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Le comte Lanza vous salue bien
24 février 2013

LE COUTEAU DE BURKE : UNE COMPARAISON ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE, IV

 

 

 

 

LE COUTEAU DE BURKE :  

UNE COMPARAISON ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE, IV

 

 

 

 

 

Argument : que reste-t-il aujourd'hui du "modèle" de Burke, associant le libéralisme politique et le traditionalisme ?

La Grande-Bretagne continue à donner l'exemple d'une démocratie compatible avec un ensemble de traditions dont la monarchie est le sommet. Mais le modèle est-il à bout de souffle ?

Les modèles alternatifs occidentaux, américain ou français, ne paraissent pas en meilleure position. Le modèle de Burke pourrait encore rendre service, à condition de ne pas être un simple décor dissimulant de plus en plus mal la domination de classe et la violence sociale.

 

 

 


Et la France dans tout ça ?






La France, Monsieur, la France elle marche en tête de la civilisation.
C’est, selon Thackeray dans le Livre des Snobs, ce qu’on avait toutes les chances d’entendre dire à un Français, rouge de colère,  après quelques minutes de discussion avec un britannique flegmatique, au milieu du 19ème siècle.

Les deux pays se disputaient sinon le monopole de la civilisation, du moins le leadership comme on dirait plus tard. Il est probable que le contenu, très vague, du mot civilisation, était à peu près le même pour les deux pays. Chaque pays considérait que le niveau qu’il avait atteint était ce qu’on pouvait faire de mieux et  pouvait servir de référence aux autres peuples.
La Français comprenait sans doute dans les raisons de son orgueil, sauf s’il était vraiment réactionnaire, les principes de 89, version consensuelle des acquis de la Révolution*, dont se réclamaient même les monarchies bourgeoises, aussi bien la monarchie de Louis-Philippe que celle de Napoléon III, et les républiques de centre-droit, comme la IIème république  des années 1849-1851, une fois liquidées les velléités socialistes ou du républicanisme de gauche** ou la IIIème débutante, sous la direction de Thiers, puis de Mac Mahon et de ses ministres orléanistes.

                                                                                                     *  Ces principes étaient revendiqués par des hommes politiques aussi conservateurs que Guizot, principal ministre de Louis-Philippe. La doctrine politique orléaniste se différenciait du légitimisme (doctrine des partisans de la branche aînée des Bourbons), par l’adhésion aux principes de 1789 (liberté individuelle, égalité des droits, gouvernement représentatif, neutralité du monarque dans la vie politique, « le roi règne et ne gouverne pas »). 

                                                                                                  **  Après la répression des journées de juin 1848 (soulèvement socialiste et républicain de gauche), les conservateurs sont au pouvoir. Le prince Louis-Napoléon est Président de la République depuis fin 1848 (en fait le 1er président de la République ayant porté ce titre) ;  les hommes influents du régime sont d’anciens orléanistes comme Thiers, Odilon Barrot ou Tocqueville. La loi emblématique de cette seconde république bourgeoise est la loi Falloux sur l’enseignement libre (religieux), qui est toujours en vigueur. La II ème République a donc laissé comme héritage, outre le suffrage universel, sur lequel même le Second empire ne reviendra pas (il suffira de bien contrôler les élections), la loi sur l’abolition de l’esclavage et la loi Falloux.

 


Quant aux britanniques, ils pouvaient dire qu’eux, n’avaient pas eu besoin d’une Révolution qui avait dérapé dans le sang, pour jouir des mêmes libertés et même au-delà que les Français et depuis plus longtemps.*

Certes, il y avait eu la suite d’événements, il est vrai extrêmement confus, qu’on appelle la première Révolution anglaise ou la Guerre civile (1640-49); considérer qu'elle n’a joué qu’un rôle mineur dans le développement des institutions représentatives britanniques et de la protection des droits individuels est sans doute très contestable (elle a quand même eu pour cause la défense des droits du Parlement !).

Néanmoins cette Révolution ayant abouti à la dictature de Cromwell (et à l’exécution toujours discutable, du roi Charles Ier), la tradition historique établie préfère faire remonter l’instauration d’un régime libéral à la Glorious Revolution de 1688 qui se confond chronologiquement avec la philosophie politique libérale de Locke. Par ailleurs la  première Révolution est inextricablement liée à des questions religieuses opposant les protestants entre eux (et opposant les protestants Ecossais aux protestants Anglais).


Donc la vraie révolution britannique n'en est finallement pas une : si Révolution il y avait eu, elle s’était réglée en famille, sans aucun mort du moins sur le sol anglais*, la fille et le beau-fils de Jacques II (Mary et son mari néerlandais Guillaume d’Orange qui allait être appelé Guillaume III)** remplaçant celui-ci sur le trône, sous la surveillance vigilante des Communes et des Lords temporels et spirituels qui firent accepter aux nouveaux souverains le Bill of Rights de 1689, une déclaration des droits écrite avec un archaïsme savoureux, dont le titre complet est An Act Declaring the Rights and Liberties of the Subject and Settling the Succession of the Crown :


 « Considérant que l'abdication du ci-devant Jacques Il ayant rendu le trône vacant, Son Altesse le prince d'Orange (dont il a plu à Dieu Tout-Puissant de faire le glorieux instrument qui devait délivrer ce royaume du papisme et du pouvoir arbitraire) a fait par l'avis des lords spirituels et temporels et de plusieurs personnes notables des Communes, adresser des lettres aux lords spirituels et temporels protestants et d'autres lettres aux différents comtés, cités, universités, bourgs et aux cinq ports pour qu'ils eussent à choisir des individus capables de les représenter dans le Parlement qui devait être assemblé et siéger à Westminster le ….aux fins d'aviser à ce que la religion, les lois et les libertés ne pussent plus désormais être en danger d'être renversées ; qu'en vertu desdites lettres les élections ont été faites ;
Dans ces circonstances, lesdits lords spirituels et temporels et les Communes, aujourd'hui assemblés en vertu de leurs lettres et élections, constituant ensemble la représentation pleine et libre de la Nation et considérant gravement les meilleurs moyens d'atteindre le but susdit, déclarent d'abord (comme leurs ancêtres ont toujours fait en pareil cas), pour assurer leurs anciens droits et libertés etc ;

