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Le comte Lanza vous salue bien
27 avril 2013

MARSEILLE EN REVOLUTION, PREMIERE PARTIE

 

 

 

 

 

 

 

 

MARSEILLE EN REVOLUTION

PREMIERE PARTIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A première vue, Marseille parait se confondre avec la Révolution française.

Moins que Paris bien entendu, où les plus grands événements qui marquent la période qui en gros va de 1789 à 1794 (si on admet que la Révolution « reflue » après la chute de Robespierre en août 1794) ou jusqu'en 1799 (coup d'état du 18 brumaire, qui marque incontestablement la fin de la décennie révolutionnaire) se sont déroulés, comme ce n’est pas surprenant dans un pays centralisé de longue date.

Après tout, l’hymne national français, créé à l’époque de la Révolution, porte le nom de « Marseillaise » et ce seul fait semble suffisant pour dire que Marseille s’est toujours située du côté des révolutionnaires.

Dans cette époque capitale de l’histoire de la France, Marseille semble avoir joué le rôle attendu, celui d’une ville en pointe dans le mouvement révolutionnaire. Il est entendu que cette participation fait maintenant partie de son identité, et justifie, s’il en était besoin, de sa place dans la communauté nationale.

Marseille ne serait « pas en France » ? Certains le disent, plus pour dénigrer que pour louer, même si à Marseille cette idée trouve des partisans qui adoptent volontiers la posture des éternels rebelles.

A cela, on répond, quand on veut se situer pleinement dans le cadre politique et national existant : Non, Monsieur, Marseille est bien en France et l’a bien prouvé en participant activement à cet événement fondateur de la France moderne, la Révolution. La preuve, l’hymne français s’appelle « La Marseillaise » !

 

Voilà l’idée dominante, à laquelle nous allons nous confronter.

Comme nous ne sommes plus au lycée, nous n'hésiterons pas parfois à faire quelques "hors-sujet", liés quand même à notre thème principal, pour faire comprendre le climat de l'époque, l'enchainement des évenements même quand Marseille n'est pas directement concernée (mais ce qui se passe à Marseille et dans d'autres villes ou régions est évidemment lié aux évenements qui ont lieu à Paris, épicentre de la Révolution) ou encore le destin de certains protagonistes.

Mais il faut commencer par quelques idées générales qui sont peut-être évidentes mais qui méritent quand même d’être rappelées.

 

 

 

Une adhésion qui varie dans la durée : les aléas de l’histoire

 

 

 

Quand nous disons que Marseille se confond avec la Révolution, c’est bien sûr de la participation au mouvement révolutionnaire dont nous voulons parler, et non de la révolution en tant que moment historique.

En temps que moment historique, ou si on veut en tant qu’époque, la révolution a marqué tout le territoire de la France, nécessairement, mais de façon variable (sans parler de son impact sur les autres pays), mais cela ne signifie pas que toute la population ait adhéré à la Révolution en tant que mouvement.

Certaines régions ont été durablement marquées par la Révolution, mais pour s’être opposées au processus révolutionnaire et en avoir payé le prix fort : elles se situent clairement dans la contre-révolution, comme l’Ouest au sens large, avec la Bretagne et la Vendée. Non pas que tous les habitants aient été contre-révolutionnaires, mais les opposants à la Révolution étaient suffisamment nombreux pour contrôler de grandes parties du territoire concerné et entretenir une guerre ouverte ou larvée contre le pouvoir révolutionnaire parisien et ses représentants locaux.

 

Pour être exact, et compliquer un peu la compréhension des réalités de l’époque, encore faut-il dire qu’être contre-révolutionnaire en 1789 n’est pas la même chose qu’être contre-révolutionnaire en 1793 ou 1794. Certains s’opposent immédiatement à la Révolution. D’autres adhèrent à ses débuts à une révolution qui peut être modérée ou plus radicale, mais ils seront quelques années après des ennemis irréconciliables des révolutionnaires au pouvoir, en qui ils voient de dangereux extrémistes. Ils ne renient pas forcément leurs premières convictions, mais la marche de l’histoire fait que leurs priorités et peut-être même leurs ennemis et leurs amis, ont changé.

 

Pour apprécier l’attitude d’une région à l’époque révolutionnaire, il convient donc de tenir compte du passage du temps qui, dans les périodes où tout semble s’accélérer, est impitoyable : des révolutionnaires de la veille sont vite rangés parmi les tièdes et bientôt parmi les traîtres par plus révolutionnaires qu’eux. Leur place est bientôt désignée : en prison, puis à la guillotine.

 

Mirabeau, un Provençal d’ailleurs, symbole de la Révolution en 1789, est encore un grand homme aux yeux de l’opinion révolutionnaire lorsqu’il meurt, prématurément mais de mort naturelle, en 1791 (mais à ce moment, en tant que partisan d’une monarchie constitutionnelle, il est déjà dénoncé comme traître par Marat et les révolutionnaires les plus extrémistes). Il est le premier à avoir les honneurs du Panthéon.

Mais on ignore encore que dans les derniers temps de sa vie, devenu conseiller secret de Louis XVI – qui règne encore, mais si peu, jusqu’en août 1792- il lui a conseillé de quitter Paris, de se réfugier dans une province fidèle (s’il en reste) et de là, d’appeler tous les partisans de l’ordre à se rallier à lui pour marcher sur Paris, qui est aux mains des révolutionnaires extrémistes, ce que le pauvre roi tentera de faire si lamentablement avec la fuite qui sera arrêtée à Varennes.

 

Quand on apprendra ce « double-jeu », un peu après la prise des Tuileries et la chute de la monarchie en août 1792, soit plus d’un an après la mort de Mirabeau, la réputation de ce dernier sera ruinée, en tous cas auprès des révolutionnaires au pouvoir. Mirabeau  bascule dans le camp des contre-révolutionnaires, et il a de la chance que ce soit « à titre posthume » car s’il avait été vivant au moment de cette découverte, il aurait sans doute fini sur l’échafaud, comme tant d’autres témoins d’étapes antérieurs de la Révolution, qui ont fini par être dépassés par des révolutionnaires plus radicaux et plus violents (ainsi Bailly, Barnave, les Girondins, éliminés sous la Grande Terreur, en gros entre juillet 1793 et juillet 1794).

Le châtiment de Mirabeau est symbolique : son corps est retiré du Panthéon et enterré dansune fosse commune.

D’autres, après avoir participé aux débuts de la Révolution, se désolidarisent parfois très vite de ses excès : c’est le cas de Mounier, élu de Grenoble, un des artisans du serment du Jeu de Paume, qui quitte Paris, pour protester contre la violence populaire des journées d’octobre 1789, puis quitte la France au début de 1790. Depuis l(étranger, il dénonce sans relâche la mainmise sur le pays des ultra-révolutionnaires. Quant à La Fayette, qui n’a cessé de s’opposer aux révolutionnaires les plus radicaux, après avoir semble-t-il pensé à marcher sur Paris, mais sans appui de son armée, il n’a d’autre ressource que se rendre aux Autrichiens peu de temps après la chute de la monarchie, en août 1792.

 

En retour, la violence et l’oppression exercée par les partisans extrémistes de la Révolution fait basculer les indifférents et les modérés qui habituellement « ne se mêlent pas politique » : Lorsque les circonstances s’y prêtent, ces hommes prennent le risque de s’opposer activement au pouvoir en place qu’il soit local ou national.

 

Les régions sont bien entendu, à l’image des hommes qui les habitent, elles ont pu varier dans leur adhésion à la Révolution. Que le nombre de ceux qui à un moment, se désolidarisent de la Révolution, soit important et qu’ils parviennent à se saisir des pouvoirs locaux, ou à former des groupes de guérilla actifs et c’est toute la région qui parait basculer dans le camp contre-révolutionnaire.

