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Le comte Lanza vous salue bien
23 février 2013

MANTILLES, FALDETTAS et ZENDALES

 

 



MANTILLES, FALDETTAS ET ZENDALES

 







La présence dans les rues de femmes voilées plus ou moins complètement est un phénomène récent dans les pays occidentaux, lié à la présence d’une forte communauté immigrée islamique et à l’existence de converties souvent inflexibles sur les respects d’obligations liées à leur nouvelle religion.
Cette présence suscite des critiques, au nom d’une vision laïque de la société, des droits de la femme ou tout simplement des traditions culturelles des pays européens (en France, invoquer les traditions culturelles est plutôt jugé réactionnaire et on préfère invoquer la laïcité ou le respect des droits des femmes, tandis que, paradoxalement, les femmes voilées invoquent aussi le respect de leurs droits pour défendre leur façon de se vêtir).


Il arrive que pour défendre leurs usages religieux (peu importe ici que la prescription de porter le voile soit clairement ou pas dans le Coran) les musulmans, avec un peu d’ironie, rappellent l’usage des femmes catholiques (et même des non catholiques qui veulent bien se plier à cet usage) de porter une mantille quand elles sont reçues par le Pape.


 De toutes façons, le protocole pontifical n'impose plus le port de la mantille, même si l'usage demeure chez beaucoup de visiteuses qui s'y plient peut-être avec une pointe de coquetterie. La mantille est parfois blanche pour les visiteuses appartenant aux familes royales ou princières catholiques, noire pour les autres.

On a vu des protestantes comme Michelle Obama porter la mantille noire devant le pape, sans y être aucunement obligée, tandis qu'Angela Merkel, refusant sans doute un usage  ne correspondant pas à son style, fut reçue tête nue par le pape.

On peut aussi se souvenir que l'usage voulait il y a encore peu de temps que les hommes reçus en audience par le pape portent l'habit de cérémonie à queue de pie...


Il y a de l’illogisme (ou de la naïveté) à comparer l’usage quotidien du voile ou du foulard islamique  avec une coutume exceptionnelle et protocolaire, car ce n’est pas tous les jours qu’on peut être reçu en audience par le Pape.  


Ceux qui font cette comparaison évoquent aussi, avec plus de pertinence, le fait que dans certains pays, il est encore relativement fréquent de porter une mantille (ou de se couvrir les cheveux) pour aller à la messe ou lors de cérémonies religieuses. Mais là encore il ne s’agit pas d’un usage quotidien.


Enfin, il y a probablement (qui s’en étonnera ?) une incompréhension totale du fait qu’un usage, même religieux au départ, puisse, en Occident, se combiner avec la coquetterie. A ce titre, la mantille par exemple, tout en étant portée lors de cérémonies religieuses, est aussi une parure élégante, qui témoigne d’une volonté de raffinement et de séduction. Elle est aussi portée, pour des circonstances précises,  mais pas forcément dans un contexte religieux. Du fait qu’elle est sortie de l’usage quotidien, elle a acquis aussi, et ce n’est pas contradictoire avec l’intention d’élégance ou de coquetterie, un caractère identitaire propre à un pays.


Mantilles et faldettas sont des ornements féminins qui sont (ou ont été) localisés dans certaines zones de l’Europe méditerranéenne. On peut aussi évoquer le zendale vénitien qui présente des caractéristiques communes.


Commençons par examiner le port de la mantille.

 

 

 

 



Sombreros et mantilles

 



La mantille est un ornement qui est apparu en Espagne et qui semble ne s’être répandu hors d’Espagne que de façon limitée (probablement plus largement dans les pays colonisés par l’Espagne) ; elle est restée d’un usage assez rare dans les autres pays catholiques (elle survit peut-être dans le milieu des catholiques traditionalistes et comme il a été dit, exceptionnellement, lors des audiences pontificales).
En 1938, une chanson de Rina Ketty, chanteuse de variétés d’origine italienne*,  Sombreros et mantilles, avait un grand succès en France :


J'ai vu toute l'Andalousie
Berceau de poésie
Et d'amour.
J'ai vu à Séville, à Grenade,
Donner la sérénade
Sous les tours.
Refrain
Je revois les grands sombreros
Et les mantilles,
J'entends les airs de fandangos
Et séguedilles…

 

                                                                                       * Le plus grand succès de Rina Ketty est la chanson « J’attendrai » (J’attendrai le jour et la nuit, j’attendrai ton retour…) qui date de la déclaration de guerre de 1939 et qui pour des raisons compréhensibles, fut perçue comme l’expression du  sentiment de beaucoup de couples séparés par la mobilisation.


Elle montre une Espagne de carte postale (alors que la guerre civile espagnole faisait rage !) où la mantille sert à illustrer une atmosphère amoureuse.
Le port de la mantille est ici lié à l’Andalousie (décor choisi par la chanson du fait de ses évocations romanesques et amoureuses) : il est probable que le port de la mantille caractérisait à l’époque (et encore aujourd’hui sans doute, dans une moindre mesure) plus volontiers l’Andalousie, une région de traditions.

                                                                           

 

Selon Wikipedia, la mantille est une longue et large écharpe de soie ou de dentelle dont les femmes espagnoles se couvrent la tête et les épaules en la croisant sous le menton (ce point parait discutable - c'était peut-être le cas au début de l'usage de la mantille). Son nom est un diminutif de l'espagnol manta, couverture.
Le Wikipedia en anglais ajoute la précision importante que la mantille est souvent portée over a high comb, par-dessus un grand peigne. Le voile est donc soit posé carrément sur la tête, soit en position surélevée, ce qui semble être la règle dans la façon de porter actuellement la mantille, du moins en Espagne.


Portée sans peigne, la mantille est moins spectaculaire et pourrait-on dire, moins identitaire. Par ailleurs, les pans de la mantille ne sont pas toujours croisés, c’est même rarement le cas aujourd’hui, et certainement pas sous le menton comme le dit Wikipedia (pour un exemple de mantille dont les pans se croisent sur la poitrine, voir le tableau de Goya reproduit ci-desous).

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Wikipedia ajoute que l'usage de la mantille s'est développé au XVIe et XVIIe siècles en Espagne, date à laquelle elle fait son apparition sur les tableaux de Velazquez. Toutefois, ce n'est qu'au 18 ème siècle que son usage se répand dans les hautes sphères de la société. La reine Isabelle II (au 19ème siècle) en promeut l'usage.


Un bon témoignage de l’usage de la mantille est donné à la fin du 18ème siècle ou au tout début du 19ème siècle par le portrait par Goya de Doña Isabel Cobos de Porcel, magnifique portait d’une belle femme en mantille où on peut voir que la mantille est un ornement qui ne dissimule pas les cheveux et encore moins le visage.



 

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Doña Isabel Cobos de Porcel  par Francisco Goya, 1746-1828 (source Wikipedia)

 



Néanmoins, telle quelle, la mantille couvre la tête et est donc suffisante pour respecter la prescription selon laquelle les femmes doivent être couvertes à l’église.


Cette prescription trouve son origine dans la première épître aux Corinthiens, chapitre 11 (citée d’après Wikipedia) :


5. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef * : c'est comme si elle était rasée.
6. Car si une femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile.
7. L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme.
8. En effet, l'homme n'a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l'homme ;
9. et l'homme n'a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l'homme.
10. C'est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l'autorité dont elle dépend.
11. Toutefois, dans le Seigneur, la femme n'est point sans l'homme, ni l'homme sans la femme.
12. Car, de même que la femme a été tirée de l'homme, de même l'homme existe par la femme, et tout vient de Dieu.
13. Jugez-en vous-mêmes : est-il convenable qu'une femme prie Dieu sans être voilée ?

 

                                                                                                               * Saint Paul vient de dire que le Christ était le chef de l’homme et l’homme le chef de la femme. Il peut y avoir dans ce texte un jeu de mot sur « chef », qui signifie à la fois tête et supérieur hiérarchique


On peut penser que Saint Paul a été mieux inspiré ailleurs.
Le code de droit canonique de 1917 rend obligatoire le couvre-chef pour les femmes dans une église (mais on suppose que cette pratique devait être bien antérieure au code de 1917 pour respecter les prescriptions de Saint Paul).


L’usage de se couvrir est en désuétude sauf chez certains traditionalistes et l’obligation est omise dans le nouveau code de droit canonique de 1983, sans être abrogée  (en tous cas, elle aurait été à l’encontre des pratiques actuelles bien moins respectueuses des prescriptions de Saint Paul !). Toutefois, l’usage se maintient, sous la forme de la mantille, en Espagne et dans certaines occasions (d’après Wikipedia).


En fait, la mantille étant devenue une coiffure cérémonielle et identitaire en Espagne, il est normal de la porter dans les occasions protocolaires et notamment religieuses, surtout lors de festivités. Ainsi lors des processions de la Semaine sainte, les femmes revêtent la mantille, ce qui donne lieu dans plusieurs localités à des « procesiones de las mantillas ».


Lors des corrridas, des femmes ou jeunes filles  portent aussi la mantille, dans une démonstration  évidente de respect des traditions.

