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Le comte Lanza vous salue bien
5 mai 2013

MARSEILLE EN REVOLUTION, DEUXIEME PARTIE

MARSEILLE EN REVOLUTION

DEUXIEME PARTIE

 

 

 

Une année charnière, 1792

 

 

 

Depuis 1789, est on entré dans l’ère de la liberté ou dans celle de l’anarchie ?

 La question n'avait sans doute rien de provocateur pour beaucoup de contemporains.

Les années révolutionnaires ont modifié, chez beaucoup, le regard porté sur le mouvement révolutionnaire lui-même.

Si probablement aucune personne hostile en 1789 à la Révolution ne s’est convertie aux idées révolutionnaires par la suite (nous ne parlons pas ici de réactions élémentaires de prudence !) l’évolution contraire est nettement perceptible.

Elle se fonde sur le constat que les partisans de l’Ancien régime sont en déroute ou qu’en tous cas ils ne sont plus vraiment dangereux. Par contre, le désordre et la violence que représentent les factions révolutionnaires qui veulent non pas stabiliser mais accentuer le mouvement (factions elles-mêmes diverses) semblent être devenus le premier danger pour certains.

Evidemment, ce point de vue ne peut qu’être contesté par les révolutionnaires radicaux ou extrémistes, qui deviennent majoritairement républicains après la tentative de fuite du Roi à Varennes en juin 1791. Ces révolutionnaires dénoncent dans le point de vue des partisans de l’ordre une manœuvre des nostalgiques de l’Ancien régime. Deux positions inconciliables vont bientôt s’affronter.

Dans les villes, ce sont les violences des révolutionnaires convaincus qui entrainent la désaffection d’une partie de la population.

 

 

Un exemple dans une région pourtant plutôt épargnée par l’extrême violence montrera cette évolution.

Peu de temps avant la chute de la monarchie (prise des Tuileries, 10 août 1792, suivie de la suspension du Roi), la Ville d’Ajaccio envoie au ministre de l’Intérieur un rapport sur des troubles qui se sont déroulés à Pâques 1792 et où la Garde nationale locale (commandée par un jeune officier, simple lieutenant de l’armée régulière, mais colonel en second de la garde nationale du département de la Corse, un certain Napoléon Bonaparte) a ouvert le feu sur des habitants qui sortaient de la messe, à l’issue d’une montée de tension entre habitants de la ville et gardes nationaux venant de la campagne environnante, les événements en cours réactivant de vieilles oppositions propres à la Corse. Ce rapport est daté avec ironie de l’an IV de l’anarchie (la mode s’était imposée, avant même l’adoption du calendrier républicain, de dater les années à partir de l’an I de la Liberté, 1789).

La municipalité d’Ajaccio ne devait pas être seule à considérer qu’en 1792, l’anarchie était plus visible que la liberté.

Il faut aussi signaler, pour montrer la complexité du moment, que si on peut considérer le jeune Bonaparte, pour son activité en Corse comme un jacobin (au sens de 1792) et un adversaire des contre-révolutionnaires (catégorie qui en Corse plus qu’ailleurs est ambiguë) au point que le rapport de la municipalité d’Ajaccio le désigne comme « incendiaire », il est bien plus en retrait « sur le continent ». Deux mois après les événements qui le font taxer d’incendiaire par ses compatriotes ajacciens, Bonaparte est à Paris où il assiste d’abord à l’envahissement du Palais des Tuileries par « le peuple » le 20 juin 1792, puis à la prise des Tuileries le 10 août 1792, qui signe la chute de la monarchie. Pour Bonaparte, ceux qui attaquent le Palais sont « la plus vile canaille » et on sait qu’au 20 juin, discutant dans la rue avec son ami Bourrienne, (Bonaparte à ce moment est radié des contrôles de l’armée pour avoir trop prolongé son congé en Corse et avec son ami il essaye en vain de trouver de quoi se procurer des ressources) il dira à haute voix au risque de se faire remarquer des « patriotes », après avoir traité Louis XVI de « coglione » pour sa passivité : « A sa place, je nettoyais la moitié de cette racaille avec l’artillerie et le reste courrait encore ! ».

 

A Marseille, le club des amis de la Constitution (club local des jacobins) prend de plus en plus de poids. Il contrôle la municipalité du Maire Mouraille.

Son audience est relayée par  Le journal des départements méridionaux et des amis de la Constitution, publié par Pierre Micoulin et Alexandre Ricord.

Micoulin était un marchand d'huile et on a déjà rencontré l'ambitieux Ricord, protégé de Mouraille et dénonciateur de Brémond jeune, Le premier numéro parait le 6 mars 1792. Ce journal tri-hebdomadaire donne le point de vue Jacobin sur l'évolution de la vie publique. 

L’année 1792 voit les tensions s’accroitre.

 Chompré, devenu administrateur du département, est spécialement chargé de la fermeture des couvents.

Les « patriotes » marseillais interviennent fréquemment lors d’expéditions civiques destinées à faire triompher les idées révolutionnaires dans les localités avoisinantes.  Marseille s’impose comme le centre directeur des opinions révolutionnaires pour la région provençale.

 

Dans ces expéditions, les membres de la Garde nationale marseillaise sont accompagnés de patriotes membres du Club de la rue Thubaneau.

A Aix, ils procèdent au désarmement du régiment suisse d‘Ernst

Au retour de l’expédition d’Aix, le 28 février 1792, se place un événement caractéristique : une bouquetière, surnommée La Cayole, car femme du marin Jean Cayol, s’est moquée de l’accueil exagérément enthousiaste fait à la garde nationale. Il semble qu’elle ne cachait pas ses sentiments contre-révolutionnaires.

Malgré l'intervention d'un membre de la municipalité, Giraud, qui essaye de la protéger, elle est pendue à un réverbère par un groupe de patriotes dont font partie des femmes, Thérèse Caval dite La Cavale et Elisabeth Taneron, femme Fassy (son mari marchand de voiles), dite La Fassy.

Ces femmes vont se faire remarquer ensuite dans toutes les tueries, où elles organiseront après les meurtres des farandoles macabres, tandis que ceux qui désapprouvent n’osent pas se manifester. Retenons leurs noms, nous les reverrons quand le temps des vengeances sera venu.

Interrogeons-nous un instant sur ces meurtres : les historiens de toutes les époques qui sans les approuver (qui approuve clairement un meurtre ?) disent les comprendre et les expliquer par « la longue humiliation de la société de caste de l’Ancien régime » se moquent un peu du monde.

A Marseille, l’effet de la société de caste était atténué : il n’existait pas de seigneurs féodaux à Marseille même (si des Marseillais détenaient effectivement des biens féodaux, c'était à l'extérieur de Marseille)*; les gens qui tenaient le haut du pavé étaient des bourgeois, anoblis ou pas. Certes les plus modestes avaient peu de chances de se hisser un jour à ce rang, mais il en va de même dans beaucoup de sociétés dites démocratiques. Et on voit mal pourquoi la femme d’un marchand de voiles (ce sera le métier de Panisse, bourgeois marseillais à son aise dans la trilogie de Pagnol, environ 130 ans après) aurait été plus humiliée par la société d’Ancien régime que la femme d’un marin, bouquetière de son état (il est vrai que celle-ci, au contraire, était peut-être menacée économiquement par les troubles révolutionnaires, peu propres au commerce d’agrément comme celui des fleurs, ce qui expliquerait son ironie vis-à-vis des « patriotes » ?).

                                                          * Il serait naïf d'imaginer les relations entre les seigneurs féodaux et leurs  "sujets", sous la forme d'une humiliation permanente; du point de vue collectif, ces relations, parfois polies, prenaient souvent la forme de procès entre les communautés d'habitants et les seigneurs, les uns et les autres essayant avec âpreté de défendre leurs droits - mais la justice (de classe) du Parlement de Provence, presque toujours favorable aux seigneurs, nourrissait le mécontentement et l'exaspération. Du point de vue individuel, le seigneur recevait des propriétaires "censitaires" du domaine féodal (le seigneur leur avait concédé la propriété des terres par contrat, réel ou supposé, à condition d'acquitter des droits permanents) des redevances, parfois très modestes,  mais qui pouvaient se cumuler et nourrissaient le mécontentement. Par ailleurs,le seigneur exploitait aussi, généralement, son propre domaine (la "réserve") en tant que propriétaire direct. Des personnes morales pouvaient avoir la qualité de seigneur. La ville de Marseille était seigneur de quelques localités en Provence.

 

 

Retenons aussi que ce qui est ici puni par le meurtre, ce n’est pas la responsabilité personnelle dans « la misère du peuple » comme dans certains meurtres révolutionnaires, par exemple l’assassinat à Paris de l’Intendant Foulon et de son gendre Berthier de Sauvigny, jugés responsables de la cherté du pain, en 1789, mais une simple attitude de plaisanterie. Se moquer des patriotes devient passible de mort.

 

Il sera vite perceptible que les « pendeurs » et lyncheurs, La Favole, La Fassy, et d’autres dont les frères Savon (bien nommés pour des Marseillais !) sont protégés par le procureur-syndic de la Commune, le numéro deux de la municipalité, Seytres et par le maire Mouraille, par connivence ou par crainte de ces éléments dangereux qui prennent clairement possession de la rue, exécutent avec plus ou moins de raffinement ceux qui leur déplaisent et s’imposent au reste de la population par la peur.