 

Mais ne concluons pas pour autant qu’une région dans laquelle aucun mouvement contre-révolutionnaire n’a eu lieu était particulièrement enthousiaste de la Révolution.

Ainsi Stendhal, Grenoblois de naissance, note que la Terreur a été très modérée à Grenoble, et que la ville n’a pas vraiment eu à souffrir de la Révolution. Non pas parce que tous les Grenoblois avaient adopté la Révolution et que leur opinion suivait fidèlement les phases révolutionnaire de plus en plus radicales, mais parce les opposants étaient des gens prudents qui se gardaient bien de prendre des postures dangereuses.

Bien entendu, il est difficile de savoir quel pourcentage de Grenoblois ressemblait à la famille (d’ancienne bourgeoisie) de Stendhal (Beyle de son vrai nom, comme on sait). Stendhal raconte qu’un cousin qui travaillait à la poste apportait tous les jours à sa famille les journaux parisiens avant de les livrer aux abonnés (détail en lui-même cocasse). La famille lisait ainsi, autour du petit-déjeuner, les détails du procès de Louis XVI et des événements qui ont suivi en s’indignant contre les révolutionnaires, mais cette indignation ne sortait pas vraiment de leur maison.

Toutefois, lorsque deux conventionnels en mission arrivèrent à Grenoble, le père de Stendhal fut inscrit sur une liste de personnes suspectes de ne pas aimer la République (il y avait aussi une liste des personnes convaincues de ne pas aimer la République) et le jeune Stendhal, qui prenait le contre-pied des opinions familiales, scandalisa sa famille quand avec la logique de ses 10 ans, il dit à son père : Tu te plains d’être sur la liste des gens seulement suspects de ne pas aimer la République, mais pour moi il est certain que tu ne l’aimes pas, tu devrais être sur l’autre liste !

Le jeune Stendhal ne comprenait pas que ces listes représentaient un danger qui pouvait être mortel et n’étaient pas seulement le reflet objectif des positions d’un individu. Il dit d’ailleurs que la seule conséquence pour son père de cette inscription comme "suspect" est que pendant quelques mois, il alla coucher dans la maison en face de la sienne au cas où on viendrait l’arrêter chez lui. Or, le père de Stendhal dut subir plusieurs mois d’emprisonnement, ce que la mémoire du jeune Stendhal a complètement occulté. Les risques courus par le père de Stendhal deviennent dans son récit une sorte de plaisanterie, comme si la Terreur avait été finalement un régime bénin, calomnié par ses adversaires.

 

De même Stendhal rappelle que pendant le siège de Lyon, à partir de juillet 1793, il était, lui pour les Républicains commandés par Kellermann qui assiégeaient la ville, qui s’était soulevée contre la Convention, alors que sa famille était pour les Lyonnais et pour Précy (le chef militaire des insurgés). Le jeune Stendhal, exalté par ces événements, allait à des endroits de la campagne grenobloise ou paraît-il, on pouvait entendre le bruit du canon depuis Lyon, mais sans réussir à l’entendre. Détail amusant, une quinzaine d'années après, Stendhal, fonctionnaire du régime impérial en occupation en Allemagne, rencontra Précy qui y vivait en exil et qui sera pour lui un modèle d'homme de bonne compagnie.

Dans la dure répression qui suivit la reprise de la Lyon (octobre 1793) un des cousins de la famille de Stendhal fut guillotiné, non pour avoir participé à la rébellion activement mais pour avoir exprimé ses sentiments dans une lettre qui fut interceptée par les partisans de la Convention.

Mais face aux violences qui frappèrent Lyon l’insurgée, il est vrai que la Terreur fut presque inexistante à Grenoble d’une part parce que les opposants à la Révolution avaient le bon esprit de faire le gros dos et d’attendre que les choses se passent et d’autre part parce que les révolutionnaires convaincus étaient peut-être assez peu nombreux et donc peu portés à chercher l’affrontement avec des modérés qui de leur côté, ne se faisaient pas remarquer, à la différence de Lyon ou de Marseille.

 

 

 

 

Marseille à la fin de l’Ancien Régime

 

 

 

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Le blason de Marseille, à croix bleue sur fond blanc (ou d'argent à la croix d'azur en termes héraldiques)  accompagne la ville depuis le Moyen-Age, sauf pendant la Révolution où les armes des familles mais aussi des villes ou provinces furent d'abord interdites, puis détruites. Ici le blason représenté en majesté sur une mosaïque de la Basilique Notre-Dame de la Garde (19ème siècle).

http://www.omlive.com

 

 

 

A la veille de 1789, comment se présente Marseille ?

C'est une ville de 120 000 habitants environ, 80 000 en ville proprement dite et le reste dans le "terroir" ( les localités plus tard intégrées dans Marseille, Saint-Barnabé,Saint-Joseph, Saint-Henri etc). Les faubourgs immédiatement à l'extérieur de Marseille et le terroir plus lointain sont occupées par les "bastides", ces résidences plus ou moins luxueuses des Marseillais aisés, pour passer au frais (ou plus au frais) la saison chaude ou pour se détendre en fin de semaine (près de 5000 bastides).

La ville elle-même est séparée en Vieille ville (en gros à droite du Vieux Port en regardant la mer), ce sont les vieux quartiers qui remontent au Moyen-age, dont le Panier est le représentant survivant aujourd'hui.

La Ville neuve s'étend à gauche du Vieux Port, quartiers construits à partir du plan d'agrandissement de 1666 avec des rues se coupant à angles droit, dans ce qui sera le quartier de la Préfecture par la suite, les rues de Rome, Saint Ferréol, Paradis,le quartier de l'Opéra.

Si Marseille, de par sa postion, accueille beaucoup d'étrangers (de passage ou venus s'y fixer) , la très grande majorité de la population est de langue et de culture provençale, les Marseillais de vieille souche étant rejoints par les "gavots" qui viennent des Préalpes et des Alpes (régions de Manosque, de Digne, de Gap). La langue populaire est donc le provençal et la langue des gens instruits et des élites est le français, même si les élites parlent probablement le provençal à l'occasion (ou avec leurs domestiques ou leurs employés). Le temps n'est plus où Tallement des Réaux, écrivant sous Louis XIV, mais parlant d'une époque un peu antérieure, disait que presque toutes les dames de Marseille (de la bonne société) ne savaient pas parler français...

Juridiquement, la Ville (et son terroir) ne fait pas partie de la Provence ni stricto sensu, du territoire français. En effet depuis environ 1260, Marseille a obtenu de relever directement du souverain de la Provence (il est donc Seigneur de Marseille, ville gérée à part de la Provence). Le fait que le souverain de la Provence soit devenu le Roi de France à partir de 1481 (lequel conserve le titre assez théorique de Comte de Provence) ne change rien à cette situation.

Sur le statut de Marseille à la veille de la Révolution, Augustin Fabre écrit (Histoire de Marseille, chez Marius Olive, 1829 – mais revu après cette date) :

« Il était toujours de droit public que cette ville formait un état séparé » (par rapport à la Provence, elle-même état séparé, et par rapport au Royaume de France).

Les députés marseillais assistent aux Etats de Provence (assemblée délibérative des trois ordres de la Provence, Noblesse, Tiers-Etat et Clergé) uniquement pour veiller qu’il ne soit pas touché à leurs intérêts et droits. Aussi bien les Etats de Provence ne se sont pas réunis depuis longtemps.

Cette situation particulière fait croire à beaucoup que Marseille est une sorte d’enclave, où par exemples les personnes recherchées pourraient se réfugier. Les Marseillais eux-mêmes sont fiers de leur statut qui les met à part de la Provence et à plus forte raison du Royaume de France (dont la Provence elle-même, en théorie, ne fait pas partie).