 

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Jeune fille en mantille

chic-chikilla.blogspot.com

 

 



Le caractère identitaire de la mantille, qui résiste toujours aujourd’hui, était déjà bien marqué il y a un siècle.
C’est ainsi que pour plaire à ses sujets espagnols, la reine Victoria femme du roi Alphonse XIII*,  au début du XXème siècle, se fait photographier en mantille, non pas noire mais claire. Lors des audiences par le pape, le port de la mantille blanche semble réservé aux femmes appartenant aux familles royales ou princières catholiques, mais ce pourrait être un usage relativement récent.

                                                                                                                 * Eugenia-Victoria, née en 1887, était d’origine britannique et petite fille de la reine Victoria. Elle épousa Alphonse XIII en 1906. Son mariage fut peu heureux. Elle quitta l’Espagne après la proclamation de la République en 1931, et mourut à Lausanne en 1969. Elle est la grand-mère du roi Juan Carlos. Ajoutons aussi qu’elle fut la marraine du prince de Monaco Albert II, né en 1958

 

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La  jeune reine Victoria d’Espagne en mantille (Photo sur le site Noblesse et royauté, l’art de porter la mantille, 2010).

 




Le fait de porter occasionnellement la mantille lors d’occasions religieuses, même il y a un siècle, ne faisait pas de la mantille, loin de là, un ornement « religieux ». Portée par des femmes âgées mais aussi par des jeunes filles, elle restait un élément d’élégance et même de coquetterie.

On peut aussi remarquer que la mantille est en dentelle, ce qui est déjà un tissu qui masque et dévoile en même temps. Ainsi même porté dans un contexte religieux, avec l'intention de masquer en partie les cheveux, élément de séduction féminine, la matière utilisée les dévoile autant qu'elle les masque, ce qui est un procédé bien connu de séduction.

On peut juger de la coquetterie de la mantille par une toile du peintre Ignacio Zuloaga (1870-1945), qui se plaçait dans la tradition de la peinture espagnole, où une jeune femme dans le plus simple appareil n’a conservé que sa mantille.



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Nu en mantille avec un œillet, Ignacio Zuloaga, (photo site A CONCHIGLIA DI VENERE, The Nude in Art History)
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On peut comparer, pour s’amuser, l’inspiration de ce tableau  avec un autre portait célèbre de Zuloaga, le Cardinal, ou un impérieux cardinal pose avec son jeune secrétaire, devant une vue tourmentée de paysage espagnol (peut-être Tolède ?), des personnages et une mise en scène qui évoquent les tableaux du Greco. Il s’agit après tout dans l’un et l’autre cas, de manifestations de l’esprit espagnol, séduction sévillane ou austérité plus castillane.

 



Le port de la mantille en Espagne (du moins dans certaines régions, car il n’est pas certain qu’on porte la mantille en Catalogne par exemple ?) qui ne fait évidemment plus partie de l’habillement quotidien, est aujourd’hui largement identitaire (c’est-à-dire consciemment identitaire) mais ce dernier caractère ne lui fait pas perdre son caractère d’ornement de séduction.

 

Les mantilles sont volontiers portées lors de mariages élégants, par certaines invitées sinon par la mariée.

Il semble que le protocole actuel - et la mode - réservent la mantille aux mères des mariés, les autres invitées portant des chapeaux élégants mais non la mantille.

Les membres féminins de la famille royale espagnole portaient fréquemment la mantille dans certaines occasions solennelles.  Mais récemment, la reine Letizia s'est démarquée de cette tradition en apparaissant en vêtements de couleur claire et sans mantille dans des cérémonies où il était d'usage que la reine paraisse en noir et en mantille. elle a aussi été reçue sans mantille par le pape François.

 

 

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Mariage élégant à Séville en 2015.

La mère du marié porte une mantille noire, mais non la mariée.  Le marié porte l'uniforme d'un ordre chevaleresque.

(mariage de Fernando Solís Tello et de Eva Morejón)

  https://thefashionbrides.com/tag/fernando-solis-tello/

 

 

 

 

 
Identitaire, la mantille l’est comme le sont les corridas, les tenues des toreros, les processions de la Semaine Sainte où des dizaines de porteurs qui se relaient promènent des ensembles processionnels énormes (les « pasos ») représentant souvent des scènes de la passion qui avancent très lentement (vu le poids) au son lancinant des tambours ou des fanfares stridentes, comme les tenues des pénitents avec leurs cagoules exagérément pointues.


Il n’est donc pas surprenant de voir souvent associées ces diverses marques identitaires. Dans une suite de photographies sur la Semaine Sainte, le site du Nouvel Observateur mêle de photos de pénitents et de jeunes femmes en mantilles,  voire des petites filles déjà en mantilles.
Il est assez curieux de voir ce site dire, sérieusement, que les confréries de pénitents n’ont rien à voir avec le Klu-Kux-Klan « en dépit de leur ressemblance avec les membres du groupuscule raciste »…

 Enfin, au moins aux îles Canaries, les femmes portent lors des cérémonies religieuses un simple voile blanc, ou parfois bleu, appelé aussi mantille mais qui diffère totalement des mantilles de type andalou.

 

mantillas

ecodiario.eleconomista.es

Ce tableau est pris sur un blog du journal El Economista. Il représente des femmes en mantille sortant d'une cathédrale, mais la date indiquée 1913, me laisse dubitatif car les jupes assez courtes indiquent probablement une date plus récente (au moins les années 1920-1930, à moins que les espagnoles aient été très en avance sur les modes !).

 

 


 
 La faldetta ou ghonella maltaise

 


 
Très certainement rédigé par des maltais, dont on connaît le souci de conserver leurs traditions (ou les traces de leurs traditions) et d’en rechercher de façon érudite les sources, l’article Wikipedia en anglais nous apprend que la ghonella, également connue sous le nom de faldetta, était une coiffure féminine formant châle ou un manteau avec coiffe, particulière aux îles de Malte et Gozo ("the għonnella, pronounced "awe-nel-la" (pl. għonnielen, pronounced "awe-nee-lan"), sometimes referred to as a Faldetta, was a form of women's head dress and shawl, or hooded cloak, unique to the Mediterranean islands of Malta and Gozo").


L’article évoque ensuite une possible influence de la Sicile dans l’adoption de la ghonella par les maltaises, un vêtement de ce type ayant aussi été porté en Sicile.

Un auteur écrit, en 1772, à propos du vêtement des femmes maltaises (nous citons le texte anglais de la notice Wikipedia) :

"The women of Malta wear a long black mantel that flows down from the head to the heels. Unlike in Sicily, the net (strascino) is not worn. Our women of the lower classes wear a mantel made of black wool. Noble women, the wives of the Professors of Law and Medicine and rich citizens wear mantels made of silk...."

(les femmes maltaises portent un long manteau noir qui les couvre de la tête aux pieds ; à la différence de ce qui se fait en Sicile, le filet ( ou strascino ?*) n’est pas porté. Nos femmes du peuple portent le manteau en laine noire, les femmes nobles, les épouses des professeurs de droit ou de médecine et de riches citoyens, portent le manteau en soie.

                                                                                                                          * En napolitain, strascinare, c’est prendre quelqu’un aux cheveux et le tirer violemment, dans les disputes entre jeunes filles ou au moins l’en menacer (en corse, il existe le verbe strascina, tirer violemment).  Strascino en italien classique est un filet, notamment pour prendre des oiseaux. On peut donc penser à un filet  ou une résille pour les cheveux.


L’article évoque même une date précise (selon une légende locale) pour l’introduction de la faldetta à Malte : en  1224, lorsque des femmes siciliennes y furent envoyées en exil après l’exécution de leur mari sur ordre de l’empereur germanique et roi de Sicile, Frédéric II. La faldetta aurait alors été portée par ces femmes siciliennes comme vêtement de deuil.


Une autre légende que l’auteur de la notice appelle drôlement "fairy tale" (conte de fées, quoique ce ne soit pas vraiment le terme adéquat) est que la faldetta aurait été adoptée en 1798 par les femmes maltaises voulant se prémunir des avances ("the unwanted advances") des soldats de Bonaparte, qui occupèrent Malte entre 1798 et 1800.


En effet, la faldetta était portée auparavant, comme le montre le texte de 1772 cité plus haut (et parlant d’un usage manifestement déjà ancien).
L’auteur de la notice signale encore d’autres origines pour la faldetta : celle-ci proviendrait de l’obligation pour les femmes de se couvrir pour assister à la messe, que les femmes pauvres auraient respecté en se coiffant d’une vieille jupe qui ensuite aurait donné naissance à la faldetta, ou bien d’une modification du voile oriental : l’obligation de se couvrir existe aussi dans la religion chrétienne, mais elle est insuffisante pour expliquer le port permanent d’un vêtement couvrant. L’explication faisant de la faldetta une évolution du voile oriental n’est d’ailleurs pas exclusive de l’imitation d’une mode venue de Sicile. Mais plusieurs facteurs ont pu se conjuguer pour donner naissance à la faldetta qui a certainement évolué dans le temps.