 

Les Marseillais interviennent à Arles en mars 1792, où ils vont prêter main-forte aux jacobins locaux (les monnaidistes ; du nom du faubourg où habitaient la plupart d’entre eux) contre les monarchistes locaux (ou chiffonistes ou siphonistes, car ils avaient comme signe de reconnaissance un syphon, par jeu de mot du fait qu’ils se réunissaient dans la maison du chanoine Giffon).

 Ces interventions (ou « courses civiques ») ont aussi un caractère pédagogique marqué. Ainsi François Isoard, le secrétaire du Club des amis de la Constitution, et Tourneau, jouent le rôle de véritables missionnaires révolutionnaires dans leur tournée dans les Basses-Alpes, au printemps 1792, diffusant des sortes de catéchisme révolutionnaires bilingues (français-provençal) pour être compris du plus grand nombre. Ils font aussi échec à une opération royaliste sur Sisteron.

 

Dans un tout autre domaine, la vente des biens nationaux provoque, à Marseille, comme dans le reste des Bouches-du-Rhône, et comme dans l'ensemble de la France, des changements dans la répartition de la richesse. 

Tous ceux qui ont les moyens profitent de la mise sur le marché des biens "de première origine"  (du Clergé) puis de "deuxième origine" (biens confisqués aux émigrés). Des fortunes immobilières se consolident ou s'édifient. Les petits propriétaires, les agriculteurs sans beaucoup de moyens, profitent des miettes. Les bourgeois déjà établis s'emparent des biens les plus considérables. leur position politique sera donc marquée par une double crainte : que les partisans de l'égalité sociale prennent trop d'importance d'une part, d'autre part que l'Ancien régime soit rétabli, ce qui risquerait de faire annuler les ventes... 

La suite des événements va être déterminée par le retentissement des opérations de guerre. En effet, après une période de tension, le gouvernement français, toujours monarchique, déclare le 20 avril 1792 la guerre au Roi de Bohème et de Hongrie (appellation protocolaire du souverain autrichien, qui est aussi Empereur germanique ; la France semble vouloir ainsi éviter de déclarer la guerre à tout l’Empire- aussi bien l’Empereur François II, à ce moment, n’a pas encore été couronné, ce qui tombe bien pour maintenir l’ambiguïté des intentions françaises ; il semble que si la France avait voulu déclarer la guerre à l’Empire, elle aurait employé l’appellation de « Roi des Romains », usitée pour les Empereurs germaniques non encore couronnés).

 

On sait que tout le monde attend quelque chose de ce conflit : les « patriotes » de gouvernement soutenus par de futurs Girondins comme Brissot, étendre pour les uns la révolution à l’Europe, pour les autres, détourner la population des problèmes internes par un conflit extérieur (vieille astuce qui sert toujours).

Les révolutionnaires modérés comme La Fayette espèrent que des succès guerriers leur permettront d’agir vigoureusement contre les révolutionnaires extrémistes qui parlent de plus en plus de République. Les adversaires de la Révolution (de tendances diverses) attendent plutôt que les troupes françaises, désorganisées par 4 années de troubles et ayant perdu beaucoup de leurs cadres par l’émigration, soient battues et que les forces étrangères rétablissent l’ordre (soit sous forme de rétablissement de l’Ancien régime, soit sous la forme de la monarchie constitutionnelle qui a la faveur des Feuillants). On passe d’une opinion à l’autre par des transitions insensibles.

Seuls des hommes comme Robespierre sont contre la guerre qui détourne le peuple de son véritable intérêt. 

A l’Assemblée législative la plupart des modérés votent pour la guerre, comme par exemple le député de la Corse Pozzo di Borgo qui quelques mois après fera figure de contre-révolutionnaire très actif.

 

 

 

 

La guerre précipite les événements

 

 

 

C’est dans ce contexte que Rouget de Lisle, un officier plutôt modéré, va créer le chant de guerre de l’armée du Rhin qui deviendra la Marseillaise.

On sait que le chant, dédié par Rouget de Lisle au Maréchal Luckner, un bavarois, vieux soldat d’Ancien régime à la retraite, qui avait repris du service contre la promesse d’être nommé Maréchal de France, fut chanté pour la première fois le 25 avril 1792 à Strasbourg chez le maire, le baron de Dietrich, un patriote modéré lui aussi, qui avait suggéré à son ami Rouget de Lisle d’écrire un chant entraînant pour l’armée.

Contrairement aux idées reçues, la création de cet hymne parut se faire dans une atmosphère plus mondaine que tragique, puisque la femme du Maire, Louise de Dietrich, écrivait le 12 juin 1792 à son frère Pierre Ochs, Chancelier du canton de Bâle (et qui devait jouer un rôle contesté dans les tribulations de la Suisse dans les années qui suivirent, aboutissant en 1798 à la création d’une République helvétique, république sœur de la République française) :

«  Comme tu sais que nous avons beaucoup de monde, et qu'il faut toujours inventer quelque chose, soit pour changer de sujet, soit pour traiter de sujets plus distrayants les uns que les autres, mon mari a imaginé de faire composer un chant de circonstance. Le capitaine du Génie, Rouget de Lisle, un poète et compositeur fort aimable a rapidement fait la musique du chant de guerre. Mon mari, qui est bon ténor, a chanté le morceau qui est fort entraînant et d'une certaine originalité. C'est du Gluck en mieux, plus vif et plus alerte ». 

On peut déjà remarquer que Rouget de Lisle a commis une assez mauvaise action en montrant les soldats ennemis « qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes » car à la date où le chant a été composé, les ennemis n’étaient pas entrés en France et donc n’avaient pu commettre les violences qui leur sont reprochées. Lorsqu’ils entrèrent en France, fin août  1792, il ne semble pas avoir commis de violences semblables. Les seuls soldats à avoir massacré des femmes et des enfants en France à l’époque de la Révolution paraissent bien, malheureusement, avoir été les soldats de la Convention, comme on le verra. Cette observation est exempte de toute visée polémique et veut juste rendre justice aux uns et aux autres. 

Le chant de guerre de l’armée du Rhin ne porta pas bonheur à ses créateurs ou à son dédicataire : Luckner fut guillotiné en 1794, comme le baron de Dietrich 6 jours avant, l’un et l’autre étant accusés par le tribunal révolutionnaire d’être monarchistes ; quant à Rouget de Lisle, emprisonné sous la Terreur, lui aussi pour « royalisme », il fut sauvé par la chute de Robespierre au 9 thermidor.

Nous les retrouverons brièvement dans notre récit pour illustrer les contradictions d’un moment extrêmement confus et que, deux siècles et quelques décennies après, on simplifie à l’excès dans l’idée qu’on s’en fait communément.

 

Mais nous sommes encore en mai 1792. Très vite les opérations militaires sont désastreuses, bien que la France ait pris l’initiative et envahi les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique) où elle compte en partie sur l’opposition de la population aux Autrichiens (qui est réelle mais qui ne signifie nullement que les Belges partagent les idées révolutionnaires des Français, sauf exception). Il semble que La Fayette, inquiet de l'existence en France d'une frange extrémiste de plus en plus puissante, ait négocié avec les forces ennemies l'arrêt des opérations, pour pouvoir marcher sur Paris et en finir avec les extrémistes.

L'opinion révolutionnaire, qui s’exprime principalement par les clubs parisiens et leurs relais dans les département et par les députés « patriotes » à l’Assemblée législative, est scandalisée par le refus du roi de signer deux mesures votées par l’Assemblée : la création d’un camp de fédérés à Paris (comprenons de Gardes nationaux venus de toute la France pour protéger Paris de la contre-révolution et des ennemis extérieurs) et la déportation de prêtres réfractaires. Ce refus cause la journée du 20 juin  1792, répétition générale du 10 août : le palais des Tuileries est envahi, Louis XVI est obligé de se coiffer du bonnet rouge mais il tient ferme devant la foule et refuse d’approuver les mesures dont on vient de parler.

De toutes façons, le « veto » du Roi (d’où son surnom et surtout celui de la Reine, Madame Veto) n’empêche pas la convocation à Paris par l’Assemblée nationale de 20 000 patriotes pour créer le fameux camp de fédérés, un mot qui renvoie à la fête de la Fédération de 1790 et aux « fédérations »- ou rassemblements unitaires- des Gardes nationales de diverses provinces qui avait été à son origine. Le mot a donc un sens unitaire qui ne doit pas être confondu avec celui de partisan d’une organisation fédérale de la France.

 

 

 

Le bataillon du 10 août et les violences de rue à Marseille

 

 

 

Barbaroux, député extraordinaire du club des Jacobins de Marseille auprès de l’Assemblée nationale (donc représentant d’un club mais non pas élu à l’Assemblée) écrit alors au Maire de Marseille Mouraille, en lui demandant d’envoyer à Paris « six cent hommes sachant mourir » pour le camp de fédérés.