                                         *   Par contre, le sang coula en Irlande. Jacques II, qui avait été chassé plus en raison de son crypto-catholicisme que de tendances autoritaires avérées (mais pour les protestants ça revenait au même) essaya de reconquérir son trône, poussé par Louis XIV (il semble que finalement, ne plus être Roi ne le gênait pas tant que ça). Les Français débarquèrent en Irlande, avec Jacques II qui leva une armée, principalement chez les catholiques irlandais. Les franco-irlandais furent battus par Guillaume III, à  la célèbre bataille de la Boyne (1690), que commémorent encore les protestants extrémistes d’Ulster lors de leurs défilés. Guillaume III accorda une amnistie aux Irlandais et laissa partir tous ceux qui le voulaient (c’était autant d’opposants de moins); on se doute que globalement, la situation des catholiques irlandais ne fut pas améliorée par cette défaite.             

                                        * * Mary était appelée au trône à égalité avec son mari (qui en fait n’aurait du être qu’un prince consort) ; en effet c’est Mary qui représentait la filiation dynastique, légèrement écornée.    


Dans ce Bill of Rights, on note un article destiné à avoir, aux USA, une certaine longévité : « Que les sujets protestants peuvent avoir pour leur défense des armes conformes à leur condition et permises par la loi  ».

De quoi agacer les Français qui peuvent ricaner de ces libertés anglaises, qui s’appuient toujours sur le passé (« pour assurer leurs anciens droits et libertés ») et sont si bien compatibles avec les formes féodales.

Finalement, au 19ème siècle, la conception d’une France rayonnante et civilisatrice était assez indifférente aux régimes politiques. Elle pouvait s’exprimer presque innocemment à l’occasion par exemple du rattachement de la Savoie à la France (1860), où un caricaturiste d’ailleurs talentueux, Cham, montre une personnification de la France (du Second Empire) qui débarbouille ses nouveaux enfants pour les voir (les Savoyards étant, pour l’opinion courante, tous des ramoneurs) .


Dans un autre dessin, Cham montre un ours furieux qui dévale vers un bourgeois en haut de forme qui s’enfuit, avec la légende : « N’a pas été consulté pour savoir s’il voulait devenir Français ».
L’annexion de Nice est représentée par un couple d’Anglais qui a l’impression de s’enrhumer sur la Côte d’Azur, depuis que Nice est en France !
Quant à M. Prudhomme, il écrit à Nice : Mais tu ne connais personne à Nice, s’étonne sa femme. C’est pour le plaisir de ne payer que 20 centimes, répond M. Prudhomme ! (prix du port intérieur au lieu du prix pour une destination à l’étranger).


Il est plaisant de penser que l’annexion de la Savoie et de Nice fut obtenue, par referendum,  après que dans ces régions les milieux conservateurs aient fait campagne pour le « oui », du fait que le Second Empire paraissait plus à même de défendre les valeurs traditionnelles et notamment le place de la religion, que la monarchie de Piémont-Sardaigne, réputée anticléricale. En fait, l’état sarde, comme on l’appelait assez curieusement, car évidemment le cœur de l’Etat était le Piémont et pas le Sardaigne sous-développée, voulait faire triompher la prééminence de l’Etat sur l’Eglise, ce qui était déjà fait en France, mais ce combat en cours lui donnait une allure plus anticléricale que la France du Second empire qui en plus, s’était constituée protectrice du pouvoir temporel du Pape. L’adhésion de Nice et de la Savoie à la France, loin d’avoir été, anachroniquement, une adhésion aux « valeurs de la république », était fondée  plutôt sur la défense de valeurs conservatrices…
 

800px-Annexion_de_la_Savoie_-_Caricatures


Caricatures de Cham sur le rattachement de la Savoie à la France.

Wikimedia commons.

 


Mais la France n’est plus celle de Cham, et comme on l’a vu, les valeurs de la République sont désormais ce qui constitue l’identité proclamée de ce pays, ouvert à tous ceux qui se réclament de ces valeurs, du moins, c’est le discours convenu.

 

 




La monarchie britannique en questions 

 




Comparer les mérites respectifs des institutions politiques de la France et de la Grande-Bretagne est un travail sans doute inutile, car ces mérites sont justiciables de deux descriptions au moins. L’une qui est une description idéale et l’autre qui est une description objective fondée sur la réalité observée.


Par exemple dire que la république est le régime qui non seulement permet mais même impose comme un devoir, la participation de tous aux affaires politiques, est une chose. Dire que dans la réalité, cette participation ne correspond qu’à un infinitésimal (au mieux) pouvoir de chacun sur ses conditions de vie, en est une autre.
L’abîme qui existe entre la description théorique (avec laquelle on peut d’ailleurs ne pas être d’accord) d’une conception politique et sa réalité vécue, est le seul objet politique qui mérite finalement d’être analysé et qui en général, ne l’est pas.
Ce qu’on appelle en France participation à la République est le plus souvent, adhésion à des concepts mis en place par des intellectuels en situation dominante et servant ensuite à mesurer l’esprit civique par l’adhésion plus ou moins grande de la population à ces concepts, bien plus que la possibiité réelle d'exercer une action sur la gestion de la cité. Si une telle action existe elle est forcément canalisée par les dirigeants pour être conforme à leurs aspirations.

 


C’est bien sûr avec autant de scepticisme que nous pouvons regarder les conceptions dominantes en Grande-Bretagne.
Dans ces conceptions  (certaines avancées dès le 18ème siècle, leur ancienneté les rend encore plus emblématiques), le système britannique serait celui d’une république qui ne dit pas son nom.