On se rappellera ici que Malte fut occupée trois siècles par les Arabes jusqu’en 1127, avant de passer sous la souveraineté des rois normands de Sicile, puis des rois de Naples et de Sicile, à travers leurs différentes dynasties (Hoenstaufen, Angevins de Naples ou Aragonais) qui transmirent leurs droits aux rois d’Espagne.


C’est pourquoi on évoque aussi une variation de la mantille espagnole (mais celle-ci n’existait probablement pas, en tous cas pas sous la forme actuelle, quand, en 1530, Charles-Quint attribua Malte et Gozo en fief aux chevaliers hospitaliers de Saint-Jean qui venaient d’être chassés de Rhodes par les Turcs). Bien sûr,  beaucoup de chevaliers étaient espagnols, et auraient pu introduire par la suite des modes de leur pays, mais s’agissant de modes féminines et les chevaliers n’étant pas mariés, car faisant un vœu religieux de chasteté, on voit mal comment expliquer l’importation d’une mode féminine espagnole à Malte.


Il est en tous cas difficile de ne pas remarquer que le port permanent d’un vêtement couvrant la tête (mais sans dissimuler le visage ni même réellement les cheveux) au-delà de la seule obligation liturgique de se couvrir pour la messe, s’est développé dans des pays qui ont connu une assez longue présence musulmane (Espagne, Malte) ; c’est aussi le cas de la Sicile d’où la faldetta serait originaire.


Il est probable que le nom de faldetta est commun en Méditerranée occidentale à un type de vêtement couvrant la tête et le corps (on retrouve le mot en Corse) et a été donné  par des visiteurs étrangers au type de vêtement utilisé à Malte, connu localement comme ghonella.
 Mais les femmes maltaises, comme les espagnoles, ont très vite transformé le vêtement dissimulant en partie la tête, en instrument de séduction.


C’est ainsi qu’un voyageur du 18ème siècle, Louis de Boisgelin, historien des chevaliers de Malte, écrit  dans un livre publié vers 1800 (citation d’après l’article de Wikipedia en anglais):

  "The Maltese women are little, and have beautiful hands and feet. They have fine black eyes, though they sometimes appear to squint, owing to their always looking out of the same eye; half of the face being covered with a sort of veil made of silk called Faldetta, which they twist about very gracefully, and arrange with much elegance. The women even of the highest rank, unlike their husbands, constantly preserve their costume; and any one who should adopt the French fashion would make herself very ridiculous."


(les femmes maltaises sont petites et ont des belles mains et de beaux pieds. Elles ont de jolis yeux bruns, bien qu’elles paraissent parfois loucher, du fait qu’elles regardent toujours avec le même œil ; la moitié de leur visage est couvert par une sorte de voile de soie, la faldetta, qu’elles drapent autour de leur tête très gracieusement et arrangent avec beaucoup d’élégance. Les femmes même du plus haut rang, à la différence de leurs maris, conservent leur costume traditionnel et  toutes celles qui adopteraient la mode française se rendraient très ridicules).


Plusieurs décennies après, un illustrateur et voyageur de l’époque victorienne, William Henry Bartlett, décrit ainsi la faldetta en 1851 :


"Next, tripping lightly down the steps behind, is a Maltese lady, enveloped in her elegant black silk mantilla, a costume of which it may be said that it renders even the ugly attractive, while the pretty become positively irresistible: so grave, and yet so piquante, so nun-like, and yet so coquettish, are its rustling folds, tastefully drawn round the head, so as to throw additional expression into a deep dark eye, and to relieve a white-gloved hand, and taper Andalusian foot.


(Puis, descendant d’un pas léger l’escalier, il y a une dame maltaise, enveloppée dans son élégante mantille de soie noire, un costume dont on a toujours dit qu’il rendait même  les laides attractives, tandis que les jolies deviennent positivement irrésistibles : si grave et pourtant si piquante, si pareille à une nonne et pourtant si coquette avec ses nœuds bruissants arrangés avec goût autour de la tête, de façon à donner plus d’expression à un œil  noir profond, et à mettre en relief  une main gantée de blanc et un pied chaussé d’un escarpin effilé à la manière andalouse [ taper désigne vraisemblablement une chaussure de forme effilée ?] )


A vrai dire, on a du mal, devant l’enthousiasme de Bartlett, à bien individualiser l’ornement dont il parle.
Car les images représentant la faldetta maltaise (voir ci-dessous) ne semblent pas comporter de nœuds (ou des plis ?) bruissants (rustlings folds) arrangés avec goût autour de la tête (ou  encadrant la tête, tastefully drawn round the head).


On peut se demander si ce témoin ne décrit pas, tout simplement, une mantille drapée autour du visage, le mot qu’il utilise étant d’ailleurs mantilla. Mais une mantille a-t-elle des nœuds (folds) bruissants ? Boisgelin parlait lui aussi d’un voile que les femmes "twist about very gracefully, and arrange with much elegance" : cet aspect enroulé autour de la tête ne semble pas correspondre à la faldetta telle que dessinée par exemple durant la 1ère moitié du 20ème siècle par l’artiste maltais E. Caruana Dingli. 


Par contre, on ne retrouve plus chez Bartlett la notation curieuse de Boisgelin, selon laquelle la faldetta cache la moitié du visage (de haut en bas sans doute) de sorte que la Maltaise regarde toujours avec le même œil.


Cette dernière description semble convenir parfaitement au zendale vénitien, dont on reparlera.
L’article Wikipedia indique que la faldetta a maintenant complètement disparu : elle ne s’est donc pas maintenue à titre de vêtement de cérémonie comme la mantille (elle y était moins propre sans doute) et on ne doit plus la porter que pour des reconstitutions folkloriques, ce qui est tout différent d’une utilisation identitaire mais relativement courante lors d’occasion particulières.


Le site All Malta. Com reprend l’essentiel de la notice de Wikipedia mais, aussi lyrique que Bartlett ou Boisgelin, y ajoute :

"It did not cover the face, but with a little move hid it from curious eyes. The għonnella endowed Maltese women with a proud and pretty appearance …The cover of għonnella was like a charm which bewitched and enticed men to yearn for a more revealing look … "

(Elle (la ghonnella) ne couvrait pas le visage, mais avec un petit mouvement pouvait le cacher aux yeux curieux. La ghonnella donnait aux femmes maltaises une apparence fière et jolie…Le voile de la ghonnella était un charme qui ensorcelait les hommes et leur faisait désirer en découvrir plus).
Même si les mantilles et les faldettas tirent, peut être, leur origine des traditions orientales (en fait musulmanes) on peut voir comment ces traditions se sont métamorphosées et ont fait de ces ornements un instrument de séduction.

 

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Jeune Maltaise en tenue folklorique portant la ghonnella ou faldetta.

catnaps.org

 

 

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Maltese lady wearing national headdress, faldetta (Edward Caruana Dingli  1876-1950), 1927, site Antiqua print gallery.

Edward Caruana Dingli n’est pas un grand artiste mais on peut parfaitement apprécier ses vues de Malte, ses portraits  et ses scènes de la vie maltaise. Il travailla dans les années 1920 à une très belle série de timbres maltais (à l’époque de l’administration britannique) comportant notamment une magnifique allégorie de Malte,  personnage féminin impérieux s’appuyant sur un gouvernail.
Dans son image de jeune dame maltaise portant la faldetta, on peut voir que l’artiste s’est efforcé de donner bien du charme à son modèle, malgré une tenue un peu sévère.
Néanmoins il est difficile de retrouver véritablement dans sa faldetta, ni la description de Boisgelin (selon qui la faldetta cachait la moitié du visage, ne laissant voir qu’un oeil – mais avec la main, la jeune femme peut se couvrir un peu plus le visage derrière sa faldetta) ni  les nœuds bruissants (ou crissants) de Bartlett, "tastefully drawn round the head …"

 

 




 La faldetta en Corse

 



La Corse a toujours fait figure de Cendrillon.
Il est probable qu’on ne trouvera pas dans les descriptions des costumes féminins anciens portés en Corse, l’équivalent des notations enthousiastes de Boisgelin et de Barlett sur ces tenues qui rendent les jolies personnes positively irresistible.

Pourtant la Corse a aussi connu une tenue appelée faldetta.
Elle est ainsi décrite sur le site Corsicanostra :

« Un des éléments caractéristiques du vestiaire féminin au XVIIIeme siècle était la faldetta (prononcée falletta dans le nord- est), dont l'abbé de Germanes donne la description en 1771 : «Les femmes portent par-dessus leurs corsets la faldetta, qui est une jupe plissée et fort longue par derrière, qu'elles relèvent dessus leur tête en forme de voile. La couleur est d'un bleu turc, couleur favorite des Corses ».

La faldetta fut, dès son adoption, la marque distinctive des « femmes de condition », et au fur et à mesure que s'imposèrent d'autres modes, elle fut dévolue aux femmes des classes populaires jusqu'à ne plus subsister à la fin du XIXeme siècle  que comme vêtement de deuil.
 
Il est probable que des tenues du même type, très simples, consistant en une jupe longue qu’on relève sur la tête en forme de voile, étaient présentes en Sicile ou en Sardaigne et pourraient être à l’origine de la faldetta maltaise ainsi qu’on l’a vu.

