le négociant Paban, le capitaine marin Bernard, les patrons pêcheurs Turcon et Raymond et quelques autres.

Parmi les participants de cette improbable conspiration, il y avait Barras. L’ancien Directeur, retiré de la vie politique après le 18 brumaire, enrichi par la corruption et les dessous-de-table (son désistement en brumaire semble avoir été grassement payé) vivait près de Marseille dans son château des Aygalades. Barras croyait-il à ce complot ou était-ce une façon de se replonger dans la vie d’aventures qui avait été la sienne ?

Les comploteurs prirent contact avec la flotte britannique qui devait aider à l'enlèvement du roi d'Espagne avec l'entremise d'un familier de Godoy, un dénommé Julia. Le Prince de la Paix lui-même faisait-il partie du complot ?

A. Fabre raconte l'une de ces rencontres avec les Anglais en 1811 : Guidal et Charabot père embarqués à l'embouchure de l'Huveaune sur le bateau du patron Turcon, se dirigent vers La Ciotat; au large de ce port, ils rencontrent une goelette anglaise qui les amène au navire amiral britannique où ils sont reçus par l'amiral de la flotte de la Méditerranée, sir John Cotton. Guidal avait manqué plus tôt une autre rencontre car il avait fallu le débarquer à cause du mal de mer... C'était Charabot qui avait continué jusqu'à Mahon, sur l'île de Minorque, à l'époque occupée par les Anglais.

La police de Napoléon, dirigée à Marseille par M. de Permon, le frère de la spirituelle duchesse d'Abrantès (épouse du Maréchal Junot, duc d'Abrantès - ils étaient demi-corses puisque M. de Permon, ou Permon tout court, le père avait épousé une Stéphanopoli de Cargèse) commença à flairer la conspiration. Guidal fut arrêté au début de 1812 à son domicile de la rue Noailles (plus tard la deuxième partie de la Canebière à partir du Vieux-Port) et transféré à Paris. Le général Mallet le tira de sa prison en octobre 1812, lorsqu'il fit sa tentative de coup d'état: après l'échec de celle-ci, Guidal et Mallet furent fusillés. 

Barras ne fut pas inquiété, peut-être parce que Napoléon lui devait beaucoup. Il fut toutefois exilé à Rome.

Napoléon fit aussi partir de Marseille le Roi d’Espagne et sa famille pour leur nouvelle résidence d'exil à Rome ; le roi quitta Marseille en présence d'une foule immense, qui agitait mouchoirs et chapeaux, qui arrêtait affectueusement son carrosse, on criait "Vive le roi", un cri à double sens (vive le roi d'Espagne mais vive aussi le roi de France!) qui agaçait Thibaudeau. Le général du Muy, commandant de la région militaire, chevauchait à la portière du carrosse royal.

Selon Augustin Fabre, le roi, ému, laissait couler ses larmes. Il s’était bien habitué à Marseille et à sa population et il était aussi triste de ce départ que les habitants.

 La propriété de M. Bastide qu'il avait achetée fut revendue et fut ensuite agrandie par l'achat de la propriété de M. Musso par la famille Jourdan-Barry en 1923. Le nom de Roi d'Espagne lui resta et vers 1960, la propriété fut revendue à la Caisse des dépôts qui fit construire une grande résidence dans la pinède, toujours connue sous le nom de "Roy d'Espagne".

Pendant ce temps la « croisière » anglaise (comme on appelait les navires qui croisaient au large des côtes méditerranéennes) bloquait toujours l'activité portuaire et comme il faut bien que la croisière s’amuse, les Anglais débarquaient souvent à Cassis et se promenaient tranquillement dans le village en payant sans marchander les provisions qu’ils achetaient.

Quelques habitants, des vieux marins de la marine de guerre, furieux de ces incursions (les commerçants avaient peut-être un avis contraire), décidèrent de remettre en batterie un vieux canon.

Lorsqu’un navire suspect se présenta, les canonniers coururent à leur poste et ils s’apprêtaient à faire feu lorsqu’au dernier moment, on s’aperçut que le navire ennemi était une barque de pêche cassidaine, dont le patron, qui voyait sa dernière heure arrivée, s’égosillait en provençal pour se faire reconnaître.

 En 1810, les Anglais débarquèrent aussi à Pomègues, l'une des îles du Frioul, pour s'emparer des bateaux qui faisaient leur quarantaine, mais ils furent repoussés.