Ainsi pour Hume, selon l’analyse faite par Antoine Mioche*, « la vraie république est celle où règnent la liberté et l’état de droit dans une constitution mixte fondée sur la monarchie et le gouvernement représentatif (“Liberty” passim ; “Politics” 15 ; “Rise and Progress” 115-8 ; “Idea of a Commonwealth” passim).
La monarchie constitutionnelle est ainsi le régime qui s’approche le plus de l’idéal de la république antique, car elle institue un gouvernement des lois et non des hommes (“Civil Liberty” 94), sans toutefois en présenter les défauts. La république devient donc l’idéal vers lequel tend la monarchie moderne, que l’on ne confondra pas avec la monarchie absolue. De cette dernière, la France [du 18ème siècle] est l’exemple. De la première, l’Angleterre est le modèle unique [à l’époque].

Hume écrit : “De toutes les nations polies et savantes**, l’ANGLETERRE seule possède un gouvernement populaire” (“Of all the polite and learned nations, ENGLAND*** alone possesses a popular government”, “Eloquence” 99).


                                                                                                         * La république en Grande-Bretagne aujourd’hui : une idée anglaise (revue en ligne E-Rea d’études anglaises, 2003). Le titre oppose « anglaise » à « britannique » comme le développement de l’article le montre. 

                                                                                                        ** « Polies et savantes » est dans la pensée de Hume, l’équivalent de « civilisées ».

                                                                                                         *** Hume étant écossais, on peut s’interroger sur un éventuel sous-entendu de l’emploi chez lui du terme England, qu'il écrit en majuscules; certes le terme était de plus en plus employé pour désigner toute la Grande-Bretagne au 18ème siècle.

 

Le même spécialiste des théories politiques britanniques, A. Mioche, remarque que le républicanisme radical, en Grande-Bretagne, (partisan de la suppression de la monarchie), est typiquement anglais (pas britannique) au point qu’actuellement, les seuls républicains à s’afficher comme tels en Écosse sont d’obédience trotskiste (Scottish Republican Socialist Movement) [mais ces analyses datent de 2003].

Il conclut au terme d’un raisonnement un peu tortueux que « le dernier avatar du républicanisme en Grande-Bretagne est bien un séparatisme, mais un séparatisme anglais. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais le constat d’une contradiction interne entre ses aspirations britanniques et son fondement et ses aspirations profondément anglais, entre sa rhétorique de l’union, propre au républicanisme monarchique [monarchie parlementaire] qu’il récuse, et son discours anti-monarchique, fondamentalement nationaliste ».  

En gros, si on comprend bien, en Grande-Bretagne, l’Union Angleterre-Ecosse (en laissant de côté le Pays de Galles et l’Ulster) de 1707, qui met fin à l’existence de l’Ecosse comme Etat séparé (et aussi de l’Angleterre, au profit du nouveau Royaume-Uni) est d’inspiration monarchique et le républicanisme anglais pose inévitablement la question de la dissolution de l’Union, alors que le séparatisme écossais est compatible avec la monarchie. De ce point de vue, il n’existe pas (et ne pourrait exister ?) de républicanisme britannique…


Finalement dans le même esprit que Hume, pour lequel la monarchie britannique était républicaine, un article consacré au célèbre commentateur de la constitution (non écrite) britannique au 19ème siècle, Walter Bagehot, laisse penser que ce dernier n’était pas l’admirateur de la monarchie qu’on décrit souvent, mais un républicain.*

                                                                                       *  Le républicanisme paradoxal de Walter Bagehot (1826-1877) par Catherine Hajdenko-Marshall (en ligne sur le site E-Rea, études anglaises. 
 

Selon l’auteur, « dans son analyse de la Constitution anglaise, il [Bagehot] nous donne à voir un système de gouvernement qui n’est rien d’autre dans son essence qu’une république. Ainsi écrit-il dans The English Constitution : “Dès qu’on s’est bien pénétré de cette idée que l’Angleterre est une république déguisée, il faut avoir soin de traiter avec un certain tact les classes pour lesquelles ce déguisement est nécessaire” (Collected Works V : 402).


« Ainsi les représentants du peuple, considérés par Bagehot comme une aristocratie authentique et éclairée, garantissaient-ils la liberté. De là découle l’idée conçue par Walter Bagehot que les Anglais étaient faits pour leur système de gouvernement. Leur société hiérarchisée, leurs traditions immémoriales, leur déférence, tout était lié à leur caractère national qui évoluait à l’unisson des institutions et des changements sociaux. “Notre Constitution n’est pas fondée sur l’égalité”, écrivait-il, ni sur un ajustement reconnu et progressif à l’intelligence et à la propriété; mais sur certains sentiments anciens de déférence et sur une façon curieusement approximative de représenter le bon sens et l’intelligence, aucun des deux ne devant être malmené, car une fois gâtés ils ne sauraient être reconstruits, et parce qu’ils sont les seuls appuis possible d’une constitution telle que la nôtre chez un peuple tel que le nôtre. (Collected Works V, 408-9).

Bagehot considérait que la Constitution (non écrite) anglaise se divisait en deux parties, l'une "dignified” (solennelle - le mot "dignified" n'est pas facile à traduire, il contient les notions de digne, noble, élevé, majestueux) et l'autre "efficient” (efficace, pratique).


 On reconnaît là des thèmes chers à Burke (« les Anglais étaient faits pour leur système de gouvernement », « Leur société hiérarchisée, leurs traditions immémoriales, leur déférence, tout était lié à leur caractère national », « certains sentiments anciens de déférence et (…) une façon curieusement approximative de représenter le bon sens et l’intelligence, aucun des deux ne devant être malmené, car une fois gâtés ils ne sauraient être reconstruits »).
Il n’est dès lors pas très intéressant de rappeler que Bagehot estimait qu’un jour le masque monarchique ne serait plus utile, dans la mesure où la République qu’il concevait (le système britannique sans la monarchie) avait sans doute peu à voir avec ce qu’on appelle en France République.