Le 22 juin 1792, rue Thubaneau, chez le traiteur David, proche du Club des Jacobins de Marseille, au cours d’un dîner fraternel, un délégué des fédérés montpelliérains, venu pour coordonner le départ du contingent montpelliérain avec celui des Marseillais (il semble que les deux contingents sont finalement partis séparément), le Docteur François Mireur, chante pour la première fois à Marseille, le chant de Rouget de Lisle, qui est parvenu à sa connaissance d’une façon ou d’une autre, provoquant l’enthousiasme des auditeurs.

Le chant a par la suite été rendu populaire après sa première audition, semble-t-il, par un célèbre chanteur des rues aveugles, Barry.

Il est publié peu de temps après dans le  Le journal des départements méridionaux et des amis de la Constitution de Micoulin et Ricord avec la mention : "sur l'air de l'opéra Sargines" (opéra-comique célèbre du moment, de Dalayrac) ce qui ne semble pas vraiment exact...

L'air de la future Marseillaise, puisque ce nom ne viendra que plus tard, a du être trouvé entraînant même par les gens les plus réservés envers la Révolution.

Lautard en parle comme d'un air magnifique, avec par contre des paroles insignifiantes et sanguinaires.

Un témoin de l'époque, le Marseillais Laplane, devait s'engager dans les mois qui suivent activement contre la Convention. Les carnets qu'il avait laissés où il racontait au jour le jour les événements à Marseille, qui auraient été une mine pour l'historien, furent détruits par sa famille, par prudence, sous la Terreur, pendant que Laplane se cachait. Lui aussi, dans ses souvenirs incomplets, trouve l'air de la Marseillaise magnifique et les paroles ignobles (Laplane, Journal d'un Marseillais, première publication, 1988).

Quant à l'historien Augustin Fabre, libéral de 1830, malgré son peu de sympathie pour les Jacobins (à qui il ne veut pas laisser le monopole de la Marsellaise, en quelque sorte !) il en parle comme d'un air sublime.

Les volontaires marseillais s’engagent les 25 et 26 juin.

Finalement ils seront 513, le plus souvent membres de la Garde nationale, dont quelques Toulonnais qui se sont joints au contingent marseillais.

On peut trouver un peu curieux que Marseille n’ait pas trouvé les 600 hommes demandés, ce qui implique peut-être que les révolutionnaires convaincus n’étaient pas si nombreux.

Evidemment ces hommes sont des militants convaincus qui sont à la pointe de la dénonciation du « double-jeu » du Roi.

Quant aux militants violents qui ont commencé à faire régner la terreur en ville, ils préfèrent sans doute rester chez eux et continuer leurs exactions mais il n’est pas exclu que certains aient rejoint le bataillon qui part pour Paris, qui comme on le verra, ne s’est pas distingué par sa modération lors du 10 août 1792.

 

Le 27 juin, le conseil général de la Commune de Marseille envoie à l’Assemblée législative une pétition demandant que le Roi soit remplacé par une autorité élue. Les Marseillais (du moins les patriotes marseillais) sont donc à la pointe du combat contre ce qui subsiste d’autorité monarchique.

 

Les fédérés Marseillais quittent Marseille pour Paris le 2 juillet 1792 sous la conduite du Commandant du bataillon, François Moisson (un boulevard marseillais porte son nom) et de son second, Pierre-Dominique Garnier ; ils chantent le fameux chant tout le long du chemin. Dès lors, tout ceux qui l’entendent le désigneront comme le chant des Marseillais, puis la Marseillaise. Oublié, le chant de guerre de l’armée du Rhin.

 

Pendant ce temps, un autre Marseillais s’inquiète et dénonce les patriotes. C’est Blanc-Gilly, qu’on a vu révolutionnaire modéré, qui a été élu député à l’Assemblée législative en 1791, et qui a évolué vers des opinions plus conservatrices (il n’est pas le seul). Dans son « Réveil d'alarme d'un député de Marseille aux bons citoyens de Paris » du 5 juillet, il décrit le bataillon des Marseillais comme « l'écume des crimes vomie des prisons de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l'Italie enfin, de l'Espagne, de l'Archipel (les îles grecques), de la Barbarie (l’Afrique du nord) », résultat de la position géographique et commerciale de Marseille qui selon Blanc-Gilly, attire donc toute la racaille du bassin méditerranéen à l’affût de toutes les occasions de désordre, de pillage et de violence.

Mais on peut sourire de cette tentative de rejeter sur des non-Marseillais la participation aux opinions révolutionnaires les plus actives, car les volontaires du bataillon qui montent sur Paris sont bien, dans leur immense majorité, des natifs de Marseille. Leurs chefs ne sont pas non plus des prolétaires issus des franges les plus pauvres de la population, puisque Moisson est pelletier et Garnier est (ou se dit ?) architecte.

Pendant que le bataillon monte sur Paris, Ricord, un des "patriotes" les plus en vue, dénonce au Club, "l'abominable La Fayette", "un homme qui a tous les vices". On pourrait hausser les épaules devant ce verbiage, mais il a sa contre-partie dans les assassinats de rue qui ont lieu au même moment.

En juillet la Prusse entre à son tour en guerre contre la France (c'était prévisible puisqu'elle était liée par traité à l'Autriche), avivant chez les patriotes la psychose de la trahison et renforçant leur colère contre les ennemis de l’intérieur.

A Marseille, six personnes sont lynchées entre le 21 et le 23 juillet 1792. Les assassins n’ont pas beaucoup de mal à forcer les prisons où certains suspects sont déjà détenus ; frappés à l’arme blanche, les victimes sont ensuite pendues à des réverbères.

Un malheureux malade mental, vers cette époque, arrache une branche de l'arbre de la liberté planté sur le Grand Cours. Il est pendu à la lanterne par "la foule" (comprenons les pendeurs habituels) sans que personne, dans ceux qui assistent au crime, ose intervenir et dire que c'est un malade mental reconnu.

Le 21 juillet 1792, deux prêtres réfractaires, les pères Minimes Tassy (ou Taxy) et Nuiratte sont arrêtés par la Garde nationale le soir à leur domicile, où ils étaient revenus après avoir célébré la messe pour la fête de Saint Victor.

Le père Nuiratte est âgé de 68 ans. Il est l’auteur de cantiques populaires en provençal, membre de l’Académie de Marseille, tandis que le père Tassy a un peu plus d’une vingtaine d’années.

Conduits devant le Maire Mouraille, celui-ci, conformément à la loi, ordonne qu’ils soient mis en prison. Le 23 juillet, ils sont de nouveau amenés devant le Maire et sommés de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Ils refusent, malgré les demandes de l’évêque constitutionnel de Marseille (ou des Bords de la Méditerranée selon l’appellation du moment pour l’évêché), Monseigneur Roux.

Le Maire déclare alors qu’ils sont sous la protection de la loi et sur le perron de la Mairie, ordonne qu’on les reconduise en prison, alors qu’une foule menaçante et hostile aux deux prêtres s’est rassemblée et qu'il est clair que leur vie est en danger.

 

 

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 L'Hôtel de Ville de Marseille, dont les environs furent témoins du lynchage des pères Nuiratte et Tassy le 23 juillet 1793.

Wikipedia.

 

 

 

Malgré la présence de la Garde nationale, à quelques pas de la Mairie, des assassins s’emparent des ecclésiastiques. On vient prévenir Mouraille qui selon certains témoignages, aurait déclaré à ceux qui l’entouraient qu’il devait s'occuper de sujets plus importants et notamment discuter avec ses collaborateurs d'un courrier du Maréchal Luckner qu’il venait de recevoir sur la conduite de la guerre.

Il est à noter que Mouraille était membre de l’Académie de Marseille (en sursis comme toutes les Académies d''Ancien régime, jusqu’à la suppression des Académies par la Convention au début de 1793) et qu’il n’avait pas pu ne pas reconnaître son collègue Nuiratte.

Mais Mouraille avait eu quelques années auparavant, une pique d’amour-propre avec les membres de l’Académie qui lui avaient préféré pour un prix de mathématiques un autre savant, Sylvabelle. Il avait alors démissionné de ses fonctions académiques. Ceci explique peut-être, avec le parti-pris politique, qu’il n’ait rien tenté pour les deux prêtres, même s’il est assez peu probable, comme on l’a dit, qu’il ait fait, lorsqu'il avait déclaré que les prêtres étaient sous protection de la loi, un signe aux pendeurs pour montrer qu’il leur abandonnait leurs victimes.

 

Les deux prêtres sont d’abord frappés à coups de sabre. Ensuite on les pend. Le père Nuiratte embrasse celui qui va le pendre et encourage le père Tassy, il est environ onze heures du matin.

L’évêque constitutionnel de Marseille, Roux, arrive pour essayer de les protéger, mais trop tard et sans doute son intervention n’aurait servi à rien. Il tombe à genoux au milieu des pendeurs et de ceux qui applaudissent et déclare « ce sont des saints », selon un récit peut-être enjolivé qui date de la Restauration.

La Garde nationale présente, n’a rien fait pas plus que quelques citoyens honnêtes mais terrorisés.

La foule piétine leurs corps et les traîne au cimetière  tandis que d’autres personnes, les considérant déjà comme des martyrs, suivent le cortège et trempent leurs mouchoirs dans le sang pour conserver des reliques.  