 Le commandant militaire de Pomègues était absent lors de l’attaque anglaise : il s’était rendu sans autorisation de son supérieur (le commandant du château d’If) passer la soirée à Marseille. Napoléon le fit passer en conseil de guerre et souhaita la sanction la plus sévère. Le conseil de guerre l’acquitta, aux applaudissements du public marseillais, ravi de l’occasion de montrer son opposition à Napoléon (ce qui au passage montre le caractère relatif de la « dictature » napoléonienne).

 

 

 

Le complot du Midi

 

 

Les participants à la conspiration qui avait voulu enlever le roi d'Espagne, augmentés de nouveaux membres, l'avocat Sauvaire, l'ancien maire du Bausset Revest, pousuivaient leurs complots. Ils essayaient de favoriser le débarquement des Britanniques. Leur but était de soulever Marseille en proclamant l'abolition de la conscription et des droits réunis (les impôts indirects) et ensuite de proclamer la République (les républicains sous l'Empire ne considéraient plus comme une trahison de faire appel aux Anglais !). On peut se demander s'il était très sérieux d'imaginer un changement de régime qui aurait eu son origine à Marseille et non dans la capitale. Les comploteurs y croyaient-ils vraiment ? 

C'est à ce moment qu'on parla du "complot du Midi".

En 1813, la police arrêta Charabot père et fils. Charabot fils fut condamné à mort; juste avant l'heure de son exécution, sur l'esplanade de la Tourette, tandis qu'une foule immense encombrait les avenues (A.Fabre) il demanda en échange d'un sursis, à faire des révélations et donna les noms des autres conspirateurs dont certains furent arrêtés. Mais d'autres se cachèrent et décidérent de faire une action d'éclat en soulevant Marseille dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1813, Selon Fabre, le moment semblait bien choisi car le mécontentement et la misère étaient à leur maximum.

Un des conjurés, un ouvrier, Aurouse, dénonça le lieu du rassemblement et l'armée fut au rendez-vous. Un conjuré fut tué, d'autres arrêtés, les autres s'enfuirent mais ils finirent par tomber progressivement dans les mains de la police.

Plusieurs furent condamnés et fusillés dont Paban. Ceux qui n'avaient pas été exécutés furent libérés sous la Restauration, dont les Charabot. 

Ces condamnations répendirent la terreur dans Marseille et accrurent la haine portée à Thibeaudeau, selon Augustin Fabre.

En 1813, le général Cervoni, qui commandait la division militaire de Marseille, était affecté sur sa demande à l’armée en campagne et était tué peu après à la bataille d’Eckmühl.

Les Marseillais assistèrent en grand nombre à son service funèbre. Comme le dit Augustin Fabre dans son Histoire de Marseille, c’était à l’homme qu’ils rendaient hommage pour ses qualités, et non au militaire, car les Marseillais étaient dégoûtés de la guerre.

Nous avons déjà cité l’appréciation de Lautard sur ce soldat, qui était fils d’un compagnon de Pascal Paoli : « le brave général Cervoni, l’ami de Marseille ».

 

En 1813, Anthoine quitta son poste de maire et fut remplacé par son premier adjoint, une « trouvaille » de Thibaudeau, le marquis (titre d’Ancien régime) de Montgrand. Thibaudeau avait remarqué cet homme encore jeune, un peu solitaire et timide, qui était instruit et désireux de bien faire pour sa ville. Il le fit nommer au conseil municipal puis le recommanda pour remplacer Anthoine puisque les maires étaient nommés par le gouvernement.

 

 

 

 

Le retour des Bourbons

 

 

 

Lorsqu'on apprit l'abdication de Napoléon, pour prévenir les troubles, une garde nationale urbaine fut formée, sous le commandement du comte de Panisse.

Lorsque la nouvelle officielle du rétablissement de la monarchie parvint à Marseille le 14 avril 1814, une foule immense se rassembla, hommes, femmes, enfants, vieillards, riches, pauvres, s'embrassaient sans se connaître selon le récit d'Augustin Fabre, pourtant peu favorable à la monarchie.

M. de Montgrand, qui était royaliste de coeur, lut devant la foule les dernières nouvelles officielles. Le soir, la ville fut illuminée et la nuit parut augmenter le délire de la foule (A. Fabre). L'adjoint au maire Raymond parcourut la ville en triomphe au milieu d'immenses colonnes de lumière, environné d'enfants et de personnes qui dansaient, lisant dans tous les quartiers la proclamation du rétablissement des Bourbons.

On joua l’opéra Richard Cœur de lion, opéra devenu « culte » chez les royalistes à cause de l’air : « O Richard, ô mon roi, l’univers t’abandonne… ».

Selon Lautard, même Thibaudeau se serait réjoui du retour des Bourbons, s’il n’avait pas voté jadis la mort de Louis XVI !