La contradiction n’est qu’apparente entre la réputation de Bagehot en tant que laudateur des institutions monarchiques et son républicanisme supposé puisque celui-ci ne vise pas à établir une république qui ne se situerait pas dans le fil des traditions britanniques (dans le style français ou même américain), mais à supposer qu’un jour, l’habillage monarchique des institutions britanniques ne sera plus nécessaire.
  C’est bien l’empirisme et le refus des idées abstraites, comme chez Burke, qui sous-tendent le républicanisme monarchique, si on veut l’appeler ainsi,  de Bagehot.


De fait, la monarchie a perduré en Grande-Bretagne alors que Bagehot pensait que lorsque la démocratie serait complète (et les classes populaires suffisamment éduquées) le masque monarchique deviendrait inutile, ce qui revient à dire que ce sont les classes populaires qui tenaient à la monarchie (« les classes pour lesquelles ce déguisement est nécessaire »). Il faudrait donc un nouveau Bagehot pour expliquer pourquoi la monarchie perdure et donc quelle est son utilité réelle.


Les réflexions théoriques sur les options en faveur de la République en Angleterre ne peuvent pas dissimuler le fait qu’une grande majorité des anglais (et britanniques) se dit attaché à la monarchie.

Si républicanisme il y a, c'est un républicanisme limité à l"Angleterre elle-même (donc pas à l'Ecosse). Du moins c'est la thèse de l'analyste Antoine Mioche.
 Antoine Mioche écrit que le projet républicain  étendu à la Grande-Bretagne, « ne saurait proposer à l’Écosse dans le cadre d’une république de Grande-Bretagne plus d’avantages qu’elle ne possède déjà dans la république monarchique de Grande-Bretagne [c’est-à-dire dans le cadre de la monarchie parlementaire actuelle], et pourrait fort bien lui en ôter certains »*.

                                                                                                   * En laissant de côté le problème de l'Ulster : si des habitants (catholiques) de l'Ulster sont républicains, c'est dans le sens d'une appartenance à une Irlande unie et républicaine et non pas au sens où ils adhéreraient à l'idée d'une Grande-Bretagne républicaine dont ils continueraient à faire partie. Quant au Pays de Galles, il serait surprenant que les nationalistes gallois se donnent pour but de constituer une république avec l'Angleterre...


Il rappelle avec un peu de paradoxe que «  la Couronne, dès l’instant où elle devint britannique, et nonobstant ce qu’enseigne l’histoire sociale anglaise et ce que fait valoir le discours nationaliste écossais…continua de permettre l’expression d’une identité écossaise distincte sur le plan institutionnel, mais aussi dans l’Empire…mais fondit l’Angleterre dans la Grande-Bretagne au plus grand dommage des Anglais, quoi qu’on dise de la confusion anglaise entre Angleterre et Grande-Bretagne ». « Avec la fin aujourd’hui de cette confusion à la faveur du développement de l’historiographie des quatre nations (Pocock, “British History” passim ; Kearney passim ; J. Black passim) ; avec la disparition de l’Empire qui ancrait l’identité anglaise, et non seulement écossaise, irlandaise…dans un tout plus grand, aujourd’hui, de surcroît revendiqué par les Écossais (Fry passim); avec l’absence de dévolution en Angleterre; il ne serait guère surprenant que les Anglais se cherchent quelque peu. L’avatar anti-monarchiste du républicanisme, dans cette lecture, est une forme de nationalisme, voire de séparatisme, anglais ».

Ainsi que le dit drôlement de son côté l’universitaire Kenneth O. Morgan (titré Lord Morgan of Aberdyfi et membre travailliste de la chambre des Lords) : « The famous detective, Sherlock Holmes, once solved a case by referring to “the dog that did not bark.” In the past 250 years of British history, republicanism is another dog that did not bark. » ( Sherlock Holmes avait résolu une enquête en se référant à l'indice "du chien qui n'avait pas aboyé". Dans les dernières 250 années de l'histoire britannique, le républicanisme est aussi un chien qui n'a pas aboyé).

Dans les sondages, 10 à 15% des sondés serait en faveur d’une république, les plus jeunes n’étant pas plus en faveur de la république que les autres). Même en Ecosse, en supposant qu'elle devienne indépendante, rien ne s’opposerait  à ce qu’elle conserve le monarque comme souverain d’Ecosse (comme la Reine est Reine du Canada, d’Australie, des Bahamas etc).


Les raisons de cette popularité, fluctuante certes, sont ainsi indiquées par l’historien Kenneth O. Morgan , visiblement réservé sur la monarchie : « The popular perception has been that the Crown has always been there at times of crisis, unchanging, imperturbable », la vision de la population, c'est que la monarchie a toujours été là dans les temps de crise, toujours semblable à elle-même, imperturbable  (article The Labour Party and British Republicanism, dans La République et l’idée républicaine en Grande-Bretagne, revue en ligne E-Rea, 2003).

 

Il rappelle (en 2003) que tous les premiers ministres travaillistes depuis Ramsay Mac Donald en 1924, furent respectueux de la monarchie, parfois avec empressement  (All Labour governments have been highly favourable to the monarchy), alors que paradoxalement, c’est avec Mme Thatcher, conservatrice, que les relations avec la Reine furent les plus tendues. Toutefois même si le républicanisme n’est pas à l’ordre du jour, il ferait des progrès chez les politiciens travaillistes. Mais il note que le discrédit des gouvernants élus (par exemple, Tony Blair lors de la guerre en Irak) profite à la monarchie, non élue.