 Le soir, un marseillais est pendu : son frère avait tenu des propos contre-révolutionnaires, il paie pour lui...

Le même jour, la municipalité prend une délibération demandant la déchéance du Roi.

Dans les jours qui suivent d'autres lynchages ont lieu.

Dans le catalogue de l'exposition tenue en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution, Marseille en révolution, figure un article biographique sur Mouraille, qui l'exonère de responsabilité dans les meurtres au prétexte que le Maire les aurait déplorés  (l'auteur est bien obligé de reconnaître que pour le meurtre de l'abbé Olive, dont nous parlerons, le Maire semble sans excuse). Cet article est moins biographique que hagiographique, Mouraille étant présenté comme un héros républicain malgré ses faiblesses.  

Les fédérés marseillais arrivent à Paris le 29 juillet en même temps que la nouvelle des lynchages survenus dans la ville et de la délibération de la municipalité du 23 juillet.

 

Les Parisiens et les Gardes nationales venus du reste de la France pour constituer le camp des fédérés voient donc dans les Marseillais les révolutionnaires les plus avancés du moment, pour les admirer ou au contraire pour les détester.

A peine arrivés, les Marseillais se battent le 30 juillet à l’occasion d’un repas donné en leur honneur dans une guinguette des Champs-Elysées (alors un endroit champêtre) avec des Garde nationaux parisiens de tendance monarchiste. Il y a un mort et des blessés.

 

C’est à ce moment que se place la dernière apparition politique de Lieutaud, l’ancien chef de la Garde nationale marseillaise, qui essaie de convaincre Barbaroux (contre argent semble-t-il) de détourner le bataillon des Marseillais de participer avec les autres « fédérés » à une action contre les Tuileries, que tout le monde prévoit à brève échéance. Lieutaud sera arrêté après la chute de la monarchie mais sera libéré faute de preuve en septembre 1792 ; il se fera oublier et parviendra à traverser la Terreur.

 

 

 

 Le regard de Michelet

 

 

 

Michelet est un grand admirateur de la révolution française.

C'est pourquoi on est plus ou moins surpris de lire dans son Histoire de la révolution un portrait assez peu flatteur des volontaires marseillais :

 

" Les cinq cents hommes de Marseille, qui n'étaient point du tout exclusivement Marseillais, étaient déjà quoique jeunes, de vieux batailleurs de la guerre civile, faits au sang, très-endurcis ; les uns, rudes hommes du peuple, comme sont les marins ou paysans de Provence, population apte, sans peur ni pitié ; d'autres, bien plus dangereux, des jeunes gens de plus haute classe, alors dans leur premier accès de fureur et de fanatisme, étranges créatures, troubles et orageuses dès la naissance, vouées au vertige, telles qu'on n'en voit guère de pareilles que sous ce violent climat. Furieux d'avance et sans sujet, qu'il vienne un sujet de fureur, vous retrouverez des Mainvielle, que rien ne fera reculer, non pas même la Glacière."

(le massacre de la Glacière à Avignon est un épisode d'une grande violence où les partisans de la révolution ont massacré 60 personnes, hommes et femmes, en 1791 - les corps étant précipités dans la glacière du Palais des Papes, les victimes parfois encore vivantes - Michelet a aussi raconté avec horreur cet épisode abominable qui, selon lui, avec les massacres de Septembre, explique le dégoût  avec lequel le reste de l'Europe a considéré la révolution française; Mainvielle, un jeune dirigeant révolutionnaire du Vaucluse, était l'un des instigateurs du massacre de la Glacière auquel il ne semble pas avoir participé en personne).

Jules Michelet, Histoire de la Révolution, LIivre VI, Chapitre IX. 

 

La psychologie des Marseillais, telle que la voit Michelet, change aussi le sens du chant qu'ils vont populariser :

 

"Dans leurs bouches, il prenait un accent très contraire à l'inspiration primitive, accent farouche et de meurtre ; ce chant généreux, héroïque, devenait un chant de colère ; bientôt, il allait s'associer aux hurlements de la Terreur."

Ainsi pour Michelet, à partir de l'été 1792, le chant de Rouget de Lisle prend une couleur très différente, voire contraire à l'inspiration primitive, il devient un chant de meurtre.

 On peut se demander comment Michelet pouvait porter ce jugement sur les volontaires marseillais et s'il n' y entrait pas une forme de  "racisme" anti-méridional de la part de ce Parisien.

Mais Michelet connaissait bien les violences commises à Marseille à partir du début de 1792 par les révolutionnaires les plus "avancés" et il supposait que le bataillon des marseillais avait été recruté principalement chez ces mêmes révolutionnaires. Il en tirait donc un portrait conforme à cette supposition, même si des expressions curieuses comme "étranges créatures, troubles et orageuses dès la naissance, vouées au vertige, telles qu'on n'en voit guère de pareilles que sous ce violent climat" ont quelque chose d'halluciné qui est souvent la marque de Michelet. Peut-être celui-ci pense-t-il à des hommes comme le marquis de Sade, lui aussi un Provençal "voué au vertige" ?

 

Michelet ajoute à cette opinion défavorable que les Marseillais ont sans doute ensuite participé aux massacres de septembre 1792. servant de professeurs de barbarie aux Parisiens !

On voit que le grand admirateur de la révolution ne prenait pas tous les révolutionnaires pour des héros...

On trouve une opinion aussi défavorable chez Chateaubriand, témoin oculaire de cet été 1792 à Paris, certes royaliste et donc suspect de partialité, qui parle de  "coupe-jarrets du midi" en haillons, l'air vicieux, que Danton " faisait venir pour le 10 août et les massacres de septembre". mais il ne semble pas viser les volontaires marseillais (qui étaient plutôt des gens de profession honorable).

 

 

 

 

Le 10 août 1792 et la chute de la monarchie constitutionnelle

 

 

 

 

Les Marseillais sont donc à Paris, sans grandes ressources : il faut des quêtes patriotiques pour leur permettre de subsister. Mais ils sont tout de suite au cœur de l’agitation qui est à son maximum et en liaison avec Barbaroux lui-même en contact avec les révolutionnaires les plus avancés.

Le 5 juillet, devant la situation militaire défavorable, l’Assemblée a déclaré « la Patrie en danger », presque tout le monde a oublié que c’est la France qui a déclaré la guerre…

L’exaspération est montée de plusieurs crans lorsqu’on apprend le 1er août la proclamation du Général en chef des troupes austro-prussiennes, le Duc de Brunswick, qui menace Paris d’une « subversion totale » s’il est fait violence à la famille royale.

Il semble que le Duc de Brunswick n’était pas enclin à faire cette proclamation mais a obéi aux ordres des souverains coalisés. C’est un militaire réputé pour son calme qui a remis un peu plus tôt les Pays-Bas autrichiens (future Belgique) sous l’autorité autrichienne presque sans effusion de sang. Souverain d'un petit état de l'Empire germanique, il le dirige avec sagesse et humanité. Il est franc-maçon mais on ne doit pas le confondre avec son oncle, mort cette même année 1792, le Duc de Brunswick-Lünebourg, fondateur de l’obédience maçonnique spiritualiste et symbolique, sinon occultiste, la Stricte Observance Templière.

 

Cette déclaration va avoir l’effet opposé aux résultats escomptés par les alliés.

A l’Assemblée, Pétion, qui représente pour l’instant une opinion minoritaire parmi les députés, demande la déchéance du Roi. On débat de la mise en accusation de La Fayette qui a protesté contre la première attaque des Tuileries le 20 juin. La majorité modérée refuse la mise en accusation. Les députés qui parlent en faveur de La Fayette sont menacés de mort par le public, le ministre de la Justice déclare au président de l’Assemblée : les lois sont impuissantes, le gouvernement ne pourra pas être plus longtemps responsable.

La monarchie constitutionnelle va vers sa fin.

La veille du 10 août 1792, tout Paris est en effervescence. Depuis plusieurs jours il est question d’un coup de force contre le Palais des Tuileries. Les fédérés venus de province (et non plus des provinces, puisqu’elles n’existent plus) se mettent d’accord avec la Commune de Paris, organe municipal révolutionnaire qui remplace le 9 août la municipalité légale. La nouvelle Commune (Pétion, Manuel, Danton) représente les révolutionnaires les plus revendicatifs et dispose comme masse de manœuvre des sans-culottes, militants actifs. Le coup de force contre les Tuileries sera pour le lendemain. La Garde nationale des quartiers bourgeois est démoralisée et n’osera pas intervenir pour protéger le Roi. Pour plus de sécurité, le Commandant de la Garde nationale, le marquis de Mandat, est tué dans la nuit. Au 10 août tout est prêt pour l’insurrection.

Fédérés et sans culottes convergent vers le Palais des Tuileries, défendu par la Garde suisse et par des aristocrates ou des bourgeois conservateurs, venus se mettre au service du monarque en prévision de l’assaut.

La Garde nationale parisienne soit se joint aux assaillants soit se disperse. Quelques uns de ses membres ont rejoint les défenseurs du Palais.