Le préfet quitta discrètement la ville.

Les prisonniers politiques détenus au château d'If furent libérés, la flotte anglaise salua d'une salve d'honneur le drapeau blanc flottant sur le fort Notre-Dame de la Garde, et les batteries de Marseille lui répondirent.

La municipalité fut invitée sur les navires britanniques, puis les officiers anglais débarquèrent à l'invitation de M. de Montgrand et furent accueillis comme des amis par des milliers de Marseillais; on célébra un Te Deum; le jour même la statue de la Vierge fut descendue de Notre-Dame de la Garde en procession. Plusieurs jours durant, les fêtes continuèrent, les travaux quotidiens étaient interrompus, les réfractaires rentraient en ville sous les applaudissements.

Toites les distinctions sociales parurent s'abolir, ce furent des saturnales pures de tout excès, car elles étaient fondées sur une unanimité de sentiment, dit Augustin Fabre, qui ne manque pas d'insinuer que Marseille, en bonne cité commerçante, était moins "chevaleresquement" royaliste que soucieuse de ses intérêts.

Pour Marseille, un peu naïvement, le retour des Bourbons, c’était le retour de la prospérité et en tous cas de la paix.

Le duc d’Artois (frère de Louis XVIII et du défunt Louis XVI, et futur Charles X) arriva à Marseille et fut reçu dans l’enthousiasme général. On ne manqua pas de lui réclamer (les Marseillais ne perdent jamais le nord) le rétablissement de la franchise du port (suppression des droits de douane pour les marchandises débarquées) qui avait contribué à la fortune de Marseille avant la révolution.

Le célèbre chanteur des rues aveugle Barry, qui en d'autre temps avait chanté la Marseillaise et les victoires de Napoléon, s'adaptant sans peine à un nouveau régime, et probablement sincère, chantait en provençal les espoirs du peuple, dans une chanson qui eut un grand succès :

 Mangearen plus de farinetto,

Mangearen que de coustelleto,

Eh, vivo lou rei !

(nous ne mangerons plus de farinette - une bouillie de pois chiches et d'autres légumes - nous mangerons que des côtelettes, vive le roi !)

(cité par l'article de R. Bertrand et G. Reynaud, De la révolution au romantisme, quatre auteurs en quête de biographie, Provence historique, fasc. 164, 1991).

Le maréchal Masséna, prince d’Essling, commandant de la région militaire, rallié aux Bourbons comme tous les serviteurs et maréchaux de Napoléon, et natif de Nice, présentant le duc d’Artois aux notables, disait à tout le monde en provençal : Vaqui un veritable princé ! (voilà un vrai prince !).

Montgrand, déjà maire à la fin de l’Empire, restait maire d’autant plus que ses vrais sentiments étaient pour les Bourbons.

Dans les noms des notables qui prennent part aux festivités en l’honneur du comte d’Artois, on note des patronymes qui montrent que Marseille est déjà une ville ouverte à l’immigration, italienne principalement à ce moment : M. Barthélémy Strafforello (ensuite député), M. Peragallo (peut-être un nom grec ?)… 

Marseille n’avait pas encore eu le temps de voir la prospérité revenir que moins d'un an après la Restauration de 1814, on apprenait que Napoléon avait débarqué le 1er mars 1815 à Golfe-Juan, revenu de l’île d’Elbe pour reprendre le pouvoir. Les autorités militaires, dont le maréchal Masséna, attendaient de voir.

Les Marseillais, très majoritairement royalistes, formèrent des bataillons de la Garde nationale sous le commandement de M. de Borély pour bloquer la route des Alpes vers laquelle Napoléon se dirigeait. Les portefaix (ouvriers du port ancêtres des dockers) demandèrent à être armés pour s'opposer à l'usurpateur qui était aussi l'homme de la guerre et de la conscription.

Napoléon passa quand même et en quelques jours il fut à Paris, sans avoir rencontré d'obstacle véritable, tandis que le roi Louis XVIII partait en exil à Gand.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
N
Bonjour Monsieur<br /> <br /> j'ai trouve votre article Marseille sous l'empire très intéressant ; auriez vous des photos ou d'autres infos sur la colonne du génie de l'immortalité, sise jardin du boulodrome (rue des trois mages)<br /> <br /> En effet ce monument (que j'ai visité) est horriblement défiguré, plaque cassée, tagué ...<br /> <br /> et les inscriptions sont quasi illisibles.Je ne retrouve pas le passage qui fait référence au consulat (Bonaparte... dernier côté cf : votre texte )<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Christophe Hennequin<br /> <br /> 13011 Marseille
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Le comte Lanza vous salue bien
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