L’abolition de la monarchie n’est à l’ordre du jour d’aucun parti de gouvernement en Grande-Bretagne.
Il conclut avec prudence : « But you should never say never in this unpredictable life. (…) It is not inconceivable at all that, some time in the coming years, the established Church, the pound sterling and even the monarchy could follow the Empire and the Union into the dustbin of history » ( il ne faut jamais dire jamais dans cette vie où on ne peut rien prédire... il n'est pas inconcevable que dans les années à venir, l'Eglise établie, la livre sterling et même la monarchie suivent l'Empire et l'Union (Angleterre-Ecosse) dans les poubelles de l'histoire).

 

Ajouté en 2016 :

Depuis, la Grande-Bretagne n'a pas pris le chemin de l'abandon de la livre, optant au contraire pour la rupture avec l'Union européenne (Brexit). Une nouvelle période d'incertitude s'est ouverte. Il est clair que la rupture avec l'Union euopéenne trouve son origine dans un sursaut nationaliste en Grande-Bretagne (surtout en Angleterre, puisque l'Ecosse et l'Irlande du Nord ont voté majoritairement contre le Brexit, tandis que le Pays de Galles s'alignait sur l'Angleterre avec toutefois une majorité de "oui" moins nette). 

Quant à la monarchie - l'actuel (2016) leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, passe pour être  anti-monarchiste. Mais  d'une part il est très contesté dans son parti où il représente l'aile gauche anticapitaliste et d'autre part,  les travaillistes ne paraissent pas en mesure de revenir au pouvoir sous sa direction.

Nous pouvons conclure sans beaucoup de craintes de se tromper qu'il y a exactement autant de chances de voir la république établie en Angleterre (nous ne parlons pas de l'Ecosse) que la monarchie rétablie en France...

 

Le referendum sur l'indépendance de l'Ecosse, après un premier épisode donnant au "non" une légère majorité en 2014, est à nouveau évoqué après le Brexit.

L'Ecosse, devenue indépendante, conserverait-elle la monarchie, à la manière du Canada, de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande (au passage, dans ces pays l'avenir monarchique n'est pas forcément garanti)?

 

Les Ecossais sont certainement moins monarchistes qu'il y a dix ans - et ils le sont en tout cas moins que les Anglais.

 

Le Jubilé de 2012 a été l'occasion de constater que les Anglais restaient attachés à la monarchie dans leur immense majorité, et presque plus qu'avant.

Le journaliste Jeremy Paxman, (auteur d'un live On Royalty  - sur la royauté, 2006), déclarait en 2012 :

" We’re all monarchists now – even me" (Nous sommes tous monarchistes maintenant, même moi), faisant allusion au fait qu'il avait autrefois été républicain.

Selon lui :  "The presence of a little old lady on the throne anchors the present very visibly in the past. In an age of astonishing technological change and dissolving national borders, she offers up to us a sense of who we are." (la présence d'une petite vieille dame sur le trône ancre de façon visible  le présent dans le passé et dans une époque de changements technlogiques stupéfiants et de dissolution des frontières nationales, elle nous donne le sens de notre identité [de qui  nous sommes] (...) 

... she expresses not merely the latest generation of a uniquely privileged family, but a sense that the whole nation is somehow an extended family" (elle [la reine] ne signifie pas seulement la plus récente  génération d'une famille exceptionnellement privilégiée, mais le sentiment que la nation dans son ensemble est en quelque sorte une famille étendue)  https://www.telegraph.co.uk/news/uknews/the_queens_diamond_jubilee/9307361/Jeremy-Paxman-Were-all-monarchists-now-even-me.html                                            ).

 

 




Conclusion

 

 



La société française n’a plus cessé de se référer à la Révolution française depuis qu’elle a eu lieu.
On se souvient des propos du pourtant bien peu révolutionnaire Charles de Rémusat, notant sous la Restauration que les jeunes générations n’ont connu que les institutions et les règles sociales issues de la Révolution : « Ces nouveautés sont pour nous déjà des traditions ».


La référence aux principes de 1789 devenait obligatoire pour presque tous les partis, même si on peut se demander si c’était toujours sincère, ou quelle compréhension de ces principes était sous entendue.
Dans sa proclamation qui sert de préambule à la Constitution du 12 janvier 1852, au lendemain du coup d’état de décembre 1851*, Louis-Napoléon écrit :
« … notre société actuelle, il est essentiel de le constater, n'est pas autre chose que la France régénérée par la Révolution de 89 et organisée par l'Empereur. Il ne reste plus rien de l'Ancien Régime que de grands souvenirs et de grands bienfaits. Mais tout ce qui alors était organisé a été détruit par la Révolution, et tout ce qui a été organisé depuis la Révolution et qui existe encore l'a été par Napoléon.
Nous n'avons plus ni provinces, ni pays d'Etat, ni parlements, ni intendants, ni fermiers généraux, ni coutumes diverses, ni droits féodaux, ni classes privilégiées en possession exclusive des emplois civils et militaires, ni juridictions religieuses différentes.
A tant de choses incompatibles avec elle, la Révolution avait fait subir une réforme radicale, mais elle n'avait rien fondé de définitif. Seul, le Premier consul rétablit l'unité, la hiérarchie et les véritables principes du gouvernement. Ils sont encore en vigueur » (Proclamation du 14 janvier 1852).

                                                                                                  * Le coup d’état du 2 décembre s’appuyait sur l’inquiétude des classes possédantes à l’idée que les élections des députés qui étaient prévues en 1852 risquaient d’amener au pouvoir une majorité républicaine de gauche : cette inquiétude, qui avait conduit la majorité de droite à voter une loi restreignant le suffrage universel pour les prochaines élections, avait fait le jeu de Louis-Napoléon, qui de son côté, ne voulait pas quitter son poste, alors que la Constitution de 1848 prévoyait que le président de la République sortant de fonctions ne pouvait pas être réélu immédiatement ; or son mandat expirait en 1852. Dicté par des considérations personnelles, le coup d’Etat avait donc aussi l’assentiment des conservateurs, sauf, pour la droite libérale (Thiers, Tocqueville) à condamner une violence faite aux institutions et la mise en application d’un gouvernement autoritaire.