Le roi et sa famille se réfugient à l'Assemblée législative,  sous la protection momentanée mais illusoire des députés, qui eux-mêmes, en majorité des monarchistes constitutionnels, sentent que leur autorité est en train de passer dans d'autres mains.

 

 

Au palais, les fédérés demandent aux Suisses de livrer le Roi et obtiennent la réponse surprenante que la Garde suisse a reçu la mission de protéger le Roi de « nos seigneurs les Cantons » et ne peut en être relevée que par « nos seigneurs les Cantons ».

En effet la Garde suisse est en quelque sorte mise au service du Roi par un accord des Cantons suisses avec la monarchie. Elle peut considérer qu’elle tient ses consignes des autorités confédérales.

On parlemente vainement, les Marseillais et les Brestois sont parmi ceux qui se sont avancés pour parlementer.

 

Brusquement une décharge de fusil, sans qu’on sache vraiment ce qui s’est passé et qui a tiré le premier coup, s’abat sur les insurgés qui crient à la trahison. L’épreuve de force est inévitable.

Les quelque 950 défenseurs de la Garde suisse, renforcés de 200 ou 300 gentilshommes et bourgeois, sont rapidement débordés par les assaillants très largement supérieurs en nombre et disposant de l’artillerie de la Garde nationale. Le Roi s’est réfugié à l’Assemblée législative, voisine des Tuileries, où lui et sa famille sont applaudis et où certains députés, verbeux, jurent de mourir pour les protéger. Le Roi a donné l’ordre de cesser toute résistance mais les Suisses continuent le combat puis décident de se rendre.

C’est alors le massacre aux Tuileries.

Selon un historien récent (Régis Bertrand, in Histoire de Marseille en 13 événements, 1988), les Marseillais « n’ont pas su se retirer » une fois le Palais au pouvoir des insurgés, comme l’ont fait les Brestois. Il reconnait que que "ce jour ne fut pas le jour de gloire des Marseillais".. 

Autant dire qu’ils semblent avoir participé activement aux tueries, car on massacre non seulement les Suisses qui se sont rendus mais aussi les autres défenseurs et même les domestiques. On parle de marmitons jetés vivants dans les grosses marmites bouillantes des cuisines (est-ce vrai ?). Toutefois on rapportera avec complaisance le récit montrant les Marseillais sauvant du massacre - qui n'est pas contesté - deux jeunes filles épouvantées, qu'ils enlèvent dans leurs bras forcément virils d'hommes du Midi !

Barbaroux, qui assista sans doute d'assez près aux événements, écrit : " On massacrait dans les appartements,et sous les toits, dans les caves, les Suisses armés ou désarmés, les chevaliers, les valets et tous ceux qui peuplaient le château". Régis Bertrand ajoute étrangement que "la presse royaliste" (laquelle, puisque les journaux royalistes furent presque aussitôt interdits ?) eut tendance à imputer aux seuls Marseillais "ces scènes atroces et le pillage du château" (façon indirecte de reconnaître qu'il y a eu pillage et atrocités).

Sur 950 suisses, 600 sont tués au combat ou dans les massacres, 60 sont faits prisonniers, emmenés à la Commune de Paris (à l’Hôtel-de-Ville) et massacrés sur place. D’autres succombent à leurs blessures en prison, quelques survivants seront ensuite massacrés dans les prisons lors des massacres de septembre, moins d’un mois après.

Une centaine de Suisses a finalement survécu. Les autres défenseurs en habit civil ont parfois pu s’échapper en profitant de la confusion.

Napoléon Bonaparte, qui évidemment n’a pas participé à l’assaut (il a vu le matin se diriger vers le Palais, comme il le dira plus tard, « une foule de la plus vile canaille » qui ne lui inspire aucune sympathie) est quand même venu voir en curieux à quoi ressemble le Palais après le combat. Il dira que jamais par la suite aucune de ses batailles ne lui aura donné la même impression que l’amoncellement dans un espace étroit des cadavres des Suisses. Il dira avoir vu des « femmes bien mises » se livrer aux « dernières indécences » sur les corps des Suisses (ce ne sont pourtant pas des femmes de la plus vile canaille !).

 

 

Ce 10 août, on peut signaler, parmi tant d'autres réactions, celle d'un Marseillais, élu de Paris à l'Assemblée législative, Emmanuel de Pastoret, "Feuillant", c'est-à-dire monarchiste constitutionnel et aussi franc-maçon. Pastoret, pour parvenir à l'assemblée, aurait traversé non sans risque une foule houleuse de révolutionnaires massés sur la future place de la Concorde, accompagné de sa femme, Marseillaise d'origine (née Piscatory) dont la présence a modéré les réactions de la foule. Parvenu dans la salle de l'assemblée, il "s'approcha le plus près possible du Roi pour recevoir ses ordres et lui témoigner son dévouement ; mais tout était inutile alors" (mémoires sur la révolution de Madame de Créquy).

Pastoret, après avoir émigré pendant la Terreur, fera par la suite une carrière honorable (député du Var sous le Directoire, à nouveau obligé de quitter la France au momentdu coup d'état de fructidor, puis professeur de droit, il sera nommé par Napoléon sénateur et comte de l'Empire. En 1814 il est l'un des rédacteurs de la Charte constitutionnelle de la monarchie restaurée. Louis XVIII le nommera marquis et pair de France et il sera garde des sceaux sous Charles X en 1829. Fidèle à la branche aînée des Bourbons, il refuse de prêter serment à Louis-Philippe après la révolution de 1830. 

Aussi curieux que cela paraisse pour ce monarchiste convaincu (bien que constitutionnel), il est l'auteur de la phrase qui figure au fronton du Panhéon : Aux grands hommes la patrie reconnaissante (proposée par Pastoret à l'occasion du transfert du corps de Mirabeau au Panthéon en 1791).

 

 

Lorsqu’on apprend en Suisse le massacre des défenseurs du palais des Tuileries, la Diète confédérale veut déclarer la guerre à la France. Spontanément, les soldats des régiments suisses au service de la France, licenciés dans les mois précédents, reforment leurs régiments et se placent aux frontières, prêts à entrer en France. La prudence suisse l’emportera, pour ne pas entrainer le pays dans un conflit qui pourrait tourner en guerre civile.

 

Les Marseillais ont une vingtaine de tués, leurs deux officiers Moisson et Garnier, ont été blessés. Ils ont peut-être cru avoir subi des pertes supérieures ce qui explique leur participation au massacre.

Ils participent ensuite, quelques jours après, à la fête civique en l’honneur des patriotes morts le 10 août et puis rentrent à Marseille où le maire Mouraille les reçoit avec tous les honneurs dus aux héros du jour.

 

Pendant ce temps les patriotes marseillais ne sont pas restés inactifs.

Ils se rendent à Aix, ville dirigée par une municipalité trop modérée à leur goût, ils saccagent la Mairie (25 août) et opèrent de leur propre autorité le transfert à Marseille du siège du département, qui était à Aix selon les règles en vigueur. Chompré paraît à l'origine de cette démonstration de force.

D'après Lautard, cette expédition conduite par Isoard et Tourneau a lieu dans les circonstances suvantes : les Jacobins marseillais avaient fait une expédition sur Manosque et pendu plusieurs prêtres réfractaires. Chassés de Manosque par les modérés indignés par cette violence, les Jacobins marseillais reviennent avec des renforts pour se venger. Les habitants de Manosque, effrayés, acceptent de payer une somme considérable pour éviter la vengeance des Jacobins. Le marché est conclu à Peyrolles. Les Jacobins marseillais, pour ne pas avoir l'air de rentrer sans une victoire à annoncer, bien que les poches pleines, repassent par Aix et imposent leur autorité. Récit malveillant ou réalité ?

Marseille tend à s’imposer comme la ville pilote dans l’activisme révolutionnaire pour tout le département voire les départements voisins.

 

Après la prise des Tuileries, l’Assemblée législative, le jour du 10 août, a été envahie par une foule de sans-culottes et des représentants de la Commune insurrectionnelle de Paris qui dictent leurs volontés. Les députés apeurés ont voté la suspension du Roi (mais pas encore la déchéance) et l’élection d’une nouvelle assemblée qu’on appellera la Convention, pour donner une nouvelle constitution à la France.

 Le 25 août, Auguste Mossy, l'un des patriotes de 1789, membre de la municipalité,  écrit au Club de la rue Thubaneau pour réclamer l'établissement d'une république. Il sera considéré comme le "premier républicain" de Marseille.

 

 

 

 

Violences partout en France

 

 

 

Les violences de rues qui ont lieu à Marseille ont lieu à peu près partout en France.

A Toulon, pour rester dans la même région, l'été 1792 constitue un " horrible trimestre " : les membres du club local des Jacobins se livrent à des lynchages contre leurs adversaires royalistes ou modérés.

Pour l'historien Michel Vovelle, Toulon est "en pointe dans la Révolution". Que faut-il comprendre par là ? Que la majorité des Toulonnais était des révolutionnaires convaincus, une ou forte minorité, ou une minorité suffisamment agissante pour imposer son ascendant au reste de la population ? D'ailleurs que signifie à ce moment, être "en pointe" dans le combat révolutionnaire ? 