Mais ce statut privilégié est plutôt une illusion qu’autre chose.

Marseille a mal pris de devoir accepter (on ne lui a pas demandé son avis) les forteresses  royales du Fort Saint-Nicolas et du Fort Saint-Jean, imposées par Louis XIV, entorse aux conventions passées autrefois avec le Comte de Provence selon lesquelles Marseille se gardait elle-même. Surtout le pouvoir royal s'est fortement immiscé dans la gestion municipale, placée sous le contrôle tatillon de l'intendant de Provence, dont les attrbutions s'étendent à Marseille, en tant que territoire "adjacent" à la Provence.

Aussi, dans un Ancien Régime où les symboles ont beaucoup d’importance, les Echevins font très attention à appliquer strictement ce qui demeure en vigueur de ces conventions. Si un soldat du Roi est pris dans Marseille en service sans avoir demandé l’autorisation à la Ville, il va faire un séjour dans la prison municipale. Pour aller faire l’exercice Place Saint-Michel (la Plaine, comme disent les Marseillais) la garnison royale a obtenu une autorisation permanente de la municipalité.

Les incidents et froissements sont fréquents et la Ville parait ravie de se livrer à une petite guerre avec les représentants locaux du pouvoir royal tout en protestant de sa grande fidélité au Roi de France, Comte de Provence et Seigneur de Marseille.

Le ministre de la guerre, fatigué de ces petites vexations, écrit un jour aux Echevins : Je ne comprends pas que les dirigeants d’une grande ville comme la vôtre s’amusent à de pareilles puérilités.

 "Sans doute nos ancêtres consentaient à s’incorporer au reste du royaume, mais ils entendaient rester Marseillais. Avaient-ils si grand tort ?"

Ainsi parle le mémorialiste Lautard, dans ses "Esquisses historiques, Marseille depuis 1789 jusqu'en 1815, par un vieux Marseillais", publiées en 1844 par l'imprimeur Marius Olive, 47, rue Paradis (difficile de faire plus Marseillais que ce nom d'éditeur-imprimeur !), après avoir été publiées en feuilleton dans la Gazette du Midi. Lautard, qui vécut la période révolutionnaire et fut un de ceux qui s'engagèrent contre la Convention jacobine dans la révolte dite "fédéraliste", nous servira souvent de guide.

   Lorsqu'un Marseillais de l'époque parlait de "patrie", c'était pour parler de Marseille. En 1774, les échevins de Marseille remercient le marquis de Castellane Majastre, qui a cédé un terrain à la ville pour y construire la place qui s'appelle toujours place Castellane, pour son don fait à "sa patrie" en vue de l'intérêt général. Comme quoi ces notions n'ont pas attendu la Révolution pour exister - mais elles avaient à l'époque un sens plus étroit.

Bien entendu, les élections municipales ne sont pas démocratiques, seuls les bourgeois (parmi lesquels des commerçants modestes), font partie du conseil municipal et élisent les Echevins. A partir de 1766, donc avant la Révolution, Marseille est dotée d'un Maire, obligatoirement noble (c'est le retour de la noblesse dans la municipalité, dont Louis XIV l'avait exclue un siècle auparavant  - peut-être pour rabaisser l'orgueil des échevins de Marseille ou au contraire pour flatter les bourgeois - ou les deux ?). Le premier Maire de Marseille est le marquis Balthazar Fouquet de Jarente. En plus du Maire, il y a un Premier échevin, un Second échevin, plus un "assesseur" (qui est un avocat obligatoirement, pour conseiller la ville sur les questions juridiques) et un conseil municipal de 36 membres dont les sièges sont répartis rigoureusement selon les catégories sociales (tant de postes pour les nobles, tant pour les négociants, tant pour les "bourgeois" (non négociants, notamment médecins ou avocats), tant pour  "les commerçants tenant boutique"), les salariés étant exclus de la représentation.

Le roi est représenté protocolairement à Marseille par un Viguier (appellation moins désobligeante que Gouverneur pour la susceptibilité marseillaise), mais c’est une charge héréditaire exercée par une vieille famille marseillaise, alliée à tous les notables de la Ville, les Fortia de Piles (la rue Fortia près du Vieux Port en garde le témoignage).

En gros, depuis les coups de colère de Louis XIV, voulant réprimer l’insubordination de Marseille, le pouvoir royal s’est fait plus discret et la Ville (comprenons les élites dirigeantes) s’occupe assez librement de ses propres affaires sous le contrôle devenu compréhensif des intendants successifs.

 

Evidemment la structure sociale est celle de l’Ancien régime, dans une ville où de toutes façons la noblesse est généralement d’origine commerçante et se confond avec la grande bourgeoisie.

Parmi ces bourgeois anoblis qui représentent les élites marseillaises, on peut donner quelques exemples : le chevalier Roze dont le nom est toujours immortalisé par une rue et par un virage du Stade Vélodrome (après avoir été donné à une piscine), s’est dévoué durant la peste de 1720. C’est un commerçant un peu aventurier, habitué des pays d’Orient, qui a acquis le titre de chevalier.

Le célèbre armateur Roux de Corse a acquis au 18ème siècle une richesse considérable, il est anobli, devient premier Echevin, puis marquis.

Les anoblissements se faisaient souvent contre monnaie sonnante et trébuchante, en achetant une charge anoblissante.

Gros négociants et armateurs, anoblis ou pas, constituent la classe supérieure à Marseille.

 Faut-il vraiment croire Lautard, qui ne cache pas ses sympathies monarchistes, compatibles avec un véritable patriotisme marseillais, lorsqu'il écrit qu'à la veille de la Révolution, Marseille était aussi heureuse qu'il est possible de l'être, que riches et pauvres vivaient en bonne entente ? Selon sa description, les gens des classes populaires vivaient commodément du fruit de leur travail, les charges publiques étaient faibles dans une ville administrée paternellement où vingt gardes de la police municipale, invalides et âgés suffisaient au maintien de l'ordre (de quoi faire rêver, même si Lautard ajoute que l'ordre était aussi assuré par la maréchaussée - ajoutons au passage que les portefaix du port, corporation très importante, ancêtre des dockers, assuraient aussi une force d'appoint au service de la Ville, comme à Venise les calfats de l'Arsenal). Seuls quelques aigris et ratés étaient mécontents de leur sort.

Doit-on accepter ce portait nostalgique d'une ville où semblaient régner l'harmonie et le bonheur de vivre ?

Dans un rapport officiel des anées 1760, il est écrit : A Marseille, toute la vie dépend du commerce. Que le commerce aille bien et tout le monde en profite. qu'il aille mal et tout le monde en pâtit.

Les rapports sociaux à Marseille ne sont sans doute pas plus idylliques qu’ailleurs en France et la Révolution va encore accentuer les antagonismes. On peut toutefois retenir qu’une grande partie des classes populaires trouve ses moyens d’existence dans les activités liées au port et au commerce. Les intérêts d’une fraction importante du peuple sont donc solidaires, pour une part, de ceux des négociants et armateurs.

 

 

 

 Un malentendu ?

 

 

Dans les aspirations qui apparaissent au début des événements révolutionnaires, il y a peut-être, de façon diffuse, l’idée que Marseille doit retrouver pleinement son statut de ville indépendante. Des aspirations contradictoires et inconciliables avec l’intégration complète à la nation française.

On peut donc se demander si l’enthousiasme révolutionnaire des Marseillais en 1789 n’était pas, au moins en partie, fondé sur un malentendu de cet ordre.