Il est amusant de constater qu’ici encore, une discrète tonalité musulmane est évoquée par la mention de ce « bleu turc, couleur favorite des Corses ».

Dans la langue corse, le mot le plus courant  pour désigner la couleur bleue est "turchinu".* Les joueurs et les supporters du club de football de Bastia, dont l'emblème (qui comporte la tête de Maure)  et les maillots sont bleu et blanc, s'appelent "i turchini".

                                                                                                                           * En français, le mot "turquin", tiré de l'italien "turchino" n'est pas inconnu et désigne un bleu tirant sur le violet ; en italien, "turchino" désigne un bleu profond (à l'origine du mot: peut-êttre un marbre veiné de bleu qu'on trouvait en territoire turc, ou les pierres turquoises, pierres bleues trouvées en Turquie. Mais le terme désigne plutôt un bleu profond que le bleu-vert des turquoises?). 

L’expression de l’abbé de Germanes devait être plus courante à son époque qu’aujourd’hui et tout le monde comprenait ce qu’était le bleu turc. Certaines sources indiquent que le bleu était en Corse la couleur du deuil, mais l’observation ne vaudrait que pour l’usage tardif de la faldetta comme tenue de deuil et non son usage courant au 18ème siècle.

 

La faldetta corse étant assez différente de la faldetta maltaise, nous admettons que les auteurs de l’article Wikipedia consacré à celle-ci ont raison de dire qu’elle est spéciale ou particulière à Malte et Gozo (« unique to the Mediterranean islands of Malta and Gozo »).

Il est probable que la faldetta d'origine telle que portée en Corse (voile formé par la queue d'une robe remontée sur la tête) laissa place à un simple foulard, le plus souvent noir. 

Le port de la faldetta (jupe relevée formant foulard) de couleur bleue persiste en Corse, mais semble se limiter au village de Brandu/Brando, dans le Cap Corse (8 kms au nord de Bastia), lors de la procession pascale de la Cerca..

 

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Jeune femme corse tricotant, carte postale de Moretti, début du 20ème siècle, en vente sur e-bay.

http://www.ebay.fr/itm/cpa-corse-j-moretti-jeune-femme-corse

 

 

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 Jeune femme corse, carte postale de Moretti, début du 20ème siècle, en vente sur e-bay.

http://cgi.ebay.fr/CORSE-Type-de-Jeune-femme-Corse-Moretti

 

 

Le port d'un voile ou foulard, le plus souvent noir, restera longtemps dans l'imagerie de la femme corse, comme le montrent ces cartes postales du photographe Moretti au début du siècle dernier (il semble s'agir du même modèle, d'ailleurs charmant, qui dans la première photo porte son foulard dénoué et dans la seconde, le porte noué. D'autres photographies de Moretti présentent des jeunes filles corses d'allure bien plus rustique).

Dans une nouvelle appelée "Mari-Anto", supposée se dérouler à l'époque du Second Empire, Alphonse Daudet décrit une jeune femme corse, bien éloignée des stéréotypes de la femme corse grave et dénuée de coquetterie. Celle-ci imagine un tour joué à son mari, pourtant extrêmement jaloux et apte à jouer du couteau. Ce tour met en scène un pinzutu (un continental), qui raconte l'histoire (peu vraisemblable d'ailleurs).

Le pinzutu (Daudet écrit pinsuto !) est un jeune conseiller de préfecture récemment nommé à Ajaccio qui flirte un peu avec sa voisine de palier Maria-Antonia, surnommée par abréviation Mari-Anto. Celle-ci s'introduit un soir chez lui et se déguise avec son uniforme de cérémonie de conseiller de préfecture qui au 19ème siècle comprenait un habit, des culottes courtes et des bas.

Ainsi vêtue, Mari-Anto se montre à son voisin, et explique le bon tour qu'elle va jouer à son mari. Quand il rentrera tard le soir (car il est parti à Calvi pour son métier), dans la maison plongée dans l'obscurité, il trouvera chez lui le pinzutu en habit de cérémonie, en train, du moins c'est ce qu'il croira, de bécoter sa femme (en fait une sorte de poupée faite avec un traversin). Au moment où il va se livrer à sa jalousie, Mari-Anto se fera reconnaître.

Rentré chez lui, dans l'appartement voisin, le pinzutu écoute derrière la cloison le déroulement de la plaisanterie imaginée par Mari-Anto.

Le mari arrive et entend des baisers, des soupirs; il voit un homme qui semble embrasser sa femme et il se précipite sur le coffre où il range son couteau, lorsque Mari-Anto éclate de rire. Le mari comprenant que c'était une plaisanterie, embrasse sa femme, et de proche en proche, on comprend qu'il commence à lui faire l'amour, elle toujours habillée en conseiller de préfecture ("jamais habit de conseiller ne s'était trouvé à pareille fête") tandis que le voisin en est quitte pour écouter les ébats conjugaux ("vous pensez quelle triste figure je devais faire derrière ma cloison !").

On devine que c'est le travestissemenr de Mari-Anto dans une tenue apparemment masculine, mais une tenue de style 18ème siècle bien faite pour mettre en valeur les formes féminines (la culotte courte, les bas; Daudet dit d'ailleurs que la tenue "craquait de partout") qui constitue l'attrait érotique de l'histoire.

Voici comment Alphonse Daudet présente la sémillante Mari-Anto :

"Jolie? pas précisément; mais jeune, svelte, marchant bien, des yeux verts qui regardaient d'un air malin, la bouche comme une grenade, et par-ci par-là, malgré le madras qui lui masquait à la mauresque le haut et le bas de la figure, quelques taches de rousseur comme le soleil en met aux peaux trop blanches. Sa cruche en grès sur la tête ou bien une grande corbeille à pains, elle courait, elle riait, le buste en avant, la jupe plaquée aux hanches, et de toutes les portes on l'appelait; "O Mari-Anto ! o Mari-Anto !"...

Daudet décrit donc une jeune Corse très avenante qui porte une sorte de foulard lui cachant le haut et le bas du visage, ce qui est un peu étonnant.

Etait-ce un usage propre à Ajaccio et que Daudet avait noté lors d'un voyage en Corse? Peut-on ici parler de faldetta ?

 

 Le mezzaro ligure

 

 

On trouve de nombreuses variantes du voile féminin dans les sociétés de la Méditeranée occidentale.

On peut au moins citer ici le mezzaro génois (porté dans l'ensemble de la Ligurie).

Il s'agit d'une grande pièce de tissu (en coton généralement) très colorée, représentant le plus souvent un arbre de vie, que les femmes portaient sur la tête et qui pouvait descendre sur le corps à la façon d'une cape.

Le mezzaro (il existe plusiurs orthographes) fait partie de la tradition génoise et est encore fabriqué aujourd'hui, avec des motifs anciens ou modernisés.

 

cittadina-di-genova

Une bourgeoise (cittadina) de Gênes qui va à la promenade.

Gravure du 18 ème siècle. La jeune femme porte le mezzaro, mais celui-ci pouvait être plus long..

La sorprendente storia del mezzaro: dall’India alla Liguria, la mantilla genovese

https://unapennaspuntata.com/2018/08/21/mezzaro-genova/

 

 

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Pêcheurs et femmes de Savone (Ligurie) en tenue folklorique, vers 1930. Carte postale. Les jeunes femmes portent diverses sortes de voile. Celle qui est la première à gauche porte clairement un mezzaro, et sans doute aussi les 2ème et 3ème femmes à gauche.

https://www.jeanlucferrand.com/les-indiennes-mezzari-italiens-et-toiles-de-jouy-francaises/

 

 

 



Le zendale vénitien

 



Une autre coiffure était portée à Venise au 18ème siècle.
Il s’agissait du zendale.


Celui-ci faisait partie, notamment de la tenue portée durant la période carnaval, mais aussi le reste du temps.


Un article de Wikipedia en italien nous apprend :


Lo zendàle (anche cendale, zendado e sendale) era un grande scialle ampio e nero con lunghe frange, usato soprattutto dalle popolane veneziane. Copriva il capo e le spalle. Veniva appuntato sulla testa con un fermaglio, mentre le frange venivano annodate, come una sciarpa, attorno al corpo, lasciando pendere le cocche (i nodi alle estremità) sul retro.
Ne esistevano in tessuto di seta (taffetà), e in seguito in pizzo e a forma completamente chiusa.

(le Zendale était un grand châle ample et noir avec de longues franges, utilisé surtout dans les clases populaires vénitiennes. Il couvrait la tête et les épaules. Il était  fixé sur la tête avec un fermoir, tandis que les franges étaient nouées comme une écharpe, autour du corps, laissant pendre les cocche  (les nœuds à l’extrémité)  dans le dos.
Il en existait en tissu de soie (taffetas) et ensuite en dentelle et de forme complètement fermée)

Le zendale est bien connu pour faire partie du costume utilisé à Venise en période de carnaval. Les descriptions faites du masque le plus courant, la bauta, semblent bien impliquer le port du zendale.
 
Wikipedia précise à l’article bauta :


« La bauta (ou bautta) est un costume typiquement vénitien, encore utilisé de nos jours lors du carnaval de Venise à titre de déguisement.