Pour le savoir, regardons le comportement des membres du club jacobin (ce n'est pas son nom officiel). Il montre clairement comment les clubistes peuvent imposer leur volonté à leurs concitoyens.

Du 28 au 31 juillet 1792 ils massacrent dans les rues plusieurs membres modérés de l'administration départementale. Puis ils veulent massacrer les prisonniers détenus dans la cellule du palais de justice (à ce moment de la révolution, quand on s'attaque aux prisons, ce n'est pas pour délivrer les prisonniers mais pour les massacrer) . Le portier refuse de leur ouvrir : "Pour sauver les prisonniers, confiés à sa garde, Antoine Fadas offre sa vie aux assassins" dit l'historien  Oscar Havard, dans son Histoire de la Révolution dans les ports de guerre,ouvrage publié vers 1910 (auteur qui certes ne parait pas beaucoup favorable aux Jacobins). Les assassins "le lardent de coups de sabre, l'arrachent à sa loge et le traînent sur la place du Marché-au-Foin, où personne ne vient, hélas ! rivaliser de chevalerie avec cette humble victime du devoir. Durant le trajet. Fadas, mortellement frappé, invite doucement les bourreaux à ne pas le meurtrir d'inutiles blessures : « Puisque vous allez me tuer, leur dit-il, cessez de me faire souffrir. » Les assassins redoublent de violence et  et c'est un moribond qu'ils lient au réverbère et qu'ils tuent."

La tête d'une des victimes, le négociant Reboul, est coupée et on lui fait boire du vin, on lui met une pipe à la bouche.

A chaque assassinat avec actes de barbarie, la municipalité, la Garde nationale et même les officiers de l'armée régulière (souvent nobles), prévenus de ce qui se passe, complices ou simplement soucieux de ne pas se mettre mal avec le club, qui peut facilement les désigner comme "ennemis du peuple" avec tout les risques que cela comporte, se débrouillent pour arriver trop tard et pour se féliciter que l'ordre soit revenu, jusqu'au prochain crime !

Au mois de septembre, au moment de la proclamation de la république, d'autres personnes sont massacrées à Toulon ou dans ses environs, dont l'officier de marine en retraite Maxime Saqui Detourès (ou des Tourrès). Voici comment Oscar Havard décrit son supplice :"Les exécuteurs taillent le corps à coups de sabre...Les savantes cruautés des bourreaux ralentissent ...la mort. Enfin, après trois heures de supplice, deux coups de pistolet, tirés dans le ventre, achèvent le condamné. Mais... Il faut faire durer le supplice et le plaisir. Un des sacripants décapite, avec son couteau, le cadavre. Pendant qu'il lèche la lame sanglante, ses camarades suspendent, pour la troisième fois, et mutilent ce qui reste du martyr. Est-ce tout? ...On fixe la tête au bout d'un sabre, et c'est avec ce trophée, désormais classique, d'une tête coupée, que le Régime républicain s'inaugure dans Toulon vaincu. Malheur aux citoyens qui, sur le passage de la bande, ferment leurs fenêtres, ou s'évadent. Les assassins forcent les portes des maisons et donnent ...le choix entre l'accolade au trophée et une corde de réverbère."

 

 

 

 

Reclassement des opinions après le 10 août  

 

 

 

Avec la chute de la monarchie (car il est prévisible que la suspension du Roi prépare sa déchéance et même son accusation dans un procès où sa tête sera en jeu) et les inquiétudes sur le déroulement de la guerre (entrée des Austro-Prussiens sur le territoire français à la fin août 1792) on assiste à l’intensification des oppositions ainsi qu’à l’intensification des persécutions des suspects.

 

Des hommes qui jusque là faisaient figure de révolutionnaires (certes plutôt modérés) se désolidarisent de l’évolution en cours.

On a déjà parlé de La Fayette qui passe avec quelques officiers dans les rangs autrichiens le 19 août après avoir en vain tenté d’entrainer ses troupes à marcher sur Paris et qui, considéré surtout par les Prussiens, comme un des responsables de la chute de la monarchie (sans tenir compte de ses efforts pour sauver la famille royale) sera emprisonné dans des conditions sévères.

C’est le cas du Maire de Strasbourg, de Dietrich, l’homme qui est à l’origine du Chant de guerre de l’armée du Rhin ; il a protesté contre le 20 juin, il proteste contre le 10 août.

C’est aussi le cas de Rouget de Lisle qui quitte l’armée pour ne pas prêter serment aux nouvelles autorités.

Ce faisant ces hommes se rendent suspects. De Dietrich le paiera bientôt de sa vie.

Pourquoi ces hommes se mettent-ils en danger par respect de la personne royale ? Est-ce un attachement sentimental au Roi ? Pour une part, et aussi parce qu’ils pensent que le Roi (constitutionnel) est le couronnement (c’est le cas de le dire) de l’ordre social. Ceux qui veulent la déchéance, puis la mort du Roi, sont pour eux des trublions, des agitateurs fanatiques qui demain voudront la mort de tous ceux qui leur déplaisent ou sont plus favorisés qu’eux par le sort. Spontanément ces hommes qui ne séparent pas l’ordre de la liberté défendent le Roi parce que les ennemis de l’ordre attaquent le Roi.

 

D’autres font des réflexions semblables mais qui aboutissent à des conclusions différentes en raison de la situation particulière de leur région d’origine.

Lors de la journée du 20 juin, tandis que Bonaparte faisait avec son ami Bourrienne (son futur secrétaire particulier sous le Consulat et au début de l’Empire et futur Préfet et ministre de la Restauration, mais qui pourrait prévoir à ce moment le destin des uns et des autres ?) des réflexions grinçantes sur la populace, un autre Corse, le député Pozzo di Borgo, rencontrant un compatriote  - probablement le député Peraldi - (il y avait beaucoup de Corses ce jour-là dans les rues de Paris) lui aurait dit : « Tu as vu ce qui vient de se passer ? Après cela nous ne pouvons plus être Français et d’ailleurs, je viens de m’acheter une grammaire anglaise ».

Pozzo aurait donc anticipé la tentative qui prendra place un an après, sous la direction de Pascal Paoli et avec le concours actif de Pozzo, de placer la Corse sous la protection de la Grande-Bretagne. Le Royaume anglo-corse ainsi créé ne durera que deux ans et demi mais fera passer la Corse au travers de la Terreur.

 

D’autres hommes comme Barbaroux qui seront dans quelques mois des proscrits rangés parmi les traîtres, sont pour l’instant dans le camp des vainqueurs mais ils comprennent dès lors très vite qu’ils sont dans le même camp que des hommes dont ils ne partagent presque aucune idée, comme les extrémistes nombreux à Paris, où ils sont maîtres de la Commune (Marat, Hébert, Chaumette). Ils découvriront aussi qu’ils ont peu en commun avec des idéologues comme Robespierre ou Saint-Just qui vont avoir un fort ascendant sur les patriotes qui ont fait la révolution du 10 août.

 

Enfin, il existe des hommes qui sont plutôt méprisants envers les foules révolutionnaires, n’ont pas non plus grande affection pour la monarchie constitutionnelle qui vient de tomber et pensent profiter d’événements encore à venir pour se faire une place au soleil. Bonaparte qui avait été radié de l’armée pour absence injustifiée a été réintégré avec rappel de traitement (avec l’émigration on a besoin d’officiers) mais le jour de la bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, il est à Marseille où il attend le bateau pour la Corse, plutôt indifférent au sort de la patrie (française) en danger. Il ramène en Corse sa sœur Elisa qui était pensionnaire de l’école d’éducation de Saint-Cyr fondée par Madame de Maintenon pour les jeunes filles de la noblesse pauvre et a du pour cela traverser la France en pleine agitation.

Son horizon est toujours la Corse et il a écrit quelques mois avant à son frère Joseph : il est clair que tout ceci finira par notre indépendance, tiens-toi le plus près possible du Général Paoli, qui est l’homme de l’avenir. Rien ne prouve qu’à ce moment son opinion ait changé.

 Et environ un mois avant la prise des Tuileries, il a  écrit à Joseph  (le 3 juillet 1792) : "Tu connais l'histoire d'Ajaccio, celle de Paris est exactement la même [que veut-il dire exactement ?] ; peut-être les hommes y sont plus petits, plus méchants, plus calomniateurs... il faut voir les choses de près pour sentir que le Français est un peuple vieux, sans couilles et sans liens" [probablement Napoléon veut parler des liens  forts qui unissent les gens d'une même famille ou d'une même ethnie, qui n'existent pas en France]. En tous cas, il ne manifeste pas beaucoup de sympathie pour "le Français" et ce qu'il constate des violences et du désordre grandissant doit le confirmer dans son mépris.

 

 

Les Austro-Prussiens avancent, ils prennent Longwy (le 23 août), les habitants ayant demandé aux militaires de se rendre plutôt que d’être bombardés ce qui leur vaut d’être considérés comme indignes d’être citoyens français ; puis Verdun le 2 septembre.

Le maréchal Luckner fait retraite précipitamment ce qui, ultérieurement, avec des soupçons de sympathies monarchiques, coûtera la tête à ce vieux soldat qui ne parlait presque pas français et qui était à sa place dans les guerres limitées de l’Ancien régime, mais certainement pas dans les guerres révolutionnaires.