 

Augustin Fabre, écrivant vers 1830, exprime dans le style de son temps ce moment d’ambigüité (qui n’a jamais été exprimé clairement à l’époque révolutionnaire, il faut en convenir) :

" Marseille palpitait de joie et les souvenirs de son indépendance s’éveillaient dans son sein.

Elle croyait qu’il lui serait donné de secouer la poussière des siècles, de reparaître avec éclat sur la scène du monde. Généreuse illusion, confiance trompée !

Certes elle aura sa part des bienfaits de la Révolution mais de combien de sacrifices ne les a-elle pas payés ?

Elle épuisera ses forces dans des convulsions déchirantes.

Et dans ce nivellement général, dans ce naufrage de tous les privilèges locaux, elle perdra les derniers restes de son caractère individuel et de son existence municipale [Fabre veut parler du statut d’autonomie de Marseille]. Cité sans caractère distinctif, elle aura terminé son rôle et pour elle, tout sera dit…" (Histoire de Marseille)

 

 

 

Les débuts de la Révolution à Marseille

 

 

Lorsqu’on apprend que les Etats Généraux doivent se réunir pour trouver une solution à la crise financière, l’agitation se propage dans tout le pays. Ni Marseille ni la Provence ne sont en reste.

Les Etats de Provence ne s’étaient pas réunis depuis le 17ème siècle. Dans l’intervalle des réunions, leur rôle est tenu par une « commission intermédiaire » composée surtout de juristes aixois, chargée d’administrer la Provence.

Une autre assemblée, l'Assemblée des Communautés du pays de Provence, qui se tenait à Lambesc, avait compétence pour prendre les décisions importantes et notamment voter les impositions provinciales et le "don gratuit" au roi (contribution de la province aux charges du royaume), qui était généralement négocié laborieusement.

Les Etats de Provence se réunissent de nouveau à la fin de 1787.

 

Lors de la première réunion, un incident oppose la délégation marseillaise à celle d'Arles. Les délégués marseillais, siégeant en tant qu’observateurs, avaient le privilège de passer avant ceux d'Arles, autre "terre adjacente" qui envoyait des observateurs aux Etats de Provence et non des députés. Or, les Arlésiens entrent les premiers, d'où bouderie des représentants de Marseille (le Maire et un échevin) qui refusent de sièger. Les notables qui siègent à ces Etats vont bientôt été confrontés à de bien plus grands manquements aux règles…

 

La réunion des Etats Généraux, prévue pour 1789, provoque des débats. Certains membres du Tiers Etat provençal estiment qu’il ne faut pas y envoyer de députés car la Provence est par rapport à la France un état autonome. « Nous avons des sujets d’intérêts communs à discuter avec la France et avec les autres états unis à la France, disent-ils (visant par exemple la Bretagne) mais ça ne peut être dans l’assemblée des représentants de la France, où nous serons noyés ».

Beau discours, sans effet. Les Provençaux et à les Marseillais (qui auraient pu tenir le même discours pour leur compte) enverront leurs députés aux Etats Généraux.

De son coté, Mirabeau s’adresse ironiquement à la noblesse provençale qui a peu près les mêmes réticences : « Faut-il payer des impôts, vous êtes Provençaux, vous n’avez pas d’impôts à payer à la France. Voulez-vous des places et des pensions, vous êtes Français et vous vous précipitez à Versailles. Si vous ne voulez pas envoyer aux Etats Généraux vos députés, faites comme les Marseillais aux Etats de Provence, envoyez des ambassadeurs, et si les Français prennent des décisions qui lèsent la Provence, déclarez la guerre à la France ! ».

 

Toutefois, la plupart des députés partent aux Etats Généraux avec le mandat de défendre la « Constitution provençale », les règles juridiques qui organisent l’autonomie provençale, plus théorique que réelle, mais qu’on pourrait bien renforcer.

Les classes populaires ont peu de goût pour ces débats et attendent avant tout de meilleures conditions de vie.

Les discussions pour la réunion des Etats généraux (le Tiers-Etat votera-t-il par tête et donc aura-t-il la majorité dans les décisions à prendre ?) entretiennent un climat revendicatif.

Marseille, comme le reste de la Provence (et quasiment toute la France) entre en agitation, chaque catégorie sociale profitant du climat de contestation pour essayer d’améliorer sa situation, les revendications des uns entrant en contradiction avec celles des autres.

Au moins un programme minimum unit la majorité de la ville.

La majorité des Marseillais souhaite une plus grande démocratie communale, contre l’étroite élite qui confisque les postes d’Echevins.

Une majorité aussi souhaite en finir avec la présence des armées royales qui, quelque part, sont toujours ressenties comme une armée d’occupation.

Enfin et sans doute surtout, les classes populaires dénoncent la fiscalité indirecte qui pèse sur les produits de consommation et au premier chef les produits alimentaires.

Les élections aux Etats-Généraux ont lieu et Marseille prend très mal la forme de la convocation qui ne respecte pas son statut de ville libre, reconnu depuis les Chapitres de paix signés par le comte de Provence au Moyen-Age.

L'avocat Lavabre (futur partisan du fédéralisme qui se suicidera pour échapper à l'arrestation par les républicains en 1793) exprime une condamnation approuvée par l'ensemble de la ville.

 Le 16 mars, Mirabeau est accueilli triomphalement dans la ville et entretetient la flamme réformiste sinon encore révolutionnaire par ses paroles.

Mais cet esprit "révolutionnaire" reste dans le style de la fin de l'Ancien régime : à Marseille, Mirabeau est couronné de lauriers par une actrice au théâtre, au milieu des acclamations de toute la ville (c'està-dire du public bourgeois et aristocratique qui va au théâtre), la musique du régiment de Vexin le raccompagne à son hôtel rue Beauvau; quand Mirabeau quitte Marseille pour Aix, 300 jeunes gens à cheval le précèdent et 300 carrosses suivent le sien. Tout ce monde entre à Aix et Marseillais et Aixois mêlés, on danse et on donne des sérénades toute la nuit. Ce n'étaiet pas les gens modestes qui à l'époque montaient à cheval ou roulaient carrosse. La classe dirigeante de Marseille sympathise avec les idées nouvelles, à sa façon. Les classes populaires aussi. Mais veulent-ils la même chose ?

Des hommes encore jeunes, qu'on retrouvera durant les années suivantes, parfois dans des camps opposés, prennent la tête des agitateurs. Ils forment la "jeunesse citoyenne". Ce sont Chompré, originaire de Champagne et futur pilier du Club des Jacobins local, parfois présenté comme maître d'école mais qui semble avoir été à ce moment directeur de pensionnat de jeunes filles, les avocats Barbaroux et Brémond - Julien, le négociant Rébecqui, l'avocat et imprimeur Mossy, le fabricant de tonneaux Granet. 

Chompré, pourtant homme de bonnes manières, mais probablement poussé par le désir de se faire connaître, dénonce violemment l'intendant, M. des Gallois de la Tour.

Pour certains de ces hommes, la révolution est aussi l'occasion d'une ascension sociale qu'ils ne vont pas négliger.

 

 

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En Provence, l'agitation se propage au printemps 1789, dans un contexte de crise alimentaire. Le lieutenant-général de la Provence (faisant fonction de gouverneur), le comte de Caraman, appelle au calme dans une affiche en provençal, "de la part du roi, comte de Provence" : les Provençaux qui s'attroupent dans les villes et les marchés publics font des  demandes qui risquent d'occasionner la famine. Ils doivent cesser, sinon ils subiront les "peines portées par les ordonnances", et agir dans la légalité en faisant passer leurs demandes au roi par leurs consuls et les administrateurs de la province, ou par mémoires écrits. Le roi leur répondra.

Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence.

 https://bibliotheque-numerique.citedulivre-aix.com/records/item/14545-de-la-part-doou-rei-comte-de-provenco?offset=1

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La même affiche, signée ici de M. de Coincy, commandant militaire à Toulon.

Wikipedia, article littérature provençale.

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Litt%C3%A9rature_proven%C3%A7ale

Il semble que le pouvoir utilisait rarement (sinon exceptionnellement) le provençal dans sa communication. Voir sur la question plus générale de l'usage actuel du provençal, l'article de Philippe Blanchet Usages actuels du provençal dans la signalétique urbaine en Provence : motivations, significations et enjeux sociolinguistiques (2006) qui cite cette affiche, mais ne signale pas son caractère exceptionnel.

https://www.erudit.org/fr/revues/rum/2005-v36-n1-rum984/011995ar/

 

 

  

Des émeutes ont lieu à Marseille les 23 et 24 mars causées par la cherté des subsistances. La maison du directeur des fermes communales, Rebuffel (représentant la fiscalité de la ville qui renchérit le prix des subsistances) est pillée.  

Mirabeau revient à Marseille à la demande de Brémond-Julien, pour calmer les esprits, et les incliner à admettre une augmentation du prix du pain.

Devant ces troubles, quelques jeunes gens dont Lieutaud qui fera ensuite parler de lui, qui se réunissent au café Arquier, en haut des allées de Meilhan - intégrées maintenant à la Canebière, proposent de créer une milice citoyenne largement ouverte mais qui se donne le but de maintenir le calme et l'ordre, nécessité reconnue par ces réformistes issus des milieux bourgeois.

Le maire, le marquis de Gaillard. s'enfuit. Un conseil des trois ordres (dont font partie les négociants Etienne Martin et Samatan, qu'on retrouvera) de 200 personnes qui sont loin d'être des têtes brûlées prend en charge l'administration, crée la milice citoyenne et une commission pour enquêter sur les abus de l'administration précédente. Il supprime les impopulaires impôts indirects.

La milice citoyenne est placée sous le commandement du chevalier de Libertat, d'une famile noble marseillaise, d'origine corse (les Baglione, surnommés Liberta, nom francisé en Libertat, se sont installés à Marseille au 16ème siècle, le chef de famille à l'époque, loin d'être noble, fut inscrit à son arrivée comme "marinier"; cette famille acquit ensuite de l'influence notamment par le rôle joué par François de Libertat à l'époque du "dictateur" de Marseille Cazaulx, qui refusait de reconnaître la souveraineté de  Henri IV ; lieutenant du "dictateur", Libertat assassina par traîtrise celui-ci et livra la ville aux troupes royales, ce qui valut à lui et à sa famille noblesse et fonctions avantageuses).

Le lieutenant général commandant des troupes en Provence, le comte de Caraman, amène avec lui des troupes devant la ville pour rétablir les autorités légales mais il y entre seul pour respecter les vieux privilèges de Marseille. Son attitude lui vaut l'estime de tous; il est reçu sous un arc de triomphe improvisé, on lui offre des fleurs et la bouquetière lui fait la bise.

Habile négociateur, Caraman parvient à rétablir l'ancien conseil municipal le 25 mai et le marquis de Gaillard retrouve pour peu de temps son fauteuil de Maire. La milice citoyenne est remplaçée par une garde bourgeoise recrutée dans les milieux aisés ce qui ne va pas tarder à provoquer le mécontentement. Toutefois, le vieux système fiscal demeure abrogé.

Un impôt axé sur les propriétés , l'industrie et le luxe, remplace les anciens impôts indirects.

Mais le 18 juillet, Marseille apprend la prise de la Bastille et le renvoi de Necker, ce qui provoque une nouvelle flambée de violence.

La municipalité des trois ordres se reforme, avec l'assentiment du comte de Caraman. Lors des délibérations de ce conseil des trois ordres, on décide, à l'invitation d'un des membres, Bourelly, de cesser toute relation avec l'intendant de Provence, le vieux des Gallois de la Tour, qui exerçait cette fonction depuis près de quarante ans et la cumulait avec celle de Premier président du Parlement de Provence. L'intendant est  jugé responsable de tous les malheurs de la Provence (et de Marseille qui relevait aussi de sa juridiction) . 

 Dans le courant de 1789, l’agitation se concentre sur deux sujets : la formation d’une garde citoyenne et celle d’une municipalité démocratique.

Les milieux plutôt aisés, sans désapprouver la tendance générale au changement, veulent conserver la garde « bourgeoise » destinée avant tout à maintenir l’ordre et se recrutant en dehors des milieux populaires. La garde citoyenne au recrutement démocratique est réclamée par les partisans du changement issus de milieux populaires.

Le 28 juillet, une foule de Marseillais, avec en tête l'abbé de Beausset, un ecclésiastique patriote, va à Aix où sont détenus des Marseillais depuis les émeutes du mois de mars, en attente de jugement par le Parlement, et obtiennent sans violence leur libération immédiate, suivie de l'arrêt des poursuites.

Des troubles opposent ensuite les éléments les plus politisés de la population à la garde bourgeoise : en août 1789, des incidents, auxquels participent des meneurs "patriotes" qu'on retrouvera plus tard comme Barbaroux, Rébecqui, Granet, ont lieu à la Tourette, esplanade qui surplombe le Vieux-Port; le prétexte est de réclamer le rétablissement de la garde citoyenne plus démocratique. Il y a un mort dans la garde bourgeoise et deux blessés chez les émeutiers.

L'émeute se déplace ensuite au domicile (rue Noailles, comme on appelait à l'époque la deuxième partie de la Canebière à partir du Vieux-Port) du premier échevin La Flèche, contre-révolutionnaire, qui est pillé et qu'on tente d'incendier, menaçant tout le quartier. Les troupes royales (le régiment suisse d'Ernst et les dragons de Lorraine, stationnés dans les faubourgs) doivent intervenir pour rétablir l'ordre.

 

 

De façon étonnante, quand on sait combien Marseille tenait à ses "privilèges" acquis de haute lutte, même s'ls étaient réduits à des symboles, on assiste en novembre 1789 à la décision de la municipalité d'abandonner le statut particulier de Marseille. Rien ne parait plus souhaitable que l'égalité avec le reste de la France.

Il est vrai que la nuit du 4 août est déjà intervenue, mettant fin aux privilèges et statuts particuliers de toute sorte. Marselle ne peut espérer avoir un traitement de faveur et ne fait que suivre un mouvement parti d'ailleurs.

Bientôt certains Marseillais pourront penser comme les Alsaciens à la même époque : nous sommes bien devenus les égaux des autres, nous sommes également malheureux... (cité par Hartmann, l'Alsace et la Lorraine pensdant la révolution française, 1990).

Les auteurs des troubles récents doivent être jugés ce qui maintient un état d’agitation permanent.

En novembre 1789, la municipalité est modifiée par le lieutenant général de Caraman et le commissaire du roi d'André, élu provençal à l'Assemblée nationale, révolutionnaire très modéré. Ils prorogent les échevins en fonction jusqu'à la fin de l'année et procèdent à l'élection d'un nouveau conseil municipal en s'efforçant de donner des gages aux réformistes : les membres du conseil sont élus par les pères de famille de la ville. Dans cette municipalité "renforcée" on remarque les négociants Etienne Martin et Samatan, qui ont déjà été membres du conseil des trois ordres qui a administré brièvement la ville après les émeutes de mars 1789. Le nouveau conseil élit quatre échevins dont Martin et Samatan, qui doivent exercer leurs fonctions à partir du 1er janvier 1790.

Ce sont les derniers échevins de Marseille.