La bauta est constituée de trois pièces : une cape noire (le tabarro), un tricorne noir et un masque blanc en carton bouilli (la larva) d'un aspect particulier. Ce masque est en effet de forme quadrangulaire et la partie qui recouvre le bas du visage pointe nettement vers l'avant, ce qui offre assez d'espace pour permettre de boire et de manger sans avoir à le retirer. Le mot bauta signifie « domino » et désigne l'ensemble de cette tenue.
La bauta apparut à Venise à partir du XVIIIe siècle. Elle était portée indifféremment par les hommes et par les femmes. Très répandue pendant le carnaval, elle était aussi utilisée en dehors de cette période, lors de rencontres discrètes ».



Mais les peintures du 18ème siècle, montrent que le tricorne se portait souvent avec un véritable voile sur la tête et couvrant les épaules, probablement le zendale.
Ce zendale, généralement en dentelle, parait être fermé, selon ce qu’on voit sur plusieurs reproductions, ce qui ne le rend pas vraiment attrayant mais le but était alors de dissimuler le visage complètement dans afin de ne pouvoir être reconnu.

Il ne faut évidemment pas confondre ce mantelet couvrant les épaules avec le tabarro, véritable vêtement d’extérieur, plus ou moins long à l’époque.

Le site e-venise.com apporte de précieuses indications sur le tabarro et dit même où on peut s’en procurer (moyennant quand même 600 à 800€).
Voici un extrait des renseignements qu’il donne :



 

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Un tabarro actuel :

Photo sur le site e-venise.com

 

Le site e-venise.com indique : « Le Tabarro – La Cape vénitienne

Le Tabarro est une longue cape noire dans laquelle on peut se draper pour se protéger au mieux du vent, du froid et de la pluie.
(…)
 Tout en étant simple et pratique, le tabarro était cependant un signe extérieur d’appartenance sociale : la différence ne se trouvait pas seulement dans la qualité et la beauté du tissu dans lequel il était taillé, mais aussi dans la finition et les accessoires.
(…)
A Venise, le tabarro d’origine s’est aussi transformé en “domino”, un tabarro avec un grand capuchon sous lequel les dames pouvaient mieux se dissimuler pendant leurs déplacements à travers ponts et calli.

Ainsi en usaient les Vénitiennes qui se rendaient à leurs rendez-vous galants, et les patriciens dont les fréquentations pouvaient déplaire au Conseil des Dix.

C’est ainsi que ces silhouettes élégantes et discrètes parcouraient les calli de Venise, bien protégées par leurs tabarro qui leur garantissait l’anonymat le plus complet en période de carnaval lorsqu’il était porté avec le tricorne et la bauta (le masque blanc). Les Tabarri couvraient ainsi les corps et… les secrets ».

Le site donne le témoignage d’un voyageur français de 1779 :
« Ce Carnaval, dont on parle tant, et qui ne finit pas, puisque dès les premiers jours d’Octobre on va au spectacle en masque […]  II consiste â porter un manteau noir, ou Tabaro, une bahute, ou domino de même couleur, qui n'enveloppe que la tête et les épaules, un chapeau uni ou à plumet, et un masque blanc sur le visage, ou dans la corne de son chapeau. »
(Abbé Delaporte - Le Voyageur Français – 1779).

Le masque est dans la corne du chapeau quand il est relevé, évidemment.

Il nous semble que « la bahute » décrite par l’abbé,  ce « domino de même couleur, qui n'enveloppe que la tête et les épaules » pourrait bien se confondre avec le zendale ou être une forme de zendale (la bahute ou bauta étant, en tous cas dans la plupart des définitions, l’ensemble du costume lui-même pas seulement e masque blanc comme l’indique le site (masque qui lui, est appelé larva probablement en référence aux fantômes des Romains de l’antiquité, les larvae).
On voit à quel point l’identification précise de ces costumes est rendue difficile par les termes qui sont appliqués ici à un objet, là à un autre…
 
Le site e-venise.com indique que le tabarro avait fini par être totalement délaissé après la seconde guerre mondiale mais fut relancé vers 1980 par un entrepreneur passionné par l’histoire du costume de son pays, Monsieur Zara. Mais celui-ci n’avait plus de modèle de tabarro (tabarri au pluriel) pour lancer sa fabrication. Afin de récupérer les différents types de tabarri qui pouvaient encore traîner dans les greniers, Monsieur Zara lança un appel aux vénitiens :
« Apportez-moi un vieux tabarro, et je vous l’échange contre une veste neuve ! »
 
  Monsieur Zara se retrouva avec toutes sortes de modèles taillés dans différents tissus imperméables que l’on ne fabriquait plus et put ainsi relancer la production.


Si le tabarro peut être aujourd’hui porté par des hommes ou des femmes (et même des enfants) en toute circonstance, depuis que la mode en a été relancée*, il semble que dans la Venise d’autrefois il était porté par des femmes seulement en tant que « déguisement », comme élément de la « bauta », du fait qu’il permettait, plus ou moins, de se confondre avec les hommes eux-mêmes en « bauta » (c’est-à-dire portant le vêtement carnavalesque le plus courant – masque blanc, tricorne, tabarro et zendale, le tabarro et le tricorne étant bien entendu pour les hommes des habits quotidiens à l’époque et pas particulièrement carnavalesques.

                                                                                   * Le caractère identitaire de ce vêtement, typique de l’image de Venise avant la chute de la République, est assez marqué. Par exemple, les publicités qu’on trouve dans les vaporetti pour les magasins qui proposent des tabarri, sont en dialecte vénitien (ou en langue vénitienne si on préfère).

 


Nous avons donc évoqué le tabarro en raison de son association avec le zendale dans les costumes portés à l’ époque du carnaval.
 
 Sur le site américain Visions of Venice, sont en vente différents vêtements dont le zendale, avec l’indication suivante :

« The zendale is the traditional Venetian hood worn underneath the tricorno hat and over the Venetian cloak (tabarro). This zendale is handmade in Venice, Italy by our tailors using satin fabric and lace. It is the perfect accessory for the bauta costume ».

(le zendale est la coiffure vénitienne traditionnelle portée sous le tricorne et par dessus le manteau vénitien (tabarro). Le zendale est fait à la main à Venise par nos tailleurs qui utilisent du satin et de la dentelle. C’est l’accessoire parfait pour le costume « bauta »).

 

 

 Une photo donne l’image d’un personnage (masculin) masqué portant le zendale sous le tricorne

 

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Personnage masqué portant le zendale sous son tricorne, avec le tabarro (Photo du site Visionsofvenice.com).

 

Si sur cette représentation, le zendale, d’ailleurs porté par un homme autant qu’on puisse en juger, flotte librement dans le dos, autant qu’on puisse voir, mais l’image présente aussi une sorte de châle porté sur le tabarro qui complique la visualisation de tous les éléments.
Sur d’autres images, le zendale est fermé (comme l’indiquait la définition du Wikipedia italien que nous avons citée : « Ne esistevano …a forma completamente chiusa » (il en existait de forme complètement fermée) et présente alors l’allure assez peu plaisante, convenons-en, d’une cagoule, fût-elle en dentelle.
Il en est notamment ainsi de ce dessin de Giovanni David, un artiste du 18ème siècle (1743 – 1790) certainement génois comme l’indique son lieu de naissance à  Cabella Ligure et son lieu de décès (Gênes même).

Nous retrouverons un peu plus loin cet ariste.

Fans la gravure ci-dessous, il représente un personnage masculin en masque prenant un café, image caractéristique du 18ème siècle vénitien.
On voit bien la forme de cagoule que prend le zendale, bien que l'articulation entre le tissu posé sur la tête et l'espèce de châle en dentelle ne soit pas claire : est-ce un seul et même vêtement?

Pour boire son café, l’homme a relevé son masque proprement dit (la larva) et porte le masque dans son chapeau.


 
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Un gentilhomme masqué au café, Giovanni David, gravure, Metropolitan Museum.

metmuseum.org


 

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Colloquio tra bautte, Pietro Longhi, musée Ca’Rezzonico, Venise.

bkneuroland.fr



Dans ce tableau de Longhi, observateur de la vie quotidienne vénitienne, Colloquio tra bautte, (Discussion entre masques, c’est-à-dire personnes portant la bauta), la femme porte clairement un mantelet noir en dentelle fermé, qui serait une forme de zendale ; l’homme porte un vêtement du même genre mais en tissu plus simple. Combiné avec le masque,  cette tenue constitue un « voile intégral » en quelque sorte, qui permet de d’agir en toute discrétion (et qui devait donner bien du fil à retordre au gouvernement vénitien, si soucieux de surveiller les bonnes mœurs et le comportement de ses administrés, mais sans pouvoir agir sur les usages !).
Quant au manteau gris de la dame, avec sa broderie dorée, on peut se demander quel nom les vénitiens lui donnaient. Etait-ce une forme de tabarro (qui était volontiers noir pour les hommes mais pouvait sans doute être de couleur pour les femmes?). Mais il semble plus court que le traditionnel tabarro. L’homme porte une sorte de tabarro brun.