Et l’article premier de la Constitution* proclame :
Article 1. - La Constitution reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des Français.

                                                                                        * Constitution qui sera celle du Second empire après les modifications utiles lorsque le peuple aura ratifié la formule proposée au plébiscite : " Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de régler l'ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi qu'il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852."

Ainsi même un régime assurément conservateur  faisait référence aux principes révolutionnaires, certes maintenus dans des bornes rassurantes, 1789 s’opposant ici à 1793.


A la même époque, des esprits qui étaient d’ailleurs loin d’être favorables à l’empire, comme le juriste Laboulaye, critiquaoent la référnce constante aux principes révolutionnaires, même limités à la "bonne" révolution de 1789.

Défenseur des idées libérales et admirateur des exemples britannique et américain, on doit à Laboulaye la souscription qui permit d’offrir aux USA la statue de la « Liberté éclairant le monde » en 1884.

Il écrivait  : En France, on confond toujours Révolution et liberté, or ce sont des choses différentes et même contraires.
Laboulaye avait pour 1789 moins de révérence que ses contemporains ; pourtant son idéal était la défense des libertés individuelles,  comme Constant auquel il se référait. Pour lui, 1789 avait eu le tort de faire déjà une trop grande place à la Nation, incarnée par l’Etat,  au détriment des individus.
Il rejoignait Burke dans son peu de considération pour les principes abstraits et philosophiques de 1789, dont les américains n’avaient pas eu besoin.
Laboulaye admirait le système américain, car il était fondé sur la vénération des américains pour leurs coutumes et leur respect de la Common Law (loi purement jurisprudentielle, du moins à l’origine). Donc, à la différence des divers régimes expérimentés par la France, les américains avaient un régime respectueux des libertés, où l’Etat n’exerçait qu’un rôle protecteur des droits des individus.


Pour Laboulaye : «  La liberté, l'ordre et le bonheur des peuples sont le but des associations humaines, les organisations politiques ne sont que des moyens et un républicain éclairé est beaucoup plus disposé à devenir un royaliste constitutionnel qu'un partisan de la monarchie absolue ».
Loin de se référer à la Révolution française, Laboulaye revendiquait une sorte de socle commun aux sociétés occidentales : « Le temps n'est-il pas venu de comprendre enfin que la civilisation de la vieille Europe est homogène et qu'il est aussi déraisonnable d'inventer un régime politique exclusivement français, en repoussant tout ce que l'expérience a appris aux Américains et aux Anglais? Si l'industrie n'a pas de patrie, la liberté n'en a pas davantage; toutes deux sont l'héritage commun de la chrétienté ».

Sa méfiance envers l’Etat séparait Laboulaye des tendances dominantes en France, qu’elles soient de gauche ou de droite :

« La sagesse de l'État est une chimère; où donc prend-on ces sages administrateurs, sinon parmi ce peuple qu'à l'avance on déclare incapable et fou ? Consultez l'expérience. Les hommes qui forment l'administration, si habiles et si clairvoyants qu'on les suppose, en savent toujours moins que l'intérêt particulier. Partout où l'État intervient, il empêche le travail de s'établir, ou, ce qui n'est pas moins nuisible, il favorise le développement de certaines industries qui ne sont pas viables. Que l'État fasse régner la paix et la sécurité, son rôle est rempli; dès qu'il sort de sa sphère, il porte le désordre et le trouble dans la société ».


Au 19ème siècle, les principes de 1789 étaient une référence compatible avec presque tous les régimes mais qui, pour certains penseurs, restaient incapables de procurer à la France une démocratie apaisée et satisfaisante.
Dans tous les cas, on insistait bien plus sur les principes de 1789 que sur la période jacobine, presque universellement réprouvée sauf à l’extrême-gauche.


Or, depuis plus d’un siècle, l’image de la France tend, au moins au niveau public, à se confondre avec l’image du pays de la Révolution, pas seulement la Révolution libérale de 1789 mais en quelque sorte une révolution permanente qui se donne pour but d’approfondir la devise républicaine, un peu comme si se réalisait la phrase de Michelet : la France n’a qu’un seul nom devant l’histoire et ce nom est Révolution* . Michelet, qui vécut la plus grande partie de sa vie sous la Restauration, sous Louis-Philippe et sous Napoléon III et mourut sous la IIIème République débutante, à l’époque de la « République des Ducs », devait penser qu’il n’était pas prophète en son pays. Il l’est devenu.

                                                                                   *    Michelet à qui on doit cette autre phrase célèbre : la vraie France, la France du Nord. Une phrase que les habitants des régions du Midi auraient pu méditer.

 

L’adhésion à la république n’est pas donnée comme adhésion raisonnable à un régime équilibré fondé sur le pluralisme et la loi majoritaire (régime qui n’est pas spécifiquement français et qu’on trouve partout en Occident, aussi bien dans des républiques que dans des monarchies démocratiques), mais comme une adhésion quasiment passionnelle (aussi passionnelle que le sentiment d’affection des monarchistes pour leur souverain, finalement) aux valeurs dites « républicaines » comprises extensivement, c’est-à-dire comme un programme de réalisation d’une société idéale fondée principalement sur l’égalité et de dévouement à cet idéal.


Cette idéologie républicaine dominante a ses dévots et ses profiteurs, ses naïfs et ses Tartuffes (parfois chez les mêmes individus les deux attitudes coexistent).

 Le souhait de tendre vers une société organisée selon les principes républicains les plus extensifs aboutit à des absurdités inconnues (on l’espère, ou connues dans de moindres proportions) dans d’autres pays. Les mesures prises pour essayer de réaliser un idéal abstrait donnent souvent des résultats décevants ou désastreux.