Cette nouvelle municipalité n'aura qu'une très courte existence puisqu'une loi a décidé la création en France des municipalités élues sur une base plus démocratique pour le début de 1790.

 

En décembre une manifestation pour demander la libération des émeutiers de la Tourette fait plusieurs morts après intervention des troupes de l’armée royale contre les manifestants. Parmi les personnes arrêtées comme responsables de cette nouvelle émeute figure Chompré, malgré l'intervention de M. de Caraman et d'André en sa faveur. L'un des échevins élus, le négociant Samatan, qu'on retrouvera parmi les victimes de la Terreur en 1794, appuie l'arrestation et s'oppose personnellement à Chompré.  A la demande de M. de Caraman, qui veut faire un exemple, et qui semble en permanence hésiter entre mesures d'apaisement et fermeté, les responsables présumés sont poursuivis par le Grand Prévôt de Bournissac, dans le cadre d'une procédure d'exception.

 

Au début de 1790, les poursuites seront abandonnées après l’intervention de Mirabeau dans un discours foudroyant à l'Assemblée le 26 janvier 1790 et avec l'aide du nouveau Maire Etienne Martin. Fin février, Chompré, Rébecqui, Granet, Mossy, Brémond-Julien et d'autres sont libérés. Le Grand Prévôt de Bournissac s'enfuira de Marseille. Pendant la Terreur, en 1794, il sera arrêté à Lyon et exécuté, peut-être en raison de son  rôle à Marseille mais plus généralement de son appartenance au système judiciaire d'Ancien régime et de sa qualité de noble.

Une caractéristique de Marseille révolutionnaire qui sera une constante durant les années qui suivront (même quand Marseille s’opposera à la Convention et aux jacobins en 1793) est l’intervention des Marseillais dans la vie politique des villes avoisinantes et de la région, par l’envoi de groupes de militants plus ou moins organisés, pour prêter main-forte à des camarades d’autres localités contre les partisans des tendances opposées.

Ainsi dès l’été 1789, des groupes de « patriotes » comme on appelle les partisans de la Révolution, partent de Marseille pour aller délivrer à Aix des révolutionnaires emprisonnés après les émeutes qui ont secoué la Provence dans les premiers mois de 1789.

 

 

1790 et 1791

 

 

 

Etienne Martin, considéré par tous comme un homme de confiance et un patriote, est élu Maire le 28 janvier 1790 par une confortable majorité avec 3353 voix pour 4405 votants. Après avoir hésité, il finit par accepter ce poste.

Avec Martin entrent à la municipalité des personnages comme Lejourdan, '"conspirateur à l'eau de rose" selon Lautard, ou Brémond-Julien, révolutionnaires assez pâles; ces hommes s'alignent sur les positions de Mirabeau, qui est de plus en plus effrayé par la pente révolutionnaire et tente d'arrêter le mouvement dont personne ne sait où il peut aller.

En février 1790 la garde bourgeoise est supprimée au profit de la garde nationale, au recrutement élargi et avant tout destinée à empêcher les tenants de l’ordre ancien de reprendre le pouvoir.

Les patriotes marseillais, au sens ici de partisans des idées nouvelles ou de révolutionnaires, se retrouvent à partir de mai 1790 à la Société patriotique (ou plus simplement club) des amis de la Constitution qui deviendra le correspondant du club des Jacobins (dont le nom exact est aussi Société des amis de la Constitution) de Paris. Pour l’instant, les Jacobins comptent encore dans leurs rangs beaucoup de partisans de la monarchie constitutionnelle.

Le club marseillais siège rue Thubaneau, près du Grand Cours (qui sera plus tard au 19ème siècle appelé le cours Belsunce), une rue qui pour beaucoup de Marseillais nés il y a quelques décennies, évoquait immanquablement le plus vieux métier du monde car on y trouvait des prostituées. Etait-ce déjà le cas en 1791, quand le club fut ouvert ?

Les patriotes marseillais ne peuvent supporter la présence des garnisons royales dans les forts et à Arenc où sont stationnés des régiments. 

 L'agitation est entretenue par des incidents comme celui du marquis d'Ambert, colonel du régiment Royal-la-Marine. Le 20 mars 1790, alors qu'il arrivait en chaise de poste à la porte d'Aix pour venir inspecter son régiment, le marquis avait répondu à la sentinelle de la Garde nationale qui lui demandait son passeport, qu'il n'avait aucun compte à rendre. L'hostilité entre une partie de la population et le marquis (dont le régiment fraternise d'ailleurs avec la population pour désamorcer la tension - le futur Maréchal d'Empire et roi de Suède Bernadotte, à l'époque sous-officier étant le "leader" des soldats qui fraternisent) ne fait que croître. La municipalité demande son jugement. Brièvement emprisonné, le marquis est déclaré innocent le 8 avril par l'intendant criminel du roi de Chomel, provoquant la fureur populaire. Aussi bien Chomel que le marquis d'Ambert quittent rapidement Marseille, le marquis escorté par une grande partie des troupes royales.

Le maire Martin a obtenu déjà le départ de plusieurs régiments de l’armée royale mais deux régiments demeurent, le régiment suise d'Ernst et le régiment de Vexin.

En avril-mai 1790, avec le renfort d’éléments de la Garde nationale, les patriotes marseillais prennent d’assaut les trois forts de la ville (Saint Nicolas, Saint Jean et Notre Dame de la Garde – ce dernier est un fort ancien, de peu d’importance mais qui inclut une chapelle médiévale qui est déjà un lieu de pèlerinage).

Ces victoires populaires se font finalement sans verser trop de sang, les troupes royales ayant le bon esprit de ne pas se défendre. Cela n'empêche pas un récit parfaitement fantaisiste de montrer les troupes royales du fort Saint Jean ouvrant le feu sur les attaquants (ce qui n'a pas été le cas) et décrivant le juste massacre du commandant du fort, en représailles de cette "traîtrise". 

Seul le Major de Beausset, un des officiers du fort Saint Jean, qui s’oppose à l’action des révolutionnaires, est massacré malgré l’intervention de représentants de la municipalité et sa tête placée sur une pique.

Les derniers régiments royaux quittent Marseille.

La prise des forts est comparée à la prise de la Bastille et sert à renforcer le prestige révolutionnaire des Marseillais. La population commence à démolir le fort Saint Nicolas mais l’assemblée nationale exige l’arrêt des démolitions.

A Paris, le gouvernement (le ministre de l'intérieur Saint-Priest) et certains membres de l'Assemblée (le député provençal d'André, qui est déjà intervenu dans les affaires marseillaises) s'inquiètent de l'attitude rebelle des Marseillais et condamnent la prise des forts.

Le 14 juillet 1790, le Maire Martin, en compagnie de sa femme, préside la Fête de la Fédération. Sa popularité est à son maximum.

Est-ce à ce moment qu'on prend l'habitude de l'appeler Martin le Juste? ou bien ce surnom qui semble lui faire honneur ne serait pas ce qu'on croit ? Il aurait selon certains, été inventé par Mirabeau pour signifier que Martin était un peu "juste", qu'il manquait d'étoffe en quelque sorte...

Le Maire résout à la satisfaction générale un vieux problème,typiquement local, qui opposait les prudhommes pêcheurs de Marseille aux pêcheurs catalans installés dans le quartier justement nommé les Catalans dont une plage actuelle garde le souvenir, sur la Corniche. Les prudhommes marseillais voulaient avoir juridiction sur les Catalans, les autres refusaient. Le Maire décide que les Catalans seront indépendants des prudhommes marseillais, mais qu'en cas de conflit entre les deux communautés, celui-ci sera tranché par la municipalité.

 

Les mouvements révolutionnaires ont mis en évidence quelques personnages, d’ailleurs assez modérés et qui vont encore évoluer vers plus de modération.