Un autre tableau de Longhi, le charlatan, montre deux personnes masquées, complètement pour l’homme et partiellement pour la femme, qui paraît  porter un foulard sur la tête (donc un zendale ?) simplement noué autour du cou et non fermé comme sur le tableau précédent. La femme a sans doute mis son masque blanc dans son tricorne. Elle porte sur sa robe blanche une cape courte qui semble légère (ce n’est probablement pas un tabarro, qui semble être un vêtement, comme on l’a vu, plus enveloppant et surtout plus chaud – un tabarro d’été peut-être). Son compagnon semble porter un zendale fermé, comme dans le tableau précédent, et un manteau (tabarro ?) gris…
On voit qu’il n’est pas facile aujourd’hui d’identifier à coup sûr ces éléments de costume.


  

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Le charlatan, Pietro Longhi , 1757,  Musée Ca’ Rezzonico, Venise, On note que les femmes du peuple qui écoutent le charlatan ont un voile de couleur sur la tête qui descend sur le buste. Est-ce aussi une forme de zendale ? Ce voile parait plus ample que le zendale.
Wikipedia.

 


L’utilisation d’une sorte de voile comme élément du costume de carnaval a obscurci l’idée qu’on peut se faire du zendale.

L’image ci-dessous en donne une meilleure idée : la personne porte ici un masque appelé moretta (tout simplement parce que c’était un masque noir) et qui ne tenait que par un bouton qu’on avait dans la bouche (donc le plus souvent on avait le masque à la main). Elle porte sur la tête un foulard et une sorte de châle, (mais le foulard et le châle ne font peut-être qu’un) ; son châle parait se nouer dans le dos en croisant sur la poitrine.
 

 

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Femme portant la moretta

delpiano.com

 



Nous sommes donc au plus près de la définition du zendale, un voile long porté sur la tête,  croisant suer la poitrine comme une écharpe et dont les pans sont noués dans le dos.

Le site http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/9900/bin57/masques.htm comporte seulement la description de certains masques de carnaval, sans autre précision sur l’auteur du site (un travail de cours d'étudiants de l'Université de Genève, si on se fie aux abréviatios du nom du site), on peut lire ceci, sous le titre plutôt étonnant de « masque de Vesta et Zenda » :


«  C'était un déguisement typique des femmes vénitiennes de basse extraction .Mais ce n'est pas pour autant qu'il n'exerçait pas tout son charme. 
Le "zendale" était un petit manteau très court ou un très grand mouchoir que l'on portait sur la tête, les cheveux liés dans le dos. Le "zenda" pouvait être blanc ou noir souvent orné d'élégante dentelle ou de gaze transparente qui couvrait et découvrait avec coquetterie les visages féminins. Les femmes mariées le portaient de couleur blanche et il était appelé "nizioleto" ou "fazzuol".
Dans le carnaval vénitien tout était permis et de nombreuses femmes nobles avaient pour habitude de porter ce déguisement.
D'anciennes chroniques nous rapportent un événement survenu en l'an 1782, quand la future impératrice Marie de Russie en voyage de noces avec son mari Paul 1er se déguisa avec le "zenda", se noya dans la foule de la Place Saint Marc se laissant emporter par les joies du carnaval ».
:
Tout d’abord il semble que l’erreur soit de considérer le zendale (ou zenda, mais cette forme ne se trouve pas sur l’article Wikipedia par exemple) comme un « déguisement » des femmes « de basse extraction » (une appellation un peu excessive pour classes populaires sans doute) ; en effet le zendale semble avoir été porté dans les milieux populaires (disons non aristocratiques) comme vêtement de tous les jours et n’est porté à titre de déguisement que par les femmes d’un milieu plus relevé, comme le montre l’anecdote sur la future impératrice de Russie.
La description comme « petit manteau » semble en tous cas inappropriée.


Par ailleurs aucune explication n’est fournie sur l’appellation « masque de Vesta » (par référence aux voiles que portaient les vestales, servantes de la déesse Vesta dans la Rome antique ?).

Il est à noter que le site Carnivalofvenice.com semble recopier ces informations, ou être à leur origine, mais la description du zendale devient la suivante :
The “zendale” was a very short black shawl or a very large handkerchief knotted together and placed on the head. (le zendale était un très court châle noir ou un très grand mouchoir noués ensemble et placé sur la tête).
Cette description est surprenante et peu cohérente car on peut se demander si le zendale est fait d’un ou deux éléments ; et s’il n’y a qu’un élément (c’est un châle ou c’est un grand mouchoir)  comment peut-il être « noué ensemble » ?

Finalement, c'est le site justement appelé http://win.bauta.it/bauta.asp, qui donne la meilleure explication de ce que c'était le zendale, qu'il orthographie "xendal" à la vénitienne.

Après avoir rappelé qu'on appelle parfois bautta ou bauta le seul masque porté sur le visage (masque blanc ou noir) qui est en fait la larva, le site définit ce qu'il appelle la "bauta costume", le déguisement complet :

" La bauta-costume è il travestimento nel suo insieme. Comprende cioè la larva, lo xendal o roccolo di pizzo, il tricorno (cappello a tre punte solitamente nero) e il mantello, successivamente sostituito spesso dal tabarro. “Xendal” deriva dalla contrattura della parola “cendale” o “zendale”, che rappresentava una lunga stola in origine di taffettà di seta con la quale le dame si coprivano il capo e le spalle e che si arricchì nel tempo fino a diventare totalmente in pizzo e a forma completamente chiusa.

Questo tipo di accessorio venne in seguito usato anche dagli uomini perché garantiva l’assoluto anonimato e l’impenetrabilità degli sguardi una volta messa la maschera. Il vecchio “zendale” resta ancora con la maschera della moretta o servetta muta".

(La bauta-costume est le déguisement dans son ensemble. Il comprend la larva, le xendal ou voile (ou résille?)  de dentelle, le tricorne et le manteau, souvent sous la forme du tabarro. "Xendal" dérive du mot "cendale" ou "zendale" qui représentait une longue étole en taffetas de soie à l'origine, dont les femmes se couvraient la tête et les épaules et qui avec le temps devint totalement en dentelle et de forme fermée.

Ce type d'accessoire fut utiisé aussi par les hommes parce qu'il garantissat l'anonymat absolu. Le vieux zendale survivait avec le masque de la moretta ou servante muette).

Ainsi, on voit bien qu'avec le temps il existait deux types de zendale: l'un, de forme souvent fermée, utilisé comme élément de la bauta, par les hommes et les femmes.

L'autre, porté par les femmes certes avec le masque de la moretta, comme on l'a vu dans l'image reproduite plus haut, mais aussi dans la vie de tous les jours.


Un dessinateur et graveur a donné une image de la femme vénitienne indubitablement en zendale, puisque sa gravure est justement titrée « le zendale ».

Ce dessinateur est Giovanni David, dont nous avons vu plus haut la gravure Masque prenant un café.


La jeune femme représentée ne peut être que vénitienne comme le montre le décor dans lequel elle se tient : on reconnaît le campo San Zanipolo (abréviation vénitienne pour Santi Giovanni e Paolo), avec le monument équestre du condottiere Colleoni et la basilique San Zanipolo (Santi Giovanni et Paolo), dans le quartier de Castello.
Ce décor vénitien confirme que le port du zendale était une caractéristique des femmes vénitiennes (des classes populaires semble-t-il, ce qui signifie seulement que ce n’était pas un usage aristocratique, même si des femmes de l’aristocratie pouvaient s’en servir à titre de déguisement, pour passer inaperçues) ; la personne ici montrée parait appartenir aux « classes moyennes » vu son élégance.

 

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Le Zendale, ou la Femme qui revient de l’Eglise, Giovanni David (1743 Cabella Ligure – 1790 Genoa) www.teeuwisse.de ; Prints & gravings Nicolas Teeurwise © 2009 Nicolaas Teeuwisse OHG · Erdener Straße 5a · 14193 Berlin-Grunewald · Germany

Elle porte un foulard noir sur la tête qui paraît couvrir les épaules (sauf s’il s’agit d’un foulard et d’un châle !), croiser sur la poitrine et se nouer derrière le dos par des nœuds (mais on voit des noeuds blancs, appartiennent-ils au zendale ou à un autre vêtement blanc qu’on distingue sous les pans du zendale ?).  Vêtue d’une robe noire qui présente un volume qui appelle l’attention, elle tient un éventail à la main.

 


Surtout, la femme porte un voile transparent (évidemment) de biais sur le haut du visage et les yeux. S’agit-il du bord du zendale ou d’un autre voile s’ajoutant au zendale? Nous donnons notre langue au chat, mais il est évident qu’une grande partie de la séduction  de la personne représentée est dans ce voile un peu oblique sur les yeux…


Le « piquant » pour s’exprimer comme le dessinateur victorien Bartlett dans sa description de la faldetta maltaise, est dans ce voile et aussi dans le fait que la gravure soit sous-titrée « la femme qui revient de l’église ». La coquetterie assumée est d’autant plus plaisante que le contexte est (superficiellement) religieux et le zendale retrouve ici la fonction de coiffure dissimulant les cheveux, et donc répondant aux prescriptions religieuses ce qui n’enlève rien, manifestement, à son pouvoir de séduction*.