 

A Verdun, un officier prussien est tué après la reddition de la ville.

Craignant des représailles, selon une version des événements, les jeunes filles des familles bourgeoises de la ville vont offrir au Roi de Prusse qui est présent en personne, des dragées pour obtenir son pardon. Le Roi refuse de les recevoir mais ne prend aucune sanction. Quelques mois plus tard, Verdun ayant été repris entretemps par les Français, cet épisode, monté en épingle, vaudra l'arrestation puis au moment de la Terreur (1794)  la peine de mort aux malheureuses jeunes filles, considérées comme traîtres à la République. Mais à Verdun les monarchistes avaient aussi fait bon accueil aux soldats austro-prussiens, et les jeunes filles avaient pu aussi être présentes lors de cet accueil; les circonstances de cette affaire et même l'âge véritable des victimes ont été obscurcis par les passions politiques.

On prétendra que les plus jeunes filles guillotinées avaient "au moins" 23 ans, celles qui avaient 16 ou 18 ans ayant "seulement" été condamnées à 20 ans de prison et à être "exposées" publiquement (la révolution n'avait donc pas aboli le pilori). Une vingtaine d'habitants furent aussi guillotinés pour avoir trop bien accueilli les "féroces soldats" ennemis. On a prétendu que la condamnation des habitants et notamment des jeunes filles avait été demandée par le député à la Convention, Pons de Verdun, mais ce point n'est pas éclairci.

Chateaubriand dans les Mémoires d'Outre-tombe, rappelle que Pons de Verdun était un poète sans talent (juriste de profession) et se demande combien de crimes révolutionnaires trouvent leur origine dans la frustration et la médiocrité. 

 

 

 

 

 

 Les élections pour la Convention

 

 

 

Les élections à la Convention ont lieu du 2 au 6 septembre 1792 (à Paris ce sont au même moment les massacres de septembre) dans une ambiance de violence et d’intimidation contre les modérés ou les monarchistes constitutionnels. Environ 11% du corps électoral, un peu plus dans certains départements, prennent part au scrutin. A Paris le vote a même lieu au Club des Jacobins ce qui n’est pas un signe de liberté de vote.

Dans ces conditions les candidats ne peuvent, du moins en apparence, être que des révolutionnaires convaincus.

Augustin Fabre raconte que l'assemblée électorale était réunie à Avignon (qui faisait alors partie des Bouches-du-Rhône) pour élire les représentants à la Convention lorsque quelqu'un entra dans la salle pour apporter la nouvelle des massacres de septembre qui venaient d'avoir lieu à Paris. Mon coeur saigne d'avoir à dire que la salle éclata en applaudissements, dit Fabre.

Parmi ceux qui applaudissaient, combien d'applaudissements de prudence, chacun s'efforçant de régler son comportement sur l'opinion dominante, mais pas forcément majoritaire.

Les Bouches-du-Rhône envoient à la Convention des députés qui vont bientôt s’affronter mais qui pour l’instant on tous l’étiquette de « patriotes » : Granet, Barbaroux, Rébecqui, Moïse Bayle, Baille, Gasparin, Rovère et plusieurs autres moins connus.

Mouraille est élu mais laisse le poste à son suppléant Laurens, en raison de problèmes de surdité semble-t-il.

 

12 députés sont élus mais certains démissionnent pour opter pour un autre département. Sur les députés ayant effectivement représenté les Bouches-du-Rhône, 3 seront guillotinés (Barbaroux, après avoir tenté de se suicider, Duprat, Lauze de Perret), un se suicidera pour échapper à l’arrestation (Rébecqui), un se suicidera en prison détenu par les contre-révolutionnaires toulonnais (Baille), un mourra en mission de maladie, chargé par la Convention de la reprise de Toulon (Gasparin, qui était pourtant un « ci-devant » et qui patronna le jeune Bonaparte).

Le journaliste girondin Carra, élu par Marseille, choisira un autre département qui l’a aussi élu. Il sera guillotiné avec les Girondins.

Sur les 7 suppléants qui siégeront à la Convention en remplacement des élus qui ont soit opté pour un autre département, soit pendant la Terreur, sont en fuite ou ont été guillotinés, 2 seront eux-mêmes guillotinés : Mainvielle aîné et Marc-Antoine Bernard.

 

Certains évolueront curieusement, depuis la Montagne jusqu’au néo-royalisme tout en faisant de profitables affaires, comme Rovère qui finira en Guyane, victime du coup d’état de Fructidor sous le Directoire.

Le métier de député était passablement dangereux à cette époque...

 

En septembre 1792, 6000 marseillais s’engagent pour participer à l’opération de "libération" (ou annexion ?)  du comté de Nice, qui relève du Roi de Piémont-Sardaigne. La  Ville demande des contributions volontaires pour les équiper

Des troubles ont éclaté à Tarascon, Arles , Noves, Eyrargues, Saint-Rémy et pratiquement toutes les communes, L’assemblée électorale des Bouches-du-Rhône de septembre 1792 qui a procédé aux élections à la Convention vote la création d’une force départementale pour rétablir l’ordre  (dirigée avant tout contre les contre-révolutionnaires). La confusion qui règne à ce moment est démontrée par les incidents violents qui opposent des gardes nationaux d’Arles aux habitants armés de Salon et d’Eyguières sans qu’on puisse discerner clairement leurs implications politiques sinon que les gardes nationaux agissent dans le cadre des directives données par le département, donc des autorités révolutionnaires, ce qui laisse penser que leurs antagonistes sont contre-révolutionnaires.

 

La République va bientôt être proclamée par la Convention le 21 septembre 1792 sur proposition de Danton (sans grande solennité d’ailleurs comme si on voulait réserver l’avenir).

La veille, le 20 septembre, Dumouriez, général remuant qui a été ministre de la guerre à la fin de la monarchie constitutionnelle et Kellermann, vieux briscard de l’armée d’Ancien régime, arrêtent les Austro-Prussiens à Valmy où l’armée -  composée en partie de volontaires qui se sont engagés lors de la proclamation de la Patrie en danger - tient bon et crie « Vive la Nation » pendant un quart d’heure, même si l’affrontement est loin d’être une bataille d’envergure. Mais selon certains, les troupes présentes à Valmy étaient presque uniquement composées de soldats de métier.

Goethe, qui a accompagné des amis avec les troupes austro-prussiennes et qui a observé à distance raisonnable, aurait alors déclaré (il l'a dit après) que de ce jour commençait une ère nouvelle pour l’humanité, dans le sens où les guerres n’opposeront plus des soldats de métier mais des populations armées, mais ce n’est pas forcément un progrès dans sa bouche.

 

Le lendemain, dans une forêt détrempée par la pluie, il semble - il y a beaucoup d'incertitudes sur ce point - que Dumouriez rencontre le Duc de Brunswick ; tous deux sont francs-maçons. Dumouriez aurait proposé à Brunswick qu’il lui laisse les mains libres, il pensait pouvoir marcher sur Paris et rétablir le Roi (en tant que monarque constitutionnel et non monarque d'Ancien régime, bien entendu). Mais la nouvelle de la proclamation de la République lui coupa l’herbe sous le pied. Rétablir le Roi suspendu à la suite d’une insurrection pouvait apparaître comme un acte légal, mais ce n’était plus vrai si le Roi était légalement remplacé par la République.

Ainsi, les hommes qui essayaient de s’opposer au triomphe des révolutionnaires étaient toujours mis en échec par une conjoncture contraire, hier La Fayette, aujourd’hui Dumouriez. Dumouriez devait toutefois attendre des jours meilleurs, s’il s’en présentait.

 

Pendant que grâce à Valmy l’avance ennemie est à peu près stoppée, le procès du Roi va s’ouvrir à Paris et mobiliser toutes les attentions.

A Marseille et à Aix, les meurtres commis par les pendeurs se poursuivent dans la deuxième partie de 1792. Parmi les victimes marseillaises, on note deux professeurs d'escrime, un perruquier, un carrossier. Il s'agit vraisemblablement de gens qui ont tenu des propos contre-révolutionnaires du fait qu'ils perdent leur clientèle aristocratique ou aisée car même ceux qui ne sont pas nobles mais qui ont des moyens, adoptent maintenant un style de vie qui les expose moins à la jalousie ou à la méfiance des patriotes. Mais on note aussi parmi les victimes un modeste "valet de ville" (employé de service de la ville).

Ces assassinats vont bien au-delà du meurtre politique. La barbarie  y apparait clairement : les pendeurs veulent accrocher le carrossier Begon à la lanterne mais il est trop gros et la corde casse à chaque fois. Il est alors massacré à l’arme blanche. « Cela fut long, vu que la plupart des coups s’arrêtaient dans les chairs et que certaines gens se délectaient à cet infernal passe-temps » (Lautard).

 

Brémond Julien, l'ancien patriote de 1789, est maintenant opposé à la tournure que prend la révolution. Il s'est réfugié à Aix chez son cousin Brémond l’Américain ; tous deux sont retrouvés par des gardes nationaux du bataillon marseillais des Grands-Carmes (quartier populaire), et sont pendus sur le futur cours Mirabeau en septembre 1792.