A titre d’exemple, comme les réglements en vigueur imposent sous certaines réserves toutefois, réserves que certains contestent d’ailleurs, d’accueillir pour des soins aussi bien des étrangers venant de leur pays (en application d'accords selon lesquels le pays d'origine prend en charge les frais, mais il semble que ce soit très théorique et pas exact dans les faits) que des personnes en situation irrégulière; ces dernières sont soignées « gratuitement ».

Mais comme ces soins ont évidemment un coût, les résidents réguliers paient de plus en plus cher leurs cotisations et leurs charges sociales au point, souvent, de ne plus pouvoir se soigner convenablement eux-mêmes, car ce qui est « gratuit » pour les uns est largement payant et de plus en plus payant, pour d’autres. Ainsi l’idéologie égalitaire, faute de miracle, prend la forme classique du déshabillage de Pierre pour habiller Paul. Quant aux personnes accueillies, à qui on ne dit pas, par respect humain sans doute, qu’elles doivent se comporter respectueusement, comme le montrent de nombreux fais divers (bien plus nombreux que ce qui filtre) il leur arrive de remercier les soignants en les brutalisant, sans avoir très souvent à subir les conséquences de leur conduite.


Même si tous les pays démocratiques tendent plus ou moins à des politiques semblables, on peut penser qu'en France, l'idéologie républicaine amène à des attitudes fréquemment absurdes.

Pour l’idéologie et ses partisans, les conséquences pernicieuses d’application des principes généreux, ne remettent pas en question ces principes. Il est plus simple soit de nier ces conséquences pernicieuses, soit de déclarer qu’elles n’existent que parce qu’on ne fait pas assez d’efforts dans le bon sens, qu'on manque de solidarité, qu'on refuse de mettre les moyens au service d'une politique d'accueil digne dece nom.


Le refus des dirigeants d’examiner les situations concrètes mais de toujours se placer au point de vue des idées abstraites les amène à nier la réalité lorsqu’elle est en discordance avec l’idéologie, ou à refuser de prendre les mesures correctives qui s’imposent.

                                                                                                


On a fait remarquer que l’Allemagne ou l’Italie, ou la Grèce, sont des Républiques parce que ce ne sont pas des monarchies, c’est tout. Ce sont des non-monarchies ou des Républiques par défaut. Il n’y a qu’en France que la République signifie bien plus que de ne pas être une monarchie, et constitue une sorte de programme moral qui s’impose aux habitants (supposés pourtant être libres de leurs choix idéologiques).


Recentrée sur les « vraies valeurs » dites universelles, qui devraient faire un paradis de notre pays (étrangement champion de la consommation de calmants), la France n’a pas de temps à consacrer aux traditions inutiles*, sauf les commémorations du 14 juillet et la mémoire de la 2ème guerre qui tiennent lieu de traditions surtout lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser les combats passés au profit de l’idéologie actuelle, donnée comme représentant l’identité permanente du pays**.

                                                                                  *  Il est courant de constater à quel point la France est « démocratique » ou s’attache moins que d’autres pays au formalisme, au décor extérieur. Si on veut dire par là que dans beaucoup de pays, la classe supérieure (notamment) s’attache à des rites inexistants en France, c’est exact et ce ne l’est que de cette façon.

                                                                                    ** De telles commémorations ne sont pas ce qu’ailleurs on appellerait vraiment des traditions. C’est ce qui en tient lieu en France.


De longue date habituée à n’estimer que les supériorités intellectuelles (compatibles avec une réelle aisance financière, du moment que celle-ci ne s’assimile pas à la « fortune » toujours honnie), la France est dirigée par des bourgeois intellectuels concentrés à Paris (mais ils ont leurs imitateurs de province) qui finissent par constituer des lignées aussi inabordables et méprisantes pour ceux qui ne font pas partie de leur univers social que les comtes et barons des pays où existe encore une noblesse officielle, sinon beaucoup plus et qui sont prêts à donner des leçons au peuple quand celui-ci se détourne des valeurs républicaines dont ils sont les meilleurs représentants*.

                                                                                          *  Ils ont même inventé la notion particulièrement amusante d’élitisme républicain qui sert à masquer que leur élite, comme toutes les élites, est très fermée et n’accueille de nouveaux membres qu’au compte-goutte. Ce concept est proche de celui de méritocratie qui postule que les niveaux importants de la société sont remplis par des personnes ayant fait la preuve de leurs capacités, généralement en arrivant aux postes qu’ils occupent, le serpent se mord la queue ou en obtenant des diplômes que leur formation et leur milieu familial leur permet d’obtenir tout d’abord, de valoriser ensuite sans qu’à aucun moment leur compétence soit évaluée par d’autres que leurs semblables.

Par contre il est clair que cette élite autoproclamée ne constitue en rien une aristocratie (même si elle en présente parfois les caractères héréditaires, comme les apparatchiks de l’ère soviétique ou de la Corée du Nord). Enfin une aristocratie n’est pas non plus exempte de médiocrité mais c’est une autre question. 




 Mais les autres pays, qui ont conservé plus de traditions (en lien avec le passé monarchique, féodal, religieux, du pays) sont-ils vraiment mieux lotis, puisqu’au départ, nous acceptons l’idée que les traditions donnent une ossature à la société et sont liées à l’idée de permanence ou d’éternité qui correspond à une aspiration de l’homme.
A quoi servent les traditions, les usages anciens pieusement conservés, les hiérarchies traditionnelles, si l’ensemble de la population n’en reçoit pas une influence bénéfique, si la société n’est pas plus harmonieuse et finalement plus heureuse ?