                                                                                           * Cette alliance paradoxale du religieux et de la séduction profane était bien notée par Bartlett, décrivant son aimable maltaise comme : « so nun-like, and yet so coquettish » (si pareille à un nonne et pourtant si coquette).                                                                                    
 
Une citation de Boileau (Satires) en français, comme l’ensemble de la légende de la gravure, figure sous le titre :
« Atten (sic) donc, et permets que je prêche à mon tour ».
La jeune femme vient d’entendre sans doute un prêche à l’église et c’est elle maintenant qui va prêcher, probablement par sa seule attitude, un prêche dont le contenu très réduit doit être quelque chose comme : Suivez-moi, jeune homme (et les moins jeunes aussi)*


                                                                                    *  C’est l’occasion de rappeler que vers 1900, les jeunes filles portaient des chapeaux (généralement de type canotier) avec de grands rubans descendant dans le dos et qu’on surnommait ces rubans des « suivez-moi jeune homme



Une autre œuvre du 18ème siècle parait représenter une femme coiffée du zendale, ici encore une vénitienne, puisque c’est le titre du tableau.
Il s’agit d’un tableau, dont plusieurs versions existent, de Jean Barbault (1718-1762).
Jean Barbault était Français mais passa la plus grande partie de sa courte vie en Italie. Son décès prématuré ne lui a pas permis d’accéder aux premiers rangs de l’histoire de l’art.

Sa vénitienne sourit au spectateur, la moitié de son visage cachée de bas en haut par un foulard posé sur sa tête, en qui on peut reconnaître sans risque de se tromper, un zendale. La femme, en robe noire, tient son voile des deux mains, qui sont ornées de grandes manchettes de dentelle blanche.

Comme pour la Vénitienne de la gravure de Giovanni David, la séduction ou la coquetterie tiennent à cette façon de cacher une partie du visage.
On remarquera à quel point la silhouette de cette Vénitienne de 1750 pourrait être actuelle avec sa jupe assez courte et près du corps (loin de l’exagération de la jupe probablement amplifiée par des cerceaux de la gravure de Giovanni David.

 

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La Vénitienne, vers 1750, Jean Barbault (1718-1762), site La tribune de l’art

 

Jean Barbault est aussi l’auteur de tableaux  représentant des « Jeunes filles romaines dotées » dont il peignit plusieurs variations.
Ici le personnage, loin de présenter un aspect séducteur ou aguichant, est presque entièrement revêtu d’un grand voile, ce qui lui donne un aspect finalement très oriental.

 

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Fille dotée, Jean Barbault, site Actualité des arts  Juin 2010, Fille dotée, © Petworth, collection Lord Egremont


Le site Actualité des arts donne les très intéressantes explications suivantes sur ce tableau, qu’il en soit remercié :

«  Α Rome au XVIIIe siècle, il était d'usage que chaque année la confrérie della Annunziata dote plusieurs jeunes filles pour faciliter leur mariage ou leur entrée au couvent - ne pas oublier que les Religieuses étaient et sont encore les épouses mystiques de Jésus Christ. Le 25 mars, elles devaient se rendre en procession à Santa Maria Sopra Minerva pour assister à une messe pontificale. Elles revêtaient pour l'occasion un grand voile blanc qui les couvrait toutes entières et ne laissait voir qu'une partie du visage. Plusieurs peintres ont représenté ces jeunes filles. Le thème a tellement séduit Jean Barbault qu'il en a peint plusieurs variantes sans doute aussi à la demande de ses clients : dans un paysage ; dans un intérieur à côté d'un brasero (allusion au foyer des Vestales de l'ancienne Rome?) ; cette version est la plus surprenante, où, dans un paysage sombre, nuageux, préromantique, la jeune femme se dresse tel un fantôme. On remarquera la ruine romaine inspirée par l'attique du forum d'Auguste, le jeune arbre élancé courbé par le vent qui a certainement une signification
La Fille dotée, altière, toise le spectateur. Un grand voile blanc qui l'enveloppe presque entièrement ne laisse voir qu'une partie du visage, rapidement esquissé comme souvent chez le peintre. Elle tient à la main un chapelet de corail qui jette une note de chaleur dans un tableau aux couleurs froide. La silhouette exagérément élancée, selon un canon quasi maniériste, est typique de l'artiste. Enfin, on admirera la subtilité du blanc, sans doute la couleur la plus difficile à rendre pour un peintre.

La Fille dotée appartient à la série de types italiens que le comte de Vandières avait commandé au peintre lors de son séjour à Rome en 1750. L'exemplaire reproduit ici, qui n'est pas l'original mais une variante comme l'artiste avait coutume de le faire car il n'aimait pas se copier, est le plus original par son atmosphère mélancolique. »




La mantille ou voilette de dentelle (était-ce le "zendale" vénitien ?) resta en usage en Italie bien avant dans le 19ème siècle. En visite à Turin, vers 1873, Henry James en parle comme une caractéristique des jeunes femmes italiennes du nord :

"Une cité d'arcades, de stuc rose et jaune, d'innombrables cafés, d'officiers en pantalons bleus, de dames drapées des mantilles du nord de l'Italie...Des dames dont les dentelles d'allure espagnole agrémentaient avec art les têtes, mais aussi avec un art insuffisant, ou du moins avec trop de naturel, les corsages" (façon de dire que les dentelles masquaient très peu les corsages des jolies Turinoises de cette époque).

(Henry James, Heures italiennes)

 

 

 


En conclusion





Les vêtements que nous avons évoqués ne sont parfois plus qu’un souvenir (la faldetta maltaise, le zendale vénitien).
A la rigueur on peut les retrouver utilisés dans le cadre de manifestations folkloriques ou bien comme élément de déguisement, pour les tenues associées au carnaval de Venise.
Pour la mantille, son utilisation reste encore fréquente, bien que réservée à des circonstances exceptionnelles, à des jours de fête, principalement en Espagne où elle revêt un caractère identitaire : participation à des cérémonies religieuses, mariages, on peut aussi voir les mantilles portées par des spectatrices des corridas.

On la trouve même, hors d’Espagne (et, paradoxe, en Catalogne française) dans des circonstances semblables, même s’il s’agit de mantilles posées simplement sur la tête (sans le peigne peut-être typiquement espagnol) comme les mantilles de dentelle blanche portées par les toutes jeunes filles assistant à la procession de la Sanch à Perpignan, procession où les confréries de pénitents arborent les mêmes costumes impressionnants qu’en Espagne*


                                                                                                             * Dans les pratiques liées à la tradition catholique, les seuls cas de visages entièrement dissimulés concernent les hommes et non les femmes, dans les confréries religieuses portant cagoule ! La cagoule est au mieux de son effet baroque lorsqu’elle se termine par une pointe exagérée. La tradition des confréries de pénitents en cagoule est demeurée vivace en Espagne, et dans certaines parties de l’Italie; elle a disparu ailleurs, notamment en France méditerranéenne où elle fut présente jusqu’au 19ème siècle (on en trouve encore quelques traces en Corse et en Catalogne dite « française »). Les raisons de cette disparition sont complexes et ne sont pas seulement un effet de l’idéologie laïque, mais de la victoire d’une forme de catholicisme qui rejette les manifestations théâtrales.


Les vêtements que nous avons évoqués ont trois caractéristiques communes.

La première est d’être nés dans des régions de Méditerranée occidentale où s’est peut-être exercée l’influence des mœurs islamiques (la Sicile, d’où serait venue la faldetta, Malte ou l’Espagne, ont été occupées par les musulmans, même si l’influence directe de ceux-ci peut être écartée pour les mantilles qui n’apparaissent qu’au 17ème siècle semble-t-il ?).

La seconde est l’influence des prescriptions de Saint Paul sur la nécessité de se voiler lors de circonstances religieuses.
Cette prescription n’était pas limitée aux régions méditerranéennes  qui ont vu l’apparition des vêtements que nous avons étudiés, mais, peut-être en cumulant cette prescription avec le souvenir ou l’influence des habitudes islamiques, a-t-on abouti à l’apparition de vêtements de tête qui ont été portés, dans les régions de Méditerranée occidentale, en toutes occasions et pas seulement lors des occasions religieuses ? C’est en tous cas une hypothèse.
D’ailleurs les prescriptions de Saint Paul elles-mêmes, semble rejoindre quelque part les mœurs islamiques, même si elles sont restreintes aux circonstances religieuses et non pas applicables à l’ensemble de la vie quotidienne comme les règles islamiques sur le voile.

Pour Saint Paul, le port d’un voile est l’expression de l’infériorité de la femme en matière religieuse, conséquence de sa subordination à l’homme, « autorité dont elle dépend »: « Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef  ».
 
Il ne s’agit toutefois pas d’une prescription valable dans la vie de tous les jours et il ne s’agit pas non plus, a priori, d’éviter, aux hommes les tentations de la chair qui tiennent pour beaucoup aux agréments du visage et de la chevelure. Cette dimension n’est sans doute pas exclue dans la religion chrétienne, mais limitée aux offices religieux.