En attendant, l’un d’entre eux, Lieutaud, devient commandant de la garde nationale au lendemain de la prise des forts, le commandant précédent, le chevalier de Greling, préférant démissionner pour marquer son désaccord.

Personnage assez typiquement marseillais, son nom est aujourd'hui évoqué par le cours Lieutaud, qui rejoint le quartier Baille à la canebière (par le Boulevard Garibaldi dans lequel il débouche), artère connue des Marseillais d'aujourd'hui pour ses magasins de vente de motos. Il semble curieux que le nom d'un personnage peut-être pas très honnête et qui n'a rien accompli de positif ait été donné à une artère marseillaise centrale. Mais il apparait que le nom a été donné à la voie parce qu'elle a été ouverte sur des terrains appartenant à la famille Lieutaud, comme c'est souvent le cas à Marseille où beaucoup de rures ont été nommées d'après le nom de l'ancien propriétaire plus que par un souci d'hommage à un personnage connu.

 

Lieutaud est fils d’un riche négociant ; il vit confortablement de ses rentes. Dans ses nouvelles fonctions, il s’entoure de flatteurs et de personnes de moralité douteuse. 

Un autre personnage est Blanc-Gilly, qui lors de la prise des forts exerce une action modératrice.

Parmi les personnages qui commencent à avoir de l'influence, il y a le jeune Barbaroux, mêlé à tous les moments révolutionnaires depuis 1789, qui est élu membre de la municipalité, avocat et beau jeune homme à la voix chantante. Il entraîne dans son sillage son ami le liquoriste Rébecqui. Omer Granet acquiert aussi de la notoriété, il sera député à la Convention et plus tard, sous le Consulat, Maire d'un des trois secteurs de Marseille. Ces hommes sont aujourd'hui dans le même camp, bientôt ils se détesteront.

Lautard, témoin des événements, dans ses Esquisses historiques 1789-1815 par un vieux Marseillais (publiées en 1844),  fait une réflexion intéressante qui oppose dans leur vision des événements révolutionnaires les gens sérieux, les réalistes, et les esprits chimériques qui se nourrissent d'illusions.

Il note qu'à Marseille, les protestants, assez peu nombreux et qui étaient souvent des négociants, furent plutôt contre la Révolution, contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, parce que c’étaient des gens réalistes. Alors que les jansénistes furent pour, en gens chimériques. Les hommes sérieux voient les problèmes s'amonceler, des problèmes qui ne seront pas résolus par des paroles.

S'ils sont d'accord pour supprimer les "abus" de l'Ancien régime, ces hommes sérieux, qu'ils soient catholiques, protestants ou agnostiques, ne sont pas d'accord pour " jeter le bébé avec l'eau du bain" et pour donner carte blanche à l'inconnu; or c'est ce qui est en train de se passer.

Si à Marseille le particularisme local semble faire bon ménage avec les idées nouvelles, au moins dès qu’il s’agit de s’en prendre aux symboles de l’autorité royale, et finalement prolonger quelque part l’attitude des Echevins d’Ancien régime (lesquels s'ils sont prudents, ont du s’éloigner de Marseille et même de France), au contraire, dans la Provence, les idées nouvelles heurtent de front ce qui restait de particularisme local.

 

 

La fin d'une certaine idée de la Provence

 

 

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Plaque en langue provençale apposéee en 1995 sur les lieux de son exécution, en souvenir de l'avocat Pascalis, défenseur de la "Constitution provençale", pendu par des révolutionnaires sur le Grand cours d'Aix, plus tard Cours Mirabeau. La plaque comporte une citation de Frédéric Mistral en l'honneur de Pascalis, "aquèu gran patrioto", ce grand patriote qui mourut martyr de sa fidélité aux libertés provençales.

Photo de l'auteur.

 

 

En 1790, les anciennes provinces disparaissent conformément aux décisions prises par l’Assemblée constituante lors de la nuit du 4 août 1789 et mises en œuvre en juillet 1790.

Les tenants de l’autonomie provençale en appellent des décisions de l’Assemblée constituante devant l’Assemblée des Communautés du pays de Provence qui siégeait à Lambesc (et qui doit disparaitre elle aussi). Il est impensable que la « nationalité provençale » soit effacée d’un trait de plume sans que les Provençaux soient consultés. Mais malgré la protestation d’une grande partie des villes représentées à l’Assemblée de Lambesc, les événements suivent leurs cours qui parait irrésistible.

En septembre 1790, l’avocat Pascalis, à la tête d’une délégation de l’ordre des avocats, demande à prendre la parole le jour de la dernière séance du Parlement de Provence à Aix, lui aussi supprimé. Il désapprouve tout ce qui s’est passé depuis 1789, espère qu’un jour le peuple détrompé reviendra se placer sous la protection de la constitution provençale et exprime le souhait de "vivre et mourir en citoyen provençal, fidèle sujet du Comte de Provence, Roi de France'.

Cette intervention suscite la colère des révolutionnaires qui font rayer des registres du Parlement le procès-verbal de son intervention. Pascalis est désormais suspect mais refuse de se cacher, confiant dans la popularité qu'une vie d'honnêteté et de défense des plus faibles lui ont value. Mais il est particulièrement détesté des révolutionnaires aixois les plus avancés, parmi lesquels un ecclésiastique, l'abbé Rive, qui a fondé le Club des antipolitiques.

Celui-ci ne cesse de dénoncer Pascalis et d'appeler même à sa mort. En décembre 1790, Pascalis est arrêté tandis que son ami l’avocat Dubreuil, futur Maire d’Aix, qui était avec lui lors de la fameuse séance du Parlement, parvient à s’enfuir et à se réfugier en territoire niçois donc étranger à l’époque.

Deux jours après, une foule de révolutionnaires, Aixois et Marseillais venus en renfort, se fait ouvrir la prison où est détenu Pascalis, s’empare de lui et d’un autre prisonnier pour les lyncher. Les autorités municipales (le Maire, l'avocat Espariat, révolutionnaire modéré, est un ami de Pascalis) sont débordées. Un régiment suisse chargé d’assurer l’ordre (les régiments étrangers n’ont pas encore été licenciés) n’ose pas intervenir.

Pascalis et son co-détenu, puis un troisième homme arrêté entretemps, sont pendus sur le Cours d’Aix qui ne s’appelle pas encore Cours Mirabeau, devant la propre maison de Pascalis. Sa tête est coupée et fichée sur une pique.

En 1995 le Félibrige fera apposer sur la maison de Pascalis une plaque reproduisant une phrase de Frédéric Mistral en l’honneur de cet homme courageux qui mourut en raison de sa fidélité à la Provence.

 

 

 

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Aujourd'hui bien tranquille et expression typique de l'art de vivre provençal avec ses fontaines, le Cours d'Aix, plus tard Cours Mirabeau, connut, comme bien d'autres lieux en Provence, des scènes de grande violence à l'époque révolutionnaire.

Photo de l'auteur.

 

 

 

Début des désillusions 

 

 

A Marseille les réputations se font et se défont rapidement.

Lieutaud, est de plus en plus suspect aux purs révolutionnaires, d'autant qu'il est mêlé du fait de son entourage à des affaires louches. Il s’en prend violemment aux membres du Club des amis de la Constitution. Ses hommes saccagent le Club. Lieutaud est sur la même position que Mirabeau. Comme Mirabeau il est effrayé par la pente de plus en plus violente que prend le torrent révolutionnaire et se demande comment l'arrêter. Les "honnêtes gens", partisans d'une révolution modérée et de l'ordre public, le soutiennent.