Condoulet père et fils, Obscur, Camoin, Vasque, subissent le même sort.

Condoulet, un notaire, et son fils, suspects d'antipathie pour la Révolution, sont d'abord conduits devant la maire Mourraille qui ordonne de les mener en prison. Ils n'y arriveront jamais. En ordonnant à ceux qui les avaient arrêtés de les mener en prison, Mourraille devait bien se douter que cela se terminerait par une exécution de rue.

Comme Brémond Julien, Camoin, Obscur et Vasque sont des amis de Lieutaud. Ils paient pour cette amitié et sont visiblement victimes d'une vengeance délibérée du Club que Lieutaud au temps de sa puissance, avait fait saccager, et peut-être de Mourraille.

Tous ceux qui ne sont pas des Jacobins (sans doute la majorité de la ville) frémisssent, mais ne peuvent rien faire.

Vasque, un fabricant de voiles, est pendu en trois endroits différents (Porte d'Aix, puis sur le Cours - qui sera plus tard le Cours Belsunce, et rue Noailles, la dernière partie de la Canebière actuelle en la remontant) et littéralement massacré.

Laissons la parole à Lautard. On dira qu’il est ouvertement contre-révolutionnaire. Mais pense-t-on que sa description soit fausse pour autant ?

« La plume se refuse à décrire les tourments qu’on fit endurer à l’infortuné voilier. Il fut pendu, rependu, mutilé, haché et lorsque son corps méconnaissable à force de plaies, tomba par terre, les membres séparés du tronc furent promenés par la ville sur des perches, en présence d’une fourmilière d’hommes qui n’eurent de mains que pour se découvrir en criant de peur : vive la Nation ! ».

Description intéressante puisqu’elle montre bien l’impact des assassinats (avec actes de barbarie) sur l’ensemble de la population : les personnes en désaccord avec ce qui se passe n’osent pas se manifester de peur de subir un sort pareil et font semblant d’approuver ; les Jacobins peuvent dès lors imposer leur domination sur une ville qui est peut-être en majorité hostile à leur tendance. Comme l’indique l’énergique formule de Lautard, les modérés « n’ont de mains » que pour se découvrir (à l’époque où tout le monde portait des chapeaux) devant les assassins, dans un geste ambigu (ils se découvrent pour crier Vive la Nation, donc pour approuver les « patriotes » qui tuent les « ennemis de la Nation », mais aussi probablement pour rendre hommage à la victime ; leur geste à double sens caractérise l’impossibilité de manifester ses vrais sentiments autrement qu’en privé).

Enfin, notons que Vasque était un fabriquant de voiles, donc un homme probablement à son aise;(sous réserve des aléas économiques) mais c'était aussi la profession d'un des Jacobins notoires, Fassy, le mari de la Fassy, de quoi perturber la naïve explication des violences révolutionnaires par la lutte des classes. Non que la lutte des classes était absente de ces moments, mais elle ne constitue pas une explication suffisante. 

La prise de Nice, sans vrai combat, suscite la joie des patriotes marseillais. Au Club des Amis de la Constitution, l'un des dirigeants, le maître d'école Chompré, se félicite:  « l’Etre suprême est républicain ».

Barbaroux, après avoir déclaré à la Convention que ceux qui désespèrent du salut de la patrie méritent la mort mais que ce serait leur faire trop d’honneur que leur accorder, se félicite de l’action des Marseillais pour la conquête de Nice, et la Convention vote que Marseille a bien mérité de la patrie

Barbaroux fait venir à Paris un bataillon de 800 hommes pour remplacer celui du 10 août et peut être pour servir de force aux Girondins et note que ce sont tous des hommes indépendants financièrement: les républicains tendent de plus en plus à s'opposer entre eux sur des critères sociaux, ceux qui ont quelque chose contre ceux qui n'ont rien ou qui sont jaloux de ceux qui ont plus qu'eux, des hommes que les Girondins prennent l'habitude d'appeler des "anarchistes" ou même des septembriseurs en référence aux massacres de septembre, maintenant dénoncés par les défenseurs de l'ordre, alors que les Montagnards tendent à les excuser, voire à les justifier.

 A Marseille, pour éviter autant que possible les lynchages,  la Commune crée le 11 septembre deux tribunaux populaires d’accusation et de jugement – Pierre Laugier est président du tribunal d’accusation, Arnaud l’Américain président du tribunal de jugement

 Le tribunal ne fait pas preuve de sévérité excessive  et prononce beaucoup d’acquittements. Amy , membre du tribunal, déclare en termes fleuris à des accusés acquittés : "Si la vertu sévère et le civisme brûlant sont l’apanage des républicains marseillais, loyauté et  justice sont aussi leur devise".

De façon caractéristique, on retrouvera des membres de ces tribunaux, plutôt modérés, parmi les partisans de la révolte contre la Convention, quelques mois après.

Le "bataillon du 10 août", de retour, est reçu par le maire Mourraille et les autorités à la porte d’Aix (22 octobre) sous un arc de triomphe provisoire (l'arc de triomphe qu'on trouve aujourd'hui porte d'Aix fut construit sous la Restauration et achevé sous Louis-Philippe).

Le maire remet au commandant une couronne de laurier qui est placée sur le drapeau tandis que des citoyennes distribuent des branches de laurier aux volontaires . Des cérémonies ont lieu à l’autel de la Patrie, installé sur le Grand Cours (futur cours Belsunce).

Les officiers du bataillon se rendent au Club où le président du moment, Chompré, donne une "accolade fraternelle" au commandant Moisson et lui remet un sabre d'honneur. Le lendemain, les membres du bataillon, escortés des vendeuses des Halles, se rendent à l'Opéra, interrompent la représentation et selon Augustin Fabre, "hurlent" la Marseillaise (description peu élogieuse...) en obligeant l'assistance à écouter à genoux le dernier couplet.

Les chefs du bataillon, Moisson et Garnier, assez curieusement, ne feront plus beaucoup parler d'eux pendant la suite des évenements révolutionnaires, qui sera pourtant agitée à Marseille, restant autant qu'on puisse en juger dans une expectative prudente. Nous reverrons Moisson bientôt. Mais ces hommes qui n'étaient pas des militaires de métier s'engageront ensuite dans l'armée. Garnier mourra tué lors de la campagne d'Egypte, Moisson, plus chanceux, sera un des nombreux généraux de Napoléon, et pas l'un des plus connus. 

Pour honorer la chute de la monarchie, les allées de Meilhan (qui deviendront au XXème siècle la 3ème partie de la Canebière, entre le carrefour actuel du cours Lieutaud et du boulevard Dugommier et l'église des Réformés) deviennent les allées du 10 août.

La Convention a entrepris le jugement du Roi.

Les divergences politiques s'accentuent entre partisans de la Révolution jusqu'à présent unis. 

Le Club des Amis de la Constitution de Marseille (affilié aux Jacobins parisiens) est maintenant devenu le Club des Amis de la Liberté et de l'Egalité (c'est plus dans l'air du temps que le respect de la Constitution, celle de 1791 ayant été renversée par les révolutionnaires le 10 août) écrit en décembre 1792 aux députés des Bouches du Rhône:  " Nous y voyons clair maintenant, certains veulent la division de la France et la scission entre Paris et les départements". Le Club dénonce la demande faite par certains députés que le jugement du Roi par la Convention soit ensuite soumis au peuple ("l’appel au peuple"), encourage les députés à voter la mort et dénonce maintenant le double jeu de Barbaroux, partisan de l'appel au peuple. Le Club signe son courrier au nom de "la Sainte Montagne de Marseille".

A sa période de plus forte expansion, le club compte 6000 adhérents (à Marseille et au-dehors de Marseille).

Malgré quelques tensions avec le Club, Mouraille est réélu maire le 30 décembre 1792 tandis que Seytres est réélu procureur-syndic.

Mais la plupart des Marseillais était touchés par le marasme économique, essentiellement causé par les événements révolutionnaires et la rupture avec la plupart des pays européens (avant même la déclaration de guerre avec l'Angleterre),  qui désorganisaient complètement le commerce maritime et les activités qui en dépendent (importations et exportations).

Raoul Busquet, dans son Histoire de Marseille, résume ainsi la situation à la fin de 1792 :

"Malgré les discours et les pendaisons aux lanternes, l'âge d'or tournait à la misère".

 

Ainsi se terminait l’année 1792 à Marseille.

Peut-être faut-il terminer par une note plus souriante ?

Comme le culte était à peu près suspendu dans les églises, ou remplacé par le culte constitutionnel qui n'avait pas beaucoup de succès (et qui allait lui-même presque cesser les années suivantes), les Marseillais prirent à cette époque l'habitude de faire la crèche chez eux avec des petits santons entourant la Sainte Famille et cette habitude ne les a pas quittés depuis.

 

Que réservait 1793 ?

 

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 Statue double de Pythéas et d'Euthyménés, navigateurs marseillais, près de la Mairie. Au fond, le Vieux port. La statue sera placée sous la Restauration. Photo de l'auteur.

 

 

 

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Commentaires
Le comte Lanza vous salue bien
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