Cette convergence partielle entre saint Paul et les prescriptions de l’Islam (dans le Coran ou pas) peuvent-elles s’expliquer par une origine géographique commune et orientale des deux religions ?
La religion juive comporte aussi des prescriptions concernant les cheveux des femmes, qui seraient plus tardives et sont respectées par certains milieux ultra-orthodoxes.
C’est ainsi que Wikipedia précise : « Pour les femmes juives orthodoxes, l’obligation de se couvrir la tête est relativement tardive. Elle dérive des compilations du Sefer Ha Zohar (entre le IIe siècle et le XIIIe siècle) et de l’Orah Hayim (XIVe siècle) qui indique qu’une femme « doit avoir la tête couverte même quand elle se trouve chez elle ».
Cette obligation parait avoir donné naissance au port d’une perruque qui suppose que la femme rase ses cheveux…mais il n’est pas rare de rencontrer des femmes portant une sorte de béret peu seyant, à vrai dire. L’origine de cette prescription (pour femmes mariées semble-t-il) est une obligation de pudeur, afin de ne pas être désirable par d’autres (mais pourtant, chez elle, la femme n’est pas exposée à des regards autres ?).

Mais les indo-européens avaient aussi des idées sur les voiles, notamment pour les femmes mariées.
Ainsi, selon Wikipedia, dans la religion grecque ou romaine, les déesses représentant le mariage, le foyer ou la famille sont le plus souvent représentées voilées alors que les déesses célibataires comme Diane ou Vénus, ne le sont pour ainsi dire jamais. (pour Aphrodite/Vénus, on peut même dire que sur beaucoup de représentations de l’époque gréco-romaine, elle n’a rien à cacher).


Wikipedia ajoute que dans la Rome antique, le symbole du voile est étroitement associé au mariage, où lors du mariage la femme porte un voile qui a d’ailleurs une signification religieuse car l’épouse devient prêtresse du culte familial. Cette tradition vestimentaire a assez bien survécu jusqu’à nos jours dans le célèbre voile de la mariée.

 

vestale_leighton

Vestale, tableau de sir (plus tard Lord) Frederic Leighton, 1830-1896 (site Le grenier de Clio, Religion romaine)

 

Nous pouvons aussi penser aux vestales, pures jeunes filles romaines consacrées au culte de Vesta, portant un voile sur la tête (mais qui ne dissimule pas le visage) ;  ce voile en fait les assimile aux femmes mariées car comme les religieuses dans le christianisme, la vestale est mariée avec la divinité qu’elle sert.

A l'extérieur les femmes mariées portaient souvent un voile et se couvraient la tête d'un pan de leur robe. Le port d'un voile ou d’un pan de sa toge sur la tête était une attitude courante à Rome, même parmi les hommes, dans un contexte religieux : certains prêtres ou augures portaient un voile et une statue de l’empereur Auguste en grand pontife le montre couvert d’un pan de sa toge.  

On peut se demander si ce n’est pas la référence aux femmes mariées romaines que Saint Paul avait aussi en tête dans sa fameuse prescription (rappelons qu’il était citoyen romain).

D’ailleurs, dans le même texte de référence, Saint Paul dit :
14 La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas qu'il est déshonorant pour l'homme de porter les cheveux longs ?
15 Tandis que c'est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile*

                                                                                                        *  Comme Saint Paul préconise le port du voile au moins lorsque la femme prie (ou prophétise !) car il ne serait pas digne qu’elle le fasse nu-tête (ce qui incommoderait les anges ?), il semble assez peu logique d’écrire ensuite que ses cheveux lui servent de voile...


Ainsi Saint-Paul désapprouve les cheveux longs pour les hommes (cheveux longs pourtant emblématiques du Christ - mais dans des représentations bien postérieures à Saint-Paul), il appelle en fait les chrétiens à se conformer aux règles romaines : cheveux courts pour les hommes et voile pour les femmes, inspiré de la tenue de la femme romaine mariée, probablement pour rendre respectable la nouvelle religion en adoptant les usages valorisés des Romains.
Il n’est pas excessif de dire qu’il arrime le christianisme, cette religion orientale par son origine, aux règles de « decorum » de l’Occident romain.

A Rome, le voile des femmes mariées est posé sur la tête et ne dissimule ni visage ni même vraiment les cheveux, à la différence des prescriptions orientales qui veulent dissimuler complètement les cheveux et même en certains cas le visage.
De la même façon, dans ce texte décidément étonnant, et susceptible de bien des commentaires, Saint Paul dit que les cheveux longs sont une gloire pour une femme et ne dit nullement que la femme doit dissimuler cette gloire pour tout autre que son mari…

Ce qui nous ramène à la troisième caractéristique des vêtements ou parures que nous avons étudiés ; faits pour dissimuler superficiellement, en fait ils révèlent et mettent en évidence le charme féminin.
Lorsque le zendale, la mantille ou la faldetta masquent en partie le visage, c’est un effet de la coquetterie des femmes qui le portent.
Le visage est à demi-caché seulement ou légèrement dissimulé par de la gaze ou de la dentelle et fait désirer en voir plus (on peut aussi penser aux charmantes voilettes à la mode vers 1900).

Le port de ces vêtements a pris l’aspect d’un jeu de séduction et c’est la conclusion que nous en retirerons: quelle que soit l’origine des vêtements étudiés, et leur justification initiale,  leur point commun est d’avoir été transformés en instrument de séduction et de coquetterie par celles qui les portaient, lorsqu’elles étaient en tous cas suffisamment jeunes et jolies pour le faire.

Il s’agit certainement d’une tendance de l’esprit occidental. Lorsqu’on se réfère à des influences orientales pour tracer l’origine de ces vêtements, on peut bien avoir raison, mais l’important est que l’esprit occidental en ait fait des armes de séduction au moyen desquelles, comme le disait joliment l’auteur victorien à propos de la faldetta maltaise, « the pretty become positively irresistible » (les jolies deviennent positivement irrésistibles)..
Ces instruments de séduction, sans doute en dépit des intentions de Saint Paul, font que l’éternelle Aphrodite continue à régner sur les cœurs.

Nous devons garder à l’esprit que les vêtements de la Méditerranée occidentale que nous avons évoqués appartiennent, pour l’essentiel, au passé et que les pratiques religieuses islamiques qui prescrivent le port d’un voile (partiel ou intégral comme on dit), loin d’être un phénomène du passé, sont une réalité actuelle même dans les sociétés occidentales.

Les façons d’allier la pudeur et la coquetterie féminine dont nous avons parlé ne sont plus qu’un souvenir des temps anciens. Elles ont suivi ou peu s’en faut, la souveraineté de l’Ordre de Malte ou la Sérénissime République de Venise dans la longue liste des choses passées.

Les vêtements camouflant entièrement les cheveux ou dissimulant entièrement le visage, quand ce n’est pas tout le corps y compris les mains, vêtements issus d’une autre culture qui condamne moralement toute séduction publique, font maintenant partie de notre réalité quotidienne.
C’est toute la différence. 

 

 



 

 



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Commentaires
M
article sacrement de mauvaise foi quand même<br /> <br /> A une époque ca se faisait d'avoir un fichu sur la tète pour les femmes en France, notamment dans les campagnes, et elles le faisait très naturellement car ça aurait été mal vu de faire autrement. Point. Les hommes aussi, pour se montrer "respectables", se couvraient la tète (et se découvraient pour saluer ou en rentrant dans une maison ou une église)<br /> <br /> <br /> <br /> Quand à la séduction, ca n'est pas du tout un critère de quoi que ce soit.<br /> <br /> Il y a autant d'oppression à vouloir (en France) que les femmes soient découvertes, se fassent jolies, féminines, séduisantes, et ce depuis leur plus jeune age (et percer les oreilles des petites filles, ca vous parait naturel mais c'est une mutilation comme une autre).<br /> <br /> Bref autant d'oppression à ce diktat de la femme francaise de paraitre toujours séduisante et souriante et disponible pour l'homme, qu'il y en a à imposer à une femme de cacher son corps, d'éviter le regard, de cacher son visage etc<br /> <br /> <br /> <br /> c'est juste que vous etes marqué par votre éducation et ne la critiquez pas.<br /> <br /> Les jeune filles qui rebellent contre cet etat de fait en france ont subi brimades, moqueries et menaces, donc jolie liberté.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant aux femmes qui veulent cacher leur corps, ce n'est pas toujours pas diktat religieux. Elles en ont aussi un peu marre de se faire mater le cul ou tripoter, et c'est une façon de garder de la distance et de paraitre "invisibles", dans un pays qui passe leur temps à les sexualiser (meme si ca change, mais tres lentement)<br /> <br /> <br /> <br /> Bref, la vraie liberté, ca serait de ne pas dire aux femems comment s'habiller, tout le temps (trop couverte, pas assez couverte...)<br /> <br /> Et les hommes, on leur dit quelque chose?<br /> <br /> Porter la barbe est un signe religieux?
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A
Je découvre avec un vif intérêt votre article très fourni sur la mantille et autres voiles. Merci pour ce texte, plaisant à lire et très instructif. Merci de dénoncer le relativisme culturel et sa mauvaise foi consubstantielle. Et vive la mantille!
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Le comte Lanza vous salue bien
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