C'est le cas du journaliste Ferréol Beaujard, l'éditeur du Journal de Marseille. Il fait l'éloge de Lieutaud en tant que "défenseur exact de l'ordre" et il rappelle que "la tranquillité publique est aussi nécessaire à l'homme moral que l'air à l'homme physique". Beaujard, qui est très lu à Marseille dans les milieux commerçants, représente l'inquiétude de ceux pour qui les révolutionnaires violents qui veulent imposer une nouvelle société sont maintenant plus à craindre que les nostalgiques de l'ancien régime.

Dénoncé pour sa mise à sac du Club patriotique, Lieutaud est ensuite arrêté, mais grâce à des protections dans les milieux modérés à Paris, il est remis en liberté. Ayant appris le sort de Pascalis, avec qui il n’avait pourtant pas de relation, il préfère quitter Marseille en décembre 1790 sous protection militaire. Curieusement il se réfugie à Paris (pourtant la ville où l’opinion révolutionnaire est la plus forte) et devient officier de la garde royale.

Son ami Brémond Julien, patriote convaincu en 1789, est maintenant suspect et va de plus en plus s'éloigner de la mouvance révolutionnaire. 

Il est dénoncé en avril 1791 par un des hommes qui se font à ce moment une place au soleil, Alexandre Ricord. Celui-ci, qui a fait des études de droit, a fait partie de l'entourage de Mirabeau mais ses opinions politiques suivent la tendance à la radicalisation qui se manifeste à cette période. Cet "homme de boue" selon Lautard, est le protégé de Mouraille, futur maire de Marseille.  

Désormais l’homme qui incarne le mieux les idées révolutionnaires à Marseille est Barbaroux. Le négociant Rébecqui est son fidèle accompagnateur.

En 1791 a lieu à Marseille un événement symptomatique : les membres du Club patriotique portent en procession à l'asile de fous le buste de l'abbé Raynal. Qui était cet abbé ? un "philosophe", auteur d'un livre célèbre et interdit par l'Ancien régime, l'Histoire philosophique des deux Indes.

Raynal avait été exilé pour cet ouvrage puis autorisé à résider dans le sud de la France; il avait habité Marseille qui avait même voulu l'élire aux états généraux, ce qu'il avait décliné en raison de son âge.

Or, en 1791, Raynal envoie une lettre à l'Assemblée nationale pour protester contre le désordre qui se généralise, le manque de respect envers le Roi et condamner les assassinats qui se multiplient dans toute la France, à l'encontre des ennemis de la révolution. Au lieu de susciter l'horreur, ces assassinats sont salués par des plaisanteries.

L'abbé Raynal discerne donc dans la Révolution telle qu'elle se déroule, non un progrès de la civilisation, mais une régression vers la barbarie. Pour les révolutionnaires, c'est donc un traître, au mieux un insensé, d'où le transfert de son buste par les patriotes marseillais, chez les fous.

Qui était le plus fou, c'est une question qui n'a sans doute pas de réponse puisque les pires violences trouvent toujours des défenseurs et les résultats les plus piètres sont loués au nom de l'intention qui est à leur origine. Notons au passage qu'un des derniers représentants des "philosophes" a clairement désapprouvé la révolution pourtant encore à ses débuts (il n'a pas été le seul parmi les survivants de la dernière génération des "philosophes") et a ainsi, parfaitement, accompli son travail de penseur. 

Un nouveau maire est élu en novembre 1791, à la suite de l'élection de Martin à l'Assemblée législative. Il s'agit de Mouraille, un astronome assez âgé, membre de l’Académie de Marseille et «patriote». Mouraille se débrouillera d'abord pour déconsidérer son prédécesseur Martin, en publiant une correspondance privée dans laquelle Martin donnait raison au  régiment suisse d'Ernst contre les révolutionnaires marseillais. Il va surtout laisser la bride sur le cou aux éléments les plus dangereux des patriotes, ceux qui vont bientôt se faire une spécialité de l'assassinat et du lynchage.

Quant à Martin, certainement en désaccord avec la suite des événements, il démissionnera de son poste de député en août 1792, ira s'installer à Reims sans plus s'occuper de politique et mourra seulement en 1838.

Le vote de la Constitution civile du Clergé en 1791 va déclencher de nouveaux troubles en décidant que les biens du Clergé sont nationalisés et que tout prêtre, qui devient salarié par l’Etat, doit prêter serment à cette constitution. Elle semble placer le clergé sous contrôle de l’Etat. Les évêques seront élus par le même corps électoral que pour les élections politiques. Le Pape refuse son approbation, de nombreux prêtres refusent de jurer. Les assemblées révolutionnaires vont peu à peu durcir les sanctions contre les « réfractaires ».

 Paralllèlement l'Assemblée prononce l'interdiction des voeux religieux et ferme les monastères et les couvents.

Le système des assignats est mis en place et en peu de temps, Marseille (comme tous les ports) devient un vrai tripot où les fortunes se font et se défont. Indifférents à la politique, les spéculateurs vivent dans le luxe.

A Marseille comme dans toute la France, deux camps se dessinent assez clairement.

D’une part ceux qui sont partisans de l’extension des idées révolutionnaires et jugent souvent que le Roi constitue un obstacle à celles-ci. Ils mettent de plus en plus en cause la monarchie, même constitutionnelle, issue des premiers moments de la Révolution, et souhaitent aussi l’extension du suffrage à tous les adultes (au moins hommes) alors que le régime électoral adopté distingue les citoyens actifs (ayant le droit de vote et d’être élu) et les citoyens passifs (dépourvus de ce droit), distinction fondée sur des critères d’imposition. Certains plus radicaux, trouvent que l’égalité en droit est insuffisante et qu’il faut établir l’égalité des richesses. Ils sont généralement partisans de solutions extrêmes pour parvenir à la société idéale qu’ils veulent.

 

Le camp opposé ne comptait tout d’abord que les contre-révolutionnaires depuis toujours, mais il ne cesse de grossir au cours des années 1791 et 1792 au fur et à mesure que le désordre et les violences, au lieu de cesser, tendent à devenir permanents.

Au milieu, si on veut, les hommes au pouvoir depuis 1789, notables inquiets qui dénoncent autant les contre-révolutionnaires que les partisans de nouveaux progrès de la Révolution.

L’échec de la fuite du Roi à Varennes (juin 1791) a provoqué un revirement chez beaucoup de jacobins qui demandent maintenant la déchéance du Roi.

Les partisans d’un maintien malgré tout de la monarchie, dont ils pensent qu’elle est liée à l’ordre social, sont bien représentés par La Fayette et par les monarchistes constitutionnels qui en juillet 1791, quittent le Club des Jacobins pour fonder le Club des Feuillants.

A cette époque ceux qu’on appellera plus tard les Girondins sont encore des révolutionnaires avancés, des jacobins. Mais une partie d’entre eux, sans pour autant rejoindre les Feuillants, est quand même opposée à l’abolition de la monarchie et surtout se méfie des partisans des changements extrêmes, des revendications sociales exprimées par les éléments les plus populaires et de leurs soutiens comme le journaliste Marat, considéré comme un dangereux forcené.

Marat fait partie de ceux qui considèrent que pour empêcher à tout jamais le retour de l'Ancien régime, mais aussi pour réaliser la révolution sociale et établir le règne de l'égalité, il faut faire tomber des têtes et que tous ceux qui n'acceptent pas ce programme sont des traîtres à la Révolution, des "aristocrates". 

L'année 1792 va voir les contradictions s'exaspérer entre les partisans de la Révolution des diverses tendances tandis que le nombre des déçus et des méfiants envers un processus qui semble devenu incontrôlable, ne cesse de grossir, à Marseille comme ailleurs.

 

 

 

 

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Le comte Lanza vous salue bien
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