La Grande-Bretagne semble avoir conservé tout ce que venons de dire : hiérarchies traditionnelles, parfois investies de rôles politiques héréditaires (il y a encore des pairs héréditaires en Grande-Bretagne) noblesse, rites nombreux , qu’il s’agisse de cérémonies protocolaires (cérémonies royales et parlementaires, cérémonies des ordres de chevalerie du Bain, de la Jarretière, du Chardon, de saint Michel et saint Georges, par exemple), les innombrables traditions universitaires, militaires, locales ou les pures mondanités sur lesquelles un formalisme issu du passé continue à régner, auquel se prêtent volontiers, admiratifs, même les représentants d’autres cultures : le sheik de Dubaï en haut de forme, avec son épouse qui est loin d’être voilée, aux courses d’Ascot, pourrait en être un bon symbole.

 

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Le Sheikh Mohammed al Maktoum de Dubaï, et sa « junior wife » aux courses d’Ascot 2012 (arabianbusiness.com)..  

 

 

 

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La reine et les membres de la famille royale à une cérémonie de l'ordre du Chardon en 2014.

 https://www.express.co.uk/news/royal/486488/Royals-install-Knights-of-the-Thistle

  L’Ordre du Chardon est propre à l’Ecosse. Il accueille des personnes qui rendent des services éminents à l'Ecosse, généralement des Ecossais d'origine mais aussi des Ecossais d'adoption. Ses membres sont limités à 12, sans compter les membres de droit de la famille royale.

 

 

 

 


Mais l’ensemble de la société britannique tire-t-elle un profit (en termes de meilleure civilisation) de ces façons de vivre qui concernent finalement une minorité de personnes, même si cette minorité se donne souvent en spectacle ? La perception qu’on a de la Grande-Bretagne aujourd’hui est plutôt celle d’une société de compétition sans solidarité, où les comportements se délitent (alccolisme galopant, délinquance et violence toujours préoccupantes malgré des actions de l’Etat qui au moins, paraissent plus fortes qu’en France ).

Le niveau de civilisation semble difficilement augmenter non pas augmenter mais décliner en Grande-Bretagne 


Si on pense que le niveau de civilisation d’un pays tient à des facteurs comme l’exemplarité des classes supérieures et l’existence d’un réseau serré de traditions, tout en reconnaissant que ce réseau existe bien plus en Grande-Bretagne qu’en France, on reste en doute sur son influence actuelle sur la société.

 

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Le Lord Chancellor Ken Clarke riant avec un officier de la Compagnie des Piquiers et mousquetaires,  lors de l'inauguration par la Reine de nouveaux bâtiments des Hautes Cours de justice, décembre 2011. Même un événement aussi courant que l'inauguration de batiments administratifs prend l'allure d'une reconstitution historique haute en couleurs...

 zimbio.com

 

 


Que dire des USA ? Laboulaye voyait dans la vénération des américains pour leurs coutumes les raisons de leur système politique équilibré. Peu importe ici le système politique, c’est la société dans son ensemble qui est interrogée, son niveau de civilisation.
Or, les USA paraissent n’avoir pas réalisé les promesses (un peu superficielles sans doute) que des penseurs européens ou américains faisaient sur son avenir à la fin du 19ème siècle, en termes de civilisation. Les USA devaient représenter le meilleur de la civilisation européenne, avec en plus l’énergie d’un peuple neuf.


Il est difficile de penser que c’est bien ce qu’ils sont devenus. A cet égard, la fin de l’aristocratie sudiste a é été sans doute un élément négatif dans la possibilité pour les USA de créer autre chose qu’une société de consommation vulgaire traversée de pulsions suicidaires, où le conformisme social des années 50-60 a été remplacé par une grande diversité des comportements, depuis les exagérations du politiquement correct né dans les milieux intellectuels des deux côtes, le rigorisme des évangélistes,  jusqu’à la brutalité et la violence des exclus du rêve américain (un concept étranger, soit dit en passant, à toute notion de tradition !).

La conscience morale semble y être dévolue pour partie à des prédicateurs sans culture qui n’ont que mépris pour l’Europe et ses traditions (non parce que l’Europe a renié ses traditions, ils ne le savent même pas, mais parce qu’elle est l’Europe). Un fondamentaliste américain appartient-il au même monde qu’un cardinal italien pétri de culture classique ?  .

En face des fondamentalistes et des partisans d'un conservatisme populaire (celui des " red necks ", la classe populaire des états du centre), on trouve les adeptes du politiquement correct "libéral" au sens américain, qui, parti d'Amérique, a fini par gagner le vieux continent. Aucun de ces deux camps ne se situe dans le cadre d'une tradition culturelle "à l'européenne".


Assurément, les néo-conservateurs américains, recrutés dans quelques universités, ont eu le sentiment qu’ils se battaient pour la civilisation classique (quelques uns en tous cas*, mais leur exemple est loin de caractériser la société américaine dans son ensemble.

                                                                                           *  Notamment ceux qui se sont déclarés des disciples de Leo Strauss, lui-même admirateur et imitateur des philosophes classiques.

 


Quant aux coutumes de l’Amérique anglo-saxonne, qui pour Laboulaye étaient le fondement de la société américaine et de son régime politique enviable, que sont-elles devenues avec les changements sociaux et ethniques qui ont caractérisé l’évolution de la société américaine ?


Ce n’est pourtant pas un match nul sur lequel nous conclurons : match nul entre les pays qui ont conservé des traditions et ceux qui comme la France, se vantent de n’avoir que des valeurs politiques et ont comme seule tradition la référence à des événements historiques comme justement la Révolution qui a renversé les traditions.


Vivre dans une société organisée sur des bases traditionnelles, malgré les défis de la vie contemporaine, ou plutôt en raison même de ces défis, nous semble offrir à l’individu des conditions d’existence plus apaisantes et plus épanouissantes, finalement que de vivre dans une société qui se réfère à des principes abstraits qui font l’objet d’interprétations concurrentes, d’hypocrisie ou de surenchère  dans la pratique tandis que sur ce terrain, prolifère le désordre et la désagrégation du lien social, en dépit des dirigeants qui prétendent le conforter par leurs politiques.









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Le comte Lanza vous salue bien
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